LIVRE VERT SUR LES ACTIONS EN DOMMAGES ET INTÉRÊTS EN...

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LIVRE VERT SUR LES ACTIONS EN DOMMAGES ET INTÉRÊTS EN MATIERE DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES - RÉACTIONS DE LA CCIP - Rapport présenté par M. Gérald BARBIER au nom de la commission du commerce et des échanges et adopté à l’Assemblée générale du 6 avril 2006

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LIVRE VERT SUR LES ACTIONS EN DOMMAGES ETINTÉRÊTS EN MATIERE DE PRATIQUES

ANTICONCURRENTIELLES

- RÉACTIONS DE LA CCIP -

Rapport présenté par M. Gérald BARBIERau nom de la commission du commerce et des échanges

et adopté à l’Assemblée générale du 6 avril 2006

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- SYNTHESE DES PROPOSITIONS -

La Commission européenne soumet à consultation un Livre vert sur les sanctions

civiles des pratiques anticoncurrentielles, afin d’harmoniser les procédures des Etats

membres.

La CCIP accueille favorablement le principe d’une telle démarche, à condition que

les intérêts des entreprises soient dûment pris en compte. C’est dans cette optique,

qu’elle a souhaité faire valoir certaines observations.

1) SUR L’ACCÈS AUX PREUVES

- Ne pas introduire une procédure communautaire spécifique de divulgationdes preuves, type « discovery », le juge français étant déjà doté de moyensd’investigation permettant aux victimes d’apporter la preuve de leursallégations, dans le respect de la confidentialité et du secret des affaires ;

- Exclure la mise en place de dispositions spéciales concernant l’accès aux

documents détenus par l’autorité de concurrence, nationale ou communautaire,

chaque demande de production de preuves devant être appréciée au cas par cas

par le juge, conformément au principe du contradictoire ;

- Instaurer une présomption selon laquelle les infractions constatées, demanière définitive, par les autorités de concurrence sont réputées établiesdevant le juge civil ;

- Éviter toute inversion de la charge de la preuve qui doit continuer à reposer sur le

demandeur.

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2) SUR LES DOMMAGES ET INTÉRÊTS

- Écarter l’allocation de dommages et intérêts doubles, système punitif, dansles affaires d’ententes horizontales, la victime n’ayant pas à recevoir uneindemnisation supérieure au préjudice réellement subi ;

- Encadrer davantage l’action privée entre entreprises, afin de ne pas l’ouvrir à des

concurrents motivés par l’affaiblissement de la firme en cause plutôt que par la

réparation d’un préjudice ; les pratiques visées portant d’abord atteinte à l’ordre

public économique avant d’affecter les intérêts privés ;

- Créer un système d’alerte – via une base de données informatique –permettant aux tribunaux compétents de traiter en priorité les dossiersd’indemnisation issus de décision rendues par le Conseil de la concurrenceou la Commission européenne ;

- Mettre en place, comme le propose la Commission, des lignes directrices pour la

détermination des montants des dommages et intérêts, les juges disposeraient

ainsi d’une vision d’ensemble sur des cas similaires au sein de l’Union.

3) SUR LE MOYEN DE DÉFENSE RELATIF À LA RÉPARTITION DES SURCOÛTS, « PASSING ON

DEFENCE »

- Introduire ce nouveau moyen de défense qui permet à l’entreprise incriminée de

démontrer que le préjudice allégué est d’un faible montant, sachant qu’il est

essentiel de faire la différence entre le préjudice porté à l’intérêt public

économique et celui subi par chaque concurrent, client au consommateur.

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4) SUR LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS DES CONSOMMATEURS

- Ne pas introduire d’une manière générale et donc en droit de laconcurrence, toute action collective, type « class action », pour la défensedes intérêts des consommateurs. La CCIP s’y oppose fermement, car unetelle action judiciariserait encore davantage la vie économique et livreraitles entreprises à tous les excès ;

- Privilégier les modes alternatifs de règlement des litiges de la consommation, qui

se sont très positivement développés ces dernières années.

