L’île d’Yeu revisitée

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Terres, sociétés, itinéraires atlantiques, pp. 193-203 193 Cahiers Nantais, 2001, n° 55-56 L’île d’Yeu revisitée Alain MIOSSEC IGARUN-Nantes Géolittomer-Nantes LETG UMR 6554-CNRS B.P. 81227 44312 – NANTES Cedex 3 Résumé : L’île d’Yeu a connu une décennie agitée : difficultés de la pêche liées à la politique européenne, démission du Conseil municipal en 1996 à propos des droits à construire. L’île subit plus que jamais les effets des politiques environnementales pensées ailleurs : elle dispose cependant d’atouts incontestables, savoir-faire et esprit d’entreprise des populations, insularité affirmée et attractivité gérée du cadre naturel. L’île d’Yeu vers le développement durable ? Mots-clés : Développement durable. Pêche. Tourisme. Gestion du territoire côtier. Insularité. Abstract : The last decade was troubled in Yeu island as a consequence of the new european policy toward sustainable use of ocean resources and of the coastal zone. Difficulties of thuna fishing on the one hand, protection of the coastline against house building on the other. However, the island has serious assets : know-how of the population, asserted insularity and recent wise management of the environment. Key words : Sustainable Development. Fishing Activities. Tourism. Coastal Zone Management. Insularity. …les bars qu’on entend les cafés chantants les marins y règnent et la rue a des sourires fardés, ses enseignes saignent… Aragon Il y a dix ans, les Cahiers Nantais publiaient, à l’initiative de Jean Chaussade et sous sa direction "l’île d’Yeu, phare du Ponant". Quatre auteurs s’y donnaient la main pour tracer un portrait de l’île sous quelques aspects : pêche, population, société, activités touristiques. Une île singulière qui gardait non seulement tous les attraits dont la nature l’a dotée et dont une certaine société contemporaine fait sa pâture, mais qui surtout gardait sa population, jeune et dynamique, engagée dans une filière-pêche originale qui faisait contrepoids au développement touristique. Puisse cet équilibre perdurer et la société îlaise s’adapter sans se renier : à cette conclusion de Jean Renard d’un optimisme raisonné, que peut-on ajouter, dix ans et quelques drames plus tard ? Les recensements disent peu : si la population a diminué, ce n’est que de façon légère. De 4 941 habitants en 1990, on est passé à 4 788 en 1999 et, par rapport à 1982, l’île n’a perdu que 92 habitants. Comparativement au déclin manifeste d’autres îles du Ponant, c’est très peu et rien dans les comportements démographiques ne vient confirmer l’idée d’un affaiblissement. Les taux sont plutôt à l’équilibre et, d’une manière générale, les populations ne peuvent fournir, à échelle de temps trop restreint, d’excellents indicateurs de dynamisme ou de déclin, sauf à toucher les extrêmes. L’île d’Yeu n’en est pas là, les naissances sont plus nombreuses que les décès et le solde naturel est faiblement positif. On peut le comprendre dès lors que la scolarisation de plus en plus longue des enfants ne les met pas en situation de trouver dans l’île les emplois qu’ils peuvent, à diplôme égal, envisager. Quant à juger le solde migratoire négatif, on pourrait presque s’en réjouir dès lors que l’île ne fait pas figure

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L’île d’Yeu revisitée Alain MIOSSEC IGARUN-Nantes Géolittomer-Nantes LETG UMR 6554-CNRS B.P. 81227 44312 – NANTES Cedex 3 Résumé : L’île d’Yeu a connu une décennie agitée : difficultés de la pêche liées à la politique européenne, démission du

Conseil municipal en 1996 à propos des droits à construire. L’île subit plus que jamais les effets des politiques environnementales pensées ailleurs : elle dispose cependant d’atouts incontestables, savoir-faire et esprit d’entreprise des populations, insularité affirmée et attractivité gérée du cadre naturel. L’île d’Yeu vers le développement durable ?

Mots-clés : Développement durable. Pêche. Tourisme. Gestion du territoire côtier. Insularité. Abstract : The last decade was troubled in Yeu island as a consequence of the new european policy toward sustainable

use of ocean resources and of the coastal zone. Difficulties of thuna fishing on the one hand, protection of the coastline against house building on the other. However, the island has serious assets : know-how of the population, asserted insularity and recent wise management of the environment.

Key words : Sustainable Development. Fishing Activities. Tourism. Coastal Zone Management. Insularity. …les bars qu’on entend les cafés chantants les marins y règnent et la rue a des sourires fardés, ses enseignes saignent…

