Livret sur mission ighil ali le chemin de terroir d'ighil ali avril 2016 2

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Le « Chemin de Terroir » d’Ighil-Ali Accueil et Echanges en France du 10 au 19 Septembre 2015 Document réalisé par : Nadjat Belarbi et Eric Barraud Avril 2016 Nadjat BELARBI E-mail : [email protected] ; Eric BARRAUD E-mail : [email protected]

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Pour ceux qui ne sont pas arrivés à visualiser le Livret de présentation d'Ighil-Ali (Béjaïa - Algérie) et de la mission effectuée en France (Septembre 2015) :

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Le « Chemin de Terroir » d’Ighil-Ali

Accueil et Echanges en France du 10 au 19 Septembre 2015

Document réalisé par : Nadjat Belarbi et Eric Barraud

Avril 2016

Nadjat BELARBI – E-mail : [email protected] ; Eric BARRAUD – E-mail : [email protected]

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Avant-propos

Dans un monde qui se cherche il faut ouvrir des chemins. Certains pensent que le monde est fini, d'autres se confient à un avenir de la

technologie ou au règne de la mondialisation donc de l'uniformisation et de la standardisation. Et pendant ce temps, il y a ces Hommes et

ces Femmes qui vivent au quotidien loin des grands Centres urbains, loin des lieux de Pouvoir, et qui se sentent plus ou moins abandonnés

dans leurs villages, leurs Terroirs. Mais qui n'en demeurent pas moins fiers d'habiter le Pays, celui de leur origine, celui de leurs familles.

Fiers et modestes, à la fois. Qui n'ont surtout pas le sentiment de s'exclure de ce que l'on appelle " les sociétés modernes " consuméristes.

Paysan français accroché à ses terres méditerranéennes avec sa famille, voilà comment je ressens cet Essai de Nadjat sur son Village Kabyle

d'Ighil-Ali, sur l’autre vie de cette mer commune, trait d'union entre les peuples.

Expression de fierté. Soif d’identité. Besoin de reconnaissance. Envie de reconnaissance. Tout cela je le ressens dans tous les textes qui nous

sont présentés avec la beauté du langage mais aussi avec force d’espérance.

C'est bien aussi ce que l'ont ressenti les personnes qui ont assisté aux différents concerts de la Chorale polyphonique ANZAN N'TAOS AMROUCHE. Joie

et plaisir mêlés d'émotion à entendre ces Jeunes Choristes porte parole de leur Village et de la culture berbère. Ainsi par les paroles et les chants, ils ont

touché les cœurs et ont permis par ces échanges et ces rencontres, de faire avancer, à la fois la Fraternité entre les Peuples et la Promotion de la vie et de la

culture de leur petite région que nous appellerons TERROIR comme le suggère Nadjat Belarbi.

Terroir de « IGHIL–ALI » : Terre des Hommes et Femmes Fiers, qui prolongent l'histoire et ont compris qu'il n'y a pas d'AVENIR sans la MÉMOIRE.

Que nous sommes les héritiers de ceux qui nous ont précédés. Nous avons reçu d'eux ce qui nous fait aujourd’hui. Héritage mais aussi Solidarité entre les

générations.

Comment demain, inventer de nouvelles formes de liens ?

Comment demain ce Terroir aura un devenir alors que certains ne l'imaginent pas dans un monde post-moderniste ?

Quelles ressources permettront d'y vivre dignement ?

Comment la première ressource, celle des hommes et des femmes, des jeunes peut relever le défi d'y créer une économie locale sans y perdre son âme ?

La Culture tout autant que les ressources naturelles, la biodiversité, les savoir-faire, les métiers, les recettes culinaires... pour ne citer que ces valeurs sont

elles aujourd'hui encore des biens communs susceptibles d'être reconnus.

Les réponses sont bien dans la recherche du bien commun, dans un travail de recherche, dans la passion qui ne doit pas manquer, dans les savoirs, dans la

capacité à se dépasser.

Et dans l'espérance d'un monde toujours à construire. Ensemble.

Dominique Chardon, Paysan en

Agriculture Biologique

et Fondateur de « Planète Terroirs »

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Depuis une dizaine d’années, dans un « cadre d’action » , un « Chemin de Terroir » apte à rassembler des hommes et des énergies se parcourt chaque année, suivi d’un « cadre d’échanges et de réflexion »

à travers des Rencontres en Forums Internationaux – Planète Terroirs. Un cheminement, un évènement, un accompagnement au service d’un Projet économique et territorial. Ce concept, mis en œuvre

par Planète Terroirs depuis 2003 (Bellegarde, Gigondas, Aubrac, La Valloire…), s’appuie sur une méthodologie, une pédagogie,

une organisation, un savoir-faire.

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Réunion du Comité de Pilotage, déc.2010, à Deir El Ahmar au Liban

« Chemins de Terroirs – Planète Terroirs » : Méthode d’élaboration d’un projet

de développement local selon l’approche terroir, pour initier une dynamique économique, créatrice de valeur ajoutée, d’emplois,

de « richesses », permettant aux populations de vivre dignement et durablement sur leur territoire,

en valorisant leurs ressources.

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S’inscrivant dans le projet de "Terroir du Pays de Saint-Félicien", des manifestations ont lieu chaque année dans un but de valorisation des ressources, savoir-faire et produits spécifiques. Celles-ci ont permis de relier les acteurs locaux et de leur faire prendre conscience des ressources de leur terroir, mais aussi de rassembler des représentants de différents terroirs du monde, ce qui a abouti à une démarche de développement local. La tenue des « Entretiens du Terroir du Pays de Saint-Félicien en Ardèche Verte »* est un des éléments clefs de la réussite de ce chemin : 1ère Edition : à Saint-Victor – Octobre 2012 ; 2ème Edition : à Colombier le Vieux – Octobre 2013 ; 3ème Edition : à Saint-Félicien – 10 et 11 Octobre 2014 ; 4ème Edition : à Saint-Félicien – 20 et 21 Novembre 2015. L’organisation des manifestations Terroir au Village permet de sensibiliser la population à la richesse de leur terroir.

* Vous pouvez retrouver l’ensemble des travaux des Entretiens du Terroir sur : http://www.paysdesaintfelicien.fr/Entretien-du-terroir-2012

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Pour la 3ème Edition (2014) et à l’occasion de son dixième anniversaire, l’Association Terroirs & Cultures International avait proposé au

Comité de Pilotage du Terroir de Saint Félicien d’organiser cette Edition à Saint-Félicien et de

rassembler différents terroirs du monde : France, Sénégal, Maroc, Algérie et Tunisie, et l’édition fut

appelée "Forum Terroirs du monde".

Un Comité de pilotage "Terroir Pays de Saint-Félicien" s’est formé avec les habitants du Pays de Saint-Félicien, l’Association Terroirs & Cultures International

et l’appui de la Communauté de Communes pour faire connaître et reconnaître le pays de Saint-Félicien. Ce Comité s’est élargi en créant des groupes de travail

autour de la valorisation d’un "Panier de Biens et de Services" spécifiques au pays.

5 "Terroir du Pays de Saint-Félicien" : au service de la dynamique des terroirs du monde

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Le « Terroir d’Ighil-Ali » Invité par

le « Pays de Saint-Félicien » Du 14 au 16 septembre 2015

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Discours de Monsieur le Maire de la Commune

d’Ighil-Ali, Béjaïa (Algérie),

A l’Attention de Mme le Maire de Vaudevant

et du Président de la Communauté

de Communes du Pays de Saint-Félicien

Nous sommes très heureux de nous retrouver

aujourd’hui, parmi vous, à Vaudevant en Pays de Saint-Félicien, ce territoire qui nous accueille pour nous exprimer sa générosité et nous offrir une hospitalité toute particulière.

Sachez, qu’à travers ma personne et la délégation qui m’accompagne, c’est toute la population

de ma commune qui se joint à nous pour vous remercier de votre sollicitude à travers votre invitation qui nous

touche et nous honore à la fois.

A tous ceux qui ont œuvré de près et de loin, pour que cette rencontre se concrétise dans un esprit

de convivialité et d’échange, nous vous disons merci du fond du cœur. Nous souhaitons un prolongement de ces

rencontres fructueuses pour aboutir, dans un avenir proche à un jumelage de nos communes respectives.

Tous les acteurs qui ont permis cette rencontre méritent d’être encouragés pour leurs efforts et leur bonne

volonté, à commencer par notre jeune ambassadrice Nadjat BELARBI qui a laborieusement tissé

ces liens d’amitié et nous a réunis aujourd’hui, malgré nos différances. Tout l’honneur lui revient ainsi qu’à tous ses interlocuteurs attentifs au sein

de l’Association « Terroirs Pays de Saint Félicien » et de la Communauté de Communes du Pays de Saint

Félicien et de la Municipalité de Vaudevant.

A travers les arts et la culture en général des liens se tissent et se raffermissent

avec le temps, au-delà de leurs différances culturelles, religieuses ou linguistiques, les peuples ne demandent qu’à se rencontrer, échanger et s’enrichir mutuellement

de leurs particularités. Il y a des valeurs communes à tous et qui sont notre dénominateur commun :

le patrimoine de toute l’humanité sans distinction de race, de langue ou de religion.

Les peuples doivent s’investir dans l’édification d’un monde meilleur, un monde des humains, un monde humaniste, notre maison commune à tous, où tout être

sur terre n’aurait à subir, la stigmatisation, la marginalisation, la xénophobie

et la haine de ses semblables.

Au-delà des contingences, les peuples se doivent de relever le défi de se créer, un melting-pot,

un grand carrefour qui s’inscrirait dans une ouverture vers l’autre, vers l’universalité et les valeurs humaines

nobles, si chères à tous.

Pour votre geste et vos bonnes intentions, à travers ma personne, ce sont tous les citoyens de ma

commune qui vous remercient chaleureusement et vous expriment leur profonde sympathie.

Nous souhaitons un resserrement de notre lieu d’amitié pour créer une tradition de rapprochement

et de rencontres de plus en plus fréquentes pour mieux nous connaitre. Nous devrons œuvrer

dans une optique de progression vers un avenir meilleur que nous osons espérer au profit de tous.

Créons-nous un dénominateur commun et regardons tous dans la même direction. Inventons

un monde de rêves et d’espérances.

Encore une fois, au nom de nos administrés nous vous disons : merci, merci, merci pour votre générosité

et votre hospitalité et je lance sans plus attendre une invitation à votre association.

Je vous remercie.

Djamal Djoulaït, Maire de la Commune d’Ighil-Ali, Béjaïa (Algérie)

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Le pays de Saint-Félicien en Ardèche Verte

l'ouest de la vallée du Rhône (à 30 mn), entre Valence et Lyon, le Pays de Saint-Félicien. Entre 320 m et 1100m, latitude 45°, un pays de moyenne montagne où l'agriculture contient la forêt qui descend sur les pentes. Ce petit pays se situe dans le nord de notre département qui mérite bien le nom d'Ardèche "Verte".

Un Pays, des hommes. Le Pays de Saint-Félicien, c'est le nom d'une Communauté de communes qui rassemble 4000 habitants en 7 villages et de multiples hameaux avec une densité moyenne de 30 hab./km2. Après plus d'un siècle de baisse de population (le même territoire comptait plus de 10 000 habitants en 1860), l'accueil de nouveaux arrivants laisse entrevoir une vitalité démographique.

La présence de nombreux résidents secondaires (de la région lyonnaise notamment) participe à la vie du pays.

Un Pays, une économie. Même en diminution comme partout en France, l'agriculture y reste importante sur le ménagement de l'espace et la création de richesses. Une association entre élevage (lait-viande) et arboriculture (abricots, cerises), un nombre croissant de fermes qui transforment et commercialisent leurs produits (fromages, charcuteries ou jus de fruits avec une petite coopérative). A peu près 130 "exploitations" et une fromagerie au rayonnement départemental.

Saint-Félicien, un bourg-centre vivant avec ses deux marchés hebdomadaires, un hôpital-maison de retraite (qui emploie 130 personnes pour 130 lits), 3 médecins, une pharmacie, un dentiste, une kinésithérapeute … un bureau de poste, un gymnase.

