Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

106

Transcript of Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

Page 1: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...
Page 2: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...
Page 3: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE

Sébastien–Yves Laurent, professeur de l’université de Bordeaux

COMMISSAIRE ASSOCIÉ Pierre Fournié, conservateur général, responsable du département de l’action culturelle et éducative

COMITÉ SCIENTIFIQUEFrançoise Banat–Berger directrice des Archives nationales

COORDINATION ET CONCEPTION

COORDINATION GÉNÉRALEÉric Landgraf, commissaire technique en charge de l’exposition avec l’aide de toute l’équipe du département de l’action culturelle et éducative

MONTAGE DES DOCUMENTS ET SUIVI DU CHANTIER Jean–Hervé Labrunie, chef de travaux, Raymond Ducelier, Agathe Castellini et Christophe Guilbaud, département de l’action culturelle et éducative

PHOTOGRAPHIES Marc Paturange et son équipe, pôle Image ; département de la conservation. Avec les clichés du sous–marin Le Redoutable, par Philippe Fauvel, photographe.

COMMUNICATIONCatherine Vergriète, Laurent Evrard et Laurent Champion–Sasiain

Jean–Pierre Bat, Claire Béchu, Jean–Marc Berlière, Ghislain Brunel,Isabelle Chave,Jean–François Clair, Bertrand Fonck, Olivier Forcade, Françoise Hildesheimer, Peter Jackson, Wolfgang Krieger,

amiral 2s Pierre Lacoste, Claire Martin, Diego Navarro Bonnilla Benoist Pierre, Yann Potin,Emmanuel Rousseau, Thierry Sarmant, Donald Sassoon, Roger Simon, Marion Veyssière etEmmanuel de Waresquiel.

SCÉNOGRAPHIEMartin Michel

AGENCEMENTMPI Action

ÉCLAIRAGE Phase 4

AUDIOVISUEL La Méduse

GRAPHISMEGraphisme in situ, Lawrence Bitterly

IMPRESSION GRAPHIQUELD Publicité impressions

RESTAURATIONÉric Laforest et son équipe, atelier de restauration

L’ouvrage accompagnant l’exposition, publié sous la direction de Sébastien–Yves Laurent, commissaire scientifique de l’exposition et publié aux éditions du Nouveau Monde, est également en vente à la caisse du Musée.

Page 4: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

Sommaire

PRÉSENTATION 5

ACTEURS ET PRATIQUES DU RENSEIGNEMENT 19

LES SECRETS DE PAPIERS DU SECRET DE L’ÉTAT 57

LES TECHNIQUES ET LES LANGAGES DU SECRET 89

LE SECRET DE L’ÉTAT IMAGINÉ ET CARICATURÉ 7

UNE AUTRE GÉOGRAPHIE DU POUVOIR 43

ABUS, DÉNONCIATION ET CONTESTATION 77

Page 5: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

Activités proposées au jeune public

Ce pictogramme identifie les documents qui font l’objet d’un parcours pédagogique

Visites en famille / Jeune public [de 7 – 14 ans]

Un parcours spécifique permet aux plus jeunes de visiter l’exposition de manière originale. Dans des tiroirs portant la mention spéciale «�Agent secret 7�–�14�», différentes missions —�s’ils les acceptent…�— permettent aux potentiels aventuriers de découvrir l’histoire des espions et de s’initier à leurs secrets!

Visites pour les scolaires�Visites guidées�Afin de faciliter la circulation dans l’exposition, les classes sont systématiquement dédoublées. Réservation obligatoire auprès du Service éducatif

Tarif 100 euros pour la classe. Réduction REP�: 50�%.

Visites libres sous la conduite d’un professeur Réservation obligatoire auprès du Service éducatif

Atelier «�La guerre du chiffre�»L’activité permet aux élèves, en complément de la visite de l’exposition —�et�/�ou de la découverte de l’un des sites et de la fonction des Archives nationales�—, de découvrir et de s’initier aux techniques de chiffrement utilisés durant la Seconde Guerre mondiale. L’approche, résolument interdisciplinaire, associe lettres, histoire et musique.

Renseignements et réservationsTél. 01 75 47 20 06

Courriel service–[email protected]

AbréviationsANSSI : Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information

ARCSI : Association des réservistes du chiffre et de la sécurité de l’information

BCRA : Bureau central de renseignement et d’action

CCSDN : Commission consultative du secret de la défense nationale

CEA : Commissariat à l’énergie atomique

CIE : Commandement interarmées de l’espace

CNCIS : Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité

CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés

DCRG : Direction centrale des renseignements généraux

DGSE : Direction générale de la sécurité extérieure

DPR : Délégation parlementaire au renseignement

DPSD : Direction de la protection et de la sécurité de la Défense

DRG : Direction des renseignements généraux

DRM : Direction du renseignement militaire

DST : Direction de la surveillance du territoire

EMA : État–major des armées

GCR : Groupement des contrôles radioélectriques

GIC : Groupement interministériel de contrôle

GPRF : Gouvernement provisoire de la République française

SDECE : Service de documentation extérieure et de contre–espionnage

SGDN : Secrétariat général de la défense nationale

SGDSN : Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale

SR–SCR : Service de renseignement – Service de centralisation des renseignements

TSF : Transmission sans fil

Page 6: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

5

Du chevalier d’Éon aux agents de renseignement de l’actuelle Ve République, l’exposition «�Le secret de l’État. Surveiller, protéger, informer�» bouscule les lieux communs et éclaire les zones d’ombre. Elle explore l’histoire des différentes organisations de renseignement, des lieux du pouvoir qui leur sont liés et des techniques singulières de ce monde d’ombre, de la fin de l’Ancien Régime au XXe siècle.

À travers cette exposition, la première sur un tel sujet, les Archives nationales lèvent le voile sur un monde souvent fantasmé en ouvrant des fonds d’archives méconnus et en présentant des documents et objets exceptionnels, en partenariat avec les services des ministères de la Défense et de l’Intérieur.

Au fil de l’exposition, le visiteur découvre que la construction du secret s’appuie sur des normes écrites élaborées par des bureaucraties spécifiques, tant policières que militaires, entourant les chefs d’État. Ainsi, les «�secrets d’État�» renvoient à des affaires particulières qui cristallisent une tension, qui sont inscrites dans des phases aux cours desquelles les administrations et le pouvoir politique cherchent à protéger ce qu’ils jugent sensible. «�L’État secret�» caractérise par ailleurs les bureaucraties spécialisées qui ont en charge la gestion du secret et qui apparaissent à la fin du XIXe siècle. Le «�secret de l’État�» est donc une construction historique de long terme qui englobe ces deux composantes, avec une dimension spatiale, renvoyant à des lieux dont l’État interdit l’accès.

La construction d’une politique du renseignement intérieur et extérieur depuis la fin du XIXe siècle marque la volonté de l’État français d’en faire un outil de la puissance interne et externe.

Un ensemble de documents secrets, de témoignages sonores et audiovisuels inédits donnent la parole aux acteurs du secret, et une galerie de machines mystérieuses en révèle les outils étonnants. Symbole ultime du secret, l’intérieur du PC du sous–marin Le Redoutable, incarnation de la dissuasion nucléaire, est donné à voir grâce à une immersion visuelle saisissante.

Page 7: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

6

[3] «�Portrait arc–en–ciel�» d’Élisabeth Ire, reine d’Angleterre, vers 1600.Hatfield castel (Royaume–Uni, Hertfordshire), huile sur toile, haut. 128 x larg. 102 cm

Page 8: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

7

LE SECRET DE L’ÉTAT IMAGINÉ ET CARICATURÉ

Le caché et le révélé font partie des réalisations traditionnelles dans les beaux–arts. L’artiste indique par des attributs ou des procédés stylistiques un message qu’il transmet au pouvoir et au public.

Le dieu du silence incarne depuis l’Antiquité le culte des mystères. Le silence du souverain est le signe de son génie, au travail pour son peuple. Certains secrets doivent être préservés dans un cercle réduit. L’artiste, sur commande, rend hommage aux grands hommes, souverains, généraux, révélant tantôt leurs vertus, chez Turenne, tantôt l’incarnation même du mystère en exprimant l’omniscience symbolique du souverain par la décoration de sa tenue, en l’occurrence Élisabeth Ire sur le Rainbow Portrait. Le décor comme la divinité symbolisent le secret.

Dans un autre registre, les organisations secrètes attisent souvent la rumeur. La presse caricature par exemple les débats méconnus de l’Assemblée nationale formée en comité secret dans les moments majeurs de l’histoire républicaine, se jouant ainsi des règles du secret et rappelant aussi la nécessité d’informer le citoyen.

Enfin, la réalité de certaines pratiques contemporaines se matérialise aussi dans des objets symboliques, parfois artistiques. Les valeurs propres aux services de renseignement s’expriment ainsi par les métaphores composant leurs insignes.

Page 9: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

8

Les langages symboliques du secret

Dans l’art, les allégories du secret sont multiples, se déclinant dans des gravures, sur les toiles et par des sculptures. L’expression «�se taire�» est une marque de fidélité au pouvoir souverain, tel un Turenne au sommet de sa gloire, dont l’une des vertus, flottant au–dessus de lui, fut justement le silence. Mais le secret est aussi l’homme de l’ombre, qui écoute, cherche et se cache, figuré par la cape du «�Spia�».À l’époque moderne, le langage symbolique mobilisé est vivant�: il puise dans les humanités et la mythologie des références qui parlent à l’élite, à laquelle il s’adresse exclusivement. La symbolique contemporaine du secret est tout aussi syncrétique mais simplifiée�: elle emprunte à la mythologie et aux représentations de la nature dans des langues qui sont mortes aujourd’hui pour le plus grand nombre.

[5] Della piu che novissima Iconologia…, par Cesare Ripa, Padoue, réédition chez Donato Pasquardi, 1630.Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal, 4–BL–5052, haut. 23,5 x larg. 16,5 cm [Publication post–mortem]

Page 10: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

9

[1] Deux médailles, Secret des Conseils du Roi, par Jean Mauger, 1661.

Avers�: LUDOVICUS XIIII. REX CHRISTIANISS [Louis XIV. Roi très chrétien]. Buste de Louis XIV à droite�; au–dessous, signature I. MAVGER. F.

Revers�: ARCANA CONSILIORUM [Conseil secret]. Harpocrate, dieu du Silence, un doigt sur les lèvres�; à l’exergue�: M DC LXI [1661].Paris, Monnaie de Paris, MED 074872 et 074873, médailles frappées en argent, poids 90 g, dim. 41,0 mm

De la curia regis du Moyen Âge se détache progres- sivement plusieurs chambres. Le conseiller du Roi s’impli- que ainsi dans les affaires du royaume au sein du Grand Conseil, qui devient le conseil de gouverne-ment en charge des affaires politiques, administratives, financières et judiciaires au cours des XIVe et XVe siècles. Il faut attendre le règne de Louis XIV pour voir se mettre en place le Conseil du Roi, divisé en quatre sections : Le Conseil d’En-Haut (ou Conseil d’État) qui se réunit autour du Roi et des ministres d’État pour traiter des affaires les plus importantes du Royaume, le Conseil des Dépêches, pour les affaires intérieures, le Conseil des Finances et le Conseil d’État privé, finances et directions.

Sous Louis XIV, la présence régulière du Roi en son conseil fut considérablement augmentée par le secret qu’il sut y faire observer, personnifié par le Dieu du silence Harpocrate. Le secret doit entourer le tra-vail du monarque avec ses ministres et ses conseil-lers, la prospérité du royaume en dépend. L’allégorie est ainsi expliquée : « Le secret est l’âme de tous les Conseils, et l’un des principaux fondements de la poli-tique » [Cf. : Médailles sur les principaux événements du règne de Louis Le Grand avec les explications histo- riques, par l’Académie royales des Médailles et des Inscriptions, 1702, page 61].

[2] Allégorie du ministre parfait, par Eustache Le Sueur avec une représentation d’Harpocrate avec, au revers, l’inscription «�Arcana consiliorum�», 1653.Dunkerque, direction des Musées, MBA. 1983.003.1, huile sur toile, haut. 84,5 x larg. 71 cm

Inspiré de Cesare Ripa, Eustache Le Sueur (1616-1655) dépeint la réunion improbable de quatre personnages symboliques et mystérieux à la fois. Un vieillard, vêtu de rouge et tenant un livre ouvert, représente proba-blement le Conseil. Il s’appuie sur Minerve, reconnais-sable par ses attributs guerriers, qui figure la Sagesse. À ses pieds, une femme tenant un miroir évoque la Prudence. Enfin, dans l’ombre et en retrait, un éphèbe pose un doigt sur ses lèvres : c’est le Silence. L’union des quatre vertus consacre le parfait homme d’État.

[3] «�Portrait arc–en–ciel�» d’Élisabeth Ire, reine d’Angleterre, vers 1600.Hatfield castel (Royaume–Uni, Hertfordshire), huile sur toile, haut. 128 x larg. 102 cm

Attribué à Isaac Oliver, le Rainbow portrait est le tableau le plus fortement allégorique du règne d’Élisabeth Ire (1533-1603). La souveraine apparaît ici désincarnée sous un masque blanc, avec un corsage de lin brodé de fleurs de printemps et un manteau drapé sur une épaule et une coiffe extravagante. Éternellement jeune malgré ses 67 ans, la reine incarne la déesse-vierge Astrée, personnification de la justice, dont le retour sur terre apporte l’éclosion d’un âge d’or retrouvé. Sa tenue présente de nombreux symboles brodés : des yeux et les oreilles sur le manteau, une surveillance symbolique sur tout, le serpent de la sagesse sur le bras, la sphère céleste pour la perfection, plaçant la reine en son centre, portant un arc-en-ciel à la une devise significative : « pas d’arc-en-ciel sans le soleil ». À la cour, John Davies utilise cette imagerie pour honorer la reine d’Hymnes à Astrée. Le portrait trahit ainsi la lutte de la Reine pour contrôler son image, et donc son pouvoir à la fin de son règne en s’attachant par ailleurs les services de maîtres-espions tel que Sir Francis Walsingham.

[4] Allégorie du secret dans le dessin intitulé Ouverture de la campagne de Turenne, par Charles Le Brun, 1672.Musée du Louvre, département des Arts graphiques, 27661, recto, haut. 0,297 x larg. 0,600 mm

Henri de la Tour d’Auvergne-Bouillon (1611 – 1675), vicomte de Turenne est nommé capitaine général par Louis XIV en 1672, après des victoires lors de la guerre de Dévolution en Flandres (1667-1668). Cette allé-gorie glorifie le général en campagne près des villes hollandaises. À gauche : Santen Rhymberg, Burick Emmerick, Rées Wesel ; à droite : Orsoy, montrant son autorité et ses attributs au nom du roi. Dans les airs, de gauche à droite, de nombreux symboles dressent un portrait du général : Fraude, Orgueil, Diligence, Sagesse, Secret (un doigt sur la bouche), Prévoyance, Soin. Pour ce stratège remarquable qu’était Turenne, l’avancée de l’armée nécessite le maintien du secret et l’espionnage chez l’ennemi. Les généraux étaient alors au cœur du dispositif.

Page 11: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

10

[5] Della piu che novissima Iconologia…, par Cesare Ripa, Padoue, réédition chez Donato Pasquardi, 1630.Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal, 4–BL–5052, haut. 23,5 x larg. 16,5 cm [Publication post–mortem]

Le livre de Cesare Ripa (1555-1620) est une compi-lation savante de motifs antiques et ésotériques. Il va servir de manuel de référence à plusieurs générations de poètes et d’artistes, tel Jan Vermeer. L’œuvre, qui a pour ambition de « servir aux poètes, peintres et sculp- teurs, pour représenter les vertus, les vices, les sentiments et les passions humaines », est une encyclopédie où sont présentées par ordre alphabétique des allégories telles que la Paix, la Liberté ou la Prudence, recon-naissables aux attributs et aux couleurs symboliques.

La gravure, au titre évocateur « SPIA » [Espion], est caractéristique de la notion de raison d’État, au nom de laquelle un État contourne le droit au nom d’un critère supérieur et qui donne lieu à des pratiques très variées, dont l’espionnage. La représentation allégori- que montre un personnage couvert d’une cape, ornée sur sa cape d’oreilles et d’yeux.

[6] Insigne métallique en épinglette de la Direction générale des services extérieurs (DGSE), portant la devise «�ad Augusta per angusta�», emblème des «�nettoyeurs d’ambassade�», sans date.Ministère de la Défense, non coté, haut. 3 x larg. 3 cm

L’étoile à six branches représente l’action vers l’exté-rieur, l’hexagone, la France. Le coq gaulois tient d’une patte une clé, symbole de protection utilisé par les services du chiffre, tandis qu’il démantèle de l’autre une installation clandestine d’écoutes. La devise latine (« vers des voies glorieuses par des voies étroites ») fait référence à l’empereur Auguste.

Une petite cellule au sein de la DGSE est chargée de curer les locaux diplomatiques de toute installation indiscrète. Sur le modèle des Sweepers britanniques, les hommes de la « section Aspiro » vont « passer l’aspi- rateur » là où les services adverses laissent traîner micros et capteurs.

Capable d’interventions rapides et discrètes, la cellule fut parfois confrontée à des opérations plus lourdes. Leur action la plus emblématique demeure le « désossage » de l’ambassade de Varsovie, truffée de matériel d’écoute par les services polonais lors de sa construction entre 1963 et 1971. Il fallut deux missions d’un mois, avec 300 kg de matériel, pour vérifier toute l’infrastructure de l’emprise, transformée en un véritable chantier avec des tranchées de plus de trois mètres de profondeur dans le jardin, où un câble de sortie du dispositif d’écoute avait été posé par les ouvriers polonais avec une foreuse. Le cas ne fut pas unique : pendant la guerre froide, la cellule Aspiro a déman-telé durant ses visites de contrôle pas moins de vingt-deux installations d’envergure [Nathalie Genet–Rouffiac].

[7] Médaille de la Direction de la surveillance du territoire (DST), sans date [vers 1994–1995].Ministère de l’Intérieur, DGSI, non coté, dim. 8 cm

Au revers est mentionnée la devise « Inflexible dans l’ombre, étincelante dans la lumière », prononcée par Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, pour les 50 ans de la Direction de la surveillance du territoire.

[8] Médaille de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), création «�Arthus Bertrand�», sans date [vers 2008–2014]. Ministère de l’Intérieur, DGSI, non coté, dim. 7,5 cm

Médaille créée lors de la fusion entre la Direction des Services du territoire (DST) et la Direction centrale des « Renseignements généraux » (DCRG), dont la nou- velle dénomination est la Direction centrale du rensei-gnement intérieur (DCRI).

[10] Insigne du service du chiffre de l’Armée, 1946–1990.

Page 12: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

11

[9] Insigne du 89e bataillon des services, soutien du SDECE (Service de renseignement extérieur et de contre–espionnage), sans date.Vincennes, Service historique de la Défense, G.2467. Métal et émail, attache par épingle, fabrication Drago

Les services de renseignement extérieurs français (le SDECE puis la DGSE) et les militaires qui y servent sont soutenus administrativement par une unité militaire. Dans le cas du SDECE, il s’agissait alors du 89e bataillon des services. Héritier de la 1re compagnie des servi- ces créée en 1946, le 89e bataillon des services est mis sur pied en 1970. Cette unité a la charge d’assurer le soutien des militaires affectés au sein du service de renseignement extérieur et de contre-espionnage (SDECE) puis de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Le bataillon est dissout en 1986, il est remplacé par le 44e régiment d’infanterie. L’insigne illustre les missions du bataillon : un oiseau de proie (symbole de la puissance et de l’action) tenant dans ses serres un flambeau (symboles de la connaissance et de l’éclairage du commandement). Le fond noir et blanc représente les missions. En symbolique militaire, le noir est la couleur des unités spécialisées et le blanc celle des unités de commandement. [Luc Binet]

[10] Insigne du service du chiffre de l’Armée, 1946–1990.Vincennes, Service historique de la Défense, H.276. Métal et émail, attache par épingle�; fabrication Drago

Le chiffrement des messages est connu depuis l’Antiquité mais son utilisation entre les différents échelons du commandement militaire ne se développe qu’à la fin du XIXe siècle. Recréée en 1945, la section du chiffre de l’état-major de l’armée décide de la création d’un insigne particulier, destiné aux spécialistes du chiffre-ment. Le chiffrement des messages est capital pour conserver la confidentialité des transmissions militaires et gouvernementales.

L’insigne choisi est constitué de deux clés en sautoir, symboles du chiffrage et du déchiffrage. La couleur noire symbolise le secret. La herse symbolise la protection mais aussi la grille de chiffrement autre-fois utilisée par les chiffreurs. Enfin, le sphinx illustre l’énigme posée par le chiffrage et se pose comme le gardien du secret. [Luc Binet]

[11] Insigne de la direction de la sécurité militaire, 1961.Vincennes, Service historique de la Défense, G.1814. Métal et émail, attache par épingle, fabrication GLF

Issue en 1947, de la fusion de la sûreté navale, de l’air et de l’armée de terre, la sûreté militaire devient la sécurité militaire en 1961. Aujourd’hui direction de la protection et de la sécurité de la Défense (DPSD), c’est un service de renseignement directement rattaché au ministre de la Défense. La DPSD a pour missions la sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles tant sur le territoire français qu’en opérations extérieures. Son insigne représente un groupe du sculpteur Debye exposé au musée du Louvre. Le lion symbole de la force (armée) terrasse le serpent, symbole de la menace sournoise et de la ruse. [Luc Binet]

[12] Lettre portant la devise «�Liberté, égalité, surveillance�», de Jean Lacomme, commissaire du directoire exécutif à Rochefort–sur–Loire, qui rend compte du déroulement de la fête nationale du 14 juillet, 27 messidor an VII [15 juillet 1799].Angers, Archives départementales de Maine–et–Loire, 2 L 290, haut. 25 x larg. 30 cm

Dans ce court document, Jean Lacomme rend compte au commissaire central du département que la fête nationale n’a pas suscité un grand élan dans la com-mune. Il remarque qu’il n’y a vu seulement que les citoyens « sur le républicanisme desquels on peut sûre-ment compter ». Comme il le constate, les esprits sont ailleurs. Longtemps ravagé par les guerres de Vendées, le département connaît à cette date un regain d’insé- curité. Les Vendéens reprennent bientôt les armes dans un dernier sursaut contre le Directoire. Comment s’étonner que dans ce contexte le mot « Surveillance » forme dans l’en-tête un tryptique inusité avec « Liberté » et « Égalité » ? La mission principale du commissaire est bien de servir de relais d’information et de mise en défense de l’État dans un territoire où il est sans cesse contesté. 35 autres courriers de même nature sont conservés, pour le seul canton de Rochefort, durant les deux années durant lesquelles le commissaire Jean Lacomme y assure sa mission. Les motivations de ces courriers concernent majoritairement l’ordre public : arrestations de chouans, en bande ou isolément, y com-pris des femmes ; répression d’assassinats ou de vio-lences ; destruction de symboles religieux ou d’Ancien Régime ; organisation de la garde nationale, distribu-tion d’armes et de munitions, lutte contre les incessants coups de main des groupes hostiles. [Christian Gasnier et

Élisabeth Verry]

Page 13: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

12

Les imaginaires du secret

Depuis le XIXe siècle, la presse, la littérature, plus tard le cinéma, utilisent les nombreux ressorts offerts par la figure de l’espion. C’est lui principalement, homme ou femme, qui polarise les représentations. Les organes du secret, le 2e bureau et les services de renseignement, font aussi travailler l’imagination. L’opinion sublime ce qu’elle reçoit ainsi car le secret amplifie ceux qu’il protège. Ainsi, l’on attribue beaucoup (trop) à celles et ceux qui sont dans le secret et à ce qu’il renferme�: de la puissance, de l’influence et du charisme. Ce qui est secret est toujours supposé important. Ceux qui fabriquent l’information sur ce qui est secret s’inscrivent aussi bien souvent dans un monde imaginaire. Dans ce cadre, l’ignorance de la réalité favorise la caricature et nourrit la dénonciation. Ce qui est secret est souvent considéré comme illégitime.

Caricature de Plantu du fichier Edwige de la DCRI qui devait recenser les personnes «�dont l’activité individuelle ou collective�» peut «�porter atteinte à la sécurité publique�», 2008.Collection Jean Plantu

Page 14: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

13

[13] Conversation entre deux personnages, Norpois et Bloch, portant sur le secret. Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. Le côté de Guermantes, 1922, tome 7, 2e partie, p. 78–79 et 233.Collection particulière

« La vérité, en effet, sur toutes ces choses, Bloch ne pou- vait douter que M. de Norpois la connût. Comment l’aurait-il ignorée puisqu’il connaissait les ministres ? Certes, Bloch pensait que la vérité politique peut être approximativement reconstituée par les cerveaux les plus lucides, mais il s’imaginait, tout comme le gros du public, qu’elle habite toujours, indiscutable et matérielle, le dossier secret du président de la République et du président du Conseil, lesquels en donnent connaissance aux ministres. Or, même quand la vérité politique comporte des documents, il est rare que ceux-ci aient plus que la valeur d’un cliché radioscopique où le vulgaire croit, que la maladie du patient s’inscrit en toutes lettres, tandis qu’en fait, ce cliché fournit un simple élément d’appréciation qui se joindra à beaucoup d’autres sur lesquels s’appliquera le raisonnement du médecin et d’où il tirera son dia- gnostic. Aussi la vérité politique, quand on se rappro- che des hommes renseignés et qu’on croit l’atteindre, se dérobe » .

[14] Le petit matelot, extrait de la série télévisée Schulmeister, l’espion de l’empereur, de J.–P. Delcourt et J.–Cl. Camredon, 1971–1974.Lagardère Studios Distribution – INA, 2 mn 26 s

[15] Arrestation d’un espion italien, Le Petit Journal, supplément illustré, 28 juin 1896.Paris, Bibliothèque nationale de France, FOL–LC2–3011 [n°�293]

[16] Chemise–bordereau du dossier individuel et plaque patronymique matriculaire du capitaine André Léon Brouillard, officier du contre–espionnage français, plus connu sous le nom de Pierre Nord comme auteur et scénariste [1948–1962].Vincennes, Service historique de la Défense, GR 2000 Z 200 9496

Le parcours de l’officier André Léon Brouillard commence de manière assez conventionnelle. Son instruction débute en 1920 à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, puis se poursuit à l’École d’application de l’infanterie et des chars de combat. Il entame rapidement une carrière dans le contre-espionnage, ce qui lui inspire par ailleurs des romans à grand succès comme Double crime sur la ligne Maginot ou Terre d’angoisse ou encore Deuxième bureau contre Kommandantur, adap- tés au cinéma en 1937 et 1939.

Son parcours militaire est retracé dans son dossier individuel de carrière, dont la chemise bordereau por-tant la liste des pièces conservées est ici présentée. L’une d’entre elles, son livret matricule, contient une pla- que métallique, dite plaque patronymique matriculaire ou plaque d’identité, qui comporte le numéro matricule et le nom de l’officier. Il s’agit du double de celle portée par l’officier. [Hélène Guillot]

[17] Pierre Nord, Mes Camarades sont morts. La guerre du renseignement, Paris, Librairie des Champs–Élysées, 1947, 3 vol. (tome 1).Vincennes, Service historique de la Défense, 10411 (1), haut. 35 x larg. 17 cm

[18] Pierre Nord, Terre d’Angoisse ou Deuxième bureau contre Kommandantur, 1937.Collection particulière

[19] Affiche du film Mata Hari, de George Fitzmaurice avec Ramon Novarro, Lionel Barrymore et Greta Garbo en Mata Hari, 1931.Rue des Archives, 00521864

Espionne, Margaretha Geertruida Zelle sera fusillée pour espionnage pendant la Première Guerre mondiale. En réalité, un mari violent et une nécessité de survivre la contraignent à occuper un rôle de courtisane dans le Paris de la Belle Époque. En 1915, elle vend son hôtel luxueux de Neuilly et loue une modeste maison à La Haye où elle reçoit la visite du consul d’Allemagne Carl H. Cramer qui lui propose de rembourser ses dettes en échange de renseignements stratégiques pour l’Allemagne en retournant à Paris. Après de multiples péripéties, elle est arrêtée le 13 février 1917 par le capitaine Pierre Bouchardon. Dans une France trauma- tisée par les derniers revers de la guerre et l’échec de la bataille du Chemin des Dames, Mata Hari est condamnée à mort pour intelligence avec l’ennemi. Et ainsi commence la légende. Agent double et égérie du cinéma, ce personnage donne une image glamour de l’espionne, qui deviendra un leitmotiv fantasmé de la contre-héroïne du cinéma américain, telle que la présente ici Greta Garbo dans ce film de 1931, et telle que les réalisateurs du XXe siècle imagineront l’espionne traîtresse ou les « James Bond Girl » des films de Ian Fleming, tournés pendant la guerre froide.

Page 15: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

14

[20] «�La chambre a siégé hier en comité secret�», titre L’Excelsior du 17 juin 1916. Le président de la chambre des députés, Paul Deschanel, est représenté le doigt sur la bouche, comme invitant au silence les parlementaires. Archives nationales, AE/II/3900, haut. 50 x larg. 40 cm

Le droit, pour une assemblée, de se former en comité secret lorsque les circonstances l’exigent a toujours été inscrit dans les Constitutions et les règlements. La Constitution de 1791 réglementait ainsi la procédure relative au comité secret, alors appelé comité général, repris par l’Assemblée nationale de 1871. Dans la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, les règles rela-tives à la réunion en comité secret sont les suivantes : « Chaque chambre peut se former en comité secret sur la demande d’un certain nombre de ses membres, fixé par le règlement. Elle décide ensuite, à la majo-rité absolue, si la séance doit être reprise en public sur le même sujet. » En période de guerre la publicité des débats constitue un risque pour la sécurité de la nation quand il est question du contrôle de l’armement et plus encore dans l’utilisation des hommes et des munitions. Au mois de juin 1916 presque tous les groupes demandent la réunion en comité secret sur les événements de Verdun. La demande de réunion en comité secret votée par 401 voix contre 120, est acceptée par Aristide Briand. Le premier comité secret se réunit pendant 7 jours et aborde notam-ment la bataille de Verdun, le corps expéditionnaire d’Orient, les rapports entre le gouvernement et le haut commandement.

[21] Bande dessinée intitulée Échec contre la Gestapo. 2e bureau contre Gestapo, n°�6, 1er octobre 1950.Archives nationales, AE/II/3901, haut. 15 x larg. 20 cm

Créé en 1871, le 2e bureau est chargé de l’exploitation du renseignement pour l’État-major des Armées. Il a sous ses ordres une section de statistique, chargée de la recherche du renseignement. En 1899 la section de statistique est renommée section de renseignement (SR).

[22] Affiche du livre Les maîtres espions, par Gustave Aimard, [vers 1877].Paris, Archives de la préfecture de Police, DB 230., 100 x 60 cm

Grand voyageur, surtout en Amérique, Gustave Aimard (1818-1883) est un romancier français. Aussi popu-laire en son temps, qu’Eugène Sue et Paul Féval, il a écrit une soixantaine de romans dont il publie dès 1858 des extraits dans les journaux. En 1870, il rédige un roman à succès sur la guerre franco- prussienne sous le titre Les Aventures de Michel Hartmann, qu’il renomme dix ans plus tard Les maîtres espions, chez Degorce-Cadot, dont nous avons ici l’affiche publicitaire. L’ouvrage où sont mis en scène des profils d’espions prussiens, est censuré par le gouver- nement français qui veut éviter des tensions avec l’Allemagne.

[23] Extrait d’un passage de l’Histoire de France de Michelet, pastichant le Père Joseph (François Le Clerc du Tremblay), conseillé de Richelieu, en le présentant comme la figure emblématique du «�conseiller de l’ombre�». Jules Michelet, Histoire de France, Paris, Lacroix, 1877, t. XII, pp. 16–17.Archives nationales, bibliothèque historique, H V 23, haut. 24 x larg. 14 cm

Jules Michelet rappelle dans ce chapitre le rôle d’homme de l’ombre du père Joseph, et à travers lui, l’utilisation des ordres mendiants comme agents des affaires extérieures. L’homme est selon lui « très dan-gereux », précurseur d’un Fouché ou d’un Maupas au XIXe siècle, à la tête d’un réseau dense et structuré d’indicateurs. Le père Jospeh fut le chef des secrets de Richelieu, aidé par quatre capucins formant les départements de son ministère. Dans les lettres qui attestent de son rôle dans le « Secret » du cardinal, il chiffre les courriers à l’image d’un diplomate officiel.

[24] Dessin de Leka H., présentant deux personnages sous l’ombre d’un soldat allemand symbolisé par le casque à pointe et espionnant leurs activités, [1910–1920].Paris, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine / Musée d’histoire contemporaine, OR 2393, haut. 50 x larg. 40 cm

[25] Trois cartes postales aux soldats de la Première guerre, «�Ne vois pas�», «�N’entends pas�», «�Ne parle pas�», 1914.Paris, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine / Musée d’histoire contemporaine, carton 74, réf. «�Espion�», haut. 18 x larg. 18 cm

Page 16: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

15

[26] Les barbouzes, suivi de L’affaire Ben Barka, publication satirique de la collection «�dictionnaire du Canard enchaîné�», à la suite de l’enlèvement de Mehdi Ben Barka à Paris survenu le 29 octobre 1965. Juin 1966.Archives nationales, AG/5(F)/3787, haut. 26 x larg. 20 cm

L’enlèvement en plein Paris de Mehdi Ben Barka, chef de l’opposition au roi du Maroc, tourne au scandale d’État. Le rapt est organisé par les services secrets marocains qui recourent à des truands et des policiers français. L’intermédiaire principal des Marocains, Antoine Lopez, est également un honorable corres-pondant du SDECE. Ces méandres interlopes des services secrets servent à dénoncer une « République des barbouzes » dans la presse hostile au régime gaulliste. « Barbouze » (fausse barbe) désigne depuis la guerre d’Algérie les agents gaullistes formés en police parallèle et chargés de la lutte contre l’OAS – bref, les exécutants des basses œuvres du régime gaulliste. Le Canard enchaîné fait de Jacques Foccart l’éminence grise de ce système policier clandestin. [Jean–Pierre Bat]

[27] Extraits du film Les Barbouzes, de Georges Lautner (1964), avec Lino Ventura, Mireille Darc, Bernard Blier. Gaumont–Unifrance, 4 mn 24 s

Georges Lautner a délibérément choisi de faire une comédie parodique, volontairement outrancière et sans aucun souci de vraisemblance. Avec une conno-tation péjorative ou burlesque, le terme argotique de « barbouze » est dès lors employé pour désigner tout agent secret.

[28] «�Tous fichés, tous écoutés… il faut arrêter Marcellin�», Politique Hebdo, n°�107, 13 décembre 1973.Nanterre, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, F P 2742, haut. 30 x larg. 27 cm

[29] «�Watergate au Canard. Oh�! Marcellin, quelle watergaffe�!�», Le Canard Enchaîné, n°�2771, 5 décembre 1973.Archives du Canard Enchaîné, haut. 60 x larg. 39 cm

Le secret de l’État devient une affaire d’État, lorsque les écoutes concernent la surveillance de la presse. Ce fut le cas dans l’affaire Raymond Marcellin et du Canard Enchaîné. Créé le 29 mai 1968, le groupe de direction comptait une cinquantaine de fonction-naires, divisés en trois groupes opérationnels, spécia- lisés dans la pénétration et les filatures. Spécialisé dans la lutte contre les révolutionnaires de gauche, en pleine guerre froide, le groupe de direction étend ses activités bien au-delà de la surveillance des mouve-ments révolutionnaires et, à ce titre, il peut faire appel aux hommes du groupe technique pour « sonoriser » aussi bien les bureaux d’un journal qu’un apparte-ment. Peu discrets, les faux ouvriers ont été repérés au Canard par l’un des journalistes présent sur les lieux.

[30] Article sur l’affaire du Rainbow Warrior, Le Canard Enchaîné, n°�3381, 14 août 1985.Archives du Canard Enchaîné, haut. 60 x larg. 39 cm

[31] «�Les agents secrets du pouvoir�»�: en 1974, Le Nouvel Observateur évoque la mise sur écoute, en 1965, du jeune député de Corrèze, Jacques Chirac. Archives du Nouvel Observateur (n°�487, 11–17 mars 1974, p. 26–27), haut. 35 x larg. 27 cm

En 1974, alors que Jacques Chirac fait partie du cabinet de Georges Pompidou, le Nouvel Observateur publie une fiche d’écoutes établie sur lui en 1965. Le procédé le révolte et il se prononce ouvertement contre les écoutes qui violent sa vie privée et les liber-tés individuelles. L’authenticité de la fiche sera remise en cause par le journaliste Henri Deligny qui la croit fabriquée. Il affirme que le seul but de cette fiche aurait été d’annoncer la fin de système d’écoutes. Cependant, ni sous les présidents Giscard d’Estaing, ni sous Chirac, les écoutes politiques n’auront régressé.

Caricature du président François Mitterrand en plongeur devant une classe. Un dessin représente le Rainbow Warrior qui coule, 1985.

Caricature de Plantu du fichier Edwige de la DCRI qui devait recenser les personnes «�dont l’activité individuelle ou collective�» peut «�porter atteinte à la sécurité publique�», 2008.Collection Jean Plantu

Page 17: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

16

Photographie du président Charles De Gaulle posant devant le sous–marin à propulsion nucléaire de la Force de dissuasion nucléaire française, Le Redoutable, Cherbourg, 29 mars 1967. AFP

Visite à bord du sous–marin Le Redoutable par le Président Georges Pompidou, accompagné du commandant Bisson à l’Île Longue (Finistère), 1971. ECPAD (F 71–430 R6)

Symbole ultime du secret, l’intérieur du PC du sous–marin Le Redoutable, incarnation de la dissuasion nucléaire, est donné à voir grâce à une immersion visuelle saisissante.[Salle de la Chapelle]

Page 18: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

17

Le Redoutable

La construction du premier sous–marin nucléaire lanceur d’engins français est décidée en 1963. Des moyens importants sont mobilisés pour doter la France de cette arme de dissuasion d’envergure et pour en maîtriser toutes les technologies�: la propulsion nucléaire, le lancement en immersion de missiles balistiques, la navigation inertielle, les télécommunications, la régénération de l’atmosphère…

Le Redoutable – 128 mètres de long, 8�000 tonnes – aura nécessité 12 millions d’heures de travail à l’arsenal de Cherbourg. Il est mis à l’eau le 29 mars 1967 en présence du général De Gaulle.

Admis au service actif en 1971 au sein de la Force océanique stratégique (FOST) sous le commandement de l’amiral Louzeau, Le Redoutable est équipé de 16 missiles mer–sol balistiques M1 (500 kilotonnes chacun�; portée de 2�500 km). À partir de 1980, il est armé de missiles M20 comportant chacun une tête nucléaire d’une mégatonne et d’une portée d’environ 3�000 km. Deux équipages de 135 hommes chacun dont 15 officiers —�les «�Bleus�» et les «�Rouges�»�— se relayaient à bord pour des patrouilles de 55 à 70 jours.

En 20 ans de services, il a effectué 58 patrouilles opérationnelles, parcouru 1�270�000 km, passé 3�469 journées en mer et 90�000 heures (10 ans) en plongée.

En 1991, Le Redoutable est retiré du service actif et rejoint Cherbourg. Le 19 janvier 1996, le ministère de la Défense met Le Redoutable à disposition de la Communauté urbaine de Cherbourg. Depuis avril 2002, il est l’un des éléments phares de la visite de la Cité de la Mer.

Page 19: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

18

[40] Portrait en médaillon du chevalier d’Éon de profil, avec chapeau.Paris, Bibliothèque nationale de France, Res QB–201 (152) FOL p. 26 – Hennin 13307 (en homme)

Page 20: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

19

ACTEURS ET PRATIQUES DU RENSEIGNEMENT

Du Père Joseph, ministre secret de Richelieu, aux services secrets contemporains, l’histoire du renseignement produit par l’État est faite d’hommes dont les actions et l’organisation ont connu au cours de plusieurs siècles de nombreux changements ayant abouti à la création d’une véritable bureaucratie spécialisée à la fin du XIXe siècle.

Ce sont les diplomates, et notamment les consuls, qui ont d’abord été en charge du renseignement extérieur. Sous Louis XV, puis Louis XVI, le «�secret du roi�» est un réseau dévolu au renseignement, qui double l’activité des diplomates et qui est en lien avec le souverain. Au XIXe siècle, les polices développent les pratiques de surveillance et de protection intérieure. Mais c’est à la fin du XIXe siècle qu’apparaît l’organisation actuelle des services de renseignement avec d’une part une police de renseignement orientée vers la surveillance de l’opinion et le contre–espionnage et d’autre part des services de renseignement militaires chargés de l’espionnage en territoire étranger dès le temps de paix. À cette occasion, les diplomates ont perdu le monopole sur l’information extérieure. Le renseignement moderne est né.

La modernisation des services de renseignement au XIXe siècle est favorisée par une nouvelle réglementation qui nourrit au siècle suivant la réflexion sur de nouvelles lois en matière de répression de l’espionnage et de protection de l’information. Depuis les deux guerres mondiales, la modernisation des techniques d’observation, de transmission et d’écoutes multiformes prend également de l’ampleur, tout en se spécialisant entre surveillance intérieure et observations extérieures. La recherche scientifique, du service du génie militaire à la récolte d’informations civiles par les chercheurs, de la cartographie aux dessins de batailles, participe à une meilleure connaissance du terrain extérieur, pour permettre une analyse plus précise de la situation.

Page 21: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

20

Aux origines du renseignement�: diplomaties officielles et parallèles

Ce sont les diplomates qui ont été les premiers agents de renseignement extérieur. En 1716, dans le traité de négociation de François de Callières, on peut lire que l’ambassadeur est un «�honorable espion�». Les moyens d’information des diplomates sont ceux de leur temps, gazettes et périodiques de tous ordres, mais ils s’informent surtout par la fréquentation des cours étrangères et en achetant à prix d’or des «�intelligences étrangères�». Malgré cela, le roi de France peut contourner son secrétaire d’État, à qui parviennent les rapports des ambassadeurs, et mettre en place des moyens parallèles d’information�: c’est le cas du «�Secret du roi�» sous Louis XV, qui s’appuie sur le comte de Broglie pour conduire une diplomatie parallèle. Derrière les diplomates officiels se trouvent aussi des réseaux clandestins d’information dépendant directement du souverain.

[32] Portrait gravé de François Leclerc du Tremblay, dit père Joseph (1577–1638), 1636–1638.Paris, Bibliothèque nationale de France, G 153490, Estampe, tome 31, pièce 2747

Page 22: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

21

[32] Portrait gravé de François Leclerc du Tremblay, dit père Joseph (1577–1638), 1636–1638.Paris, Bibliothèque nationale de France, G 153490, Estampe, tome 31, pièce 2747

[33] Dépêche partiellement chiffrée de François Leclerc du Tremblay, appelé «�père Joseph�», au cardinal de richelieu, Ratisbonne, 22 août 1630.La Courneuve, Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes, Allemagne, 2 CP 7, f. 119 r° à 121 r, haut. 30 x larg. 21 cm

En 1630, alors que la France s’est portée au secours du marquis de Montferrat, assiégé en Italie du Nord par les troupes hispano-impériales, Richelieu choisit son ambassadeur en Suisse et le père Joseph pour le représenter à Ratisbonne. C’est là que l’Empereur a réuni les électeurs du Saint-Empire auxquels il espère imposer son fils comme Roi des Romains. Les deux envoyés du cardinal sont munis d’instructions claires : affaiblir le Habsbourg en ralliant contre lui le duc de Bavière et les électeurs catholiques.