Aragon Il y a dix ans, les Cahiers Nantais publiaient, à l’initiative de Jean Chaussade et sous sa direction "l’île d’Yeu, phare du Ponant". Quatre auteurs s’y donnaient la main pour tracer un portrait de l’île sous quelques aspects : pêche, population, société, activités touristiques. Une île singulière qui gardait non seulement tous les attraits dont la nature l’a dotée et dont une certaine société contemporaine fait sa pâture, mais qui surtout gardait sa population, jeune et dynamique, engagée dans une filière-pêche originale qui faisait contrepoids au développement touristique. Puisse cet équilibre perdurer et la société îlaise s’adapter sans se renier : à cette conclusion de Jean Renard d’un optimisme raisonné, que peut-on ajouter, dix ans et quelques drames plus tard ? Les recensements disent peu : si la population a diminué, ce n’est que de façon légère. De 4 941 habitants en 1990, on est passé à 4 788 en 1999 et, par rapport à 1982, l’île n’a perdu que 92 habitants. Comparativement au déclin manifeste d’autres îles du Ponant, c’est très peu et rien dans les comportements démographiques ne vient confirmer l’idée d’un affaiblissement. Les taux sont plutôt à l’équilibre et, d’une manière générale, les populations ne peuvent fournir, à échelle de temps trop restreint, d’excellents indicateurs de dynamisme ou de déclin, sauf à toucher les extrêmes. L’île d’Yeu n’en est pas là, les naissances sont plus nombreuses que les décès et le solde naturel est faiblement positif. On peut le comprendre dès lors que la scolarisation de plus en plus longue des enfants ne les met pas en situation de trouver dans l’île les emplois qu’ils peuvent, à diplôme égal, envisager. Quant à juger le solde migratoire négatif, on pourrait presque s’en réjouir dès lors que l’île ne fait pas figure

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de lieu de retraite pour les nombreux résidents secondaires que ses charmes ont attiré depuis la Seconde Guerre mondiale.

Il n’empêche, la décennie fut aussi celle des secousses dont il est encore trop tôt pour dire si elles feront vaciller le phare du Ponant. Ces secousses ont une origine, directe ou indirecte : la construction européenne et le regard global, intégrateur même, qu’elle pose sur des régions qui croyaient peut-être pouvoir rester à la marge où la nature les avait mises… il y a quelques millions d’années. La réglementation touchant la pêche d’un côté, la montée des préoccupations environnementales d’un autre côté sont à l’origine des évènements les plus remarquables des dix dernières années. I - LA PÊCHE À L’ÎLE D’YEU A T-ELLE ENCORE UN AVENIR ? La pêche, emblème de la vitalité de l’île d’Yeu, a subi, au cours de la dernière décennie l’effet de la montée des préoccupations environnementales à l’échelle internationale et à l’échelle européenne. De la confrontation entre une capacité d’adaptation des pêcheurs îslais que l’on peut dire séculaire (Chaussade, 1998), et de la régulation imposée par les fonctionnaires internationaux, il n’est encore rien sorti de définitif. La crise est là, cependant. Du moins est-elle là dans les textes votés à Bruxelles et dans les inquiétudes d’une large partie des pêcheurs de l’île d’Yeu.

Le 24 mars 1998, une large majorité des ministres de la pêche de l’Europe s’est prononcée pour l’interdiction du filet maillant dérivant dans les eaux communautaires. Cette technique de pêche vaut essentiellement pour le thon germon pêché dans le golfe de Gascogne, une technique dans laquelle les pêcheurs de l’île d’Yeu ont acquis une particulière expérience et qui tranche avec ce que font habituellement leurs concurrents espagnols, Galiciens en particulier, qui utilisent encore la canne et l’appât. Technique contre technique pour une suprématie commerciale (et les conflits en mer, avec abordage et capture de La Gabrielle par les Espagnols pendant l’été 1994 pour le plus spectaculaire, ne sont pas rares) qui pourrait, selon Bruxelles, mettre en péril la ressource. En effet, si les Îlais sont accusés de détruire plus de dauphins qu’il ne serait raisonnable (accusation que les milieux scientifiques n’ont guère étayée jusqu’à présent), la crainte de Bruxelles est plutôt dans l’éventuelle réorientation des Espagnols eux-mêmes dans une technique jugée plus performante que la canne (même si le poisson est moins "frais" sur l’étal) et dans la mise en coupe réglée des eaux communautaires par des flottilles autrement plus dangereuses que celle de l’île d’Yeu. Derrière l’apparent appui accordé par Bruxelles aux Espagnols (et qui n’est pas négligeable à court terme) se cache aussi l’inquiétude pour le développement durable de la pêche. Et nul ne saurait y être franchement indifférent… à l’île d’Yeu moins qu’ailleurs encore.

Cependant, le secteur de la pêche manifeste toujours une grande vitalité à l’île d’Yeu. La pêche au large qui est d’abord la pêche au thon, pêche saisonnière dans laquelle les performances des Îlais sont remarquables et pour laquelle on peut parier que des solutions seront trouvées localement, du fait de l’inventivité des Îlais. L’État y pourvoiera sans doute aussi, mauvaise conscience aidant, par quelques subsides destinés à atténuer les aigreurs. Pour autant, on ne saurait négliger l’importance de la petite pêche et de la pêche côtière : 42 bateaux en 1998 et un apport constant en captures fraîches et aisément commercialisables. De plus, tous ces pêcheurs partent en mer pour de courtes périodes, reviennent dans l’île pour y vendre leur poisson et contribuent ainsi à maintenir un tissu social vivant, actif et intégré : les petits métiers de la pêche font aussi la réputation de l’île et ils expriment, saison après saison, l’esprit d’entreprise et l’enracinement dans l’île. On ne s’étonnera pas, en matière de capture, que la sole l’emporte devant le bar, toutes espèces à forte valeur (Ferchaud, 1999). La sole, pêchée de décembre à avril (pour les plus forts rendements), est l’espèce la plus rémunératrice des fileyeurs des petits métiers et aussi la plus aisément accessible puisque c’est à quelques milles à l’ouest de l’île que se situe la plus grande frayère à sole du golfe de Gascogne. Hors de la pêche, point de salut ? Manifestement, l’heure n’est pas au désespoir si elle reste (tactiquement ?) à la vigilance et à l’inquiétude. Une inquiétude manifestée avec virulence lors du week-end de Pâques 2002 où la flottille des thoniers a bloqué le port pendant deux jours, isolant l’île et "prenant en otages" quelques milliers de touristes. Conflit exemplaire en ce que l’État, qui entendait reprendre une partie des subventions données pour la reconversion par des textes discutables, a cédé après quelques heures d’échanges à