Un réseau de petites entreprises du bâtiment (maçons, charpentiers …), du transport (cars) ou du meuble (ébénisterie)

Un Pays, une histoire. Des villages et leurs multiples hameaux, en pierre (granit), typiques comme Vaudevant, Pailharès ou Arlebosc … avec ses petits châteaux certes mais aussi ses remarquables maisons paysannes à Saint-Victor, Bozas ou Colombier le Vieux. Des traces encore bien visibles de la conquête des pentes pour se nourrir, par des "terrasses" construites par une société paysanne organisée pour la survie. Une histoire inscrite dans les paysages que les randonneurs peuvent découvrir par plusieurs circuits "pleine nature". Une histoire longue influencée par les seigneurs hier, aujourd'hui par l'attractivité de bassins économiques de Tournon, Annonay, Valence, Lyon …

…/…

Jacques Deplace Paysan

Association «Terroir Pays de Saint-Félicien» ( http://www.terroirpaysdesaintfelicien.com/ )

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Un pays, des liens, un projet.

De nombreuses associations culturelles (théâtre, chorale, club photos, batucada …) ou de loisirs animent le pays de leurs fêtes qui se terminent souvent par un partage en amitié. Une manifestation internationale rassemble 12 000 cyclistes pour découvrir les routes de "l'Ardéchoise".

Au constat de la variété des savoir-faire, des produits (biens et services) de ce Pays, un groupe de personnes s'est constitué autour de la Communauté de communes pour les valoriser ensemble notamment par l'organisation des "Entretiens du Terroir" (2012,2013, 2014) qui ont rassemblé les acteurs (économiques, sociaux, culturels) du Pays. Une association "Terroir Pays de Saint-Félicien" s'est constituée cette année pour explorer ce chemin de terroir, en lien avec l'Office de Tourisme (et la CC) et avec… d'autres terroirs de chaque côté de la Méditerranée, construire une "Planète Terroirs", expression d'humanité …

Ighil-Ali au Pays de Saint-Félicien Lors des Entretiens "Forum Terroirs du monde" en octobre 2014, le Pays de Saint-Félicien a rassemblé 7 terroirs des deux côtés de la Méditerranée.

Mais qu'y a-t-il de commun entre l'Aubrac et les Iles Kerkennah, , les Dentelles de Montmirail et les espaces de l'Atlas marocain, Bellegarde entre Costières et Camargue avec la Kabylie autour de Bejaia …

Simplement une humanité à construire par l'échange et le partage. Les passeurs ici sont des relieurs, des transmetteurs de patrimoine, d'histoire, de savoir-faire … de culture simplement. Leurs prénoms disent déjà la diversité… Nadjat, Eric, Mehdi, Philippe, Jacques …

C'est en ce chemin, en cette fin d'été 2015, la venue de la chorale Anza N'Taos Amrouche au Pays de Saint-Félicien en concert avec celle de Colombier le Vieux comme le signe de printemps d'une humanité qui se cherche dans les broussailles de son histoire.

En concert !

… pour la difficile

et nécessaire

harmonie du monde …

Jacques Deplace

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Le terroir Ighil-Ali, un bourg de quelque 8000 âmes de cette Kabylie austère mais fière, en Algérie, un pays de montagnes s’il en est, est heureux de saluer les habitants du Pays de St-Félicien, en Ardèche, dont il est l’hôte à travers sa chorale « Anza n’Taos Amrouche », accompagnée de M. le Maire, Djamal Djoulaït, mon épouse, Zineb Belarbi, et moi, dans le cadre de l’initiative « Chemin de terroir ».

Et à voir cet énorme élan de générosité à notre égard, l’on comprend dès lors pourquoi le regretté Jean Ferrat avait si admirablement chanté cet autre pays de montagnes, l’Ardèche, dont il avait fait son terroir d’adoption après en être tombé sous le charme.

Des montagnes qui se rencontrent, une utopie paraît-il. C’est à croire que non pourtant. Et ce tour de force, nous le devons d’abord à la remarquable hospitalité des

habitants de la région, mais aussi à Nadjat Belarbi, une fille originaire du terroir Ighil-Ali et qui, au prix d’inlassables efforts et le concours de personnes dévouées telles Eric Barraud, Jacques Deplace, Philippe Bouvet et Jean-Luc, a réussi la gageure de déplacer d’Algérie en France et de faire accueillir et prendre en charge, une délégation de dix-huit personnes pour un séjour d’une dizaine de jours.

C’est dire toute notre reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui, de près ou de loin, ont pris part à la concrétisation de cette initiative, et que nous ne saurions jamais assez remercier.

La saga des Amrouche

«Anza n’Taos Amrouche» (Anza : terme kabyle signifiant appel d’outre-tombe, écho) est voulue par ses initiateurs comme une sorte de testament de cette figure emblématique de la lutte pour la préservation du patrimoine culturel berbère en général, kabyle en particulier, qu’est Taos Amrouche. Ces jeunes se sont en effet assigné la mission peu aisée d’aller dans le sillage de leur aînée et de reprendre le flambeau à leur manière, en y apportant parfois une petite touche de modernité. Une mission dans laquelle ils ont pour seul viatique leur jeunesse, la passion qui les habite pour cette entreprise et la conviction fortement chevillée au corps d’œuvrer pour un idéal.

Et ce voyage en France est pour eux l’occasion rêvée de s’affirmer dans la quête qui est la leur : la revalorisation, par le chant, d’un patrimoine culturel plusieurs fois millénaire. C’est faisant, vous leur avez permis de faire

connaître celui-ci au-delà des frontières de leur pays, et c’est en fait plus qu’ils ne pouvaient espérer. Et rien que pour cela, ils seront éternellement reconnaissants à toutes celles et ceux qui leur ont permis de poursuivre leur rêve sur les traces de leur aînée Taos Amrouche.

Marguerite Taos Amrouche est issue d’une famille d’aèdes, tels qu’ils étaient connus dans la pure tradition orale berbère, et le hasard de l’Histoire a fait que cette famille a été convertie au christianisme.

La saga des Amrouche, si on peut l’appeler ainsi, a commencé avec la mère, Fadhma Aïth Mansour,

Marguerite Taos Amrouche

Fadhma Aïth Mansour Amrouche

…/…

Rabia Belarbi Professeur de français et Proviseur

du Lycée d’Ighil-Ali à la retraite (Algérie)

Ighil-Ali à la rencontre du Pays de Saint-Félicien

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une femme admirable qui a su transmettre à ses enfants, tel un legs, un patrimoine culturel inestimable, fait de contes, proverbes, chants et autres poèmes. Et au crépuscule de son existence, elle nous a livré une bouleversante œuvre autobiographique intitulée «Histoire de ma vie». Une vie particulièrement tourmentée et qui mérite le détour d’une lecture.

Son fils aîné Jean El Mouhouv, écrivain et poète connu, était aussi journaliste et homme de radio dans cette langue française qu’il maîtrisait admirablement et qui lui avait permis de s’affirmer au monde en tant qu’homme de lettres. En témoignent les séries d’Entretiens littéraires radiophoniques qu’il avait réalisées dans l’émission qu’il animait sur les ondes de l’ORTF et qui lui avaient permis des débats restés célèbres avec des personnalités de renom telles André Gide, Paul Claudel, François Mauriac et Ungaretti.

Mais s’il s’est affirmé au monde dans la langue de Molière, Jean El Mouhouv Amrouche n’était pas moins préoccupé par la dimension berbère de son moi. «Si la France est l’esprit de mon âme, disait-il, la Kabylie est l’âme de mon esprit.»

Cette ambivalence culturelle, il l’assumait pleinement : «Je pense et écris en français mais je pleure en kabyle», avouait-il encore.

Y a-t-il meilleure manière de témoigner de son ancrage dans son terroir d’origine que cette sensibilité qui s’exprime exclusivement dans la langue de ses aïeux ? En fait, Jean El Mouhouv Amrouche n’avait jamais cessé de revendiquer haut et fort ses racines berbères,

africaines même dans son inlassable quête identitaire sur les traces de son illustre ancêtre « L’éternel Jugurtha ».*

C’est d’ailleurs dans cette même quête identitaire que s’inscrit son recueil de « Chants berbères de Kabylie ». Des chants recueillis de la bouche de la mère, transcrits de la main de la sœur Taos et traduits en français par Jean El Mouhouv, qui s’est félicité de voir sa sœur se mettre à l’école de sa mère pour "apprendre à chanter dans le ton juste et pour perpétuer l’art des clair-chantant inconnus dont elle est l’héritière", disait-il.

Marguerite Taos Amrouche, c’est d’elle qu’il s’agit, était d’abord écrivaine elle aussi. On lui doit notamment «Le grain magique», un recueil de contes, proverbes et poèmes qu’elle a traduits elle aussi du kabyle au français. Si traduire c’est hélas trahir, l’intérêt d’une telle

entreprise est loin d’être négligeable et réside surtout dans le fait que celle-ci aura permis de sauver de l’oubli ce trésor inestimable transmis de génération en génération. Un trésor que Marguerite Taos avait hérité de sa mère et dont elle était la dépositaire en quelque sorte. Cette traduction a eu également le grand mérite d’avoir ouvert les portes de l’université à ce patrimoine jusque-là confiné dans le seul espace culturel kabyle.

Marguerite Taos Amrouche était aussi connue pour sa carrière de chanteuse. Chanteuse d’opéra, ses monodies, qui se suffisaient de la seule force d’un texte suffisamment évocateur, porté par une voix sublime, étaient hautement appréciées de par le monde. Ce faisant, elle voulait en fait garder à ce type de chant, et notamment à la complainte kabyle, ce cri qui nous vient du fond des âges, son authenticité, ce cachet qui est le sien et qui lui avait été imprimé surtout par la gent féminine.

C’est qu’à une certaine époque où la parole était d’or si je puis dire, le chant, qu’il soit individuel ou en chœur, était présent partout dans la vie sociale kabyle (chant de la meule, de la cueillette des olives, du métier à tisser, etc.). Les chants servaient à raconter la vie de tous les jours et accompagnaient notamment les travaux des champs, les actions de solidarité, courantes alors au sein des villages kabyles. Les femmes en usaient à l’envi, puisque c’était là leur seul mode d’expression, pour fêter les événements heureux au sein de la famille et de la société (mariages, naissances, circoncisions).

Photo : Jean Amrouche et André Gide "Me suis laissé retenir à dîner, hier soir, par Jean Amrouche,

après une belle partie d'échecs. Son ami Jules Roy, le très sympathique aviateur, venu de Sétif, nous invitait."

(André Gide, Journal, 9 octobre 1942) d

…/…

* « L’Eternel Jugurtha » : Essai de jean El Mouhouv Amrouche, Revue l’Arche n°13, 1946.

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Très souvent, elles avaient aussi recours à la complainte pour extérioriser les peines, les chagrins, les souffrances et les frustrations longtemps refoulées, à pleurer l’exil de l’être aimé, entre autres. En un mot, la complainte permettait à la femme kabyle de traduire toute la détresse qui l’habitait et qui était en fait inhérente à sa condition de femme. Elle lui servait ainsi d’exutoire et pouvait de ce fait avoir un effet cathartique.

C’est cette importance du chant et son omniprésence au sein de la société kabyle qui ont conduit aussi bien Jean El Mouhouv que sa sœur Marguerite Taos à y consacrer une partie de leur œuvre, d’autant plus qu’ils disposaient d’une source intarissable en la mémoire de leur mère, mais aussi sa voix dans laquelle le fils décelait « la présence d’un pays intérieur dont la beauté ne se révèle que dans la mesure où l’on sait qu’on l’a perdu », disait-il.

Taos Amrouche et Marie Mourier, une quête similaire

Marguerite Taos Amrouche est à la Kabylie et son socle culturel ce qu’est Marie Mourier à l’Ardèche et au patrimoine immatériel occitan.

Deux femmes mues par un même désir ardent de sauver de l’oubli tous ces trésors d’une richesse insoupçonnée et qui , malheureusement, sont en voie de disparition. Et ce n’est pas un hasard si, dans les deux cas, nous avons affaire à une femme. C’est que dans les sociétés traditionnelles, dans lesquelles l’oralité était prédominante, sinon exclusive, la femme jouait un rôle central dans la préservation et la retransmission de la mémoire

collective. C’est à elle en effet qu’était dévolue la lourde tâche d’éduquer les jeunes générations et, du coup, de leur transmettre tout le patrimoine immatériel qui faisait la spécificité de telle ou telle société. Et, sagesse et expérience obligent, ce rôle était la plupart du temps dévolu à la grand-mère, la gardienne du temple en quelque sorte.

Cette espèce de parcours initiatique se faisait essentiellement à travers les contes, auxquels les enfants avaient droit exclusivement le soir, eux qui étaient ainsi amenés progressivement à découvrir et emprunter leur chemin de terroir, pourrait-on dire.

Le « Chemin de terroirs », comme voie de salut ?

Le « Chemin de terroirs », d’aucuns pourraient s’interroger sur le pourquoi d’une telle initiative et l’objectif recherché à travers elle.