5) SUR LE COÛT DES ACTIONS

- Ne pas édicter de règles spéciales communautaires faisant peser sur le requérant

l’obligation d’indemniser le défendeur en cas d’action manifestement

déraisonnable, les frais de défense étant déjà appréciés équitablement par les

tribunaux.

6) SUR LA COORDINATION DES ACTIONS ENGAGÉES PAR LES AUTORITÉS DE

CONCURRENCE ET LES ACTIONS PRIVÉES

- Diligenter, à l’initiative de la Commission, une étude quant à l’incidence des

demandes d’indemnisation sur le fonctionnement des programmes de clémence ;

- Préserver la confidentialité des demandes de clémence ;- Veiller à ce que l’articulation des deux procédures n’affecte pas l’efficacité

des programmes de clémence, la multiplication des actions privées faisant

peser le risque d’augmenter les demandes d’information de la part des juges au

Conseil de la concurrence, au risque de détourner celui-ci de sa mission

première.

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- SOMMAIRE -

I. SUR L’ACCES AUX PREUVES.................................................................................... 9

II. SUR LES DOMMAGES ET INTERÊTS .................................................................... 12

III. SUR LE MOYEN DE DEFENSE PORTANT SUR LA REPERCUSSION

DES SURCOÛTS ........................................................................................................... 16

IV. SUR LA DEFENSE DES INTERÊTS DES CONSOMMATEURS.......................... 17

V. SUR LE COÛT DES ACTIONS................................................................................... 20

VI. SUR LA COORDINATION DE L’APPLICAITON DU DROIT PAR

LA SPHERE PUBLIQUE ET PAR LA SPHERE PRIVEE ...................................... 21

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La Commission européenne vient de publier un Livre vert sur les actions en

dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et

les abus de position dominante1, ce document est le support d’une consultation

publique ouverte jusqu’au 21 avril 2006 qui invite tous les acteurs concernés à se

prononcer.

Partant du constat que les victimes de pratiques anticoncurrentielles demandent

rarement réparation et que les demandes d’indemnisation ne sont pas traitées

efficacement au sein des vingt cinq Etats membres, le Livre vert recense les

obstacles mettant un frein à ces actions privées et propose un certain nombre de

pistes de réflexion et d’action pouvant résoudre les difficultés juridiques actuelles.

L’objectif est, d’une part, de permettre aux consommateurs et aux entreprises

victimes d’obtenir plus facilement réparation à la suite d’un comportement

anticoncurrentiel, d’autre part, de garantir « la pleine efficacité des dispositions du

traité relatives aux ententes en dissuadant les comportements anticoncurrentiels ».

Dans le prolongement de la jurisprudence de la CJCE2 aux termes de laquelle les

victimes d’une violation des articles 81 et 82 CE doivent pouvoir réclamer une

indemnisation, la Commission relève qu’en l’absence de règles communautaires sur

le traitement de telles demandes, il revient aux systèmes juridiques des Etats

membres d’élaborer des règles détaillées pour l’introduction d’actions en dommages

et intérêts. Les tribunaux communautaires n’étant pas habilités à se prononcer dans

ce domaine, ce type de contentieux est principalement introduit devant les

juridictions nationales. Or, force est de constater que les actions en justice des

victimes des pratiques anticoncurrentielles n’ont pas été développées de manière

homogène au sein des Etats de l’Union.

1 Livre vert, 19 déc. 2005, COM (2005) 672 final.2 CJCE, 20 septembre 2001, Courage c/ Crehan, aff. C. 453/99, Rec. P.I-6297.

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Dans son document de consultation, la Commission propose, pour chaque difficulté

identifiée, une à cinq options selon les cas. Elle aborde ainsi différentes questions

relevant de l’accès aux preuves, de la définition des dommages et intérêts, de la

défense des intérêts des consommateurs, du coût des actions… C’est pourquoi, à

partir des observations qu’elle recueillera, la Commission décidera s’il est nécessaire

d’adopter des mesures au niveau communautaire pour améliorer les conditions

d’introduction des demandes d’indemnisation.