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Bercy. Y verra t-on la plus parfaite expression de l’arrogance de la haute administration ou le zèle très bureaucratique de quelques fonctionnaires qui prennent le cœur administratif de Paris pour une île-forteresse au service d’un État réduit à son squelette ? Air du temps, air de "grand frais" même si les réactions de la base en annoncent sans doute quelques autres. II - DÉVELOPPEMENT TOURISTIQUE ET DÉVELOPPEMENT LOCAL : LE TOURISTE EST-IL L’AVENIR DE L’ÎLE D’YEU ? On connaît l’équation telle du moins que la véhiculent nombre d’Îlais : fin de la pêche = mort de l’île = submersion par le tourisme. Cette réflexion valait déjà en 1991 et elle vaut plus encore en 2001. Pour autant, outre qu’elle est aussi un argument de négociation (ou de chantage), on se gardera d’oublier les spécificités des lieux. Une île à touristes quand l’été, s’établit la noria des vedettes qui amènent les "touristes à la journée" ; une île qui vit du tourisme quand on observe l’animation du quai de Port-Joinville autour de midi, ses terrasses ensoleillées face au port, qui n’admirent d’ailleurs que les nouveaux arrivants et non point les pêcheurs débarquant à l’écart dans le bassin qui jouxte le nouveau port de plaisance ; ses quelques commerces où les files s’organisent tant bien que mal, singulièrement chez Hennequin, principal mareyeur de l’île et poissonnier à l’étal toujours frais. Là s’affairent les résidents secondaires, ceux dont les moyens financiers sont assez supérieurs à la moyenne… des Îlais comme des touristes à la journée, réputés peu consommateurs. Là, en deux heures, passent les estivants. Ceux qui, depuis trois à quatre décennies, ont acquis des terrains et construit ou reconstruit, dans une ambiance feutrée et avec l’aide des populations locales.

Source : Commission des sites de Vendée conception : A. MIOSSEC

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Fig. 1 : La pression touristique et l’application de la loi "littoral" à l’île d’Yeu

A - Quelques statistiques Ces chiffres veulent éclairer le lecteur, averti cependant que le propos n’est pas de faire, sur le tourisme à l’île d’Yeu, une étude exhaustive.

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L’essor touristique se mesure d’abord à l’augmentation du trafic entre le continent et l’île : de 1965 à 1982, le nombre de passagers transportés a été multiplié par 3,5 ; de 1985 à 1992 le trafic a pratiquement doublé. En 1999, 675 000 personnes ont fait le voyage. Certes, les Îlais constituent une partie du lot mais on observera l’augmentation du nombre des bateaux de liaison avec l’île. Ce sont 10 unités qui relient, d’avril à septembre, l’île au continent et deux compagnies qui se font concurrence pendant cette période.

Cet essor affecte deux domaines : la résidence secondaire et le tourisme à la journée. En effet, le potentiel de l’accueil marchand reste faible : 5 hôtels pour 98 chambres ; un camping à 140 emplacements, 213 meublés. Il y avait en revanche 2 550 résidences secondaires en 1999. C’est l’originalité principale de l’île d’Yeu, perceptible dans le temps : en 1913, 32 résidences secondaires, 168 en 1957, 773 en 1976, 1 171 en 1981 et 1 575 en 1986, 2 010 en 1990, 2 374 en 1996. On conçoit que cela puisse influer sur la structure de l’emploi et que le passé récent comme le futur de l’île s’inscrivent largement dans la manière dont la question foncière a été traitée.