A notre sens, il s’agissait là d’une réponse appropriée et qui s’est imposée comme une nécessité au phénomène de la globalisation dont soufre l’humanité toute entière peut-être un peu plus ailleurs qu’en France – allusion faite aux pays du Sud de la Méditerranée, entre autres – et qui a pour effet de laminer les couches les plus vulnérables de la société active, notamment l’ouvrier, l’artisan, le petit paysan et le petit commerçant qui, de plus en plus fragilisés, assistent impuissants à la remise en cause de droits arrachés de haute lutte par tous ces mouvements

syndicaux et autres qui ont jalonné l’histoire de l’humanité depuis la fin du 19e siècle et tout au long du 20e, et que l’on veut sacrifier sur l’autel du profit à outrance, devise sacro-sainte d’un libéralisme débridé. Un profit éhonté parce que n’obéissant à aucune morale, au point où désormais, même les puissants de ce monde ne sont plus à l’abri de ses effets pervers et dévastateurs.

C’est dire que le «Chemin de terroir» pourrait être une voie de salut, d’où l’importance de ces rencontres qui impliquent l’Autre celui-là même qui, au-delà de nos frontières, subit le même sont que nous, car, par-delà les différences de langue, de culture, de religion, de couleur et autres qui pourraient diviser les hommes, l’on se rend vite compte, dès que l’on se donne la peine de mieux connaître cet Autre, qu’il y a tant et tant de choses qui nous rapprochent les uns des autres, tant d’expériences à partager, que cela vaut vraiment la peine de faire un bout de chemin ensemble.

Marguerite Taos Amrouche Marie Mourier

Rabia Belarbi

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Au mois d'octobre 2014, le Pays de Saint Félicien avait organisé un « Forum des Terroirs ». A l'occasion de ces rencontres, nous avons découvert une jeune femme toute timide qui est venue présenter sa région et son village, Ighil-Ali en Kabylie, Nadjat Belarbi.

Le dimanche 11 octobre 2014, en clôture de ce Forum, une réunion de l'ensemble des Terroirs présents, a pris la décision de lancer une démarche pour mettre en place une « fédération de Terroirs ». Eric Barraud a été chargé de faire le lien entre tous ces Terroirs.

Cette démarche aboutit en 2016 à la création de l'« Association Planète Terroirs » au sein de laquelle vont se retrouver les différents Terroirs ainsi que des chercheurs avec au centre, Eric Barraud, relieur de Terroirs.

Au fil de nos conversations, Nadjat nous a fait découvrir la chorale de son pays et la grande chanteuse Taos Amrouche. Il n'en fallait pas plus pour faire un rapprochement avec notre Marie Mourier, défenseuse de l'Occitan, qui écrivait poèmes et chansons.

Le Comité de Pilotage du Terroir de Saint Félicien, sous l'impulsion de son président, Jacques Deplace, a alors décidé de faire venir cette chorale. C'est là que notre Nadjat va montrer tout son talent en motivant les effectifs et les autorités du côté de la Kabylie, en multipliant les démarches de part et d'autre de la Méditerranée.

C'est ainsi que, grâce au travail concerté entre Nadjat Belarbi, Eric Barraud, Jacques Deplace et le Comité de Pilotage, la venue de cette Chorale a été possible.

Incertaine jusqu'à la dernière minute, l'arrivée de la chorale s'est effectuée le jeudi 10 septembre à l'aéroport à Lyon. J'ai eu la chance en les accueillant de découvrir un groupe de jeunes souriants et heureux d'être chez nous, un peu comme dans un rêve. La « montée » vers St Félicien m'a permis de découvrir ces chants et surtout ces voix qui nous ont tant émus et bouleversés.

…/…

Visite de nos amis Kabyles au Pays de Saint Félicien

Philippe Bouvet Association «Terroir Pays de Saint-Félicien» ( http://www.terroirpaysdesaintfelicien.com/ )

Saint Félicien (Ardèche – France)

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Les quatre jours pendant lesquels j'ai eu le plaisir et la joie de les accompagner resteront pour moi, comme pour tous les gens de chez nous, des moments inoubliables. On pourrait citer mille choses, chaque instant de ces quatre jours. Le repas et le concert à l'Hôpital, Johnny Hallyday n'aurait pas mis plus le feu dans les couloirs et les chambres !!! Ce moment d'émotion avec un résidant qui était allé en Algérie pour y combattre.

Les circuits de visite du samedi et la découverte par nos amis kabyles de notre Pays. Le point d'orgue a tout de même été pour tout le monde ce concert dans la petite église de Vaudevant. Rencontre avec le Duo d'Oc qui a interprété des chansons de Marie Mourier, rencontre avec la Chorale de Colombier mais, surtout, pour nous tous, rencontre avec la Kabylie, avec ces costumes, ces jeunes et surtout ces voix, émotion, frissons et émerveillement.

Que dire de ce repas du dimanche soir concocté toute une journée par les quatre superbes voix féminines. Un dimanche soir de rencontre que j'ose dire familiale, nous étions entre nous. Puis le départ, hélas vers d'autres concerts sur des Terroirs amis.

Il ne faut surtout pas oublier que la Chorale était très bien accompagnée et entourée. D'abord, Nordine Bouzit, le chef de chœurs, avec lui joie et bonne humeur assurées.

Le maire d'Ighil Ali, notre ami, Djamal Djoulaït, toujours prêt à faire plaisir et avec qui j'ai pu parler longuement et surtout apprendre beaucoup. Je terminerai par le coup de cœur de ma rencontre avec Zineb et Rabia Belarbi. Que d'affinités dans nos conversations et cette joie intense d'être ensemble. J'ai hâte de vous retrouver tous.

Philippe Bouvet

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Tous les peuples à travers le monde et l'histoire possèdent une culture, une langue, un patrimoine, des us et coutumes qui les caractérisent. Cependant il existe des valeurs, un imaginaire, des vertus et une morale partagés par tous depuis la nuit des temps. Ce qui est devenu un bien commun à tous appelé communément le patrimoine de l’humanité. La musique et l'art en général n'ont ni frontières, ni nationalité. Au contraire, ils font tomber tous les préjugés que nous avons en nous pour permettre un rapprochement, un partage.

Anza N Taos Amrouche est une illustration édifiante et révélatrice de ce caractère universel et de cet héritage commun."Anza" est la dénomination choisie par un groupe de jeunes gens à leur chorale. Cette troupe se compose de 04 filles et 11 garçons, tous natifs d'Ighil-Ali, un beau et pittoresque village situé sur la rive droite du fleuve Soummam en Kabylie (Algérie).

C'est aussi ce même village qui a enfanté une grande dame de la culture berbère en particulier et de la culture universelle en général. Cette femme de grande envergure, a enrichi la littérature française par ses ouvrages qui sentent le parfum de cette âme Kabyle millénaire. Cette diva, chanteuse d'opéra, est la première romancière africaine et algérienne à avoir écrit dans la langue française en suivant les pas et les sillons que sa mère Fadhma lui avait tracés.

Le mot "Anza" signifie l’écho, c'est l'appel d'un agonisant, le dernier cri sorti des entrailles d’un mourant, avec l'énergie du désespoir. Aussi, par cette appellation " Anza N Taos Amrouche ", ces jeunes gens voudraient signifier à cette dame qui a contribué à sauver de l'oubli des pans entiers de notre patrimoine, que son appel est bien entendu, qu'ils sont prêts à prendre le relais et suivre la voie de nos ancêtres à qui nous devons reconnaissance et fidélité en gardant vivant cet héritage de valeurs humanistes et du riche patrimoine qu'ils nous ont légués dans la souffrance et la douleur. A nous de les honorer en gardant cette flamme allumée et en enrichissant ce précieux legs que nous devons transmettre à notre tour aux générations futures et aux peuples du monde.

Taos Amrouche (1913 - 1976) est une grande figure de la littérature et de l’art. Cette diva du chant ancestral recueilli par bribes de la bouche de sa mère et qu'elle a sauvé de l’oubli, entre ainsi de plain-pied dans l’universalité.

Ainsi donc, ces jeunes gens aux mêmes goûts et affinités, se sont rencontrés et se sont unis pour un même objectif : prendre le relais et faire un pied de nez à cette morosité culturelle ambiante.

En 2003, est née cette chorale qui promet bien des choses encourageantes. Elle s’est fait un nom qu'elle est digne de porter "Anza N Taos Amrouche ". A chacune de leurs apparitions, ces jeunes nous plongent dans un passé lointain par leur apparence en habits traditionnels authentiques, leur timbre de voix et le message qu'ils véhiculent à travers leurs textes. Une immersion exaltante !

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Abdelkrim Mesbah Professeur de français à la retraite

et poète (Ighil-Ali – Algérie)

Chorale Polyphonique "Anza N’Taos Amrouche"

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Ils chantent la vie, la mort, la douleur de vivre, la vie quotidienne de la femme et sa souffrance à travers l'histoire… Nos femmes qui ont évolué dans un milieu d'hommes et de traditions séculaires sévères, chantent pour alléger leur peine. C'est pour elles un exutoire, une consolation !

Cette chorale formée dans un souci de fidélité à la culture ancestrale kabyle, n’hésitera pas à adapter d’autres genres musicaux et chante en polyphonie, dans un chœur de voix avec plusieurs parties et en harmonie, allant jusqu’à quatre pièces et parfois plus. Anza N-Taos Amrouche a été présente à plusieurs manifestations musicales et de nombreux événements culturels, régionaux et nationaux.

Elle fut présente aux deux festivals internationaux de théâtre qui se sont déroulés, l’un à Béjaïa en 2012 et l’autre à Ait-Smail (kherrata) en 2013. Elle a par ailleurs obtenu de nombreux prix : - 2éme prix au concours national du chant patriotique gagné 2 fois de suite (2012 et 2013) ; -- 1er prix dans la même compétition lors de la ronde des qualifications en 2013. -Passages fréquents à la T.V algérienne, A3 dans l’émission JIL CHABAB (JEUNES GENERATIONS) et Canal Algérie, dans l’émission (BONJOUR D’ALGERIE) qui ont révélé ces jeunes gens au grand public et les ont sortis de l’ombre vers la lumière.

Cette troupe est polyvalente, dans le sens où elle chante dans d’autres langues en plus de la langue maternelle : Français, Espagnol, Anglais, Italien, Arabe,… Ces jeunes qui partagent la même passion, celle de pérenniser le chant traditionnel dans toute son authenticité, comptent sauver à leur tour des pans du patrimoine culturel berbère en enregistrant des chants très anciens.

Persévérants et sensibles à cette cause, ils se sont assignés la mission de s’ouvrir au patrimoine universel, en mariant la tradition à la modernité. Fidèles à la tradition orale des ancêtres, seule arme de résistance à toute invasion culturelle, ils se sont jurés de joindre leur écho à celui de Taos en lançant à leur tour ce cri déchirant « ANZA » qui a traversé l’espace et les âges.

Par son action, cette chorale compte marcher sur les pas de cette diva aux timbres de voix multiples et répondre ainsi à son appel lancé dans la douleur et la révolte. Ils espèrent susciter plus de rêves et d’espoirs pour faire revivre l’épopée de nos bardes et aèdes. Cette saga qui est celle de nos ancêtres, la nôtre à tous aujourd’hui, ne doit jamais s’arrêter. Elle doit continuer ! Nous devons garder son authenticité à ce chant de vie, ce chant millénaire, ce chant de l’éternité !

Abdlekrim Mesbah

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Le « Terroir d’Ighil-Ali » à « Beaumes-de-Venise »

Du 14 au 16 septembre 2015

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Le « Terroir d’Ighil-Ali » à « Saint-Martin-de-Valgalgues »

Du 16 au 17 septembre 2015

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Le « Terroir d’Ighil-Ali » à « Saint-Hyppolite-du-Fort »

Du 17 au 18 septembre 2015

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Comme pour un pèlerinage, Ighil-Ali, un village de la basse Kabylie, en Algérie, est de retour à Saint-Hippolyte-du-Fort… 54 ans après, à travers sa chorale « Anza N’Taos Amrouche », invitée à s’y produire au niveau de la « Maison familiale rurale », un établissement de formation d’animateurs en gérontologie dont la directrice, Mme Gaëlle David, a fait preuve d’une grande générosité en acceptant de nous accueillir et de nous prendre en charge. Qu’ils en soient vivement remerciés, elle et tout son personnel. Il faut dire aussi que cette escale obéissait à objectif pédagogique : la rencontre des jeunes de la chorale avec les élèves de l’établissement pour un échange d’idées.