À cette occasion, le père Joseph se montre fami-lier avec les techniques de chiffrement comme en témoigne cette lettre qu’il destine au seul cardinal, par laquelle il l’informe du bon avancement des négocia- tions avec le duc de Bavière. Il parle de lui à la première personne ou se cache sous un pseudonyme (Hugues ou Albert). Seuls certains passages de cette lettre, notam-ment les noms propres, sont chiffrés. Le père Joseph y désigne les personnalités par des surnoms, empruntés à la Bible, à l’histoire ou à l’usage vulgaire : Gédéon ou Olivier ou Du Jardin pour le cardinal, Salomon ou Constantin pour l’empereur, Benjamin pour le roi d’Espagne, etc. Le procédé est également appliqué à des noms communs : Le Roux désigne ainsi les protes-tants, Clément les catholiques, Dagobert la paix ! Cette façon de procéder affaiblit toujours les chiffres car elle a le défaut de fournir un grand nombre de mots pro-bables à l’attaquant. Elle repose sur le secret absolu et peut tomber progressivement, comme un puzzle qu’on reconstitue. [Isabelle Nathan, Hervé Lehning]

[34] Ouvrage citant le rôle de «�ministre secret�» attribué à François Leclerc du Tremblay, appelé «�Père Joseph�». Mathieu de Morgues, «�Vrays et bon advis de François fidèle�», dans�: Diverses pièces pour la deffence de la royne mère du roy très Chrestien Louys XIII, Anvers, 1637, p. 175–176.Bibliothèque nationale de France, 8 – LB36 – 3408 (B), haut. 30 x larg. 25 cm

[35] L’«�espion�» est infâme et ses actions sont condamnées. Abraham de Wicquefort, L’Ambassadeur et ses fonctions, Cologne, Pierre Marteau, 1715 (1re édition�: 1682).Collection particulière, haut. 20 x larg. 15 cm

En 1682 paraît la première édition d’un ouvrage fon-damental sur l’art de négocier. Même s’il n’est pas le premier à traiter le sujet, il développe, nombre d’exem-ples à l’appui, les grands thèmes que les apprentis négociateurs se doivent de maîtriser avant de partir en ambassade. Diplomate lui-même, Abraham de Wicquefort (1606-1682) fait un panorama des qua-lités et des compétences dont l’ambassadeur doit faire preuve quand il représente son souverain auprès d’une puissance étrangère. [Claire Béchu]

[36] Gravure représentant Minerve assise et casquée, appuyée sur un pilum et un livre, aux côtés de Mercure debout aux chaussons ailés, avec la devise «�UTROQUE FAVENTE�» [les deux faveurs, ou l’un et l’autre favorisant]. Mr Pecquet, De l’Art de négocier avec les souverains, La Haye, 1738.Collection particulière, haut. 18 x larg. 12 cm

Théoricien de la diplomatie, Antoine Pecquet (1704-1762) s’attache à expliquer les qualités que le négo-ciateur doit montrer dans son comportement et son travail, en insistant tout particulièrement sur les qualités d’esprit et de cœur : la probité, la modération, la saga- cité, la patience, le courage, la souplesse et la fermeté, mais aussi le souci de la vérité et une profonde « obser-vation du secret », auquel il consacre un important développement [Claire Béchu].

[37] L’ambassadeur est un honorable «�espion�», 1716. François de Callières, De la manière de négocier avec les souverains, Paris, M. Brunet, 1716.Collection particulière, haut. 31 x larg. 23 cm

Autre théoricien de la diplomatie, François de Callières (1645-1717), suivant son devancier Wicquefort, a aussi recours aux exemples pour illustrer les qualités et les compétences requises des négociateurs. [Claire

Béchu]

Page 23: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

22

[38] Lettre du chef du cabinet «�Secret du Roi�», Charles–François de Broglie, extraite de la correspondance secrète entre le comte et le roi Louis XV, mentionnant les affaires secrètes de Pologne pendant la Guerre de Sept ans, 29 juin 1770.La Courneuve, Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes, Allemagne, 325, folio 158r/v, Mémoires et documents, 0000–1896, 540, haut. 28 x larg. 24 cm

Charles-François de Broglie a été initié au Secret du roi par le prince de Conti dès 1752, au début de son ambassade auprès de la République de Pologne, avant de prendre la direction de cette diplomatie parallèle, mise en place par Louis XV à l’insu de ses ministres et représentants officiels. La lettre ici présentée, certaine- ment autographe, fait partie des minutes de sa corres- pondance secrète de 1752 à 1774. Celles-ci ont rejoint, au moins en partie, les archives du secrétariat d’État aux Affaires étrangères à sa mort en 1781, grâce à une opportune mise sous scellés de ses papiers de fonction lors du règlement de sa succession. Broglie y donne une analyse des dépêches reçues de ses agents sur les principaux théâtres où l’administra-tion du Secret a étendu ses activités : en Pologne, à Constantinople, à Londres, enfin, où le chevalier d’Eon propose d’admettre au Secret le nouvel ambas-sadeur de France, Adrien-Louis de Guines, proposition qui n’est pas du goût de son beau-frère, le comte de Broglie, auquel l’oppose, semble-t-il, un vieux conflit. Dans l’ensemble, cette lettre fait état de l’insuffisance des informations reçues par le canal du Secret du Roi. De fait, le cabinet secret, désormais connu de Vienne et des principales cours européennes, ne fait plus guère la preuve de son utilité et ne doit sa survi-vance qu’à la volonté du roi. [Isabelle Nathan]

[39] Portrait du comte Victor–François de Broglie (1718–1804), secrétaire à la guerre, vers 1780–1789.Paris, Musée de l’Armée, MV 3837, haut. 90 x larg. 73, 5 cm

[40] Portrait en médaillon du chevalier d’Éon de profil, avec chapeau.Paris, Bibliothèque nationale de France, Res QB–201 (152) FOL p. 26 – Hennin 13307 (en homme), haut. 30 x larg. 23 cm

[41] Procuration avec description du chevalier Charles d’Éon Beaumont, dit chevalier d’Éon, 1er septembre 1762.Archives nationales, ET/XXVII/310 res//54, haut. 33,5 x larg. 22 cm

Sous Louis XV, Charles-Geneviève-Louis-Auguste-André- Timothée d’Éon de Beaumont, dit le « chevalier d’Éon » (1728-1810) est un auteur, diplomate et espion fran-çais. L’ensemble de ses fonctions est ici précisé : écuyer, capitaine de dragons, censeur royal et aide de camp du duc de Broglie. Le chevalier réside à l’hôtel de Dons-en-Bray, rue de Bourbon, Faubourg Saint-Germain. Il donne ici procuration au procureur général de recevoir des trésoriers payeurs les rentes d’un hôtel de cette ville selon les modalités précisées dans le document. En 1762, appartenant au « Secret du Roi », à l’instar du prince de Conti, du maréchal de Noailles ou de Beaumarchais, il se trouve à Londres auprès de l’ambassadeur, le duc de Nivernais, puis le comte de Guerchy avec lequel il ne s’entend pas. Le 4 novembre 1763, Louis XV demande son extradition, refusée par le droit anglais. Simple particulier, il conti-nue d’aller à l’ambassade de France et divulgue en 1764 des secrets d’État. Il révèle notamment l’ordre de mission du roi pour un débarquement. Lors d’un procès, un témoin accuse l’ambassadeur de France d’avoir tenté d’empoisonner son ancien secrétaire lors d’un repas. Le dernier procès, en septembre 1767, donne raison au chevalier d’Éon qui poursuit alors son métier d’espion et reçoit à nouveau sa pension.

[42] Lettre du Roi Louis XV au comte Charles–François de Broglie qui apporte ses préconisations en cas d’arrestation au sieur de la Rosière, agent secret en Angleterre, 27 juillet 1763.Archives nationales, K/157/D, n°201, n°24 haut. 21 x larg. 16 cm

Les lettres secrètes de Louis XV, adressées de 1752 à 1774 essentiellement à Charles François, comte de Broglie, et à Jean-Pierre Tercier, font partie d’un ensemble reconstitué au milieu du XIXe siècle sous le titre Monuments historiques. Tercier était chargé de superviser les différents bureaux du chiffre des Affaires étrangères, en liaison avec le Secret du Roi. Le Roi portait un intérêt tout particulier aux espions et à l’organisation des affaires secrètes, relevant bien d’un « cabinet noir ». Ainsi, dans celle du 27 juillet 1763, le souverain prescrit que l’agent Rosière ne devra pas être identifiable en cas d’arrestation en Angleterre. Il devra laisser ses affaires chez le chevalier d’Eon qui est « accrédité publiquement et ne peut être arrêté de la même manière ». Ce témoignage montre donc l’impli- cation du souverain dans l’organisation de l’espionnage à l’étranger afin de récupérer les informations suscep-tibles d’aider la diplomatie royale. Il précise même que les espions devront être abandonnés en cas d’échec.

Page 24: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

23

[43] Certificat donné par le comte Charles–François de Broglie, lieutenant général des armées du roi, attestant les actions et exploits militaires de son aide de camp, le chevalier d’Éon de Beaumont, lors de la campagne de 1760–1761, 24 décembre 1761.Vincennes, Service historique de la Défense, GR Ya 507, haut. 35 x larg. 17 cm

Charles d’Éon de Beaumont, dit le « chevalier d’Éon » (1728-1810) est la figure emblématique des espions français au service de Louis XV. Utilisant ses dons de travestissement, le monarque le recrute dans le « Secret du roi », service d’espionnage dirigé dans un premier temps par le prince de Conti. Éon est envoyé à plusieurs reprises à la cour de la tsarine Élisabeth de Russie (1755-1760) : le succès de ses missions fait de lui le meilleur agent du Secret du roi. En 1761, il reprend l’uniforme de capitaine de dragons lorsque la France entre en guerre contre l’Allemagne et se place sous les ordres du maréchal de Broglie. Renommé pour son adresse à l’escrime, il accomplit de véri-tables actions d’éclat. Il endosse à nouveau le cos-tume d’espion et part en Angleterre en 1762. Il y meurt paralysé, dans l’oubli et la misère. [Richard Ravalet]

Transcription : « Nous certifions que M. d’Éon de Beaumont, capitaine du régiment des dragons, a fait la dernière campagne avec nous en qualité de notre aide de camp que pendant combats de la ditte campagne, nous l’avons chargé fort souvent d’aller porter des ordres du général, et que dans plusieurs occasions il a donné des preuves de la plus grande intelligence et de la plus grande valeur ».

[44] État des dépenses extraordinaires lors de la mission à Londres de l’agent Druy le Jeune, agent secret de la République, 9 frimaire An III [29 novembre 1793].La Courneuve, Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes, 2 pièces, 750SUP/64, haut. 35 x larg. 18 cm et haut. 20 x larg. 15 cm

À l’issue de sa mission de dix mois à Londres, l’agent Druy dit le jeune présente la note des frais liés à sa mission au ministre des Relations extérieures et au Comité de Salut public. Le document éclaire les différentes facettes de l’action de l’agent secret, de Bâle à Londres, entre renseignement militaire et acti-visme politique. Parfait anglophone, Druy dépouille la presse anglaise, source ouverte mais précieuse par son exhaustivité, fréquente les spectacles, bals et autres lieux publics pour s’informer de l’état de l’opi-nion. Il s’implique aussi dans la politique intérieure et soutient les opposants au gouvernement de William Pitt, s’engageant semble-t-il assez visiblement à leurs côtés pour devoir prendre la fuite après l’échec du soulèvement fomenté par le parti radical. Après son

retour en France, Druy préconisa la mise en place d’un circuit de transmission accélérée des informa-tions, permettant de relier Londres à Paris en sept ou huit jours plutôt qu’en un mois. Arguant du fait que la correspondance commerciale entre l’Angleterre et les maisons de commerce hollandaises n’étaient jamais interceptées, il suggéra de créer un flux régulier de renseignements fondés sur l’exploitation de la presse anglaise via un relais, le Sieur Delatre, commis chez un négociant de Rotterdam. [Isabelle Nathan]

[45] Lettre de Jean–Baptiste Décury de Saint–Sauveur, consul à Saint–Pétersbourg auprès de la tsarine Élisabeth Ière, au comte Jean–Frédéric Phélypeaux de Maurepas, secrétaire de la Marine, faisant suite au renvoi du consul M. de La Chétardie, 28 avril–9 mai 1744.Archives nationales, AE/B/I/986, fol. 32–35 v°, n° 5, haut. 26 x larg. 32 cm

Anciennement propriétaires de leur charge, les consuls furent rattachés au secrétariat d’État de la Marine par Colbert dès 1669 et la grande ordonnance de la marine de 1681 leur donna un premier cadre institu- tionnel. Ils étaient chargés de défendre les sujets du roi et de protéger les droits et le commerce français. Chargés du maintien de l’ordre au sein de la nation fran-çaise, de fonctions judiciaires et arbitrales, notariales, religieuses et d’état civil, ils étaient aussi des agents de renseignement de premier ordre pour la monarchie. Majoritairement installés autour de la Méditerranée, dans les fameuses échelles du Levant et de Barbarie, de nombreux consulats français étaient implantés en Italie, en Espagne, dans le Nord de l’Europe et même en Amérique du Nord à l’issue de la guerre d’Indépen- dance américaine. Il fallut attendre les années 1820 pour la création de consulats dans les empires colo-niaux des autres puissances européennes.

Jean-Baptiste Décury de Saint-Sauveur, fils d’un médecin de la princesse de Conti, fut en poste à Saint-Pétersbourg de 1744 à 1748, puis de 1757 à 1763. Sa mission première consistait à développer le commerce entre la France et la Russie. La lettre présentée ici n’est que partiellement chiffrée. Elle pré-sente donc des faiblesses puisqu’elle offre une foule de mots probables. Le chiffre lui-même est un dictionnaire chiffré, très proche du Grand Chiffre de Louis XIV. Il chiffre essentiellement des syllabes et quelques expres-sions courantes. Par exemple, 14 signifie « Monsieur » et 183 « le ». [Anne Mézin, Hervé Lehning]

Page 25: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

24

[46] HANSEN, Jules, Les coulisses de la diplomatie. Quinze ans à l’étranger (1864–1879), Paris, J. Baudry libraire–éditeur, 1880, 391 p.Vincennes, Service historique de la Défense, Ec 892, haut. 23 x larg. 12 cm

[47] Notes prises par le chef d’escadron Henri Brugère (1841–1918), attaché à la maison militaire de la présidence de la République, à propos des visites à l’Élysée de Jules Hansen, agent officieux de l’ambassade de Russie, 17, 22 et 23 juillet 1879.Vincennes, Service historique de la Défense, A.G., GR/ 1 K 160/3, fonds privé Brugère, carton 4, Mes mémoires, tome V, chapitre I, pp. 2658–2661, haut. 19 x larg. 27 cm, p. 167–181

Jules Hansen (1828-1908) est un journaliste et diplo-mate danois naturalisé français. Dans ses notes, le chef d’escadron Henri Brugère relate les visites fréquentes que cet « agent officieux de l’ambassade de Russie » rend au président Jules Grevy (1879-1881). Partisan d’une alliance militaire franco-russe, il devient l’inter-médiaire entre la France et la Russie et ses agents russes transmettent directement ses lettres au tsar Alexandre III. Lors de « l’affaire des espions » décou-verte par Bismark en 1885, deux officiers danois sont éclaboussés. Engagés par Hansen, ils avaient quatorze ans durant envoyé au gouvernement fran-çais quelques 2 000 rapports sur l’armée allemande. [Michel Roucaud]

[48] Métaphore symbolisant le dispositif technologique de diffusion du monde avant l’ère des ordinateurs, 1673. Athanasius Kircher, Phonurgia Nova […], 1673, livre I, section VII, p. 162.Paris, Bibliothèque nationale de France, FOL–Z–746, haut. 33 x larg. 22, 5 cm

Athanase Kircher (1602-1680), théologien jésuite, mathématicien et théoricien de la musique, a passé une grande partie de sa vie à Rome, où il mourut en 1680. Il a reçu le patronage du pape Urbain VIII. Son ouvrage Phonurgia nova est un travail sur l’acousti- que, portant principalement sur la réflexion, la dispersion et la focalisation du son. Il y évoque certains appareils acoustiques tels que le « stentorophonica de tuba » (la trompette retentissante), et le « citofonica de statua » (la statue parlante), assez proche du microphone qu’il conçoit comme un tube en forme de spirale énorme, avec une surface intérieure parfaitement habillé pour émettre les ondes.

Traduction : « L’intérieur d’un ABCD chambre, où un tube en forme de spirale a été mis et déplacé dans E ou dans le conduit vertical S se trouve une statue ayant déplaçant la bouche et les yeux et ayant respiré la vie par toute la masse du corps. Cette statue doit être située dans un lieu donné, afin de permettre à l’extré-mité du tube en forme de spirale corresponde précisé-ment à l’ouverture de la bouche. De cette manière, il sera parfait, et capable d’émettre clairement tout type de son. En fait, la statue sera en mesure de parler en permanence, en poussant soit une voix humaine ou animale. Il va rire ou se moquer. Il semble vraiment pleurer ou gémir. Parfois avec un grand étonnement, il soufflera fortement. Si l’ouverture du tube en forme de spirale est située en correspondance avec un espace public ouvert, tous les mots humains pronon-cés, portés dans le conduit, seront relus par la bouche de la statue. Si des chiens aboient, la statue saura aboyer. Si quelqu’un chante, la Statue répondra avec le chant et ainsi de suite. Si le vent souffle, cela sera pris dans le tube en forme de spirale. Par conséquent, la statue sera contrainte d’émettre des respirations très fortes. Appliquant le souffle à la conduite, il va jouer. Apporter la trompette à proximité de la bouche de la statue, l’instrument de musique va jouer et il fera d’in-nombrables effets amusants de la nature, à condition que le tube en forme de spirale est disposé avec la plus grande précision. »

Page 26: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

25

De précoces et puissantes polices de renseignement

Sur le territoire français, c’est à la police qu’a été confiée une mission de surveillance. C’est à l’époque de la Régence que l’on assiste à l’apparition d’une première police d’information chargée, en se dissimulant, de s’informer sur l’état des esprits dans le cadre de la lieutenance générale de police de Paris, créée en 1667. Mais c’est sous les régimes impériaux au XIXe siècle que se mettent en place des polices nationales centralisées avec de puissantes polices de renseignement. Ces polices écoutent, surveillent et relèvent ce qu’elles entendent. De la création, en 1855, de la «�police des chemins de fer�» au décret de 2014 créant la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), il y a une forte continuité des missions�: collecter de l’information à caractère politique pouvant menacer le régime et lutter contre l’espionnage étranger.

[64] Opération d’écoutes par des policiers en civils, stationnés en camionnette [1920–1930].Paris, Archives de la préfecture de Police, 5254 N, haut. 30 x larg. 27 cm

Page 27: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

26

[49] Édit imprimé portant création de la lieutenance générale de Police, donné à Saint–Germain–en–Laye par Louis XIV, 15 mars 1667.Archives nationales, AD�/+/�390, haut. 26 x larg. 32 cm

Avant 1667, Paris est pourvue de nombreuses autori-tés en charge de la police : le prévôt de Paris gère la capitale ; le lieutenant civil et le lieutenant criminel se partagent la justice et la police de la ville, aux termes d’un arrêt du Parlement du 12 mars 1630 ; le prévôt des marchands dispose de compétences identiques dans le cadre du bureau de la ville. La corruption et la confusion entre les institutions entraînent la réforme de la police dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et a pour conséquence de déclencher la réforme de mars 1667 qui créé la Lieutenance générale de police. Cette création témoigne de la volonté politique de Louis XIV d’intervenir dans le maitien de l’ordre et de réformer profondément la police dans les villes. La nouvelle charge de lieutenant criminel participe du renforcement de l’État moderne au XVIIe siècle. Par ailleurs, ce magistrat est en charge de la sûreté, de la commodité et de la surveillance des habitants dans une zone définie.

[50] Relevé de surveillance des populations dans les lieux publics, appelés Gazetins de la police parisienne, 24–25 août 1732.Paris, Bibliothèque nationale de France, Arsenal, MS–10162, haut. 24,5 x larg. 20, 5 cm

Compilation de nouvelles et de rapports de police, les textes de ce gazetin vont de quelques mots suc-cincts à de véritables compte-rendus. Ces bulletins du lieutenant général de police, souvent monotones, nous révèlent surtout des anecdotes dignes d’un carnet mondain. D’autres textes rédigés par les informateurs travaillant pour le lieutenant criminel rapportent des faits, des rumeurs et des propos entendus dans des lieux publics. Nous sommes là dans les prémices de la surveil- lance et de l’écoute modernes.

[51] Lettre manuscrite de Jean–Charles–Pierre Le Noir, lieutenant général de police de Paris, alertant Antoine–Jean Amelot de Chaillou, secrétaire d’État de la Maison du Roi, de l’affichage d’un placard au contenu illicite, 22 juillet 1782.Archives nationales, O/1/361, n°289., haut. 27 x larg. 21 cm

[51 bis] Placard de propagande, trouvé aux Champs– Élysées, s’élevant aux noms des droits de «�l’humanité�» contre l’oppression et pour la liberté, [1782].Archives nationales, O/1/361, n°�286

Le rôle d’informateur des forces de police est claire-ment une force du pouvoir central. Jean-Charles-Pierre Le Noir est lieutenant général de police de la ville de Paris, nommé par commission du 17 juin 1776. Il cumule, à partir du 4 avril 1784, la charge de « Maître de la librairie du roi, Intendant et Garde du Cabinet des livres, manuscrits, médailles, raretés, antiques et modernes et Garde de la Bibliothèque du roi ». Dans le cadre de sa charge de Maître de la librairie du roi, il a un rôle important en matière de censure des écrits subversifs. Sous Louis XV, en qualité de maître des requêtes, le rôle éminent qu’il joue pour les « secrets du roi » auprès de Charles Alexandre de Calonne est reconnu lors de l’affaire « La Chalotais ». Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, procurateur général de Bretagne, est à la tête de l’opposition du parlement de Bretagne contre la levée d’impôts extraordinaires. Le secrétaire d’État à la maison du roi chargé des affaires de la province, Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, reçoit deux lettres anonymes dont « La Chalotais » est suspecté d’être l’auteur, ce que confirment alors trois experts en graphologie. La Chalotais est arrêté le 11 novembre 1765, ainsi que son fils et quatre autres parlementaires. Cette arresta-tion fait sensation et l’on parle de ce despotisme dont Voltaire va fonder la légende.

Couverture d’un dossier du bureau particulier du ministère de la Police au nom de Schulmeister, témoignant de son rôle «�d’agent secret�» auprès du ministre de la Police, 10 septembre 1807.Archives nationales, F/7/6503, dossier 844, reproduction

[52] Lettre de l’espion Charles Schulmeister au général de division Savary, aide de camp de l’Empereur et colonel de la gendarmerie d’élite de la Garde impériale. Schulmeister demande des missions plus importantes et veut être lavé des fausses accusations, 21 octobre 1805.Vincennes, Service historique de la Défense, GR C2 6, f° 294, haut. 41 x larg. 25 cm

Charles Schulmeister (1770-1853) est l’un des agents les plus habiles et discrets de la police impériale. Pré-senté à Napoléon en 1804, il reçoit un grade dans l’armée et est attaché au général Savary, colonel de la gendarmerie d’élite et responsable du maintien de la sûreté publique et de la police. Cantonné jusqu’alors à un rôle d’observateur, Schulmeister réclame par cette lettre des missions plus importantes, désireux qu’il est de prouver « son dévouement intime et sans borne »

Page 28: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

27

à l’Empereur. Son passé de contrebandier lui ayant attiré des « ennemis », il veut également être lavé des fausses accusations que ces derniers portent à son encontre. Par la suite, Schulmeister aura maintes fois l’occasion de se montrer un combattant intrépide et un agent de renseignement devenu célèbre. [Richard Ravalet]

[53] Transcription des débats tenus devant la Cour d’assises de Paris ouvrant le procès de «�l’affaire Michel�» (séance du 13 avril 1812). Michel et trois autres personnes sont accusés d’intelligence avec l’ennemi pour avoir vendu des secrets militaires à la Russie.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 5 Yg 60, haut. 32 x larg. 23 cm

La Russie d’Alexandre Ier dispose de l’« Expédition secrète », un service particulier du ministère de la Guerre chargé du renseignement d’intérêt militaire. Cet appareil d’espionnage recrute des agents dans l’Europe napoléonienne. À Paris, le colonel Alexandre Ivanovitch Tchernychev, représentant le tsar auprès de Napoléon, parvient à infiltrer le bureau du mouve-ment des troupes du ministère de la Guerre. Mais en février 1812, la police impériale découvre la taupe, un certain Michel, simple employé devenu agent russe par corruption, qui copiait des informations essentielles sur l’organisation de la Grande Armée. Michel est confondu et arrêté avec trois complices, tous accusés d’intelligence avec l’ennemi pour avoir vendu des secrets militaires à la Russie. Seul Michel est condamné à mort et exécuté le 1er mai 1812, les autres sont acquittés. [Richard Ravalet]

Extrait : « Michel, dans le système de l’acte d’accu- sation, vous auriez vendu et livré moyennant des rétri-butions d’argent, le secret de l’État […] vous avez fait des déclarations dans lesquelles vous avez donné le détail, le développement de vos liaisons de vos intelli- gences avec les agents de la Russie. »

[54] Exemplaire des Bulletins quotidiens de la Police générale, établis grâce aux renseignements des services centraux du ministère, des arrondissements et des commissaires généraux, 20 mai 1812.Archives nationales, AF/IV/1522, feuillets 10 et 533–538, haut. 38 x larg. 25 cm

Pour assurer une liaison entre ses services et tenir informé au jour le jour l’Empereur, le ministre Fouché conçut ce bulletin quotidien, rédigé par un certain François. Tous les soirs, de 1804 à 1814, partit du ministère ce cahier d’une vingtaine de feuillets, réclamé par Napoléon au cours de ses plus lointains déplacements : « Dans ces vingt feuillets tenait en raccourci toute la vie d’un Empire pendant vingt-

quatre heures – ou du moins ce qu’on en savait au quai Voltaire » [Ernest d’Hauterive, La Police secrète du Premier Empire, Paris, Perrin, tome I, 1908, p. III]. Le bulletin reflète, dans sa structure, le fonctionnement du ministère de la Police générale instauré en 1804 : un secrétariat général, une division de la police admi-nistrative, une division de la sûreté générale et trois autres divisions aux tâches spécifiquement administra-tives. Comme l’indique ce bulletin du 20 mai 1812, l’Empire était divisé en arrondissements : un 1er pour le Nord, l’Ouest et l’Est, soit 51 départements, le plus important par l’étendue et par la gravité des problèmes potentiels (Chouans de l’Ouest, contre-bandiers de l’Est) ; un 2e pour le Midi et une partie de l’Est ; un 3e pour Paris, ressort de la préfecture de Police ; un 4e pour les départements au-delà des Alpes. Des commissaires généraux furent établis dans les villes frontières, les ports et les centres d’agitation ; des directeurs généraux de la police furent ensuite établis en sus dans les parties annexées de l’Empire. Pour les pays situés hors de l’Empire – la rubrique « Extérieur » de ce bulletin –, il fallait compter sur les nou- velles collectées grâce aux agents secrets. [Isabelle Chave]

[55] Portrait de «�Joseph Fouché, duc d’Otrante, Grand–croix et chevalier de plusieurs Ordres, né le 21 mai 1759 à Nantes, département de Loire–Inférieure�; à Paris, chez l’auteur, rue de Touraine, n° 6 Faubourg Saint–Germain�». Estampe en couleur, sans date.Archives nationales, AE/II/3822, haut. 24 x larg. 17 cm

[56] Circulaire de Joseph Fouché, ministre de la Police de Napoléon Ier et duc d’Otrante, enjoignant les préfets «�de veiller à la sûreté de l’État�». Le Moniteur universel, n° 94, 4 avril 1815, p. 4.Archives nationales, bibliothèque historique, Y II 5 / année 1815, haut. 32 x larg. 23 cm

La loi du 2 janvier 1796 crée sous le Directoire un ministère de la Police générale. En juillet 1799, Fouché en devient le titulaire ; il le demeure sous l’Empire. Le ministère comprend une division dite de la police de sûreté et de surveillance, c’est-à-dire « une police secrète », gérée par le commissaire Desmaret. La cinquième division de la préfecture de police, dépen-dant du ministère, est quant à elle responsable de la censure. C’est cette institution du quai Voltaire qui met en place un réseau de mouchards. Des provocations policières permettent aussi de se débarrasser des opposants à l’Empereur. En 1853 Napoléon III crée la Sûreté générale dont les méthodes sont inspirées de la police secrète de Fouché.

Page 29: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

28

[57] Buste de Napoléon III représenté en uniforme de général, avec le grand cordon sur piédouche carré, signé à droite «�A. Barré fit�», 1852.Archives nationales, AB/XXIII/Inv. XIX/21, AE/VIa/69, haut. 85 x larg. 64 cm

[58] Décret impérial n° 3615, autographe, créant un service spécial de commissaires et d’inspecteurs chargé de la surveillance des chemins de fer, 22 février 1855. Ce service joue d’abord un rôle de police administrative (surveillance des étrangers) et contre–espionnage.Archives nationales, F/1a/1648, haut. 39 x larg. 24 cm

Le corps de police générale créé par le décret est dirigé directement par le ministère de l’Intérieur. Il est présent le long des lignes de chemin de fer, sur tout le territoire. Le rôle de ces commissaires spéciaux est éminemment politique : dès leur création, ils informent de leurs missions de contrôle des personnes la Sûreté générale et les préfets de leur département. Certains d’entre eux se voient également confier la surveillance des migrations étrangères et la police des ports et des frontières. Cette « police spéciale » du Second Empire est de fait la première police de renseignement, qui va être conservée par les régimes suivants. [Grégory Zeigin]

Rapports quotidiens du préfet de police relatifs à l’Allemagne et à la surveillance du personnel et des domestiques de l’ambassade d’Allemagne, 1875–1893.Paris, Archives de la préfecture de Police, BA 71, [59] haut. 31 x larg. 22 cm et [60] haut. 28 x larg. 23 cm

[59] Rapport sur l’empereur d’Allemagne et l’aide de Camp Radziwill, 21 septembre et 27 octobre 1889.

[60] Liste des membres de l’ambassade d’Allemagne, 8 août 1884.

Cette série se compose de documents versés aux Archives nationales par le cabinet du préfet de police. Le fonds se compose de rapports de recherche et de renseignements individuels sur les associations, les partis politiques, les personnes et les personnels des ambassades. Leurs déplacements et leurs contacts sont minutieusement relevés afin d’identifier les per-sonnes qui pourraient porter atteinte à la sûreté de l’État en espionnant au profit d’un État étranger.

[61] Extrait de l’instruction sur le carnet B pour les états–majors de corps d’armée et la gendarmerie, rédigée conjointement par les ministères de l’Intérieur et de la Guerre, 1er novembre 1912.Archives nationales, 19940500/68, d. 1328. Carnet relié, haut. 28 x larg. 22 cm

Le carnet B est un outil de contrôle visant initiale-ment les personnes de toute nationalité suspectées d’espionnage : mis en place en 1887, il doit permet- tre de rendre efficiente la première loi française répri-mant l’espionnage, datée du 18 avril 1886. À partir de 1907, sont également incriminés par le carnet B les Français considérés « dangereux pour l’ordre inté-rieur » : anarcho-syndicalistes et opposants politiques. Il est mis en œuvre par les brigades de gendarmerie sous forme de fiches nominatives (signalements, acti-vités), sous contrôle des préfets et des état-majors de corps d’armées, suivant une instruction conjointe de l’Intérieur et de la Guerre. Cette instruction figure au dossier « secret » des préfectures, regroupant les direc-tives à suivre en cas de mobilisation générale : en effet, ce carnet doit permettre l’arrestation préventive de ces éléments « dangereux ».

[62] Notes mentionnant différentes missions des Renseignements généraux, relevées par sujet, dans le registre n°1140, pour les années 1925 à 1927.Archives de la DGSI, haut. 36, 5 x larg. 27 cm

Le registre permet de distinguer les thèmes suivis et exploités par les Renseignements généraux à cette époque, aussi variés que les communautés étrangères, les associations de réfugiés, les partis politiques et particulièrement le Parti communiste, les ingérences étrangères, les scandales politiques et financiers, etc. Il mentionne aussi diverses rubriques, dont la Russie ou l’Espagne.

[63] Arrêté dactylographié du ministre de l’Intérieur précisant l’organisation de la Direction de la surveillance du territoire (DST), créée par ordonnance le 16 novembre, 22 novembre 1944.Archives nationales, F/1a/3263, arrêt n°8017/SN/ST, haut. 29 x larg. 23 cm

Ce document dactylographié reflète la création du service de contre-espionnage, qui est l’une des directions centrales du ministère de l’Intérieur. L’arrêté expose son organisation hiérarchique et ses attribu-tions, entre autre la répression des communications radio-électriques clandestines. À travers les spécialités mentionnées, on peut deviner les différents types de personnels composant la nouvelle DST.

Page 30: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

29

[64] Opération d’écoutes par des policiers en civils, stationnés en camionnette [1920–1930].Paris, Archives de la préfecture de Police, 5254 N, haut. 30 x larg. 27 cm

[65] Transcription d’écoutes téléphoniques effectuées par les Renseignements généraux dans les milieux activistes favorables à l’Algérie française, au lendemain de la «�semaine des barricades�» d’Alger�: enregistrement de Baudoin à Mme Lacoste, puis à Alain de Lacoste, 16 juin 1960.Archives nationales, AG/5(F)/333. Papier pelure, haut. 29 x larg. 22 cm

En pleine guerre d’Algérie, les menaces évoluent radicalement pour le régime gaulliste. Si la lutte porte initialement contre le FLN, principale organisation nationaliste algérienne, un nouvel adversaire appa-raît au lendemain de « la semaine des barricades » (janvier 1960) : les organisations nationalistes parti-sanes de l’Algérie française. Au lendemain de cet événement, en métropole comme en Algérie, les services de police et de renseignement modifient en conséquence leurs cibles : les écoutes téléphoniques (« Z » dans le langage policier) se concentrent sur les personnalités politiques proches ou partisanes de l’Algérie française. Après le putsch raté des généraux en avril 1961, l’OAS, créée en 1961, devient l’adver- saire prioritaire du régime gaulliste. [Jean–Pierre Bat]

[66] Messages codés entre Antoine Hazoume, agent secret, et Jean–Mauricheau Beaupré et Philippe Lettéron, agents de Jacques Foccart, dans le cadre de l’assistance politique à Moïse Tshombé, Premier ministre du Congo–Léopoldville [Kinshasa], 1965.Archives nationales, 90 AJ / 119, haut. 21 x larg. 27 cm

Le Congo-Léopoldville (ex Congo belge) est le point de fixation de la guerre froide lors des indépendances de l’Afrique (1960). Au Congo, la France joue sa propre carte en soutenant Moïse Tshombé. Pour mener sa politique, Foccart s’appuie sur une « petite équipe » politique, composée de Jean Mauricheau-Beaupré, conseiller du président Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, Antoine Hazoumé, conseiller de Moïse Tshombé à Léopoldville, et Philippe Lettéron qui seconde Mauricheau avant de rejoindre Tshombé. Inspirés des méthodes de la Résistance (dont Mauricheau est issu), un ensemble de messages codés est établi entre eux pour communiquer entre Paris, Abidjan et Léopoldville. Les membres de cette « petite équipe », par leurs objectifs comme par leurs méthodes, sont qualifiés de missi dominici. Les ajouts manuscrits sont de la main de Philippe Lettéron. [Jean–Pierre Bat]

[67] Système d’encodage des messages échangés entre Jean–Mauricheau–Beaupré et Philippe Lettéron, agents de Jacques Foccart, dans le cadre du soutien à la sécession du Biafra [Nigeria], Libreville (Gabon), 1968–1969.Archives nationales, 90 AJ / 65, haut. 21 x larg. 27 cm

Entre 1967 et 1970, la province du Biafra au Nigeria fait sécession sous l’égide du colonel Ojukwu. Les alliés africains de la France, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le Gabonais Omar Bongo, soutiennent la cause biafraise. Si la France n’apparaît jamais officiellement, certains agents de Foccart s’avèrent être les chevilles ouvrières de cette opération : Jean Mauricheau-Beaupré, conseiller du président Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, et Lettéron, conseiller du président Albert- Bernard Bongo à Libreville. Le Gabon devient la plaque- tournante de l’aide au Biafra. Lettéron hérite de la liaison directe avec Ojukwu. Pour échanger clandestinement avec Mauricheau, il établit un système de langage codé. Les deux livres de codage sont des dictionnaires français-anglais ; le texte fonctionne avec un code grille composant un code à six chiffres. [Jean–Pierre Bat]

[68] Carte manuscrite des implantations des bureaux de la Direction de la surveillance du territoire et des services d’interception, 1947.Archives de la DGSI, haut. 29,7 x larg. 21 cm

Les implantations des bureaux de la DST sont calqués sur les régions militaires et repris sur une carte scolaire. Au début de la guerre froide, les services d’interception radio sont déployés largement sur tout le territoire français. Les dénominations dépendent de la taille du bureau : ainsi l’on note le bureau de la surveillance du territoire (ST) et le centre d’écoutes radio (CER). Le symbole de l’éclair mentionne l’implantation d’un service de la DST chargé des interceptions radio, alors que les contrac-tions AST, BST sont des antennes et des brigades dites en implantation locale et militaire. [Roger Simon]

[69] Carnet d’observation de la Direction de la surveillance du territoire des véhicules diplomatiques, [vers 1975–1990].Archives de la DGSI, haut. 12 x larg. 46 cm

Le carnet de surveillance des véhicules diplomatiques permettait aux forces de police et de gendarmerie de signaler à la DST les déplacements de diplomates étrangers susceptibles de se livrer à des activités de renseignement sur le territoire français. Un code d’identification était attribué à chaque pays. En pleine Guerre froide, le code 115 CD mentionnait ainsi l’ambassade de l’URSS.

Page 31: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

30

Un renseignement extérieur militarisé

Longtemps prérogative des diplomates, le renseignement extérieur devient, au terme d’une longue lutte, l’affaire exclusive des militaires dans le dernier tiers du XIXe siècle. Au XIXe siècle, le Dépôt de la guerre et le Dépôt de la marine deviennent les centres de conservation du renseignement militaire. À partir de la IIIe République sont créés au sein de l’état–major un «�2e bureau�» et une «�section de statistique�»�: avec ces services de renseignement en temps de paix, le renseignement moderne apparaît en France. L’armée et la marine savent utiliser très rapidement les évolutions technologiques à leur avantage, de la montgolfière au satellite. Au cours des deux guerres mondiales, les services de renseignement utilisent de plus en plus les nouveaux outils issus des progrès techniques et, à la fin du XXe siècle, ils deviennent dépendants des technologies de l’information.

[87] Portrait de André Dewavrin, chef des services secrets de la France libre (Bureau central de renseignements et d’action�–�BCRA), sans date. Rue des Archives, 00285614, haut. 31 x larg. 21 cm

Page 32: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

31

[70] Demande d’une gratification de 2�200 livres en faveur de Simon Droy de Louvrier, espion de Louis XV. Vincennes, Service historique de la Défense, GR Ya 504

En 1752, se méfiant de sa propre administration des Affaires étrangères, Louis XV entend les conseils de son cousin le prince Louis François de Bourbon-Conti, afin de profiter de la correspondance secrète que ce dernier entretient avec les ambassadeurs. Une diplo-matie parallèle est ainsi mise en place au sein d’un nouvel appareil d’espionnage : le « Secret du roi ». Des agents présents dans toutes les grandes capitales sont recrutés dans le corps diplomatique et soumis au secret absolu. Le roi paie ces agents secrets sur sa propre cassette. Simon Droy de Louvrier est l’un d’eux, qui réclame ici une gratification de 2 200 livres. Après un refus en séance du Travail du roi, il lui est finalement alloué la somme de 1 200 livres. Le « Secret du roi » est dissous à la mort de Louis XV (1774). [Richard Ravalet]

[71] Mémoire adressé au duc de La Vauguyon (31 janvier 1771), contenant les états de services remarquables de Simon Droy de Louvrier, agent de renseignement français entre 1733 et 1761, en Italie, Bohême, Écosse, Angleterre, dans les états allemands et aux Pays–Bas espagnols.Vincennes, Service historique de la Défense, GR Ya 504, haut. 36,5 x larg. 24 cm et 48,2 x 36,1 cm

Simon Droy de Louvrier est un agent de renseigne-ment français à la rare longévité, fait singulier pour les espions de cette période. Au service d’hommes tels que le Dauphin, le cardinal de Fleury, le duc de Noailles, le marquis de Choiseul, les maréchaux de Saxe, de Lowendal ou d’Estrées – et bien d’autres encore, il est à la tête d’un véritable réseau personnel d’informateurs et d’agents. Ses missions secrètes, menées entre 1733 et 1761, le conduisent en Italie, Bohême, Écosse, Angleterre, dans les états allemands et aux Pays-Bas espagnols. Combattant aguerri, il participe également à la bataille de Fontenoy (1745) et a trois chevaux tués sous lui à la bataille de Warburg (1760). Remplacé par une nouvelle génération d’espions, Louvrier finit misérablement sa vie à Paris. [Richard Ravalet]

[72] «�Mémoire sur la nécessité de former des officiers à la connoissance militaire d’un pays�» (1765). Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 M 1762, fol 9, haut. 31 x larg. 21 cm

Ce document attribué à Pierre-Joseph de Bourcet (1700- 1780), lieutenant général des armées du roi, pose les jalons de la formation en matière de renseignement militaire. Issu du corps des ingénieurs du génie, Bourcet sert en Italie et en Allemagne avant d’être nommé par le roi commissaire principal pour délimiter la frontière entre le royaume de France, le duché de Savoie et le Piémont. Fort de son expérience, il élabore et propose une méthode pour former en trois années – ou campa- gnes – les officiers aux missions de reconnaissance. Il prévoit les fonds nécessaires pour financer l’enseigne- ment, ainsi que la teneur des instructions et des exa-mens de passage. Le lieutenant général Bourcet, connu par ailleurs pour ses travaux sur la guerre de monta- gne, crée à Grenoble la première école d’état-major, dont Napoléon s’inspirera ultérieurement. [Richard Ravalet]

Extrait : « Parmi les objets dont un général d’armée doit s’occuper, celui de la connaissance d’un pays où il aura a opéré, et plus important, s’il n’a pas acquis par lui-même, il est indispensable de lui fournir des offi-ciers qui l’a lui donnent […] » ; « outre des dessinateurs, il conviendra d’avoir des indicateurs, et comme ceux qui pourront être fournis pour les officiers municipaux, ne se trouveront pas également capables. Il sera fort important d’entretenir six, intelligens et choisis, sur cha- que frontière qui serviront dans tous les tenus de princi-paux guides, et perpétuer la connaissance du pays. »

[73] Journal de Jean–Claude Locquin, officier du Génie sous Napoléon Ier, qui décrit les tranchées aménagées autour de la citadelle de Milan, 1804–1805.Archives nationales, 607AP/99, d. 3, haut. 32 x larg. 23 cm

Créé par Vauban, le Génie militaire est l’ensemble des techniques d’attaque et de défense des places, des postes, et de construction des infrastructures néces-saires aux armées au combat. La devise de cette spé-cialité militaire est « combattre, construire et protéger ». Sous l’Empire, le Génie se développe fortement et il est occupé aux innombrables travaux de guerre et de fortifications, tel que nous le voyons ici en Italie. Son effectif dépasse souvent les 20 000 hommes. Jean-Claude Locquin, ancêtre par alliance du ministre de la police générale, Charlemagne-Émile de Maupas, est l’archétype des officiers de ce corps, précis et dévoué. Ces ingénieurs des places fortes sont aussi des informateurs spécialisés sur les places à attaquer, les ponts à franchir ou les routes à déminer. Le Génie participe tant à la protection des troupes qu’à déjouer les pièges de l’ennemi.