En effet, les terrains appartiennent aux Îlais et les entreprises du bâtiment sont îlaises, selon une logique que l’on connaît ailleurs sur les littoraux mais que l’insularité cristallise. Outre le fait que les matériaux viennent du continent, le marché ne permet guère aux continentaux de s’insérer dans la sphère locale du bâtiment. Et les artisans locaux s’entendent pour que le jeu continue ainsi, tant que la demande excède l’offre et tant que l’État a laissé faire. Ce fut longtemps le cas, mais la nécessité de mettre en application certains articles de la "loi littoral" a provoqué un conflit que l’on n’a rencontré avec autant d’acuité qu’en ces lieux. Si la crise qui a vu le blocage du port un beau dimanche de juillet 1996 a pu éclater à l’île d’Yeu, c’est qu’ailleurs dans d’autres îles, les conditions n’étaient pas réunies. Avec les "évènements" de juillet 1996, la singularité "touristique" de l’île d’Yeu éclate. B - Une question foncière déterminante : la crise de juillet 1996 Dans une île, singulièrement petite, peu éloignée du continent et attractive, la question foncière se pose plus qu’ailleurs. Si la "loi littoral" a voulu introduire plus d’ordre dans le désordre de la croissance de l’habitat et si elle l’a fait avec souplesse et rigidité (selon le point de vue d’où l’on se place), elle a introduit dans les îles de redoutables éléments de discrimination spatiale. À l’île d’Yeu, l’extension de l’habitat s’est faite autour de Port-Joinville, en suivant des axes rayonnants, la croissance étant plus marquée vers le sud et le long de la route qui "monte" vers Saint-Sauveur. C’est autour de Port-Joinville que se situent les zones critiques car c’est là que la population îlaise cherche à s’installer en priorité, à proximité des commerces et des services, à proximité du port également qui fonctionne ainsi comme le principal lieu de vie. L’urbanisation par les résidences secondaires s’est faite, par contraste, autour de quelques vieux noyaux d’habitat aggloméré (le principal étant Saint-Sauveur) et dans les espaces dévolus à l’agriculture encore dans les années cinquante. Pour l’essentiel, en dehors de quelques résidences installées face au nord-ouest, secteur venté et "froid", dangereux également pour la navigation, tout s’est fait en direction du sud-est et par mitage progressif des mailles du parcellaire agraire. Au hasard des successions, des possibilités de vente de terrain, de gré à gré bien plus que par lotissements. À l’île d’Yeu, le mitage est la règle, qui exclut l’ordre et la concentration des lotissements pavillonnaires et de la construction en hauteur. À l’île d’Yeu, pas de grands promoteurs et pas de grandes entreprises en mesure de concentrer le bâti. La demande, pour importante qu’elle soit, relève d’abord de catégories sociales aux moyens financiers élevés : venus dans l’île pour la première fois à la fin des années cinquante et, aisance aidant, en mesure de bâtir ou d’acquérir de l’ancien et de l’agrandir ou de le rénover selon un "style" relativement homogène qui met la discrétion au premier plan des préoccupations. À l’île d’Yeu, la richesse ne s’expose pas, elle se fait discrète dans le pseudo bocage qui résulte à la fois du parcellaire ancien, de la déprise rurale et de son cortège de développement de la friche et enfin de cette "construction" bocagère qui est le fait des estivants eux-mêmes. Il faut survoler l’île pour être frappé par la densité du bâti : mais, qui circule dans l’île reste frappé par la discrétion de l’habitat secondaire, blotti dans la "nature", une nature peu ouverte par des routes en terre et des chemins mal

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entretenus. Au fond, la fausse protection de l’environnement qui fonctionne comme une image attractive… et qui rend les mesures à prendre bien délicates. (coupures de presse tirées de Ouest-France) À l’heure actuelle, le rythme de la construction reste élevé : entre 1986 et 1999, 180 permis de construire par an en moyenne dont 113 aux futurs résidents secondaires (en fait 2 562 permis délivrés en 13 ans) et « si l’urbanisation ogienne se prolongeait selon le rythme qu’elle a connu ces dix dernières années, les espaces offerts d’après le règlement de POS à cette installation résidentielle ne seraient pas comblés avant 43 ans » écrivait Criquet en 1994, deux ans avant les "évènements". Alors, pourquoi ces derniers et qu’ont-ils révélé ? Le Préfet de la Vendée a finalement cédé en accordant 20 permis sur les 25 qui faisaient l’objet d’un litige. À l’origine du litige, la "loi littoral" dans son article L 146-4-II mais aussi dans son article L 146-2 ; à l’origine aussi un Plan d’Occupation des Sols (POS) qui n’est pas en conformité avec les dispositions de la loi de 1986 mais, 10 ans après le vote unanime, combien de POS sont-ils "légaux" sur les littoraux ? La loi impose un certain nombre de contraintes à l’urbanisation. L’article L 146-2 porte sur la capacité d’accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser : les documents d’urbanisme doivent prendre en compte la préservation des espaces « remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral », par référence à l’article L 146-6, très controversé lui-même à l’époque. Ils doivent aussi tenir compte d’autres éléments qui, à l’île d’Yeu, vont faire problème puisque « les plans d’occupation des sols doivent prévoir des espaces naturels présentant le caractère d’une coupure d’urbanisation ». L’article L 146-4-II porte sur l’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage qui doit être « motivée » dans les POS « selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau ». Enfin, ce même article donne au "représentant de l’État" pouvoir d’accorder ou de ne pas accorder un permis, sur demande motivée de la commune et après avis de la commission départementale des sites. Dans une île aussi étroite que Yeu, les dispositions de la loi ne pouvaient faire l’unanimité : la figure 1 montre la localisation des permis incriminés. Ils se situent presque tous dans la partie occidentale de Port-Joinville, partie qui n’est guère touristique et où la construction des maisons est d’abord celle des jeunes de l’île. C’est dans ce secteur touristiquement peu attractif que les services de l’État avaient envisagé de placer une "coupure d’urbanisation", dans un de ces secteurs proches du rivage dont on n’est guère éloigné dans une île, en particulier lorsque nul ne sait véritablement délimiter la proximité du rivage et définir la largeur de la coupure d’urbanisation. La carte est pourtant éloquente : il y a bien là, à l’ouest de la partie la plus continuement urbanisée, une de ces franges aux limites incertaines où il était tentant de placer la coupure. L’affaire serait banale si elle n’était révélatrice de comportements parfaitement antinomiques de la part des Îlais d’une part et des "Continentaux" d’autre part.

