LÉO FERRÉ : ArchivesTranslate this pageleoferre.hautetfort.com/archive/2007/09/index.html« Les...

download LÉO FERRÉ : ArchivesTranslate this pageleoferre.hautetfort.com/archive/2007/09/index.html« Les temps difficiles » Retors, rétif, rebelle, tel apparut sans doute le public toulousain

If you can't read please download the document

Transcript of LÉO FERRÉ : ArchivesTranslate this pageleoferre.hautetfort.com/archive/2007/09/index.html« Les...

LO FERR : Archives

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

LO FERR

tudes et propos par Jacques Layani

propos

La bannire est de

Patrick Dalmasso

Index alphabtique des notes publies

tabli par Patrick Dalmasso

Caractre

Verdana, corps 8 (garamond pour la bannire)

Catgories

tudesJalonsLes invits du taulierLieuxOrganisation du blogPersonnagesProposRechercheSouvenirsSpectacles et missions

Site bibliographique

Passage Lo Ferr

Contact

layanij@yahoopointfr

Rechercher

Mai2018

DLMMJVS 1 2 3 4 5 6 7 8 910111213141516171819202122232425262728293031

Notes rcentes

FermetureUn point non clairciDu public et de lgeDans la nuit de Bobignyvocation ou Une histoire avec des siInformationLhomosexualit sous le regard de FerrPendant la Seconde Guerre mondialeReconstitutionQuestion doreille

Commentaires rcents

Jacques Layani sur Un point non clairciFrancis Delval sur Un point non clairciJacques Layani sur Un point non clairciFrancis Delval sur Un point non clairciFrancis Delval sur Un point non clairciJacques Layani sur Lettres damourBatrice sur Lettres damourJacques Layani sur Un point non clairciJacques Layani sur Un point non clairciFrancis Delval sur Un point non clairci

Archives

2009-032009-022009-012008-122008-112008-102008-092008-072008-062008-05Toutes les archives

2007-08 | Page d'accueil | 2007-10

vendredi, 28 septembre 2007

Sur la scne toulousaine, par Jacques Miquel 3/3

Lge dor

Tout au long des annes 80 et au tout-dbut des annes 90, Lo Ferr se produisit dans de nombreuses villes situes moins de cent kilomtres de Toulouse, permettant aux amateurs toulousains de suivre les diffrents jalons de cet ge dor de lartiste : le 6 aot 1981 Castres; le 23 novembre 1985 Montauban; le 7 octobre 1986 la Halle de la Verrerie de Carmaux pour le rcitalLes potes; successivement les 29 et 30 septembre 1988 Foix et Albi; le 18 mai 1989 Auch et le 10 novembre suivant Moissacpour la fte de la posie; enfin, les 7 et 9 mai 1992 encore une fois au thtre de Montauban pour le festival Alors chante. Aucun de ces spectacles ne donna lieu quelque incident que ce soit et chaque fois, devant des salles pleines, le chanteur remporta de trs grands succs. Pendant la mme priode, on le revit trois reprises sur des scnes toulousaines.

Chapiteau Colomiers, 29 septembre 1982

Les articles qui annoncrent la venue de Lo Ferr aux portes de Toulouse ne firent pas spcialement dans la sobrit et en voulant fuir la banalit, ils nvitrent pas toujours la boursouflure: [Lo Ferr] semble tre n de nulle part, dun mlange alchimique du soleil dhier et de la nuit de demain. Humble comme un bidonville, corch comme un abattoir, il ouvre sur le monde les yeux plisss de celui qui sest us la vue regarder, comprendre. Ses gros mots vont aux pousailles du grand souffle de la posie

Difficile dvaluer le nombre de spectateurs ayant pris place sous ce chapiteau plein craquer et que lon aurait pu croire soulev par les bravos qui accueillirent lartiste si au dehors le vent dautan ne gonflait pas la toile. Trs tt Lo Ferr sen prit cet orage qui chahutait le voilier, et demanda au public de pousser lunisson un grand coup de gueule pour protester contre les lments Lambiance tait la connivence, mais lcoute fut intense quand le chanteur dclina selon sa fantaisie, les trente-cinq chansons de son rpertoire de cette soire: Vitrines Les 400 coups - Thank you Satan Vingt ans Y en a marre Chanson mcanise Monsieur Barclay Lge dor - Cest extra Les Anarchistes Madame la Misre Le Printemps des potes Le Chien La Folie - La Solitude / LInvitation au voyage Avec le temps Prface Allende vendre Les Celtiques Gomtriquement tien Words words words Frres humains / Lamour na pas dge La Mort des amants LAdieu - La Vie dartiste La Mlancolie Ils ont vot Cette blessure Ta source De toutes les couleurs En faisant lamour Un jeans ou deux Tas dbeaux yeux tu sais Les Potes de sept ans.

Colomiers, 29 septembre 1982 D. R.

La Dpche du Midi du 30 septembre 1982.

Lo Le Lion. Hier soir, Colomiers, le pote tait seul. Sans orchestre, avec sa lucidit et ses chansons.

Un chapiteau sur une tranche de bitume, au cur dune ville frileuse et ouverte aux fantasmes. Et cette pluie qui tombe comme une voix houleuse. Vieux fascisme, dfaitisme Hier soir, Colomiers, le vieux lion na pas pu sempcher de rugir contre cet orage quil navait pas voulu.

Il cogne, il frappe, il cingle, il fonce, il chante. Cest Lo Ferr, soixante-six ans, tranant ses lambeaux de rves et gardant sa lucidit dans son froc. Il na plus dge et son public non plus. Sous la tente, ils taient nombreux venus lcouter: des anars, des amoureux du lyrisme extasi, des fidles de la voix faite de soufre et de sang, les branchs de la symphonie rose et noire qui se balance comme du Verlaine, et ceux qui nont pas oubli ce mot de Lo: I am un immense provocateur.

Tous ont t gts. Ferr seul avec son piano et sa bande magntique (hlas!) leur a tout servi: des bouffes de violence, des couplets fous de vie et dhumour, des imprcations tout dun souffle, des chansons murmures et des chansons cris, des chansons qui portent llan spontan, les tensions sourdes de la vie, des chansons qui souvrent sur un monde en rvolte, un monde sans raison.

Lo sait bien quon ne plante plus son vieux drapeau noir sur les barricades, mais il continue de prendre son mal en impatience, et sa vieille carcasse vibre autant avec ses tripes quavec sa tte. Vingt ans, Avec le temps, La Solitude, Cest extra Il ne manquait rien cet tincelant spectacle. Mais quand la voix fauve et ocre sest teinte sous les projecteurs, la pluie tait toujours l, tapie dans la nuit.

[non sign].

Halle aux Grains de Toulouse, 29 mai 1985

Revoil donc Lo Ferr la Halle aux Grains Toulouse, six ans jour pour jour aprs le rcital quasi insurrectionnel de 1979. Ce retour se fit apparemment sans tambour ni trompette et un seul article annona le rcital prvu le soir mme.

La Dpche du Midi du 29 mai 1985.

Aujourdhui 20 heures 30 la Halle aux Grains Lo Ferr.

Il fait encore quelques apparitions de temps autre. De moins en moins: retranch dans sa campagne dItalie, le vieux matre nprouve plus le besoin de paratre, occup quil est de jongler avec les mots, les doubles-croches et les silences, poursuivant une uvre sans pareille.

Depuis combien dannes maintenant ses mots brlants comme une lave jaillissent-ils de lobscurit? Depuis combien dannes cet homme rong de solitude est-il le copain, le frangin de notre multitude? Depuis combien dannes cette fraternit fragile quil dlivre nous rchauffe-t-elle les jours de pluie?

Non, Ferr na pas chang, il ne changera jamais: il est un torrent de mots sur des flots de musique, il est un homme debout qui ne fait que passer, il est un sourire un peu ple, lointain, vacillant comme son regard. Une voix surtout.

Ferr lamour, Ferr la mort, qui chante la folie et les curs pitins, les annes disparues et le got furtif du bonheur, linjustice et le silence, labsurdit de toute chose.

Aujourdhui, Ferr qui voudrait que tout sarrte l du temps compt des hommes, nous revient avec la neige de ses cheveux qui accroche la lumire, la grimace dun sourire comme une blessure, sous le ciel blanc des projecteurs.

Une escale dans la poursuite de lerrance incertaine de monsieur le pote qui semble venir dailleurs.

[non sign].

Halle aux Grains Toulouse, 29 mai 1985 D. R.

Aucun compte rendu de presse na dcrit cette soire qui mritait pourtant dtre voque, tant le triomphe fut grand dans une Halle aux Grains bonde et ployant sous le charme. Finis les incidents davant spectacle pour forcer les portes ou pour revendiquer sur des sujets pour lesquels le chanteur ne dtenait pas spcialement la solution.

Il est vraisemblable quavant ce spectacle, Lo Ferr avait rencontr des reprsentants de la mouvance libertaire, car aussitt acheve linterprtation de Frres humains, aprs avoir jet un coup dil sur un tract, il ddia la Ballade des pendus de Villon aux quatre militants antifascistes emprisonns Toulouse, ddicace ponctue du vers: Mais priez Dieu que tous les veuille absoudre.

Quant son programme il tait compos de cette large trentaine de chansons : La Vie dartiste Pauvre Rutebeuf Graine dananar Le jazz-band Tes rock coco Les Copains dla neuille Les Amoureux du Havre La Solitude / LInvitation au voyage celle qui tait trop gaie Mon camarade La Vie moderne Thank you Satan LAmour Madame la Misre Ppe Marizibill La Porte Le Printemps des potes Le Chien Ton style Prface Je te donne Les Artistes Tu penses quoi Allende Words words words Frres humains / Lamour na pas dge Ta source Un jeans ou deux Le Tango Nicaragua Tas dbeaux yeux tu sais Avec le temps.

Halle aux Grains de Toulouse, 12 janvier 1990

Sous lintitul Lo, certaines heures ples de la nuit, le traditionnel article destin prsenter lartiste qui allait bientt se produire Toulouse aurait plutt dcourag le spectateur perplexe si Lo Ferr navait pas fait depuis longtemps ses preuves

Vingt-cinq ans aprs son premier rcital toulousain sur la scne de lancien march aux grains transform en Palais des Sports, revoil le pote au mme endroit, cette fois-ci devant une Halle aux Grains archicomble. Comme il le disait lui-mme, il y a aussi des journalistes qui connaissent leur mtier; cest vraiment le cas de Marie-Louise Roubaud.

La Dpche du Midi du 13 janvier 1990.

En concert la Halle aux Grains, Lo denfer.