Page 33: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

32

[74] Notes de renseignement sur l’organisation de l’armée anglaise, par Charles Latrille de Lorencez, colonel du 49e régiment de ligne [juillet 1853].Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 M 1430, haut. 31,5 x larg. 21,5 cm

Alors que les troupes du tsar Nicolas Ier de Russie se massent en Bessarabie et menacent l’Empire ottoman, la France et le Royaume-Uni se rapprochent militaire-ment pour contrer l’expansionnisme russe. C’est sans doute dans la perspective d’une coopération armée en Crimée que Charles Ferdinand Latrille (1814-1892), comte de Lorencez et colonel du 49e de ligne, est envoyé en observateur parmi les 8 000 soldats britanniques du camp d’instruction de Chobham en Angleterre (juillet 1853). Dans son rapport au ministre de la Guerre, il décrit de façon détaillée l’état et l’orga- nisation de la British Army à la veille de la guerre de Crimée (habillement, armement, casernement, recrute-ment, avancement, formation, etc.). Il termine sa carrière comme général de division. [Richard Ravalet]

[75] Liste de recommandations verbales faites aux officiers français en mission de reconnaissance à l’étranger, 1868. Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 M 1577, haut.32 x larg. 22 cm

La discrétion étant primordiale en matière de rensei-gnement, l’armée fournit quelques éléments de lan-gage et bons réflexes pour la réussite des missions. Ce document étonnant par sa forme presque naïve, illustre la tentative de renouveau du renseignement militaire français à la suite de la découverte de la puissance militaire prussienne, rendue éclatante dans sa victoire contre l’Autriche à l’été 1866. Sous le com-mandement du lieutenant-colonel Lewal, une vague de missions d’espionnage est organisée au sein du Dépôt de la Guerre. L’Outre-Rhin occidental est ainsi quadrillé par des officiers en civil. La discrétion étant primordiale dans ce domaine, l’armée dispense aux nouveaux agents de terrain les bons comportements à observer pour la réussite de leur mission et leur four-nit des éléments de langage en cas d’interrogatoire par les autorités du pays. Avant toute chose, il est préconisé aux futurs espions de prendre « des allures de touristes », camouflage indispensable pour ne pas éveiller les soupçons. Ce document montre également combien la photographie est devenue un outil essen-tiel pour la collecte du renseignement militaire. À la suite de plusieurs arrestations, un terme est mis aux missions en 1869. [Richard Ravalet]

[76] Note sur la rationalisation des missions de reconnaissance du Dépôt général de la Guerre par le lieutenant–colonel Jules–Louis Lewal, chef du 2e bureau, à son directeur, 1868. Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 M 1577, haut. 33 x larg. 22 cm

Le futur général et ministre de la Guerre opte pour une augmentation et une meilleure répartition des effectifs. Ayant séjourné en Afrique (1852-1859) et participé aux campagnes d’Italie (1859) et du Mexique (1862- 1867), le lieutenant-colonel Jules-Louis Lewal (1823-1908) connaît bien l’importance des missions de reconnaissance sur le terrain. En 1868, nommé chef du 2e bureau au Dépôt général de la Guerre, il cherche à améliorer de façon pragmatique les reconnais- sances et rendre le travail des hommes plus efficace. Prenant comme exemple l’étude des contrées situées entre Rhin et Weser, il démontre à travers deux tableaux qu’une augmentation et une meilleure répartition des effectifs apportent des résultats plus satisfaisants. Auteur de publications sur la tactique et la stratégie militaire, Lewal termine sa carrière comme général de division et ministre de la Guerre dans le gouvernement Ferry (1885). [Richard Ravalet]

Extrait : « Les officiers se rendant à l’étranger évi-teront tout ce qui peut attirer l’attention […], ne feront pas d’investigations trop significatives […], ne réside-ront pas plus d’un jour au même endroit ».

[77] Représentations des positions des escadres des navires français et anglais devant Pondichéry (sud–est de l’Inde), accompagnant le «�Journal de la première expédition [du comte d’Aché] jusqu’au retour de l’escadre à l’île de France�», 1758.Archives nationales, MAR/B/4/77, fol. 227, dans lot 225 à 228 [dessin] haut. 31,5 x larg. 21 cm

Au XVIIIe siècle, le long des côtes de l’Inde, Anglais et Français sont présents par l’intermédiaire de leurs Compagnies des Indes respectives, organismes parapublics exerçant des fonctions administratives et militaires. La lutte entre les deux pays atteint son paroxysme au cours de la guerre de Sept ans (1757-1763) qui se solde par la chute du premier empire colonial français. En 1757, Lally-Tollendal est chargé de défendre Pondichéry, principal établissement fran-çais sur la côte de Coromandel. Il reçoit l’appui de la petite escadre du comte d’Aché. Côté anglais, le vice- amiral Pocock dispose d’une flotte un peu plus puis-sante, quoique moins nombreuse. En 1758 et 1759, plusieurs engagements, dont aucun n’est décisif, ont lieu devant Gondelour, petite place forte au sud de Pondichéry.

Page 34: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

33

Remarquables par leur finesse, les quatre des-sins insérés à la suite du journal du comte d’Aché relatent un épisode inconnu de cette lutte qui aurait eu lieu entre les combats des 29 avril et du 3 août. Pondichéry, imposante forteresse au centre est encadrée de deux places de moindre importance : Gondelour, surmontée de l’Union Jack, où les Anglais sont assiégés ; Congimedu (ou Congimere), au nord, devant laquelle mouille la flotte anglaise. La flotte française a pris position devant Pondichéry. On nous raconte, au moyen des dessins et de leurs légendes, une suite de manœuvres sans engagement mais favo-rables à la flotte française. Les Anglais se retirent vers Madras tandis que le comte d’Aché, ne jugeant « pas à propos de les poursuivre », vole au secours des assiégeants de Gondelour « excédés de fatigue ». Nous serions donc en présence d’une « victoire fran-çaise », remportée par le comte d’Aché qui cherche peut-être à se justifier… On lui reprocha en effet son manque d’offensive qui aurait contribué au désastre final. [Brigitte Schmauch]

[78] Mémoire du capitaine Joseph Émile Vanson, chargé d’une mission de reconnaissance en Allemagne du Nord, 10 avril 1868.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 M 1541, haut. 35 x larg. 22 cm

Le capitaine Joseph Émile Vanson (1825-1900), affecté à l’état-major de la 1re division de voltigeurs de la Garde impériale, est chargé d’une mission de reconnaissance éclair en Allemagne du Nord, dans le cadre des missions Lewal. Il connaît bien la région et y possède un véritable réseau d’informateurs. Il expose avec une grande intelligence l’organisation de l’armée prussienne, ses qualités, sa réactivité et ses capacités mobilisatrices en cas de conflit. La grande érudition de cet officier et ses capacités d’analyse lui permettent l’année suivante d’intégrer le Dépôt géné-ral de la Guerre. Après la défaite de 1870, Vanson devient le créateur du renseignement militaire français contemporain qu’il organise entièrement dès le temps de paix [Richard Ravalet]

[79] Liste nominative, par arme, des attachés militaires français détachés près des ambassades et des légations de la République à l’étranger, 6 janvier 1882.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 7 N 663, haut. 34 x larg. 26 cm

L’attaché militaire français à l’étranger constitue un relais diplomatique dans le pays où il est en poste, mais est aussi un rouage du réseau de renseignement, essentiel et identifié comme tel. Il peut être considéré comme un adjoint de l’ambassadeur français, seul

représentant de l’État à l’étranger. En revanche, il ne peut être désigné comme un agent de renseigne-ment au sens propre puisqu’il pratique ce que l’on considère comme du renseignement ouvert. Ainsi, le pays hôte connaît parfaitement la portée et la teneur des informations qu’il collecte ou qui lui sont déli-vrées sciemment. Les attachés militaires participent aux manœuvres, aux présentations d’armement, rap-portent des informations sur l’organisation de l’armée du pays dans lequel ils sont en poste. Ils examinent la presse et envoient régulièrement des rapports sur la vie politique, la vie économique ou sociale. Plus rarement, comme l’attestent les archives, ils peuvent aussi recueillir des offres d’espionnage contre leur pays hôte, voire organiser la collecte de renseigne-ment fermé, c’est-à-dire espionner. [Hélène Guillot]

[80] Vue, d’après nature, du siège et de l’embrasement de Charleroi, salon de 1800 (n°�247), par Louis François Le Jeune.Paris, Musée de l’Armée, INV 4705 DEP. Huile sur toile, haut. 87,8 x larg. 107,2 cm

En décembre 1790 commence la révolution braban-çonne et Charleroi connaît une nouvelle période de troubles : les Autrichiens occupent la ville le 25 décembre ; ils cèdent la place aux vainqueurs français de Jemappes le 8 novembre 1792 avant de la reprendre le 28 mars 1793 après la défaite de Neerwinden. En 1794, le général Charbonnier met le siège devant la ville mais est repoussé. C’est Jourdan qui parvient à prendre la place après six jours d’un bombardement intensif.

Le peintre Le Jeune représente ici une montgol-fière, laquelle avec le télégraphe aérien de Chappe, avait trouvé un emploi militaire dans la transmission des ordres entre le gouvernement et les armées. L’aide de camp Alexandre Berthier note le 25 juin 1794 qu’un ballon captif servit à découvrir toutes les dispo- sitions des assiégés pour la défense de la place. C’est à Guyton de Morveau, représentant du peuple, que l’on doit l’utilisation de l’aérostat et c’est pendant la prise de Charleroi et la bataille de Fleurus qu’on eut recours pour la première fois à l’observation aérienne, depuis Jumet (lieu-dit de Belle-Vue), d’un champ de bataille grâce à l’aérostat L’Entreprenant, premier moyen de renseignement militaire aérien mobile.

Page 35: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

34

[81] Militaire de dos, écoutant par un tube relié à un dispositif d’amplification, formé de 4 tubes coniques, 1870.ECPAD, AUL 98

[82] Fiche présentant des renseignements obtenus lors de l’interrogatoire de Lucien Dock, 16 juin 1941.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 7 NN 2365, haut. 35 x larg. 25 cm. Reproduction

Depuis 1940, les services de renseignement de l’État français organisés en bureaux des menées antinationa- listes (BMA) dont une partie est clandestine, coopèrent afin de lutter contre la propagande gaulliste et com-muniste et assurer la sécurité de l’armée d’armistice. Ainsi, nombre d’informations sont réunies et envoyées à la direction des BMA de Vichy pour exploitation. Mis à part la personne interrogée, aucun des protago- nistes cités dans la fiche ne l’est sous son véritable nom. Ainsi, on apprend que le dénommé Lucien Dock a été arrêté par « 1300 », le BMA de Clermont-Ferrand, après avoir été signalé par « 1700 », celui de Toulouse. Lucien Dock a révélé lors de son interrogatoire un pro-cédé d’encre sympathique, les adresses des boîtes aux lettres des services de renseignement allemands de Stuttgart, mais aussi le mode de chiffrement et déchiffrement qu’il utilise. La fiche est signée « Marcel », agent de renseignement qui a vraisemblablement dirigé lui-même l’interrogatoire. [Hélène Guillot]

[83] Compte–rendu d’écoutes téléphoniques effectuées sur des soldats allemands de tous grades. Leur identité a été remplacée par le nom de la ville dans laquelle ils sont affectés, 20 juin 1941.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 7 NN 2365, haut. 35 x larg. 25 cm. Reproduction

Il s’agit ici d’une transcription de conversations télé-phoniques entre soldats allemands stationnés dans le centre de la France, principalement dans les villes de Limoges et de Bourges. Ces écoutes ont été effec-tuées par les services des « Travaux ruraux » (TR), service de contre-espionnage militaire clandestin de l’armée d’armistice commandé par le commandant Paul Paillole (1905-2002), comme l’indique la couleur

rose du papier utilisé. Les échanges ont donc été tra-duits par un premier agent des services de rensei-gnement. Toutes les identités sont révélées, montrant que les militaires surveillés sont autant officiers que sous-officiers, voire même de simples soldats. Outre le tampon « Secret », quelques annotations manuscrites attirent l’attention du lecteur, principalement le trait de crayon rouge qui signifie par là-même l’attention par-ticulière à porter à l’échange de photographies qui se prépare entre les deux protagonistes. Les écoutes ont permis d’identifier une information, ainsi que le porteur des documents et donc du message, le lieu et le moment de l’échange, ouvrant la voie à une éventuelle interception ou à une surveillance supplé-mentaire. [Hélène Guillot]

[84] Schémas détaillant, dans un rapport à l’en–tête du Service de renseignements (SR), la structure du réseau Ronald et le projet, porté par son chef Roger Warin, d’une organisation combinant en les cloisonnant renseignement et action, Londres, 2 nov. 1941.Archives nationales, AG/3(2)/36, d. 1, pièce 5, p. 3 à 11, haut. 33 x larg. 24 cm

Roger Warin (1912-1997) établit ses premiers contacts avec la France libre en mars 1941 par l’entremise de Pierre Fourcaud, chargé de mission du général De Gaulle. Officier d’active, à la suite de la défaite, proche du colonel Groussard pour lequel il a un temps travaillé en 1940, il est affecté à Marseille au Bureau des menées antinationales (BMA). Il y effectue des activités de rensei- gnement et fonde le réseau Ronald. Arrêté en août 1941 avec Fourcaud et placé sous surveillance, il rejoint clan- destinement l’Espagne et arrive à Londres en novem- bre 1941, porteur d’un projet d’organisation qui « soit en même temps réseau de renseignements et réseau d’action, ceux-ci s’ignorant sauf à la tête ». Il signe alors son engagement officiel dans les Forces fran-çaises libres sous le nom de Wybot, mais n’est pas autorisé à repartir en France et devient en décembre 1941 le chef de la section de contre-espionnage du Service de renseignements (SR) de la France libre, futur Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). Un an plus tard, Wybot quitte Londres pour le 1er Régiment d’artillerie coloniale et participe à ce titre aux campagnes de Tunisie et d’Italie. Renouant avec ses anciennes missions, il est chargé à la Libération de mettre sur pied la Direction de la surveillance du territoire (DST) qu’il crée et dirige le contre-espionnage français tout au long de la Quatrième République. [Patricia Gillet]

Page 36: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

35

[85] «�Étude des possibilités d’organiser, au SR de l’état–major de l’Armée, l’écoute des conversations téléphoniques échangées par les ambassades étrangères à Paris […]», Paris, 1er juil. 1936.Vincennes, Service historique de la Défense, 99 VE 5530, haut. 31 x larg. 21 cm

Cette étude présente un projet d’écoute téléphonique des ambassades étrangères. Elle propose que le ser-vice de renseignement (SR) de l’État-major de l’Armée soit chargé de ces écoutes qui seraient réalisées dans un local des Invalides, l’installation du matériel pou-vant être prise en charge par le ministère des PTT. Ces écoutes porteraient prioritairement sur les ambas-sades allemande, italienne, anglaise et soviétique et seraient au profit exclusif des ministères des Affaires étrangères et de la Défense nationale. L’auteur du rapport souligne les difficultés de désigner du person-nel chargé de prendre les écoutes et de les traduire : il demande donc le recrutement d’officiers qualifiés ayant les connaissances linguistiques nécessaires pour conduire cette mission. À l’initiative du rapport se trouve une demande du ministère des Affaires étrangères de procéder à l’espionnage des ambassades à Paris. Ce rapport débouche sur la mise en place dès août 1936 d’un système d’écoutes des ambassades étrangères en plein accord avec le Quai d’Orsay, le ministère des PTT et la présidence du Conseil. [Frédéric Quéguineur]

[86] Portrait de Louis Rivet, chef des services secrets, 1939. Collection particulière, haut. 17 x larg. 12 cm

Le général Louis Rivet devint en 1940 responsable des services spéciaux du régime de Vichy avant de rejoindre la France libre à Alger en novembre 1942. En 1919, il rejoint le deuxième bureau de l’État- major. Affecté au Service de Renseignement de l’Armée du Rhin à Mayence, il y apprend le renseignement opéra- tionnel. Il est ensuite, en septembre 1921, affecté au Service de Renseignement de la mission militaire en Pologne, dont fait aussi partie le capitaine Charles De Gaulle. Chargé de la section allemande, Rivet observe comment les services allemands utilisent la société civile pour agir en dépit des interdictions du traité de Versailles. Spécialiste de l’Allemagne, Rivet coordonne successivement plusieurs compagnies et commandement, en s’inquiétant de la réorganisation de la Reichswehr. En juin 1936, il est nommé direc- teur du 2e bureau avec l’appui du général Weygand. Durant l’été 1940, Rivet jette les bases de l’organisation

clandestine des services spéciaux au sein de l’armée d’armistice, en créant notamment les « Travaux ruraux ». Le Bureau des menées antinationales (BMA), sous l’autorité de Rivet, mènera des actions contre l’Abwehr, mais aussi contre l’Intelligence Service. Les activités clandestines du service de renseignements militaires pendant l’occupation sont également connues sous le nom de S.R. Guerre ou Réseau Kléber.

[87] Portrait de André Dewavrin, chef des services secrets de la France libre (Bureau central de renseignements et d’action�–�BCRA), sans date.

Rue des Archives, 00285614, haut. 31 x larg. 21 cm

Simultanément, la France libre mit en place, à Londres, son propre service de renseignement, le « 2e Bureau », puis le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), sous la direction du colonel Passy (André Dewavrin) en septembre 1942. Suite au débarquement des Alliés en Afrique du nord en novembre 1942 et à la constitution du Comité français de la Libération nationale en juin 1943, la question de l’unification des services secrets français se posa. Après une première tentative de coordination du BCRA de Londres et des services d’Alger le 4 octobre 1943, un décret du 19 novembre 1943 créa la Direction générale des services spéciaux (DGSS). Ayant à sa tête Jacques Soustelle, elle comprenait une direction technique (DTSS dirigée par le colonel Passy), groupant tous les services de renseignements et d’action d’Alger (BRAA dirigé par André Pelabon), ceux de Londres (BRAL, dirigé par André Manuel). Ils sont concernés pas l’action clandestine.

Page 37: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

36

[88] Extrait sonore de l’entretien de Sébastien–Yves Laurent avec André Dewavrin, 1997. Vincennes, Service historique de la Défense, fonds PASSY, GR3 K 29, 13 mn 15 s

Le 1er juillet 1940, André Dewavrin rejoint le général De Gaulle à Saint Stephen’s House, à Londres. Plus de 50 ans plus tard, il témoigne sur la façon dont De Gaulle lui a alors confié alors les 2e et 3e bureaux. Il raconte aussi le fonctionnement du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA). À cette occa-sion, il mentionne son souhait de déposer ses archives personnelles aux Archives nationales après son décès.

La réorganisation des services secrets conduit à la démobilisation de 80 % des agents en 1945. Au printemps 1946, une violente campagne de presse contre lui, l’accuse d’avoir détourné des fonds durant la guerre pour financer le mouvement gaulliste. Dewavrin revient sur cette période délicate où des irrégularités à hauteur de un milliard sur les comptes ont été déce-lées par le trésorier payeur à Londres. Après quatre mois de prison préventive, les poursuites judiciaires sont abandonnées. André Dewavrin explique que : « De Gaulle voulait me voir, pour ses mémoires, car il ne se rappelait plus de rien sur les services secrets ». [Stéphane Launey]

[89] Note sur l’activité des agents doubles et analyse des questionnaires des services de renseignements étrangers, 15 janvier 1942. Mention «�très secret�».Vincennes, Service historique de la Défense, GR 7NN 2714, haut. 32 x larg. 22 cm

Au début de l’année 1942, il est question de mettre en place un plan d’intoxication des services de rensei- gnement étrangers. Le principe consiste à diffuser de vraies ou de fausses informations afin d’orienter l’ennemi en contrôlant ses intentions. À cette occasion, les « TR », service des « travaux ruraux », demandent qu’un point de situation soit établi sur le rôle des agents doubles. La note analyse les fonctions de ces derniers et justifie la nécessité de leur emploi à des fins de contre-espionnage, d’une part, et de rensei-gnement d’autre part. L’argumentaire s’appuie sur des exemples concrets d’opérations, rappelant notamment qu’ils ont permis de contrôler des postes émetteurs de TSF ennemis, de faire arrêter des espions allemands ou d’anticiper les plans ennemis. [Hélène Guillot]

Extrait : « Au moment où l’établissement d’un plan d’intoxication des S.R. Étrangers est susceptible d’être envisagé, TR estime indispensable de mettre au point la question des Agents doubles. Le contre-espionnage a pour but la neutralisation de l’activité des S.R. adverses ».

[90] Minute d’une lettre de Jacques Soustelle au général De Gaulle, sur l’échec de l’unification des Services spéciaux, 6 mars 1944.Archives nationales, AG/3(1)/266, dossier 4, pièce 284, haut. 28 x larg. 25 cm

Le 20 novembre 1943, un décret crée la direction générale des Services spéciaux. Cette création acte la fusion des services secrets de la France libre avec ceux de l’ancienne armée d’armistice et de l’armée d’Afrique, commandés par le colonel Rivet. Le 27 novembre, Jacques Soustelle, un civil, est nommé à la tête de cette direction par le général De Gaulle, au grand dam des partisans du général Giraud et des Alliés. Le 6 mars 1944, à Alger, Jacques Soustelle écrit au général De Gaulle, président du CFLN, pour l’informer de l’échec de l’unification des services spé-ciaux français, indiquant que « […] techniquement possible, [elle ne peut] être accomplie sans une grave crise politique ». [Nicole Even]

[91 et 92] Joséphine Baker, en uniforme, 31 décembre 1944. État signalétique et de ses services de sous–lieutenant, 10 avril 1945.ECPAD, FFL 32–100721, haut. 21 x larg. 20 cm. Vincennes, Service historique de la Défense, AI 1P 6679/1, haut. 27 x larg. 23 cm

En 1920-1925, Joséphine Baker (1906-1975) arrive à Paris dans la Revue nègre au Théâtre des Champs-Élysées, après une importante carrière aux États-Unis. En septembre 1939, elle est recrutée par le 2e bureau pour devenir un agent. Sa profession d’artiste lui per-met de se déplacer librement et de recueillir des infor-mations. Elle s’acquitte ainsi de missions importantes au cours desquelles elle utilise ses partitions musicales pour dissimuler des messages. Elle s’installe ensuite au Maroc, protégée par Si Ahmed Belbachir Haskouri, chef du cabinet khalifien du Maroc espagnol. La maladie l’éloigne quelque temps de la scène. Le 23 mai 1944, son engagement dans les forces féminines de l’Air comme rédactrice de 1re classe (officier de propagande) lui confère le grade de sous-lieutenant. La photographie exposée nous la montre en compa-gnie de femmes appartenant probablement au corps des auxiliaires féminines de l’Air en Algérie. Elle sera décorée de la Médaille de la Résistance en 1946 et recevra du général Valin les insignes de la Légion d’honneur ainsi que la Croix de guerre avec palme le 18 août 1961. [Emmanuelle Mauret]

Page 38: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

37

[93] Nouvel organigramme du Service de documentation extérieure et de contre–espionnage (SDECE), établi à la suite de la réforme du renseignement lors de l’avènement de la Ve République, supervisée à l’Élysée par Jacques Foccart, 1958.Archives nationales, AG/5(F)/329, haut. 56 x larg. 44 cm

Lorsqu’il accompagne De Gaulle de retour au pouvoir, Jacques Foccart se voit confier parmi ses attributions la réforme des services de renseignement. Il attache une importance toute particulière au SDECE, dont il est officier de réserve du service Action depuis la guerre. Dans le contexte de la guerre d’Algérie, de la guerre froide et de la décolonisation de l’Afrique, le SDECE est un outil essentiel à la politique extérieure française. L’organigramme préparé en 1958 consiste à écarter certaines personnalités de la IVe République et à simplifier l’organisation du service pour le recen-trer autour de ses trois missions principales : le rensei-gnement, le contre-espionnage et l’action clandestine. En 1958, les gaullistes reprennent en main « leur » Service, héritier du BCRA.

L’organigramme mentionne le détail de l’organi- sation des services de renseignement et de contre- espionnage, du service Action, du centre de docu-mentation, de la sous direction des opérations clan-destine. À noter la répartition par zone : monde soviétique, Extrême-Orient, Afrique et Moyen-Orient ; le communisme international et le monde libre. Le service des transmissions est attaché à des services techniques, rattachés directement au cabinet du direc-teur général. [Jean–Pierre Bat]

[94 et 95] Note et schéma de l’organisation du cheminement du service de renseignement du Service de documentation extérieure et de contre–espionnage (SDECE) avec mention des divisions de la recherche, 1958.Archives nationales, AG/5(F)/318, haut. 40 x larg. 30 cm et haut. 29 x larg. 21 cm

L’objectif de la réforme du SDECE consiste à « casser » les autonomies internes qui se sont développées. Cette réforme strictement administrative (elle ne touche pas les moyens de collecte) consiste à soumettre la commu- nication des renseignements au principe hiérarchique, du traitement d’une source par chaque service opéra-tionnel jusqu’à la diffusion à destination du pouvoir politique. Il ressort que les deux grands pourvoyeurs de renseignements sont les secteurs « pays » et les sections d’études. Il est intéressant de souligner que les archives, véritable mémoire opérationnelle du service, constituent le pendant de chaque diffusion. Le principe de fonction- nement de base (cher à Foccart) reste le cloisonnement des circuits d’information et leur cheminement pyramidal suivant le seul principe de la « stricte nécessité de savoir ».

[96] Organisation de l’état–major du service de renseignement du SDECE (Alexandre de Marenches, directeur, Michel Roussin, directeur de cabinet), 1978.Collection particulière

Diplômé de l’École de guerre et des Langues orientales, Michel Roussin est nommé préfet par le Premier ministre Jacques Chirac. Il devient ensuite le directeur de cabinet d’Alexandre de Marenches au SDECE, en 1978.

[97] Rapport du commandant B., officier du service Action du SDECE, sur l’organisation d’une opération de déstabilisation de la Guinée de Sékou Touré, 27 juillet 1959.Archives nationales, AG/5(F)/556, n°68 TS, haut. 29 x larg. 21 cm

[98] Lettre olographe de Maurice Robert, chef du poste «�renseignement�» du SDECE de Dakar, à Jacques Foccart, conseiller technique auprès du général De Gaulle, le 18 novembre 1958.Archives nationales, AG/5(F)/318, haut. 29 x larg. 21 cm

« Bien amicalement vôtre » : la signature donne le ton de la relation entre l’espion et le conseiller Afrique. Maurice Robert est le responsable SDECE du rensei-gnement en AOF. En 1958, il suit tout particulièrement le référendum constitutionnel ainsi que les recomposi-tions politiques africaines. Ce courrier appartient à une collection de lettres manuscrites et dactylogra-phiées que Maurice Robert adresse hors procédure à Jacques Foccart. Ces documents sont confidentiels et uniques ; ils sont restés inconnus du SDECE. À son retour en France et à la faveur des indépendances de 1960, Maurice Robert crée le secteur N (pour Afrique noire) du SDECE. Il obtient pour sa mission le contact direct avec Foccart à l’Élysée. Le duo Foccart-Robert, alliance du politique et de l’opérationnel, marque de son sceau la décolonisation de l’Afrique. [Jean–Pierre Bat]

Page 39: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

38

[99] Information AFP sur un navire marocain qui mouille en rade de Ceuta, 3 septembre [1958].Archives nationales, AG/5(F)/318, haut. 29 x larg. 21 cm

Parallèlement aux opérations « Homo », le service Action du SDECE est utilisé pour les opérations « Arma » durant la guerre d’Algérie. Il s’agit d’opéra-tions de neutralisation des réseaux d’armements clan-destins du FLN. La mission consiste, pour les nageurs de combat du SDECE, à miner les cales de bateaux (Cf. : les deux violentes explosions mentionnées avec les voies d’eau dans les soutes). L’action est imaginée pour être spectaculaire, efficace tactiquement, mais sans perte humaine : ici seuls deux marins sont légè-rement blessés. Le bénéfice d’une telle opération est double : d’une part, les armes sont neutralisées avant d’arriver entre les mains du FLN, d’autre part, cela per-met de « gaspiller » l’argent du FLN. Pour ce faire, les opérations doivent avoir lieu de préférence dans des ports sous contrôle européen : c’est le cas de Ceuta, enclave espagnole en Afrique du Nord. La signature du SDECE se lit clairement dans le mode opératoire. Ce document est la seule trace qui reste de cette opé-ration dans les archives Foccart. [Jean–Pierre Bat]

[100] Fiche de désignation d’un objectif d’opération «�Homo�» [homicide] établi par le SDECE lors de la guerre d’Algérie, annotée par Jacques Foccart pour validation et transmission au service Action, 1er août 1958.Archives nationales, AG/5(F)/318, haut. 29 x larg. 21 cm

Le mystère a longtemps entouré la prise de décision d’une opération « Homo », car elle engage la respon-sabilité du plus haut sommet de l’État. Ce document, extrêmement rare, donne à voir ce processus grâce aux annotations olographes de Foccart. L’affaire est politiquement arbitrée entre le 1er et le 4 août 1958. Le chef d’état-major de l’armée propose le 1er août la désignation d’une cible ; Foccart, conseiller du géné-ral De Gaulle pour les questions de renseignement, est saisi de l’affaire et rend un avis le 3 août ; il transmet à l’amiral Cabanier, chef d’état-major de la Défense nationale au cabinet du général De Gaulle, qui rend à son tour son avis le 4 août. L’opération est validée : elle est transmise directement au lieutenant-colonel Roussillat, chef du service Action du SDECE, sans pas-ser par sa hiérarchie SDECE. Un personnage n’appa-raît toutefois pas explicitement dans cette chaîne : le général De Gaulle, président du Conseil à cette date. Il est sans aucun doute saisi par Foccart sitôt que ce dernier reçoit cette fiche. Dans le cadre de la guerre d’Algérie, le service Action du SDECE a été grande-ment sollicité pour ce type de mission entre 1956 et 1960. [Jean–Pierre Bat]

[101] Carte du SDECE sur l’action communiste en Afrique, réalisée à l’attention de la présidence de la République, septembre 1959.Archives nationales, AG/5(F)/329, haut. 29 x larg. 21 cm

Cette carte a été réalisée par le SDECE à l’attention du général De Gaulle, un an après le référendum sur la Communauté franco-africaine du 28 septembre 1958 et quelques mois avant 1960, l’année des indépendances. Les menaces présentées sont claire-ment identifiées à la subversion de la révolution tri-continentale, avatar des thèses crypto-communistes selon le SDECE. Depuis le foyer nassérien, trois princi-paux axes traversent le continent : le premier en direc-tion de la crise algérienne, le second de la guerre du Cameroun à la Guinée de Sékou Touré (partisan du « non » au référendum de 1958) et le troisième vers Madagascar. En creux, se dessine l’espace que doit protéger la France dans le cadre des indépen-dances : son « pré carré », c’est-à-dire ses anciennes colonies d’AOF et d’AEF. [Jean–Pierre Bat]

Page 40: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

39

La part des sciences et des techniques dans le renseignement

Comme le génie militaire, qui est une «�arme savante�», les savants –�civils�– ont pu informer, directement ou indirectement, les autorités de leurs découvertes. La collecte du renseignement scientifique et technique débute à l’époque moderne. L’archéologue et le religieux décrivent un peuple, une civilisation et des coutumes. Le géographe et le navigateur dressent des cartes des contrées lointaines. Le physicien et le chimiste transmettent des découvertes étrangères. Ce renseignement particulier alimente dès le XIXe siècle une compétition entre les États, aussi bien industrielle que militaire.

[103] Photographie inédite de Thomas Edward Lawrence et d’Antonin Jaussen, prise sur un navire de renseignement français, 3 mai 1917.École biblique de Jérusalem

Page 41: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

40

[102] Le Père Raphaël Savignac mesure la corniche de la tombe «�B�6�», datée du Ier siècle avant J.–C., à Médaïn Saleh (cité nabatéenne d’Hégra), situé au nord–ouest de la péninsule arabique, 1907.École biblique de Jérusalem

Les deux dominicains Antonin Jaussen et Raphaël Savignac effectuent des missions archéologiques en Arabie dès 1907 comme l’atteste ce cliché. Parallè-lement, ils réalisent des recherches d’ethnologues et d’anthropologues, en allant à la connaissance des peuples locaux. Les précieux carnets de croquis et de notes conduisent les deux dominicains par leur grande connaissance du terrain à être « recrutés » par les ser-vices de renseignements britanniques, puis français pendant la Première Guerre mondiale. Sous prétexte de se renseigner sur l’état d’esprit des tribus, Jaussen peut également obtenir des renseignements d’ordre militaire. Quant à Savignac, il mène une campagne photographique dans les ports du canal de Suez et d’El-Ouedj, deux zones stratégiques qui mettent aux prises les Anglais, les Français et les Arabes d’une part, les Turcs et leurs conseillers allemands de l’autre.

[103] Photographie inédite de Thomas Edward Lawrence et d’Antonin Jaussen, prise sur un navire de renseignement français, 3 mai 1917.École biblique de Jérusalem

Le 3 mai 1917, Antonin Jaussen et Raphaël Savignac se trouvent sur un petit navire français, le Saint Brieux. Le commandant Thomas Edward Lawrence, habillé en tenue traditionnelle des chérifs, est représenté ici au côté du père Jaussen, en tenue d’infirmier. En arrière-plan, le paysage montre la tour du port d’El-Ouedj. En 1917, après la prise d’El-Ouedj aux Turcs, la route du Nord s’ouvre aux tribus arabes révoltées, menées par le prince Fayçal. Lawrence d’Arabie organise alors une action commune entre les troupes arabes et les forces d’Auda Abu Tayi, chef des Howeitat, jusqu’alors au service des Ottomans, contre le port stratégique d’Aqaba. Mais il agit sans prendre l’avis de l’état-major anglais du Caire qui a déjà organisé une opération amphibie pour tenter de s’emparer de la place. Lawrence d’Arabie est-il à bord du Saint-Brieux pour s’entretenir avec les services français de renseignement ? On peut le supposer quand bien même aucune légende de la photographie ne le précise et que Lawrence d’Arabie n’y fasse guère allusion dans Les sept piliers de la Sagesse.

[104] Inventaire manuscrit de l’expédition de La Pérouse intitulé «�État des effets et marchandises de chargement et d’échanges venu de Paris et autres lieux pour être embarqué sur la frégate La Boussole, commandée par M. de La Pérouse, capitaine de vaisseau, 1785�».Archives nationales, MAR/B/4/318, haut. 37 x larg. 24 cm

En 1785, le comte de La Pérouse, qui s’est illustré pen-dant la guerre d’Amérique, est pressenti par Louis XVI et son ministre de la Marine pour conduire autour du monde une expédition sans précédent en France, inspi- rée des voyages de Cook qu’elle doit surpasser. Les préoccupations éminemment scientifiques font l’objet de longues instructions qui constituent un programme gigantesque d’exploration géographique. Toutefois, les préoccupations politiques et commerciales ne sont pas absentes du projet qui ambitionne de surveiller l’avance prise par Anglais et Portugais dans les mers lointaines. De fait, les objectifs de l’opération et les routes à emprunter sont tenus secrets afin d’éviter d’alerter les autres puissances européennes.

Le document exposé qui porte la mention « Opération secrète » nous présente la liste des marchan- dises d’échange destinées à La Boussole, achetées pour la plupart en France : des dizaines de caisses, coffres, malles et balles contenant verroterie, plumes et autres bijoux clinquants, outils, vaisselle, tissus divers (souvent rouges, couleur la plus appréciée), objets de mercerie, objets insolites comme une lanterne magique ou une guirlande de fleurs artificielles, bref un assortiment le plus complet possible pour rétribuer les interlocuteurs des marins français.

L’expédition devait disparaître tragiquement lors d’une tempête survenue dans l’archipel des îles Salomon, au début de l’année 1788. La Boussole, qui a été retrouvée dans une faille, fait l’objet depuis plusieurs dizaines d’années de campagnes de fouilles sous-marines. Quant aux documents produits pendant l’expédition, une partie nous est parvenue par terre, transportée par le jeune Barthélemy de Lesseps, au cours d’un périple de plus d’un an (1788-1789). La Pérouse avait d’autre part confié lettres et copies de ses journaux à des bâtiments rencontrés au cours du voyage. On en tira des enseignements pour les expé-ditions suivantes dont aucune cependant ne devait avoir une envergure comparable. [Brigitte Schmauch]

Page 42: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

41

[105] Louis XVI donnant des instructions à La Pérouse qui présente son plan de l’expédition d’après Nicolas–André Monsiau, le 29 juin 1785. Château de Versailles, photo RMN, MV 220, haut. 17,2 x larg. 22,7 cm

Ce tableau présente Louis XVI, accompagné du maré-chal de Castries, ministre de la Marine, donnant des instructions à La Pérouse pour son voyage autour du monde. La Pérouse était un officier très apprécié pour son courage, sa loyauté et ses connaissances maritimes dues à une grande expérience. À l’arrière-plan, se tiennent deux personnages, longtemps identifiés comme Fleuriot de Langle et Claret de Fleurieu. Il s’agit en fait des deux frères Laborde, Marchainville et Boutervilliers, morts noyés au Port-des-Français en 1786 (bras de mer dans lequel deux chaloupes des navires de La Pérouse firent naufrage durant l’expédition).

[106] Lettre du général Saussier qui indique qu’il fait surveiller le chimiste Alfred Nobel, 2 février 1889.Archives de la DGSI, haut. 31 x larg. 21cm

Depuis 1872, un service militaire du contre-espionnage existe au sein du ministère de la Guerre. Le chimiste Alfred Nobel, inventeur de la poudre dynamite en 1867, puis de la poudre propulsive, dite balistique, en 1887, est surveillé par la gendarmerie. Dans cette note de 1889, le général Saussier, gouverneur militaire de Paris, exprime clairement le souhait de se décharger de la surveillance d’Alfred Nobel et de la confier au ministère de l’Intérieur. Nobel parle couramment le russe grâce à des voyages à Saint-Pétersbourg. Ce scien-tifique international est d’un intérêt stratégique dans le développement de l’armement militaire des nations de l’époque. L’industriel fonde grâce à sa fortune le prix qui porte toujours son nom.

[107] «�Les Recherches scientifiques en URSS�», rapport établi en 1950 par le SDECE et conservé, au titre de documentation concernant la défense nationale, par le 5e bureau du Centre national de la Recherche scientifique (CNRS).Archives nationales, 199800284/126, haut. 27 x larg. 21cm.

Le décret du 24 mai 1948 crée le Comité d’action scientifique de la Défense nationale afin de suivre les évolutions techniques à l’étranger dans les branches intéressant ces questions. Ce rapport établi en 1950 et émanant du SDECE appartient aux ensembles documen- taires transmis à ce Comité, ainsi qu’au CNRS. L’envoi de ces rapports s’accompagne systématiquement de fiches de critique analytique des renseignements à ren-voyer au SDECE. Ainsi, l’information et le renseignement scientifique sont-ils susceptibles d’être amendés, enrichis, mis en perspective. [Emmanuelle Giry]

[108] Double d’une note du 3 février 1947 de Jean Rivière, responsable du 5e bureau du CNRS, au commandant Oernichen, chef du bureau scientifique de l’Armée, concernant des échanges de documentation scientifique avec le bureau scientifique de l’ambassade de France à Londres, 3 février 1947.Archives nationales, 19800284/126, haut. 27 x larg. 21 cm

En 1945, un bureau scientifique est créé au sein de l’ambassade de France à Londres. Ce bureau est chargé de centraliser, puis redistribuer, des renseigne-ments d’ordre scientifique. Il assure donc une veille documentaire dont il rend compte tous les mois au CNRS. Le 5e bureau du CNRS transmet à son tour les informations ainsi collectées au bureau scientifique de l’Armée. Cette correspondance administrative illustre ainsi la volonté de mise en place progressive après la Seconde Guerre mondiale d’une circulation ratio-nalisée du renseignement scientifique. Les éléments rassemblés sont en effet échangés entre des services d’administrations diverses (ambassade de France à Londres, sous tutelle du ministère des Affaires étran-gères, CNRS dépendant du ministère de l’Éducation nationale et enfin bureau scientifique de l’Armée du ministère de la Guerre). [Emmanuelle Giry]

[109] L’espionnage industriel, guide pratique de la direction de la surveillance du territoire sur l’espionnage industriel. Guide de sensibilisation réalisée pour les entreprises, 1982.Archives de la DGSI, haut. 21 x larg. 15 cm

Page 43: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

42

[117] Coupe de l’élévation de l’hôtel de la Guerre, des Affaires étrangères et de la Marine, 1772.Archives nationales, 1/JJ/9, d.7, planche XXIV, haut. 36, 5 x larg. 50,5 cm

Page 44: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

43

UNE AUTRE GÉOGRAPHIE DU POUVOIR

La géographie du secret renforce la souveraineté. Le secret des lieux suppose des protections physiques par des clés, des portefeuilles, des coffres mais surtout par la retenue de ceux qui sont initiés «�dans le secret de l’État�». La main qui scelle, condamne et livre des confidences à des conseillers ou à des familiers, accrédités et désignés, incarne le pouvoir exécutif et les décisions suprêmes.

Le secret s’incarne ainsi dans des objets du quotidien, des locaux souvent banals. Du cabinet des dépêches du roi au Groupement interministériel de contrôle, qui assure les écoutes téléphoniques, la géographie du secret se modifie au gré du temps et construit l’image secrète d’un nouveau régime.

Le secret repose sur une puissante administration d’«�initiés�» au service du souverain. Celle–ci parcellise l’information et assure dans la discrétion une partie de la continuité de l’État. L’agent fiche, décrit et négocie dans l’ombre, sous tous les régimes, par des notes, des rapports et des bulletins qui permettront ensuite aux ministres successifs et aux chefs d’État de décider.

Enfin, le secret de l’État est aussi incarné à un stade ultime par sa force nucléaire stratégique, implantée dans des lieux préservés. En la matière tout est secret, les technologies, les armes, les processus de décision et les conditions d’emploi. Ce secret très particulier est considéré comme le plus vital.

Page 45: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

44

Le chef de l’État et le secret de l’État

Les lieux où se prennent les décisions politiques d’importance sont circonscrits. Ils coïncident avec la géographie du pouvoir exécutif�: le cabinet des dépêches et le conseil du roi, le cabinet secret de Napoléon, le salon doré du palais de l’Élysée. Le secret résidant souvent dans des documents, dans ces cabinets et ces bureaux, ce sont des coffres, des portefeuilles et des bureaux qui participent d’une géographie du mobilier secret, qui est parfois nomade. Mais le chef de l’État ne peut être toujours seul à savoir�: il doit demander l’avis de conseillers et confier des décisions sensibles à des secrétaires particuliers. Parfois il s’épanche auprès de son entourage familial. Tous ceux–là entrent alors dans un cercle du secret.

[110] Louis XIV tenant les sceaux en présence des conseillers d’État et des maîtres des requêtes, 1672.Château de Versailles, photo RMN, MV 5638, haut. 110 x long. 128 cm

Page 46: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

45

Cabinet des dépêches du Château de Versailles.Château de Versailles

C’est dans ce cabinet que Louis XV dépouillait les rapports des agents secrets qu’il envoyait à l’étranger. Il y rédigeait aussi les instructions qu’il leur adressait. Le cabinet était donc le siège du « Secret du Roi », diplomatie personnelle que Louis XV menait en marge de sa politique étrangère officielle.

[110] Louis XIV tenant les sceaux en présence des conseillers d’État et des maîtres des requêtes, 1672.Château de Versailles, photo RMN, MV 5638, haut. 110 x long. 128 cm

Œuvre non datée, cette peinture sur toile fut certai-nement une commande mettant en valeur l’exercice du pouvoir personnel de Louis XIV. Il assiste tous les jours à ce conseil depuis sa majorité en 1661 en exerçant les prérogatives de Premier ministre exer-cées jusqu’alors par Mazarin. Le jeune roi n’y convie plus les grands nobles du royaume, écartés suite aux événements de la Fronde que le monarque a subi dans sa jeunesse.

Dans une salle ouverte, ce conseil extraordinaire, par la présence du Roi, est composé de conseillers d’État et de maîtres des requêtes. Deux vertus pré-sident l’assemblée, la Prudence et la Justice, assurant la sagesse des délibérations. En bout de table, quatre personnages, en perruque et découverts, s’activent pour sceller les actes royaux, établis dans le lieu même du pouvoir et suite aux décisions prises. L’un d’eux, le chauffe-cire, est chargé d’apposer le sceau du roi sur les actes. En principe, il ne sait pas lire pour que le secret soit rigoureusement gardé. Il dépend directement du chancelier.

[111] Un autre «secret» que celui de l’État�: le secret du parlement de Paris. Collections d’extraits des registres de délibérations du conseil secret, 1687–1744. .Archives nationales, collection Delisle, U//375–384

Cour de justice au ressort considérable (près de la moitié du royaume à la fin de l’Ancien Régime), le parlement de Paris a généré quantité de documents notamment dans le cadre des procédures crimi-nelles. Le secret qui entourait celles-ci a d’ailleurs été dénoncé par Voltaire comme donnant lieu à de véri-tables abus. Les documents ici exposés viennent d’une collection d’extraits constituée à partir des registres du conseil « secret ». À noter que les décisions qui y figurent (affaires politiques, administratives ou de police générale), n’ont pas un caractère plus « secret » que les décisions judiciaires relevées dans d’autres séries documentaires du Parlement.