Pour les Îlais, c’est une atteinte évidente au droit de construire pendant une période de marasme du bâtiment. En ce sens, le conflit est classique et porte sur la place de l’artisanat du bâtiment dans la structure de l’emploi dans l’île. C’est aussi une menace qui pèse sur l’avenir parce que les terrains accessibles aux plus jeunes se feront d’autant plus rares et donc plus chers que se restreint l’offre foncière. Que les Îlais eux-mêmes soient les premiers responsables d’une situation qui dure depuis 20 ans ne devrait échapper à personne, mais ils s’appuient ici sur le fait que les secteurs convoités sont ceux que délaisse le tourisme et qu’il y a quelque logique à ce que l’urbanisation des autochtones progresse dans ce qui reste disponible et accessible… jusqu’à ce que le Droit s’en mêle. Pour l’Administration, l’île est aussi un beau sujet d’application de la loi puisque tous les articles, qui se conjuguent et superposent leurs effets tendent à limiter en apparence du moins, les possibilités d’extension du bâti. Quitte à placer des limites, autant laisser la carte parler et celle que nous mettons n’est pas sotte. Encore fallait-il en parler avec les principaux intéressés et ne pas renforcer, chez les Îlais un sentiment de "forteresse assiégée" qu’ils ont tendance à prendre dès lors que l’État cherche à

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limiter leur liberté. On ne s’étonnera guère alors de la démission du maire et de l’équipe municipale, pris entre le marteau et l’enclume, sachant d’un côté que la loi vaut pour tous et d’un autre côté, la "crise" de la pêche se conjuguant à celle du bâtiment, l’impatience des votants n’était pas incompréhensible.

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Nul n’a dans cette affaire, joué le jeu de la concertation. Depuis lors, les chiffres parlent : on est loin des 75 logements autorisés en 1995 et la prospérité a de nouveau révélé que, finalement, l’espace à

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bâtir reste encore suffisamment étendu. Ce qui ne veut pas dire que les Îlais eux-mêmes peuvent y accéder sans difficulté car le prix des terrains comme celui des résidences mises en vente est très élevé. La situation à l’île d’Yeu, du point de vue du développement touristique futur, relève presque du cas d’école. III - QUELS ATOUTS POUR QU’À L’ÎLE D’YEU, LE DÉVELOPPEMENT SOIT "DURABLE" ? Face au développement durable, de quels atouts dispose l’île ? Trois facteurs peuvent contribuer, dans le cadre d’une politique raisonnée, à garantir l’avenir de l’île. A - Le premier atout est à rechercher dans la population locale C’est de son dynamisme que dépend son avenir et non pas d’un quelconque déterminisme naturel ou social. Cette population est relativement stable sur la décennie, sur 20 ans, pas de changement spectaculaire mais pas de déclin, phénomène plutôt rare pour une île. Entre 1990 et 1999, on a compté 571 naissances et 455 décès, là encore pas de signal d’alarme. La maturité s’exprime par glissement de 1990 à 1999, les plus de 75 ans gagnent 2 points et la tranche d’âge comprise entre 40 et 59 ans gagne 3,1 points. En dépit des affirmations sur le déclin de l’île, sur une certaine banalisation de l’île également, les faits marquent la stabilité de la population. Eu égard au fait qu’il y a dans l’île 305 pêcheurs avec un chiffre d’affaires pour la pêche de 100 MF, on n’aura garde d’oublier que celui du tourisme est de 350 MF (données de 1994) et que le secteur du bâtiment regroupe 53 entreprises et 283 emplois, un bâtiment qui travaille à 70 % pour le tourisme. L’idée selon laquelle la mort de la pêche entraînera l’essor inévitable du tourisme n’est évidemment pas vérifiée par les faits : le tourisme est déjà l’activité principale dans l’île. Quand on dit que c’est dans le dynamisme de la population que se trouve l’avenir de l’île, on entend simplement qu’elle s’est constamment adaptée depuis un siècle à des conjonctures changeantes pour la pêche et que les pêcheurs ont toujours trouvé les solutions, toujours transitoires évidemment, qui permettaient le maintien d’une tradition (pas si ancienne d’ailleurs) et, à travers elle, d’une capacité d’adaptation. Si le développement durable procède du mouvement inverse d’impulsions qui viennent de la base et du sommet, les Îlais ont toujours trouvé eux-mêmes les solutions à leurs problèmes : ils ont su adopter le filet maillant dérivant pour la pêche au thon, ils ont été, parmi d’autres groupes de pêcheurs, les plus performants et, de ce fait, les plus réputés…à détruire avec persévérance la ressource. Procès qui n’est qu’à demi instruit car les avis scientifiques sont partagés sur les méfaits supposés de cette technique de pêche. On peut faire confiance aux pêcheurs de l’île d’Yeu pour trouver de nouvelles solutions. Encore faut-il que le sommet, ici l’Europe et l’État, agisse de façon également intelligente, en aidant si besoin (mais chacun sait que les aides ne manquent pas) et, en tout cas en ne paralysant pas de façon systématique l’innovation. À trop vouloir "protéger" on finira par faire un autre procès à ce sommet de hauts fonctionnaires : n’entendent-ils pas se garantir, ici ou là, quelques petits paradis insulaires où il fera bon se ressourcer ? C’est contre cette manière de faire que les Îlais se sont aussi élevés lorsque le Conseil municipal démissionna en bloc à l’issue de l’affaire des permis de construire : certes, avec ce que cela suppose d’ambiguïté dans une situation qui tient aussi à des comportements locaux plus individuels que collectifs ; et les enfants paient un peu l’absence de réflexion des parents (après tout, il n’y a pas de "spéculation" immobilière continentale sur l’île). Mais on n’aura garde d’oublier l’esprit d’entreprise manifesté en maintes occasions : qu’il s’agisse de mettre en œuvre une politique plus protectrice du patrimoine naturel (infra) ou encore d’agrandir le port de plaisance (en 1997) dans le cadre d’une opération qui fut aussi l’occasion de repenser l’usage des différents bassins portuaires. Passant de 160 places offertes à plus de 500, Port-Joinville s’inscrivait ainsi dans le contexte pour lequel l’extension avait été conçue : exprimer l’insularité dont témoignent les chiffres puisque le nombre des nuitées est passé de 8 500 en 1995 à près de 15 000 en 1999. Une insularité revendiquée. B - L’insularité constitue en effet le second atout de l’île