Si la Chambre de commerce et d’industrie de Paris accueille favorablement le

principe d’une démarche de la Commission qui tend à améliorer les conditions de la

réparation pour infraction au droit communautaire de la concurrence, c’est à

conditions que les intérêts des entreprises sont dûment pris en compte.

Dans cette optique, elle souhaite faire part de ses observations sur les pistes de

réforme proposées, ainsi que sur les modalités de leur mise en œuvre, en répondant

aux questions principales du Livre vert.

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I. SUR L’ACCES AUX PREUVES

1) Question duLivre vert :

Devrait-il y avoir des règles spécifiques sur la divulgationdes preuves documentaires dans les actions civiles endommages et intérêts engagées au titre des articles 81 et 82du traité CE ? Dans l'affirmative, sous quelle forme cettedivulgation devrait-elle se faire ?

a) Livre vert

Parmi les principaux obstacles recensés, la Commission relève qu’il existe de

nombreuses difficultés pour les victimes d’avoir accès aux preuves de la pratique

anticoncurrentielle, et notamment aux documents détenus par une autorité de

concurrence. Ainsi, la Commission envisage la possibilité de mettre en place une

sorte de procédure de « discovery3 » telle que la connaissent les Etats-Unis, mais

sous une forme atténuée, ne serait-ce que parce que l’obligation de communication

porterait sur l’ensemble des documents qui ont été communiqués à l’autorité de la

concurrence, à l’exception des demandes de clémence.

b) Réactions de la CCIP

En France, le droit commun offre déjà un certain nombre de moyens aux victimes de

pratiques anticoncurrentielles, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers, pour

apporter la preuve de leurs prétentions. La partie demanderesse peut ainsi solliciter

le juge pour qu’il enjoigne le défendeur d’établir ses prétentions. L’article 10 du

Nouveau Code de procédure civile précise ainsi que « Le juge a le pouvoir

d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles ». En

outre, l’article 11 énonce que « Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux

mesures d’instruction, sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou

d’un refus ».

3 Aux Etats-Unis, les règles de la « discovery » imposent aux parties la communication préalable de toutes les

pièces liées au litige, alors qu’en France seul le juge peut imposer la production de documents. Cetteprocédure existe aussi en Grande-Bretagne sous le terme « disclosure ».

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Certes, les difficultés d’administration de la preuve sont d’intensité variable selon la

nature des éléments exigés, certains sont détenus par le demandeur à l’action

(contrats, correspondances…), d’autres dépendent des tiers ou de l’entreprise

défenderesse (bilans, comptes rendus de réunions internes…) mais, en tout état de

cause, le juge a toujours la possibilité d’ordonner la production de catégories de

document sous astreinte. C’est pourquoi la CCIP est hostile à la mise en place derègles spécifiques relatives à la divulgation de preuves documentaires dansles actions civiles en dommages et intérêts. Si la recherche de preuves est unélément fondamental dans l’établissement de la faute comme du préjudice, ilne saurait être question de transposer les mécanismes de la « common law »,et plus précisément la procédure de « discovery », dans notre systèmejuridique. Les entreprises doivent pouvoir bénéficier d’un maximum de garde-fous dans le respect de la protection de la confidentialité et du secret desaffaires.

2) Question duLivre vert :

Des dispositions spéciales sur l'accès aux documentsdétenus par une autorité de la concurrence peuvent-ellesfavoriser les demandes d'indemnisation introduites pourinfraction au droit des ententes? Comment cet accèspourrait-il être organisé ?