[112] Lettre confidentielle de Napoléon Ier à un collaborateur [sans doute Claude François de Méneval], rédigée au sein du cabinet secret, 12 mars 1814.Archives nationales, 400AP/139, haut. 34 x larg. 22 cm

Claude François Méneval (1778-1850) est l’un des plus proches collaborateurs de Napoléon de 1802 à 1813, période durant laquelle il occupe la fonc-tion de secrétaire du portefeuille (ou secrétaire intime) de l’Empereur. Il a la charge écrasante d’assurer la rédaction de sa correspondance : l’Empereur dicte en effet si vite que les plumes qui peuvent le suivre sont rares. Méneval accompagne Napoléon dans tous ses déplacements et campagnes, toujours disponible, de jour comme de nuit. Aux Tuileries, il travaille dans le « cabinet intérieur », l’ancienne chambre de Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, une pièce mal éclairée par une seule fenêtre qui donne sur le jardin. En cam-pagne, il partage le quotidien de l’Empereur et dort sur deux coussins dans la pièce de la tente aménagée en cabinet de travail. De santé fragile, Méneval est malade au retour de la campagne de Russie. Pour lui permettre de se reposer, Napoléon l’affecte au ser-vice de l’impératrice Marie-Louise. Dans cette lettre, copiée sur l’original par la commission chargée de publier la correspondance de Napoléon, il apparaît que Méneval lui sert d’espion auprès de l’impératrice. [Thierry Guilpin]

Page 47: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

46

[113] Lettre de Napoléon Ier informant l’impératrice Marie–Louise des mouvements de troupe, interceptée par Blücher, 23 mars 1814.Paris, Bibliothèque nationale de France, NAF 12487 (3), fol. 190, haut. 34 x larg. 30 cm

Avant 1814, les lettres échangées entre Napoléon et Marie-Louise étaient toujours rédigées sur un ton ras-surant et n’évoquaient presque que des banalités. Même aux pires moments de la campagne de Russie, l’Empereur avait toujours affirmé à son épouse que tout allait bien pour lui et pour ses « affaires ». Conscient des dangers que couraient les estafettes lors des cam-pagnes militaires, il évitait d’ailleurs de transmettre à Paris des informations sur ses projets stratégiques. Lors de la campagne de France, en pleine invasion du territoire, Napoléon était bien conscient que ses cour-riers pouvaient être interceptés par l’ennemi. Il fallait donc qu’il fût bien sûr de lui, très exalté, ou particuliè- rement soucieux de rassurer les esprits aux Tuileries pour oser, ce matin du 23 mars 1814, prendre la plume et écrire à l’impératrice ces quelques mots. En neuf courtes phrases, rédigées dans un style télé-graphique, il prenait un risque énorme en révélant à Marie-Louise son projet de tourner les armées russes, autrichiennes et prussiennes pour libérer les garnisons assiégées de l’Est de la France, et donc laisser la route de Paris sans protection durant quelques jours.

L’estafette portant cette lettre fut interceptée par les uhlans du maréchal Blücher qui réussit à faire déchiffrer l’écriture illisible de l’Empereur et la transmit au chef de l’état-major autrichien. Le plan secret de Napoléon venait d’être éventé : la route de Paris était grande ouverte et les Alliés y firent une entrée triom-phale le 31 mars, tandis que l’Empereur se repliait sur Fontainebleau pour y abdiquer le 6 avril.

Cette courte lettre missive fut conservée toute sa vie durant par Marie-Louise avec les 317 autres lettres de Napoléon qu’elle avait pu conserver après la chute de l’Empire. Elle fut rachetée en 1934 par la Bibliothèque nationale de France. [Charles–Éloi Vial]

Transcription : « Mon amie, J’ai été tous ces jours- ci à cheval. le 20, j’ai pris Arcis-sur-Aube. L’ennemi m’y a attaqué à 6 heures du soir ; le même jour je l’ai battu et lui ai fait 4 000 morts. Je lui ai pris 2 pièces de canon, il m’en a pris 2, cela fait quitte. Le 21, l’armée ennemie s’est mise en bataille pour protéger la marche de ses convois sur Brienne et Bar-sur-Aube. J’ai pris le parti de me porter sur la Marne et sur ses communications afin de le pousser plus loin de Paris et me rapprocher de mes places. Je serai ce soir à Saint-Dizier. Adieu, mon amie.Un baiser à mon fils ».

[114] Caissette en acajou utilisée par Napoléon Ier, contenant des renseignements sur les armées autrichiennes, 1805.Paris, musée de l’Armée, 21253, haut. 3 x larg. 100 cm

Une des pièces du « bivouac de Napoléon Ier » est une caissette destinée au classement du renseignement. Elle est pliante et l’Empereur peut y déplier une carte et y déplacer des dizaines de petites pièces carton-nées représentant les unités de la Grande Armée et celles des forces ennemies.

[115] Portefeuille de la voiture de voyage de Napoléon Ier, fabriqué vers 1804–1815.Paris, musée de l’Armée, 6736�; Ca 31, haut. 27,5 x larg. 53 cm. Argenté, maroquin, métal

Pour de longues distances, Napoléon préférait une berline « dormeuse » qui lui permettait de travailler pendant le voyage. Alexandre Dumas l’évoque dans ses Mémoires lors de deux passages de la voiture à Villers-Cotterêts en 1815. De la voiture est extrait le nécessaire de campagne, le lit, le fauteuil pliant et les portefeuilles des secrétaires. Ces derniers, utilisés par les secrétaires de l’Empereur, avaient vraisembla-blement une fonction de transport des documents de travail, des correspondances confidentielles, peut-être même des traités d’alliance. Quant aux chasseurs de la garde impériale, ils utilisaient aussi une sacoche porte-documents affectée à l’état-major de l’Empereur.

Page 48: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

47

Topographies de l’État secret

Certains lieux ont abrité des administrations proches du chef de l’État�: l’hôtel de la Guerre à Versailles sous l’Ancien Régime, l’hôtel de Brienne, siège de la Guerre. Aujourd’hui, l’hôtel des Invalides à Paris, construit au XVIIe siècle, abrite le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et le Groupement interministériel de contrôle, deux administrations du Premier ministre. D’autres bâtiments sont ceux des administrations secrètes où se trouvent les services de renseignement militaires et policiers. Enfin, les sites liés au nucléaire civil et surtout militaire sont sans conteste les lieux les plus discrets et protégés de la seconde moitié du XXe siècle. Mais le secret peut aussi être dans l’informel, à l’image des chasses présidentielles, prisées plus par ce que l’on y dit que par ce que l’on y tue.

[119] Clef de chambellan pour l’accès au cabinet privé de l’Empereur, réalisée par Martin–Guillaume Biennais (1764–1843), sans date.Fondation Napoléon, 1125, haut. 16,5 x larg. 12 cm x ép. 3,5 cm

Page 49: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

48

[116] Plan des travaux de l’architecte du département de la Guerre, André–Marie Renié, chargé de restaurer et de finir les hôtels et bureaux du ministère de la Guerre, 22 septembre 1849.Archives nationales, CP/F/21/3555, art. 1, haut. 50,5 x larg. 77 cm

Dressé par André-Marie Renié, architecte du départe-ment de la Guerre depuis 1832, ce plan montre l’îlot des bureaux de la Guerre sous Louis-Philippe. On distin- gue, de gauche à droite, l’hôtel de Brienne (n° 1) ; les bâtiments et les deux cours de l’ancien couvent Saint-Joseph (n° 2) ; au nord de ceux-ci, l’hôtel d’Aiguillon, rendu à son propriétaire en 1821 (n° 3) ; l’hôtel de Noailles-Mouchy (n° 4), acquis en 1816 et utilisé pour abriter les archives du ministère, ou « Dépôt de la Guerre ». Dans le jardin de cet hôtel, Renié construisit, entre 1830 et 1848, trois bâtiments pour abriter les archives du génie, ou « Dépôt des fortifications ».

[117] Coupe de l’élévation de l’hôtel de la Guerre, des Affaires étrangères et de la Marine, 1772.Archives nationales, 1/JJ/9, d.7, planche XXIV, haut. 36, 5 x larg. 50,5 cm

[118] Porte d’entrée de l’hôtel de la Guerre et des Affaires étrangères à Versailles, construit par l’architecte Jean Baptiste Berthier, gravure, 1760.Bibliothèque municipale de Versailles Galerie

Ce plan est conservé dans les pièces relatives à la suppression de l’Imprimerie [1775]. Il s’agit d’une coupe prise sur la ligne NO du plan des hôtels de la Guerre, Marine et Affaires étrangères. L’étage des bureaux, le dépôt général des modèles d’armes, les bureaux des Affaires étrangères et de la Marine, la bibliothèque et les cartes et plans sont parfaitement détaillés. Le décor présente des agents et des mili-taires en action dans les bureaux. Un grand portrait de ministre trône au centre du rez-de-chaussée, sans doute le portrait de Vergennes portant un message. Des maquettes de canons et de ports au sous-sol et dans le grenier montrent les besoins de ces ministères. L’élaboration des stratégies et des outils de combats se fait avec des ingénieurs. Un service des impres-sions est installé sous les toits. Les étages nobles accueillent visiblement des hommes ou des femmes, reçus aux ministères, pour différentes affaires. C’est un témoignage du rôle de l’hôtel de la Guerre. À noter que deux étages sont composés d’archives reliées en registres que les employés consultent. Un soldat monte la garde devant les documents. Nous sommes au cœur du pouvoir du renseignement, de la stratégie militaire et navale du royaume de France.

[119] Clef de chambellan pour l’accès au cabinet privé de l’Empereur, réalisée par Martin–Guillaume Biennais (1764–1843), sans date.Fondation Napoléon, 1125, haut. 16,5 x larg. 12 cm x ép. 3,5 cm

Le chambellan est chargé du service intérieur de la cham- bre d’un souverain, et donc de l’accès aux espaces privés, tel le cabinet de travail dans les palais occupés par l’Empereur. Le cabinet devient secret dès lors qu’un nombre restreint de personnes peuvent y accéder, et que des affaires d’État y sont traitées ce qui est le cas dans les cabinets de Napoléon Ier, souvent sur des tables pliantes de voyage. Les cabinets disposaient d’une bibliothèque que les architectes reproduisaient de palais en palais. La symbolique de la clef qui ferme et ouvre les lieux du pouvoir participe à l’étiquette d’une cour et au décorum de la fonction du pouvoir exécutif.

[120] Le bureau du courrier et du chiffre, situé à Sainte–Menehould, avec le général Dubail, du 14e régiment d’infanterie, le général Sarrail, chef de la IIIe armée, et son état–major, 1er juillet 1915.ECPAD, SPA 8 B 531, haut. 15 x larg. 28 cm

Située au sud de la forêt d’Argonne, Sainte-Menehould devient un centre de commandement et de ravitaille-ment pour de nombreuses unités qui combattent dans la région. Dans un incessant chassé-croisé d’hommes et de matériels, les opérateurs photographes de l’armée réalisent entre l’été 1915 et le début de l’année 1918 des dizaines des clichés, témoignant de l’importance stratégique de cette ville, déjà ville de garnison avant la guerre. Dès août 1914, le général Dubail est réputé comme géographe éminent et comme technicien pour qui la topographie des Vosges n’a aucun secret. Il est nommé en février 1915 pour diriger les troupes de l’Est près de Verdun. En juillet 1915, Dubail signale l’insuffisance des défenses en artillerie des forts, mais ses avertissements seront toujours ignorés par le haut-commandement. Un an plus tard, l’offensive allemande lui donnera raison.

[121] Note du capitaine Raymond Landrieux, chef de la section «�État–major et services�» (EM/S) du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), fixant la répartition des locaux de Duke Street et de ses environs, Londres, 8 décembre 1943.Archives nationales, AG/3(2)/7, 169, haut. 33 x larg. 21 cm

Au fil des réorganisations qui voient de 1940 à 1942 se succéder 2e Bureau, Service de renseignements (SR), Bureau central de renseignements et d’action militaire (BCRAM) et enfin Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), les services secrets de la France libre

Page 50: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

49

s’étoffent et changent souvent d’adresse : St Stephen’s House, 4 Carlton Gardens, 3 St James Street et, en mars 1942, 10 Duke Street, à Mayfair, qui deviendra le lieu emblématique du BCRA jusqu’en 1944. À partir de 1943, le développement de ses différentes sections le conduira à investir d’autres immeubles de la rue (n° 5 et n° 8), ou de ses environs (Portman’s Square, Manchester Street), voire d’autres quartiers de Londres (Palace Street). Au 10 Duke Street, le bâtiment originel n’existe plus, mais il hante encore le film de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres, sorti en 1969. [Patricia Gillet]

[122] Plan de la caserne des Tourelles, camp d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1947, la caserne devient le siège du Service de documentation extérieure et de contre–espionnage (SDECE), puis en 1982 de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), s. d. [ca 1945]Archives nationales, F/7/15107, haut. 21 x larg. 24 cm

[123] Photographie du défilé de troupes à la caserne des Tourelles, 7 mars 1946.ECPAD, AIR 626–9016, haut. 22 x larg. 24 cm

[124] Plan des locaux du Groupement interministériel de contrôle (GIC) installé à l’Hôtel des Invalides, [1960].Archives nationales, 2010015/1, haut. 41,5 x larg. 55 cm

Le GIC est le service du Premier ministre chargé des interceptions de sécurité via des écoutes télépho-niques. Il est institué par une décision du Premier ministre Michel Debré du 28 mars 1960, dans le contexte de la guerre d’Algérie. Dès sa création, son installation principale est prévue à l’hôtel national des Invalides, constituant ainsi un nouveau lieu du secret. Son rôle fut notamment très important dans la lutte contre l’Organisation Armée secrète (OAS). Son exis-tence n’a été juridiquement officialisée que par un décret de 2002 dont les dispositions ont été codifiées dans le code de la Sécurité intérieure. [Vivien Richard]

[124 bis] Ancien siège de la DST, au 13 rue des Saussaies (à côté de la place Beauvau), actuellement ministère de l’Intérieur. Archives du ministère de l’Intérieur. Mission des archives

[125] Chasse présidentielle à Marly [avec Jacques Foccart, Secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches], 8 octobre 1970. Archives nationales, AG/5(2)/978�: 4 cartons reliés les uns aux autres et tirages photographiques collés, haut. totale 88 x larg. totale 31 cm, haut. carton 22 x larg. carton 31 cm, vue 6 x 6 cm

[126] Chasse présidentielle officielle à Rambouillet [avec Marie–France Garaud, conseiller technique au secrétariat général de la présidence de la République], 30 octobre 1971. Archives nationales, AG/5(2)/980/P�: 5 planches photographiques reliées les unes aux autres, haut. totale 120 x larg. totale 30 cm, haut. planche 24 x larg. planche 30 cm, vue 6 x 6 cm

Rite propre au pouvoir depuis le Moyen Âge et l’Ancien Régime, la chasse, restaurée par Napoléon, est assu- mée par ses successeurs, souverains ou présidents. Les chasses présidentielles, au cérémonial codifié, comptent des invités prestigieux, nécessitent des moyens importants et offrent des tableaux spectacu-laires. Le château de Rambouillet, le domaine natio-nal de Marly-le-Roi, et le château de Chambord accueillent sous la Ve République ce moment parti- culier de mise en scène du pouvoir. Georges Pompidou, grand chasseur dans la veine de Félix Faure ou Albert Lebrun, est très attaché aux tirés présidentiels. Sous son mandat, le bureau militaire du président de la République organise 65 chasses officielles ou déléguées. S’y croisent nombre de politiques, invités étrangers, industriels et autres membres de la société civile, formant ainsi une réunion non officielle, cadre d’échanges, de discussions et parfois de décisions. Les Premiers ministres Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer sont régulièrement présents, de même que des collaborateurs du Président à l’instar de Jacques Foccart et Marie-France Garaud. Depuis 2010 les chasses présidentielles ont été remplacées par de simples battues de régulation. [Vivien Richard]

[127] Six photographies des phases de construction du centre nucléaire de Saclay (Essonne) du Centre d’études Atomiques (CEA), [1949–1951].Archives nationales, 307AP/226, haut. 10,5 x larg. 6,5 cm

Saclay est l’un des 10 centres de recherche du CEA. Il constitue un centre de recherche et d’innovations de premier plan au niveau européen. Plus de 6 000 per-sonnes y travaillent. Il joue un rôle majeur dans le déve-loppement économique régional. Pluridisciplinaire, il exerce ses activités dans des domaines tels que l’éner-gie nucléaire, les sciences du vivant, les sciences de la matière, le climat et l’environnement, la recherche technologique et l’enseignement. Dès l’origine, ce site a été un modèle de communication bien qu’il fasse partie des sites stratégiques, créés autour du dévelop-pement de la force de frappe nucléaire, ses dérivés, filière souhaitée par le Président De Gaulle pour main-tenir l’indépendance de la France. [Virginie Grégoire]

Page 51: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

50

[128] «�De Gaulle passe en revue «�sa�» force de frappe�». La presse régionale relate la visite du général aux centres nucléaires de Pierrelatte (Drôme) et de Cadarache (Bouches–du–Rhône), 7 novembre 1967.Coupures de trois journaux régionaux La Marseillaise, Le Provençal et Le Méridional. Archives nationales, AG/5(1)/245

Au cours de la première journée de son voyage dans le sud-est de la France, De Gaulle se rend sur le site nucléaire de Cadarache. Pour lui, la puissance nucléaire, notam-ment la possession de l’arme atomique, est la condi- tion indispensable de l’indépendance nationale et de la politique de « grandeur ». Cependant, cette politi- que suscite souvent les sarcasmes de la presse, tel cet article de La Marseillaise, et des opposants politiques qui parlent de la « bombinette » du Général. [Nicole Even]

[129] Le site nucléaire du Tricastin. Pierrelatte, usine de séparation des isotopes de l’uranium, Commissariat à l’énergie atomique, brochure imprimée, 1964.Archives nationales, AG/5(1)/245, haut. 25 x larg. 20 cm

Né de la volonté du général De Gaulle de doter la France de l’armement atomique, le chantier de l’usine de séparation des isotopes de l’uranium, implantée à Pierrelatte (Drôme), est lancé en 1960. L’aménagement du site a nécessité des travaux considérables. L’usine du CEA constitue un complexe groupant notamment quatre usines d’enrichissement. C’est cet ensemble que le général De Gaulle visite le 7 novembre 1967. L’admi- nistrateur général du Commissariat à l’énergie atomi- que, Robert Hirsch, accueille le Général en ces termes : « La valeur et la ténacité de l’équipe animée par Robert Galley, chargé de la direction des études et de la cons- truction de l’usine de 1958 à 1966, ont vaincu toutes les difficultés. Nous vous présentons aujourd’hui une usine achevée avec trois mois d’avance, une production très supérieure à la valeur nominale, tout en restant dans les limites financières fixées il y a quatre ans. » L’ensem-ble du site produit, avec ses 4 500 ouvriers, l’uranium enrichi (dit 235) qui sert à la propulsion des sous- marins nucléaires, tel Le Redoutable. [Nicole Even]

[130] Visite de Georges Pompidou à Pierrelatte, 20 octobre 1966. INA, Journal télévisé (ORTF), 1 mn 19 s

[131] Photographie du plateau d’Albion (Vaucluse) qui a accueilli, de 1967 à 1999, le site de lancement de missiles nucléaires sol–sol balistiques de la Force de dissuasion nucléaire française. ECPAD

[132] Carter de sécurité du boîtier de contrôle gouvernemental pour lancer les missiles SSBS S3 d’une portée de 3�000 km, depuis le plateau d’Albion (Vaucluse), à partir de 1981.Le Bourget, Cité de l’Air et de l’Espace, 998/113/9, haut. 22 x larg. 38,5 cm

Ce Carter de sécurité permettait la mise à feu du pre-mier étage du missile balistique des anciens silos du plateau d’Albion. Au moment de l’installation du missile dans le silo, les gendarmes sont chargés d’insérer un verrou électronique où sont mémorisés les codes de mise à feu, aujourd’hui désaffecté.

La première génération des forces nucléaires stra-tégiques sera composée de 50 Mirages IV, armés de bombes au plutonium ; la deuxième génération sera composée de sous-marins lanceurs propulsion atomique. La soudure entre la première et la seconde génération sera maintenue par une force de missiles sol-sol avec ogive au plutonium ayant une portée de 3 000 km. En avril 1965, le ministre de la Défense, Pierre Messmer, visite la ville d’Apt et annonce qu’il souhaite installer les missiles sur le plateau d’Albion. L’ensemble du système (18 missiles SSBS) reste en place jusqu’à la fermeture définitive décidée par Jacques Chirac en février 1996.

[133] Bulletin de renseignement particulier du bureau d’études de Nouméa sur la parution d’un article relatif à l’installation d’un centre d’expérimentations nucléaires des bombes H à Mururoa, désigné comme «�un site sans danger�», 21 octobre 1963.Archives nationales, 19940390/145 NOM, haut. 29 x larg. 22 cm

[135] Mururoa, île de la Polynésie française, siège du Centre d’exploitation du pacifique. ECPAD

Mururoa, historiquement appelé Aopuni, est un atoll de l’archipel des Tuamotu, situé en Polynésie française, découvert en 1767. Celui-ci a servi, comme un autre site de l’océan Pacifique, l’atoll de Fangataufa distant de 45 kilomètres, de lieu d’expérimentation d’essais nucléaires français. Mururoa appartient en pleine propriété à l’État français depuis 1964. Les deux atolls sont classés terrain militaire en 1964 puis en zones protégées de défense nationale. Sur l’atoll de Mururoa, la France a procédé entre 1966 et 1996 à 179 expérimentations nucléaires, dont 127 souter- raines. Ce site présentait des critères jugés adaptés pour y tester des armes nucléaires : lieu éloigné et désertique, n’étant jouxté que par une faible densité de population.

Page 52: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

51

Les «�services�» dans la proximité du chef de l’État

Les services de renseignement sont placés au plus près du chef de l’État. Les chefs d’État et de gouvernement ont accordé une importance inégale à leurs services, proportionnelle souvent à la confiance qu’ils leur témoignaient. Certains ont eu un lien étroit avec eux et des documents en portent la trace manuscrite. Souvent le lien quotidien avec les services est assuré par un conseiller de confiance, aussitôt entouré d’un halo de mystère. Mais, en dehors des services, de l’entourage proche du chef de l’État et de lui–même, le secret est bien difficile à conserver y compris au plus haut niveau de l’appareil gouvernemental. Le «�secret des délibérations gouvernementales�», créé en 1947 pour assurer la confidentialité des échanges lors du conseil des ministres, n’a jamais été vraiment respecté.

Constantin Melnik, coordinateur des services secrets auprès du Premier ministre.144–146�: Archives nationales 20100015, art. 1, 3 p., ht. 28 x lg. 23 cm. 146bis–ter�: coll. part.

Page 53: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

52

[136] Lettre de Charles Lambrechts, ministre de la Justice, au président du Directoire, pour l’aviser que le capitaine Liberge de Granchain, appelé à participer à une commission consultative sur un projet de débarquement en Angleterre, «�a été consulté […] sans être initié dans le secret de l’État�». Paris, 3 germinal an VI [23 mars 1798].Archives nationales, AF/III/206, pièce 7, haut. 32 x larg. 25 cm

Chaque crise franco-anglaise, sous l’Ancien Régime, a suscité chez les Français un flot de projets d’invasion de l’Angleterre. Une stratégie, désignée du mot de « descente », s’imposa : il s’agissait d’éviter un combat naval qui aurait sans doute tourné à l’avantage de l’Angleterre, et de faire plutôt débarquer sur l’île un grand nombre de fantassins. La Révolution reprit à son compte ces projets. Le pouvoir consulta plusieurs officiers de l’ancienne marine royale, dont beaucoup étaient soupçonnés d’attachement à la royauté. Parmi eux, figurait le capitaine Guillaume Liberge de Granchain (1744-1805), ancien directeur des Ports et Arsenaux au début de la Révolution. Mais il ne fut consulté « que sous le rapport des lumières qu’il pouvait fournir sur les projets ultérieurs du gouvernement, sans être initié dans le secret de l’État ». Le projet de débarquement en Angleterre fut finalement abandonné ; seule eut lieu, en octobre 1798, une nouvelle tentative d’expédition en Irlande, qui se solda par un échec. [Blandine Wagner]

[137] Lettre dactylographiée par Hervé Alphand, secrétaire général du Comité économique, insistant sur le secret absolu à maintenir autour des textes transmis par le Comité, 28 octobre 1944.Archives nationales, 110AJ/GPRF/8 (cote provisoire), haut. 29 x larg. 25 cm

Depuis 1943 à Alger, le Comité français de libération nationale (CFLN) prépare la relance économique du pays et d’éventuelles planifications. Par un décret du 24 avril 1944, le Comité économique interministériel (CEI) est institué. Il réunit les commissaires concernés par les questions économiques et financières. Hervé Alphand, directeur des Affaires économiques au commissariat aux Affaires étrangères en prend le secrétariat général. Il adresse au général De Gaulle des notes économiques, assure les négociations avec les autres pays et confère au CEI un rôle de coordination économique. En octobre 1944, Paris est libéré depuis deux mois mais tout le territoire national ne l’est pas encore. La reconstruction n’en est encore qu’à sa genèse. Ce contexte renforce l’impératif de « secret absolu » nécessaire à l’accom-plissement des délibérations du gouvernement en la matière. Cette note d’Hervé Alphand en présente des modalités pratiques avant qu’en 1947 le gouverne-ment n’adopte un règlement en la matière. [Vivien Richard]

[138] Ordre du jour du conseil des ministres annonçant une communication de Paul Ramadier, président du Conseil, sur un projet de règlement intérieur des travaux du gouvernement, 29 janvier 1947.Archives nationales, F/60/2566, haut. 30 x larg. 26 cm

Le 22 janvier 1947 débute le gouvernement Paul Ramadier, premier gouvernement de la IVe République. Grâce à un trimestre de transition depuis l’adoption de la Constitution, les nouvelles institutions sont en place. Le premier conseil a lieu au palais de l’Élysée le 29 janvier 1947 sous la présidence de Vincent Auriol, président de la République nouvellement élu le 16 janvier. L’ordre du jour prévoit en partie « B » une communication du président du Conseil sur un projet de règlement intérieur des travaux du gouver-nement ; le communiqué de presse final évoque son approbation par l’équipe ministérielle et donc sa mise en application. Après deux ans et demi de gouverne-ment provisoire l’adoption de ce règlement intérieur marque l’entrée définitive du pouvoir exécutif dans un nouveau temps institutionnel. Dans sa partie dévolue à l’organisation des conseils des ministres, la première disposition concerne « le secret des délibérations [qui] constitue une obligation d’État [et] qui engage l’honneur de tous ceux qui assistent aux séances du Conseil des ministres ». [Vivien Richard]

[139] Note de la réunion «�Joxe�» (cabinet du général De Gaulle) annonçant qu’un texte sur la Direction générale des études et recherches (DGER), «�diffusé en grand mystère�», sera à l’ordre du jour du prochain conseil des ministres, 26 décembre 1945.Archives nationales, 539AP/1, haut. 27 x larg. 21 cm

Le secret est le cœur protecteur et l’assurance du travail gouvernemental. Comme l’atteste cette note de Louis Joxe, le conseil des ministres pouvait déli- bérer sur des affaires plus confidentielles, sans que les ministres ne soient informés à l’avance des détails du contenu. [Vivien Richard]

Page 54: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

53

[140] Dossier de séance de Jean Donnedieu de Vabres, secrétaire général du Gouvernement, pour le conseil des ministres du 10 novembre 1965.Archives nationales, 19820062/18

Lot de dossiers du Premier ministre lors du conseil des ministres avec un plan de la table, un ordre du jour, un avant-projet, des relevés de décisions, un communi-qué officiel, de la presse, partie A, partie B, partie C.

D’une périodicité le plus souvent hebdomadaire, le conseil des ministres réunit le président de la République, le chef du gouvernement et les ministres. Sont présents également le secrétaire général de la présidence de la République et le secrétaire général du gouvernement, sans prise de paroles mais seuls habilités à prendre en notes manuscrites le verbatim des séances afin d’en rédiger le compte rendu final. Les propos tenus en conseil doivent en effet rester confidentiels. Par exception, le général De Gaulle avait autorisé Alain Peyrefitte, ministre de l’Information, à prendre des notes personnelles. Bien plus tard, il en tira trois volumes de souvenirs sous le titre C’était De Gaulle.

Chaque dossier se compose de l’ordre du jour, de son éventuel additif, et des trois parties :A – pour la soumission de projets de lois et de décrets ;B – pour les communications du Président, du chef du gouvernement et des ministres et pour les nominations qui doivent être délibérées en conseil des ministres ;C – pour la délibération des projets de lois et de décrets impliquant au moins une délibération préalable, ainsi que du relevé de décisions et du communiqué de presse. [Vivien Richard]

[141] Note manuscrite échangée lors des conseils des ministres entre Henri Nallet et Michel Rocard, à propos de la communication sur l’aide aux revenus et des difficultés budgétaires, 21 décembre 1988.Archives nationales, 108AJ/79, haut. 22 x larg. 15 cm

Le conseil des ministres a un rôle institutionnel précis: exa-men des projets de loi, décisions avant ratification par le président de la République. En réalité, il est devenu, avec les périodes de cohabitation, plus une chambre d’enregistrement qu’un lieu de débat et de discussion sur le travail gouvernemental. Les conseils des ministres se tiennent à l’Élysée le mercredi (sauf exception). Ils se déroulent selon la séquence suivante: avant le Conseil a lieu une courte réunion, entre le président de la République et le Premier ministre. Le secrétaire général du gouvernement et le secrétaire général de la Présidence de la République s’y associent pour examiner l’ordre du jour.

La réunion du conseil des ministres donne lieu à la production d’un certain nombre de documents destinés à la diffusion ou non. Les notes prises par le

secrétaire général du gouvernement et le secrétaire général de la présidence de la République servent de base à l’établissement du compte rendu analytique de la délibération. Ce compte-rendu, établi par le seul secrétaire général du gouvernement, est dacty-lographié le mercredi ou le jeudi à Matignon, puis archivé à Matignon et à l’Élysée « pour l’histoire ». Il n’est pas publié, tout comme le relevé de décisions. Pendant le conseil des ministres, les participants com-muniquent entre eux par des messages écrits qui cir-culent pendant les interventions et les communications des ministres. À l’issue du conseil, tous ces messages ainsi que tous les documents laissés sur la table du conseil sont recueillis par les huissiers et immédiate-ment détruits. [Vivien Richard]

[142] Lettre de la Grande duchesse de Russie, interceptée par la section de statistique et remise au président de la République, Félix Faure, 12 décembre 1896. Archives nationales, 460AP/7, haut. 30 x larg. 26 cm

En 1871, le service de contre-espionnage militaire de la troisième République devient la section de sta-tistique. Officiellement un département du 2e bureau, la section fait preuve d’autonomie et est attachée directement au ministre de la Guerre. Les missions du service de statistique sont limitées à la collecte et la transmission des informations, sans interprétation des données reçues. Ce sont les directions techniques qui étaient chargées de l’analyse. Ce type de courrier diplomatique interceptés par la section de statistique et remis au Président de la République, entre 1896 et 1897, fait clairement partie de la mission du ser-vice consistant à la fois à espionner les ambassades étrangères, leurs hôtes (ici la grande duchesse de Russie) et leurs attachés militaires à Paris, mais aussi de surveiller l’activité de l’état-major général français. À noter que le document présenté porte la mention « À déchirer après lecture ET Secret ».

[143] Fiche de renseignements rédigée par l’agent «�Quasimodo�» sur Émile Gissot, consul du Portugal à Toulouse, rapportant l’aide de celui–ci au maréchal Pétain et sa collaboration avec l’Allemagne, 17 mai 1941.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 7 NN 3304, haut. 30 x larg. 26 cm

Après mai 1940, l’armée allemande autorise la France à conserver un service de renseignement : les bureaux des menées antinationales (BMA). Ce réseau se charge principalement d’assurer la sécurité de l’armée d’armistice contre la propagande gaulliste et communiste.

Page 55: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

54

S’ajoutent aux BMA d’autres services, clandestins, dont les « travaux ruraux » (TR), réseau de contre- espionnage clandestin. Tous ces services sont organisés par zone géographique et leur identité se cache der-rière un chiffre. La présente fiche de renseignements est adressée par le BMA de Toulouse, dit « 1 700 », où réside l’individu surveillé à la direction du BMA de Vichy, code « 10 000 ». Cette synthèse d’informations met également en évidence la diversité des modes de collecte de l’information, à savoir ce qui vient des commissariats de la surveillance du territoire (CST) mais aussi des écoutes téléphoniques. [Hélène Guillot]

Constantin Melnik, coordinateur des services secrets auprès du Premier ministre.144–146�: Archives nationales 20100015, art. 1, 3 p., ht. 28 x lg. 23 cm. 146�bis–ter�: coll. part.

[144] Décision signée Michel Debré, ministre de l’Intérieur, et Constantin Melnik, créant le Groupement interministériel de contrôle (GIC) attaché aux services du Premier ministre, 1960.

[145] Lettre de Roger Belin, secrétaire général du gouvernement, à Constantin Melnik, relative au décret, 12 mars 1960.

[146] Note autographe de Constantin Melnik, donnant son accord de principe à la création du GIC, 11 mars 1960.

[146 bis et ter] Lunettes de Constantin Melnik. Carte professionnelle, 22 mai 1953

À l’arrivée du général De Gaulle au pouvoir en 1958, Constantin Melnik est appelé par Michel Debré à son cabinet où il est nommé conseiller pour la sécurité. À ce titre, il coordonne l’action de l’ensemble des services chargés de l’action secrète de l’État (SDECE, DST, RG, etc) et des services chargés du maintien de l’ordre (préfecture de police, CRS, gendarmerie, etc). Il joue un rôle décisif dans la lutte contre le FLN en métropole, organise la lutte contre l’OAS. Il élabore le cadre juridique des écoutes téléphoniques, et incite Michel Debré à créer le Groupement interministériel de Contrôle (GIC) comme l’attestent les différentes pièces d’archives exposées. Par ailleurs il initie durant les hostilités des contacts clandestins entre le SDECE et le FLN, qui permettront en temps voulu d’amorcer la négociation des accords d’Évian.

[147] Constantin Melnik, portant des lunettes noires. Conseiller pour les affaires de renseignement du Premier ministre Michel Debré (de janvier 1959 à avril 1962), il a été à l’initiative des premiers contacts secrets pour la préparation des accords d’Evian entre la France et l’Algérie.Collection particulière.

[148] Rapport fait au ministre de la Guerre sur la liquidation des dépenses secrètes effectuées du 1er janvier au 25 octobre 1906.Vincennes, Service historique de la Défense, GR/ 1 K 193/1, haut. 31 x larg. 21 cm

Le rapport fait au ministre avec en-tête du service de l’in-térieur propose d’approuver la liquidation des dépenses secrètes, s’élevant à 415 463 francs, effectuées du 1er janvier au 25 octobre 1906, par le chef du service intérieur A. Songis. Ces dépenses concernent notam-ment le financement, au sein du ministère, de la mise en œuvre de pratiques de renseignement. L’utilisation de ces dépenses secrètes n’est pas mentionnée : seules sont indiquées les mentions anodines comme « État-major de l’armée » ou « cabinet du ministre ».

[149] Loi portant création d’un «�service central des fonds spéciaux�», signée par PH [maréchal Pétain], 14 août 1941. Archives nationales, 539AP/1, haut. 30 x larg. 22 cm

Le statut clandestin des personnels du service secret et de contre-espionnage de Vichy interdit un finance-ment officiel. Le texte est d’ailleurs mentionné « très secret » de la main du maréchal Pétain, chef de l’État. [Virginie Grégoire]

[150] Fiche récapitulative des fonds spéciaux, gérés par le SDECE, établie à l’attention de Jacques Foccart à l’avènement de la Ve République, 24 juin 1958.Archives nationales, AG/5(F)/336, haut. 30 x larg. 25 cm

Le document mentionne les crédits attribués aux actions politiques, au centre de diffusion française, au groupe des contrôles radioélectriques. Ils sont créés pour le compte du président du Conseil, M. De Gaulle [1er juin 1958 – 8 janvier 1959], et d’autres départements ministériels (Fezzan, Sarre, Tunisie, Maroc, et l’Outre-Mer). Cette liste est dressée à la demande de Foccart sitôt que le général De Gaulle accède au pouvoir en juin 1958. Cette demande pré-coce montre la place cruciale que Foccart accorde aux services de renseignement dans le gouvernement de l’État, en pleine crise d’Algérie. Quatre principaux constats peuvent être effectués. Premièrement, le pou-voir politique contrôle étroitement les fonds secrets.

Page 56: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

55

Deuxièmement, cet argent sert prioritairement à des actions politiques dans le domaine colonial, notam-ment en Afrique du Nord et en Afrique subsaha-rienne. Troisièmement, pour agir dans ces deux domaines géographiques, les activités du SDECE – et son argent secret – transitent par certains dépar-tements ministériels spécialisés. Quatrièmement, la question des contrôles radioélectriques, qui préfigure le renseignement électro-magnétique, émerge parmi les nouveaux enjeux. [Jean–Pierre Bat]

[151] Note personnelle et secrète adressée par Théodore Iung à Adolphe Thiers, président de la République, sur l’organisation du Dépôt de la Guerre et des services de renseignements, avec mention des agents secrets prussiens, 16 septembre 1871.Paris, Bibliothèque nationale de France, N.a.fr. 20 462, ff. 42–53, haut. 34 x larg. 26,5 cm

[152] Notes manuscrites de l’entrevue avec le général De Gaulle, relevées dans le carnet d’André Dewavrin, dit Passy, sur les problèmes d’organisation de la Direction générale des études et recherches (DGER), 24 novembre 1945.Collection particulière, page 4. Carnet de Passy, code N°28–96, haut. 22 x larg. 11 cm

[153] Décret non publié du 28 décembre 1945 portant création du Service de documentation extérieure et de contre–espionnage (SDECE), version préparatoire annotée par le président du Conseil Charles De Gaulle, [décembre 1945].Archives nationales, F/60/2555, haut. 30 x larg. 25 cm

La Seconde Guerre mondiale et la Libération ainsi que l’amorce de la Guerre froide ont conduit le Gouvernement provisoire de la République française à repenser les services de renseignements extérieurs. Le 28 décembre 1945 un décret dissout la DGER (Direction générale des études et recherches), elle-même héritière du BCRA à Londres et des services de renseignements à Alger et créé le SDECE. Le décret a été préparé par le colonel André Dewavrin, dit « Passy » en s’inspirant de l’architecture politico-ad-ministrative des services spéciaux britanniques. Le SDECE est placé directement sous l’autorité du chef du gouvernement, alors le général De Gaulle. Ce dernier annote le projet de décret afin de préciser notamment les compétences du nouveau service. Le SDECE est chargé de « rechercher à l’étranger tous les renseignements et toute la documentation suscep-tibles d’informer le gouvernement ; détecter et signaler aux administrations intéressées les agents des puis-sances étrangères dont l’action serait susceptible de nuire à la défense nationale ou à la sûreté de l’État ».

La proximité institutionnelle entre le pouvoir exécutif et le SDECE est forte puisque par le même décret un comité de documentation, présidé par le chef du gou-vernement est également constitué pour être consulté au sujet de toute décision portant sur ses activités. Le SDECE est remplacé le 2 avril 1982 par l’actuelle direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE). [Vivien Richard]

[154] «�La livraison du rapport Revers�», dossier relatif à l’affaire des généraux et la situation militaire en Indochine, 15 avril 1950.Archives nationales 457AP/153, haut. 30 x larg. 26 cm

En 1949, à l’issue d’une inspection en Indochine, le général Georges Revers, chef d’état-major général de l’Armée de terre depuis 1946, rédige un rapport qui préconise notamment l’évacuation des places fortes de la Route coloniale 4, le développement d’une armée vietnamienne autonome, l’éloignement de l’empereur Bao Dai de Hué ainsi que la concentration des pou- voirs civils et militaires en une seule personne. L’ébrui-tement de ce rapport, qui ira jusqu’au Vietminh, fut sanctionné par la mise à la retraite d’office de Revers. Une remarque du ministre de l’Intérieur Jules Moch sur un document manuscrit du directeur de la DST, Roger Wybot, relative à l’affaire des généraux met en doute les compétences de la DST de cette époque.

[155] Allocution prononcée par Michel Rocard, Premier ministre, sur l’enjeu de la réforme de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), comme un des moyens vitaux de la sûreté du système de la défense de la France, 23 août 1990.Archives nationales, 20110164/1, haut. 29 x larg. 24 cm

Le 23 août 1990 le Premier ministre Michel Rocard se rend pour la seconde fois depuis son arrivée à l’hôtel Matignon dans les locaux de la DGSE, en compagnie de Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Défense. Le Premier ministre prononce devant le personnel de la DGSE un discours présentant l’« enjeu national » de la réforme du renseignement comme un des « moyens vitaux » de la sûreté de la défense nationale (la guerre du Golfe a éclaté au début du mois d’août). Par un décret du 20 avril 1989, Michel Rocard avait réins-tauré un comité interministériel « de renseignement », écho du comité interministériel de documentation du SDECE aux débuts de la IVe République, afin de traduire la priorité gouvernementale qu’est le rensei-gnement. À l’aube d’un conflit armé, la place du ren-seignement dans le dispositif exécutif ne peut être plus proche et manifeste. [Vivien Richard]

Page 57: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

56

[173] Main de Charles Gravier, comte de Vergennes, assis à son bureau, et tenant une missive «�Au Roy�», d’après le tableau d’Alexis–Joseph Mazerolles (1826–1889), vers 1781.Paris, musée de l’Armée, photo RMN, 11392, Ea 686

Page 58: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

57

LES SECRETS DE PAPIERS DU SECRET DE L’ÉTAT

Le secret est aussi une législation qui se constitue tôt sous les ordres des souverains, par des codes criminels, des instructions et des règlements civils et militaires, plus tardivement par des lois. Dans le domaine de l’espionnage et du contre–espionnage, ce sont les tribunaux qui déterminent les sanctions pour les espions, les traîtres ou les imprudents.

Ainsi, l’espionnage des adversaires, par des espions étrangers, des agents doubles ou des citoyens français, est sanctionné à partir du règne de Napoléon Ier. Dans un autre domaine, l’Assemblée nationale a appliqué en cas de crise un régime d’exception à la règle de publicité dans le cadre des «�comités secrets�». La limite est franchie par la révélation d’«�affaires�» de teneur ou de portée différentes, lorsque sont dévoilés au public les abus des arcanes du secret.

Les Archives nationales conservent les archives de l’État, des chefs d’État, assemblées, administrations publiques, souvent couvertes par le secret, comme le fut le Trésor des chartes, autrefois accessible sur autorisation du roi lui–même. La notion de secret fait partie dans les institutions publiques, conformément à la loi, des fonctions et obligations réglementaires des fonctionnaires. Le tampon, le coffre et le scellé expriment l’interdiction et la mise au secret. Enfin, les secrets des dossiers sont levés quand ils ne nuisent plus aux intérêts de l’État, dans des délais de communicabilité imposés par le législateur, qui a prévu cependant certaines clauses dérogatoires, ouvrant ainsi ses pièces au jugement de l’histoire.

Page 59: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

58

Un droit pour le secret de l’État

La notion de «�sûreté de l’État�» à partir de 1810, puis le respect des «�intérêts fondamentaux de la nation�» à compter de 1994 ont été le socle du droit pénal protégeant le «�secret de l’État�». Ils sont complétés après 1886 par des lois qui répriment l’espionnage. Ce sont les services de contre–espionnage qui assurent le respect de ces textes en menant des enquêtes sur les suspects d’espionnage, qui est l’atteinte principale à la «�sûreté de l’État�». La Direction de la surveillance du territoire (DST) a mené tout au long de la guerre froide de nombreuses et patientes investigations pour livrer ensuite à la justice des dossiers emportant la conviction des magistrats.