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C’est elle qui en fait le charme pour les touristes et c’est elle également qui maintient la cohésion des populations locales. L’avantage évident de l’île d’Yeu est dans sa position, à moins d’une heure de Fromentine et dans un cadre climatique qui tranche largement avec les autres îles du Ponant. Cette position garantit une lumière déjà méridionale ; alliée aux toits de brique rouge, elle donne à l’île un attrait déjà méditerranéen, trait que l’on ne retrouve d’ailleurs ni à Ré ni à Oléron, îles-ponts ayant perdu de leur originalité par la liaison récente avec le continent. Cette lumière, c’est à l’ensoleillement de la côte vendéenne qu’elle le doit, phénomène maintes fois remarqué et donc source d’attractivité. L’île n’est pas, cependant, la côte banalisée dans ses paysages que l’on suit de Noirmoutier à la pointe d’Arçay. Elle doit à son éloignement et au déclin brutal de l’activité agricole, le maintien d’un parcellaire menu, à parcelles encloses de haies qui ont favorisé l’implantation discrète des résidences secondaires. En sorte que, en dépit des critiques classiques (mais ici convenues) le résident secondaire n’apparaît nulle part "occuper" les lieux et les altérer de façon irrémédiable : pour l’observer de façon clinique, il faut survoler l’île. À ce fait qui tient au foncier s’est ajouté la reconquête des champs par la friche et quelque part l’altération d’un milieu naturel que l’on a pu relever. Pour autant, ce phénomène a joué le rôle positif d’une reconquête par la nature "sauvage", celle que l’on découvre au hasard des promenades en vélo en direction de la côte rocheuse du sud-ouest. Ce double avantage a fait de l’île un bastion de l’isolement des résidents secondaires et c’est autant sur eux que l’on doit compter pour maintenir un caractère qui fait le charme incontestable des lieux. À tous d’y veiller. C - Le cadre naturel constitue en effet le dernier des atouts et sûrement pas le moindre Il est courant de considérer que le tourisme en a gravement affecté les caractères. Il faut voir les choses autrement et en particulier considérer le tourisme comme un fait : toute empreinte de l’homme sur le cadre naturel s’est traduite par une altération depuis que l’homme existe. Cette altération (entendons qui rend autre, différent) peut devenir une dégradation dès lors que l’on a des critères qui permettent de la qualifier comme telle. En dehors de cette approche presque scientifique, il n’est de jugement que moral : les "hordes d’excursionnistes" dénoncées dans le Cahier Nantais en 1991 (p. 46) et sans guillemets s’apparentent à cette forme de pensée sans grand fondement mais non… sans arrière-pensées. Ce cadre naturel tient en fait d’abord à la morphologie et à la manière dont les écosystèmes végétaux se sont développés à partir de ce cadre. En sorte que, ambiance climatique aidant (ambiente en italien, c’est l’environnement), c’est un aspect du paysage îlien qui est perçu comme attractif. Deux domaines sont particulièrement concernés, la côte rocheuse face au sud et au sud-ouest et le long ruban sableux et dunaire qui s’étire depuis Port-Joinville jusqu’à la pointe des Corbeaux au sud-est. L’un comme l’autre présentent des atouts dans le cadre du développement touristique et ils sont sensiblement différents. Les photographies aériennes d’après-guerre peuvent servir de base à la comparaison sur une cinquantaine d’années.