Réactions de la CCIP

On rappellera que seul le juge apprécie ce qui est nécessaire à l’instruction, les

pièces qu’il ne considère pas confidentielles pouvant alors être transmises à l’autre

partie. Chaque demande de production de preuves devant être appréciée au cas par

cas, il appartient donc au juge de faire le tri pour n’autoriser la communication et le

versement au contradictoire que de ce qui est strictement indispensable à la

manifestation de la vérité. En conséquence, notre Compagnie insiste sur le faitque ce pouvoir d’appréciation ne peut en aucun cas relever du détenteur de

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l’information, quand bien même ce détenteur serait l’administration ou encorela Commission4.

4 « L’établissement des pratiques anticoncurrentielles lors du procès civil », Jean-Louis Lesquins, LPA,

20 janvier 2005.

3) Question duLivre vert :

La charge de prouver l'infraction aux règles sur les ententesimposée au requérant dans les actions en dommages etintérêts devrait-elle être allégée et, dans l'affirmative,comment ?

a) Livre vert

La Commission s’interroge sur l’utilité de rendre contraignantes les décisions des

autorités de la concurrence des Etats membres constatant des infractions, c’est-à-

dire que les solutions dégagées par elles et constatant des infractions aux articles 81

et 82 s’imposeraient aux juridictions civiles. Elle s’interroge, par ailleurs, sur l’utilité

qu’il pourrait y avoir à inverser la charge de la preuve lorsque de telles décisions

existent.

b) Réactions de la CCIP

Notre Compagnie approuve l’instauration d’une présomption selon laquelle lesinfractions constatées, de manière définitive, par les autorités de concurrencesont présumées établies devant le juge civil. Elle s’oppose, en revanche,également à toute inversion de la charge de la preuve : il est en effet primordialque celle-ci repose sur le demandeur, et ce, afin de conserver toute sa valeurau principe du contradictoire.

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II. SUR LES DOMMAGES ET INTERÊTS

1) Question duLivre vert :

Comment définir les dommages et intérêts ? Quelle méthodedevrait-on utiliser pour calculer le montant des dommageset intérêts ?

a) Sur la définition des dommages et intérêts

Livre vert

La Commission s’interroge sur le point de savoir quelle pourrait être la meilleure

méthode pour allouer des dommages et intérêts et, notamment, s’il faudrait aller

au-delà de la stricte réparation pour envisager l’attribution de dommages doubles5,

mais seulement dans le cadre d’infractions caractérisées que sont les ententes

horizontales.

Réactions de la CCIP

Notre Compagnie s’oppose à l’allocation de dommages et intérêts doublesdans les affaires d’ententes horizontales. Il s’agit là d’une option assimilable àun système punitif qui présente de nombreux dangers pour le système deresponsabilité civile en transformant la réparation en un instrument deprévention et de répression des pratiques anticoncurrentielles.

Ce type de réforme reviendrait à accorder à la victime une indemnitésupérieure au préjudice réellement subi en autorisant l’enrichissement sanscause6. Or, on rappellera que si l’arrêt Courage, sur lequel la Commission s’appuie

dans le Livre vert, a précisé que « la possibilité de demander réparation du

5 Option 16 du Livre vert.6 Robert Saint-Esteben, « Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs », LPA, 20 janvier 2005.

13

dommage causé (…) » contribue à la pleine efficacité des articles 81 et 82, elle a

également observé que « les juridictions nationales sont en droit de veiller à ce que

la protection des droits garantis par l’ordre juridique communautaire n’entraîne pas

un enrichissement sans cause des ayants-droit ».

Par ailleurs, il est très probable que ce type de sanction fausse7 lecomportement des opérateurs, la crainte de procès intentés par desconcurrents ou des clients risquant de « lisser les comportementsconcurrentiels »8. Une telle option dénaturerait les principes fondamentaux denotre responsabilité civile en la faisant ainsi basculer dans une logique desanction, plutôt que dans une logique de réparation du préjudice.

En outre, le Livre vert se distancie notablement de l’article 24 de la Proposition de

règlement « Rome II »9 qui pose le principe selon lequel l’application d’une

disposition de la loi conduisant à l’allocation de dommages et intérêts non

compensatoires, tels que les dommages et intérêts punitifs, multiples ou exemplaires

est contraire à l’ordre public communautaire. Cette évolution du droit proposée par le

Livre vert présente donc une certaine contradiction au niveau européen en

abandonnant le principe de la réparation intégrale.