[166] Georges Pâques, ancien–haut fonctionnaire de l’OTAN, arrive à la cour de sûreté de l’État, pour la seconde journée de son procès, dans la cour de la Souricière, 7 juillet 1964. Il est accusé d’avoir fourni des documents secrets à l’URSS.Rue des Archives, 0034630

Page 60: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

59

[156] Articles 75 à 85 de la première section du code pénal intitulé «�Des crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État�», 1810. Code pénal, Paris, Imprimerie impériale, 1810, p. 21Archives nationales, bibliothèque historique, A III 54, haut. 23 x larg. 15 cm

Sous l’Empire, les limites d’un espace secret ne repo-sent pas sur un dispositif juridique et réglementaire complexe, mais deux notions fondatrices du droit relatif à la sécurité de l’État sont affirmées : la « sûreté intérieure » et la « sûreté extérieure de l’État ». Si dans le code d’instruction criminelle de novembre 1808 se trouve mentionnée, à l’article 5, « la sûreté de l’État », deux ans plus tard, le code pénal de février 1810 dans ses articles 75 à 85 distingue les deux notions. L’article 75, sanctionnant les « correspondances » avec des puissances étrangères livrant « des instructions nuisibles à la situation militaire ou politique de la France », prévoyait des peines de détention. Les autres articles 76 à 85 prévoyaient la peine de mort pour les citoyens convaincus de trahison envers la France, soit en ayant entretenu des « intelligences » avec des États étrangers, soit en ayant combattu contre son pays. Le 5 février 1810, les conseillers d’État présen-tant le code soulignaient à propos de ce cas : « De si grands crimes n’admettent d’autre peine que la mort ». La législation adoptée en 1810 était le résultat de nombreuses condamnations à mort pour espionnage prononcées depuis les guerres de la Révolution. [d’après

Michel Roucauld]

[157] Minute du rapport fait à Napoléon Ier sur la promulgation et la publication du nouveau code pénal, faisant office de travaux préparatoires au code, 24 février 1810.Archives nationales, BB/3/191, haut. 33 x larg. 21 cm

Napoléon légifère dans le domaine de l’espionnage, base de la législation contemporaine. Porter les armes contre la France et entretenir des liens avec les puis-sances étrangères, sera puni de mort, en période de guerre ou de paix. Livrer lieux et correspondance à l’ennemi est condamné de fait d’espionnage, de même que la livraison de plans de fortifications, d’arsenaux, ports ou rades. L’obsession de la lutte contre l’espionnage chez Napoléon est d’autant plus grande que les camps des côtes de l’Océan n’ont cessé d’être l’objet, depuis 1803 et l’adoption du projet de descente militaire en Angleterre, de toutes les attentions de la part des agents anglais et roya-listes. Ces derniers constituaient l’héritage de la guerre fratricide entre Français sous la Révolution, qui avait vu la mise en place d’un système d’espionnage géné-ralisé au profit de la contre-révolution et des Anglais. [d’après Michel Roucauld]

[158] Jugement du premier conseil de guerre permanent de la 15e division militaire contre l’Ecossais John Harvie Christie, accusé «�de crime d’espionnage�» à Rouen et acquitté à l’unanimité, 21 thermidor An 11 [9 août 1803].Vincennes, Service historique de la Défense, GR C18 17, haut. 30 x larg. 26 cm

Le 28 floréal an XI (18 mai 1803), la Grande-Bretagne déclare la guerre à la France ; ses ressortissants ont quelques jours pour quitter le pays. John Harvie Christie, avocat écossais résidant à Paris depuis l’hiver précé- dent, dépasse le délai fixé par la loi. Après avoir essayé en vain de passer en Angleterre depuis Le Havre, Christie se rend à Fécamp pour tenter à nouveau sa chance. Mais il est arrêté dans un cabaret du port, le 8 messidor an XI (27 juin 1803), par deux gendarmes du service de la surveillance extraordinaire des côtes, et aussitôt transféré à la maison d’arrêt de Rouen. En possession de plusieurs documents en anglais et de quelques cartes des côtes de France, il est soupçonné d’espionnage. Convaincu par la bonne foi de l’Écossais, le conseil de guerre l’acquitte à l’unanimité. [Richard Ravalet]

[159] État des services de mer de l’enseigne André Làa, militaire 1re classe, Brest, 1er janvier 1793.Vincennes, Service historique de la Défense, CC7 Alpha 633, haut. 44 x larg. 60 cm

[160] Minute d’une lettre de Napoléon Ier à Joseph Fouché, ministre de la Police générale (1799–1802, 1804–1810), lui enjoignant de rédiger un rapport contre l’espion André Làa et ses complices, Mantoue, 1er messidor an XIII [19 juin 1805].Archives nationales, AF/IV/867, feuillet 11, haut. 32 x larg. 26 cm

André Làa, dit « Michel », est un agent royaliste du baron Imbert et enseigne de vaisseau de la marine qui fut tra-duit devant une commission militaire pour espionnage. Il représente l’espionnage à grande échelle qui se pratiquait entre les pays européens à l’époque de Napoléon Ier. Les condamnations ont valeur d’exemple pour l’Empereur, pour alerter les éventuels espions de ne pas recommencer. Cependant, le code pénal de 1810 permet aussi de juger des civils convaincus d’espionnage devant des juridictions civiles. L’ambi-valence du souverain s’exprime dans le fait qu’il entre-tient à grand frais, sur des lignes budgétaires de l’État, des agents secrets, tels que Charles Schulmeister, pour être bien informés militairement et politiquement dans toutes les strates de la société.

Extrait : « Envoyez un rapport sur Làa et les autres espions, mon intention étant de les traduire devant une commission militaire. Avec deux ou trois exemples, nous rendrons ces gaillards là moins audacieux et plus r ares ».

Page 61: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

60

[161] Loi du 18 avril 1886 tendant à établir des pénalités contre l’espionnage.Archives nationales, A//1448, haut. 34 x larg. 24,5 cm

Ce texte publié au Journal officiel prévoie des peines d’amendes et d’emprisonnement pour tout individu recueillant ou divulguant des documents et des rensei- gnements intéressant la défense du territoire ou la sûreté extérieure de l’État et pour tout individu s’introdui- sant dans une place forte ou un établissement militaire ou maritime. La loi est adoptée dans l’urgence et sans débats par la Chambre des députés puis par le Sénat avant d’être promulguée par le président de la République le 18 avril 1886. La promulgation du texte intervient dans un contexte de vives tensions avec l’Allemagne. Composé de 13 articles, il aborde la question de l’espionnage de manière assez précise et énonce les sanctions encourues par les contrevenants. La notion d’espionnage est ici définie sous les diffé-rentes formes qu’il peut revêtir, à savoir : la livraison d’informations et de documents intéressant la sûreté de l’État (transmission), la perte d’informations (vols ou détournement de documents), les intrusions sur des sites ou des enceintes militaires ou maritimes, la reconnais-sance topographique du terrain, et enfin l’usurpation d’identité pour obtenir des informations. L’accent est particulièrement mis sur les transmissions et le rensei-gnement. Les peines de prisons peuvent aller jusqu’à 5 ans et peuvent s’accompagner de la perte de la jouissance des droits civiques pour une durée de 5 à 10 ans ainsi que d’une interdiction de séjour. [Maïa Pirat]

[162] Original de l’ordonnance n° 60–529 du 4 juin 1960, adoptée en vue de faciliter le maintien de l’ordre, la sauvegarde de l’État et la pacification de l’Algérie (Journal officiel, p. 5157).Archives nationales, 1990275/2, haut. 32 x larg. 23 cm

Autorisé par le Parlement le 4 février 1960 à prendre des mesures relatives au maintien de l’ordre, à la sau-vegarde de l’État, à la pacification et à l’administra-tion de l’Algérie, le gouvernement Debré adopte le 4 juin une ordonnance pour revoir des dispositions du code pénal, du code de la procédure pénale et des codes de justice militaire. Cette ordonnance modifie la répression des crimes d’atteinte à la sûreté de l’État, en rétablissant notamment la peine de mort pour motif politique. Ce document est signé comme toute ordonnance originale, par le président de la République (Charles De Gaulle), le Premier ministre (Michel Debré) et les ministres concernés, à savoir : le Garde des Sceaux, ministre de la Justice (Edmond Michelet), le ministre des Armées (Pierre Messmer) et le ministre de l’Intérieur (Pierre Chatenet). [Vivien Richard]

[163] Le premier ministre Michel Debré arrive au Palais de l’Élysée pour participer à la 2e session du Conseil exécutif de la Communauté franco–africaine, 2 mars 1959.Rue des Archives, 00419275

[164] Original de la loi n° 92–686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique, 22 juillet 1992.Archives nationales, 20020278/9, haut. 16 x larg. 12 cm

Le code pénal napoléonien en vigueur depuis 1810 a été abrogé en 1994 par la mise en application d’un nouveau code pénal issu d’une série de lois du 22 juil-let 1992. Cette nouvelle rédaction contient de nom- breuses modifications et introduit la notion juridique d’« intérêts fondamentaux de la Nation » en son livre IV (loi n° 92-686 du 22 juillet 1992) afin de réprimer les crimes et les délits commis contre la nation, l’État et la paix publique. Ce document est signé comme toute loi originale, par le président de la République (François Mitterrand), le Premier ministre (Pierre Bérégovoy) et le ministre concerné, à savoir le Garde des Sceaux, ministre de la Justice (Michel Vauzelle). [Vivien Richard]

[165] François Mitterrand, photographié sur le perron de l’Élysée lors de son premier mandat à la tête de l’État, 1981.Archives nationales, AG/5(4)/SPH/1, reportage n° 4641, haut. 30 x larg. 23 cm

[166] Georges Pâques, ancien–haut fonctionnaire de l’OTAN, arrive à la cour de sûreté de l’État, pour la seconde journée de son procès, dans la cour de la Souricière, 7 juillet 1964. Il est accusé d’avoir fourni des documents secrets à l’URSS.Rue des Archives, 0034630

[167] Inventaire des pièces relatives à l’audience de relèvement des déchéances et incapacités touchant Georges Pâques devant la cour de sûreté de l’État, 8 juillet 1977.Archives nationales, 5W/623, dossier 236, sous–dossier E. Chemise cartonnée, haut. 32 x larg. 30 cm

Haut fonctionnaire français, condamné en 1963 pour espionnage au profit de l’URSS, Georges Pâques, a été accusé d’avoir transmis des informations vitales concernant la Défense depuis 1943. Entré en relation en 1943 avec l’ambassade de l’URSS, Pâques transmet aux soviétiques une masse considérable d’informations dans le cadre de ses diverses fonctions et notamment

Page 62: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

61

à partir de novembre 1962 en sa qualité de chef adjoint du service de presse de l’OTAN. Arrêté par la Direction de la surveillance du territoire le 12 août 1963, il est traduit devant la cour de sûreté de l’État pour intelligence avec les agents d’une puissance étrangère et condamné le 7 juillet 1964 à la déten-tion criminelle à perpétuité, commuée en 20 ans de prison, puis gracié par le président de la République en 1970. La procédure se termine en 1977 par l’audience de relèvement des déchéances et incapaci-tés, permettant Georges Pâques de recevoir par testa-ment et de disposer de ses propres biens. [Pascal Raimbauld]

[168] Lettre du secrétaire général de la Défense nationale, le général Michel de Brébisson, adressée à la DST, relative au préjudice subi par l’OTAN dans le cadre de l’affaire Georges Pâques, 30 avril 1964.Archives nationales, 5W/623, dossier 236, pièce D 392, haut. 29 x larg. 24 cm

Dans le cadre de l’instruction de la procédure contre Georges Pâques devant la cour de sûreté de l’État, le secrétariat général à la Défense nationale transmet à la Direction de la surveillance du territoire des avis techniques, élaborés par l’autorité nationale de sécurité de l’OTAN, sur les dommages causés aux intérêts de cette organisation par la communication aux services de renseignements soviétiques de documents secrets lui appartenant. Cet avis technique est soumis pour appro- bation au conseil permanent de l’OTAN, et s’accom- pagne d’une déclaration du secrétaire général de l’Organisation évaluant le préjudice causé à l’Alliance. La nature des informations en cause explique la diffu-sion restreinte de cette note. [Pascal Raimbauld]

[169] Communiqué du ministère de l’Intérieur relatif à l’affaire Pâques, corrigé de la main du général De Gaulle, août 1963.Archives de la DGSI, haut. 27 x larg. 21 cm

Outre les éléments biographiques sur le personnage explicites dans ce document, on constate que le géné-ral De Gaulle relit les communiqués importants et avec attention. L’affaire Pâques est une affaire d’espionnage, ce genre d’action doit être condamné, conclue-t-il.

[170] Roman autobiographique de Georges Pâques, écrit pendant sa détention [Comme un voleur, Paris, Julliard, 1970].Bibliothèque nationale de France, 8– DELTA– 50806, haut. 20 x larg. 13 cm

Georges Pâques publie un roman autobiographique juste après sa détention, dont il modifie les lieux et les noms. D’après lui, l’orgueil l’aurait animé pendant 20 ans.

Il voulait jouer un rôle dans l’histoire, et empêcher en pleine guerre froide, une Troisième Guerre mondiale. Pâques avait déclaré pendant son procès: « Je ne suis pas un agent soviétique. Je ne suis pas marxiste. J’ai été poussé par mon sentiment du devoir religieux et moral. »

[171] Chemise contenant une série de messages et de grilles pour le déchiffrement des messages reçus de Moscou par Serge Fabiew, transmise par la DST à la cour de sûreté de l’État, 13 juillet 1977.Archives nationales, 5W/792, dossier 1834, sous–dossier 17. Chemise cartonnée, haut. 35 x larg. 23 cm

Serge Fabiew, russe naturalisé français, directeur de la société d’études et de réalisations générales et indus-trielles (S.E.R.G.I.) spécialisée dans les appareils de pro- tection des transformateurs électriques contre l’incen-die fournit de 1963 à 1974 aux services soviétiques des informations sur les questions militaires et l’OTAN. Arrêté par la Direction de la surveillance du territoire le 15 mars 1977 et inculpé d’intelligence avec les agents d’une puissance étrangère, il est traduit devant la cour de sûreté de l’État et condamné le 1er février 1978 à 20 ans de détention criminelle. Dans le cadre de la procédure, la Direction de la surveillance du territoire transmet au juge d’instruction deux séries de documents contenant les messages reçus de Moscou interceptés et leur déchiffrement. [Pascal Raimbauld]

[172] Bordereau d’envoi de messages et de grilles transmis par la DST à la cour de sûreté de l’État dans le cadre de la procédure contre Serge Fabiew, 13 juil. 1977.Archives nationales, 5W/792, pièce D 383, papier imprimé et dactylographié, haut. 35 x larg. 23 cm

Avec 4 complices, Fabiew était chargé de fournir les clés du système de communication des forces aériennes d’après le chef du contre-espionnage français, Marcel Chalet. Agissant sur commission rogatoire, la DST transmet le 13 juillet 1977 au juge d’instruction près la cour de sûreté de l’État une deuxième série de docu-ments comprenant 56 messages reçus de Moscou par Serge Fabiew entre 1967 et 1972. Chaque message ou grille est regroupé dans une chemise contenant le procès-verbal d’écoute présenté sous forme d’un ou plusieurs tableaux de chiffres, le déchiffrement en langue russe et la traduction en français. Tous ces messages sont examinés et corrigés par Fabiew et certaines grilles font l’objet de fiches d’observation sur la traduction du message en cas de contestation de celle-ci par Fabiew qui effectue, le cas échéant, une nouvelle traduction. Sur ces 56 messages, seuls 4 font l’objet d’observations. Voir n° [007 997 285] et n° [007 997 286]. [Pascal Raimbauld]

Page 63: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

62

Protéger l’information

À partir du XVIIIe siècle apparaissent des consignes de discrétion ou de secret complet dans certains établissements militaires et places fortes. De nombreux textes ministériels à partir de la fin du XIXe siècle complètent ces usages par une réglementation véritable protégeant certaines catégories d’informations publiques et donnant naissance à la classification de l’information, qui ne devient pourtant stricte et rationnelle qu’après 1945. L’espace secret de l’État s’étend ainsi des lieux physiques à des documents de papier. Le Parlement, lieu de la publicité, peut délibérer en «�comités secrets�» lorsque le danger est grand. Depuis moins d’une décennie, une étape importante a été franchie dans les assemblées, dans la mesure où elles peuvent exercer leur regard sur les services.

[188] «�L’affaire d’espionnage du comité de défense nationale�» ou l’affaire des fuites, Le Parisien Libéré, 5 octobre 1954.Paris, Archives de la préfecture de Police, E/A 131

Page 64: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

63

[173] Main de Charles Gravier, comte de Vergennes, assis à son bureau, et tenant une missive «�Au Roy�», d’après le tableau d’Alexis–Joseph Mazerolles (1826–1889), vers 1781.Paris, musée de l’Armée, photo RMN, 11392, Ea 686

Charles Gravier, issu d’une illustre famille de notable de Dijon, fait ses armes de diplomate entre le Portugal, le Saint-Empire et dans l’Empire Ottoman. C’est Maurepas qui l’introduit auprès du Roi. Il est surtout connu pour avoir soutenu la cause des colons américains par haine des britanniques. Il cède à Beaumarchais de procurer secrètement des armes aux colons, pour garder une forme de neutralité face aux ennemis anglais. Officiel-lement, la France ne signe un traité d’alliance offensive et défensive avec les treize colonies qu’en février 1778.

La police secrète du Comte de Vergennes, ministre des affaires étrangères sous Louis XVI de 1774 à 1782 a mis au point une méthode pour transmettre une fiche signalétique d’un individu à son insu, lorsqu’un diplo-mate demandait un passeport [visa]. La couleur, la forme, un dessin ou des marques sur le papier indiquant sa fortune, sa religion, les qualités ou l’objet de son déplacement permettent ensuite au ministre le recevant d’en connaître déjà beaucoup. La main symbolique représente le lien du Roi avec ses serviteurs du secret, les hommes de l’ombre, qui l’informe du déroulé des opérations secrètes.

[175] Règlement que le roi veut voir respecté dans les hôtels situés à Versailles où sont ou seront établis les ministres et les bureaux de la Guerre, de la Marine et le Dépôt des Affaires étrangères, 17 mars 1765 (Paris, Imprimerie royale, 1785).Vincennes, Service historique de la Défense, GR 3 X 14, haut. 31 x larg. 25 cm

L’ingénieur géographe et ancien directeur du Dépôt de la Guerre Jean-Baptiste Berthier, nommé commandant des Hôtels de la Guerre, de la Marine et des Affaires étrangères, exerce un important pouvoir sur l’organisa- tion et la gestion du personnel et des lieux. Les bureaux sont vus comme des espaces privilégiés, strictement administrés, où se règlent les affaires du royaume. Les articles qui composent ce règlement, signé par Choiseul et le duc de Praslin, soulignent le rôle primordial des commis qui sont les seuls à partager les secrets de la guerre et de la diplomatie avec le souverain et le secré-taire d’État de la Guerre. Rien n’est laissé au hasard dans la protection des lieux et des documents, Berthier est omniprésent : de l’acheminement du courrier à la destruction des documents en présence d’un caporal de garde et d’un fusilier, tout est prévu. Nul n’entre dans ces locaux sans qu’il ne soit accompagné d’un fusi-lier. La dernière patrouille du soir vérifie la fermeture des portes des bureaux et rend compte au comman-dant des Hôtels de Versailles. [Richard Ravalet et Claude Ponnou]

[176] Règlement et consigne pour les hôtels situés à Paris, Versailles, Fontainebleau et Compiègne, où sont ou seront établis les ministres et les bureaux de la Guerre, de la Marine et des Affaires étrangères, 6 juillet 1792 (Paris, Imprimerie royale, 1792).Vincennes, Service historique de la Défense, GR 2 X 65, Art. 15 et 19 à 22, haut. 30 x larg. 25 cm

Ce règlement daté de 1792 présente de nombreuses similitudes avec celui de Louis XV daté de 1765. Le général Berthier exerce toujours les pleins pouvoirs sur le personnel et la sûreté des Hôtels qui ne sont plus seulement à Versailles, l’hôtel de la Marine ayant été transféré à Paris en cette fin du XVIIIe siècle. Tout est mis en œuvre pour préserver les documents, les biens de l’État, et ce dans les trente articles qui composent ce texte. Ainsi l’envoi du courrier se fait sous bonne escorte ; seul Berthier peut ordonner la destruction ou la vente de papiers. De surcroît, lors des déplacements du roi, les voitures contenant les caisses de documents sont accompagnées par deux fusiliers pour chaque bureau. Les limites des compétences de chacun sont définies, aucun renseignement ne devant quitter les murs sans que Berthier n’en soit averti. [Richard Ravalet et Claude Ponnou]

[177] Brouillon d’une lettre de Napoléon à Jean–Guillaume Locré, secrétaire général du Conseil d’État (1799–1815), lui demandant de répartir très discrètement une somme de 100�000 francs entre cinq conseillers d’État, Paris, 16 ventôse an X [7 mars 1802].Archives nationales, AF/IV/863, haut. 23 x larg. 20 cm

Napoléon précise que la remise des sommes doit se faire « de la main à la main, sans dire à l’un que les autres l’ont reçue » et « que ceci reste très secret ». Au Conseil d’État, instauré par la Constitution du 22 fri-maire an VIII, Bonaparte nomme vingt-neuf conseillers, répartis en cinq sections, dont il choisit les présidents. Il fixe leur traitement annuel à 25 000 francs, comme pour les sénateurs. Au sein de l’institution, il existe des divergences politiques profondes entre les membres, mais également une grande diversité dans les âges, les fortunes, les origines sociales, les carrières, etc. Cet éclectisme est certes bien accueilli par l’opinion publique mais Napoléon veille à ne pas encourager les oppositions internes. Sans-doute est-ce pour cela qu’il requiert ici la plus grande discrétion du secré-taire général Locré dans l’attribution de gratifications – importantes, rapportées à leur traitement annuel – à cinq conseillers. Cf. : Correspondance générale de Napoléon Ier, Paris, Fayard, 2006, t. III, p. 925, n° 6798. [Isabelle Chave]

Page 65: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

64

[178] Affiche de Mallet «�Taisez–vous l’allemand a fui… l’espion reste�», diffusée par le service de presse du ministère de la Guerre, 1944.Vincennes, Service historique de la Défense, 2013 PA 58, haut. 59 x larg. 39 cm

La crainte de la « 5e colonne », forte en 1939-1940, perdure fin 1944 alors que la défaite de l’Allemagne ne fait plus aucun doute. Le thème est donc naturel-lement développé par le ministère de la Guerre. Le décor de Mallet présente des ruines en flamme sur lesquelles se dérobe l’ombre de l’ennemi. La crainte est que l’armée allemande ait laissé derrière elle des collaborationnistes qui profitent de la déstabilisation de la fin de la guerre. Entre fantasmes et réalité, la présence de la « 5e colonne » justifie aux yeux des communistes, le maintien de milices patriotiques. Le fantasme devient à la Libération un enjeu politique majeur en même temps qu’un outil de propagande du nouveau pouvoir en constitution.

[179] Reportage réalisé par le ministère de la Guerre expliquant l’importance des règles de confidentialité pour lutter contre l’espionnage [circa 1950].

ECPAD, 11 mn 57 s

Séance de la Chambre des députés tenue en comité secret, 16 juin 1916Archives nationales, C//7646, d. 4025 pour le pli scellé (papier, haut. 34 cm x larg. 40 cm)�; d. 4029 et 4030, feuillets manuscrits 254 et 335 pour les extraits (papier, haut. 21 cm x larg. 14 cm)

[180] Pli scellé par cinq cachets ronds de cire rouge contenant les cahiers de notes des sténographes et leur traduction�; sur le recto est inscrite la procédure d’ouverture.

[181] Extraits de l’interpellation du député Alfred Margaine qui critique en pleine bataille de Verdun le manque de coordination au sein de l’armée.

La tenue de séances en comités secrets coïncide à la Chambre des députés avec le début du régime parle- mentaire. Sous la Troisième République, l’article 5 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur l’organi-sation des pouvoirs publics prévoit de réunir les assem-blées en comité secret, ce qui autorise l’interruption de la publicité des débats et interdit la présence du public. Lors de la Première Guerre mondiale, le Parlement cherche à s’informer et à contrôler la conduite des opérations militaires. Cependant, il lui faut concilier le débat public en séance plénière avec la discré-tion exigée par le gouvernement. Le 16 juin 1916, le président Paul Deschanel déclare la Chambre formée en comité secret. Il rappelle aux députés qu’ils sont « tous engagés d’honneur à ne rien répéter de ce qui sera dit au cours du comité secret « et obtient leur assenti-ment pour établir « une sténographie dont le texte, scellé séance tenante, demeurera déposé dans nos archives ». À la suite d’André Maginot qui a longuement évoqué « l’affaire de Verdun », André Margaine (1870-1953), député radical-socialiste de Sainte-Menehould (Marne) critique le fonctionnement du Grand Quartier général et son entourage. Il s’appuie sur son expérience combat- tante – il s’est engagé dès le début du conflit – pour fustiger le manque de coordination qui, à de nombreuses reprises, a provoqué des désastres. [Roseline Salmon]

Procès–verbaux manuscrits des «�comités secrets�» d’une séance de l’Assemblée nationale, 1870–1871.Paris, Archives de l’Assemblée nationale, 1 P 108, 12 d. et 1 P 118, XV 3a, haut. 25 x larg. 18 cm

[182] Extrait, en rapport avec la défaite de 1870, 26 août 1870.

[183] Extrait relatif à la demande de mobilisation de volontaire pour créer des troupes, placées sous les ordres de l’Assemblée nationales, en réaction aux événements liés à la Commune, 22 mars 1871.

Trois séances du Corps législatif du Second Empire se sont réunies en août 1870 dans le contexte de la guerre franco-allemande. Une séance de l’Assemblée nationale de la République va siéger en mars 1871 à Versailles, réunie à la veille de la Commune. Au cours de ces débats s’expriment des personnalités de premier plan comme Léon Gambetta, Jules Ferry, Adolphe Thiers, Jules Grévy ou encore Georges Clemenceau.

Page 66: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

65

Le 25 août, avec les restes de l’armée du Rhin, Mac-Mahon reconstitue une armée de 140 000 soldats pour tenter de dégager Bazaine de Metz. L’empereur Napoléon III se joint à la troupe. L’un des documents évoque le repli des troupes sur la forteresse de Sedan par Mac-Mahon, le commandant en chef de l’armée dite du camp de Châlons. Le 2 septembre, Napoléon III capitule. L’autre exprime la nécessité de mobiliser des volontaires pour contrer les communards qui ravagent Paris. Ainsi, la réunion de l’Assemblée nationale en comités secrets déroge à la règle de publicité afin de conserver les fuites sur des enjeux considérés comme cruciaux. La levée du secret sur les documents de ces comités secrets date d’avril 2012.

[184] Traduction de la sténographie de la séance de la Chambre des députés, tenue en comité secret�: sommaire de son déroulement avec la liste des interpellations des députés�; extrait de l’interpellation de Marcel Déat au sujet de la bataille de Narvik, 19 avril 1940.Archives nationales, C//15202, pages 1–2, p.25–28 et p. 1430–1431, haut. 21 cm x larg. 14 cm

Le 19 avril 1940, la Chambre des députés se consti- tue en comité secret. Son président, Édouard Herriot, « appelle la discussion des interpellations sur la conduite de la guerre » alors que depuis le 9 avril se déroule la bataille de Narvik. Celle-ci oppose en Norvège les flottes britannique et française à la marine et aux troupes allemandes avec pour enjeu le contrôle du transport du fer suédois. Le premier ora-teur Marcel Déat, député d’Angoulême (Charente), constate que la France et ses alliés remportent « un certain nombre de succès incontestables » et que « la route permanente du fer paraît coupée. » Mais selon lui, la bataille de Narvik n’est pas terminée et le temps presse. Les Allemands sont installés dans le Nord, peuvent renforcer leurs effectifs et utiliser la neu-tralité suédoise. Un débarquement allié sur des côtes inhospitalières semble très difficile. Malgré le bar-rage de mines dans la Baltique, les Allemands sont capables d’« une sorte d’incrustation dans le sud de la Norvège » leur permettant de créer, avant l’hiver, des voies de chemin de fer. Marcel Déat pense que la question de la route du fer n’est pas réglée et que la bataille « pèsera lourd sur l’évolution subséquente de la guerre ». Les événements de mai 1940 obligent les Alliés à quitter la Norvège qui capitule très rapide-ment. Fondateur en 1941 du Rassemblement national populaire, ministre du Travail et de la solidarité natio-nale en 1944, condamné à mort par contumace en juin 1945, Marcel Déat meurt en Italie en 1955. [Roseline Salmon]

[185] Avant–projet, ordre du jour et proposition de règlement du gouvernement du conseil des ministres, établi par le secrétariat du gouvernement, partie A, 29 janvier 1947. Archives nationales, F/60/2566, haut. 29 x larg. 23 cm

En droit des actes d’un gouvernement, les règlements sont les décisions d’un pouvoir exécutif. Les règlements autonomes sont pris sur le fondement de l’article 37 de la Constitution de 1958, qui attribue une compétence générale au règlement, la loi jouissant d’une compétence d’attribution sur une quantité de matières limitativement énumérées. Sur ce fondement, il est donc possible pour le gouvernement de réglementer sans qu’il y ait de loi. Au demeurant, celui-ci doit respecter la Constitution, en l’absence de « loi-écran » entre le règlement et la Constitution. À l’origine d’un projet de loi se trouve un département ministériel. Dans tous les cas, un avant- projet est préparé par les services et le cabinet du ministre compétent, en liaison avec le cabinet du Premier ministre. Le texte ainsi élaboré doit être accepté par les ministres intéressés en raison du caractère col-légial du gouvernement. Voir n° [138]. [Vivien Richard]

[186] Règlement intérieur des travaux du gouvernement, prescrivant le secret des délibérations «�sur l’honneur�», 22 avril 1947. Notes documentaires et études, n° 605, série française, CXXXI, 22 avril 1947, p. 3.Archives nationales, 19790872/43, haut. 30 x larg. 23 cm

La direction de la Documentation et de la Diffusion, service du ministère de l’Information est rattachée dans le gouvernement Paul Ramadier I au ministère de la Jeunesse, des Arts et des Lettres, chargé des services de l’Information. En 1947, cette direction est intégrée au Secrétariat général du gouvernement, organe admi- nistratif de la présidence du Conseil (actuels services du Premier ministre), par décret du 13 novembre 1947 (Journal officiel du 14 novembre 1947). C’est une déci-sion importante pour l’histoire de la Documentation française : son rôle de maison de documentation et d’édition d’État est reconnu, le caractère de neutralité qu’elle revendique ne sera plus remis en question. Cette même année, en avril, sa collection de publica-tions administratives « Notes documentaires et Études » publie le règlement intérieur des travaux du gouverne-ment adopté par le conseil des ministres le 29 janvier précédent. Le principe de la non-publicité des délibéra-tions du gouvernement est rendu officiel et publié dans une collection éditée par l’État qui énonce et grave ainsi la nécessité du secret. En janvier 2010, la Docu-mentation française a fusionné avec la direction des Journaux officiels en donnant naissance à la direction de l’Information légale et administrative (DILA). [Vivien Richard]

Page 67: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

66

[187] Discussion des interpellations du ministre de l’Intérieur François Mitterrand à l’Assemblée nationale dans «�l’affaire des fuites�», à l’automne 1954. Journal officiel, 3 décembre 1954, pp. 11293–11294, § 3–4.Archives nationales, bibliothèque historique, Y II 5 / 1593, haut. 30 x larg. 22 cm

[188] «�L’affaire d’espionnage du comité de défense nationale�» ou l’affaire des fuites, Le Parisien Libéré, 5 octobre 1954.Paris, Archives de la préfecture de Police, E/A 131

[189] Jean–Marc Théolleyre, Le Procès des fuites, Paris, Calmann–Lévy, 1956, 285 p.Vincennes, Service historique de la Défense, 3487, haut. 27 x larg. 23 cm

En 1954, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, est soupçonné d’avoir laissé fuiter des informations confidentielles du Comité de défense nationale. S’il est rapidement disculpé, le procès dit « des fuites » a lieu en 1956. À l’origine, des notes d’une réunion du Comité de défense nationale aboutissent sur le bureau du responsable communiste Jacques Duclos. En pleine guerre froide, la transmission de secrets mili-taires à des communistes est un acte grave de trahi-son. Un climat de suspicion fondé sur de nombreuses rumeurs franchit le seuil de l’Assemblée nationale.

[190] René Massigli, Sur quelques maladies de l’État, Paris, Plon, coll. «�Tribune libre�», 1958, 81 p. Le diplomate René Massigli (1888–1988) pointe les faiblesses économiques, morales et politiques françaises, à l’agonie de la IVe République.Vincennes, Service historique de la Défense, Ec 1418, haut. 26 x larg. 24 cm

Cet Essai sur la IVe République est inspiré de l’expé- rience diplomatique de l’auteur René Massigli. Diplomate français, notamment commissaire aux Affaires étrangères de la France libre durant la Seconde Guerre mondiale, puis ambassadeur de France en Grande Bretagne plus de dix ans (septembre 1944 – janvier 1955), Massigli relève notamment les problèmes institutionnels accrus par la pratique politique : l’indiscrétion, le chevau-chement des attributions, la vulnérabilité aux pres-sions, le recrutement anarchique, le fonctionnement dispendieux des cabinets, le recours effréné aux recommandations.

[191] Note manuscrite adressée aux membres du gouvernement par Michel Debré, ministre de l’Intérieur, à la suite de «�graves indiscrétions�» commises après un conseil des ministres, 13 août 1959.Archives nationales, 20110176/2, haut. 27 x larg. 24 cm

Le 13 août 1959, au cœur de l’été, Michel Debré, Premier ministre depuis le mois de janvier, adresse une circulaire sous forme de note manuscrite et signée aux membres du gouvernement, – les circulaires du Premier ministre ont trait à l’action du gouvernement et sont adressées au personnel gouvernemental. Le conseil des ministres dispose d’un règlement dont l’esprit est connu de tous : le secret des délibérations du gouvernement est impératif. Un membre a failli au respect de cet engagement républicain, d’où l’inves- tissement immédiat et personnel du Premier ministre, l’un des pères fondateurs des toutes nouvelles insti-tutions de la Ve République. L’exigence du secret de l’État en matière de délibérations du gouvernement nécessite des réitérations puisqu’il reste soumis par essence au bon vouloir politique de ses détenteurs. [Vivien Richard]

[192] Le gendarme saharien Christian Richard, photographié non loin de la base nucléaire d’In–Amguel (Algérie), 1962. Vincennes, Service historique de la Défense, GN_2013_PA_68_0001, haut. 26 x larg. 24 cm

Après les accords d’Évian du 18 mars 1962, le gendar- me saharien Christian Richard quitte sa harka de dix touaregs montés sur dromadaire et ses missions de contrôle des caravanes à la recherche des trafics d’armes destinées au FLN, pour être affecté à la bri-gade prévôtale d’In-Ekker. Sa mission est d’assurer la protection de la base nucléaire d’In-Amguel où se trouve le centre d’expérimentation militaire des oasis (CEMO), dans lequel treize essais nucléaires souterrains sont réalisés de 1961 à 1966. Il y reste jusqu’en septembre 1963 et se fait immortaliser sous cette étonnante pancarte qui semble isolée au milieu du désert saharien. [Benjamin Doizelet]

Page 68: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

67

[193] Carte de visite de Pierre Messmer [avec cartouche de papier comportant le chiffre 571302 des armes atomiques], 28 avril 1969.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 K 744, haut. 9 x larg. 11, 5 cm

Le texte de la main de Pierre Messmer, ministre des Armées du général De Gaulle, indique : Chiffre clé des armes atomiques de la force aérienne stratégique écrit de la main du général De Gaulle, conservé dans le boitier de sa montre et rendu au ministre des armées après son départ le 2 avril 1969.

Ce document très étonnant dont la véracité est attestée par la mention manuscrite de P. Messmer est entré dans les collections d’archives du ministère de la Défense après le décès de celui qui fut ministre des armées de 1960 à 1969. Il témoigne de l’incarna-tion du nucléaire : le chef de l’État, chef des armées, sous la Ve République, a sous sa responsabilité la mise en œuvre du feu nucléaire. [Michel Roucaud]

[194] Règles générales concernant les conditions de travail, la discipline et la sécurité au siège du Commissariat à l’énergie atomique, sans date.Archives nationales, 19960092/2, haut. 13,5 x larg. 21 cm

Le CEA est créé le 18 octobre 1945 par Charles De Gaulle avec à sa tête Frédéric Joliot-Curie (haut- commissaire à l’énergie atomique) et Raoul Dautry (administrateur général). Cet organisme est destiné à poursuivre des recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les domaines de la science (notamment les applications médicales), de l’industrie (électricité) et de la défense nationale. En 1952, le centre d’études nucléaires de Saclay est ouvert sur un terrain de 271 hectares en plein plateau de Saclay. Ces documents couverts par le secret de la défense nationale bénéficient d’une protection supplémentaire par rapport aux délais de communicabilité classiques. Depuis 2008 les documents « dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruc-tion d’un niveau analogue », sont considérés comme incommunicables de façon permanente.

[195] Décret n° 81–514 du 12 mai 1981 relatif à l’organisation de la protection des secrets et des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l’État. JO, 15 mai 1981. p. 1427, § 4.Archives nationales, Bibliothèque, Y II 5 / 3332, haut. 30 x larg. 25 cm

En 1981, le décret 81-5146 reprend les désignations de « renseignement, objet, document ou procédé qui doit être tenu secret » du code pénal (art. 75), pour dire qu’ils « font l’objet d’un classement » à trois niveaux : « Les renseignements, objets, documents, procédés intéressant la Défense nationale et la Sûreté de l’État qui doivent être tenus secret font l’objet d’un classement comprenant trois niveaux de protection : – 1° Très Secret-Défense ; – 2° S ecret-Défense ; – 3° C onfidentiel-Défense. »

De ce fait, les documents marqués « confidentiel Défense » après 1981 relèvent pour l’administration de la protection instaurée par l’article 75 du code pénal, alors que les documents antérieurs n’en relevaient pas nécessairement. Mais même si le décret inverse la charge de la preuve dans ce cas, le caractère secret reste soumis à l’appréciation du juge de fond. Cette logique est inversée en 1992, avec l’article 413-9 du nouveau code pénal. Dans ce nouveau régime, le secret-défense ne procède plus que d’un acte officiel de qualification. Le juge pénal compétent pour réprimer les atteintes au secret-défense se borne à constater l’existence d’une mesure administrative de protection, sans se prononcer sur son bien-fondé. Tout en assurant une meilleure sécurité juridique, cette définition a permis au pouvoir de classer secret des documents ou des informations qui ne relevaient pas du domaine de protection originellement visé par le législateur, permettant par exemple de dissimuler certains agissements potentiellement délictueux du pouvoir exécutif.

[196] Délégation parlementaire au renseignement, Rapport d’activité 2014. Contrôler les services de renseignement – An I, Ass. nat., n° 2482, Sénat n° 201, 18 décembre 2014, 177 p.Collection particulière, haut. 21 x larg. 15 cm

Ce rapport annuel de 2014 est le sixième que publie la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) créée en 2007 pour assurer un contrôle des services de renseignement. Il est le premier à avoir un contenu substantiel. Il montre les perspectives d’évolution qui ont été l’une des bases de la réflexion de la loi sur le renseignement de 2015.

Page 69: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

68

Un secret partagé n’est plus un secret�: les archives

Les archives tiennent leur place –�majeure�– dans la conservation du secret. Elles sont le secret. En matière de «�secret de l’État�», le secret a une vie longue. Des lois spécifiques définissent les durées pendant lesquelles les documents publics ne sont pas consultables. En outre s’ajoute la protection supplémentaire apportée par la classification. Des meubles symboliques comme l’armoire de fer, à quelques dizaines de mètres de cette salle, renferment des documents qui furent en leur temps des documents particulièrement secrets et qui n’ont plus aujourd’hui qu’une valeur symbolique et patrimoniale. Lors des invasions du territoire ou des crises graves, on constate des destructions volontaires d’archives jugées trop sensibles ou compromettantes.

Hôtel de Soubise, la galerie du Parlement vers 1940.Archives nationales, BIC/IV/B/89

Page 70: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

69

[197] Extrait du registre des ordonnances au porteur du 14 février 1773, signé par Le Roy, appelé «�Livre rouge�» contenant les gratifications ou dépenses secrètes, versées par Louis XV et Louis XVI pour les années 1770 à 1789.Archives nationales, C/182/93, C/220/160/145/29, AE/I/3/1/a et c, vol. 3, 2e page, haut. 30,5 x larg. 23 cm

Après un long bras de fer avec Necker, Camus, en tant qu’archiviste comme en tant que membre du comité des finances et de celui des pensions de l’Assemblée Constituante, accomplit le 5 mars 1790 un véritable coup de force : il obtint le principe de la communication et de l’impression intégrale du livre rouge. Dès le 7 avril 1790, sortait des presses de l’Assemblée un volume com-portant l’édition raisonnée des multiples chapitres des dépenses secrètes du roi, depuis les pensions des favoris jusqu’aux « dépenses secrètes des Affaires étrangères ».

Michelet a parfaitement restitué dans son Histoire de la Révolution française l’enjeu de cette conjuration contre le secret de l’État monarchique : « Grands cris, grande lamentation sur cette exigence outrageuse à la volonté du roi… Camus répondit en faisant imprimer le trop célèbre Livre rouge, que le roi avait confié dans l’espoir qu’il resterait secret entre lui et le comité. Ce livre immonde, sale à chaque page des ordures de l’aristo- cratie, des faiblesses criminelles de la royauté, montra si l’on avait tort de fermer l’égout par où s’en allait la vie de la France… Beau livre, avec tout cela ! Il enfonça la Révolution dans le cœur des hommes ». Ce travail de publication visait à saper la part secrète de l’État par l’arme de la publicité. L’original du Livre rouge ne parviendra toutefois définitivement aux Archives qu’à l’issue de la mise sous scellés de ce qui était contenu dans le palais de Versailles, le 28 février 1793. [Yann Potin]

Plan synoptique de l’armoire de fer des Archives nationales indiquant, carton par carton, le contenu des pièces�: procès de Louis XVI, traités et mariages, diplômes, lettres de Marie Antoinette, etc. [vers 1849].Archives nationales, ABXII/3, haut. 30 x larg. 25 cm

Cette présentation graphique est une pièce annexe du procès-verbal de récolement de l’armoire de fer en 1849, établi sous la responsabilité des trois chefs de section d’alors : Louis Cauchois-Lemaire, Natalis de Wailly, et Jules Michelet. Elle donne une vue générale du contenu des boîtes. Malgré leur faiblesse probatoire, les diffé- rentes pièces supposées avoir été gardées dans l’armoire de fer ont été utilisées à charge contre Louis XVI. Six boîtes sont concernées par le procès du roi, sans compter la boîte contenant son journal, classé à part, ainsi que la lettre testament de Marie Antoinette et le « livre rouge » des dépenses. D’autres boîtes conservent des lettres autographes de personnalités qui ont marqué l’histoire de France et des extraits des fonds de l’Assemblée

Constituante et de la Convention : les testaments de Napoléon ou de Louis XIV n’y seront déposés que plus tard. Enfin, il s’agit de noter la présence du mètre et du kilogramme étalon, en tant que pièce justifica-tive de la loi du 1er août 1793, mais aussi des clefs de la fameuse armoire secrète de Louis XVI au palais des Tuileries, les traités de mariages et les titres, et enfin l’état civil de Napoléon Bonaparte. [Yann Potin]

Deux lettres closes de François Ier.Archives nationales J/476/21/1 et J/476/21/5, haut. 28,5 x larg. 25 cm

[198] Il ordonne à son garde du Trésor des chartes de retrouver le testament de feue Jeanne de Castille, duchesse de Bourgogne, et d’en livrer une copie au précepteur de l’archevêque de Reims, Charles de Lorraine, tout s’assurant qu’il n’y ait rien qui puisse porter préjudice au roi, Fontainebleau, 16 février 1539 (n. st.).

[199] Il ordonne de retrouver le traité passé entre le roi Jean II le Bon et les Anglais (Londres, 1359) ainsi que tous les autres documents concernant les délimitations des terres anglaises dans le Boulonnais et le comté de Guines, Cléry, 13 février 1541 (n. st.).