Si j’ai parlé de retour et de pèlerinage, c’est parce qu’en juillet-août 1961, un groupe de jeunes adolescents d’Ighil-Ali, dont je faisais partie, était déjà venu en vacances dans votre ville, un village alors, sous la

conduite d’un Père Blanc (ordre de missionnaires religieux pour l’Afrique), en la personne du regretté Révérend Robert Duplan, un valeureux fils de St-Hippolyte. Que Dieu ait son âme.

Durant son passage à Ighil-Ali, de 1957 à 1963, Robert Duplan était notre instituteur-directeur d’école. Un rôle qu’il assumait pleinement pour déborder largement sur le domaine social. Et c’est ainsi qu’il avait entrepris, entre autres, d’organiser au profit de ses élèves des voyages et camps de vacances en Algérie et à l’étranger, dont ce séjour inoubliable dans son village natal.

Parti à Constantine en 1963, il s’est vu confier un an après par l’autorité diocésaine, la direction du collège Jeanne d’Arc, un établissement avec internat. Ce qui lui avait permis de poursuivre son action caritative en direction des plus démunis de ses élèves, dont beaucoup venaient alors d’Ighil-Ali, notamment en les dispensant des frais de pension.

Parallèlement à cette lourde responsabilité, le regretté Robert Duplan avait entamé, à l’âge de 40 ans, des études de médecine à la Faculté de Constantine, suivies d’une carrière dans la Santé publique qui avait pris fin en 1988 avec son départ à la retraite. Il avait alors 64 ans et était, du coup, totalement libéré pour pouvoir désormais se consacrer pleinement à son œuvre de bienfaisance, qui était en fait sa raison d’être.

C’est ainsi qu’il avait par exemple réussi à lever des fonds au niveau du diocèse de Nîmes pour aider à la construction d’un siège propre à l’Association culturelle Jean El Mouhouv et Marguerite Taos Amrouche d’Ighil-Ali et créer une section informatique pour les jeunes du village dont beaucoup étaient livrés au désœuvrement, avec du matériel acheté et offert par le secours catholique.

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Hommage au regretté Robert Duplan à Saint-Hippolyte-du-Fort

Rabia Belarbi

Père Docteur Robert Duplan

* Habitants de St-Hippolyte-du-Fort.

L’école Jean Amrouche à Ighil-Ali où Robert Duplan était instituteur-directeur

Siège de l’Association Culturelle Jean El Mouhouv et Marguerite Taos Amrouche à Ighil-Ali

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Je me rappelle qu’à la fin de ces vacances à St-Hippolyte, Robert Duplan, s’étant rendu compte qu’il n’avait pas suffisamment d’argent pour le voyage retour en Algérie, nous avait proposé d’improviser une soirée-gala un samedi soir, sur la place publique, et de faire appel à la générosité des habitants. Tout le village y était convié, et l’on avait alors chanté en kabyle, au son d’un harmonica, et dansé autour d’un gigantesque feu de camp. Les Cigalois* n’ayant pas hésité à mettre la main à la poche, on avait récolté un peu plus de 800 francs. Le lendemain, Mr le Curé du village nous faisait don de la somme de 250 francs, fruit des oboles recueillies auprès de ses paroissiens à l’issue de la messe dominicale. C’était pratiquement suffisant pour payer le voyage aux 25 personnes qui prenaient part au camp de vacances. La traversée en bateau Marseille-Alger coûtait alors 60 francs.

Je pourrais parler des heures et des heures, voire des journées entières, du regretté Robert Duplan et de son œuvre monumentale, mais le cadre ne s’y prêtant guère, je me contenterai seulement de dire que c’était un homme exceptionnel, d’une infinie bonté et d’un altruisme à toute épreuve, lui qui avait voué son existence à faire le bien autour de lui, avant d’être rappelé à Dieu le 24 mars 2011, à l’âge de 87 ans.

Aussi, il était de mon devoir, moi qu’il considérait comme un fils et qui l’avais accompagné 54 ans durant, de témoigner de cela ici bas devant les hommes, en attendant de pouvoir le faire devant l’Eternel. C’est aussi

l’occasion de dire à sa sœur, Mme Yvonne Estévenon, et à ses proches ici présents, qu’Ighil-Ali n’a pas oublié Robert, comme il ne saurait oublier tout ce qu’il lui avait apporté de son vivant.

Aujourd’hui encore, voyez comme l’Histoire se répète, avec cette chorale « Anza n’Taos Amrouche » et ces jeunes d’Ighil-Ali venus sur les traces de leurs aînés animer un concert à St-Hippolyte-du-Fort. Le hasard faisant parfois si bien les choses, nous aimerions, avec votre permission, saisir l’opportunité qui nous est offerte pour dédier ce concert à la mémoire du défunt Robert Duplan. Quelle meilleure occasion en effet que celle de voir des gens de son terroir natal et de son terroir d’adoption, réunis dans une totale communion, lui rendre hommage, lui qui aurait mérité bien plus en fait ? Et par la même occasion, j’invite l’assistance ici présente à avoir une pieuse pensée pour lui. Repose en paix Robert, du sommeil tranquille des justes.

* Habitants de St-Hippolyte-du-Fort.

Hommage rendu le jeudi 17/09/2015 à la Maison Familiale Rurale de Saint-Hippolyte-du-Fort

Rabia Belarbi

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Le « Terroir d’Ighil-Ali » à « Valflaunès »

Du 18 au 20 septembre 2015

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La Communauté de communes du Grand Pic Saint Loup fait partie d’un territoire appelé communément « les garrigues » ou « le pays des garrigues ». En 6000 ans, les hommes, le long de leur histoire, ont modelé -ou même « fabriqué »- la garrigue* : • Des sols calcaires, plateaux « karstiques » ou collines caillouteuses, autrefois couverts, à l’origine, d’une forêt « fermée » où dominaient de grands arbres (chêne pubescent notamment) ; • Un climat méditerranéen marqué d’une certaine continentalité : étés chauds et secs, hivers plutôt froids, pluies assez rares mais abondantes ; • Une implantation des premiers agriculteurs éleveurs, il y a 6000 ans, qui défrichent ou brulent la forêt pour un élevage pastoral (brebis et chèvres) et des cultures (céréales et pois…), « ouvrent » ainsi le territoire

et permettent un ensoleillement favorable à une grande diversité biologique ; • L’arrivée de la vigne et de l’olivier (par les grecs) puis une colonisation par les romains ce qui organisera les garrigues et les fixera dans un mode d’exploitation « ouvert » pour une longue durée (jusqu’au 20° siècle) ; • Une période contemporaine avec abandon des cultures et de l’élevage pastoral et « fermeture » des espaces de garrigues par embroussaillement et bois (et « mitage » urbain) qui restreignent fortement la pénétration de la lumière solaire et donc la biodiversité.

Aujourd’hui la Garrigue se présente comme une mosaïque de paysages et une biodiversité menacée : • Des pelouses et prairies sèches, bien adaptées au passage des troupeaux de brebis : vastes prairies à brachypodes rameux et autres herbes, ouvertes ou parsemées d’arbustes ou même d’arbres, pelouses ligneuses de thyms, lavandes… ou même couvertes d’aphyllanthes ou d’asphodèles.

• Des broussailles plus ou moins denses : associations de romarins, de cistes, genêts d’Espagne, coronilles, genévriers cades, pistachiers térébinthe ou lentisque… allant jusqu’à des couverts impénétrables de genêts scorpion ou de chênes kermès.

• Des cultures, essentiellement des vignobles (et des oliviers, des céréales…), souvent « enchâssées » dans des garrigues leur assurant une certaine protection phytosanitaire de par les pièges naturels de parasites et prédateurs ; ces vignes sont également une protection efficace contre la propagation des feux. • Des élevages pastoraux ou clôturés (moutons, chèvres, bovins…), devenus trop rares, et qui pourtant entretiennent le couvert végétal et une « ouverture » favorable à la biodiversité et à la protection contre les incendies. • Des bois plus ou moins « fermés » (selon la densité), de plus en plus nombreux, allant des peuplements de chênes verts, souvent associés à d’autres arbres (arbousiers, anciennes oliveraies, buis, chênes pubescents…) à des pinèdes de pins d’Alep, plus pauvres en biodiversité et très sensibles aux feux.

Actuellement deux grandes dynamiques en jeu s'observent : un abandon agricole et pastoral entraînant une fermeture (végétale) des milieux et un phénomène d'étalement urbain. De nouveaux défis sont à relever comme la maîtrise de l'urbanisation, la gestion des mobilités, la préservation des patrimoines, la relance de nouvelles formes d'agriculture, le partage entre différents usages de la garrigue, la valorisation des paysages, la prise en compte des risques (feux, inondations, érosion…).

Globalement la situation de la garrigue est très préoccupante : la disparition des élevages pastoraux et

* « Garrigue » au sens strict : type de couvert végétal broussailleux de type méditerranéen sur des sols de nature calcaire. Dans le langage courant : paysage odorant, couvert de plantes méditerranéennes, rude par ses sols, la rareté de l’eau et le soleil. En pratique le terme « garrigues » a été étendu à l’ensemble des espaces concernés comportant des garrigues de façon significative et comprenant donc des parties boisées ou cultivées, des zones habitées, etc. …/…

Jacques Lefort Chercheur honoraire au CIRAD

(Centre International de la Recherche Agronomique pour le Développement)

Montpellier (France)

Le pays des garrigues

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des surfaces cultivées (hors la vigne) ainsi que l’étalement urbain et le mitage (constructions dispersées) ont favorisé une « fermeture » du paysage et une perte considérable de biodiversité végétale et animale. Protéger la garrigue, l’entretenir (ouverte) et inventer des modes d’exploitation et d’occupation favorisant la biodiversité, constituent les enjeux d’aujourd’hui : • 1907 grandes manifestations viticoles puis nouvelle réglementation. Après 1931, lois et tensions sociales se répondent. • 1934, arrivée de la soie artificielle, disparition des derniers élevages de vers à soie. • 1956, grande gelée tardive: quasi disparition des oliviers et des productions végétales, hors la vigne. • Fin de siècle: le mouton et le berger s’effacent et embroussaillement et « fermeture » des garrigues.

Mouvement coopératif concernant le vin ; • Label VDQS puis AOC (1985) et AOP pour les vins du Pic Saint Loup (dans le cadre des Coteaux du Languedoc) • AOC pélardon (fromage caprin au lait cru) (Cévennes et garrigues) en 1980 ; • AOC huile d’olives (huile d’olives de Nîmes) en 2000 initiatives diverses: modernisation élevage pastoral, fromage de brebis, valorisation amandes, porc plein air, bovins extensif, tourisme de terroir, etc.

En cette première décennie du 21ème siècle, le pays des garrigues semble cependant hésiter entre deux avenirs: Une banalisation du territoire avec un espace de plus en plus fermé et impénétrable ponctué de lotissements résidentiels, commerciaux ou touristiques. L’activité économique est dans ce sas, de plus en plus réduite à un vignoble de masse résiduel autour de quelques villages

et à quelques activités touristiques profitant des rares rivières permanentes par exemple…C’est le scénario du laisser-faire dans lequel les initiatives identitaires ne sont pas soutenues et ne servent pas de locomotive au territoire. L’espace est alors de moins en moins riche en biodiversité méditerranéenne et les paysages se referment tandis que l’emploi est concentré en quelques points (bords de rivière, grosses communes). Un développement identitaire basé sur la richesse des garrigues (paysages, végétation et diversité biologique et culturelle, patrimoine bâti, etc.) avec des productions (et transformations/valorisations locales) mettant en valeur la typicité du territoire et s’appuyant parfois sur des Indications géographiques : vins de qualité, élevages viande ou fromagers, arboriculture méditerranéenne y compris les huiles d’olives, artisanat labellisé, valorisation des plantes aromatiques/médicinales, des petits fruits, du miel, exploitation rationnelle et durable des bois…, tourisme de terroir (oenotourisme, écotourisme…), loisirs autour des rivières et des grands sites, etc. La répartition de la richesse et des emplois dans le territoire est alors bien mieux assurée tandis que la biodiversité est gérée dans des conditions satisfaisantes

La Communauté de Communes du Grand Pic Saint Loup

Avec une surface utile couvrant 30 % du territoire, le secteur agricole occupe une place importante en Grand Pic Saint-Loup, même s’il a connu d’importantes mutations au cours des dernières décennies : il reste un secteur à fort potentiel, structurant les paysages.

La CCGPSL est un territoire cohérent mais pas homogène.

Il est nécessaire de prendre en compte la richesse que constitue cette diversité, c'est-à-dire les spécificités de chaque secteur géographique de la CCGPSL dont certains sont périurbains et d’autres ruraux, voire très peu peuplés.