En droit français, les infractions au droit des ententes et des abus de position

dominante donnent lieu à des sanctions pécuniaires administratives éventuellement

cumulées à des sanctions pénales, système dont on peut dire qu’il est d’ores et déjà

suffisamment répressif. Qui plus est, ces dernières années ont été marquées par des

réformes législatives dont l’un des objectifs fut de relever sensiblement le plafond

des sanctions pécuniaires de 5 à 10% du chiffre d’affaires mondial, et ce, afin de

renforcer leur caractère dissuasif10. Le Conseil de la concurrence n’a pas hésité,

le 1er décembre dernier, à sanctionner les opérateurs de telecom en les condamnant

à des amendes record de 534 millions d’euros pour ententes11. De son côté, la

7 Point 29 du Livre vert.8 « Politique et pratique du droit de la concurrence en France », Dominique Brault, LGDJ, 2004.9 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations

non-contractuelles (« Rome II »), COM (2003) 427 final.10 Article L. 464-2 (Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001).11 Décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie

mobile.

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Commission a démontré qu’elle n’hésite plus à être particulièrement sévère envers

les infractions les plus graves, il suffit de se référer à l’amende elle aussi record de

497 millions d’euros infligée à Microsoft en 2004.

S’il est effectivement primordial de pallier le très faible nombre d’actions enresponsabilité civile engagées contre les auteurs de pratiquesanticoncurrentielles, notre Compagnie estime néanmoins que ces pratiquesportent d’abord atteinte à l’ordre public économique avant d’affecter lesintérêts privés et doivent relever en priorité des autorités habilitées àprononcer des sanctions administratives et, le cas échéant, pénales. C’estpourquoi il convient d’être particulièrement vigilant devant les suites donnéesà l’action privée, notamment en veillant à ce que, par une plus grandeouverture de celle-ci, la procédure ne puisse être détournée par desconcurrents davantage motivés par l’affaiblissement de l’entreprise en causeque par la juste réparation de leur préjudice. Un autre risque existe, celuid’inciter les entreprises poursuivies à mettre fin à une poursuite par le biais dela transaction privée les conduisant à accepter des montants transactionnelssans rapport avec les préjudices invoqués.

En effet, si l’efficacité des procédures civiles doit naturellement êtrerecherchée, il ne faudrait pas qu’en renforçant l’action privée, celle-ci vienneaffecter la mission de l’autorité publique, en France, celle du Conseil de laconcurrence. Par ailleurs, cela pourrait dissuader les entreprises de révélerl’entente à laquelle elles ont pris part, et donc, de recourir aux programmes declémence affectant, par là même, l’attractivité de ces derniers.

La CCIP considère qu’il serait préférable d’accorder la priorité aux voies dedroit permettant d’accéder à une justice rapide. La vie des affaires étant à larecherche de procédures adaptées à ses contingences économiques, ilpourrait être utilement mis en place un système d’alerte où les tribunauxcompétents traiteraient en priorité les dossiers d’indemnisation lorsqu’ils sont

15

issus des décisions rendues par le Conseil de la concurrence (et la Courd’appel de Paris) ou la Commission européenne12.

Ce système pourrait reposer sur la création d’une base de donnéesinformatique alimentée par les autorités de concurrence nationales etcommunautaires, dès lors qu’elles ont prononcé une amende, et qui pourraitêtre consultée par les tribunaux nationaux lorsqu’ils reçoivent une demanded’indemnisation.