Il a la passion mimtique. Ses rvolutions, certes, ne sont pas de velours, elles ont le got cre des orages et du sang, et pourtant, quil vienne chanter la tendresse et que sont mes amis devenus de Rutebeuf, et soudain sinstalle sous les sunlights une fraternit couper au couteau. Et la minute suivante quil se mette tempter et on le croirait vomi par les bouches denfer dun volcan mal teint. Celui de ses colres fumantes. Avec sa gueule de chimpanz ou de trappiste triste davoir longtemps courb lchine sur le mme sillon maigre en 1956, ctait pas facile de vivre, le tlphone ne sonnait pas, aujourdhui, il sonne trop Lo Ferr reste conforme son image de toujours. Mais il ne se fige pas. Quil se mette danser un air de jazz-band et le rythme se met au pas et la salle la mesure.

Cet anctre a tous les culots. Celui de nous chanter une messe des morts, un chant des trpasss qui nous ramne tous les vieux fantmes, Lorca, Allende et mme Franco. On le croyait bien mort pourtant, celui-l. Et bien non, Ferr a la rancune tenace, et les amours aussi. Il ne faut pas croire que lorsquil tient une proie, il va la lcher pour lombre. Alors, dans ses imprcations pas de pardon, mais dans ses amours pas doubli.

Son Bateau espagnol descend toujours la Garonne avec une Madone en figure de proue et Aragon et son Affiche rouge flamboient toujours au firmament. Dailleurs, comme Aragon, Ferr chante pour passer le temps petit qui lui reste vivre. Sans ostentation. Faisant fi de toutes les barrires, celles du temps, de lge, des modes, des convenances, Ferr joue les charmeurs de serpents qui sifflent sur sa tte, cette tte dartiste maudit qui ressemble vingt ans aprs, au dessin quen fit un peintre qui tait espagnol et qui sappelait Carlos Pradal

Dans toute sa gloire, face aux ovations qui bercent sa tte chenue et qui dsaltrent son cur exigeant, ce frangin du malheur continue faire de drles dinvocations lange des plaisirs perdus Comment, ds lors, ne pas laimer comme il le mrite la folie.

Marie-Louise Roubaud.

Toulouse, 13 janvier 1990, ditions Universelles.

00:00 Publi dans Les invits du taulier | Lien permanent | Commentaires (2)

mercredi, 26 septembre 2007

Sur la scne toulousaine, par Jacques Miquel 2/3

Les temps difficiles

Retors, rtif, rebelle, tel apparut sans doute le public toulousain Lo Ferr qui allait connatre localement damres dconvenues. En effet, malgr dincontestables succs, les rcitals Toulouse des annes 1969-1979 se sont drouls lenseigne des temps difficiles

Cinma Le Royal de Toulouse, 15 dcembre 1969

Nul besoin darticle avant-coureur pour annoncer ce rcital organis par le Centre culturel de Toulouse, rserv aux seuls adhrents, en principe un auditoire plutt calme et conquis davance. Les salles de spectacles du centre culturel tant trop petites, Christian Schmidt, le directeur fondateur de cet institut, avait lou celle du Royal, un cinma du centre ville pouvant accueillir un millier de spectateurs. En guise de commentaire la note Contester Ferr, je me suis efforc en juin dernier de raconter cette soire houleuse contre toute attente, et dont Lo Ferr a partiellement fait les frais. En dcouvrant larticle de La Dpche relatant ces faits, je me rends compte que ma mmoire ma trahi propos de la nouvelle tenue de scne de lartiste dont jai invers les teintes, en revanche, ctaient bien plusieurs spectateurs qui avaient pris place sur la scne. Peu importe. Voici donc le point de vue chaud de Marie-Louise Roubaud publi le surlendemain de cette soire passionne.

15 dcembre 1969, photo La Dpche, op. Esparbi.

La Dpche du Midi du 17 dcembre 1969.

Lo Ferrau Centre culturel : le fauteur de troubles

On sait depuis toujours que l o il passe, Lo Ferr provoque le trouble. Ses pamphlets anarchistes ncorchent pas que le langage et la bonne morale; ils drangent. Car le grand Ferr est un homme en colre qui se sert des mots comme dautres se servent de grenades.

Sil y a aujourdhui une posie qui touche au vif la jeunesse rvolutionnaire, cest bien celle de cet homme de plus de cinquante ans. la fois insolent et tendre, sincre et rou, irritant et attachant, Ferr est un de ces tres excessifs qui sment le vent et rcoltent la tempte.

Ador et ha, il aura connu lundi soir, au Royal, lencens du triomphe et le vitriol des injures.

La rue dAlsace embouteille, des grilles dfonces ntaient quun prlude. lintrieur, fauteuils et couloirs taient pris dassaut par un public secou par la fivre des combats.

Quand Lo Ferr apparat aux couleurs de lanarchie pull noir et pantalon rouge crinire romantique, ce public se retrouve uni pour lui faire une ovation.

Aux deux premiers rangs, les plus enrags de ses admirateurs de jeunes anarchistes venus faire un triomphe celui quils considrent, tort comme raison, comme leur prophte.

voix basse dailleurs, ils disent les vers quils connaissent sur le bout du cur pour y avoir trouv lcho de leur propre rvolte.

Ils nont pas port de drapeaux noirs comme leurs camarades parisiens Saint-Denis, la semaine passe, mais ils ont tous des tenues qui sont autant de porte-drapeaux de lanticonformisme.

Ils applaudissent et crient plus fort que les autres pendant que Ferr, seul en scne avec son pianiste aveugle, domine la salle de son inquitante prsence. Il est dou dune puissance de destruction presque satanique, et dune vulnrabilit dsarmante.

Sa posie torride, son visage terriblement mobile, qui se craquelle parfois comme ravag par des peines anciennes, sa voix qui tremble et semble sourdre des entrailles, ses belles mains dartiste qui implorent et menacent, crent un envotement et une magie.

Tout va se gter ds quun jeune du premier rang monte sur scne. Il a une tte de saint-Jean-Baptiste, un chapeau de Chouan: il sassied tranquillement et il coute. Cinq minutes aprs, on voit surgir des coulisses un gorille blond, qui lui intime lordre de descendre et joint le geste la parole.

Il y a eu des protestations dans la salle, un autre jeune bondit sur scne et redescend aussitt. Lo Ferr, avec un visage de jugement dernier, crie dans le micro: Je ne peux chanter que dans la solitude de la scne. Ici ce nest pas un foutoir. Et il enchane sur des couplets engags.

Les uns applaudissent, les autres contestent. Le charme est rompu et va prendre lallure dun rglement de comptes. Linjure est dans lair de part et dautre, et quand Lo Ferr entonne Les Anarchistes, ceux du premier rang crient la trahison, se lvent en chur le poing lev, en poussant un cri de guerre et de ralliement: Anarchie!

Ils brlent lidole quils ont adore avec la mme sauvagerie. Leur silence est un silence arm, leur hostilit ira crescendo. Leur erreur est davoir cru tout frontire abolie entre lartiste et eux; leur ressentiment est sans piti.

Lerreur de Ferr, cest davoir trait de haut un public qui ntait turbulent que par excs de passion et davoir contredit par un geste de rpression sa lgende danar.

Il sarrtera dailleurs de chanter pour lancer le mot de Cambronne et inviter ceux qui linsultent venir sexpliquer dhomme homme sur scne.

Il finit son rcital par un pome dbrid: Je suis un chien, tout empli de tumulte et de dsespoir, et o il donne rendez-vous dans dix sicles aux nouvelles gnrations pour vivre dans un monde damour.

La salle est divise une fois de plus. Ferr a sduit ses ennemis et du ses amis Il ny a pas de rappel. La polmique continue dans la loge de lartiste.

Ce nest pas parce que je suis un anarchiste que je dois coucher avec tous les anarchistes la petite semaine. Il y a vingt ans que je lutte. Bientt je ne vais plus pouvoir chanter. Dans deux ans, au train o vont les choses, ils vont me demander de marcher sur leau. Il ny a quun point sur lequel je triche, cest que je suis persuad que nous allons vers un monde effroyable et que je ne le dis pas, et que je chante quand mme lespoir. Je suis un chanteur, un point cest tout, et pas une idole. On me demande: pourquoi ne chantez-vous pas dans la rue? Je rponds: parce que cest interdit.

M.-L. Roubaud.

Thtre du Capitole de Toulouse, 13 mai 1970

Sans doute pour estomper le souvenir de cette soire particulirement remuante, Lo Ferr tait de retour Toulouse, tout juste cinq mois plus tard, cette fois-ci devant un public non dinvits, mais ayant en majorit acquitt le prix de la place. Pour ce retour, la salle la plus prestigieuse de Toulouse lui ouvrait ses portes : le Capitole, thtre litalienne de mille deux-cents fauteuils et temple du Bel Canto.

Profitant de la circonstance, les chotiers sortirent les superlatifset parlrent son endroit depote terribleet virtuose de la scne ou encore de semeur de foudre la prsence magntique. Les photos communiques par le service de presse Barclay montraient un Lo Ferr barbu et lun des laudateurs se demandait si lartiste ne revenait pas dune saison en enfer, comme le laisse penser son visage tortur de Christ des douleurs

Je nai pu assister ce rcital, tout comme aux deux suivants dont je parle ici. Toutefois, les chos qui me sont parvenus font tat dun Lo Ferr particulirement las, rsign laisser ceux qui ntaient venus que pour le contester prendre le dessus. Le programme, centr sur les nouveaux titres dAmour Anarchie en fut plutt gch.

Si je ny tais pas, en revanche la journaliste Marie-Louise Roubaud, son habitude, tait tout fait prsente.

La Dpche du Midi du 15 mai 1970.

Pour le rcital Lo Ferr, la rvolte avait chang de camp.

Pour Lo Ferr, Toulouse est toujours une tape mouvemente. Elle laura t cette fois, un peu plus que de coutume.

neuf heures du soir, une trentaine de jeunes anarchistes si du moins il faut en croire le drapeau noir quils ont agit en fin de spectacle comme signe de ralliement a envahi les galeries du thtre du Capitole rclamant lentre libre et occupant sauvagement des lieux dont on ne songeait dailleurs pas leur dfendre laccs.

Le procd nest pas nouveau. Les fans du Living Theatre le pratiquent couramment; on est du moins assur une fois quils sont dans leur place de les voir respecter et le spectacle et les spectateurs.

La non-violence ntait malheureusement pas le fait des jeunes gens de lautre soir, trs soucieux de leur propre libert mais pas de celle de leurs voisins. Employant des mthodes quils rcusent chez les autres, ils justifient le propos dsabus de Lo Ferr: Les anarchistes de ce soir? Mais ce sont des fascistes! Cest clair comme de leau de Mao.

Il est clair aussi que ce sont des gens qui se flattent, pour reprendre un mot dHenry Miller, dtre diffrents mais qui ne sont que trop semblables ceux quils savent si bien condamner.