Le territoire compte aujourd’hui près de 260 exploitants agricoles. Ce chiffre est en baisse de 50 % depuis les années 80, mais les surfaces agricoles utiles ont connu une baisse moins importante, indiquant par là une tendance à l’agrandissement des exploitations.

Malgré une baisse significative de la production, la filière viticole reste prépondérante, le vin représentant près de 93% de la valeur des productions agricoles du territoire. Dans ce domaine, la quantité a fait place à la qualité (AOC, vins de pays). Pour les autres filières, les productions se sont diversifiées depuis une dizaine d’années : olives, truffes, équidés, maraîchage… avec des démarches nouvelles comme l’agriculture raisonnée ou le bio.

La récente labellisation en Pôle d’Excellence Rurale du projet oeno-agro-touristique en Pic Saint-Loup porté par la Communauté de communes, va permettre de valoriser ces productions en combinant une offre touristique de découverte des paysages et du patrimoine, les activités de pleine nature et la promotion des produits du terroir.

Le réel potentiel de développement agricole est indissociable de la problématique de l’approvisionnement en eau. Cet approvisionnement constitue un enjeu majeur dans un secteur géographique ou la ressource en eau est inégalement répartie, et le climat très sec en période estivale

Jacques Lefort

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Au cœur d’Ighil-Ali

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Ighil-Ali, Ath-Abbas, jadis un terroir prospère et florissant …

L’histoire d’Ighil-Ali est liée, à partir du XVIème siècle, à celle du Royaume d’Ath-Abbas. Les Ath-Abbas sont les habitants de Bejaïa (Bougie) qui, lors de sa prise par les Espagnols vers 1510, ont fui leur cité pour se réfugier sur les monts des Bibans, où ils fondèrent une citadelle nommée la "Kalâa des Béni-Abbas/Ath-Abbas".

Lieu d’un grand raffinement, El Kalâa, actuellement un des villages de la Commune d’Ighil-Ali, rayonna longtemps sur la région, jusqu’à la fin des années 1830 et l’arrivée de l’armée française (prise de Constantine en 1837, expédition des Portes de Fer ou Bibans en 1839).

La citadelle fut un symbole d’identité et de prospérité économique. De ce fait, le village d’Ighil-Ali, à l’instar des autres localités d’Ath-Abbas, a connu un passé

florissant. C’est ainsi que ses artisans armuriers avaient fondu sur place un canon doté d’un blindage, qu’ils avaient acheminé sur Constantine, où le Bey Ahmed menait la résistance contre l’occupation française, et que de nombreux apprentis artisans venaient de toute la Kabylie s’initier à l'art de la bijouterie.

Ighil-Ali excellait alors dans les métiers artisanaux, dans lesquels s’étaient spécialisées des familles entières. Les produits ainsi obtenus s’exportaient partout à travers le pays. Aux maçons experts dans la pierre de taille et aux charpentiers, très recherchés dans la partie supérieure de la vallée de la Soummam, s’ajoutaient armuriers, bijoutiers, tanneurs et cordonniers, vanniers, ébénistes et sculpteurs sur bois, forgerons, bourreliers et matelassiers, tisseuses de burnous et de grosses couvertures en laine. Tout ce monde rivalisait d’adresse et d’ingéniosité, faisant de ce pays de montagne, pourtant peu doté par la nature, une véritable ruche d’ouvriers et d’artisans. Auteurs d’une petite "révolution" industrielle dans la région, leur rayonnement avait atteint les contrées les plus lointaines du pays.

Du début du XXème siècle à la Guerre d’Indépendance, les Ath-Abbas perdirent peu à peu leur rayonnement sur la région. Leur domination économique et artisanale déclina progressivement, et commença alors la migration forcée des hommes en âge de travailler. De nombreuses familles d’artisans se sont installées ailleurs (Alger, Oran, Constantine…), privant la région de ses créateurs de génie. Et la politique économique de l’Algérie indépendante n’a pas arrangé les choses en

optant pour les grands projets industriels. Les spécificités géographiques et socioculturelles propres à chacune des régions du pays, ont été ainsi négligées et dévalorisées, pour finir par être gagnées par un processus irrémédiable d’extinction.

Ighil-Ali d’aujourd’hui …

Depuis quelques décennies, l’habitat traditionnel cède la place à des constructions en phase avec les exigences de notre temps, la population étant raccordée à l’eau potable, à l’électricité, au téléphone, voire à Internet.

Parallèlement, le taux de scolarisation des enfants avoisine les 100%, même s’il y a beaucoup à redire sur le système éducatif en place. Tous les ingrédients nécessaires à un essor économique sont réunis. En fait, ce qui manque, c’est une stratégie mûrement réfléchie de développement local, qui s’appuierait sur l’inventaire de toutes les opportunités existantes, et serait ainsi à même d’assurer une occupation saine et un revenu décent à une jeunesse en déshérence.

Certes, des efforts louables ont été faits par les pouvoirs publics, dans le cadre de la politique d’emploi et d’insertion sociale des jeunes. Des crédits sont mis à la disposition de ceux d’entre eux qui sont porteurs d’initiatives intéressantes. Des projets individuels et des mini-coopératives de deux à trois personnes ont ainsi vu le jour dans des créneaux tels que le transport public (de voyageurs et de marchandises), notamment depuis la libéralisation du secteur, ainsi que les produits avicoles (poulet de chair et œufs). Un moulin à huile a également

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Nadjat Belarbi Ingénieur Agronome

Atouts du terroir d’Ighil-Ali au service du développement local

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été créé. Cependant, cela reste très insuffisant, et des pans entiers de cette jeunesse sont la proie facile de multiples fléaux, apanage des sociétés modernes, qui atteignent parfois des proportions alarmantes et qui ne manquent pas d’interpeller toutes les bonnes volontés.

Atouts du terroir à valoriser comme leviers de développement

L’ensemble des pratiques et des modes de production dans cette région relèvent principalement de l’économie d’autosuffisance. Quelques familles continuent encore à assurer une grande partie de leurs besoins à partir des ressources locales, utilisées en l’état ou après transformation sur place.

Il est important de se pencher sur les ressources mobilisables, qui renvoient à différents avantages comparatifs de ce territoire, comme les savoir-faire locaux, le patrimoine historique et culturel, les qualités paysagères, ce qui permettrait d’échapper à une concurrence basée sur le coût et de stimuler le produit local. Des ressources et des savoir-faire tels que :

Une oléiculture emblématique

Des activités féminines aux débouchés incontestables Transformation et art culinaire : - Le piment rouge séché puis réduit en poudre (Ifelfel Abbas) ; - L’ail frais pilé et transformé (Doua Tiskerth) ; - Le couscous traditionnel roulé main… Métiers d’artisanat et actions de formation professionnelle :

- La vannerie ; - Le tissage ; - La couture, la broderie, la coiffure,…

Ebénisterie et sculpture sur bois, un art ancestral

Musique, chant et danse - Les tambourinaires (Idhebalène) ; - Les chants traditionnels berbères ; - La danse d’Ath-Abbas,…

Il revient alors aux acteurs locaux d’identifier, de faire connaître et de développer les ressources locales, génératrices de revenus et aux débouchés certains, afin d’en tirer le meilleur parti.

Forger et requalifier l’image du terroir en mobilisant acteurs et ressources locales Une sensibilisation des villageois quant à la valorisation et la protection de leurs ressources naturelles et de leur environnement est un impératif incontournable.

Le développement de ce terroir nécessite une conscientisation collective des ressources locales, la mise en place d’une organisation mobilisant, dynamisant et fédérant les acteurs locaux, sans négliger une diaspora restant attachée au terroir et une coopération efficace entre autorités à l’échelle tant locale que plus large.

Ce terroir pourra constituer une région de tourisme par excellence, eu égard à la beauté et la diversité de ses paysages, à la richesse des traditions artisanales et culturelles…

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Nadjat Belarbi

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La Kalâa des Ath Abbas est le berceau et le noyau du royaume berbère des Ath Abbas. On ne peut pas parler d'Ighil-Ali sans parler de la Kalâa n’Ath Abbas qui fut une grande dynastie de l'époque d'El-Mokrani.

Le royaume des Ath Abbas a connu plusieurs émirs (princes) durant le règne de l’empire ottoman, dont Benabderrahmane, aïeul des Mokrani, venu d’abord s’installer vers la fin du 15e siècle dans les Bibans avant de se fixer définitivement à Ath Abbas. A sa mort, son fils Ahmed lui succéda et se donna le titre de roi. Il mourut en 1510 après avoir fondé la Kalâa N’ath Abbas, une forteresse inexpugnable perchée sur le sommet d’une colline à 900 m d’altitude, au milieu d’un grand massif montagneux, entourée de forêts de pins d’halès et de pinèdes datant du moyen âge. La capitale Kalâa fut ensuite détruite par l’armée coloniale française en 1871, durant l’insurrection d’El Mokrani.

Commme les pierrailles de ses collines, elle a résisté aux guerres aux forces de la nature et aux effets du temps. La Kalâa N’Ath Abbas est un de ces lieux forts qui représente notre histoire. Comme son nom l’indique,

la Kalâa est une citadelle naturellement protégée par les précipices qui l’entourent pratiquement à 360°; la seule voie accessible actuellement par véhicule abouti à l’entrée du village où subsiste un pan du rempart protégeant l’ancienne Ville (l’encyclopédie islamique parle, en citant Kalâa, d’une ville de 80000 habitants dans les temps anciens).

D’Ighil-Ali, la route qui mène vers El Kalâa est en ascension constante, sur 17 kms environ, jusqu’à la station de Boni. A mesure qu’on progresse, le maquis gagne du terrain avec des forêts de pins d’Alep et, parfois, d’arbres verdoyants bordant cette route par endroits lui conférant un charme inaltérable. Sur les crêtes des collines, fort nombreuses, des paysages enchanteurs s’offrent à nos yeux émerveillant les amoureux de la nature, surtout en pleine période de végétation avec toute cette verdure qui occupe les plaines.

La seule voie carrossable permettant d’accéder à Kalâa aboutit à l’entrée du village où subsiste encore un pan du rempart qui protégeait l’ancienne ville (l’encyclopédie islamique parle, en citant Kalâa, d’une ville de 80.000 habitants dans les temps anciens).

Au début de la guerre d’indépendance, en 1954, le village comptait environ 7 500 habitants. Aujourd’hui, il n’y subsiste plus que 130 foyers environ, le village

ayant souffert des bombardements répétés de l’armée coloniale. Le site est devenu si peu hospitalier qu’il est difficile d’imaginer, qu’à une certaine époque, il avait accueilli une capitale ayant connu un grand rayonnement. D’ailleurs, les quelques résidents qui y vivent encore se plaignent d’un manque criant de commodités les plus élémentaires. Pourtant, au regard de son passé historique, ce village aurait mérité un meilleur sort.

Le village de Kalâa est en effet riche de par ses nombreux vestiges historiques tels que la mosquée de Si Ahmed Oussahnoun, un illustre savant de l’islam, et le mausolée de Cheikh El Mokrani, vieux de plus de six siècles et dans lequel reposent les cinq rois des Ath Abbas, sans oublier cette espèce de banque de l’époque : un labyrinthe souterrain taillé dans le roc et où était caché le trésor de la famille royale en période de guerre.

Il y a aussi la Place d’Armes, une vaste cour qui recevait la cavalerie des Ath Abbas forte de 6.000 cavaliers. Il faut savoir en effet que la Kalâa était connue pour ses armuriers, qui excellaient dans la fabrication d’armes diverses et même de canons, mais aussi pour ses artisans émérites qui avaient la maîtrise de tous les métiers : orfèvrerie, bijouterie, sculpture sur bois, vannerie, tannerie, poterie et autres. Cette notoriété dépassait largement les limites de la Kabylie, pour atteindre les contrées les plus lointaines du pays.

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Ath Abbas : une mémoire et des hommes

Djamel Boulila Professeur de français

et Secrétaire Général de Mairie à la retraite (Ighil-Ali - Algérie)

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Quelques figures emblématiques d’Ighil-Ali et sa commune

o Cheikh El Mokrani,

de son nom complet Mohammed El-Hadj El-Mokrani, né en 1815, est le chef de l’une des insurrections successives survenues en Algérie pendant la conquête française, après la défaite de l’Emir Abdelkader, en 1847. De son vrai nom Mohand Aït Mokrane, Cheikh El-Mokrani est le fils d’Ahmed El Mokrani, gouverneur de la région de Médjana, dans les Hauts Plateaux, à une trentaine de kilomètres de Kalâa, sous l’Administration coloniale.