En tout état de cause, s’agissant des tribunaux français, des progrès significatifs

devraient être observés prochainement, le décret du 30 novembre 200513 ayant fixé

la liste et le ressort des juridictions spécialisées en matière de concurrence, celui-ci

réserve la connaissance des litiges relatifs à l’application du droit des pratiques

anticoncurrentielles à un nombre restreint de juridictions de première instance. La

spécialisation des magistrats et le développement de la culture de concurrence aux

spécificités de ce droit bénéficieront, à n’en pas douter, aux entreprises dans la

résolution de leurs litiges.

b) Sur la méthode de calcul des dommages et intérêts

Dans le cadre des différentes options relatives à cette question, la Commission

propose de permettre au tribunal national compétent de déterminer le montant des

dommages et intérêts sur la base d’une approche équitable14. Cette propositionreçoit pleinement l’aval de la CCIP dès lors que le juge détient la preuve del’infraction apportée.

S’agissant de l’option relative à l’élaboration de lignes directrices portant sur la

détermination du montant des dommages et intérêts15, la CCIP accueille

12 Précité LPA 20 janvier 2005.13 Décret n° 2005-1756 du 30 novembre 2005 fixant la liste des juridictions spécialisées en matière de

concurrence, de propriété industrielle et de difficultés des entreprises. Il s’agit de huit tribunaux de grandeinstance et de huit tribunaux de commerce (Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris etRennes).

14 Option 18 du Livre vert.15 Option 19 du Livre vert.

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favorablement cette proposition qui présente un grand intérêt pour les juridictions

nationales. De telles lignes directrices offriraient l’avantage de synthétiserl’ensemble des jurisprudences des Etats membres et aideraient les juges àdisposer d’une vision d’ensemble à propos de cas similaires traités par leurshomologues.

III. SUR LE MOYEN DE DEFENSE PORTANT SUR LA REPERCUSSIONDES SURCOÛTS

Question duLivre vert :

Devrait-il y avoir des règles sur l'admissibilité et lefonctionnement du moyen de défense relatif à larépercussion des surcoûts? Dans l'affirmative, quelledevrait être la forme de ces règles ? L'acheteur indirectdevrait-il avoir qualité pour agir ?

a) Livre vert

Le Livre vert consacre ici une réflexion sur le point de savoir s’il est opportun

d’introduire le moyen de défense permettant à l’auteur de pratiques

anticoncurrentielles d’opposer aux victimes directes le fait que celles-ci ont répercuté

le dommage subi par l’augmentation des coûts sur leurs propres clients, technique

plus communément appelée répercussion des surcoûts ou « passing on defence ».

C’est ainsi le cas lorsqu’une entreprise qui effectue un achat auprès d'un fournisseur

dont le comportement est contraire au droit de la concurrence répercute elle-même

sur ses propres clients une partie ou l’intégralité du surprix imposé artificiellement.

La Commission envisage de façon ouverte les solutions concevables, allant de

l'admission du « passing on defence » à son rejet, tout en proposant d’autres

solutions, telle celle consistant, dans un premier temps, à exclure le recours au

moyen de défense relatif à la répercussion des surcoûts, de sorte que l'auteur de

l'infraction peut être poursuivi par n'importe quelle victime, mais, dans un second

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temps, à répartir le surcoût sur l'ensemble des victimes de la pratique qui ont

supporté un prix supra-concurrentiel, ce qui permettrait de ne pas aller au-delà de la

stricte indemnisation des préjudices directs et indirects subis.

b) Réactions de la CCIP

La CCIP n’est pas hostile à l’introduction de ce dernier moyen de défense dans la

mesure où elle estime que tout système de dommages et intérêts punitifs doit être

exclu. En cas de litige, la référence aux surcoûts permet au défendeur dedémontrer que le préjudice en cause est nécessairement d’un faible montant etincitera le juge à atténuer le montant de la réparation. Il est, en effet, trèsimportant de faire la différence entre le préjudice porté à la collectivité et lepréjudice individuel subi par chaque concurrent, client ou consommateur quien demandent la réparation.

IV. SUR LA DEFENSE DES INTERÊTS DES CONSOMMATEURS

Question duLivre vert :

Devrait-il y avoir des procédures spéciales pourl'introduction d'actions collectives et la protection desintérêts des consommateurs? Dans l'affirmative, commentces procédures pourraient-elles être conçues ?