Ils nauront, lautre soir, convaincu personne de leur bon droit, sinon eux-mmes. Il est vrai que pour eux lautosatisfaction remplace lautocritique, et que le chahut leur tient lieu de contestation. Cest se donner bon compte des brevets de courage et de rvolutionnaire, que de prcher coup dinjures la rvolte un public davance converti aux vertus de lanticonformisme.

La majorit sen tint donc au silence par la force des choses, du moins pendant le spectacle, et Lo Ferr, homme de fureur, na pas cette fois rpondu aux provocations imbciles, grossires et anonymes dune minorit ayant visiblement mal digr les doctrines de la Commune et des idaux de lanarchie.

Il est tout de mme curieux que sur les vingt spectacles organiss Toulouse, au Capitole et ailleurs, en cours de saison et qui sont tous rgis sur les mmes principes financiers, les anarchistes aient prcisment choisi le rcital de Lo Ferr pour contester. On comprendrait si une telle remise en question sadressait un spectacle de qualit mdiocre, un pote de peu denvergure.

Ferr nest pas reprsentatif de notre mouvement, rtorquent les anars.

Ferr rpond: Je ne reprsente que moi-mme et je nai jamais prtendu reprsenter un groupe. Il faudrait supprimer le fric et cest utopique. Le premier tat placer son argent en Suisse sappelle le Vatican, le second cest la Chine gouvernementale.

Plus je vis, plus je suis convaincu de linutilit de lexpression artistique. Lart est une excroissance de la solitude. Le pote converse avec des ombres. Je crois que la posie a fait plus pour lhumanit que toutes les autres sciences. La posie cest une squelle divine. Je disais, tout lheure, la sgrgation cest largent, non cest lintelligence. Mais les c aujourdhui, sont moins c quavant. Il ne faut pas tre trop intelligent pour vivre.

Lo Ferr va publier la rentre, un roman: Benot Misre, o il raconte lhistoire dun petit garon qui devra beaucoup, bien sr, au collgien quil fut:

Javais le matricule 38. Je ne veux plus connatre le pass. Ce sont des souvenirs qui font froid au cur. On ressemble assez peu celui quon a t, on ne peut pas ressembler celui quon sera demain

M.-L. Roubaud.

Palais des Sports de Toulouse, 29 octobre 1971

Cest en pluchant les archives de La Dpche du Midi que je suis tomb sur ce rcital dont je navais jamais entendu parler. Deux articles non signs taient censs donner le ton de ce retour au Palais des Sports de Lo Ferr, accompagn par le groupe Zoo qui devait donner une dimension apocalyptique la soire. On tait prvenu des possibles dbordements, la prsence seule de Lo Ferr suffisant engendrer des cataclysmes denthousiasme ou de contestationcar il fait partie deces tres qui ont le redoutable privilge de navoir que des amis fanatiques ou des ennemis tout aussi acharns. galement appel en renfort, Maurice Frot annonait la couleur: Insurrectionnel le rcital!

Le groupe Zoo, dont on nous assurait quil avait une rputation internationale, tait au complet, avec le chanteur Ian Bellamy, Daniel Carlet aux violon et sax tnor, Michel Ripoche, galement au violon mais aussi aux trombone et sax, Andr Herv lorgue, au vibraphone, et la guitare rythmique, Michel Herv la guitare basse, et Christian Devaux la batterie.

Zoo, La Dpche du Midi, 1971.

Comme on peut le lire sous la plume de Marie-Louise Roubaud, la soire qui avait attir la foule des grands soirs commena violemment lextrieur o ceux qui navaient pas de quoi payer revendiquaient la gratuit de lentre. Lo Ferr vint leur secours en exigeant que les portes du Palais des Sports restent ouvertes toute la soire. Visiblement, cela contribua viter un nouveau sabotage du spectacle.

La Dpche du Midi du 1er novembre 1971.

Au Palais des Sports, Lo Ferr: Un immense provocateur.

Vingt-et-une heures, vendredi soir, le Palais des Sports est en effervescence, au-dedans comme au dehors.

Dedans, il y a dj trois mille spectateurs assis, des jeunes en majorit crasante. Dehors, cest laffrontement classique entre reprsentants de lordre et ceux qui veulent entrer sans bourse dlier (15 francs, tudiants; 20 francs, entre gnrale).

Entre ces deux mondes bouillonnants dune gale violence et tendresse, Lo Ferr, lvres serres, crinire bouriffe, arpente la coulisse.

Jen ai marre. Il y a des gens qui veulent me voir et nont pas dargent. Moi, je veux les laisser rentrer, et on mempche. Et puis, a me retombe sur la gueule

Il allume une cigarette, parlemente avec vhmence avec les organisateurs, et puis savance seul au dehors au milieu du dernier carr de ses fidles qui sest reform aprs le dpart de la police.

Laffaire est entendue. Les grilles souvrent sans coup frir, et elles le resteront jusqu la fin du rcital.

Les Zoo ont sur la scne prcd la vedette qui arrive un quart dheure aprs, chemise noire et pantalon de couleur violet, suivi de son fidle pianiste aveugle, Paul Castanier, habill de noir comme laccoutume, mais cette fois avec des cheveux aussi longs que ceux de Lo Ferr.

Dans la salle, llan est unanime pour saluer les deux hommes dont les rapports ne sont pas de toute vidence des rapports de convention

Je cherchais un bon pianiste qui soit de surcrot un homme intelligent avec qui je puisse parler Jai rencontr Paul Castanier, nous ne nous sommes plus quitts.

Le troisime homme est dans les coulisses. Cest Maurice Frot, lui aussi connat Ferr depuis quinze ans et lui est rest fidle. Romancier (il a crit en 1965 Le Roi des rats; en 1969 Nibergue, qui a obtenu le prix du roman populiste; il prpare un autre ouvrage: Ltouffe-chrtien; il a, par amiti, pris la relve de Madeleine Ferr! Il assure des fonctions qui vont de celles du rgisseur celles de scnariste.

Il vient dcrire le scnario du film que Lo Ferr va tourner comme acteur avec Philippe Fourasti (le ralisateur de La Bande Bonnot) et qui sappellera Mon frre le chien, ma sur la mort, sorte de transposition moderne de Saint-Franois dAssise qui ne regarde plus voler les oiseaux mais les Boeing. Le pianiste aveugle jouera son propre rle.

En attendant cest la tourne dans le sud de la France: Aix, Montpellier, Toulouse, Perpignan, avant la reprise des concerts la Mutualit, Paris, 12 francs (du 22 au 25 novembre, du 12 au 16 dcembre, avec les Zoo que Ferr semble avoir dfinitivement adopts ainsi dailleurs que son pianiste et Maurice Frot, qui nhsite pas reconnatre combien le nouveau spectacle doit ces jeunes gens qui sont trs bien et qui ont secou nos vieilles habitudes.

Le fait est que dans le nouveau spectacle quil rode en province, Lo Ferr sort grandi de sa confrontation avec la pop music et les jeunes gnrations.

Lo Ferr artiste cde aujourdhui le pas Lo Ferr tribun Commenc sur Lge dor, le rcital sachve sur un pome en prose de: Je suis un chien qui plonge lassistance dans un tat second Chemin faisant, Lo Ferr sest mis en colre, dominant le Palais des Sports plein de haut en bas de sa hargne et de sa grogne, de vtran de la contestation Il a chant lanarchie, lamour fou, la solitude; il a tourn en drision les gouvernements et les tiquettes politiques, les bonnes manires et lui-mme, est pass de la fraternit pathtique un narcissisme impudique.

Je suis un immense provocateur. Il frle et le sublime et lodieux. Bref, il est lui-mme, vritable archange satanique, dfiant les rgles. cinquante ans passs, Lo Ferr retrouve le second souffle.

Il y a six ans, son nom dplaait Toulouse, tout juste un millier de personnes. Aujourdhui chacun de ses rcitals fait figure dvnement.

M.-L. Roubaud.

Palais des Sports de Toulouse, 9 fvrier 1973

Lo Ferr + Charlebois, tourne 1973.

La presse locale annonait la mme affiche, deux monuments de la chanson, deux gnrations mais la mme violence pour crier la face du monde que seule la folie est raisonnable. Il sagissait dune part de Lo Ferr, vieux loup redevenu solitaire depuis plusieurs annes et qui ne dsarme plus, dautre part de Robert Charlebois qui poursuit, lui aussi, une carrire explosive et qui progresse en sabots dans la rocaille et les escarpements du folklore qubcois.

Pour ma part, je nai pas assist ce rcital dont jai appris les cueils par la presse. Quelques annes plus tard les hasards de la vie mont conduit me lier damiti avec un des principaux protagonistes des incidents qui ont maill la premire partie de cette soire. Alors tudiant, Antoine tait proche des groupes maostes surnomms les mao spontex par leurs voisins trotskistes. Cest donc sa version des faits qui a partiellement inspir les lignes qui suivent. Cette version est parfois en contradiction avec celle donne par Maurice Frot dans son livre de souvenirs Je nsuis pas Lo Ferr (d. Fil dAriane, 2002).

Le moins que lon puisse dire cest que la soire allait tre des plus chaotiques, commenant de faon presque banale par des chauffoures entre ceux qui exigeaient la gratuit du spectacle et la police. Ce qui est certain, cest que beaucoup de militants dextrme-gauche se trouvaient dans la salle quand Robert Charlebois dbuta son tour de chant, et quau moins un dtail fut peru par certains comme une provocation: la prsence en fond de scne du drapeau qubcois largement dploy. Devant un public plutt sensible aux thses internationalistes, cet emblme fleurdelis faisait un peu dsordre. Lindiffrence de Robert Charlebois aux rudiments de la sociologie franaise na pas non plus simplifi les choses. Les calembours ne marchent pas forcment partout de la mme faon et sans doute a-t-il sous-estim la politisation du public toulousain lorsquil a balanc en plaisantant quil tait marxiste tendance Groucho. Cest cette boutade qui faisait simplement partie de son jeu de scne, qui a t le point de dpart du foutoir qui sest install sur la scne du Palais des Sports. Esprit frondeur et rigolard, Antoine, dont la stature est rellement trs loigne de celle dun lutteur de foire, aurait ce moment-l bondi sur scne dans le but de semparer du micro pour reprendre le leitmotiv bien connu de laissez entrer nos camarades. La bourrade quil aurait donne Robert Charlebois qui tentait dentraver cette dpossession du micro fit rouler celui-ci terre, avant que la scne ne soit effectivement livre une grande pagaille, ainsi que le dcrit Marie-Louise Roubaud dans deux chroniques reproduites ci-dessous. L aussi cette relation scarte de celle de Maurice Frot, concernant lattitude de Lo Ferr en coulisses qui en ralit aurait t plus lucide et dcisif que ce quen a dit son ancien factotum. Quant la quinzaine de titres que le pote chanta au cours de la seconde partie, les voici en respectant lordre de leur interprtation: Prface Les Potes Ton style toi Le Crachat Vitrines LOppression Les Amants tristes - Avec le temps Night and day - Comme Ostende Ne chantez pas la mort - La Solitude Ni Dieu ni matre Il ny a plus rien.