Les lettres closes, très utilisées à l’époque moderne, sont des ordres directs du roi, généralement à l’attention de ses officiers. Pliées et cachetées du sceau du secret, leur contenu n’est lisible que par le destinataire. Le texte débute toujours par l’expression « De par le roi » et l’officier est désigné par les termes « Notre aimé et féal » ou encore « Cher et bien aimé ». Celles présentées ici sont des instructions directes de François Ier à son garde du Trésor des chartes, qui fait office de responsable du dépôt des archives gouvernementales. Les ordres sont tous similaires : accompagner une personne désignée par le roi dans le dépôt, l’aider à rechercher les docu-ments dont il a besoin et enfin lui en délivrer une transcrip- tion fiable. La foi que le souverain accorde au contenu de ces documents prouve combien ils sont cruciaux pour les affaires de l’État : qu’il s’agisse d’aider à régler l’affaire de succession d’une grande famille (tout en vérifiant au passage si le roi n’est pas lésé dans l’affaire), de récu- pérer un traité passé deux siècles plus tôt entre Jean II le Bon et les Anglais afin de négocier avec les ambas- sadeurs d’Henry VIII des possessions dans le Boulonnais ou de chercher des pièces utiles aux conseillers du roi, c’est bien la grande valeur politique et juridique des archives qui est ici mise en évidence. Dans le cas présent, elle permet aussi d’obtenir une autorisation d’extrait du Trésor des chartes, et montre l’absence de communicabilité des archives et leurs vocations secrètes pour le commun sous l’Ancien Régime. [Jean–François Moufflet]

Page 71: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

70

[200] Lettre adressée au roi Louis XV par le secrétaire d’État Henri–Léonard Bertin, qui demande deux titres du Trésor des chartes relatifs au comté de Dreux, 17 février 1766.

[201] Lettre d’accord pour la communication par reproduction des deux actes, 26 février 1766.Paris, Bibliothèque nationale de France, Joly–Fleury 1005, fo. 326., haut. 28,5 x larg. 25 cm

Les deux actes demandés portent sur la cession de terres dans le comté de Dreux : l’un est du roi Charles V de 1377, l’autre est une layette de 1738. Après la perte des archives royales en 1194 lors de la bataille de Fréteval et la récupération de celles-ci par Richard Cœur de Lion, Philippe Auguste les fait reconstituer. À partir de cette date, un exemplaire de ces archives restera en permanence à Paris. Dès lors, pour garantir l’intégrité du royaume, des titres et droits des féaux, et surtout du souverain, le roi de France est le seul auto-risé à délivrer une dérogation à la consultation, par copie ou reproduction, d’un document issu du Trésor des chartes. Elles sont demandées pour clarifier des titres de propriétés par exemple.

[202] Minute du Procès–verbal du déménagement du Trésor des chartes, par l’architecte Pierre Desmaisons, vers la nouvelle sacristie de la Sainte–Chapelle, avec prises de notes du mobilier ancien et neuf, du 8 au 24 juillet 1783.Paris, Bibliothèque nationale de France, Joly de Fleury, 1010, 43, folios 95 à 99, haut. 28,5 x larg. 25 cm

La sacristie de la Sainte-Chapelle abrite depuis le milieu du XIIIe siècle les objets les plus précieux de la monarchie capétienne, reliques insignes ou chartes qui fondent le domaine royal. L’incendie du Palais de justice en 1776 entraîne le réaménagement de la cour d’entrée du Palais et la destruction de la sacris-tie, ce qui justifie de déplacer le plus ancien chartrier de la Couronne, protégé depuis plus de 500 ans par le secret du sanctuaire. Jusqu’en 1808 et son transfert au sein de l’hôtel de Soubise, le Trésor des chartes va être déplacé à trois reprises, mais passe dès 1798 sous le contrôle des Archives nationales. [Yann Potin]

[203] Procès–verbal de la commission chargée de la vérification des papiers saisis aux Tuileries, avec demande de crédits en faveur des Archives nationales�: rapports et fonds secrets présents dans le portefeuille de Louis Philippe, 18 janvier 1850 [registre bleu].Archives nationales, AB/Va/6, haut. 29 x larg. 25 cm

En février 1848, la chute de Louis-Philippe entraîne la mise sous séquestre du mobilier et des papiers conte-nus dans les palais du Louvre et des Tuileries. Un an plus tard une commission associant le personnel poli-tique du ministère des Affaires étrangères au garde des Archives nationales est nommée pour examiner le contenu des fonds saisis et redistribuer les papiers aux différents services de l’État : les papiers les plus confidentiels sont envoyés au Dépôt de la Guerre ou à celui des Affaires étrangères, alors qu’une partie conséquente est rendu à la famille d’Orléans (devenu aujourd’hui le fonds 300 AP des Archives nationales). La partie restante constitue le fonds de la maison du roi aux Archives nationales (série 04). [Yann Potin]

[204] État manuscrit des pièces remises par la section administrative des Archives du Royaume pour être déposées dans l’armoire de fer, sous forme de liste chronologique, 26 thermidor An VI–19 octobre 1814.Archives nationales, ABXII/3, haut. 29 x larg. 25 cm

L’armoire de fer a été réalisée par le serrurier Maguerit en 1790-1791, à la demande de l’Assemblée natio-nale, pour abriter les planches à assignats puis les documents essentiels produits par le nouveau régime (constitutions, minutes des lois et décrets). À partir de 1793, elle fait office de coffre-fort destiné à accueil- lir, parfois temporairement, les séquestres qui concer-nent les procédures les plus confidentielles, du procès de Louis XVI à celui de Marie-Antoinette. Avec le Directoire, l’armoire de fer change de statut et recueille les principaux traités signés de la France mais aussi des médailles et monuments commémorant les victoi- res de la République. Elle devient ainsi peu à peu un lieu de mémoire de la Révolution française et de ses virages politiques successifs. [Yann Potin]

Page 72: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

71

[205] Notes des pièces reconnues manquantes aux divers récolements manuscrits des papiers trouvés dans l’armoire de fer des Tuileries et déposées dans l’armoire de fer des Archives nationales, sans date.Archives nationales, ABXII/3, haut. 29 x larg. 25 cm

En novembre 1792, l’armoire secrète de Louis XVI est saisie aux Tuileries par le ministre de l’Intérieur, Jean-Marie Roland. Un an plus tard, en octobre 1793, une partie des papiers saisis est déposée aux Archives. Ce transfert est à l’origine d’une confusion longtemps maintenue entre ces deux espaces éminents qui maté-rialisent à leur manière le secret de l’État : si l’armoire des Tuileries contenait un secret vivant et actif, source de polémique et de dénonciation politique, l’armoire de fer des Archives nationales compose plutôt une mise en scène différée du secret. [Yann Potin]

[206] Listes des versements aux Archives, par le ministère de la Justice, des scellés de l’affaire Dreyfus, décembre 1929 et mai 1933. Archives nationales, AB/V/d/9, 2 pièces, haut. 29 x larg. 25 cm

Les documents analogues qui se trouvaient dans les bureaux de la Sûreté générale, au ministère de l’Intérieur, ont été versés en 1920 aux Archives nationales, où ils portent maintenant les cotes F7 12464 à 12473. C’est aux Archives nationales que les précautions pour assu-rer le secret des documents provisoirement non com-municables sont naturellement les plus minutieuses ».

[207] Le Nouveau Journal Républicain, article en Une, intitulé «�Les secrets des Archives�», 1er décembre 1878.Archives nationales, AB Va 9, dossier 19, haut. 49 x larg. 32 cm

Révélateur des légendes et fantasmes que suscite, au cours du XIXe siècle, l’Armoire de fer des Archives natio-nales, cet article s’inscrit dans un contexte spécifique : il s’agit alors pour la Gauche républicaine dont le journal et son directeur Pascal Duprat sont les ardents porte-paroles, de mener les ultimes assauts contre la prétention légitimiste du comte de Chambord, ex- futur Henri V. L’avocat Guérin suppose en effet que les Archives détiennent dans leur Armoire de fer les preuves de la survie de Louis XVII à la prison du Temple après 1795, ce qui invaliderait indirectement la légitimité des descendants de son oncle Charles X dont le comte de Chambord est le petit-fils. À la veille du triomphe de la République en 1879 (par la conquête du Sénat), le fait même que les Archives puissent contenir des documents issus du fonctionne-ment secret de l’État est un terreau polémique dont l’ombre portée rebondira périodiquement jusqu’à la fin du XXe siècle. Le recel prétendu de pièces à conviction historiques pouvant concerner l’actualité politique la plus brûlante entretient l’aura mystérieuse d’une institution qui ne reçoit ni conserve cependant pratiquement aucun fonds issu des véritables agents du pouvoir contemporain de l’article… Le directeur des Archives nationales, Alfred Maury, non content de démentir l’existence d’un tel document dans la livraison suivante du journal, rappelle avec une cer-taine sérénité que l’inventaire des papiers contenus dans l’Armoire de fer a fait l’objet d’une publication intégrale en 1872 dans le catalogue du Musée des Archives nationales.

Plan synoptique de l’armoire de fer des Archives nationales indiquant, carton par carton, le contenu des pièces�: procès de Louis XVI, traités et mariages, diplômes, lettres de Marie–Antoinette, etc. [vers 1849].Archives nationales, ABXII/3, haut. 30 x larg. 25 cm

Page 73: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

72

[208] Caisse en bois ayant contenu les papiers saisis au domicile du capitaine Alfred Dreyfus, 1894.Archives nationales, scellés de l’affaire Dreyfus, BB/19/188 à 196, BB/19/101, dossier 2, pièces 11–21, 30–38 et BB/19/101, dossier 4, pièces 41–83, AE/VIa/313. Bois blanc, haut. 54 x larg. 54,5 cm

Le 15 octobre 1894, le capitaine Dreyfus est incar-céré à la prison du Cherche-Midi. Il est accusé d’être l’auteur d’un bordereau contenant des informations sur des secrets militaires français. Les livres, dossiers, papiers et objets (qui portent essentiellement sur sa scolarité) sont saisis à son domicile. Ils sont placés sous scellés numérotés de un à neuf et déposés au ministère de la Guerre.

Alfred Dreyfus apparaît comme le suspect idéal de par ses origines alsaciennes et juives et son tra-vail à l’état-major. Il passe en conseil de guerre et est condamné pour trahison le 22 décembre 1894. Le 21 janvier 1896, le chef du service de renseignements Marie-Georges Picquart intercepte un document déchiré, connu sous le nom de « petit bleu », adressé par l’attaché militaire allemand au commandant Ferdinand Walsin Esterhazy. L’écriture est identique à celle du bordereau qui a entraîné la condamnation de Dreyfus. Par ailleurs, Picquart découvre que le dossier secret comportant des pièces couvertes par le secret militaire, communiqué au Conseil de guerre pendant le délibéré, est vide de preuves. Le 3 juin 1899, la Cour de cassation casse et annule le jugement rendu en 1894 contre Dreyfus et le renvoie devant le conseil de guerre de Rennes. Il est condamné à dix ans d’empri- sonnement pour trahison sur la base de nouvelles pièces extraites du dossier secret. Il s’avère cependant que les preuves produites par le ministre de la Guerre sont des faux commis par les militaires et dix jours plus tard, Alfred Dreyfus bénéficie d’une grâce présiden-tielle. En janvier 1904, le procureur général Baudoin demande une révision du procès. Les dossiers et les papiers saisis en 1894 au domicile d’Alfred Dreyfus sont transférés du ministère de la Guerre à la Cour de cassation dans quatre caisses de bois blanc. La caisse présentée ici est une de ces quatre caisses. Elle porte encore des traces de scellés et une étiquette, devenue pratiquement illisible avec la mention : « Papiers saisis en 1894 au domicile de l’ex-capitaine Dreyfus. Scellés ouverts … ». Le 12 juillet 1906, l’arrêt du jugement du conseil de guerre de Rennes est cassé par la Cour de cassation et Dreyfus est réhabilité.

[209] Recueil des pièces relatives aux événements et aux négociations qui ont précédé l’ouverture des hostilités entre l’Allemagne d’une part, la Pologne, la Grande–Bretagne et la France d’autre part. Le Livre Jaune français, documents diplomatiques 1938–1939, Paris, 1939.Collection particulière, haut. 21 x larg. 15 cm

Le présent livre jaune constitue un recueil des prin-cipaux documents qui marquent et éclairent l’action diplomatique française, du 29 septembre 1938, date des accords de Munich, au 3 septembre 1939, jour où, en exécution de leurs engagements d’assistance, la France et la Grande-Bretagne se déclarent en état de guerre avec l’Allemagne. La publication par le minis- tère des Affaires étrangères vise à révéler à chaud le secret des négociations controversées avec Hitler, afin de tenter une stratégie de transparence qui n’empê-chera pas le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. [Yann Potin]

[210] Lettre dactylographiée de Mme Merlat, professeur, chargé du classement des archives du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) au directeur du SDECE, sur la nécessité de garantir le secret aux archives du BCRA, 9 janvier 1948, p. 2.Archives nationales, AB/42, d. 32, p.7, appendice, n°2., haut. 29 x larg. 21 cm

Membre de la Commission d’histoire de la Libération de la France et du comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, Odette Merlat, ancienne résistante elle-même, fut chargée d’un rapport sur les papiers du BCRA, revenus de Londres, mais placés sous le contrôle des services secrets de la Défense nationale. Elle précise qu’« il importe d’empêcher que le fonds ne soit démembré et d’assurer la parfaite conser-vation par l’organisme officiellement chargé de la garde des documents historiques français, à savoir les Archives nationales, […] qui s’engagent à constituer un fonds spécial conservé avec toutes les garanties de secret et de sécurité […] ». En réalité, au retour de Londres, les archives du BCRA furent amputées par la perte de plusieurs caisses de documents, la plus grande part étant retenu par les archives du ministère de la Défense. Par voie de conséquence, le fonds des Archives nationales a été entièrement reconstitué selon l’organigramme du BCRA et l’activité de ses diverses sections.

Page 74: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

73

[211] Bordereau dactylographié intitulé Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) récolant les 101 lots d’archives récupérées au sein des services de renseignement de 1942 à 1944 et attestant de l’entrée «�spéciale�» du fonds, [1948].Archives nationales, AB/42, d. 32, haut. 29 x larg. 21 cm

[212] Acte de la direction générale des Archives mentionnant que le Conseil des ministres de l’URSS, en la personne de M. G.–A. Belov, directeur général, a remis à la direction des Archives de France une charte de Henri IV, un inventaire des meubles de Versailles, les papiers de Sylvain Lévi, 16 mars 1960.Archives nationales, AB/Vd/21, haut. 29 x larg. 21 cm

Cadeau diplomatique scellant les relations cordiales entre la France et l’Union soviétique après la chute de Staline, conformément à la stratégie d’autonomie de la puissance française voulue par le général De Gaulle, cet ensemble de documents hétéroclites révèlent sans le dire la présence secrète de papiers confisqués par l’Armée rouge à Berlin en 1945 : ainsi des papiers de l’indianiste Sylvain Lévi, professeur au Collège de France, et dont les papiers furent saisis par les Allemands dès 1941 dans le cadre de la persécution des personnes d’origine juive. Trente ans plus tard, ces fonds dits de « Moscou » seront révélés au grand jour et feront l’objet, en 1992, d’un traité de restitution entre la France et la Russie.

[213] Journal du commandant Henri Bédarida qui relate l’exode des archives des services spéciaux. Ce repli des archives de Paris vers le château de Brax se déroule du 9 juin au 21 juin 1940. Vincennes, Service historique de la Défense, 1 K 935. Carnet manuscrit, 6 f. mns, p. 51–52, haut. 29 x larg. 21 cm

Henri Bédarida (1887-1957), professeur en Sorbonne et père de l’historien François Bédarida (1926-2001), était un spécialiste de la littérature italienne. En 1939, il est affecté aux services de renseignement (SR) de l’état-major. Son récit évoque le périple des militaires du SR, jetés sur les routes avec les archives des ser-vices en plein exode de 1940. Le périple se pour-suit toujours plus au sud et, enfin, le jeudi 20 juin, la « colonne » formée par ces officiers arrive au Château de Brax, à 18 km de Toulouse. D’autres extraits (p. 47, 51) concernent les destructions à prévoir : « Il est désormais près de 11 heures […], la colonne au complet se remet en route pour Brax […] un premier tri parmi les papiers pour un éventuel sacrifice par le feu ». [Michel Roucaud]

Boîtes de conditionnement des archives du secrétariat général des Affaires africaines et malgaches de L’Élysée, avec étiquettes spécifiques et pictogramme signifiant l’interdiction d’en communiquer le contenu, sauf sur dérogation.

La cellule africaine de l’Élysée est un groupe de colla- borateurs proches du Président de la République en France chargés de veiller à la sauvegarde des intérêts de la France en Afrique.

[214] Chemise du dossier du chargé de mission militaire de renseignements sur le coup d’État survenu au Niger le 15 avril 1974, portant les mentions de destruction apposées lors de la liquidation du service de Jacques Foccart en mai 1974, 15 avril 1974.Archives nationales, AG/5(F)/4154, haut. 35 x larg. 28 cm

Le 15 avril 1974, un coup d’État renverse Hamani Diori, président du Niger et membre du cercle des « amis de la France ». Lors d’une réunion de crise en présence d’Alain Poher, président par intérim au lende-main de la mort de Pompidou, et de Pierre Messmer, Premier ministre, Jacques Foccart ne parvient pas à les convaincre de déclencher une intervention pour sauver Hamani Diori. À la liquidation du secrétariat de Foccart, son collaborateur militaire prévoit la des-truction d’une grande partie de ses archives. La che-mise contenant les télégrammes militaires du suivi du putsch nigérien était ainsi vouée au feu… Ayant sur-vécu, ce dossier annoté met en relief le processus de destruction d’archives sensibles en période de tension [Jean–Pierre Bat]

Premiers versements à la Cité interministérielle des Archives (Fontainebleau) en 1969.Archives nationales

Page 75: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

74

Diplomatique du secret

Toutes époques confondues, les symboles apposés par les services de renseignement sur leurs documents, les tampons réglementaires de classification ou les fragiles mentions manuscrites de confidentialité assurent la protection des papiers de l’État. Il existe ainsi une diplomatique du «�secret de l’État�» et une symbolique propre, parfois plus exotique qu’on ne le suppose. Mais ces services sont aussi par nécessité des faussaires lorsqu’il faut créer des identités fictives et bâtir des légendes de papier.

Totem du poste «�Manille�» [Dakar] du service de renseignements du SDECE, 1958.Archives nationales, AG/5(F)/1640

[216] Registres de cachets et tampons, avril 1945–février 1974.Ministère de la Défense. Bois, haut. 5 cm

Page 76: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

75

[215] Dépêche confidentielle (minute) du ministre de la Police au gouverneur de la 5e division militaire, Louis Gabriel Suchet, duc d’Albufera, transmettant des renseignements sur Charles Schulmeister, 27 décembre 1814. Mention «�confidentielle�».Archives nationales, F/7/6790/A, dossier 177, haut. 23 x larg. 17 cm

Schulmeister, Karl Ludwig (1770-1853). Personnage popularisé par Jacques Fabbri qui l’incarna sur le petit l’écran dans les années 70, Schulmeister incarne à lui seul l’espionnage sous l’Empire. Né dans le duché de Bade, il commença sa carrière dans l’illégalité de la contrebande. Dès 1797, il se rapprocha du général Savary dont il devint rapidement un homme de confiance et sous l’Empire un agent zélé. Son rôle dans la prise d’Ulm (octobre 1805) permit d’établir sa réputation et les débuts de sa légende. À la tête d’un réseau efficace et redouté, Schulmeister espionna les états-majors alliés, et participa activement aux opérations militaires. Dès 1808, il obtint des fonctions de police peu com-patibles avec ses actions souterraines mais continua d’animer son réseau. En 1813, il reprit un rôle de premier plan jusqu’en 1814. Jugé vénal et peu fiable, l’espion de l’Empereur resta cependant fidèle à Napoléon en 1815 et fut son messager secret auprès de Marie-Louise à Vienne. [François Houdecek]

Casque gaulois, totem du poste «�Moka�» [Conakry] du service de renseignements du SDECE, 1960.Archives nationales, AG/5(F)/531

Totem du poste «�Babouin�» [Brazzaville] du service technique de renseignement du SDECE.Archives nationales, 113 AJ

Totem du poste «�Manille�» [Dakar] du service de renseignements du SDECE, 1958.Archives nationales, AG/5(F)/1640

Afin d’être identifié, chaque poste opérationnel du SDECE reçoit une identité : un pseudonyme, doublé d’un totem. Si le totem ne porte pas l’esprit du poste, il en porte toutefois une certaine marque culturelle voire culturaliste, témoin de l’esprit du temps. Ainsi, plusieurs postes africains à l’heure de la décolonisa-tion se voient-ils attribuer un animal issu de la faune tropicale, tels que le babouin ou le toucan, consti-tuant un véritable bestiaire des postes. Plus original, le poste de Conakry, qui travaille au cœur du régime de Sékou Touré qui s’est prononcé contre la France, a hérité du casque gaulois repris trait pour trait des cigarettes f rançaises « Gauloises ». [Jean–Pierre Bat]

[216] Registres de cachets et tampons de la Direction générale des études et recherches (DGER) et de la Direction générale des services extérieurs (DGSE) à des fins administratives internes ou de la production de faux, avril 1945–février 1974.Ministère de la Défense. Bois, haut. 5 cm

Ces registres, dont les plus anciens remontent à avril 1945, constituent en quelque sorte le « dépôt légal » des productions en timbres administratifs par les ate-liers spécialisés de la DGSS puis DGER et enfin du SDECE, sur « commande » des services, opérationnels ou administratifs. Faux et vrais s’y côtoient en effet, puisqu’on y trouve aussi bien les timbres destinés à la réalisation des faux papiers, en particuliers alle-mands en 1945, pour les agents partant en mis-sion, comme les timbres destinés au fonctionnement des services secrets eux-mêmes. On voit ainsi défiler toutes les diverses protections du secret et mention de classification sur des décennies, et apparaître l’usage d’images pour figurer certains destinataires, postes du service ou partenaires. Pour des services peu enclins à conserver traces de leur histoire interne, cette collection constitue également une galerie de portraits administratifs des services les plus emblé-matiques de l’espionnage pendant la guerre froide. [Nathalie Genet–Rouffiac]

[217] Tampons officiels pour la confidentialité des actes, utilisés par Antoine Bonnemaison [1940–1944].Archives nationales, 720AP/1, d.1. Bois et papier, haut. 7 x larg. 5 x prof. 3 cm

Antoine Bonnemaison réalise des rapports d’espion-nage pendant la Seconde Guerre mondiale. Il sera aussi secrétaire général de l’Institut de psychologie sociale appliquée, du Centre de recherche du bien politique et du Centre d’observation du mouvement des idées. [Virginie Grégoire]

Page 77: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

76

[226] «�Apparition de l’ombre de Mirabeau�». En squelette, il trône sur un tas d’archives devant l’armoire de fer des Tuileries, ouverte par le serrurier Gamain, Louis XVI étant figuré dans un médaillon, circa 1792.Recueil de la collection de Vinck. Un siècle d’histoire de France par l’estampe, 1770–1870. Vol. 11 (pièces 1763–1933). Paris, Bibliothèque nationale de France, Réserve QB–370 (11)–FT 4. Estampe, haut. 30 x larg. 27 cm

Page 78: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

77

ABUS, DÉNONCIATION ET CONTESTATION

Les abus révélés à l’opinion publique ont connu des formes multiples, depuis les cahiers de doléances en 1789 jusqu’à leur diffusion par la presse et aux saisies des autorités judiciaires. La contestation, parfois à l’origine de mutations juridiques, participe à terme au renforcement de la démocratie libérale.

Depuis le cabinet noir sous l’Ancien Régime, où le souverain était accusé de faire ouvrir les courriers en secret, le secret des correspon–dances fut le fruit de longs débats législatifs et réglementaires. Les dénonciations amènent le public à découvrir des sujets secrets et sous–jacents, qui les feront passer tout à coup du fantasmé au réel. L’évolution rapide des technologies favorise les fuites débouchant parfois sur des affaires dont les plus emblématiques portent sur la remise en cause des pratiques des services secrets et de l’État. Les affaires des écoutes, les actions du SDECE autour de l’opium en Indochine et les actions de sabotage sur le navire de Greenpeace ouvrent au public les coulisses des dérives des affaires secrètes, en laissant à la justice ou au temps le soin de trancher.

La télévision, l’édition et le cinéma dénoncent régulièrement les abus tout en les déformant. Ils permettent d’exercer une fonction critique même si des intérêts politiques ou économiques peuvent avoir leur part. Récemment, les affaires liées aux publications de WikiLeaks et d’Edward Snowden ont alimenté le débat sur la protection du secret et sur la légitimité de celui–ci dans un monde en pleine mutation technologique et politique. Au–delà des techniques, la réflexion sur les pouvoirs et les contre–pouvoirs révèle dans certain cas leurs dérives.

Page 79: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

78

[218] Communication secrète du ministère des Affaires étrangères, saisie par la Cour de cassation, qui détaille de 1893 à 1897 les étapes de l’affaire Dreyfus, d’après les informations du diplomate Maurice Paléologue, rédigée le 25–30 janvier 1899.Archives nationales, 53AP/1, 2 feuillets, haut. 29 x larg. 21 cm

Après avoir fait des études au lycée Henri-IV, puis à Louis- le-Grand où il fut le condisciple de Raymond Poincaré, Maurice Paléologue entre au ministère des Affaires étran- gères en 1880. Nommé secrétaire d’ambassade à Tanger, à Pékin et à Rome, il occupe des fonctions à la direction politique – services des affaires réservées (questions confidentielles, analyse et exploitation du chiffre). Devenu ministre plénipotentiaire en 1901, il est ambassadeur à Sofia de 1907 à 1912 et à Saint-Pétersbourg de 1914 à 1917, puis secrétaire général du ministère des Affaires étrangères dans le cabinet Millerand. Ses notes sur l’affaire Dreyfus, qui ne seront publiées qu’après sa mort, constituent un témoignage important sur le procès où il avait dû lui-même déposer. Il reconnaît qu’il avait cru en la culpa-bilité de Dreyfus.

[219] Procès–verbal d’audition de Raymond Landrieux, comptable, relative à la disparition des fonds du service de la Direction générale des études et de la recherche (DGER), 20 avril 1946.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 3 R 635, haut. 31,5 x larg. 21 cm

[220] Rapport dactylographié du Conseil d’État exposant des faits de disparition de fonds de la DGER, imputée au colonel André Dewavrin [dit Passy], 1946.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 3 R 635, haut. 34 x larg. 24 cm

Les documents font référence à « l’affaire Passy » qui secoue le milieu politico-médiatique en 1946-1947. André Devawrin, alias colonel Passy, compagnon de la Libération, ancien chef du Bureau central de rensei-gnements et d’action (BCRA), de la direction générale des études et de la recherche (DGER) et du service de documentation et de contre-espionnage (SDECE), est arrêté au début de l’année 1946. Il est notamment accusé de détournement de fonds lorsqu’il était à la tête de ces services. Le pouvoir politique de l’époque suspecte qu’une partie de cet argent ait pu servir les ambitions politiques du général De Gaulle. Une com-mission d’enquête interne est alors ouverte : elle doit se prononcer sur l’exclusion de Passy de l’armée. Pour se défendre, ce dernier décide de porter l’affaire sur le plan judiciaire et dépose plusieurs pourvois devant le Conseil d’État. Ses requêtes sont rejetées, mais le gouvernement refuse de le traduire devant la justice en raison du caractère secret de son activité. L’affaire sombre alors dans l’oubli, sans avoir été jugée sur le fond. [Frédéric Quéguineur]

[221] «�Lorsque l’opium finance la guerre des services spéciaux…�: un officier d’Indochine accuse�», L’Observateur, 28 mai 1953.Archives du Nouvel Observateur

« L’opération X » du SDECE est une affaire d’affaiblis-sement des Vietminh pour amenuiser l’une de leurs ressources financières, l’opium. La drogue provient des peuples montagnards – Thaïs et Méos – qui ont organisé des maquis pro-français afin de lutter contre le Vietminh. Le Groupement des commandos mixtes aéroportés (GCMA), unité « action » dépendant des services spéciaux, a passé un accord avec eux : les services français se chargent de transporter leur pro-duction vers leurs clients à Saïgon. Le SDECE y voit un double avantage : il renforce son alliance avec ces combattants anticommunistes et prive les commu-nistes des bénéfices de ce trafic. En 1948, un rap-port du 2e bureau estimait que 80 % de la production d’opium était contrôlée par le Vietminh. Au passage, en permanence à court d’argent, les services fran-çais en Indochine semblaient utiliser ce moyen pour se financer. L’opium sert aussi de rémunération pour les informateurs et de cadeaux aux « amis ».

Page 80: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

79

[222] «�Les activités de la SDECE – L’actualité en question�», émission animée par Étienne Mougeotte sur la 1re chaîne, 25 novembre 1971.INA, 1 mn 55 s

[223] Le magazine Actuel titre «�Tanase vivant�!�». Il révèle ainsi le vrai–faux enlèvement du dissident roumain Virgile Tanase par la DST à Paris, raconté par l’intéressé. Actuel, n° 35, 1er septembre 1982.Collection particulière, haut. 40 x larg. 31 cm

En plein regain de guerre froide, en 1982, une curieuse affaire envahit la presse. L’écrivain roumain Virgile Tanase, opposant au régime de Ceaucescu, installé en France et naturalisé, disparaît. La justice ouvre une enquête, confiée au juge d’instruction Jean-Louis Debré. Le président de la République évoque le risque de tensions avec la Roumanie lors d’une conférence de presse. Mais quelques mois plus tard Tanase réapparaît et raconte son exfiltration par la DST pour échapper à une mission de la Securitate roumaine dirigée contre lui. Encore aujourd’hui cette affaire conserve une grande part d’inconnu.

[224] Photographie du bateau de Greenpeace, Le Rainbow Warrior, coulé en baie d’Auckland en Nouvelle–Zélande par les services secrets français, 10 juillet 1985.AFP

En 1985, une opération est confiée à la DGSE par le ministre de la Défense Charles Hernu, avec l’autorisa-tion du président François Mitterrand. Il s’agit d’empê-cher l’intrusion du navire de l’organisation écologiste Greenpeace, le Rainbow Warrior qui doit se diriger vers l’atoll de Mururoa pour protester contre les essais nucléaires français. Le bateau est coulé dans le port d’Auckland en Nouvelle-Zélande, provoquant la mort accidentelle d’un photographe présent sur le bateau. Les « faux époux Turenge » qui ont participé à l’opé-ration sont arrêtés par la police néo-zélandaise, leurs identités et visages rendus publics. Ils sont condamnés par la justice criminelle d’Auckland à 10 ans de pri-son, mais libérés deux ans plus tard.

[224 bis] Les écoutes de l’Élysée sous François Mitterrand, 1993–1994. Alain Léauthier, «�Comment l’Élysée a écouté un journaliste�», Libération, 4 mars 1993, n° 3666, p. 1 à 5.Archives Libération

L’article explique que sur les archives saisies le 19 février 1993 à Plaisir (Yvelines), dans un box loué par le préfet Christian Prouteau, ancien patron de la cellule antiterroriste de l’Élysée, différentes notes de l’ancien gendarme et numéro 1 du GIGN portent une mention manuscrite, «Vu», apposée par le l’ancien chef de l’État, François Mitterrand. Ces notes concernent les actions entreprises par la cellule, y compris les écoutes, afin de renseigner François Mitterrand sur des individus considérés comme dangereux pour sa sécurité.

[225] Jour du réquisitoire au procès sur les écoutes de l’Élysée dans le journal télévisé d’Antenne�2 du 9 février 2005.

L’affaire des écoutes de l’Élysée est une affaire d’écoutes téléphoniques illégales qui ont eu lieu entre 1983 et 1986 sous le premier septennat de François Mitterrand. Elle s’est terminée par le jugement du 9 novembre 2005 du tribunal correctionnel de Paris, avec la condamnation de sept anciens collabora-teurs de haut rang du Président de la République, François Mitterrand lui-même n’étant pas épargné par le jugement.

INA, 1 mn 2 s

Page 81: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

80

Les «�affaires�»�: dénonciations de l’État secret et des pratiques des services «�spéciaux�»

Le traitement médiatique du secret de l’État peut être souvent caricatural, mais pour autant il peut souvent être aussi à l’origine d’«�affaires�» dénonçant principalement des actes jugés illégaux ou illégitimes. Dès le XIXe siècle, les dénonciations de viols de correspondances par des «�cabinets noirs�» ou les manipulations de fonds secrets à des fins politiques sont récurrentes jusqu’à l’acmé qu’est l’affaire Dreyfus. Au XXe siècle, au gré d’enquêtes de presse ou d’enquêtes judiciaires, le public découvre des illégalismes de plus ou moins grande importance, souvent des écoutes téléphoniques irrégulières. L’illicite a lieu à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire. Une partie de l’action des services de renseignement – qui sont «�spéciaux�» – les situe naturellement aux limites de la légalité.

[229] Cahier de doléances de l’ordre du Tiers–État du bailliage de Nemours pour les États–Généraux de 1789. Chapitre 15 «�de la Poste aux Lettres�»�: remontrances dénonçant l’existence d’une «�commission secrète connue de tous», siégeant à Paris et chargée d’intercepter et de surveiller la correspondance, 1789.Archives nationales, C//21, d. 112, p. 277, papier, couverture en parchemin

Page 82: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

81

[226] «�Apparition de l’ombre de Mirabeau�». En squelette, il trône sur un tas d’archives devant l’armoire de fer des Tuileries, ouverte par le serrurier Gamain, Louis XVI étant figuré dans un médaillon, circa 1792.Recueil de la collection de Vinck. Un siècle d’histoire de France par l’estampe, 1770–1870. Vol. 11 (pièces 1763–1933). Paris, Bibliothèque nationale de France, Réserve QB–370 (11)–FT 4. Estampe, haut. 30 x larg. 27 cm

Cette gravure est une caricature qui rappelle, à travers le squelette de Mirabeau, les rapports qu’entretenait avec Louis XVI le célèbre orateur, partisan d’une monar- chie constitutionnelle. À droite, le serrurier François Gamain vient d’ouvrir l’armoire dans laquelle apparaît Mirabeau appuyé d’une main sur la couronne de France et tenant de l’autre une bourse. À gauche, le ministre de l’Intérieur, Jean-Marie Roland, qui assista effectivement à l’ouverture de l’armoire de fer, semble s’étonner en voyant s’écouler un flot de documents révélateurs. Selon la légende, voulant cacher les documents attestant de tractations secrètes avec des cours européennes et ses correspondances avec Mirabeau, Dumouriez et La Fayette, Louis XVI s’adressa à son serrurier attitré, François Gamain, pour construire une armoire de fer. Mais à l’annonce de la fuite du roi, le serrurier en révéla l’exis-tence, accusant de surcroît le souverain d’avoir tenté de l’empoisonner. De cette armoire, on sortit suffisamment de documents pour que leur inventaire remplisse le tome neuvième des pièces du procès de Louis XVI. Quand, le 20 novembre 1792, Roland déposa sur le bureau de la Convention les papiers découverts, il déclara qu’ils se trouvaient derrière un panneau de lambris, dans un trou pratiqué dans le mur, et fermé par une porte de fer. Le 1er décembre 1792, le sérurier Gamain confir- ma par écrit cette révélation : «j’ai été chargé, avec mistère, par Louis Seize de pratiquée une ouverture dans l’épaisseur du mure, de face, des Thuillerie qui regarde le couchant, au passage de la chambre à couchéz, que j’ai été chargé en outre de recouvrie cette ouverture par une porte de tolle de fere forte fermé, avec une serrure de sûreté, que je n’ai jamais su pour quel usage cette ouverture a été pratiquée […]

[227] Clé de l’armoire de fer des Tuileries, avec étiquette cartonnée et sceau rouge, avec mention «�coffre�», provenant d’un lot de cinq clés remises par Louis XVI à Thierry, valet de chambre du roi, aux Feuillants, 12 août 1792.Archives nationales, C/182/94, AE/VIa/105. Métal, étiquette cartonnée et sceau rouge

Clé, avec mention du « coffre ». L’image d’une armoire immatérielle se concrétise par la clé qui ouvrait, une ou plusieurs armoires, qui devait être en réalité une double porte battante dans un mur, peut être plusieurs fois rema-niée. Cette armoire porte le poids symbolique de ce que la monarchie voulait cacher et fit l’objet de caricatures.

[228] Marche à suivre pour ouvrir l’armoire de fer des Archives�: documents manuscrits en plusieurs versions, de plusieurs époques, 1849–1884.Archives nationales AB/XII/3, haut. 13 x larg. 10 cm

[229] Cahier de doléances de l’ordre du Tiers–État du bailliage de Nemours pour les États–Généraux de 1789. Chapitre 15 «�de la Poste aux Lettres�»�: remontrances dénonçant l’existence d’une «�commission secrète connue de tous», siégeant à Paris et chargée d’intercepter et de surveiller la correspondance, 1789.Archives nationales, C//21, d. 112, p. 277, papier, couverture en parchemin

À l’instar de toutes les paroisses de France, celles du baillage de Nemours rédigent leurs cahiers de doléances tout en élisant leurs représentants aux États-Généraux. Le cahier du Tiers-État de Nemours, daté du 10 mars 1789 et riche 682 pages, est particu-lièrement bien documenté. La question de la Poste aux lettres et du non-respect du secret des correspon-dances est traitée dès la première partie et fait l’ob-jet d’un chapitre entier. Tout en réaffirmant sa loyauté et sa fidélité envers le roi, le Tiers-État de Nemours réclame la suppression du « Cabinet noir ».

Extraits : « [Le Tiers-État] pourrait se plaindre de ce que l’on a taxé arbitrairement les ports de lettres ; […] de ce qu’on a augmenté la taxe sans aucune loi. […] Elles ont lieu pour que les lettres et les secrets des familles passent à Paris sous une inspection. Il existe une commission soi-disant secrète, connue de tout le monde qui est autorisée à contrefaire les cachets, à ouvrir les lettres, à en faire des extraits, à les porter aux yeux du Roi, et à l’occasion du Ministère. […] À quoi cela sert-il ? A nuire à qui l’on veut dans l’esprit du Roi ».

[230] Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Minute originale contresignée par François–Emmanuel Guignard de Saint–Priest et extraite des procès–verbaux des séances de l’Assemblée nationale, 30 septembre 1789.Archives nationales, A/70/209�bis, AE/II/1129. Parchemin avec sceaux, haut. 32 x larg. 24 cm

Page 83: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

82

[231] Loi concernant le secret et l’inviolabilité des lettres, 20 juillet 1791.Archives nationales, A//58. Parchemin avec sceaux. Parchemin, haut. 35,2 cm x larg. 24,2 cm. Second grand sceau de majesté de cire d’abeille vierge appendu sur queue de parchemin avec sa boîte métallique, ø 120 mm x 16 mm

Cette loi sanctionne le décret de l’Assemblée consti-tuante du 10 juillet 1791, dans lequel il est enjoint aux corps administratifs de surveiller l’exécution du décret du 10 août 1790 sur le secret et l’inviolabi-lité des lettres et leur défendant ainsi qu’aux tribu-naux aucun changement dans le service des Postes. Le cabinet noir est en 1789 l’un des symboles de l’atteinte à la liberté des individus. Pour faire cesser ces pratiques, les Constituants votent, entre 1789 et 1791, une série de textes visant à réformer le système postal : arrêté sur le respect du secret des correspon-dances, suppression des crédits affectés au cabinet noir (19 juin 1790), instauration pour les postiers d’un serment sur le respect des correspondances, décret sur l’inviolabilité des lettres. Cependant leur applica- tion reste imparfaite et le décret du 10 juillet 1791 affirme, dans son préambule, que « le secret des Lettres est inviolable et que sous aucun prétexte (sic), il n’y peut être porté atteinte ni par les individus ni par les Corps ». En conséquence, la conduite de la muni-cipalité de Saint-Aubin qui a ouvert des correspon-dances adressées à l’intendant général des Postes, au ministre des Affaires étrangères et aux ministres de la Cour de Madrid est fortement condamnée. [Roseline Salmon]

[232] Lettre autographe adressée par le Comité de sûreté générale au Comité de salut public, signalant la présence suspecte de «�cinq paquets de lettres adressées à l’étranger�», 8 pluviôse An II (27 janvier 1794).Archives nationales, AE/I/2/20, haut. 32 x larg. 25 cm

Siégeant à l’hôtel de Brienne, le « Comité de sûreté générale » est une émanation du « Comité de surveil-lance de l’Assemblée nationale législative » depuis le 10 août 1792. Faisant régner la terreur, le comité est en charge d’appliquer les mesures de police et arrête des milliers de personnes. En 1794, en conflit avec Robespierre, la création au sein du « Comité de salut public »,premier organe du gouvernement révolu-tionnaire, d’un bureau de police générale dirigé par Robespierre, Couthon et Saint-Just oblige le comité de sûreté générale de se dessaisir de tous les dossiers qui ont rapport aux nouvelles attributions du bureau

de police générale. Cette lettre montre l’organisation bureaucratique du comité, composé dans chaque région par trois membres du Comité et une dizaine d’employés. Un bureau central de seize employés était chargé de recevoir et de distribuer le courrier reçu. La lettre est un témoignage de l’affaiblissement du comité de sureté face au comité de salut public dans les affaires de police. Le contrôle des correspon-dances vers l’étranger est lié aussi au contexte lourd des guerres successives en Europe depuis 1792. Sous le Directoire, le Comité de sûreté générale, est remplacé par un ministère de la Police générale, créé par la loi du 2 janvier 1796.

[233] Minute d’arrêté du Directoire exécutif rapportant un arrêté du 27 nivôse an IV [17 janvier 1796] qui avait ordonné l’ouverture dans les bureaux de poste des lettres venant des communes sous la domination des Chouans, Paris, 4 messidor an V [22 juin 1797].Archives nationales, AF/III/454, plaquette 2704, pièce 8, haut. 25 x larg. 21 cm

Le Directoire rapporte ici un arrêté, pris en janvier 1796 lors du soulèvement des Chouans de 1795-1796 et ordonnant l’ouverture des lettres expédiées ou reçues par les insurgés. La règle du secret de la correspon-dance a été officiellement affirmée sous la Révolution, mais la Convention, puis le Directoire, prennent ensuite une série de mesures permettant à l’adminis-tration de surveiller la correspondance des émigrés, puis toutes les correspondances avec l’étranger et les pays de chouannerie. La vérification du courrier a lieu au su de tous : ce contrôle postal se distingue ainsi du « cabinet noir » en exercice sous l’Ancien Régime. Dans son arrêté de 1796, le Directoire prend donc des décisions favorisant la surveillance du courrier dans les territoires dominés par les Chouans : le préambule de l’acte précise que la communication par voie postale facilite les victoires des insurgés et pointe « la confiance où [les Chouans] sont que les Républicains respectent les lois sur l’inviolabilité des lettres ». Tous paquets et lettres venant des com-munes insurgées doivent désormais être retenus dans les bureaux de poste et ouverts en présence de deux commissaires, qui saisiront ceux « qui leur offriront des objets dangereux et contraires aux intérêts de la chose publique », en dresseront procès-verbal, adresseront le tout à l’administration du département, qui se chargera de transmettre au ministère de l’Intérieur. [Blandine Wagner]

Page 84: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

83

[234] Lettre de Henri Clarke, duc de Feltre, ministre de la Guerre (1806–1814), à l’empereur Napoléon Ier évoquant la réception par son secrétaire général de trois courriers émis par la Secrétairie d’État, dont les cachets ont été violés durant la transmission, Paris, 5 janvier 1812.Archives nationales, AF/IV/1098, feuillet 174, haut. 32 x larg. 21 cm

Le ministre de la Guerre révèle que les cachets de cire des trois courriers ont été décollés à l’aide d’une lame de couteau chauffée, avant leur remise au secrétaire général de son ministère. Véritable intermédiaire entre le gouvernement et tous les ministères, la Secrétairerie d’État s’occupait de la promulgation des lois, enregis-trait et consignait les décrets impériaux ; tous les ministres remettaient leurs portefeuilles présentés en Conseil chaque semaine au Secrétaire général, qui en prenaient connaissance, puis en rendaient compte lors de la séance de soumission à l’Empereur pour signature. C’est dire si, à ce niveau supérieur de l’exercice du pouvoir, Clarke peut s’inquiéter de l’absence de confi-dentialité des échanges.