Réactions de la CCIP

En l’état actuel du droit, les consommateurs français disposent de l’arsenal juridique

le plus complet en Europe pour faire face aux comportements dommageables ou

abusifs de professionnels. Les associations de consommateurs disposent déjà

d’actions spécifiques visant à obtenir réparation de préjudices collectifs ou individuels

ou visant à faire cesser des agissements illicites : qu’il s’agisse de l’action des

associations devant les tribunaux pour les faits portant un préjudice direct ou indirect

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à l’intérêt collectif des consommateurs16 ; l’action devant la juridiction civile ou la

juridiction répressive pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite ou obtenir

la suppression d’une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat17 ;

l’action « en représentation conjointe » pour obtenir au nom de plusieurs

consommateurs, personnes physiques, identifiés, la réparation de préjudices

individuels, causés par le fait d’un même professionnel18.

En conséquence, la CCIP estime qu’il n’est pas concevable de transformer lespersonnes privées et les entreprises en auxiliaires de la répression enintroduisant une action de groupe, type « class action », sachant qu’une telleaction risque d’entraîner une judiciarisation excessive. Par ailleurs, ces actionsde groupe contribueraient à engorger davantage les tribunaux qui ne sont pasà même de traiter ces procédures : expertises, gestion des preuves, incidentsde procédure.

L’objectif principal des actions de groupe ou « class actions » n’est pas tantd’indemniser des personnes lésées, mais de constituer un moyen de pressionauquel on confie la fonction normative ou prophylactique d’influencer lescomportements, avec le risque que l’action privée se substitue ainsi à l’actionpublique.

Le droit positif français, et notamment ses principes judiciaires sontparfaitement adaptés et très protecteurs des justiciables : ils s’opposent àl’instauration d’un système d’opt out, c’est-à-dire un recours formé au nomd’un groupe indéfini de personnes, sans mandat de justice.

Ainsi, le principe d’un recours collectif intenté par un « représentant » prétendant agir

au nom d’un groupe anonyme d’individus ne peut en aucun cas être approuvé, d’une

part, pour ne pas déresponsabiliser les consommateurs qui doivent rester

maîtres de leurs choix, conserver la liberté de conduire personnellement la défense

de leurs intérêts et, d’autre part, pour ne pas les « instrumentaliser » en utilisant le

16 Article L. 421-1 du Code de la consommation.17 Articles L. 421-6 et L. 421-2 du Code de la consommation.18 Article L. 422-1 du Code de la consommation.

19

biais de la réparation de leurs préjudices pour servir d’autres finalités, en particulier,

d’ordre punitif.

Dès lors, l’exigence d’un système de mandat exprès est incontournable. Leprincipe d’une décision sur la recevabilité et/ou sur le fond qui lieraitl’ensemble des consommateurs concernés, sauf ceux qui manifesteraient leurvolonté de s’en exclure (l’opt out), n’est pas acceptable. En outre, on ne peutécarter le risque que ce système puisse être détourné par des concurrents malintentionnés. Enfin, la constitutionnalité de ce système est contestée par laplupart des juristes, de même que sa compatibilité avec les règles du droiteuropéen.

En tout état de cause, la CCIP rappelle qu’aucune initiative ne doit être prise audétriment des modes alternatifs de règlement des litiges de la consommationqui se sont très positivement développés ces dernières années et quiconstituent la réponse qu’attendent les consommateurs en termes de rapidité,d’efficacité et de faible coût. Il faut rappeler que le coût d’une judiciarisationaccrue des litiges entre professionnels et consommateurs est nécessairementrépercuté sur les prix des produits et des services19.

Pour toutes ces raisons, la CCIP estime qu’il faut poursuivre dans la voie dudéveloppement du règlement amiable des litiges. C’est, au demeurant,l’orientation donnée par la Commission européenne dès les recommandationsdu 30 mars 1998 et du 4 avril 2001.