La Dpche du Midi du 11 fvrier 1973.

Le Qubcois Robert Charlebois a mordu la poussire du Palais des Sports o Lo Ferr a triomph.

Soire mouvemente vendredi au Palais des Sports de Toulouse, gorg de monde et qui a dbut ds les portes ouvertes par laffrontement classique des forces de lordre et des spectateurs dsargents exigeant le droit dentre et le prenant.

Pas de blesss, mais des vitres casses et quelques svres empoignades qui ont donn le ton de la violence et chauff les esprits.

Tout semble se calmer lorsque Robert Charlebois et ses musiciens entament leur rcital. Cest la premire fois quon les entend et quon les voit, donc quon les juge. Leur rputation nest plus faire auprs des amateurs de pop music. Avec sa chevelure rousse et boucle de jeune Papou, avec son accent qubcois o le franais prend une saveur terrienne, avec un folklore puissant et un peu fou quil a rinvent sa propre mesure, et qui tient du rock et de la danse indienne, Robert Charlebois est une hyper-vedette en puissance. Hlas! il a bien failli laisser son scalp Toulouse au terme dun vritable pugilat qui lui a fait mordre la poussire et saffronter avec les spectateurs. Tout a commenc quand un militant est mont sur scne pour demander le micro, la parole et le droit dentre pour ses camarades dinfortune. Des cris de sympathie manent des gradins pris du frisson des combats politiques, Robert Charlebois arbitre malgr lui du conflit est dconcert, et puis se fche rouge lorsque son partenaire impromptu lui jette le micro aux pieds. Le Qubcois lve le poing et dans linstant les spectateurs du premier rang montent en force sur scne, la salle hurle son mcontentement tandis que Charlebois est terre.

Tout nest que cris, tumulte et confusion.

Lincident est pass du registre cocasse au registre dramatique.

Charlebois reprend ses esprits et tente de renouer le rcital. Mais le charme est rompu, le cur ny est plus de part et dautre. Dsormais le rcital va prendre lallure dun rglement de comptes entre le spectateur anonyme revenu sur scne et les musiciens excds qui vont quitter la scne en pliant bagages.

Lentracte ne coupe pas court la contestation. Le micro est qui veut le prendre. Tout semble aller la drive. Lo Ferr est dans les coulisses et attend son tour avec son visage de jugement dernier. Il avance sur scne o lattend Popaul, son pianiste aveugle avec lnergie rentre des vieux capitaines au long cours. Il ne changera pas un iota son tour de chant: quinze longues chansons dont cinq nouvelles au verbe dlirant, au style pamphltaire et qui placent le vieux lion Ferr au-dessus de la mle. La partie est gagne. La jeunesse mduse coute ce prophte terrible cheveux blancs qui rduit en charpie toutes les institutions Le dsordre cest lordre moins le pouvoir et qui est de la mme race quelle, avec ltincelle du gnie en plus.

M.-L. Roubaud.

La Dpche du Midi du 12 fvrier 1973.

Robert Charlebois les risques du mtier, Lo Ferr les lauriers.

La soire de vendredi, au Palais des Sports, aura bien sr dpass le cadre de lvnement artistique. Les incidents qui ont marqu la premire partie o Robert Charlebois officiait, nont fait que confirmer lemprise de Ferr sur un public dchan, qui a rendu les armes au talent et plus contestataire que lui. Le prestige de Ferr avait pourtant t mis mal il y a trois ans, pour les mmes raisons qui ont motiv, lautre soir, linsuccs personnel de Robert Charlebois. Les rapports qui rgissent le dialogue entre le public et les vedettes sont, Toulouse plus quailleurs, dordre passionnel. Le succs ny est jamais garanti davance et pas un faux pas nest pardonn. Dure leon pour Charlebois, flamboyant Qubcois et jeune idole la tte fire descendu, pour un soir seulement, de son Olympe.

Pour Ferr, une ferveur accrue et qui est la mesure de sa propre maturit. Depuis quil a dsert sa proprit de Saint-Clair, Ferr, rendu ses dmons, continue de se battre envers et contre tous, revtu dune invisible tunique de Nmsis qui lui brle la peau. Ce quil y a de plus profond en nous cest la peau

Ses textes sentent toujours la rue et son langage cru, mais ce nest plus la mme rue, ni tout fait les mmes gnrations quon y croise. Aussi ses derniers pomes en prose sont-ils des tracts fleuve dont la violence frappe comme un boomerang. Et ce nest pas par esprit dopportunisme, mais bien parce que Ferr hume le vent de lHistoire, quil vit son temps avec tous ses pores. Pote insurg, il nen faut pas douter, bte de scne aussi, Ferr avec son refus nouveau de fioritures et dartifices un peu dclamatoires, Ferr le nihiliste, poing ferm ou poing lev continue de sabreuver aux sources de la colre.

M.-L. Roubaud.

Halle aux Grains de Toulouse, 29 mai 1979

Lorsque Lo Ferr revient plus de six ans plus tard Toulouse, lappellation Palais des Sports sest efface depuis quelques mois seulement au profit de celle de Halle aux Grains, mais il sagit bien du mme lieu, compltement restaur et ramnag ainsi que mentionn plus haut. Au cours de ces six annes, Lo Ferr a lui aussi chang. Dsormais il est seul sur scne, avec son piano et ses bandes magntiques, parfois un grand orchestre, mais ce nest pas le cas ce soir-l. Sa notorit de pote, de musicien, dartiste lyrique, sest considrablement accrue et dpasse les frontires de la francophonie, si bien que dans ces circonstances, la Halle aux Grains affichant complet, on sattend une grande prestation. Pourtant, selon Robert Belleret dans Une vie dartiste, ds la veille du rcital Lo Ferr avait confi son entourage quil redoutait quil y ait de la merde Toulouse, et effectivement, cette soire-l releva une nouvelle fois de la rubrique des faits divers:

La Dpche du Midi du 30 mai 1979.

Toulouse: bagarres pour le rcital Lo Ferr. Plusieurs blesss place Dupuy.

Lo Ferr tait, hier soir, Toulouse. Ses fans voulaient le voir, et ce tout prix, la Halle aux Grains nest pas extensible et ceux qui voulaient payer, les resquilleurs aussi, taient nombreux.

Les choses se sont finalement envenimes lorsque des nergumnes essayrent de forcer les portes.

Les responsables du spectacle durent alerter Police secours, qui tenta de dgager les abords de la salle. Les manifestants lancrent alors des pierres et des bouteilles sur les forces de lordre qui eurent plusieurs blesss. La police dut alors charger et les manifestants qui staient rapprovisionns en munitions sur des chantiers en construction voisins, revinrent en force.

La bagarre sest solde par de nouveaux blesss. Un des fans de la chanson a mme d tre hospitalis.

Il faut souligner que les spectacles de rock avaient dj t lobjet de semblables meutes et que de ce fait les organisateurs ont dcid de les supprimer dans la Ville rose!

[non sign].

Dsormais on ne parlait plus danarchistes ou de militants dextrme-gauche, mais plus prosaquement de resquilleurs, qui ne rservaient plus leurs exigences aux seuls spectacles de Lo Ferr mais aussi aux festivals de rock

Concernant cette soire, on sait quun commerant victime des casseurs a adress directement Lo Ferr la facture des rparations. Dans lironique fin de non-recevoir quil lui opposa, lartiste qualifia les auteurs des dgts de jeunes prmaturment vieillis

Pour ce qui est de ce qui sest pass lintrieur de la Halle aux Grains ce soir-l, le compte-rendu quen donne La Dpche du Midiest particulirement fidle. Il faut dire que la grande confusion qui rgnait a bien failli tourner un mouvement de foule en proie la panique. Dune part, on entendait dans un vacarme assourdissant comme des coups de boutoirs donns contre les portes mls aux sirnes des voitures de police, sans vraiment savoir de quoi il sagissait. Dautre part certains en avaient aprs Lo Ferr tandis que dautres enfin tout aussi vhments lassuraient de leur solidarit en lui conseillant dabandonner la partie, le public ne mritant pas quil poursuive son rcital. Au bas de la scne, des spectateurs gesticulaient provoquant la colre de lartiste qui ce moment-l ne comprenait pas ce qui se passait et croyait que ce tumulte tait dirig contre lui. Quand enfin il sarrta pour demander que lon ouvre les portes, de trs longs moments de confusion scoulrent, o la gorge protge par une serviette, Lo Ferr arpentait la scne, ne laissant aucune prise lhostilit persistante dune partie du public ni linsistance de ses proches en coulisse pour quil arrtt l le concert. Sourd tous ces discours, avec beaucoup dabngation, il mena son rcital jusquau terme quil stait assign, interprtant dans les pires conditions et dans lordre qui lui a plu, les vingt-trois chansons suivantes : La Mmoire et la mer Vingt ans Cest extra La Solitude / LInvitation au voyage Avec le temps Prface Muss es sein es muss sein Les Musiciens La Vie dartiste La Frime Les trangers Comme Ostende Tu penses quoi Ton style La Jalousie Je te donne Chanson dautomne Cest fantastique La Nostalgie Ma vie est un slalom Des mots - Ni Dieu ni matre - Thank you Satan.

La Dpche du Midi du 30 mai 1979.

Ferr place Dupuy: rude soire pour le roi Lo.

Chemise de soie noire (il y a dix ans, ctait un pull-over) col ouvert, pantalon noir, chaussettes rouges, cheveux en halo blanc et mousseux, Lo Ferr entre en scne devant une salle impatiente. Il est 21 heures 15. Il envoie, du bout des doigts, un baiser au public, et sassied au piano noir.

Dans le recueillement slve cette voix depuis longtemps clbre, murmurante et rauque de sentiments retenus; la tendresse. La mare je lai dans le cur.

Et la houle, aussitt aprs, dans les gradins o lon manifeste, ds la deuxime chanson. Ferr chante, debout au micro, sur une bande musicale enregistre.

quand le tourne-disques, Ferr? Place aux jeunes! Sifflets. Contre protestations. Silence revenu, tandis que sans ciller, le vieux Lo qui ne sest pas interrompu, chante La Nostalgie. Ils nont de noir quun faux drapeau de 68 Dbut de rponse aux perturbateurs, qui ne sen contenteront pas, faisant entendre leur mcontentement chaque fois que Lo Ferr utilisera ainsi le magntophone.

Quatre fois, avec La Vie dartiste, LAllitrature(sic), Avec le temps et Thank you Satan, il reviendra au piano. Quatre fois, sur plus de vingt chansons au total. Alors, les manifestations se faisant de plus en plus pressantes, il fallut bien expliquer, mme si trs violemment: Jai chant Paris avec quatre-vingts musiciens et soixante choristes. Alors, quand je ne peux pas les avoir, je chante tout seul! Tu comprends? Merde!