Le long de la côte "sauvage", battue par les longues houles du large, la pelouse des hauts de falaise est encore très reconnaissable, les sillons des sentiers à peine marqués et la lande d’ajoncs succèdent à la pelouse en quelques dizaines de mètres d’un écotone très caractéristique. Quelques bosquets marquent le début de l’emprise des résidences secondaires ; ce sont les premières conquêtes, face à l’océan, des cupressus dont l’envahissement de la frange côtière est bien la marque de la pression touristique. Épars à l’ouest, ils se font plus dense autour de la plage des Vieilles. Partout ailleurs, les petits champs dominent le paysage, avec les haies de pierre qui marquent, partout, la faible épaisseur des sols où pointe le granite : un bon marqueur pour qui cherche à comprendre les raisons du rétrécissement rapide de l’œkoumène cultivé à partir des années cinquante. Aujourd’hui, les choses ont évidemment changé, mais demeurent les haies de pierre quand se sont épaissies les landes à la mesure de l’abandon des terres de culture. Ces "friches" scandent la déprise rurale, mais elles fondent également les sentiers de découverte, à pied et surtout à bicyclette, d’une "nature" désormais recherchée. Quand les sentiers sont en terre battue, quand les fondrières se remplissent des averses de l’automne, ce sont des campagnes agréables que l’on traverse et si la mer n’est jamais bien loin, c’est à la couleur changeante des horizons brisés par la lande qu’on le perçoit. Rien là, en tout cas, de trop alarmant : on reprocherait plutôt aux équipes municipales successives

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d’avoir bitumé les sentiers au nom de la modernité peut-être, au nom du conformisme plus sûrement. En revanche, l’altération s’est faite franche dégradation dans le secteur des pelouses où la pression des hommes et des véhicules s’est renforcée : c’est là le prix d’une absence de gestion qui a marqué les trente glorieuses, faute que quiconque ne s’en soit réellement alerté. Il faudrait en recenser les signaux dans les bulletins des associations de protection de l’environnement pour avoir, du phénomène, une idée plus proche de la science que du sentiment. Pour autant, si la dégradation est manifeste et cela d’autant plus que l’on avance vers la pointe du But, face à l’océan, face aux brises et aux vents qui empêchent toute pousse de l’arbre mais tolèrent les pelouses, elle est en passe d’être endiguée. Ici comme ailleurs en bord de mer (voir les difficultés rencontrées entre Le Croisic et le Pouliguen), les piétons et les voitures ont élargi les déchirures du manteau végétal, creusé les fondrières, dirigeant ainsi les écoulements et une érosion de surface qui n’est pas négligeable. Depuis une décennie, une réelle politique de conservation a été entreprise, appuyée sur l’effort réglementaire de classement (par l’État et le Département) et sur des inventaires initiés de longue date par le Professeur Dupont, de l’Université de Nantes. Grâce à ces inventaires, on connaît les richesses floristiques de l’île et on peut désormais protéger plus efficacement les espaces dégradés. En bien des lieux, la diversité s’est appauvrie, mais le couvert demeure assez dense (au-delà du "mur" romain à la pointe du Châtelet, par exemple) et il ne semble pas utile de sanctuariser la côte sauvage au-delà de ce qui a été réalisé. La mise en place de barrières basses et de quelques barrages en enrochement suffit à limiter les effets des piétinements. Pour restaurer, il faudrait une autre politique, plus coercitive sûrement mais aussi plus concertée nécessairement, et reposant sur l’éducation de la population, à commencer par la population locale qui a ses rites, ses "droits" insulaires, tout aussi dangereux que le débarquement des "hordes" venues de l’est. Et cette politique de restauration n’est pas certaine de donner des fruits à moyen terme, ni même de donner des fruits du tout. On reste sceptique lorsque l’on voit à quoi aboutissent les politiques mises en place dans la presqu’île de Quiberon (secteur de Port-Bara, par exemple) ou encore le long de la Corniche vendéenne. Sanctuariser la nature et la restaurer n’a de sens que dès lors que se conjuguent potentialités naturelles et volonté politique : il est rare que les unes coïncident avec l’autre et quand bien même cela serait, rien ne dit que les résultats seraient aussi à la mesure des espérances. Il n’en va pas de même sur la côte dunaire de l’île.

Contrairement à l’affirmation un peu rapide de 1991, l’érosion côtière n’est pas un phénomène majeur sur la côte nord-orientale de l’île. Et l’érosion du massif dunaire a été assez sérieusement enrayée depuis maintenant une dizaine d’années. Si amélioration du "cadre naturel" il y a eu à l’île d’Yeu, c’est bien dans ce secteur remarquable. La municipalité, les services de l’État et l’Université se sont mobilisés pour améliorer une situation qui n’était cependant pas si catastrophique que cela. Pour y avoir participé, l’auteur de ces lignes peut apporter un témoignage un peu plus "objectif" que la moyenne. Certes, les cicatrices ne manquent pas dans les dunes entre la Grande Conche et la pointe des Corbeaux : pour autant, les photographies aériennes de l’immédiat après-guerre ne montrent pas un état idyllique… qui n’est que dans l’esprit de ceux qui ne connaissent pas grand-chose à la dynamique dunaire. Le "petit bois" a remplacé les dunes… et toute trace de la morphologie dunaire a disparu. C’est pourtant le lieu de prédilection de familles îlaises qui, pour rien au monde, chercheraient ailleurs un terrain pour jouer aux boules. Ce sont ces mêmes Îlais qui ont, le plus souvent, creusé les sentiers dans les dunes, épousant avec plus ou moins de bonheur les contours des dépressions interdunaires mais ce sont les estivants, la plupart du temps, qui ont entaillé la dune de première ligne de ces multiples sentiers d’accès aux plages. La municipalité a fait le gros effort de gérer l’espace dunaire en limitant les possibilités de circulation automobile (Îlais et estivants à la journée qui louent une voiture) mais elle a plus de mal à ordonner la divagation des vélos. Il est vrai que le sable, en quelques lieux, se charge de limiter les dérives. Et contrairement à une observation un peu rapide, le vent d’hiver qui souffle le plus souvent de l’ouest n’a guère de prise sur les dunes car il est très amorti par son parcours depuis la côte sauvage. C’est en limitant les accès aux plages que l’on a pu freiner la dégradation du massif : la gestion plutôt

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pragmatique n’a pas interdit la pénétration dans le massif, elle l’a canalisée vers les plages en respectant, autant que faire se peut, la dune "grise" si riche d’espèces originales qu’elle tient les sables assez efficacement, même l’été. C’est donc d’un véritable bilan qu’a procédé la politique de protection de la dune et de restauration du trait de côte, autre problème actuellement stabilisé.