19 Contribution de l’AFEP, de la CCIP et du MEDEF aux travaux du groupe de travail sur les recours collectifs de

la consommation, 14 décembre 2005.

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V. SUR LE COÛT DES ACTIONS

Question duLivre vert :

Faudrait-il introduire des règles spéciales pour réduire lerisque financier pour le requérant ? Dans l'affirmative, queltype de règles ?

a) Livre vert

Le Livre vert propose d’établir une règle prévoyant que le requérant débouté ne

devra payer les frais que s’il a agi d’une façon manifestement déraisonnable en

introduisant l’action. Autre solution envisagée : donner au tribunal la possibilité

discrétionnaire d’ordonner, au début d’un procès, que le requérant ne sera pas

soumis à une récupération des frais, même s’il était débouté.

b) Réactions de la CCIP

La CCIP estime qu’il n’est pas nécessaire de mettre en place de nouvelles règles

faisant peser sur le requérant l’obligation d’indemniser le défendeur dans le cas

d’une action manifestement déraisonnable, les frais de défense étant appréciés de

manière équitable par les tribunaux20.

20 Articles 696 et 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

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VI. SUR LA COORDINATION DE L’APPLICAITON DU DROIT PAR LASPHERE PUBLIQUE ET PAR LA SPHERE PRIVEE

Question duLivre vert :

Comment coordonner de façon optimale l'application dudroit par les pouvoirs publics et l'introduction d'actions pardes particuliers ?

a) Livre vert

La Commission aborde la question de l’interaction entre les actions privées et les

programmes de clémence. Elle propose différentes solutions : la première

consisterait à exclure toute divulgation des demandes de clémence, afin de protéger

la confidentialité des communications faites par le demandeur à l’autorité de la

concurrence dans le cadre de sa demande ; la deuxième prévoirait l’octroi d’une

remise conditionnelle sur toute demande d’indemnisation pour l’entreprise ayant

bénéficié de la clémence ; enfin, la troisième viserait à supprimer la responsabilité

conjointe pour l’entreprise qui demande à bénéficier de la clémence, ce qui limiterait

son exposition aux demandes d’indemnisation.

b) Réactions de la CCIP

Avant d’adopter une décision définitive, il serait bon que la Commission diligente une

étude chargée d’évaluer l’incidence des demandes d’indemnisation sur le

fonctionnement des programmes de clémence.

Les demandes de clémence étant confidentielles, la CCIP soutient laproposition visant à exclure toute divulgation de celles-ci, afin de protéger laconfidentialité des communications faites par le demandeur à l’autorité deconcurrence dans le cadre de sa demande, ce qui est de nature à renforcer lasécurité juridique.

22

Quant aux deux autres solutions proposées par la Commission, la CCIP s’interroge

sur l’opportunité d’y recourir dans la mesure où elles auraient pour conséquence

d’encourager à l’excès la dénonciation des cartels.

Mais la légitime protection des programmes de clémence ne doit pas aboutir à priver

les victimes d’une infraction du droit de solliciter l’indemnisation de leur préjudice

devant les juridictions civiles au motif que l’entreprise auteur de l’infraction aurait

sollicité et obtenu la clémence21.

Il n’en reste pas moins qu’il importe de trouver une efficace articulation entreles deux procédures de sorte que la réparation du préjudice n’affecte pasl’efficacité des programmes de clémence. Il est enfin à craindre que lamultiplication des actions privées devant les juridictions n’entraîne uneinflation des demandes d’information de la part des juges aux autorités deconcurrence et, notamment, du Conseil de la concurrence en France, avec unrisque non négligeable qu’il lui faille consacrer de plus en plus de ressources àrépondre à ces demandes d’information. Pourrait ainsi en être affectée sacapacité à traiter et à poursuivre les pratiques anticoncurrentielles, et partant,de le détourner de sa mission première.

21 Options 29 et 30 du Livre vert.