Climat qui ntait pas favorable la dlectation de textes aussi purement beaux que loreille de Beethoven en train dimaginer pour la neuvime fois des symphonies muettes, mon ombre a son soleil qui lui lche sa trace, si tu le veux, ta parallle sentrianglera avec la mienne ou les ailes de larchange au milieu des pavs, aussi simplement forts que ces bois que lon dit de justice et qui poussent dans les supplices, pour la prise de la Bastille mme si a ne sert rien dans ce monde o les muselires ne sont plus faites pour les chiens.

Et des chiens, justement, musels, et daucuns diront dmusels, il y en avait pendant ce temps, aux portes de la Halle aux Grains. Dans notre rubrique faits divers, nous relatons ce qui sest pass lextrieur de la salle. Dedans, la rumeur des affrontements parvint vite. On crie, pour avertir Lo Ferr de ce qui arrive. Il ne comprend pas. On linsulte. Il continue de chanterLa Musique.

la fin de cette chanson, une vingtaine de jeunes gens sapprochent de la scne, et, troubl, Ferr les coute. Tu ne comprends pas? Il y a les flics, dehors! Pourquoi les flics? Parce quil y avait des types qui voulaient entrer sans payer! Les cons, il ny a qu ouvrir les portes! On sest un peu bouscul, on sapaise. Dis-le trs fort, Ferr, quil faut ouvrir! Il le dit.

Le calme revient lentement. Les jugements sur lincident sont divers. Daucuns laissent entendre que lon profite quil sagit dun chanteur de gauche pour sen prendre lui. Lui, rpte je ne pouvais pas le savoir, quil y avait les flics dehors, comme a, que les flics partent!

Il chantera et dira encore les violons de lautomne, Marie, Ni Dieu ni matre, qui le fait acclamer, la salle enfin gagne, et, parce quon lui demande un bis, Thank you Satan.

Mardi Toulouse, une rude soire pour le roi Lo.

[non sign].

Quelques annes plus tard, lors dune entrevue avec le pote, nous avons voqu ce rcital de la Halle aux Grains de mai 1979. Cest alors quil eut ce commentaire sans appel: Ce soir-l, ctait vraiment la Halle aux cons!

Lo Ferr par Carlos Pradal, La Dpche du Midi, 1971.

00:00 Publi dans Les invits du taulier | Lien permanent | Commentaires (4)

lundi, 24 septembre 2007

Sur la scne toulousaine, par Jacques Miquel 1/3

Je remercie une fois encore Jacques Miquel qui a fait pour nous le long panorama des spectacles donns par LoFerr Toulouse, depuis 1965. Sa note est si fournie quelle paratra en trois fois, tout au long de cette semaine : aujourdhui lundi, puis mercredi et enfin vendredi. Bon voyage archivistique et musical en Occitanie.

On saimera

Il a fallu attendre 1965 pour voir enfin Lo Ferr se produire sur une scne toulousaine, et encore cest en empruntant des chemins vicinaux quil vint la rencontre de ce public, puisque son premier spectacle eut lieu No, commune rurale situe une trentaine de kilomtres au sud de Toulouse. L, du 2 au 5 juillet se droulaient les ftes annuelles de la Belle Gaillarde, c'est--dire une vaste fte foraine avec quotidiennement des spectacles de varits, des jeux, des concours et des animations, bal tous les soirs et grand feu dartifice de clture. En outre, le dimanche aprs-midi se droulaient llection de la Belle Gaillarde, robuste miss labours, puis le tour de chant dune grande vedette (Enrico Macias en 1964, Lo Ferr en 1965, Johnny Hallyday en 1966, etc.) En ralit, il sagissait des manifestations festives les plus importantes de toute la rgion toulousaine, et peut-tre que la tenue de ces grandes ftes dans un si petit village ntait pas trangre linfluence de Jean-Baptiste Doumeng, le milliardaire rouge dont No constituait le fief lectoral.

En tout cas, ce dimanche 4 juillet 1965 aprs-midi, en plein air et sous un soleil radieux, Lo Ferr prsenta son rcital devant un public fourni prenant ses aises dans lherbe dun champ commun. La majorit de ces spectateurs dcouvrait cet artiste vtu dun singulier costume de scne de velours noir et accompagn dun pianiste aveugle. Si jen crois les bribes de souvenirs de cette journe que ma confies il y a peu une de mes proches qui assista cet vnement artistique, ce fut vraiment un concert exceptionnel dans lequel autant les textes que la musique soutenus par une voix matrise et une prsence scnique hors du commun soulevrent lenthousiasme de la foule

Palais des Sports de Toulouse, 27 novembre 1965

Quant la premire apparition de Lo Ferr proprement parler sur une scne toulousaine, elle allait avoir lieu au Palais des Sports, vaste salle au confort spartiate sur laquelle il convient de dire quelques mots.

rige au XIXe sicle pour abriter le ngoce du bl, cette halle a surtout servi de march couvert jusqu la Seconde guerre mondiale, quand elle resta un temps dsaffecte. En 1952, des gradins en bton furent construits et avec une capacit dpassant largement les trois mille places assises, le lieu fut rebaptis Palais des Sports et vou aux combats de boxe et de catch mais aussi aux spectacles de cirque, matines enfantines, festivals de rock, galas de varits, etc. la fin des annes 70, la salle fut dvolue lOrchestre national du Capitole en raison de son acoustique exceptionnelle et en retrouvant son appellation premire de Halle aux Grains, bnficia de modernisations visant amliorer le confort et favoriser la reprsentation de grands spectacles lyriques comme les opras wagnriens. Devenue un des hauts lieux de la musique toulousaine tous genres confondus, la Halle peut accueillir aujourdhui jusqu deux mille trois-cents spectateurs.

Le gala deLo Ferr tait annonc dune part par un encart publicitaire dans Le Monde libertaire de novembre 1965 et dautre part par deux articles non signs dans les colonnes du journal La Dpche du Midi et complts de plusieurs encadrs en page des spectacles. Rappelant quil sagissait l de son premier rcital Toulouse, lauteur dun des articles rapportait ce propos rcent du pote: Jespre faire un grand gala, et je compte beaucoup sur le public toulousain que je sais trs difficile. Par ailleurs, le quotidien ne disait pas un mot sur lorganisateur de la soire, en loccurrence le Groupe libertaire de Toulouse. Cest sans doute lui qui avait assur laffichage publicitaire dont on peut dplorer la discrtion, ce qui explique en partie laffluence limite pour cette premire toulousaine. Y avait-t-il seulement mille spectateurs? En tout cas, les gradins et traves semblaient trs clairsems alors que, comme en attestent aussi bien le compte-rendu de La Dpche que celui du Monde libertaire, la soire fut de trs grande qualit. En premire partie, Rosalie Dubois se tailla notamment un trs beau succs.

lentracte, tandis que la salle prenait des allures de meeting politique, on pouvait apercevoir du ct des coulisses Madeleine Ferr faisant savoir que lartiste ne recevait pas, lartiste qui enfin parut sur scne et dont le premier soin fut de demander aux spectateurs du balcon et des galeries de rejoindre ceux de lorchestre afin que cela fasse moins vide! Ce rcital dont les articles ci-aprs mentionnent, parfois de faon approximative, les titres des chansons interprtes, fut pour moi celui de la dcouverte.

Le Monde libertaire, novembre 1965.

La Dpche du Midi du 30 novembre 1965.

Pour son unique rcital, Lo Ferr toujours gal lui-mme a connu un grand succs.

Il est depuis longtemps inutile de prsenter Lo Ferr au public, grand ou petit, chacun layant plus ou moins entendu sur les ondes, plus ou moins applaudi, plus ou moins critiqu, plus ou moins admir.

On prtend que cest un intellectuel, un littraire, un compliqu, un brave type, etc. Ce qui est certain, cest quil nest pas yy, ce terme ntant pas a priori pjoratif, et quil est un des plus populaires chanteurs actuels, avec lours Brassens.

Il est franc dans ses chansons comme dans sa vie, et si entre deux sanglots soudain jaillit la pointe dune ironie amre, cest probablement cette ironie qui lui te les suffrages des chastes oreilles et des bien pensants.

Samedi soir, au grand gala Lo Ferr, nous avons retrouv et avec quelle joie, lun des plus authentiques troubadours de notre poque, et peut-tre lun des moins compris.

En premire partie, une quipe de jeuneschauffa la salle. Les idoles des jeunes prparaient le terrain pour lidole des moins jeunes.

() Enfin, venait Lo Ferr, aprs un interminable entracte qui nen finissait plus. Salu ds son entre par un tonnerre dapplaudissements, il devait pendant plus dune heure, tenir la salle en haleine, en interprtant, accompagn par son pianiste aveugle, Paul Castanier, une bonne vingtaine de chansons.

Ce nouveau rcital, puisque nouveau rcital il y avait, comportait entre autres, les titres suivants qui seront bientt clbres: Espana la vida, La Mlancolie, Bagnard,Le Temps du plastique, La Chanson des amants, Ni Dieu ni matre, etc.

Les titres changent, les chansons se renouvellent, les airs se modifient, mais le grand Ferr demeure. Il est toujours l, tendu, rvolt, cynique, mlancolique, langoureux. Sous lclairage des sunlights, sa silhouette paisse et dsinvolte projette sur la salle lombre dun brave type gnial. Il chante la vie et les passions humaines, balayant lassistance dun il humide et doux.

Il fut rappel plusieurs fois, et finalement, dans une apothose, il embrassa son pianiste et partit en le tenant par le bras.

Quand on leur demanda leur avis sur ce rcital, beaucoup le trouvent bon. Beaucoup plus encore le trouvent excellent. Pour moi, ces critres sont vagues. Si on me demandait mon avis, je rpondrai simplement: Ctait du Lo Ferr. Ce qui se passe de commentaires.

[non sign].

Le Monde libertaire, janvier 1966.

Gala Lo Ferr Toulouse [27 novembre 1965].

Limmense salle du Palais des Sports nous a appartenu pour un soir. Pour un soir, le Groupe libertaire de Toulouse a pu donner la pleine mesure de ses moyens. Et quels moyens? Des copains au contrle, la caisse, la crie du M. L., la rgie Pour un soir, le Palais des Sports a t lantre de lAnarchie.

Ctait bien la premire fois quun groupe libertaire en dehors de Paris organisait un grand gala. Avec laide notre amie Suzy, nous avons pu avoir le brave Lo, Lo Ferr et la bonne chanson

() lentracte, les livres et les disques furent enlevs par un public avide de savoir, de connatre notre pense, nos thoriciens. La rcolte se fera, amis!