A la mort du père, le fils est désigné comme «Bachagha». Mais suite à un désaccord avec l’autorité coloniale, Cheikh El-Mokrani démissionne en 1871 et prend la tête d’une insurrection contre l’occupant, épaulé en cela par son cousin El-Hadj Bouzid et Cheikh El-Haddad, venu de Seddouk, dans la région de Bougie (Béjaïa).

Cheikh El-Mokrani meurt le 5 mai 1871*, dans une bataille livrée contre l’armée d’occupation, laissant son frère Boumezreg poursuivre le combat jusqu’au 20 janvier 1872.

o Jean El Mouhouv Amrouche ,

frère de Marguerite Taos, né le 6 février 1906 à Ighil-Ali et décédé le 16 avril 1962 à Paris, est écrivain et poète, journaliste, professeur et homme de radio à l’ORTF. Militant engagé durant la guerre d’Algérie, il met sa plume au service de l’indépendance du pays.

Très proche du Général de Gaulle, il sert d’intermédiaire entre ce dernier et le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), fixé alors à Tunis, dans le processus de contacts secrets qui avait conduit aux pourparlers entre les deux parties puis aux accords d’Evian et au cessez-le-feu.

A sa mort, le Général de Gaulle dira de lui : « Jean Amrouche fut une valeur et un talent. Par-dessus tout, il fut une âme. Il a été mon compagnon. »

Jean El Mouhouv Amrouche demeure malgré tout une figure mystérieuse, «cet inconnu» comme le désignait son compatriote et écrivain Kateb Yacine. Une part de son œuvre, encore non publiée, se découvre progressivement, révélant ainsi un poète d’envergure et universel. En traduisant en français les « Chants berbères de Kabylie », il en a fait un trésor de la poésie universelle.

o Marguerite Taos Amrouche ,

sœur de Jean El Mouhouv, fille de Belkacem et de Fadhma Aït Mansour, elle-même auteur d’une magnifique autobiographie intitulée «Histoire de ma vie», Taos est née à Tunis, le 4 mars 1913. Elle est l’unique fille d’une fratrie de cinq enfants. Originaire d’Ighil-Ali, sa famille est en effet installée en Tunisie.

Taos obtient son brevet supérieur à Tunis puis se rend à Paris. Dès 1936, elle entreprend la collecte des chants populaires berbères, avant de commencer, l'année suivante, à vulgariser ce répertoire en reprenant la tradition orale entendue de la bouche de sa mère.

Elle obtient ensuite une bourse d'études pour la Casa Velasquez à Madrid où elle étudie pendant deux ans. A partir de 1942, elle débute ses activités radiophoniques à Tunis et à Alger. Elle se marie avec le peintre Bourdil dont elle a une fille, Laurence Bourdil-Amrouche, aujourd’hui comédienne, et s’installe définitivement à Paris dès 1945.

…/… * La tombe de Cheikh El-Mokrani se trouve à Kalâa n’Ath Abbas (Béjaïa).

Jean Amrouche interviewant Paul Claudel

Marguerite Taos Amrouche n Amrouche (1913-1976)

Cheikh El Moukrani (1815-1871)

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A partir de 1949, elle réalise des émissions radiophoniques avec «Chants sauvés de l'oubli», et de 1957 à 1963, «Souvenons-nous du pays» ainsi que «l’Etoile de Chance». Après son divorce, Taos Amrouche poursuit sa carrière artistique en enregistrant plusieurs disques, notamment «Chants de l’Atlas», «Traditions millénaires des Berbères d'Algérie» et «Chants berbères de Kabylie» qui lui valent, en 1967, le Grand prix du disque. De confession chrétienne, elle ne cesse d'exprimer cette sensibilité d'écorchée vive avide d'affection qu’elle était. Romancière également (« L’amant ») et auteur d’un recueil de contes inspirés de sa chère Kabylie, elle recueille aussi les confidences de son ami l'écrivain André Gide (ces entretiens sont disponibles sur CD). Au début des années 70, sa prestation au Théâtre de la Ville est encensée par la critique et sa voix de soprano captive Léopold Sédar Senghor et l’écrivain algérien Mohamed Dib.

Elle meurt à Saint-Michel l'Observatoire, près de Paris, le 2 avril 1976, loin de la terre algérienne qu’elle a tant aimée. Et selon ses dernières volontés, une pierre orne sa tombe, avec pour unique inscription : Taos.

o Malek OUARY,

C’est ainsi qu'il commence à recueillir les productions orales kabyles avant de regrouper, en 1955, grâce à son travail de reporter, 17 reportages consacrés à l'immigration, sous le titre «Les chemins de l'immigration». A son époque, il était loin d'imaginer qu'un "indigène" puisse mettre sa plume au service d'un journal français.

Plus qu'un passionné de tradition orale, Malek Ouary a également versé dans l'écriture romanesque comme en atteste son premier roman, «Le grain dans la meule», paru également en 1955 et devenu par la suite un classique de la littérature algérienne.

Etabli en France à partir de 1958, il y poursuit sa carrière de journaliste et d'écrivain en publiant une brassée de poèmes kabyles, sous le titre «Poèmes et chants de Kabylie» (1974), et un second roman, «La montagne aux chacals» (1981). Une œuvre pleine de vérité et qui s'inscrit dans la réalité de la guerre de 1939. Il revient en 2000, au crépuscule de sa vie, avec un nouveau roman aux éditions Bouchène : « La robe kabyle de Baya ».

Longtemps sevré de sa culture et de sa langue maternelle par l'ostracisme et l'exclusivisme du système scolaire colonial de l'époque, l'enfant d'Ighil-Ali a concentré toute son énergie sur la quête et la collecte de documents, à l'instar des enregistrements des chorales féminines dans sa région natale et la traduction de contes et de poèmes.

Il décède le 21 décembre 2001, à l’âge de 85 ans, à Argelès-Gazost, dans les Pyrénées Orientales.

o Mouloud Kacem NAIT BELKACEM,

dit Mouloud Kassim, est né le 6 janvier 1927 à Ighil-Ali et décédé le 27 août 1992. Homme politique, philosophe, historien et écrivain, c’était un défenseur de la langue arabe, de l’islam et du nationalisme algérien.

Originaire du village Belâayal (commune d’Ighil-Ali), il apprend le coran et la langue arabe dès son jeune âge, avant d’aller entreprendre des études à Tunis, puis au Caire où il obtient une licence en philosophie. Il fréquente alors la Sorbonne pour enrichir ses connaissances et devient un grand polyglotte (anglais, français, allemand, en plus de l’arabe et du kabyle…). En 1954, il rejoint les rangs de la révolution algérienne.

A l’indépendance, le défunt est nommé en qualité de haut fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères puis cadre à la Présidence de la République, avant de se voir confier le portefeuille de ministre des Affaires religieuses et chargé du Haut Conseil de la langue arabe. C’est d’ailleurs à ce poste que M. Naït Belkacem se distinguera et sera connu du grand public. On se rappellera de lui surtout comme quelqu’un qui a contribué à la promotion et l’enrichissement de l’identité algérienne, ainsi qu’à la préservation et la sauvegarde de la langue arabe, dans sa dimension culturelle.

Djamel Boulila

Malek Ouary (1916-2001)

Mouloud Kacem Nait Belkacem (1927-1992)

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Longtemps considéré comme un héritage à conserver, notamment pour sa valeur existentielle, le patrimoine historico-culturel est actuellement de plus en plus reconnu comme facteur de développement. Pour autant, valoriser un tel atout est aujourd’hui essentiel et pourrait s’avérer salutaire. C’est le cas de la Kalâa des Ath Abbas, dans la commune d’Ighil-Ali, un site historique qui a connu une époque de splendeur, mais aussi de certaines pratiques culturelles propres à la région. Tout ce patrimoine n’attend que de faire l’objet de toute l’attention qu’il mérite, notamment par des initiatives porteuses et à même de permettre une réelle mise en valeur du génie local, plutôt que de servir à des exhibitions folkloriques sans lendemains.

La citadelle ou "Kalâa" d’Ath Abbas La Kalâa n’Ath Abbas, dans la commune d’Ighil-Ali (Béjaïa), en Algérie, est un territoire rural dont les restes d’un riche passé agropastoral, artisanal et commercial sont à réapproprier et à réhabiliter aux fins de servir de support de développement local. C’est dire que ce haut lieu de l’histoire de notre pays gagnerait à être inscrit dans une démarche de valorisation des atouts locaux mûrement réfléchie en vue de servir de facteur de développement économique de la commune, notamment par la création d’un ensemble d’activités génératrices d’emplois. L’histoire est une discipline qui fait appel à des savoir-faire multiples et concrets. Elle peut donc faire l’objet d’un projet de socialisation au sein d’une démarche participative. Et pour mener à bien une telle démarche, il faudrait avant tout renforcer les institutions existantes. Un tel processus passerait par exemple par : - La création d’une association ou d’une fondation, voire tout simplement d’une Agence de tourisme résolument tournée vers l’extérieur pour en faire une sorte de vitrine du patrimoine touristique d’Ath Abbas et, du coup, informer, répondre aux questions et attirer les touristes. Et pour mener à bien ces missions, elle devra s’attacher un personnel compétent et en nombre suffisant pour pouvoir assurer une présence maximale et fournir une large information par les canaux traditionnels (presse, affiches, guides, dépliants, plans du ou des villages en format de poche mettant en valeur le patrimoine sous toutes ses formes, les possibilités d’hébergement et de restauration, les moyens et stations de transport). Mais aussi une information qui fasse appel aux nouvelles

technologies telles qu’un site internet dynamique et interactif proposant des applications. - En se dotant d’un véritable Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP), pour servir d’outil de mise en valeur du génie local en la matière à travers les âges et permettre du coup de mieux comprendre le village et de sensibiliser les publics locaux à la qualité et la variété architecturales de la commune, et à la nécessité de préserver une telle richesse. En d’autres termes, le CIAP est un « lieu ressource » pour le village ou la commune (habitants anciens et nouveaux, touristes, architectes, enseignants, chercheurs…) visant à créer les conditions d’une véritable visibilité du patrimoine muséal et architectural. - En se rapprochant des acteurs et réseaux pertinents en matière de valorisation du patrimoine culturel et touristique, et ce, tant sur le plan local qu’aux niveaux régional, national et international. Une telle démarche pourrait passer par la création d’un musée, auquel on assurerait les moyens de publication, et de conditions d’un meilleur accès à l’information, mais aussi par l’optimisation du fonctionnement de l’Agence de tourisme, notamment en inscrivant résolument son action en direction d’un large public, dont des touristes. - Par la généralisation du recours à l’information numérique et la création de sites Internet dans plusieurs langues, sans oublier les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) et, éventuellement, les applications à télécharger. - Par l’édition ou la réédition de toute la «littérature» traditionnelle et technique inhérente à ce domaine (guides généraux et particuliers, plans renseignés du

Le patrimoine historico-culturel comme levier de développement local

Khiari Bassaïd Directeur d’école à Ighil-Ali

Correspondant de la presse écrite Animateur dans le mouvement associatif

(Ighil-Ali - Algérie)

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village et de la région, avec géo-localisation des sites touristiques, cartes postales, affiches, etc.).

"Amenzu n’tefsut" ou l'accueil du printemps A l’instar de toute la Kabylie, voire de nombreuses régions du pays, Ighil-Ali s’apprête à accueillir une journée qui occupe une place particulière dans l’année, une tradition si prisée et célébrée par les Berbères depuis la nuit des temps. Il s’agit d’Amenzu n’tefsuth (premier jour du printemps). Une journée célébrée le 15 du mois de « furar » du calendrier agraire local, correspondant au 28 février du calendrier grégorien. Un événement tant apprécié qu’on lui a consacré l’expression idiomatique suffisamment éloquente d’ «Amaguer n’tefsuth» ou «rencontre avec le printemps». En fait, c’est pour remercier la femme pour tous les travaux accomplis tout au long de l’hiver à ses côtés que l’homme, après avoir réfléchi à une manière originale de lui exprimer sa reconnaissance, n’a pas trouvé mieux que de lui dédier entièrement cette journée. La célébration d’ «Amenzu n’tefsuth» a un tel ancrage social que de nombreuses familles citadines reviennent chaque année au village pour y prendre part. Et comme à l’accoutumée, les préparatifs de l’événement ont débuté il y a quelques jours déjà, les commerçants étant au rendez-vous pour mettre à la portée des ménagères une grande variété de friandises et de bonbons de toutes sortes et de tous les goûts, qui vont aller garnir les petits paniers préparés à l’occasion spécialement pour les enfants. Une manière aussi de souhaiter que les jours et l’année à venir soient aussi délicieux. Ainsi, tôt le matin, les femmes préparent le repas spécial qui accompagne ce rituel d’accueil de la saison de

l’abondance et de la fertilité : un plat fait de couscous et de légumes et plantes champêtres cuits à la vapeur et mélangés après cuisson. Le tout assaisonné de piment rouge moulu, doux ou piquant, selon les goûts, propre à la région (Ifelfel Aâbbas), de condiments et d’huile d’olive, et agrémenté de viande salée puis séchée, d’œufs durs, de fèves fraîches et grains de maïs, de blé et autres céréales cuits à l’eau, symboles d’abondance. Ce plat, qui peut également être accompagné de petit-lait, est appelé «tchiw-tchiw» chez nous, et «ameqful» ailleurs.