L’information transmise par Clarke renvoie toute-fois à la pratique du viol de la correspondance, porté à un haut niveau de perfectionnement sous le Premier Empire. Un bureau de police politique, indépendant du ministère de la Police générale, communique avec l’hôtel des Postes, rue Coq-Héron. Ce « cabinet noir », rattaché au directeur général des Postes, révèle les pra- tiques de l’Empereur. En 1808, celui-ci ordonne par exemple, d’ouvrir les correspondances à destination de l’Espagne. Plus généralement, il utilise ce cabinet pour surveiller ses proches ou se faire une idée de l’opinion publique. Son équipe très bien formée ouvre des lettres, en prend connaissance, les recopie si elles sont chif-frées ou jugées intéressantes, et les remet en circula-tion. Napoléon reçoit journellement le résultat de ce travail d’interception dans un portefeuille de maroquin rouge intitulé « Gazettes étrangères », dont il détruit le contenu après en avoir pris connaissance. [Isabelle Chave]

[235] Portrait rehaussé à la gouache d’Antoine–Marie Chamans, comte de Lavalette, représenté de profil, directeur général des Postes sous le Premier Empire de 1804 à 1814, XIXe siècle.Paris, musée de la Poste–L’Adresse, collection l’Adresse, 1482. Gravure couleur, haut. 51 x larg. 42 cm

En tant que directeur général des Postes, Lavalette fit accomplir à la Poste aux chevaux des progrès consi-dérables. L’Empereur s’était en effet rendu compte des inconvénients et des dangers qu’il pouvait y avoir à faire franchir à un seul homme des distances considé-rables et à lui confier, aux hasards de la route, des messages ou des ordres de première importance, dont la réception rapide devait exercer une influence déci-sive sur des événements. Il ordonna donc à Lavalette en 1805 d’organiser un service d’estafettes d’abord entre Paris et Milan, puis entre Paris et Strasbourg, pour transporter les dépêches de son cabinet. Ces dépêches, que les postillons se transmettaient de relais en relais, étaient contenues dans un portefeuille dont seuls l’Empereur et son directeur des Postes pos-sédaient chacun la clef. Le portefeuille était accom-pagné d’un livret dans lequel les maîtres de poste consignaient les heures d’arrivée et de départ des postillons : une amende et des peines beaucoup plus sévères étaient infligées aux postillons ou aux maîtres de poste convaincus de négligence ou de perte du livret. Lavalette affirme qu’il obtint des résultats prodi-gieux de ce nouveau service, qui fut appliqué avec un succès complet pendant toute la période de l’Empire. Chaque jour, l’estafette partait de Paris vers les direc-tions les plus éloignées qu’étaient Naples, Milan, Madrid, Lisbonne, Presbourg ou Vienne ; chaque jour aussi, une estafette arrivait à Paris en provenance de ces différentes villes. Napoléon recevait le 8e jour les répon- ses de Milan, et le 15e jour celles depuis Naples.

Page 85: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

84

[236] Procès–verbaux de la Chambre des députés. Session de 1828. Discussion suite à une pétition contre les abus qui existent dans l’administration de la Poste concernant le secret des lettres. Débat sur l’existence d’un cabinet noir et sur le non–respect du secret des correspondances, 3 mai 1828.Archives nationales, C/I/*/236. Papier, couverture en cuir, dorures, haut. 39 x larg. 25 cm

La question du Cabinet noir parfois appelé cabinet du « secret des postes » est abordée et vivement débat-tue en séance à la Chambre des députés le 3 mai 1828. Sous l’Ancien Régime, le terme « Cabinet noir » désignait une administration secrète employant des préposés de l’administration postale chargés de pro-céder à la surveillance de la correspondance en inter-ceptant et en décachetant les lettres. Supprimé par la Révolution, le cabinet noir fut néanmoins maintenu et continua de fonctionner sous l’Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet.

À la Chambre des députés, le sujet divise les députés présents dans l’hémicycle autour de l’exis-tence réelle ou supposée de cette institution et plus lar-gement autour de la question de la violation du secret des lettres. Le Baron d’Haussez ouvre la séance en présentant une pétition du Sieur Germain, avocat à Paris, qui évoque les abus existants dans l’administra-tion de la Poste et réclame l’ouverture d’une enquête ainsi que la fermeture définitive du Cabinet noir. Citant les gouvernements athéniens et pompéiens, il réclame par tous les moyens possibles, le respect dû au secret des lettres. On présente à l’appui des exemples de lettres décachetées, égarées ou retenues plusieurs jours à la Poste. Mais d’autres députés estiment que le Cabinet noir et la violation du secret des lettres sont comme un moyen nécessaire à la sûreté de l’État, tout particulièrement en temps de guerre.

[237] Commentaires sur l’usage d’un cabinet noir par les souverains successifs, d’après Émile Lambry (Les Mystères du Cabinet noir sous l’Empire, 1871).Paris, Bibliothèque nationale de France, 8–H–611287 (2). Livre, haut. 17,4 x larg. 12 cm

Le rédacteur du journal La Vérité, Émile Lambry, rappelle l’usage d’un cabinet noir par les souverains successifs. Il cite, dès l’introduction, un mensonge du directeur des Postes, exposant à la tribune du Corps légis-latif que « Le cabinet noir n’existe pas », alors que, selon Lambry, il fonctionne avec « sa furia habituelle » [É. Lambry, Les Mystères du Cabinet noir sous l’Empire, Paris, Dentu, 1871].

[238] État de situation au 1er décembre 1810, des crédits ouverts au ministre de la Police générale, pour dépenses secrètes durant les sept derniers mois de l’année 1810, joint au budget spéculatif de la caisse de la Police généraleArchives nationales, AF/IV/1357, feuillet 24, 51 x larg. 42 cm

Au chapitre 3, sont officiellement portées les indemni-tés des agents secrets, les frais d’agents d’exécution, le port de lettres pour la police secrète et les frais de missions secrètes.

Appelé, le 3 juin 1810, à prendre la succession de Fouché au ministère de la Police générale, Jean-Marie Savary, duc de Rovigo, révéla une vraie minutie du renseignement. Il fit constituer, entre autres, un fichier des jours de réception de la bonne société, pour y envoyer ses observateurs, ce qui valut notamment son surnom de « Séide-Mouchard ». Il prescrivit à tout employeur de domestiques d’en déclarer l’embauche ou le renvoi, ce qui lui permit d’arrêter bien des filous, sinon de les faire chanter. Il fit classer les fiacres, selon la couleur imposée de la robe de leurs chevaux, pour mieux les retrouver en cas de recherche d’un passager. « Son administration devient tous les jours plus odieuse », écrivait Schwarzenberg à la Cour d’Autriche, le 22 novembre 1810. Dans les villes d’opinion jugée peu sûre, Savary s’était emparé de toutes les nominations de commissaires de police, recrutés parmi d’anciens militaires. Parfaitement organisée sous Fouché, la police impériale révéla toutefois ses faiblesses sous son successeur. Le goût excessif des fichiers, des registres, des rapports, poussé jusqu’à la manie, et le culte du renseignement pour le renseignement s’ajoutèrent à la multiplication des polices parallèles (celle de Duroc aux Tuileries, celle de Veyrat à la préfecture de Police), qui paralysait finalement l’action des services officiels. [Isabelle Chave]

Page 86: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

85

[239] Lettre de Louis–Philippe au comte Molé, président du Conseil des ministres et ministre des Affaires étrangères, l’informant de la demande de suspension des fonds secrets, révélant ainsi leurs existences, 25 mars 1837.Archives nationales, AP/300(III)/35, d. 1. Papier, haut. 23 x larg. 16 cm. Un original et un fac similé.

Depuis l’Ancien régime, les fonds secrets servent à distribuer des faveurs aux courtisans et, plus large-ment, à masquer la gestion défectueuse des finances publiques. À la veille de la Révolution, les fonds secrets sont l’un des symboles de l’absolutisme. Leur usage n’en est pas moins poursuivi après 1789, notamment sous l’Empire. La première apparition offi-cielle des fonds secrets dans la présentation d’un bud-get remonte à 1818. Sous la monarchie de Juillet, tous les ans, députés et pairs doivent se prononcer sur l’octroi de ces fonds au gouvernement. Ils consti-tuent, à eux seuls, un des chapitres du budget de l’Intérieur de 1832 jusqu’à la chute du régime, sous la désignation « dépenses secrètes et ordinaires de police générale ». Les fonds secrets sont les seules dépenses soumises à un contrôle royal qui se subs-titue au contrôle parlementaire. Lors des débats par-lementaires, les ministres successifs nient l’implication de la police dans les complots, la corruption de la presse ou l’influence sur les électeurs. En réalité, Louis-Philippe a recours systématiquement à des demandes de crédits extraordinaires de police, hors budget, ren-dant son régime de plus en plus opaque et finalement contesté. [Avec l’aide d’Yvonique Alfred]

Extrait : « Mon cher comte, en répondant à Duchatel […], je lui demande ce que c’est que la nou-velle qu’on m’a donnée ce soir que les ministres sans me dire lesquels, avaient demandé la suspension de tous les rapports, même de celui des fonds secrets. »

[240] Ernest Serret, Les Fonds secrets, comédie–vaudeville en 1 acte, Poissy, impr. de G. Olivier, 1848, 34 p.Paris, Bibliothèque nationale de France, 8– YTH– 7423. Livre, haut. 18 x larg. 12 cm

[241] «�J’accuse…�!�». Une du journal l’Aurore par laquelle Émile Zola accuse les pouvoirs publics de cacher le vrai coupable de l’Affaire Dreyfus et de condamner un innocent, 13 janvier 1898.Archives nationales, BB/19/104/1, AE/II/2961, haut. 60 x larg. 43 cm

Émile Zola explique d’abord l’erreur judiciaire puis il évoque la forme de son message, une lettre ouverte au Président de la République. Le lecteur suit les diffé-rentes procédures judiciaires contre Alfred Dreyfus, de son arrestation à sa condamnation de 1893 à 1898. L’écrivain expose ensuite la nouveauté du véritable coupable, Ferdinand Esterhazy, enfin, la collusion des pouvoirs publics pour protéger le véritable traître : « Condamnation d’un innocent, acquittement d’un coupable ». Zola accuse, en conclusion, les hommes qu’il considère comme responsables du crime, par la litanie répétitive de la formule « j’accuse… ».

[242] Caricature de Paul Painlevé, président du Conseil, par laquelle il est accusé de fabriquer de faux papiers diplomatiques, 21 juin 1925.Archives nationales, 313AP/20, haut. 19 x larg. 23 cm

Après la victoire de la gauche, Paul Painlevé préside la Chambre des députés dès le 9 juin 1924, avant de candidater à la présidence de la République, à la suite de la démission d’Alexandre Millerand. Battu par Gaston Doumergue, Painlevé est réélu président de la Chambre puis nommé, le 17 avril 1925, président du Conseil en remplacement d’Édouard Herriot. La caricature fait allusion à la fois à la crise financière, aux insurrections d’Abd-el-Krim et de Syrie et à la crise de régime russe qui voit Staline prendre davantage de pouvoir sur ses opposants. Elle montre l’implication du pouvoir exécutif dans les affaires des pays étrangers

Couverture du journal Le Petit Parisien qui affiche le verdict dans l’affaire Charles Benjamin Ullmo, 8 Mars 1908. Rue des Archives. 00186756, haut. 50 x larg. 40 cm

Jeune officier de marine, Ullmo tenta de vendre des documents militaires à l’Allemagne. Arrêté, il fut con-damné à la déportation à vie en Guyane dont il ne revint qu’au milieu des années 1930, à la suite d’une grâce présidentielle.

Page 87: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

86

[243] «�Les tortures de Duke Street�», Paris Presse, 11 juin 1947.Paris, Archives de la préfecture de Police, EA/156, haut. 60 x larg. 35 cm

[245] Article d’autopromotion de Roger–Paul Warin, dit Wybot. «�Dans ce jardin où s’éveille le printemps, le terrible Roger Wybot […]�», France–Dimanche, n° 501, 29 mars 1956, p. 5–6.Paris, Bibliothèque nationale de France, GR FOL–Z–236, haut. 58 x larg. 41 cm

Roger Wybot, officier d’active, proche du colonel Groussard en 1940, a été responsable d’une sec-tion locale des groupes de Groussard à la fin de l’année 1940, membre des services de contre- espionnage de l’armée d’armistice à la même épo-que. Il a monté un réseau de renseignement en lien avec Londres, puis dirigé brièvement, en 1942, la section de contre-espionnage du BCRA. Après avoir fait la campagne d’Italie en 1943 au sein du Corps expéditionnaire français, il devient à la fin de l’été 1944 le créateur de la Direction de la surveil-lance du territoire (DST), dont il est premier directeur juqu’en 1958.

Couverture de l’Express sur l’affaire Ben Barka, 10–16 janvier 1966 (n° 760).L’Express et Archives de la préfecture de Police

El Mehdi Ben Barka est un homme politique marocain qui fut l’un des principaux opposants au roi Hassan II et le chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste. Le 29 octobre 1965, Ben Barka est enlevé à sa sortie de la brasserie Lipp. Son corps n’a jamais retrouvé. L’affaire survient en France au cours de la campagne présidentielle.

Après quarante-sept années d’une enquête judi-ciaire qui n’est toujours pas terminée, l’implication des autorités marocaines demeure l’objet de controverse. À la suite d’un procès qui s’est tenu en France, un « honorable correspondant » des services français, en lien par ailleurs avec le Maroc, a été condamné aux assises à huit années de prison. Un haut res- ponsable du SDECE, Marcel Leroy-Finville, fut révo-qué mais acquitté par la cour d’assises. L’affaire déclencha un très vif et long scandale en France et entre la France et le Maroc.

Conférence de presse radiotélévisée du général De Gaulle sur l’affaire Ben Barka «�[…] Ce qui s’est passé n’a rien que de vulgaire et de subalterne […]�», 21 février 1966.INA, 2 mn 50 s

[246] Article dénonçant le recours au trafic de drogue par un membre supposé du SDECE. «�SDECE et drogue�», Paris Jour, 24 novembre 1971.Paris, Archives de la préfecture de Police, EA/200, haut. 44 x larg. 35 cm

Le trafiquant de drogue Roger Delouette, qui s’avère être un ancien correspondant des services secrets français est arrêté lors d’un contrôle de routine par la police américaine en avril 1971, en possession d’un mini-bus contenant un important stock d’héroïne. Sur fond d’une « war on drugs » qui débute à peine aux États-Unis et qui incrimine la « French connection », le scan-dale est considérable. Le tribunal de Newark inculpe un responsable du SDECE. En France, des règlements de comptes politiques et l’hostilité envers le directeur du SDECE, A. de Marenches, amènent le ministre de la Défense Michel Debré à une déclaration publique de soutien à son endroit. Un an après son arrestation, Delouette est condamné à cinq ans de prison.

[248] Les micros dans la commode Louis XV de Jacques Foccart, dans son bureau de l’Élysée, 1969. «�La commode à Foccart�», Le Canard enchaîné, n°�2536, 4 juin 1969, p.2.Archives du Canard Enchaîné, haut. 59 x larg. 38 cm

[249] «�L’homme des affaires secrètes�», première article de mise en cause politique documentée sur l’ampleur des écoutes téléphoniques sous Jacques Foccart. Le Nouvel Observateur, 20–26 oct. 1969.Archives nationales, AG/5(F)/3801, haut. 35 x larg. 28 cm

Outre l’Afrique, Jacques Foccart est chargé par De Gaulle à la fois du suivi des services secrets et des élections, et en particulier des investitures durant les années 1960. Pendant les campagnes électorales, il fut accusé à plusieurs reprises d’utiliser barbouzes et blousons noirs contre les candidats de gauche.

Page 88: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

87

Depuis la guerre d’Algérie, à l’instigation de l’extrême droite puis de l’extrême gauche, Foccart est accusé d’être le « barbouze en chef » de la République gaulliste. « L’affaire Foccart » éclate réelle-ment dans la presse au lendemain du premier intérim d’Alain Poher à l’Elysée en 1969, entre la démis-sion du général De Gaulle et l’élection de Georges Pompidou. L’accusation se fonde sur la rumeur de la « commode à Foccart » qui fera les belles pages du Canard enchaîné : un meuble dans lequel une table d’écoutes aurait été dissimulée, en plein cœur de l’Elysée. La presse trace le portrait de Foccart en « Père Joseph » du gaullisme avec d’autant plus de force qu’il est présenté comme une éminence grise de l’héritage du général De Gaulle auprès de Georges Pompidou. La face cachée de l’État secret prend son visage sous la République gaulliste. La presse cher-chera à dévoiler le visage de « l’homme de l’ombre » de chaque président successif afin d’incarner le secret au plus haut sommet de l’État. [Jean–Pierre Bat]

[250] «�Les polices parallèles seront dissoutes. Le SDECE sera supprimé�», Programme commun de gouvernement du parti communiste et du parti socialiste (27 juin 1972), Paris, éditions sociales, 1972, p. 146.Paris, Fondation Jaurès, haut. 29 x larg. 21 cm

[251] Procès–verbaux de la commission de contrôle des services administratifs procédant aux écoutes téléphoniques, juin–octobre 1973.Archives du Sénat, 183 S 42, haut. 30 x larg. 25 cm

Proposition de résolution (article unique) : « Il est créé une commission de contrôle de vingt membres, confor-mément à l’article 6 de l’ordonnance n° 58-100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires, concernant la gestion administrative, financière et technique des services assurant la surveillance de certaines communications téléphoniques privées, et relevant notamment de l’au-torité du Premier Ministre, du Ministre de la Défense nationale, du Ministre de l’Intérieur et du Ministre des Postes et télécommunications. Cette commission devra notamment vérifier les missions imparties à ces services, les moyens en personnels et en matériels qui leur sont affectés, apprécier d’une façon détaillée la

quantité et la qualité des tâches qu’ils exécutent et s’assurer de la conformité de ces tâches aux lois et règlements en vigueur, eu égard, en particulier, aux dispositions de l’article 9 du code civil, des articles 368 à 372 du code pénal, et des articles L. 41 et L. 42 du Code des Postes et télécommunications. »

[252] Extrait d’une interview d’Alexandre de Marenches, ancien directeur du SDECE de 1970 à 1981 qui explique le fonctionnement des services de renseignement français, dans «�Des hommes de l’ombre�», émission d’Apostrophes, animée par Bernard Pivot sur Antenne 2, 5 septembre 1986. INA, 3 mn 39 s

[254] François Mitterrand entrant au Panthéon – ou les coulisses du pouvoir et ses secrets, vus par le journaliste Edwy Pleynel (La part d’ombre, Paris, Stock, 1992).Collection particulière

En 1992, dans La Part d’Ombre, Edwy Plenel « démonte le système secret mitterrandien qui double la vie poli-tique française depuis 1981 », comme le dit Patrick Eveno. Plenel rédige cette histoire en réaction à la suspicion dont il a été l’objet de la part de l’ex-cellule de l’Elysée.

[255] Photographie supposée du Data Center conservant les interceptions.L’Obs, 30 avril–6 mai 2015, n° 2634, pages 34 et 35.

Page 89: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

88

[007 315 259] Livre relatant les règles pour devenir un bon espion, et particulièrement dans le bon usage des chiffres avec une gravure d’un service du chiffre, 1793. Dlandol, Le Contr´espion ou les clefs de tous secrètes correspondances, 1793.Grenoble, bibliothèque municipale, L.1158, haut. 17,2 x larg. 11 cm

14 protection49 armée59 américain70 agent80 surveiller309 chant�/�musique315 espion395 mot401 Paris521 réglette538 allemand559 officier855 secret963 transmettre997 russe�/�Russie999 écoute1021 Italie1053 rationnement 1203 britannique�/�

anglais1239 calcul1309 diplomate�/�

diplomatie 1315 chiffre1876 montre1897 ministère1975 Sympathique

[encre]2045 camp2093 défense2117 télégraphie2295 ligne 2385 conduire2406 France2446 ministre2571 Empereur2845 mission2891 passeport2963 sécurité2968 vêtement 2994 guerre

Page 90: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

89

LES TECHNIQUES ET LES LANGAGES DU SECRET

[007 1315 268] Table de chiffrement de la guerre franco–prussienne de 1870, évoquant une série de mots classés par ordre alphabétique, [1870–1871].Archives nationales, F/90/11676. Papier, petits onglets en parchemin

Cette table de chiffrement a été utilisée pour le référencement des documents et objets présentés dans cette section de l’exposition.

[007 2045 274] Recettes de cuisine codées de la résistante Geneviève Tillion, désignant le personnel médical qui a participé aux sélections et aux exactions dans les camps, 1940–1941.Besançon, Musée de la Résistance et de la déportation, 2009–1242–07–9 et 10, haut. 15 cm x larg. 5,5 cm

Les écritures secrètes�: la main du Chiffre

Il n’y a pas de secret de l’État sans écritures secrètes. L’État secret doit aussi se dissimuler. Les gens du Chiffre, ceux qui ont la maîtrise de cette mise en forme singulière de la décision politique, se situent dans l’environnement immédiat du pouvoir. Ils font partie de l’étroit cercle de la confiance. Passé le temps du chiffrement et du déchiffrement à la main, pour être plus efficaces et renforcer la sûreté des codes, ils utilisent les premières machines�: boîtes et cylindres à chiffrer, tables et tableaux également. Parmi les gens du Chiffre émergent des figures individuelles, du XVIIe au XVIIIe siècle, qui ont acquis une postérité internationale.

Page 91: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

90

[007 855 256] Planches extraites du traité manuscrit de Veith Wolff von Senfftenberg (commandant de l’artillerie de la ville de Dantzig), Von allerlei Kriegswehr, von Geschuz, von den langen Stucken, von den Mortiern, von den Feuerkazen, etc, 1570–1580.Vincennes, Service historique de la Défense, BG, DA 1, fo 36, haut. 33 x larg. 23 cm

– Brûler les messages chiffrés après lecture�;– collecte de l’information�;– déchiffrement des textes à l’encre sympathique�;– déchiffrement d’un texte écrit sur la plante des pieds d’un soldat.

L’ouvrage, consacré essentiellement aux usages de l’artil- lerie et des armes à feu, s’arrête également sur l’art des embuscades, mais aussi sur les manières de collecter et d’échanger secrètement des informations. Composé de sept volumes, ce document du début du XVIe siècle constitue un témoignage exceptionnel de l’évolution de l’art de la guerre au regard des évolutions techniques de l’époque. Ce document fut envoyé en mars 1844 par le général Pelet, directeur du Dépôt de la Guerre, au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, alors détenu au fort de Ham. [Jean–François Dubos]

[007 1315 257] Boîte à chiffrer et déchiffrer en forme de livre à l’emblématique d’Henri II, inscription «�DONEC TOTUM IMPLEAT ORBEM�» [jusqu’à ce qu’elle remplisse tout le cercle], 1557.Ecouen, musée national de la Renaissance, E. Cl. 1361, haut. 25 x larg. 11 cm

L’emblème sur la face antérieure figure sur de nombreux objets et monuments. Le plat antérieur de la reliure est gravé des emblèmes royaux d’Henri II : la couronne royale surmonte quatre flèches croisées par deux car-quois et d’un arc horizontal qu’encercle le croissant de lune. La première page du livre est constituée de 24 cadrans répartis en quatre colonnes de six. Les colonnes 1 et 3 comportent des cadrans alphabé-tiques où il manque les lettres J (confondu avec I), U et W (confondus avec V). Un symbole représentant un croissant a été ajouté. Ce dernier pourrait avoir fait référence à un nomenclateur, comme il était d’usage dans les chiffres de l’époque. Les colonnes 2 et 4 sont numériques, notés de I à XII. Cette correspondance entre les cadrans fait penser à un chiffrement par déca-lage de chaque lettre selon un nombre. La quatrième page est similaire à la première, seules les formes des cadrans sont modifiées. Les pages 2 et 4 sont constituées de deux grands cadrans subdivisés en 18 nombres (de I à XVIII). Ces deux cadrans fournis- saient probablement la façon de régler les cadrans numériques des pages 1 et 4. Cette boîte à chiffre permettait un chiffrement à substitution polyalphabé-tique dont la clef était donnée par les deux grands cadrans. [Hervé Lehning]

[007 1315 258] Gravure d’Antoine Rossignol des Roches (1600–1689)Paris, Bibliothèque nationale de France, NQ–D–022306

En 1626, les hommes d’Henri II de Bourbon, prince de Condé, interceptèrent un message chiffré venant de Réalmont, une place forte protestante qu’ils assié-geaient. Antoine Rossignol, un homme de la région, connu pour son talent dans ce domaine, fut appelé à l’aide et le décrypta rapidement. Le message annonçait que les assiégés avaient épuisé leurs réserves. Le prince de Condé le renvoya décrypté aux assiégés, qui choisirent de se rendre. La bataille fut ainsi remportée grâce à la seule arme du Chiffre ! Rossignol renouvela son exploit au siège de La Rochelle, ce qui le fit remar-quer par Richelieu dont il rejoignit le cabinet noir.

Nous pouvons supposer que ces messages avaient été chiffrés au moyen d’une substitution alphabétique, comme souvent à cette époque. Ils étaient faciles à décrypter au moyen de l’analyse fréquentielle d’Al Kindi (801 – 873) et la méthode du mot probable de Giambattista della Porta (1535 – 1615). Rossignol créa ensuite une famille de chiffres résistant mieux à ces deux attaques, car reposant sur une substitution syllabique et non alphabétique plus un nomenclateur pour chiffrer les mots ou noms courants. Le Grand Chiffre de Louis XIV fut l’aboutissement de cette famille de chiffres. Étienne Bazeries le cassa à la fin du XIXe siècle en utilisant la méthode du mot probable. [Hervé Lehning]

[007 315 259] Livre relatant les règles pour devenir un bon espion, et particulièrement dans le bon usage des chiffres avec une gravure d’un service du chiffre, 1793. Dlandol, Le Contr´espion ou les clefs de tous secrètes correspondances, 1793.Grenoble, bibliothèque municipale, L.1158, haut. 17,2 x larg. 11 cm

Dlandol se fait connaître du public à la Révolution fran-çaise. Au chapitre VI de son ouvrage, il précise que le chiffre carré ou tableau de Vigenère a été nommé le chiffre par excellence, parce qu’il réunit le plus grand nom-bre d’avantages que l’on puisse désirer pour une correspondance secrète. Quoique d’une exécution lente, Dlandol croit à sa sûreté qui permet de montrer la lettre chiffrée à tout le monde, sans que personne ne puisse la déchiffrer. L’illustration montre une métaphore d’un service du chiffre avec un agent en train de déchif- frer une lettre avec sous les yeux la table correspondante. En arrière-plan, des boîtes d’archives conservent les courriers entrant, classés par pays. Le tiroir intérieur est chargé des déchiffrements nationaux pour la sûreté.

Page 92: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

91

[007 1975 260] «�Sur une nouvelle encre sympathique, à l’occasion de laquelle on donne quelques essais d’analyse des mines de bismuth & d’azur et d’arsenic dont cette encre est la teinture�», par Jean Hellot,1747.Jean Hellot, Histoire de l’Académie Royale des sciences, Paris, Imprimerie Royale, année MDCCXXXXVII (1747), p.144–145. Paris, Bibliothèque Sainte–Geneviève, 8 AEA 13 FA, haut.17 x larg. 21 cm

L’usage de l’encre invisible est un procédé de stégano-graphie utilisé dans l’espionnage. Les encres invisibles peuvent être groupées en deux grandes catégories selon la méthode utilisée pour les révéler : soit une source de chaleur, soit un révélateur chimique. Dans la première catégorie, un exemple très connu est le jus de citron. Le message se révèle en roussissant le papier à la flamme. Une véritable guerre des encres invisibles a été menée depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à la guerre froide.

L’ecclésiastique, Jean Hellot est reçu à l’Académie des sciences en 1735, puis devient plus tard membre de l’Académie royale de Londres. Essayeur en chef à la Monnaie, il s’intéresse aussi à la teinture des étoffes. Il publie notamment sur la nature du zinc, la préparation du phosphore, de l’éther, des encres sympathiques. Il entre aussi à la manufacture de por-celaine de Vincennes en 1751, où il est chargé de réunir, de manière scientifique et profitable pour ses collaborateurs, les procédés souvent empiriques des pâtes, couvertes, couleurs de porcelaine déjà utili-sées, et d’en fixer les formules. Il invente une formule de bleu turquoise, le « bleu Hellot ».

[007 1309 261] Table de chiffrement remise à un ambassadeur à son départ en poste dans les Mémoires de Jacques Bongars, ambassadeur du roi Henri IV auprès des princes protestants allemands, 1612.Paris, Bibliothèque nationale de France, Français 7129, haut. 24 x larg. 39 cm

Le calviniste Jacques Bongars a été pendant vingt-cinq ans diplomate dans les États allemands. Cette table montre un chiffrement par substitution alpha-bétique homophone, c’est-à-dire où chaque lettre peut être chiffrée de plusieurs manières, doublé d’un nomenclateur typique de la Renaissance, pour les noms, mots et expressions courants comme « Roi d’Espagne », « Ils ont », etc. Ce chiffre est ainsi résis-tant à l’analyse des fréquences mais pas à la méthode du mot probable. Le nomenclateur utilise partiellement des nombres, ce qui fait penser à un intermédiaire entre les chiffres homophones et les chiffres des Rossignols. Il reste cependant fondé sur les lettres de l’alphabet et non les syllabes. [Hervé Lehning]

[007 59 262] Table utilisée par le consulat de France à Boston, pendant la guerre d’indépendance américaine (1776–1783), pour déchiffrer la correspondance reçue du secrétariat d’État à la Marine, mars 1781.Nantes, Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes, 109PO/1/152, haut. 53 x larg. 63 cm

C’est de Boston, port commercial très actif, que part la guerre d’indépendance américaine (1776-1783), dans laquelle la France prend rapidement position aux côtés des États-Unis contre l’Angleterre. Le traité d’alliance et de commerce signé entre les deux pays le 6 février 1778 constitue par conséquent l’acte de naissance du réseau diplomatique et consulaire français en Amérique du Nord : les villes de Boston, Baltimore, Charleston et Philadelphie accueillent bien-tôt un consulat, Philadelphie étant également siège de la légation pendant quelques années.

La table de déchiffrement (ou « clef du chiffre ») présentée ici fait partie de la famille des dictionnaires chiffrés. Elle servait à décrypter la correspondance reçue de Versailles ; tandis que la table de chiffrement (ou « chiffre ») servait à chiffrer les dépêches adressées à Versailles. La table comporte des termes propres au fonctionnement du poste de Boston : « 63. États Unis de l’Amérique septentrionale », « 87. La Baye de Massachusset », « 914. Philadelphie », « 1053. M. le Cte d’Estaing », « 1081. M. Washington », etc. [Bérangère Fourquaux, Hervé Lehning]

[007 2442 263] «�Nouveau chiffre de correspondance entre MM. les ministres du Roy dans les cours étrangères�», août 1742.Vincennes, Service historique de la Défense, GR A4 87, haut. 30 x larg. 23 cm

Cette table chiffrante a été utilisée par vingt-six minis-tres plénipotentiaires dont les noms sont cités au verso, émissaires du roi de France dans toute l’Europe. Suivant un modèle largement répandu au XVIIIe siècle, la table présente les nombres associés à chaque lettre (parfois aussi à chaque chiffre) puis les nombres associés à des syllabes ou mots entiers, classés par ordre alphabé-tique. Souvent la plupart des entrées, destinées à être communes à un nombre important de correspondants, sont imprimées, un espace blanc étant laissé pour ajouter les termes (principalement des noms propres) adaptés plus précisément aux utilisateurs et à leur contexte d’activité. Les codes sont également laissés en blanc de façon à pouvoir changer le chiffre à partir d’un même formulaire. Des nombres sont également pré-vus pour rendre plus difficile le déchiffrement du texte : valeur nulle, annulant la précédente ou la suivante, etc. [Richard Ravalet]

Page 93: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

92

[007 1021 264] Tableau de chiffrement utilisé pour la correspondance avec Eugène de Beauharnais, lorsqu’il était vice–roi d’Italie (1805–1814). Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 M 2352, haut. 43 x larg. 65 cm

Comme le Grand Chiffre de Louis XIV, ce chiffre fait partie de la famille des dictionnaires chiffrés où chaque mot du vocabulaire, les lettres et quelques syllabes sont chiffrés par un ou plusieurs nombres. La lettre A peut ainsi être codée de six façons différentes : 1079, 218, 305, 787, 31, 1151 pour éviter une attaque par analyse des fréquences. Cette table est pratique pour chiffrer mais peu pratique pour déchiffrer car, pour éviter le décryptement, les chiffres sont classés dans le désordre. Ce type de chiffre a été en usage dans la diplomatie jusqu’à la Première Guerre mondiale. Son principal défaut est d’exiger le secret total. [Hervé Lehning]

[007 309 265] Partition musicale du compositeur Maurice de Raoulx avec une invention de code sous forme de notes de musique, 1854.Archives nationales, 19860703/610 – F/90/1470, d. 11., haut. 40 x larg. 35 cm

Derrière cette partition se cache un message codé. Cette technique de chiffrement fut inventée en 1854 par le compositeur Maurice de Raoulx. Elle consistait à traduire les mots en un assemblage de notes et nécessitait un dictionnaire de chiffre pour la décrypter. Au XIXe siècle, de nombreux inventeurs proposèrent des techniques originales de transmission télégraphique. Les Archives nationales conservent ces projets qui furent soumis à la direction générale des lignes télégraphiques : parmi eux figure l’invention d’un compositeur français nommé Maurice de Raoulx (actif entre 1830 et 1864) consistant à transmettre des messages secrets grâce à un code musi- cal. Un dictionnaire permettait vraisemblablement de traduire les mots en un assemblage de notes, mis à dis- position des opérateurs télégraphistes pour composer le message crypté. Il n’était donc pas nécessaire d’être musicien pour envoyer ou décrypter le message musical. Mais l’ennemi interceptant le message ne pouvait devi-ner qu’il s’agissait d’autre chose que d’un morceau de musique. Cette technique de cryptage, utilisée aussi dans des images, des poèmes, ou de la musique est appe-lée la stéganographie. Cependant, l’écriture musicale automatique générée par ce cryptage ne produit pas d’harmonieuses mélodies. Malgré son originalité, l’in-vention de Maurice de Raoulx n’a pas retenu l’atten-tion de l’administration des télégraphes. [Charlotte Leblanc]

[007 997 266] Tables de chiffrement et déchiffrement du ministère des Affaires étrangères utilisées lors de la guerre de Crimée, 1853–1856.Vincennes, Service historique de la Défense, GR G1 43, haut. 57 x larg. 63 cm

Ces tables sont attribuées au chiffrement des correspon- dances entre le ministère des Affaires étrangères et celui de la Guerre, pendant la guerre de Crimée (1853-1856). On peut constater que le système en lui-même n’a pas évolué depuis le siècle précédent : la table déchiffrante, par exemple, présente dans l’ordre numérique et sous forme manuscrite le sens en clair associé aux nombres qui sont eux pré-imprimés. Les tables chiffrante et déchif-frante, complétées d’ajouts manuscrits adaptés au théâ- tre de Crimée, ont été découpées et entoilées pour rendre leur manipulation plus aisée sur le terrain. Le document porte ces instructions au verso : « Il est expressément recommandé de tenir ces tables soigneusement renfer-mées ; de mettre un chiffre nul après les mots chiffrés par lettres ; de traduire les nombres chiffrés comme s’ils étaient inscrits en lettres […] ; de s’assurer par un déchiffrement si le chiffrement est correct ». [Richard Ravalet]

[007 2571 267] Tables de chiffrement et déchiffrement utilisées pour la correspondance entre Napoléon III et les généraux Edmond Le Bœuf et Émile Félix Fleury, envoyés en mission diplomatique en Italie [1866–1869].Vincennes, Service historique de la Défense, GR 1 M. 1577, [Boite] haut. 21,5 x larg. 10 cm, [codes chiffrant et codes déchiffrant pliés] haut. 101 x larg. 42 cm

Ce chiffre, destiné aux échanges entre l’Empereur et ses généraux envoyés en mission diplomatique en Italie entre 1866 et 1869, a été enrichi des termes nécessaires à l’analyse de la situation dans la péninsule. Les deux tables ont été entoilées de façon à pouvoir être rangées dans un boîtier particulièrement pratique et soigné. [Richard Ravalet]

[007 1315 268] Table de chiffrement de la guerre franco–prussienne de 1870, évoquant une série de mots classés par ordre alphabétique, [1870–1871].Archives nationales, F/90/11676. Papier, petits onglets en parchemin

Cette table de chiffrement permit au gouvernement fran- çais d’assurer le secret de sa correspondance télégra-phique durant la guerre franco- prussienne de 1870.

La cryptographie a pour fonction de rendre secret le contenu d’un message par un code mis au point préala- blement par l’expéditeur et le destinataire, par le biais d’une table ou d’un dictionnaire de concordance par exemple. Cette technique eut un important succès en France avec l’invention de la télégraphie optique dès 1793 puis le développement de la télégraphie électrique installée le long des voies de chemin de fer à partir du milieu du XIXe siècle. Elle eut ainsi une grande importance dans la guerre franco-prussienne de 1870. Pour sa discrétion et sa rapidité, la télégraphie devint un outil essentiel pour le gouvernement français, conscient du pouvoir stratégique que confère le secret de la

Page 94: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

93

correspondance. Les télégrammes officiels envoyés par les administrations pouvaient être cryptés lorsque leur sujet était jugé sensible. Elles disposaient ainsi de tables de chiffrement comme celle présentée ici. On note les mots : « secret », « Sémaphore », « Conscience », « chemin de fer », etc. [Charlotte Leblanc]

[007 1315 269] Cylindre à 11 roues destiné à chiffrer et déchiffrer, monté sur un socle en bois, s. d.Ministère de la Défense, 34, haut. 22 x long. 35 cm

Ce cylindre à 11 roues comportant tout l’alphabet dans l’ordre permet d’effectuer un chiffrement polyal-phabétique. Les lettres sont accompagnées de leur numéro d’ordre modulo 10 : A 1, B 2…, I 9, J 0, K 1… Le texte à chiffrer s’écrit horizontalement de la seconde roue jusqu’à la dernière ; chaque lettre est ensuite décalée en tournant la première roue ; le résultat se lit grâce au pointeur en laiton que l’on positionne progressivement sur chaque roue. [Hervé Lehning]

[007 1315 270] Cylindre à 23 roues destiné à chiffrer et déchiffrer, monté sur un socle en bois, s. d.Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense), haut. 8 x dim. 5 x long. 20 cm

Vers 1793, Jefferson mit au point une méthode pour chif-frer et déchiffrer des messages. Le cylindre de Jefferson consiste en vingt-six roues pouvant tourner autour d’un axe. Les vingt-six lettres de l’alphabet sont inscrites sur la tranche de chaque roue dans un ordre aléatoire. En tournant ces roues, les messages peuvent être for-més. Jefferson abandonne son usage après 1802. Il est réinventé à la fin du XIXe siècle par le colonel français Etienne Bazeries et ce type de chiffrement va être utilisé dans l’armée américaine de 1923 à 1942 par le biais de la machine M-94. [Hervé Lehning]

[007 1315 271] Cahier de codes miniatures avec sa loupe de lecture dotant les agents du BCRA [1940–1944].Ministère de la Défense

La clandestinité suppose la plus grande discrétion, y compris en matière de matériel de chiffrement. Ces petits carnets de code peuvent être facilement dissimulés voire détruits en cas de danger (certains sont en papier ingérable). Ils permettent d’utiliser le chiffre de Vernam (ou masque jetable). Ce chiffre utilise d’abord une substitution des lettres par des nombres et une clef (suite aléatoire de chiffres aussi longue que le message), partagée avec le destina-taire et que l’on jette après chaque utilisation. On

groupe alors les chiffres par 5 et on les additionne un à un avec ceux de la clef, en ne gardant que les unités.

Pour le déchiffrer, quand on connaît la clef, il suffit d’effectuer des soustractions. Par exemple, si le mes-sage en « clair » (après la substitution alphabétique) est 53429 et la clef 23265 (premier groupe de 5 dans le document), le message chiffré est 76684. Pour déchiffrer, on retranche la clef 23265 à 76684, on obtient bien 53429. Si la clef est bien aléatoire et que « l’ennemi » l’ignore, ce chiffre est réputé indé-cryptable. [Nathalie Genet–Rouffiac, Hervé Lehning]

[007 2994 272] Grille de chiffre élémentaire appelé RECIM [1940–1944].Ministère de la Défense

Ces planches de chiffrement correspondent à des chiffres de substitutions alphabétiques du type de celui de Vigenère. La clef est un mot. Choisissons le mot « BASE ». Si on veut chiffrer le mot « VICTOIRE », on utilise d’abord la ligne notée « B » (première lettre de la clef) et on cherche le substitut de « V », qui est situé sous cette lettre. On trouve « d ». On continue ainsi, le substitut de « I » est « r », et ainsi de suite. On obtient finalement « drfckrpr ». [Hervé Lehning]

[007 2994 273] Faux–timbres en caoutchouc pour la confection de faux–papier d’identité par la résistance [1940–1944].Ministère de la Défense

L’espionnage fait appel à toute l’inventivité nécessaire pour permettre à ses hommes d’entrer dans des zones difficiles d’accès voire sécurisées. Le travail de faus-saire fait donc partie des savoir-faire nécessaires pour que l’agent infiltré puisse agir à l’insu des services de sécurité. Les modèles présentés montrent quelques exemples de faux timbres qui seront apposés sur de faux-papiers. [Nathalie Gene–Rouffiac]

[007 2045 274] Recettes de cuisine codées de la résistante Geneviève Tillion, désignant le personnel médical qui a participé aux sélections et aux exactions dans les camps, 1940–1941.Besançon, Musée de la Résistance et de la déportation, 2009–1242–07–9 et 10, haut. 15 cm x larg. 5,5 cm

Dans les dossiers que l’ethnologue et la résistante Germaine Tillion a constitués sur le camp de Ravensbrück (où elle fut déportée) et qu’elle a légués au Musée de la Résistance et de la déportation de Besançon, on trouve quelques documents codés.

Page 95: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

94

L’entrée du Chiffre dans l’ère technologique moderne

La révolution industrielle du XIXe siècle et les grandes ruptures technologiques qu’elle a entraînées ont bouleversé les traditionnelles écritures secrètes. Les techniques et les technologies de transmission ont été entièrement transformées, depuis le télégraphe optique à l’époque de la Révolution française jusqu’au cyber–numérique aujourd’hui. L’électricité au XIXe siècle, puis l’informatique, l’électronique et l’optique au XXe siècle, qui sont les ressorts de la société de l’information, ont démultiplié les volumes et les vitesses de calcul, dimension essentielle du chiffrement et du déchiffrement. Aujourd’hui les batailles secrètes du renseignement sont en grande partie liées à la capacité de protéger l’information et d’accéder à celle que l’ennemi, l’adversaire ou le partenaire ont protégée.

[007 315 301] Décolleuse à courrier électrique fonctionnant comme une théière, qui permettait de créer de la vapeur pour décoller les enveloppes [1950–1980].Archives de la DGSI

[007 999 303] Enregistreur NAGRA à rubans à deux bandes (de marque AEG), appareil permettant d’enregistrer discrètement des sons [1960–1990].Archives de la DGSI

[007 1876 314] Montre bracelet factice abritant un micro minifon, fabrication allemande, 1955.

Page 96: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

95

[007 395 275] Bague à colombe et son étui à message pour pigeon voyageur qui délivrait ici un «�message exercice�» depuis le front, et mentionnant le nombre de vols de pigeons [1914–1918].Archives nationales, AE/VIa/214/b. Papier et métal, [Bague à étui] 4 cm�; [Message] haut. 29 cm x larg. 22 cm

Chaque colombier des commandants d’artillerie divi- sionnaire recevra un effectif de 20 pigeons. En ce qui concerne l’utilisation tactique des pigeons, la surveillance incombe à l’officier du service des renseignements.