Franco la muerte, Graine dananar, voici Lo Ferr, voici notre vedette tant attendue. Madeleine, dans les coulisses, rgle les clairages rouges, blancs, jaunes, qui, tout tour, viendront nuancer, souligner de leurs effets savamment calculs, la posie chante du Ravachol de la chanson. Un applaudimtre aurait explos! Quelle chance que tu as eue Lo pour ton premier gala Toulouse! et quelle chance nous avons eue nous aussi! Faut-il dire tout ce que tu as remu dans les esprits et dans les curs de ces jeunes gens venus tcouter?

Quici soient remercis tous nos amis connus et inconnus, qui ont particip la russite de cette manifestation libertaire, que les artistes le soient encore, ainsi que Suzy qui nous devons ce beau plateau. Noublions pas de signaler quaprs lentracte, une allocution fut lue au public par notre camarade J.-C. Bruno, afin de bien marquer notre position face aux vnements sociaux actuels. Elle fut vivement applaudie et ce nest pas pour avoir rempli la salle de copains espagnols car ils se sont sagement abstenus ce soir-l.

Des copains de Tarbes, Bordeaux, Agen et dailleurs taient venus nous encourager et nous donner un bon coup de pouce. Merci tous.

Le Groupe libertaire de Toulouse.

Palais des Sports de Toulouse, 20 mars 1968

Jai longtemps pens quil mavait t donn de voir un spectacle de Lo Ferr au Palais des Sports de Toulouse en 1966 ou 1967, mais si jen crois les archives de La Dpche du Midi, il nen a rien t. Peut-tre sagit-il l dun concert de rve? En tout cas, cest rellement un nouveau rcital que jai assist au mme Palais des Sports le 20 mars 1968. La soire tait organise par lENSEEIHT, grande cole dingnieurs de Toulouse et qui produisait alors annuellement le festival N7, compos dune srie de manifestations culturelles. Linvitation faite Lo Ferr tmoigne au passage de lintrt quil suscitait dans les milieux estudiantins ds avant mai 1968.

Dans la semaine prcdant le spectacle, trois articles de La Dpche du Midi le chroniquaient en voquant entre autres la vie idyllique de lartiste Saint-Clair auprs de son pouse et entour dune horde danimaux familiers. Histoire de mettre le public en condition, un des articles avanait que lon ne va pas Lo Ferr lme sereine [car] il y a chez lui de lobjecteur de conscience. Le propos tait renforc par quelques citations parmi lesquelles cet aveu assez raliste: Jaime lpoque o je vis mme si je la critique. Cest lre des tyrans au berlingot.

Depuis sa dernire apparition toulousaine, laudience stait nettement largie et cette fois-ci ctaient plus des deux-tiers des places du Palais des Sports qui avaient t rserves. Le rpertoire de Lo Ferr de ce soir-l, qui tait accompagn au piano par Paul Castanier, correspondait celui prsent Bobino lautomne 1967 et, comme l, ce qui surprit sans apparemment heurter qui que ce soit, ctait le recours aux bandes magntiques orchestres pour quelques titres: Cette chanson, Spleen, La Marseillaise et la chute laccordon pour une chanteuse morte (cf. Ce quon disait du rcital donn Bobino en 1967 et commentaires.) La sincrit des interprtations du pote semblait atteindre la plus grande profondeur et le succs fut considrable, comme en tmoigne larticle de Marie-Louise Roubaud paru le surlendemain dans La Dpche. En fait, ce moment-l, ce quignorait la journaliste comme le public toulousain, cest quen ce 20 mars 1968, la vie conjugale du couple mythique form par Lo et Madeleine tait en train de basculer vers la rupture dfinitive, provoquant la dispersion dramatique de la mnagerie de Perdrigal.

La Dpche du Midi du 22 mars 1968.

Lo Ferr par Carlos Pradal, La Dpche du Midi, 1968.

Point de vue Festival N7: Ferr le grand.

Il ne ressemble personne et personne ne lui ressemble.

Une crinire rousse, un visage de statue de commandeur, des yeux de chat, les gestes pathtiques du mime, une voix qui tonne comme lorgue ou qui tremble comme larchet du violon, cest Lo Ferr, pote terrible et vieux routier du music hall, sorti pour un soir de sa retraite de Saint-Clair pour chanter sous les projecteurs du Palais des Sports.

Avec lhumour en dents de scie qui provoque quelques grincements de dents, avec les mots de la rue auxquels il donne une nouvelle noblesse, Lo Ferr dcrit daprs nature une poque qui est la ntre et sur laquelle il promne un regard sans complaisance. Ce nest pas sa faute si cette peinture-l tient de la caricature et de la parodie. Qui aime bien chtie bien. Aussi Lo Ferr manie-t-il linvective avec hardiesse, sans merci.

Il ne mche pas ses mots. Sa pense est sans dtours et cest dans lunivers du spectacle o rgne une conspiration du silence, la seule voix qui ose rellement dire non. Sa chanson sur PiafBayreuth de trottoir, lui a valu quelques ennuis avec son diteur. La censure, une fois de plus, nous prive dun chef-duvre.

Cet homme qui hurle Thank you Satan avec une tte de Christ aux douleurs, croit-il en Dieu ou au diable?

Ce nest pas par hasard, on sen doute, quil a mis en musique Aragon, Baudelaire, Verlaine, Apollinaire.

Pour lui aussi lart est un vampire et ne le dirait-on pas n sous le signe fatidique de Saturne, cette fauve plante commune aux potes quon appelle maudits? Cette complicit qui unit dinstinct, au-del du temps, les potes de mme race explique sans doute les russites de ces mises en chansons. Si Victor Hugo avait connu Lo Ferr, peut-tre naurait-il pas dfendu quon dpose de la musique le long de ses vers.

Qui a, une fois vu et entendu Lo Ferr chanter Le Spleen de Baudelaire avec son visage de revenant et ses belles mains dsespres qui semblent porter le poids de la terre entire, se sent pris son tour dun vertige.

Au prix de quelles angoisses Lo Ferr a-t-il pay ce don de sincrit? Ses propres chansons nous le disent assez bien o il exhale ses plaisirs et ses haines, ses amours aussi. Car cet anarchiste-n, ce fauve solitaire a des accents bouleversants de passion et de tendresse, dont on sait quils sadressent une seule femme: Madeleine Ferr, la Muse qui ne le quitte jamais, qui est l, dans les couloirs, veiller aux nombreux dtails de son rcital.

Peu dinterprtes et de compositeurs prennent aujourdhui le risque de chanter seuls pendant prs de deux heures comme Lo Ferr la fait, lautre soir, pour un public de deux mille tudiants qui lont rappel par trois fois. Quels artistes dailleurs supporteraient la confrontation sur une scne avec ce diable dhomme? cinquante ans passs, Lo Ferr, lirrductible, reste dans le camp des jeunes qui reconnaissent en lui le romantisme de leur propre rvolte.

Mais dans la France de Mireille Mathieu, ces pamphlets vengeurs qui sentent le soufre et o Lo Ferr se rvle un prodigieux jongleur de mots, nont pas, on sen doute, la faveur de tous les publics.

Quimporte Lo Ferr qui nest jamais rentr dans le rang. Les modes passeront; Lo Ferr, lui, restera

M.-L. R.

Cinma Le Trianon de Toulouse, 5 dcembre 1968

La page des spectacles de La Dpche du Midi annonait pour ce 5 dcembre au Palais des Sports Le gant Ferr, champion du monde toutes catgories, mais il sagissait l dun combat de catch! Quant au pote, cest de faon plus discrte que, moins de neuf mois aprs sa dernire prestation toulousaine, il tait de retour dans la ville rose, investissant cette fois-ci la scne du cinma Le Trianon, qui pour une soire retrouvait sa vocation premire de thtre.

Les journalistes signant les articles prsentant le spectacle de Lo Ferr se contentaient soit de reproduire des passages entiers de la monographie de Gilbert Sigaux, soit de rsumer le dossier de presse concoct par la maison Barclay et dont certaines allusions Madeleine Ferr dataient cruellement. Aussi, rien ne transparaissait sur les avatars de la vie prive de lartiste et la plupart des spectateurs qui occupaient les mille trois-cent cinquante fauteuils du Trianon ignoraient tout de cela. Mais le nouveau rpertoire, qui prfigurait celui prsent Bobino partir du 15 janvier suivant, ressemblait bien une somme de confidences douloureuses, particulirement les indits comme Ppe, Le Testament, ou toi qui donnaient sa tonalit mlancolique au tour de chant, tonalit renforce par la nostalgie de pices anciennes telles Ltang chimrique et plus encore LAmour (1956) magnifiquement accompagnes au piano par Paul Castanier. Cette impression tait confirme ds lentracte pour ceux qui achetrent le livret Mon programme 1969, un rapide coup dil sur le texte Mes enfants perdus ne laissant aucun doute sur les vnements qui staient trams peu de temps auparavant prs de Gourdon. Les autres chansons indites comme Lt 68, Les Anarchistes ou Madame la Misre, galement accompagnes au piano, enflammrent le public sans toutefois parvenir dissiper compltement le sentiment de tristesse dans lequel baignait tout le rcital.

La Dpche du Midi du 5 dcembre 1968.

Au Trianon, Lo Ferr: Je suis un bon client de la tristesse.

Comme chaque fois Lo Ferr arrive les mains dans les poches, sans sonorisation, sans orchestre, avec pour seul accompagnateur son pianiste aveugle, et cette fois, sans Madeleine. La veille, il tait Bordeaux, et pour venir Toulouse, il a fait un dtour par Saint-Clair, o, il y a huit mois encore, il vivait dans une maison qui tait un refuge:

Cest prsent une maison morte. Il sest pass dans ma vie, depuis mars dernier, des drames dont je ne veux pas parler

On sait seulement que la guenon Ppe est morte et que Madeleine est partie.

Voil Lo Ferr rendu la solitude, donc lui-mme.

On ne voyage pas, on bouge. On nemporte que soi, et cest lourd porter.

Sur les routes, en semaine, on ne rencontre que les routiers et les artistes de music hall. Nous faisons, les uns et les autres, de trs longues tapes.

Je me suis toujours senti un peu dracin, nimporte o que je sois. Je ne fais jamais de projets. Cest trop prsomptueux. Les autres en font pour moi. Dsormais, je me sens bien avec mes compagnons de fortune et dinfortune.

Je ne me mle jamais des affaires de mon destin. Je pense que, de toutes manires, on ne choisit pas. Des regrets? Non je nen ai pas. En vivant, on fait du pass, et je ne peux pas regretter de vivre.

Je suis un bon client de la tristesse. Dailleurs, la beaut, cest toujours triste, cest les larmes.

Chaque soir, plus je chante et plus je me sens triste, et plus jai mal. Cest inexplicable. Chanter nest pas un devoir, mais cest quelque chose de plus effrayant. On est tout seul et il faut rester soi. Et puis, toutes les trois minutes, il y a une cassure, le public qui intervient, qui applaudit ou qui napplaudit pas. Sur scne, chaque soir, je me montre, je vends quelque chose de moi qui est ma voix et je me demande si, aprs tout, ce nest pas pareil que les femmes qui vendent leur corps.