Une fois leur menu prêt, les femmes, vêtues de leurs meilleurs habits, parées de leurs plus beaux atours et fardées, prennent leurs enfants par la main, sortent des maisons et s’en vont par les venelles du village puis par les sentiers sinueux à travers les oliveraies et les champs verdoyants et parsemés de fleurs sauvages, rejoindre par processions entières le lieu où se déroule ce rituel. Sur place, une ambiance familiale et festive est vite installée, faite d’embrassades et d’éclats de rire, les enfants arborant fièrement leurs corbeilles pleines de bonbons et autres friandises. Les femmes s’installent ensuite en cercle et animent l’ «urar» (chant en chœur), en frappant des mains et en dansant au son des bendirs, le tout dans un foisonnement de couleurs chatoyantes. De temps à autres, des youyous fusent du fond des poitrines et montent dans l’air, déchirant ainsi l’épais silence

environnant, pour s’en aller mourir au loin, en se mêlant au chant des oiseaux et au murmure de l’eau dans les ruisseaux. Tout le répertoire de nos plus belles chansons, traditionnelles ou modernes soient-elles, est ainsi sollicité, la fête durant jusqu’au crépuscule. Dans certains de nos villages, comme à Tabouanante par exemple, ce sont les «idhebbalen», groupe folklorique de quatre musiciens (un tambourinaire, un joueur de bendir et deux flûtistes), qui égayent ces interminables défilés de femmes et d’enfants qui s’en vont communier avec la nature.

Cette manifestation culturelle, fêtée exclusivement par les femmes, en l’absence de la gent masculine, est également une opportunité pour les mamans ayant un jeune homme à marier, de dénicher la perle rare, la «Cendrillon» dont elle rêve pour son fils. C’est qu’à une certaine époque, les jeunes filles n’avaient pas la latitude, tout au long de l’année, de sortir de chez elles. Cette fête était donc pour chacune d’elles l’occasion à ne pas manquer pour se mettre en valeur, avec l’intime espoir de trouver chaussure à son pied et de découvrir son prince charmant.

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Ce rituel, bien qu’épuisant par certains aspects, n’en fait pas moins partie de ces moments agréables et réjouissants vécus en communauté et dont la symbolique s’explique sans doute par un réel besoin de se ressourcer sur la terre des ancêtres. Est-il nécessaire de souligner la richesse de la région en événements culturels de ce genre ? Ces traits particuliers, qui font sa spécificité, gagneraient certainement à être mis en valeur pour servir de support à toute initiative de développement local.

La grive, entre passion et gagne-pain Nous sommes dans les montagnes des Bibans, précisément dans la région d’Ighil-Ali (Béjaïa). Et dans ce gros bourg populeux, comme dans toute la Kabylie d’ailleurs mais peut-être un peu plus ici qu’ailleurs, la chasse à la grive, en plus d’être une tradition qui remonte au fin-fond des âges, est aussi et surtout une passion. Si la récolte des olives est plutôt maigre cette année, ce n’est pas le cas pour la «cueillette» des grives. De l’avis de tous les chasseurs de la région, il est évident que ce passereau a migré en masse chez nous pour une fois. Et comme chaque hiver, les jeunes se mettent en quête de ce gibier tant apprécié et s’adonnent à d’interminables parties de chasse par des moyens divers, mais tous traditionnels les uns les autres (glu, collet, trappe…). Mais incontestablement, la chasse à la glu est de loin la plus usitée. Une touffe d’alfa à 50 dinars, de la colle à rats italienne achetée 180 dinars le tube, quelques raquettes de figuier de barbarie (cactus) et un couteau bien aiguisé, voilà à quoi se résume l’arsenal de guerre du parfait chasseur de grives.

Par ailleurs, si pour certains ces parties de chasse sont un loisir et un plaisirs, pour d’autres en revanche, c’est tout simplement un gagne-pain. Le fruit de la chasse étant cédé à 80 dinars l’unité, les jeunes chasseurs gagnent amplement leur journée. «C’est là un prix qui ne décourage guère les amateurs de la chair tendre de ce volatile, qui savent fort bien que lorsqu’on aime une chose, on ne compte pas ses sous», nous dit Rabah, un chômeur qui a fait de la chasse son gagne-pain et que nous avons accompagné lors d’une de ses sorties sur le terrain.

Nous prenons le chemin en direction d’Azrou n’Gagha, un promontoire rocheux très boisé et situé à près de 800 mètres d’altitude au-dessus d’Ighil-Ali, encore recouvert d’une épaisse couche de neige et où, à la nuit tombée, les arbres servent de gîte à des colonies de grives et autres étourneaux. Là, le rituel, immuable, commence toujours par l’application de la glu sur l’alfa. Notre ami découpe ensuite ses raquettes de cactus en petits dés. Après quoi, il ramasse son matériel de chasse, se saisit de sa gibecière et entreprend d’escalader l’olivier sur lequel il a jeté son dévolu, et qui a été choisi 3 pour sa situation stratégique. La suite est affaire de doigté et de vision. Rabah fixe alors quelques carrés de cactus au bout d’une branche et y plante chaque fois trois à quatre gluaux (brins d’alfa) tendus dans toutes les directions.

C’est tout l’arbre qu’il faut piéger ainsi, du sommet à la base des branches. Opération minutieuse s’il en est et qui demande des heures de travail, perché à dix ou quinze mètres du sol. Vers 16 heures, Rabah nous invite à rejoindre son poste de guet : une petite hutte de branchages au pied d’un arbre pour se mettre à l’affût et attendre que Dame grive veuille bien faire son apparition. Une heure après, le visiteur tant attendu commence à arriver, par vaques successives. Mais aux environs de 18 heures, c’est la ruée. Les grives sont en effet des milliers à remonter de la vallée de la Soummam et à affluer vers le site choisi pour se trouver un abri où passer la nuit. Et chaque fois que l’une d’elles se pose sur l’arbre de notre «trappeur», elle s’englue, chute lourdement au sol et finit dans la besace de notre ami. A la nuit tombée, Rabah décide de lever le camp, après avoir fait pâle figure cette fois, la chasse ayant été plutôt maigre. Quelque 20 grives seulement sont venues garnir sa gibecière, ce qui est une mauvaise journée pour lui qui à l’habitude d’en afficher jusqu’au double à son tableau de chasse. Sur le chemin du retour, Rabah et ses camarades ne pensent et jurent que par un autre score, bien meilleur celui-là, à réaliser le lendemain, le surlendemain et les jours à venir, et ce jusqu’à la fin de l’hiver, qui sonne le grand départ des grives vers l’Europe et la fin de cette espèce d’histoire d’amour qui lie le montagnard à son hôte de passage. Une longue histoire qui se répète chaque année, telle un rite, et se perpétue depuis la nuit des temps, jusqu’à se confondre avec les traits culturels spécifiques à la région.

Khiari Bassaïd

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Ighil-Ali ! Un nom à résonnance culturelle dans la vallée de la Soummam, ce village perché sur les hauteurs de cette chère Kabylie se cherche depuis l’Independence de l’Algérie. Située dans le département de BEJAIA (BOUGIE), il est le fleuron de la tribu des ATH ABBAS de par sa composante humaine qui s’illustre dans tous les domaines de la vie active. La rudesse de son relief ainsi que son climat ont forgé la personnalité de sa population dans la vigueur. Perché à pus de 700 mètres d’altitude, en zone montagneuse, il contemple en contre bas la vallée de la Soummam. Regardant vers le nord, il salue avec véhémence le majestueux mont Djurdjura de cette grande Kabylie magique. A chaque fois que je vais à Ighil-Ali, ma nativité de montagnard, que je ne perds nullement au demeurant, se regorge. Elle m’interpelle sur ma vie citadine non désirée. Instinctivement, je redeviens l’enfant chéri de ce village à mille facettes plus attrayantes les unes que les autres.

Mon village est riche de sa culture, de ses arts et métiers et de ses hommes. L’est-il toujours ? Suis-je dans le présent ou au contraire prisonnier de mon enfance, de mes souvenirs, de mon passé, glorieuse période où les deux rues principales du village foisonnaient de commerces, d’artisans qui faisaient à la fois la richesse et la renommée d’Ighil-Ali.

L’indépendance de l’Algérie a ouvert de nouveaux horizons à la population rurale qui aspirait à de meilleures conditions de vie. Mais le médaillon de cette Indépendance si rutilant en sa face, avait un revers qui ne présageait rien de bon pour la localité. L’appel de l’aventure a fait que les nouvelles générations instruites et cultivées cherchaient légitimement de nouveaux horizons plus cléments laissant derrière elles cette terre si nourricière avec ses rudes conditions de vie.

L’artisanat, qui était source d’échange tant commercial que culturel générant un mouvement de population animant la vie sociale, périclitait faute de relève. Les tanneries, dinanderies, ferronneries, selleries tapisseries, bijouteries, cordonneries armureries et autres n’existent plus à Ighil-Ali.

Un seul représentant de ces arts et métiers brave le temps : Mustapha Belmihoub un armurier de talent. Son atelier est figé dans le temps. Rien de changé ni dans l’art ni dans la manière de faire. Son geste contrôlé, maitrisé, non routinier, nous dévoile toute son application pour soigner et parfaire son travail. Le déclin de toutes ces activités a eu des conséquences fâcheuses sur l’économie locale.

Chef lieu communal depuis la fin de la 2eme guerre mondiale, Ighil-Ali qui compte 15 villages, voit sa population régresser d’une manière inquiétante. Elle passe ainsi de 15 000 habitants à 9 000 habitants en l’espace d’une décennie. Cet exode massif qui tire ses origines particulièrement durant la décennie noire qu’a vécu le pays perturbe radicalement la vie socio-économique.

Le manque d’infrastructure culturelle, éducative et sportive adossé à un taux de chômage important donne naissance à tous les maux sociaux, lesquels sévissent au quotidien dans ce village réputé pour son niveau culturel et intellectuel. Les tentatives menées par les différentes associations culturelles et sportives, par des activités attractives, afin de juguler ces maux restent en deçà des espérances et ce, par manque de moyens.

Le mal vivre de la population, de la jeunesse en particulier génère des comportements marginalisant socialement. L’incompréhension et l’indulgence envers nos enfants sont la conséquence directe de notre incapacité en tant qu’adultes, parents et société civile à être à l’avant-garde de tout ce qui pourrait les toucher ou porter atteinte à leur intégrité psychologique.

De par notre comportement, il est justifié de nous interdire un quelconque droit de les blâmer encore moins de les réprimer. Il est de notre obligation de les écouter, de les assister et de les orienter, de faire en sorte que demain, ce village qui nous est si chère, ce joyau de la Kabylie, ce fleuron des Ath Abbas fleurisse et prospère entre leur main.

Mon village. Ma Kabylie ! Naguib Hamouche

Journaliste (Alger - Algérie)

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Transmettre c’est faire passer quelque chose à ceux qui viennent ensuite. Nos sociétés ont toujours fonctionné ainsi. Chaque génération transmettait ses savoir-faire à la suivante qui les adaptait au lieu et aux besoins nouveaux, la notion de temps n’était pas la même. Mais cette chaine des transmissions a connu des ruptures.

L’évolution des techniques est devenue trop rapide, c’est la révolution permanente. Une génération en vit plusieurs et n’a plus le temps de s’adapter et encore moins de transmettre, ou même elle s’inverse, de la nouvelle vers l’ancienne. A quoi bon transmettre quelque chose qui ne va plus exister quelques mois plus tard. Ce savoir-faire devient inutile voire déshonorant. C’est le progrès dit-on, il faut rompre avec le passé, être moderne, compétitif. Le temps de l’obsolescence et de la consommation est venu.