[007 1203 276] Compte rendu, par le service colombophile n°604 du 2e bureau, sur la liaison par pigeon–voyageur établie entre l’armée française et le 14e corps d’armée britannique pendant l’attaque du 9 octobre 1917, premier jour de la bataille de Passchendaele dans le secteur d’Ypres, 19 octobre 1917.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 16 N 2250. haut. 32 cm x larg. 24 cm

La guerre de 1870 a mis en évidence en France l’effi- cacité et le rôle majeur des pigeons voyageurs (PV) comme moyen de communication en période de conflit. En effet, alors que Paris est assiégé, les pigeons sont les seuls moyens de communication vers l’extérieur de la capitale. Pendant la Grande Guerre, outre la TSF et le téléphone, l’armée utilise encore ces volatiles. Le compte rendu a été rédigé pendant la bataille de Passchendaele, où 160 « PV » ont servi de correspon-dants entre l’armée française et l’armée britannique. Le texte insiste sur le soin et l’attention qui doivent être portés aux pigeons, soulignant, de fait, le rôle déter-minant de la délivrance des messages en un temps record, ici 15 minutes. [Hélène Guillot]

[007 395 277] Traduction française d’un document établi par le 11e corps d’armée allemand (XI Armeekorps) sur l’organisation du service colombophile dans sa zone de commandement, 1er novembre 1916.Vincennes, Service historique de la Défense, GR 16 N 2250, haut. 21,5 x larg. 10 cm

Comme l’armée française, l’armée allemande déploie des moyens colombophiles pendant la Grande Guerre. La note ci-présente est une traduction d’un document officiel établi par le 11e corps d’armée (CA) allemand et intercepté par le renseignement français. Document précieux, il détaille toute l’organisation géographique et logistique des pigeons voyageurs (PV) affectés dans le secteur du 11e CA ennemi. On note qu’à la différence des Français, les Allemands attachent de l’importance à ce que les soldats des services colom-bophiles soient des professionnels de ce « sport ». Cette réflexion démontre, une fois encore, l’attention accordée à ce moyen de communication de chair et de sang. De nombreux pigeons ont reçu les plus hautes distinctions militaires. Le plus célèbre est le « Vaillant » qui transporta le dernier et pathétique mes-sage du commandant Reynal, héroïque défenseur du fort de Vaux soumis durant quatre jours à un intense bombardement d’artillerie et de gaz. Remplissant sa mission malgré les fumées et les gaz, le « Vaillant » fut cité à l’ordre de la nation. [Hélène Guillot, Jean–Louis Desvisgne]

[007 521 278] Réglette à coder, dite de Saint–Cyr, destinée à la formation des officiers aux techniques de la cryptographie, à partir de 1880 jusqu’en 1930.Suresnes–Mont–Valérien, musée du 8e régiment de transmission, D120, haut. 15 cm x larg. 50 cm

La réglette de Saint-Cyr est un instrument qui facilite l’utilisation du chiffre de Vigenère, plus simple à utiliser que le célèbre carré. D’aspect similaire à une règle à calculer, elle comporte une partie fixe sur laquelle sont imprimés les alphabets et une partie coulissante « le cou-lisseau », sur laquelle l’alphabet est doublé. Pour coder une lettre, on ajuste le coulisseau pour que sous le « A » du stator se trouve la lettre de la clé. En faisant corres-pondre les lettres entre elles, on peut alors procéder à la fois au principe de substitution simple de Jules César, en remplaçant chaque lettre du message par une lettre différente. Cette réglette servait à Saint-Cyr à instruire les futurs officiers aux techniques de la cryptographie.

[007 395 279] Le télégraphe optique, inventé par Claude Chappe (1763–1805), dessin paru dans le Petit Journal, 1791.Rue des Archives/PVDE, 00222970

Page 97: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

96

[007 395 280] Registre appelé «�dictionnaire Chappe�», qui présente le détail du vocabulaire utilisé, circa 1790–1810.Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense), haut. 38 x dim. 25 cm

En 1791, c’est le désir de communiquer avec des amis qui habitaient à quelques lieues de lui qui fit concevoir au jeune physicien Claude Chappe (1763-1805) le projet de leur parler par signaux. Il réalisa ainsi sa pre-mière expérience publique de communication à dis-tance entre Parcé-sur-Sarthe et Brûlon le 2 mars 1791. L’expérience, qui consistait à envoyer un message dans chaque sens, fut réussie et authentifiée par un compte rendu officiel. Claude Chappe put, avec ces preuves de fonctionnement, se rendre à Paris pour promouvoir son invention. Ce système optique permettait d’acheminer de proche en proche des signaux au moyen de bras articulés dont le positionnement déterminait le carac-tère transmis. Dans ce système, les opérateurs intermé-diaires ignoraient le sens de ce qu’ils transmettaient et ne faisaient que relayer les signaux. Seuls les directeurs d’extrémité connaissaient le code confidentiel utilisé. Ce système a permis de réduire considérablement les délais de transmission des messages sur le territoire grâce à la réalisation d’un réseau de 533 stations couvrant quelque 5 000 km. [Jean–Louis Desvisgne]

[007 2118 281] Télégraphe électrique à bandes dépliées, créé par Samuel Morse (1791–1872), placé dans une caisse en bois [1837].Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense), RT2001.010.538, haut. 33 x larg. 64 cm x prof. 45 cm

L’américain Samuel Morse s’inspire des travaux de ses prédécesseurs (notamment André-Marie Ampère, François Arago) pour inventer un système simple et robuste. Le 20 juin 1840, un brevet est accordé pour l’invention du télégraphe électrique pour lequel il met au point un code original de transmission, le code Morse, via la transcription en une série de points et de traits des lettres de l’alphabet, des chiffres et de la ponctuation courante. Le point est une impulsion brève et le trait une impulsion longue. Le manipulateur Morse débute la longue ligne des télégraphes Morse et l’utili-sation d’un code spécifique.

[007 2118 282] Manipulateur de messages en Morse de la tour Eiffel, 1914–1923.Suresnes–Mont–Valérien, musée du 8e régiment de transmission, 7007*, haut. 25 cm x larg. 20 cm

[007 49 283] Télégramme chiffré adressé par le Grand Quartier général des armées du Nord et du Nord–Est aux états–majors «�Bacon�» et «�Picardie�». Il rapporte l’interception d’un radiogramme ennemi signalant la préparation d’une attaque imminente dans leur secteur, à l’ouest de Compiègne, 3 juin 1918. Vincennes, Service historique de la Défense, GR 16 N 1696, haut. 30 x larg. 22 cm

[007 538 284] Portrait du lieutenant Georges Painvin, officier cryptanalyste qui a réussi à percer le secret du chiffre ADFGVX utilisé par les Allemands durant la Première Guerre mondiale.Archives de l’ARCSI.

Le 1er juin 1918, le Grand Quartier général des armées du Nord et du Nord-Est intercepte et déchiffre un radio-gramme ennemi envoyé près de Remaugis, à l’Est de Montdidier. Celui-ci signale, un approvisionnement anormal de munitions, autrement dit la préparation d’une attaque imminente. Immédiatement, l’informa-tion est transmise aux états-majors français « Bacon » et « Picardie », permettant ainsi d’anticiper et de repousser l’offensive ennemie lancée sur Compiègne le 9 juin 1918. Le nouveau code allemand est désigné par les seules lettres utilisées dans la rédaction des messages chiffrés, à savoir « ADFGVX ». Il vient de remplacer le code « ADFGX » que les Français ont réussi à per-cer. En deux jours et deux nuits de travail acharné, le capitaine George Painvin, un officier polytechnicien, parvient à déchiffrer le code « ADFGVX ». Son inter-vention permet de stopper net les perspectives enne-mies d’avancée vers Paris. C’est le radiotélégramme déchiffré « dit de la Victoire » et il a été dit, à l’époque, qu’à lui seul le bureau du chiffre valait plus qu’un corps d’ armée ! [Hélène Guillot, Jean–Louis Desvisgne]

Page 98: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

97

[007 997 285] Message codé transmis par les services secrets soviétiques à leur contact français Serge Fabiew, 13 juin 1968.Archives nationales, 5W/792, dossier 1834, pièce D 379, grille 675. Papier imprimé et manuscrit

Procédure contre Serge Fabiew pour espionnage. Voir n° [171] et n° [172].

Après les mentions relatives à l’écoute, on trouve le message proprement dit, constitué de rapports sur les émissions précédentes, puis d’éléments concernant l’organisation du travail et les missions des agents, au contenu très variable comme le montre ce message du 13 juin 1968. Il peut s’agir aussi d’instructions précises comme le message du 29 juin 1967 pour la recherche d’informations sur un nouveau modèle de fusée ou encore le message du 21 septembre 1973 relatif au Concorde et dans lequel figure également les compliments et gratifications octroyées pour les informations obtenues. On trouve enfin des messages plus personnels comme des vœux pour la nouvelle année dans le message du 1er janvier 1968 ou des félicitations pour un anniversaire dans le message du 21 mai 1971.

[007 997 286] Grille de chiffres utilisée pour le déchiffrement des messages codés transmis par les services secrets soviétiques à leur contact français Serge Fabiew, 13 juin 1968.Archives nationales, 5W/792, dossier 1834, pièce D 379, grille 675, d. 11, 2 pièces, haut. 40 x larg. 35 cm

Parmi les pièces transmises au juge d’instruction figurent les procès-verbaux d’écoute, présentés sous forme de tableaux de chiffres, des messages adres-sés à Serge Fabiew par la direction générale des renseignements (GRU) de l’état-major des forces armées de l’Union soviétique. Ces messages, inter-ceptés par les services techniques de la DST, ont été décryptés à partir des chiffres dictés en langue russe par le moyen d’émission radiotéléphonique à desti-nation de l’agent. Sur les 218 messages reçus par Serge Fabiew de 1965 à 1974, 54 seulement ont pu être déchiffrés au moment de leur transmission au juge d’instruction en juillet 1977. En effet, à partir de 1972, Fabiew est doté de nouveaux matériels ren-dant le déchiffrement très difficile.

[007 2118 287] Buste de Gustave Auguste Ferrié (1868–1932), sans date.Suresnes–Mont–Valérien, musée du 8e régiment de transmission, haut. 40 cm x larg. 35 cm

Gustave Ferrié (1868-1932) est un ingénieur poly-technicien et officier général du corps du Génie pion-nier de la TSF militaire et de la radiodiffusion. Pendant la Première Guerre mondiale, il développe la radio-télégraphie pour les unités d’infanterie et d’artilleurs. Cette démarche est concrétisée en mars 1918 par sa nomination, par l’intermédiaire du général Mordacq, à la tête de l’Inspection des télégraphies militaires.

[007 14 288] Machine légère à main mécanique, conçu par Hagelin avec un rotor de rechange. CX 52 est un moyen de protection de l’information en service dans les armées françaises avant l’arrivée des premières machines électroniques, vers 1966.Suresne–Mont–Valérien, musée du 8e régiment de transmission, haut. 13 cm x larg. 21 cm

Conçue par la firme Hagelin et modifiée à la demande de l’armée française, la machine mécanique CX52 repose sur le même principe que les machines à rotors de l’époque. Elle met en œuvre 6 rotors à avance irré-gulière et dispose de 6 rotors supplémentaires. Elle entre en service dans les années 1950 en remplace-ment de la machine américaine M209 dont les Alliés ont équipé les forces de la France libre pendant la Deuxième Guerre mondiale. Cette machine permet d’imprimer le cryptogramme ou le message déchiffré sur une bande de papier. Elle dispose en option d’un socle électrique facilitant les opérations de chiffre-ment et de déchiffrement. Malgré ces améliorations, la CX52 est rapidement jugée peu efficace dans un contexte opérationnel et sa résistance cryptologique est mise en doute par les Britanniques lors de la cam-pagne de Suez. [Jean–Louis Desvisgne]

[007 14 288 bis] Machine légère à chiffrer / déchiffrer C 36, conçue par le suédois Boris Hagelin, réalisée par la société A.B. Cryptoteknik, facilement transportable sur le front pendant la Seconde Guerre mondiale.Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense), haut 12 x long. 14 cm

Page 99: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

98

[007 963 289] L’Enigma (le premier calculateur électronique de l’histoire), utilisée par l’armée allemande et reconstituée en 1939 par Gustave Bertrand, à partir de la documentation fournie par sa source allemande. Ministère de la Défense, haut. 17 x larg. 29 cm x 40 cm

En 1926, grâce à l’Enigma, l’armée allemande crée le réseau de communication le plus sûr de l’époque. Sorte de machine à écrire, l’Enigma est en fait un calculateur électronique, conçu par le fabriquant alle-mand Arthur Scherbius. Il repose sur l’utilisation de rotors (3 à 6 pièces) qui transforment l’alphabet clair (noté en minuscules) en alphabet chiffré (en majus-cules). Les rotors établissent entre eux des contacts électriques, adoptant 26 positions différentes, dont le câblage interne brouille leur alphabet de sortie. L’Enigma, dans sa première version, est déchiffrée dès la fin des années 1930 grâce à la collaboration des services polonais, britanniques et français. Entre-temps, un cadre des services du chiffre allemand avait proposé ses services au SR français. [Nathalie Genet–Rouffiac]

[007 963 290] Modèle Kriegsmarine de l’Enigma.Ministère de la Défense, haut. 17 x larg. 29 cm x 40 cm

Cette machine est réputée avoir été saisie par des agents des services secrets français dans des locaux de la Kriegsmarine. Le premier modèle d’Enigma développé pour la Kriegsmarine date de 1934, deux ans après l’Enigma I de la Wehrmacht. Dès ce modèle M1, la machine utilisée par la marine alle-mande présente des variantes et une plus grande sophistication que celles de l’armée de terre et de l’aviation, en particulier grâce à un nombre de rotors supérieurs, 8 au maximum, marqués de I à VIII, contre 5 au plus pour les modèles air et terre. Les jeux de rotors de la Kriegsmarine portent des lettres et non des chiffres, et peuvent comporter deux au lieu d’une seule encoche. Néanmoins, ils demeurent compa-tibles avec l’Enigma I et les machines conservent la même taille. Les modèles M1, M2 et M3, générale-ment connus comme M3 (du nom de la procédure) se succèdent de 1934 (M1 : 611 unités) à 1940 (M2 : 1938, 890 unités ; M3 : 1940, 800 unités) avant de brutalement laisser place au modèle M4 le 2 février 1942, le plus difficile à contrer pour les services alliés.

[007 401 291] Brouilleur de parole inviolable SIGSALY, installé à Paris au centre de transmission américain, après 1944.Bande sonore. 1 mn, Jon D. Paul, Crypto–Museum (USA)

Longtemps avant nos transistors et nos ordinateurs per- sonnels, dans les lointaines origines du monde numé-rique dans lequel nous vivons, qu’il s’agisse de télé-phonie, de musique, de vidéo ou de cinéma, deux inventions majeures (dont des extraits sonores sont ici restitués) sont à distinguer : – Le VOCODER ou premier synthétiseur vocal électro-nique, mis au point en 1928, aux États-Unis, par Homer Dudley ;– le SIGSALY ou premier « brouilleur » de paroles sécu-risé, utilisé pendant la Deuxième Guerre mondiale, conçu par les Bell Telephone Laboratoires, à partir du VOCODER.

SIGSALY d’abord été déployé le 15 juillet 1943 pour les conférences stratégiques ultra-secrètes entre Washington et Londres, via des circuits de radio ondes courtes. Le système était réputé incassable. Il a été utilisé pour près de 3 000 conférences de part et d’autre de l’Atlantique et du Pacifique. Pour cela, il fallut déployer 13 terminaux entre 1943 jusqu’à 1946. Après la Libération de la France, l’armée amé-ricaine installa un poste SIGSALY à Paris. [Jon Paul]

[007 2406 292] Machine Hagelin B211 utilisées par Vichy et la France libre, 1939–1944.Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense), haut 14,5 x larg. 43,3 cm

La machine Hagelin M-209 (fournie par l’US Navy), ou CSP-1500, est une machine à chiffrer conçue pen-dant l’été 1939, par l’inventeur suédois Boris Hagelin. Les Américains en font un usage tactique pendant la guerre, l’entreprise Corona à New York assurant la fabrication industrielle de cette machine portable, purement mécanique, pouvant chiffrer ou déchiffrer un message selon le mode d’opération choisi et en imprimer le résultat sur des bandelettes de papier. La machine présentée ici (la B211) est un modèle plus sophistiqué que le M-209.

Page 100: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

99

[007 1239 293] Permutateur Myosotis électronique, avec calcul numérique automatique et système de mise à la clé du jour, inventé par Vasseur, vers 1965.Suresnes–Mont–Valérien, musée du 8e régiment de transmission, CH6B, haut. 70 cm x larg. 60 cm

La caractéristique novatrice du Myosotis est son sys-tème de mise à la clé du jour. Le permutateur « enfi-chable » permet de réaliser un grand nombre de clés, 10000 fois plus que tous les systèmes précédents (Enigma, etc.). Il chiffre aussi en ligne et hors ligne, avec chiffrement et déchiffrement automatique. La période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale n’ayant pas été particulièrement brillante sur le plan crypto-graphique, Myosotis marque le renouveau du chiffre en France. Alors qu’est lancée une compétition entre les trois armées pour une nouvelle machine crypto-graphique française et que l’OTAN lance une com-pétition internationale pour le même objectif, c’est Myosotis, la machine de l’armée de terre qui l’emporte en France. Bien qu’approuvée pour le trafic OTAN, l’organisation lui préfère la machine britannique pour-tant de moindre qualité.

Myosotis est la première machine française de chiffrement entièrement électronique essentiellement adaptée à la télégraphie. Elle restera plus de trente années en service tant dans les trois armées qu’au ministère des Affaires étrangères. Elle n’a jamais été prise en défaut. Sa conception et sa réalisation ont per-mis de faire naître en France une véritable industrie du Chiffre, capable de rivaliser avec les autres grandes puissances ; de définir sous l’impulsion du Service technique central des Chiffres (ancêtre de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) la doctrine du Chiffre en matière de conception, éva-luation et emploi des moyens cryptographiques ; de constituer une véritable école française du Chiffre. [Jean–Louis Desvisgnes]

[007 2845 295] Dans le cadre de la mission «�Drouot�», les agents Marcel Brochart et Jean Lart, parachutés près d’Amiens (Neuvy–Pailloux), sont ici photographiés en train de transmettre des données recueillies dans la région, vers le 8 et 9 avril 1944.Collection Sussex 1944, MM PARK FRANCE / 67610 La Wantzenau

C’est dans le cadre de la préparation du débarque-ment en France que l’état-major du général Eisenhower avait imaginé, dès le mois de mars 1943, le plan « Sussex », visant à mettre en place, dans toutes les régions au nord de la Loire, des groupes de deux officiers placés en des points stratégiques. En jan-vier 1944, face à la situation critique des maquis en France, Churchill décida d’augmenter l’aide au BCRA. Ce dernier devait décentraliser l’organisa-tion de la Résistance au niveau régional afin que les états-majors puissent agir avec de petits groupes auto-nomes, plus faciles à contrôler et à manœuvrer. Dans la nuit du 10 au 11 avril 1944, le capitaine Marcel Brochart (appelé « Charrot ») et l’officier radio Jean Lart (appelé « Tral ») furent ainsi parachutés dans l’In-dre. Ils étaient chargés d’installer une antenne Sussex. Il s’agissait de préparer les maquis à leur future mis-sion de recherche en renseignements opérationnels pendant le débarquement allié.

[007 1897 296] Central téléphonique permettant les liaisons extérieures et intérieures, mentionnant les noms des ministères directement reliés à la machine [1915].Suresne–Mont–Valérien, musée du 8e régiment de transmission, haut. 150 cm x larg. 60 cm. Bois et céramique

Le central présenté ici est d’un genre particulier puis-qu’il reliait les ministères entre eux (comme l’indiquent les noms mentionnés sur la porcelaine). Avec le dévelop- pement des communications téléphoniques, le « central » devint un lieu stratégique. C’est là que s’effectuaient les opérations de commutations, dans un réseau de téléphones fixes, « les commutés ». Son rôle était d’éta-blir pour chaque appel une continuité électrique entre les abonnés. Chaque ligne d’abonnés aboutissait sur une sorte de panneau vertical. Une opératrice établissait ensuite la liaison en enfonçant une fiche entre deux lames-ressorts de l’appelant ; elle enfon-çait ensuite l’extrémité du cordon dans le joncteur de l’abonné appelé.

Page 101: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

100

[007 1315 297] Téléphone mobile et chiffrant, conçu pour le président de la République, appelé TEOREM, sécurisé et réalisé, sous la maîtrise d’ouvrage de la Délégation générale à l’Armement (DGA), par la société Thalès Groupe, 2010.Prêt consenti par l’ARCSI, l’entreprise Thalès et Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense), haut 30 x larg. 53 cm

Le téléphone reste certainement la plus importante source d’indiscrétion. D’où l’importance pour les hauts responsables politiques et militaires de pouvoir proté-ger leurs communications.

Utilisant les toutes dernières techniques cryptolo-giques, Teorem est un concentré de technologie qui en fait l’un des meilleurs équipements au monde dans sa catégorie et qui le met à l’abri des oreilles les plus aiguisées… Si le confort d’écoute n’a rien à voir avec celui des équipements précédents qui les faisait sou-vent rejeter par les utilisateurs peu sensibles aux ques-tions de sécurité, il n’en reste pas moins que certaines facilités des smartphones actuels ont dû être abandon-nées pour des raisons de sécurité.

[007 2963 298] ECHINOPS, équipement créé par Thalès et la DGA, qui assure la sécurité des réseaux gouvernementaux et permet de lutter efficacement contre les menaces d’écoute, de modification et d’intrusion, 2010.Prêt consenti par l’ARCSI, l’entreprise Thalès et Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense), haut 30 x larg. 53 cm

L’Internet, bien qu’ayant répondu au départ à des besoins militaires, a été conçu sans aucun souci de sécurité. Pour sécuriser le système, l’une des techniques les plus répandues consiste à créer une sorte de tunnel parfaitement protégé des interceptions ou des intru-sions. La technique, déjà éprouvée sur d’autres types de réseaux à commutation de paquets, consiste à chiffrer le contenu de chaque paquet tout en gardant exploitables les informations relatives à leur achemine-ment. Dans cet art, la France s’est distinguée d’abord sur les réseaux X25 de type TRANSPAC avec l’équi-pement CAPUCINE, reconnu apte à traiter le trafic secret de l’UEO, puis désormais avec le « chiffreur IP » EQUINOPS adapté au protocole de l‘Internet et approuvé aussi bien pour le trafic Secret Défense que pour le trafic Secret Otan et Secret UE. [Jean–Louis Desvisgnes]

[007 315 300] Valise de la DST, de marque Samsonite, avec système photographique intégré Nikon qui servait à reproduire des documents, sans date [vers 1975–1985].Archives de la DGSI. O GAS.50.101, haut. 31 x larg. 47 cm

Cette valise est l’ancêtre des photocopieurs portables. Les agents se positionnaient à proximité de la cible (chambre, appartement ou bureau voisin) et photogra-phiaient tous les documents en un temps record avant de tout remettre en place.

[007 315 301] Décolleuse à courrier électrique fonctionnant comme une théière, qui permettait de créer de la vapeur pour décoller les enveloppes [1950–1980].Archives de la DGSI, haut. 30 cm

Génératrice de vapeur, la décolleuse à courrier était utilisée dans les années 1950 jusque dans les années 1980 pour décoller discrètement les enveloppes et accéder au courrier qu’elles contenaient. Le modèle, dépourvu de prise de terre, provoquait des électrocu-tions accidentelles chez les manipulateurs.

[007 559 302] Appareil MINOX LX dans sa boîte, fonctionnant avec des demi–pellicules de 35 mm, utilisé pour photographier discrètement des contacts entre officiers traitant et agents [1950–1980].Archives de la DGSI, haut. 2 x long. 14 cm

Conçu par l’ingénieur Zapp dans les années 1930 et breveté dans le monde entier, le « Minox » est un produit destiné au marché du luxe. Ses qualités (très petite taille, robustesse, excellente qualité d’image) font qu’il est très vite adopté par les services de rensei-gnements tant chez les Alliés que chez les membres de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale. Durant la Guerre Froide, différents modèles sont en service dans les deux camps. Le cinéma s’empare rapide-ment du Minox, l’utilisant régulièrement dans ses films d’espionnage et le rend ainsi populaire auprès du grand public. Cet appareil de marque allemande au format 8 x 11 mm facilitait également la dissimulation de microfilm.

[007 999 303] Enregistreur NAGRA à rubans à deux bandes (de marque AEG), appareil permettant d’enregistrer discrètement des sons [1960–1990].Archives de la DGSI, ouvert�: haut. 12 x long. 16 cm

Page 102: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

101

[007 999 304] Quartz à broches (en anglais Crystal Unit ou Xtal) utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale par le résistant Pierre Hirsch, pour déterminer la fréquence des postes émetteurs clandestins, 1943 et sans date.Archives nationales, 72AJ/NC_Privés/3. Bakélite (?), métal et lame de quartz, haut. 4 x larg. 6,3 x ép. 1,8 cm

Pierre Hirsch (1921-2005) s’engagea dans la Résistance au sein du mouvement Combat en mars 1942, avant de rejoindre en mars 1943 le réseau Buckmaster Stationer du major « Hector » Southgate. Il en devint en juillet 1943 l’un des opérateurs radio et poursuivit ses activités après l’arrestation d’Hector sous les ordres du major « Samuel » Maingard, son ancien instructeur. « Pour la compréhension du rôle de radio, affirmait-il, il faut savoir que les appareils d’émission et de réception étaient contenus dans de lourdes valises d’apparence anonyme et qu’ils étaient alimentés soit par le réseau normal électrique, soit par accumulateurs. Les fréquences étaient déterminées par des quartzs fournis avec l’appareil. La codifica-tion des messages se faisait par chiffres pour chaque message, les chiffres étant imprimés sur un mouchoir de soie, la partie ayant servi de chiffrage devant être brûlée [et] la durée de l’émission ne devant pas dépasser une demi-heure, temps nécessaire aux ser-vices allemands pour le repérage ». Pierre Hirsch échappa à cette traque impitoyable. En septembre 1944, il partit pour Londres accomplir de nouvelles missions aux côtés des Alliés. [Patricia Gillet]

[007 1876 305] Montre de détection d’émissions électromagnétiques utilisée afin de «�nettoyer�» une pièce ou un lieu équipées d’appareils d’écoute, sans date.Archives de la DGSI, diam. 9 cm

[007 1876 306] Montre avec caméra microscopique [circa 1990].Archives de la DGSI, diam. 7 cm

[007 999 307] Micro émetteur avec circuits intégrés, posé dans boite d’allumettes [circa 1960]. Matériel saisi sur des agents extérieurs.Archives de la DGSI, haut. 1 x long. 5,5 x 3 cm

[007 999 308] Micro dans presse–buvard saisi sur des agents extérieurs [circa 1960].Archives de la DGSI, haut. 4,5 x long. 15,5 x ép. 6 cm

[007 80 309] Pastille mise en place dans un écouteur téléphonique pour surveiller des personnes [circa 1950–1990].Archives de la DGSI, diam. 6 cm

[007 999 310] Rose artificielle renfermant un microphone magnétique de fabrication ex–IX–E, fabriquée par les services secrets français dans les années 1970.Ministère de la Défense, haut. 33 cm

Cet exemple de micro dissimulé dans une rose artifi-cielle n’est qu’un des innombrables exemples de l’in-ventivité des services, français comme étrangers, pour espionner les locaux adverses, y compris, voire surtout, les enceintes diplomatiques. Une politique de sensibi-lisation des ambassadeurs à ces menaces fut mise en place, avec, en autre, la visite d’une salle regrou-pant les plus beaux spécimens de supports des micros ennemis, dont la fameuse rose… [Nathalie Genet–Rouffiac]

[007 999 311] Ventouse d’écoute murale, période la guerre froide [1950–1960].Ministère de la Défense, diam. 12,5 cm

Les collections des services spéciaux regorgent de ces « prises de guerre » sur des services étrangers, qu’ils soient ou non les concepteurs d’origine des objets, les réutilisations, adaptations et transformations à partir de matériel étranger permettant, en autre, de brouiller les pistes sur l’origine de l’attaque. Ainsi, les Polonais qui ont littéralement « farci » de matériel d’écoutes l’ambas-sade de France à Varsovie, construite entre 1963 et 1971, ont utilisé du matériel américain, pourtant soumis à des restrictions de vente. [Nathalie Genet–Rouffiac]

Page 103: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

102

[007 70 2968 312] Sous–vêtement d’agent féminin du Bureau central de renseignements et d’action, avec poches pour faux documents [1940–1945]. Pièce unique.Ministère de la Défense, haut. 42,5 cm

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les femmes prirent une part active aux actions clandestines, répon-dant aux ordres de Churchill au Special Operations Executive (SOE), service spécial créé à l’été 1940. Astreintes au même entraînement de préparation à la clandestinité que leurs homologues masculins, elles servirent souvent d’agents de liaison avec la résis-tance intérieure, prenant parfois la tête de réseaux locaux, mais tinrent aussi les postes les plus exposés de radio ou même de saboteuse. Au total, 75 femmes de 13 nationalités différentes (dont 23 Britanniques et 30 Françaises) furent déposées ou parachutées en Europe occupée. 29 furent arrêtées et 16 exécutées. L’une d’entre elles croqua la pilule de cyanure dont elle avait été dotée et deux décédèrent en captivité.

Sous la combinaison de parachutage SOE uni-sexe, l’agent portait une tenue civile de manière à pouvoir se rendre anonyme au plus vite. Les docu-ments et les récits d’époque mentionnent des sous-vê-tements en soie portées par des agents féminins parachutés en France et dissimulant des faux papiers et des codes de chiffrement, comme le modèle pré-senté ici, seul exemplaire qui nous soit parvenu. On sait par un témoignage d’époque que Marguerite Petitjean, alias Binette, portait un caraco de ce type lorsqu’elle fut parachutée le 29 janvier 1944 sur le terrain « Ajusteur » à Saint-Uze (Drôme), afin de ser-vir comme adjoint de liaison et de sabotage à Louis Burdet, délégué militaire régional à Marseille. Sa mission se conclut en août 1944 par son retour en Angleterre via les Pyrénées. [Nathalie Genet–Rouffiac]

[007 80 313] Endoscope opérationnel pour observation genre «�trou de serrure�», fabrication ouest–allemande, 1965–1966.Ministère de la Défense, diam. 1,5 x long. 14 cm

De fabrication ouest-allemande, cet endoscope n’est pas destiné à permettre d’observer à travers les trous d’une serrure, mais d’observer la serrure elle-même afin d’en relever les caractéristiques internes, soit pour la crocheter, soit pour fabriquer une clé. Un éclairage interne améliore la qualité de l’observation et la petite taille de l’objet permettait de le transporter en toute discrétion, dans des intrusions furtives comme lors de cocktails mondains. [Nathalie Genet–Rouffiac]

Microscope miniature d’enregistrement clandestin, 1955–1969.Ministère de la Défense [314] diam. 7 cm [315] haut. 2 x long. 9 x ép. 6 cm

[007 1876 314] Montre bracelet factice abritant un micro minifon, fabrication allemande, 1955.

[007 999 315] Mini–magnétoscope à bande «�LEA�», fabrication américaine, 1969.

Cet ensemble d’enregistrement clandestin est com-posé d’une montre factice abritant un micro « Minfon » de fabrication allemande du milieu des années 1950 et d’un magnétophone américain à cassettes des années 1970, très adapté aux visites officielles, aux cocktails ou aux rendez-vous avec des sources… La miniaturisation n’était qu’à ses débuts et la discrétion du matériel d’enregistrement profita du passage de l’ère du magnétique à celle du numérique. [Nathalie Genet–Rouffiac]

[007 999 316] Récepteur de contre–mesure ou recherche MASON A–3–C pour «�dépoussiérer�» les ambassades, vers 1980.Ministère de la Défense, haut. 55 x long. 48 x prof. 25 cm

Cette valise de détection en acier brossé renferme un récepteur de contre-mesures ultra compact de marque Mason, qui a servi entre 1974 et 1985 à recher-cher les émetteurs radioélectriques installés par des services étrangers dans des locaux diplomatiques français. Il comporte un analyseur de spectre. Malgré son apparente maniabilité, l’ensemble pèse environ trente-cinq kilos. [Nathalie Genet–Rouffiac]

[317 à 321] Faux–papiers d’agents du BCRA pendant la Deuxième Guerre mondialeMinistère de la Défense

[007 1053 317] Faux–papiers�: coupons de bons de rationnement, 1943–1945.

[007 2891 318] Faux–papier fabriqué par les services de renseignement�: certificat de non–appartenance à la race juive, au nom de Jean Epstein, né le 25 mars 1897 à Varsovie, 13 avril 1944.

[007 2891 319] Passeport au nom de Charles Piedalet, avec récepissé des autorités allemandes, 1942.

Page 104: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

103

[007 2385 320] Permis de conduire au nom de Marcel Beranguier, 1930.

[007 2385 321] Permis de circulation au nom de Marcel Beranguier, 1930.

La production de faux papiers et l’utilisation d’identités fictives font partie des « fondamentaux » des actions clandestines. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les services spéciaux de la France libre à Londres (le BCRA), composés au départ de néophytes en matière de renseignement, découvrirent auprès de leurs homo- logues britanniques les méthodes et usages de la clan-destinité, permettant en particulier de jongler avec plu-sieurs identités fictives, complétées de pseudonymes. Les nouveaux agents du BCRA recevaient à leur arrivée à Londres un nom d’emprunt pour le temps de leur par- cours de formation en Angleterre, avec stricte interdic-tion de ne plus utiliser ni révéler leur véritable identité. Ces « noms de guerre » devinrent parfois plus connus que leur nom de naissance, à l’exemple du chef du BCRA, entré dans l’histoire sous le nom de colonel Passy bien plus que d’André Dewavrin. Pour leurs missions en France, ils utilisaient ensuite une ou plusieurs identités fictives, créées pour l’occasion, afin de protéger leurs familles.

Sur le terrain, pouvoir se nourrir devint vite une question cruciale, d’où l’importance des faux coupons de rationnement. Ceux-ci pouvaient être fabriqués en Angleterre et le marché noir permettait de se fournir localement, mais à partir de 1942, les effectifs à nourrir furent tels que la production en faux coupons ne pouvait suffire. La résistance dut alors compléter son activité de réalisation de faux-papier en organi-sant le vol de camions ou de locaux de stockage de tickets de rationnement. [Nathalie Genet–Rouffiac]

[007 80 322] Micro–processeurs AMD et Intel, système qui permet l’exécution des instructions d’un ordinateur, 2010.Archives nationales, long. 4 x larg. 3 cm

C’est le système qui permet l’exécution des instructions d’un ordinateur. La fonction première est le jeu d’ins-tructions qu’il est capable d’exécuter, pouvant aller de dizaines à des milliers d’instructions différentes. À sa création en 1971 par Intel, il était capable d’effectuer un peu moins d’un million d’instructions par seconde. Aujourd’hui, il en traite plus de 10 milliards. Cela a aussi révolutionné la transmission des données, le trai-tement des informations et du renseignement.

[007 855 2093 323] Proposition de loi tendant à remédier à l’usage abusif du «�secret–défense�», n° 32, annexe au procès–verbal de la séance du 15 octobre 1985Archives du Sénat, 8 p., haut. 27 x larg. 21 cm

Version de l’impression du texte de la proposition de loi déposée par le sénateur Jacques Thyraud, un mois après la révélation de l’implication directe de la DGSE dans l’affaire du Rainbow Warrior et dans un contexte où la moindre information sur le rôle des autorités politiques dans le financement de l’opération avait été refusé aux élus.

***Sans numéros – exposés sur la palier

Sacoche diplomatique [seconde moitié du XXe siècle]. La Courneuve, Archives du ministère des Affaires étrangères et européennes

Téléphone chiffré rouge MATRA, employé par l’état major de la Marine, 1988.Suresnes–Mont–Valérien, musée du 8e régiment de transmission

Ligne cryptée permettant au général De Gaulle et à Leonid Brejnev de communiquer. TAREC électronique 4B employé à l’époque par la Marine nationale, [1960–1968]. Cesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense)

Le principe du TAREC (Translation Automatique Régéné-ratrice et Chiffrante) est développé en France essen-tiellement par Sagem. Le système utilisait des bandes perforées de type téléscripteur, à 5 perforations (plus un trou d’entraînement). Il repose sur le principe de la clé à usage unique : l’émetteur et le destinataire du message à chiffrer possèdent tous deux un exem-plaire d’une même bande de chiffrement (ou bande-clé), qu’ils sont les seuls à la posséder. Cette bande contient une séquence de codes aléatoires et possède plusieurs repères repartis tout au long de celle-ci. En tête du message, l’émetteur précise en clair l’identi-fication de la bande de chiffrement et le repère de départ à prendre en compte. Pour produire ou lire la bande correspondant au message chiffré, il suffit de positionner la bande de chiffrement sur le repère indi-qué. À la fin des années 1960, la France a fourni à l’URSS une ligne de téléphone cryptée permettant au général De Gaulle et à Leonid Brejnev de communi-quer. L’URSS a payé une partie de la facture…

Page 105: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

PRÊTEURS ET CONTRIBUTEURS

L’exposition a bénéficié du soutien particulier du Service historique de la Défense, tant pour l’aide à la sélection des documents que pour la rédaction des notices. Martin Barros, Vincent Berne, Agnès Chablat–Belot, Luc Binet, Romain Choron, Bertrand Fonck, Hélène Guillot, Odile Jurbert, Benjamin Doizelet, Jean–François Dubos, Benoît Lagarde, Stéphane Launey, Pierre Laugeay (dir.), commandant Malotaux, Emmanuelle Mauret, Claude Ponnou, Frédéric Queguineur, Véronique de Touchet, Hélène Servant, Georges Housset, Mathilde Meyer–Pajou, Richard Ravalet, Valérie Reist, Michel Roucaud, Nicolas Texier, Henri ZuberArchives départementales de Maine–et–Loire Élisabeth Verry, Christian GasnierArchives de l’Assemblée nationale Hélène Saudrais, Aude JagutArchives de la préfecture de Police (Service de la Mémoire et des Affaires culturelles) Pascale Étiennette, Françoise Gicquel, Nathalie MinartArchives du Sénat Cécile Daussun, Florence RousselArchives du ministère des Affaires étrangères (La Courneuve et Nantes) Isabelle Nathan, Isabelle Rochefort, Grégoire Eldin, Bérangère Fourquaux, Luc VandenhendeAssociation des réservistes du chiffre et de la sécurité de l’information Général 2s Jean–Louis Desvignes, Jean–Marc Laloy, Hervé Lehning, Joël Hosatte, Jon Paul [The Crypto–Museum, (USA)]Bibliothèque nationale de France Bruno Racine, Charles–Éloi Vial, Claire Lesage, Geneviève Guilleminot, Jocelyn Monchamp, Ségolène Blettner, Anne Mary, Annie DupratBibliothèque de documentation internationale contemporaine – Musée d’Histoire contemporaine Magalie Gourian, Benjamin Gilles Bibliothèque municipale de Grenoble Marie–Françoise Bois–DelatteBibliothèque Sainte–Geneviève Yannick NexonBibliothèque municipale de Versailles Christophe Thomet, Pierre–Emmanuel BiotCanard enchaîné Sylviane FleurCité de la Mer, Cherbourg Virginie Brenot–Beaufrère, Pierre ContentinCité de l’Air et de l’Espace, Le Bourget Christian Tillati, Marion AlloryCollection Sussex 1944 MM Park France, Strasbourg Dominique SoulierCommissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives Odile FrossardDirection générale de la sécurité intérieure (DGSI) David Rochon, François CazorlaDirection générale de l’armement (DGA) Laurent Le Saint, Denis Lizandier, Claude RaffinÉcole biblique de Jérusalem Jean–Michel de TarragonÉtablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) Emmanuel Thomassin, Vincent Blondeau

Fondation Saint–Louis Jean–Louis Sureau, Jean–Pierre Babelon, Yvonique AlfredFondation Napoléon Victor–André Masséna, Pauline Bulot, François Houdecek, Pierre BrandaFondation Jean–Jaurès�–�Section Histoire Thierry MérelFonds privés de la famille Melnik Catherine Duhamel–MelnikFonds privé de la famille Hirsch Didier et Laurent HirschFonds privé de la famille Dewavrin Daniel Dewavrin Fonds privé Jean PlantuFotosynteza Krzysztof PruszkowskiLibération Bénédicte DumontMinistère de la Défense Nathalie Genet–RouffiacCesson–Sévigné, Musée des Transmissions – Espace Ferrié (ministère de la Défense) Valérie Caniart, Denis EscouflaireMusée du Louvre, département des Arts Graphiques Xavier Salmon, Marie–Pierre Salé, Valérie CorvinoMusée du 8e Régiment de Transmissions de Suresnes Julie Lebacq, Yvon Bouquillon, Colonel Jacques EyhartsMusée de l’Armée, Hôtel national des Invalides Thibault de Noblet, Hélène Boudou–Reuzé, Emmanuel Ranvoisy, Émilie RobbeMusée de la Résistance et de la Déportation, Besançon Marie–Claire RuetL’Adresse – Musée de La Poste, Paris Marie–Élisabeth Ballet–DadoucheMusées de Dunkerque Claude Steen–Guélen, Pauline LucasMusée national de la Renaissance d’Écouen Thierry Crépin–Leblond, Guillaume FonkenellMusée de la Monnaie de Paris Victor Hundsbuckler, Christophe Beaux, Jean–Luc Desnier

REMERCIEMENTSLes Archives nationales souhaitent remercier les personnes suivantes pour leurs contributions à l’expositionMonsieur le Premier ministre Édouard BalladurMonsieur le président du Conseil constitutionnel Jean–Louis DebréMonsieur Gilles Ménage, ancien conseiller de l’ÉlyséeMonsieur le ministre Henri NalletMonsieur le Premier ministre Michel RocardMonsieur le ministre Michel Roussin

ARCHIVES NATIONALESJosé Albertini, Pascale Bailly, Christophe Barré, Jean–Charles Bédague, Pauline Berni, David Berthout, Noé Bex, Cécile Billard, Thierry Boudignon, Violaine Challeat–Fonck, Émilie Charrier, Alexandre Cojannot, Henri Cyprien, Pascal David, Céline Deletang, Aurélien Estrade, Isabelle Foucher, Patricia Gillet, Emmanuelle Giry, Virginie Grégoire, Thierry Guilpin, Pierre Jugie, Magalie Lacousse, Régis Lapasin, Charlotte Leblanc, Anne Leblay–Konoshita, Clotilde Leforestier, Sylvie Le Goëdec, Véronique Malherbe, Catherine Mérot, Anne Mezin, Jean–François Moufflet, Sébastien Nadiras, Marie–Adélaide Nielen, Michel Ollion, Samia Otmani, Annick Pegeon, Maïa Pirat, Pascal Raimbault, Vivien Richard, Marjorie Renaut, Pascal Riviale, Cécile Robin, Anne Rousseau, Zénaide Romaneix, Roseline Salmon, Brigitte Schmauch, Sylvie Zaidman, Grégory Zeigin et Marine Zelverte.

Page 106: Livret de l'exposition Le secret de l'Etat. Surveiller ...

Krzysztof

Pruszkowski,

Le Président de

la République,

Fotosynteza*,

2015.

Graphisme in situ : [email protected]

* Fotosynteza : superposition de portraits.

Exposition

du 4 novembre 2015

au 28 février 2016

Archives nationales

Hôtel de Soubise

60 rue des Francs-Bourgeois

75003 Paris

Du lundi au vendredi

10 h – 17 h 30

Samedi et dimanche

14 h – 17 h 30

Fermée le mardi

et jours fériés

ARCHIVESNATIONALES

Livret de visiteCe livret contient la liste des documents exposés ainsi que des commentaires sur la plupart d’entre eux. Sauf indication contraire, les documents présentés dans cette exposition sont sur support papier.

Enfin, des extraits d’interviews d’hommes politiques, de professionnels du renseignement et d’historiens vous sont proposés au rez–de–chaussée de l’hôtel de Soubise.

Une version de ce livret, au format PDF, est disponible en ligne sur le site des Archives nationales�: www.archives nationales.culture.gouv.fr

À la fin de votre visite, nous vous remercions de bien vouloir rendre ce livret à la caisse.