Il est vrai que la côte reculait en quelques endroits et qu’elle recule encore mais, là où c’est évident, ce recul n’induit aucune protection lourde parce qu’il ne menace aucune habitation. Le seul endroit où la question s’est posée, c’est devant le petit fortin situé à proximité de la pointe des Corbeaux : il fut même question, sous la pression de son propriétaire, d’en assurer la défense. Ce à quoi ni la municipalité, ni les Services Maritimes n’ont pu se résoudre au début des années 1990 : la "nature" leur a donné raison et si l’étude commandée a démontré que l’érosion était une réalité dans ce secteur, elle a pu également montrer que le rythme en avait sensiblement diminué et que la manière dont se déplaçaient les sables le long de la côte garantissait quelques années de sécurité. En effet, la dérive portant vers le sud-est et le sable circulant comme il est de plus en plus démontré ici ou là par "convois", l’alimentation des hauts de plage amènerait assez vite suffisamment de sable pour stabiliser, sans aide extérieure, la plage devant le petit fortin. Les faits sont là, en 2002, la côte ne recule pratiquement plus et, en amont, la berme dunaire s’est remarquablement élargie, colonisée rapidement par le chiendent des sables et, à un degré moindre, par les oyats. Ici, inutile de chercher à l’implanter : il vient moins bien que le chiendent parce que les vents qui soufflent de l’est sont trop peu efficaces pour fouetter en permanence la plante, qui ne prospère guère. C’est le cheminement des sables sous l’effet de la dérive et la déflation modérée sur les plages qui maintient un équilibre qui ne semble, à l’heure actuelle, menaçé qu’à Ker Chalon où la plage démaigrit de façon parfois alarmante, effet induit peut-être de l’agrandissement du port de plaisance… Conclusion L’île d’Yeu reste singulière : seule "petite" île en centre-ouest atlantique, c’est aussi la seule où la pêche occupe encore une place aussi importante. Elle subit donc, plus que toute autre, les effets des politiques contemporaines que symbolisent Bruxelles et ses fonctionnaires et sûrement que plus que toute autre, elle doit être appréhendée dans le contexte contemporain du développement durable. La décennie passée, depuis que Jean Chaussade pilota un Cahier Nantais qui figure encore honorablement sur les rayons de l’unique librairie/presse de Port-Joinville, a été marquée de crises et de soubresauts qui traduisent plus la vitalité des Îlais que l’esprit d’abandon. Les perspectives du développement "soutenable" ne sont pas indifférentes aux habitants de l’île mais, par esprit de résistance à ce qu’ils considèrent comme trop "politiquement correct", ils n’abuseront pas du vocable. Pourtant, la gestion des espaces n’est pas très éloignée de viser l’objectif : la maîtrise du foncier est assurée par la "loi littoral" dans presque tous les lieux où elle s’impose à l’évidence et la maîtrise de l’accueil n’est pas si négligeable si l’on considère la manière habile dont sont gérés les massifs dunaires. Habile parce que la gestion ne s’inscrit ni dans l’esprit de la "réserve" (pour qui ?) ni dans celui de l’exclusion (pourquoi ? et de qui ?). Il n’est que de parcourir la presse "locale", du bulletin municipal assez dense aux quelques revues "patrimoniales" qui fondent leurs études sur la nature et l’histoire pour voir se dégager une manière de faire qui est aussi une manière d’être Îlais, de vieille souche sûrement et de fraîche date de plus en plus souvent. Pas un "modèle" parce que ce terme n’a guère de sens mais presque une éthique et notre ami Jean ne sera pas le dernier sans doute à s’en réjouir ; même si, en bon universitaire, il pourra contester les couleurs peut-être trop claires de ce modeste tableau. Bibliographie

CHAUSSADE J. (dir.), 1991. L’Île d’Yeu, phare du Ponant. Nantes, Cahiers Nantais, IGARUN/Ouest Éditions n° 37, 120 p.

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FERCHAUD S., 1999. Les petits métiers de la pêche à l’île d’Yeu. Mémoire de maîtrise de géographie, Nantes, IGARUN, 131 p.

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MIOSSEC A., 1994. Les dunes de l’île d’Yeu, état des lieux, dynamique et propositions de gestion. Rapport à la mairie de l’île d’Yeu et IGARUN-Nantes, 21 p. + annexes.

MORICE O., 1995. La plaisance à Saint-Gilles-Croix-de-Vie et à Port-Joinville, étude comparative. Mémoire de maîtrise de géographie, Nantes, IGARUN, 164 p.

PRUNEAU Y., 2000. Tourisme et développement local à l’île d’Yeu. Mémoire de maîtrise de géographie, Nantes, IGARUN, 120 p.