C'est ce qui s'est passé dans le monde rural français d'où je viens. La chaîne s'est rompue, la transmission ne s'est plus faite.... les savoir-faire ont disparu, les campagnes et petites villes se sont vidées. Certains, maintenant partent à la recherche de ces savoir-faire des générations précédentes mais il n'y a presque plus personne pour les transmettre ; plus de maréchal-ferrant, plus de tailleur de pierre, de cordonniers, bijoutiers, vanniers.... l'artisan a disparu et avec lui le tissu économique local et à la place... le désert social, culturel.

Le progrès est nécessaire, il rend la vie et le travail plus facile mais il ne doit pas être une rupture avec les savoir-faire anciens. Il doit, au contraire, les intégrer, les faire évoluer, les adapter, les digérer pour qu'ils perdurent. La nouvelle génération peut en faire une richesse, en tirer fierté et honneur. Ceux qui transmettent seront heureux et fiers de voir se perpétuer et évoluer le savoir qu'ils avaient eux-mêmes reçu de la génération précédente et adapté à leur temps.

J'ai eu la chance et l'honneur d'être invité à Ighil-Ali. Mon hôte m'a promené dans des quartiers préservés du modernisme. J'ai pu voir les belles constructions en pierre, les magnifiques portes avec leurs systèmes

de fermeture originaux ; les porches servant de lieux de rencontre, de palabre, de règlement des conflits, des litiges.... les échoppes et petits commerces qui existaient encore.... mais aussi l'anarchisme des nouvelles constructions et l'utilisation quelquefois abusive des nouveaux matériaux de construction. La préservation et la propreté des lieux n’est pas toujours une priorité.

La jeunesse d'Ighil-Ali peut s'enorgueillir des savoir-faire de leur parent, s'en emparer, en les adaptant à notre époque pour ne pas les « folkloriser » et les enfermer dans des musées. Cette jeunesse est riche de tous ces savoir-faire encore présents, mais il faut faire vite, le temps passe, et puis…. il est trop tard.

Je sais qu'il existe déjà des tentatives réussies, menuisiers, luthier, chorale de jeunes revisitant des chants traditionnels et sûrement d’autres initiatives dont je n’ai pas eu connaissance. Elles peuvent être multipliées et développées pour qu’Ighil-Ali et sa belle région gardent leur dynamisme et que leur jeunesse soit fière de pouvoir y vivre. C’est à cette tâche que les nouvelles générations, avec l’aide des anciens et des pouvoirs publics locaux, doivent s’appliquer.

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Vivre à Ighil-Ali Pierre Lestang

Agriculteur et Enseignant d’Histoire-Géographie à la retraite (France)

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Située dans la wilaya de Bejaia dans la vallée de la Soummam et perché à 800 m d’altitude entre les montages de la wilaya de Bejaia, Bordj-Bou-Arréridj et Bouira, Ighil-Ali est un berceau culturel très connu en Algérie, sa population est désignée par l’appellation « Ath Abbas ».

La région est connue par sa richesse en arboriculture fruitière, en vergers d’oliviers, en cultures potagères, en spécialités de fabrication condimentaires traditionnelles, en artisanat notamment la sculpture sur le bois et la vannerie.

Par exemple le village de Tazla à 30 km d’Ighil-Ali possède des légumes et des fruits uniques en leur genre, qu'on ne retrouve pas ailleurs, le cas : d’une tomate rose, grosse pulpeuse comme décrite par un membre de l’Association Tala, d’un haricot vert très long, de 20 à 25 cm, d’un poivron charnu appelé « Ifelfel n’Ath Abbas » et d’un chou à un goût particulier. On retrouve

également dans ce village de la figue noire et verte, des olives, une variété de poire exquise et une pêche tardive marquée par le terroir de la région. Tous ces produits sont cultivés biologiquement et font la fierté d’Ighil-Ali.

Cette richesse agriculturale s’est maintenue grâce aux pratiques ancestrales et traditions locales des villageois, notamment par les femmes qui ont su donné de la valeur ajoutée à certaines productions, comme la conservation du piment rouge appelé « piment d’Ath Abbas » ou l’ail frais pilé et transformé « Doua Tiskerth) ».

Il est vrai que ce village n’a pas bénéficié d’un intérêt des pouvoirs publics comme beaucoup d’autres villages en Algérie car son développement nécessite une approche spéciale liée à de nouveaux modèles de gouvernance en cours d’être mises en place dans notre pays.

La Daïra avec la participation des riverains, des associations, des producteurs, petits et grands, devraient s’engager sur une démarche participative pour attester de la valeur ajoutée des produits de terroir et garantir la

durabilité des ressources naturelles et préserver les écosystèmes rattachés à ce patrimoine. Sans cette approche intégrée, aussi importante pourra être la production et le marché à long terme, il n’en restera rien du tout.

L’approche est fondée sur le cercle vertueux de la qualité condition sine qua none pour que le village d’Ighil-Ali puisse se développer économiquement. L’utilisation du système de qualité des produits agricoles ou d’origine agricole destinés à la commercialisation, selon le décret exécutif n°13 du 7 juillet 2013, est le principal ancrage pour le développement socioéconomique de la région et la création de l’emploi rural.

Tout d’abord, une organisation des acteurs locaux est nécessaire pour collaborer avec les pouvoirs publics en place dans la réalisation des étapes suivantes : Etape1 : l’« Identification » des produits de terroirs de la région et des ressources locales nécessaires à sa production. La prise de conscience par les acteurs locaux et des producteurs de l’existence du potentiel local qui sera le point de départ de l’action collective ; Etape 2 : la « Qualification » est un processus qui vise à lier la qualité et la spécificité des produits au milieu d’origine. L’objectif est d’aboutir à l’unanimité quand à la description précise des produits et des attributs de la qualité. Cette étape doit aboutir à l’élaboration d’un cahier des charges pour la labellisation évidente de certains produits comme « ifelfel d’Ath Abbas », l’huile d’olive et la figue.

Ighil-Ali n’est pas un village pauvre ! Amina Younsi

Experte en qualité Président de l’Association de la protection

des ressources génétiques algériennes

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Les territoires montagneux en Algérie concernent 711 communes dans 34 Wilayas et constituent des espaces plus pauvres et isolés par rapport aux plaines, à cause de leurs handicaps liés au relief, au climat, au manque de terres agricoles, aux coûts des travaux et à la faiblesse de leur attractivité pour les investissements. Le dépeuplement de la majorité des territoires montagneux est assez avancé, plus particulièrement depuis les années 90, suite aux bouleversements survenus durant la "décennie noire". Du fait de leurs handicaps, la fragilité de leurs ressources et la non adaptation des modèles de développement pratiqués en zones de plaines, les zones de montagnes sont appelées à innover et concevoir leurs propres modèles.

En effet, pour assurer leur développement, en plus des aides de l’Etat, les territoires montagneux sont appelés à compter sur la valorisation des atouts liés à leurs

spécificités locales pour produire un modèle de développement valorisant les ressources et le patrimoine culturel locales, et qui soit basé sur l’intégration de toutes les possibilités de diversification économiques locales. Les produits de terroirs, dans leur diversité, peuvent constituer l’un des piliers du développement économique durable des territoires montagneux, dans le cadre de filières intégrées, courtes, centrées sur le développement et l’intégration locale de la valeur ajoutée.

Le cas de la commune d’Ighil-Ali, l’une des communes les plus pauvres d’Algérie située dans les montagnes de petite Kabylie, constitue un exemple parfait des possibilités de développement que peut produire la libération du génie locale combiné à la valorisation des ressources et atouts locaux.

L’existence dans la région de plusieurs atouts, dont la biodiversité de l’olivier et du figuier, encore largement méconnue, certains produits condimentaires, tel que le piment rouge d’Ighil-Ali, constituent des atouts majeurs pour amorcer un auto-développement local. Cette typicité, et diversité locale, peut être reconnue et intégrée dans la construction de filières économiques à forte valeur ajoutée et constituer la base à la mise en place de réseaux d’éco-tourisme attractifs et de qualité pour diversifier l’activité économique locale et offrir une base économique au développement de l’activité culturelle locale. Ainsi ce terroir et ses richesses méconnues peuvent être la source du bien être de ses habitants, de maintien de sa culture et sa biodiversité, et de lieu de vie pour les jeunes générations.

Les spécificités locales, levier du développement durable

des territoires montagneux Toufik Madani

Enseignant-Chercheur à l’Université de Sétif (Algérie)

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En septembre dernier en recevant dans le sud de la France, avec le soutien du Réseau Planète-Terroirs, les membres de la Chorale ANZA N’TAOS AMOROUCHE d’Ighil-Ali en Kabylie, nous voulions relier les cultures et les savoir-être pour initier des coopérations, créer de nouvelles complicités entre terroirs. Témoigner combien rapprocher les Hommes, les faire chanter autour d’un même chœur, permet de faire battre une dynamique salvatrice loin des aprioris réducteurs. Tous ces jeunes choristes guidés par notre ami Nordine Bouzit, accompagnés du Maire de leur Village, M. Djamal Djoulait et de M. et Mme Belarbi, en ont été la merveilleuse expression. Une première pour eux et pour nous ! Un pari, avouons-le maintenant, osé mais réussi ! Les voix et les sourires ont porté des messages sans pareil. La confiance s’est instaurée pour bâtir de vrais échanges et de belles amitiés. Comme à chaque fois que nous l’organisons, le croisement des belles cultures

de nos terroirs permet de réfléchir à un avenir finalement très proche.

Ce résultat nous le devons à tous ceux et toutes celles qui, pendant ces quelques jours ont offert leur temps et leur gîte pour permettre la réalisation de cette initiative totalement bénévole. Qu’ils soient ici tous pleinement remerciés de leurs soutiens et de leurs multiples dons. Ils ont ouvert « les chants des possibles » !

Quelle chorale ! Bien sûr la beauté des chanteurs et chanteuses, leurs chants, leur talent, leur générosité ont réjoui le nombreux public venu les écouter de terroir en terroir. Leur dynamisme, leur gaieté, leur jeunesse ont été une magnifique bouffée de joie amenant sur chaque lieu, des moments d’une rare intensité.

Leur intonation a aussi porté, venant de l’autre rive de la Méditerranée, une terre, une identité, une dignité, un espoir que nous avons tous entendu. Dans le contexte du moment et au regard de l’histoire entre l’Algérie et la France, ce fut, à notre échelle, un souffle nouveau et réconfortant.

Mais plus encore leur venue, les croisements d’expériences, les repas partagés, la chaleur des relations nouées, les traces communes laissées le long du parcours et surtout le besoin de les poursuivre, a permis d’engager Ighil Ali sur son « Chemin de Terroir – Planète Terroirs ».

Toutes les pages du « Livret » qui vous est offert témoignent de cette avancée. Elles ouvrent un autre chapitre dans la voie ouverte en 2014, lors des « Entretiens du Terroir- Planète Terroirs » du Pays

de Sain Félicien, avec la présentation du Terroir d’Ighil Ali par Nadjat Belarbi. Des paroles, des visages des images qui ont ouvert la route à une reconnaissance de ce lieu.

Aujourd’hui chaque propos de ce document « balise » à sa plume, marque un peu plus par ses apports, la particularité du terroir d’Ighil-Ali, son histoire, son patrimoine, ses contraintes, ses difficultés, mais aussi son originalité, ses spécificités, ses ressources. Ouvrons-le comme un « cahier d’initiatives » à enrichir sans cesse. Bien des « points » sont ainsi posés pour tenter de faire naître à Ighil-Ali les voies d’un développement respectueux du savoir et de la dignité des hommes et des femmes. Pourquoi ne pas y croire ? Pourquoi ne pas espérer ? C’est une force pour faire prendre en compte, grâce aux terroirs, la valeur des particularismes et des singularités dans un monde globalisé de plus en recherche d’authenticité. Une possible réponse si elle peut s’inscrire dans un monde ouvert, respectueux des différences, convaincu de la nécessité de faire vivre ses différences et ses diversités, soucieux d’égalité, d’équité, de solidarité, de partages. Un monde ou « le local » garde toute sa valeur, son authenticité comme un bien commun à préserver, un atout essentiel à notre futur. Les chants et chanteurs de la chorale Anza Taos Amrouche, en sont un des symboles ! Nous sommes fiers et heureux d’avoir permis leur venue en France.

Pour que vive le terroir d’Ighil-Ali. Pour que vive la « Planète Terroirs ».

« Les chants des possibles » Eric Barraud

Relieur de Terroirs, Animateur du Réseau « Planète Terroirs »

C O N C L U S I O N

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Restaurant « Au bon gibier »

Riad El-Feth - Alger

Nadjat BELARBI – E-mail : [email protected] ; Eric BARRAUD – E-mail : [email protected]