Des tres avec qui Lo Ferr a eu plus daffinits, lun nest plus, lautre sest loign: Il y avait dabord Andr Breton qui tait un tre magnifique et puis ma femme Madeleine.

Labsolu mais a nexiste pas. Lamour absolu cest Romo et Juliette. Oui, mais ils sont morts

Lanarchie, un tat dme.

Le sentiment angoissant du temps qui passe, du bonheur qui ne dure pas, la fascination morbide du nant ont toujours habit lme tourmente du pote Ferr. Ce qui nous caractrise nous, Mditerranens, cest la sensibilit. Lanarchie, cest quoi? Cest un tat dme.

Et Lo Ferr sait de quoi il parle, lui qui, dans ses chansons, tire boulets rouges.

La posie est une fureur qui se contient juste le temps quil faut.

Aujourdhui, ces textes dhier sonnent si juste quils semblent prophtiques. Sans doute les vnements de mai ont apport de leau au moulin de cet homme qui na pas cess de se battre.

Jamais Lo Ferr na t aussi vivant dans le cur de la jeunesse. Ses dernires chansons sur les barricades ont soulev des vagues de bravos, lautre soir, dans le Trianon, plein quatre-vingt-dix pour cent dtudiants.

Laccueil que ces enfants de mai ont fait au chanteur est de ceux qui prouvent avec vidence que la rvolution dil y a six mois tait vraiment celle de lintelligence.

On a assist lautre soir, entre le public et le chanteur, une de ces communications magntiques qui tiennent du miracle.

Et quand Lo Ferr, sur des musiques donner le frisson, crie: Tu ne mas pas dit que les guitares de lexil sonnaient parfois comme un clairon, toi mon ami lEspagnol quand il se livre une caricature au vitriol de la vie moderne ou bien quand il rend hommage aux enrags qui drangent lhistoire, aux anarchistes qui ont lme ronge par de foutues ides et qui sont, aprs tout, les mmes qui pour tout bagage, ont vingt ans, on nest pas loin de penser que les gnrations daujourdhui trouvent dans cet homme de plus de cinquante ans, leur plus impitoyable moraliste.

Cet art de linvective serait videmment sans effet si Lo Ferr ntait pas aussi un vieux lion de la scne qui connat son mtier par cur, qui sait jouer de sa voix avec un art consomm.

Lessentiel sur scne, cest de ne pas en faire trop dit-il.

Et puis, il y a ce visage romantique, tourn comme une figure de proue, un visage auquel les feux de la rampe, donnent parfois une allure spectrale

M.-L. Roubaud.

1965-1968. Ces quatre rendez-vous avec le public toulousain qui semblait murmurer au pote: On saimera, laissaient bien augurer des rcitals venir. Hlas, les choses ne furent pas toujours aussi faciles et tournrent parfois des rapports pour le moins rugueux.

Toulouse, dcembre 1968 D.R.

00:00 Publi dans Les invits du taulier | Lien permanent | Commentaires (9)

jeudi, 20 septembre 2007

La notion de texte intgral

Lorsque le Livre de Poche est apparu, en 1953, la maison Hachette, qui en tait lditrice et lavait introduit en France sur le modle du paperback amricain, prit immdiatement soin de prciser sur les couvertures: Texte intgral. Ce qui parat aller de soi mais il faut savoir qu lpoque, il existait, notamment pour les romans,des adaptations condenses de textes parus auparavant dans des ditions plus srieuses.

Je minterroge sur ce quest devenue cette notion, en ce qui concerne deux recueils de textes de Lo Ferr.

Il suffit de comparer les tables des matires pour constater quentre ldition originale parue chez dition n 1 en 1993 et le tirage en Livre de Poche sous le numro 9626, en 1995, le recueil La Mauvaise graine a un peu maigri. Les titres manquants sont, sauf erreur de ma part: Et vogue vogue la galre, Qui pourrait maintenant, Le Faux pote, LHomme lyrique, Paris, Ma vieille branche, la folie, La Vie moderne, La rue est la galaxie de loutrage, LAraigne, Au premier hibou de service, Demain, La Banlieue, Les Amants tristes, Alma Matrix, Et basta!, Words words words, Je vivais dans une sorte de maldiction confortable, Je parle nimporte qui, LImaginaire, Ma vie est un slalom, Death death death

La couverture ne prcisant pas Texte intgral, il ny a rien dire, mais on peut stonner de la disparition dune vieille tradition qui tait pratiquement ressentie comme un contrat de confiance entre lditeur et le lecteur. Or, surprise, le volume a reparu sous une seconde couverture en 2000, avec, cette fois, la mention en question: Texte intgral, imprime en bas gauche. Que nenni: les textes, les mmes, manquent toujours. Il y a donc abus, sinon mensonge, de la part de lditeur.

Il ny a qu comparer galement Testament phonographe, paru chez Plasma en 1980, ayant connu une deuxime dition au Gufo del Tramonto (1990), une troisime chez La Mmoire et la mer (1998), une quatrime dans la collection 10-18 sous le numro 3356 (2001), enfin une cinquime chez La Mmoire et la mer (2002) pour se rendre compte quentre les volumes de grand format et celui de 10-18, il y eut aussi une cure damaigrissement, plus rduite il est vrai que dans lexemple prcdent. Les titres manquants sont, sauf erreur de ma part : Adieu, La Damnation, La Femme adultre, Pacific Blues, Paris cest une ide, Les Passantes, Tu sors souvent la mer. L encore, la couverture ne prcisant pas Texte intgral, il ny a rien dire, mais on constate que la logique ditoriale qui tait celle des collections de poche ne va plus de soi. Un coup dil au catalogue de la collection 10-18 pour lanne 2001 ne rassure gure: aucune allusion nest faite lintgralit ou non des textes.

Alors, quest devenue la notion de Texte intgral ? Le Livre de Poche ou 10-18 ont publi autrefois des volumes bien plus gros. Il ne peut donc sagir dune simple question de format, de nombre de pages. Je ne comprends pas. Sans parler de cette autre question, plus importante encore: qui dcide de couper, que coupe-t-on et pourquoi?

00:00 Publi dans Propos | Lien permanent | Commentaires (24)

dimanche, 16 septembre 2007

Une opinion sur la musique de Ferr pour Apollinaire

Lexemple de Poulenc ne doit pas nous faire oublier que dautres musiciens se sont tourns moins discrtement vers Apollinaire et nont pas hsit, eux, toucher au recueil Alcools. Ils sont en tout une vingtaine. Nous citons simplement parmi eux car M. Pouilliart reviendra bientt sur un certain nombre de noms Jean Absil, Robert Caby, Luigi Cortese, Georges Dandelot, Lo Ferr, Arthur Honegger, Jacques Leguerney, Jean Rivier, Daniel Ruyneman et mme Louis Bessires. Ces musiciens sont de rpertoire et de style trs diffrents et les pomes les plus utiliss sont Le Pont Mirabeau, Clotilde, LAdieu.

Nous reconnaissons volontiers que certaines de ces mlodies, au lyrisme assez appuy, sont agrables entendre. Mais elles ne savent pas toujours viter lcueil dont Poulenc stait si bien gard. La posie dApollinaire tant dans Alcools essentiellement lyrique, elle souffre de sajuster une autre source de lyrisme qui la contraint seffacer derrire un air et un refrain troitement dtermins. Nous pourrions mme dire que le courant mlodique existant lorigine et celui qui lui est artificiellement impos, finissent par se contrarier et par annihiler la puissance dvocation du pome. La posie ne gagne rien passer sur ce lit de Procuste, et un long pome se montre particulirement rfractaire ce traitement. La Chanson du mal-aim supporte que sa lecture se dtache sur un fond musical, mais elle est elle-mme dfigure par toute tentative de transformation mlodique intgrale et lon est frapp de voir quel point le pompeux oratorio de Lo Ferr manque dinvention et de grandeur. La convention la plus plate y tient lieu dinspiration. Tout y est annonc, prpar grand renfort de thmes lmentaires : les Cosaques Zaporogues prennent appui sur des rminiscences de Khatchaturian, le tzigane de la fin sest vu prcder dun air de violon rglementaire. Quant aux sept pes, elles sont environnes dhroques accords de trompettes. La technique est un peu trop facile: ce procd danticipation sonore a pour effet dorienter limagination de lauditeur vers les clichs les plus traditionnels et ruine la varit du pome. Les sautes dhumeur dApollinaire, les rsonances tranges des images quil juxtapose se dissolvent dans la monotonie. Une russite, cependant, nous parat dautant plus clatante quelle est unique. La traduction de la strophe Voie lacte sur lumineuse / Des blancs ruisseaux de Chanaan est un vritable chef-duvre. Elle doit son charme la voix dun jeune garon qui vibre imperceptiblement comme un clignotement dtoiles et qui la porte de faon presque immatrielle des hauteurs vertigineuses. Elle nous prouve son tour que laccord total entre un pome et sa transposition lyrique ne peut tre quun miracle de court instant.

Voil le jugement consign dans les Actes du colloque Apollinaire et la musique runis par Michel Dcaudin (Journes Apollinaire, Stavelot, 27-29 aot 1965), ouvrage publi par lasbl Les Amis de Guillaume Apollinaire, Stavelot, 1967. Je ne connais pas le nom de lauteur de cette contribution. On sait que les amoureux dun pote ne tolrent gure quon touche ses uvres. Peut-tre est-ce le cas de cet exgte dApollinaire.

Cette opinion retrouve dans mes archives nest pas tonnante. La vieille question de la mise en musique des pomes est ici encoreremise sur la table avec les mmes sempiternels arguments. On a examin ce point dans Avec Luc Brimont. Je relve que ce sentiment ngatif concernant La Chanson du mal-aim est le seul du genre, tout au moins ma connaissance. Tous les chos que jai lus sur la question taient plutt positifs.

00:00 Publi dans Propos | Lien permanent | Commentaires (54)

mercredi, 12 septembre 2007

De la noirceur

Aprs avoir regard, lautre soir, le DVD dun rcital de Lny Escudero il sagissait de son spectacle de 1990, emmen en tourne en 1991 je me suis fait quelques remarques.

Escudero est un chanteur au rpertoire extrmement noir, quil dtaille dune voix agrable mais trs sche, sombre. Cette noirceur est souligne par un visage maci, une silhouette qui na que la peau sur les os mais cela, cest autre chose. Il reste que, sur vingt-et-une chansons, deux seulement taient des sourires, des pauses, des radeaux sur une mer de dsespoir. Ctait trs prouvant.

Beaucoup de gens disent que Lo Ferr est trop sombre pour eux, que ses chansons les dstabilisent parce quil leur donne le sentiment dun homme sans espoir aucun. Cest trs exactement le contraire et chacun ici, je pense, sera daccord avec moi: luvre de Ferr est pleine dun espoir immense, jamais contredit. Les spectacles de Ferr taient rconfortants, on en sortait plein de force.

Pourtant, objectivement, le dsespoir est le dsespoir. Cest sa mise en mots qui diffre. Sa mise en voix aussi car celle de Lo Ferr, avec son grain, sa tessiture, peut videmment beaucoup.

Alors? Quest-ce qui spare Escudero de Ferr, mme en-dehors dune diffrence, facilement constate, de qualit des textes et de la musique? Escudero nest pas Ferr, mais ce quil crit nest vraiment pas mal non plus. Pourquoi son spectacle, pourtant affadi par le DVD qui, comme je le dis souvent, ne restitue pas la prsence, ma-t-il cras par sa noirceur quand ceux de Lo Ferr, mme avec les rserves de la vidographie, me portent en avant?

00:00 Publi dans Propos | Lien permanent | Commentaires (29)

lundi, 10 septembre 2007

Le poinonneur cest extra

En 1960, a lieu la premire rencontre entre Lo Ferr et Serge Gainsbourg. Devant le micro de Pierre Gunin, ils participent au Jeu de la vrit en compagnie de Micheline Presle, Norbert Carbonnaux, Pierrette Pradier et Jacqueline Boyer. Le texte du dbat parat dans Cinmonde [1], puis est repris en volume chez Losfeld [2], en mme temps que dautres.

Le texte imprim reproduit un change, apparemment un peu vif mais sans plus:

Gunin. - Gainsbourg, crivez-vous des chansons par amour de lart ou pour gagner de largent ?

Gainsbourg. - Mon cas est assez dlicat. Jai t peintre pendant quinze ans et maintenant je gagne ma vie en crivant des chansons. Ce qui mennuie cest que, plus a va, plus jai envie dcrire des chansons inchantables ?

Ferr. - En principe, quand on crit quelque chose, cest avec son cur et non pour de largent. Vous avez tort de considrer la chanson comme un art mineur. Si vous vous laissez aller des contingences commerciales imposes par un patron de disques videmment. Il y a lart et la m

Gainsbourg. - Si mon diteur et ma maison de disques

Ferr. - Ne me parlez pas de ces gens qui sont des commerants.

Gainsbourg. - Mais enfin, si on me ferme la bouche ?

Ferr. - Je connais votre situation, cest une situation dramatique. Ce que vous avez envie de chanter et dcrire, il faut le chanter et lcrire, mon vieux.

Gainsbourg. - Chez moi ?

Ferr. - Non, dans la rue. Il faut prendre une licence de camelot la prfecture de police.

Gainsbourg. - Moi, je veux bien me couper une oreille comme Van Gogh pour la peinture, mais pas pour la chanson.

Jai toujours ressenti ce passage comme amical et, aujourdhui encore, jentends dans la voix de Lo Ferr quelque chose daffectueux. Ferr aimait Gainsbourg et tout, dans ce dialogue, me parat plein dattention envers les difficults que connat alors le chanteur.

Or, il semble quil sagisse dun extrait seulement. Si lon en croit Gilles Verlant, le biographe de Gainsbourg, la conversation a continu. Dans un livre collectif comportant une srie de textes sur la chanson, Chroniques dun ge dor [3], il raconte:

Hors micro, Gunin raconte que le dbat se transforma en vritable pugilat verbal au cours duquel Gainsbourg finit par traiter Ferr de dmod . Pire quavec Bart, un quart de sicle plus tard, dans un lgendaire numro dApostrophes.

Peut-tre. Mais pourquoi? On ne connatra jamais la suite de la conversation, ni ce que Gunin a pu raconter, ni o Verlant la appris. Dommage.

plusieurs reprises, au cours de sa carrire, Ferr va parler de Gainsbourg, notamment aprs lallusion amicale quil fait dans le courant de Ppe, celui qui se croyait laid. Dans le recueil Vous savez qui je suis, maintenant?, Quentin Dupont cite cinq extraits dinterviews[4] :

Gainsbourg venait mentendre tous les soirs dans un cabaret de la rue Les Saints-Pres. Et quand jarrivais, Gainsbourg me faisait signe avec les oreilles, parce que je chantais la chanson Ppe... Fantastique! (Il sagit du cabaret parisien Don Camilo, 10, rue des Saint-Pres (Littr 65-80 ou 71-61), o Ferr chante dans un dner-spectacle, durant vingt jours, partir du vendredi 3 octobre 1969. Gainsbourg habite quelques mtres).

Jaime beaucoup Gainsbourg et je trouve que ses oreilles... Dans la chanson que jai crite sur Ppe, a nest pas du tout mchant ce que jai dit, cest trs amical. Vous savez, moi jaime beaucoup les chimpanzs. Les chimpanzs ont tous les oreilles comme monsieur Gainsbourg. Seulement, la nuit, ils les replient, tandis que Gainsbourg, sil veut les replier, il faut quil mette du scotch. Mais cest pas mchant, cest fraternel ce que je dis Jaimerais avoir Gainsbourg, avec moi, la maison, comme a, pour vivre avec lui quelques jours. Voil ! Cest mon droit ! Sil veut bien, je linvite

Je me souviens dune interview que Denise Glaser avait faite de ce garon que jaime beaucoup parce quil est infiniment intelligent et qui sappelle Gainsbourg. Et un jour, elle lui avait demand, aprs ces silences dont elle a le secret : Mais, dites-moi, pourquoi vous avez retourn votre veste? (parce quil commenait peut-tre un peu vivre de son mtier). Et il a rpondu: Jai retourn ma veste quand je me suis aperu quelle tait double de vison !

Gainsbourg est un type qui est intelligent, qui a choisi de faire une chose quil fait trs bien. Et puis, cest un mec intelligent. Lintelligence gne les cons.

Jai beaucoup de sympathie pour Gainsbourg. Et je trouve dailleurs que cest un personnage curieux (je ne suis pas le seul) et intelligent. Et je pense que cest parce quil est intelligent que jai pu me permettre de dire a, parce quil a d comprendre. Cest pas du tout contre, cest avec beaucoup de tendresse que je dis a. Vous savez pourquoi, parce que les chimpanzs ont les oreilles comme a, un peu dgages comme celles de notre ami Serge Gainsbourg. Mais ce qui tait extraordinaire, un jour je men suis aperu, la nuit quand elle dormait, elle les mettait plat a veut dire que ds quelle se levait le matin, elle mettait ses amplis, elle mettait ses trucs pour couter et ctait trs mouvant Je veux dire que ctait extraordinaire, parce que les gens imaginent que les chimpanzs ont les oreilles comme a mais ils ont les oreilles comme a, parce que a sert, parce que cest la nature et la nuit, hop ! ils nen ont pas besoin, ils les replient.

On connat la photographie des deux hommes souriants, signe Marie Ferr, prise entre 1980 et 1984 (selon les sources) Genve, au cours dune rencontre.

On nous parle, depuis 1969, de la conversation qui eut lieu entre Ferr et les deux grands B. de la chanson. Javais envie dvoquer Gainsbourg et Ferr: il y a peu dire, mais cest au moins aussi intressant que le dbat suppos mythique dont, rtrospectivement, la platitude et le total dsintrt nont pas fini de nous tonner.

____________________

[1]. Cinmonde du 15 novembre 1960.

[2]. Pierre Gunin, Le Jeu de la vrit, Le Terrain Vague, 1961.

[3]. Collectif Chanson, Chroniques dun ge dor, Christian Pirot, 2007.

[4]. Lo Ferr, Vous savez qui je suis, maintenant?, recueil dinterviews de radio et de tlvision transcrites et thmatises par Quentin Dupont, La Mmoire et la mer, 2003.

00:00 Publi dans Propos | Lien permanent | Commentaires (6)

jeudi, 06 septembre 2007

propos des premires chansons enregistres

coutant le disque 33-tours 30-cm Barclay Les douze premires chansons de Lo Ferr il sagit bien entendu des douze premires chansons enregistres, comme on le sait je me fais ces quelques rflexions.

Jai dcouvert ce disque lorsquil est sorti en 1969, lanne o jai appris lexistence dun artiste qui sappelait Ferr. Au moment o Ferr lenregistre, soit les mardi 4 et mercredi 5 mars 1969, il nest plus disponible au Chant du Monde, en version piano et chant. Il le ressort alors au catalogue Barclay, avec les orchestrations de Jean-Michel Defaye.

Ces orchestrations sont dans la parfaite ligne du travail que Defaye effectue depuis plusieurs annes et quil poursuivra durant quelques annes encore, pour Lo Ferr. Dans lesprit et dans la forme, elles ne se diffrencient pas des prcdentes ni des suivantes: Defaye sert Ferr au mieux de son talent. Ferr lui-mme, en 1969, est en pleine possession de sa puissance vocale, il a acquis beaucoup de mtier, sa voix est celle qui vient de triompher dans Cest extra et qui a fait les beaux soirs de soufre de Bobino, du mercredi 8 janvier au lundi 3 fvrier. De trs nombreux jeunes le dcouvrent cette anne-l et, pour eux comme pour moi, ce 30-cm est celui qui leur permet dentendre pour la premire fois ces chansons des dbuts.

Do vient, par consquent, que, lorsquon les voque, on fasse toujours rfrence aux premiers enregistrements piano et chant, ceux effectus en 78-tours ou, plus gnralement, toujours piano et chant, leur r-enregistrement en microsillon 25-cm, en 1953au Chant du Monde alors que Ferr est sous contrat avec Odon ? Si mon souvenir est bon et je crois quil lest je nai entendu, chant en scne sur cette bande enregistre Barclay, que Le Bateau espagnol, Marseille, au Thtre aux toiles, le jeudi 30 juillet 1970. Or, Ferr reprendra pratiquement toute sa vie, en scne, Le Bateau espagnol, ainsi que La Vie dartiste et Saint-Germain-des-Prs. Et quelquefois Le Flamenco de Paris, Monsieur Tout-Blanc ou La Chanson du scaphandrier. Il le fera toujours, par la suite, au piano, mais plus jamais avec les bandes enregistres de lorchestre de Defaye, bandes auxquelles il fera pourtant appel pour de nombreux autres morceaux, plus du tout pour ceux-l.

Et ces premires chansons sinscriront dans limaginaire de chacun dans leur version piano et chant de 1953, y compris pour ceux qui, comme moi, auront dabord connu les orchestrations et nachteront que plus tard le disque de 1953 (intitul Chansons de Lo Ferr interprtes par Lo Ferr puis, lors dun changement de pochette, Lo Ferr chante Lo Ferr), entre-temps rdit, avec un sommaire identique, en 30-cm (sous le titre Lo Ferr chante ses premires chansons puis, lors dun changement de pochette, Premier Ferr, dabord