livre et lire n°265 - octobre 2011

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La quête Au départ, il y a la quête. De soi, d’abord. Du comment, du pourquoi j’ai mal quand on me touche là et je me sens si bien lorsqu’on me caresse ici. Et qu’est- ce qui m’attire, ailleurs, que je ne trouve pas ici ? Et tous ces gens qui ne me com- prennent pas, que je ne parviens pas à comprendre. Et personne à qui le dire… Écrire ! Pour s’expliquer, se parler, sur du papier, d’accord, mais c’est toujours ça, toujours mieux que le silence, l’abîme qui nous menace. Le papier, alors, est un miroir où se reflète, mot à mot, une identité nouvelle, inédite, ignorée de tous et de nous-mêmes. Écrire! Pour s’explorer, s’inventorier, carto- graphier ce monde complexe et fascinant où l’on s’aventure à tâtons. Et puis, vient la quête des autres à travers soi. Ceux-là que l’on ne connaît pas, dont les actes, les attitudes, dictés par des règles incompré- hensibles, nous déroutent. Impossible de confier son malaise à ces autres qui en sont la cause. Écrire ! Pour justifier sa singularité, se mesu- rer à tout ce qui n’est pas nous, étranger, dangereux. Le papier se mue en laboratoire où la plume dissèque, analyse les caractères d’une huma- nité obscure, possiblement hostile. Écrire ! Pour se positionner sur le terrain, s’étalonner, se définir comme individu au sein de la masse anonyme. Alors, débute la quête de soi à travers les autres. Cette multitude d’aujourd’hui, d’hier et de demain, puisant à l’intarissable réservoir commun les mêmes émotions, les mêmes sentiments, quelques poignées, pas davan- tage, capables d’alimenter des milliards d’existences et de destins. Écrire ! Pour traquer dans la pénombre de toutes ces vies les miettes de vérité qui nous font défaut, pour s’éclairer, un peu, à la fra- gile lumière de tous ces moi possibles. Le papier se métamorphose en un fabuleux champ de fouilles où se révèle, ligne après ligne, un fragment de notre identité, une par- celle de ce qui nous fait Homme, si semblable et si différent. Écrire… Écrire… Reste la quête ! Lionel Salaün n°265 - octobre 2011 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Les 17 et 18 octobre, l’ENSSIB organise la première Biennale du numérique autour des usages et des enjeux de la médiation numérique. Acteurs de la docu- mentation numérique, les bibliothécaires se positionnent ainsi au cœur du débat sur l’édition numérique, la médiation et ses pratiques innovantes. Un prix de l’innova- tion numérique en bibliothèque sera également remis lors de ces journées. http://biennale-du-numérique.enssib.fr > www.arald.org Suite de la rentrée littéraire des auteurs de Rhône-Alpes : Robert Alexis, Alexis Jenni, François Beaune, Éric Villeneuve, Ananda Devi, Lorette Nobécourt, Éric Sommier (lire p. 2 à 6). les écrivains à leur place Pour les auteurs Quelles activités (ne) donnent (pas) lieu à une rémunération en droits d’auteur? Quelle rémunération pour quelles activités paralittéraires?…, ce sont quelques-unes des questions qui seront soulevées le 7 octobre lors de l’après-midi d’information sur les reve- nus des auteurs organisée par l’Arald à la Villa Gillet, à Lyon (à partir de 14h). La nouvelle circulaire du 16 février 2011 sur les revenus principaux et accessoires des auteurs, qui élargit notamment le champ des activités principales donnant lieu à des reve- nus en droits d’auteur – en y incluant les lectures publiques, les bourses de création et, sous certaines conditions, les présentations d’œuvres et les rési- dences d’écriture –, oblige les auteurs et les porteurs de projets à être au fait de ces nouveaux dispositifs légaux. L’occasion leur est donnée d’interro- ger Geoffroy Pelletier, directeur de la SGDL, Thierry Dumas, directeur de l’Agessa, et Emmanuel de Rengervé, délégué général du SNAC. À ne pas manquer. L. B. rentrée littéraire/p.2-3 Robert Alexis, l’insaisissable Un nouveau roman, Mammon (José Corti), et un entretien accordé à Livre & Lire par cet écrivain qui se méfie des conversations et se dépeint en loup solitaire… manifestation/p.9 Saint-Étienne pour les pros ! 26 e édition de la Fête du livre de Saint-Étienne, la volonté de réconcilier lecteurs amateurs et professionnels du livre, et une journée professionnelle qui remet le travail d’écriture au cœur des réflexions. rousseau 2012 /p.11-12 Comment Jean-Jacques est devenu Rousseau Prémices de Rousseau 2012, où l’on célèbrera le tricentenaire de la naissance de l’écrivain, philosophe, botaniste…, un essai sur la jeunesse de Jean-Jacques signé Claude Mazauric, et un extrait inédit du livre de Lionel Bourg, à paraître à La Fosse aux ours. !!!!!!!!!!!! Regards sur les Alpes Cent livres ont été choi- sis par la bibliothèque de Grenoble, en collabo- ration avec Ex Libris Dauphiné pour explorer quatre siècles de littérature autour de ces « monts sublimes ». Sélectionnés par Jacques Perret, collectionneur biblio- graphe, ces ouvrages rares et précieux évoquent les sommets de 1515 à 1908. Du 15 septembre au 10 décembre www.bm-grenoble.fr Octobre est officiellement un mois de salons ! Soutenus par la Région, les éditeurs de Rhône-Alpes seront nombreux à se déplacer un peu partout en France et à l’étranger : cinq d’entre eux participeront notam- ment à la Foire internationale du livre de Francfort (12-16) sur le stand de l’Arald: les Éditions Stéphane Bachès, Balivernes Édi- tions, Critères Éditions, Lieux Dits et les PUG. D’autres iront au Festival international de géogra- phie de Saint-Dié-des-Vosges (6-9), aux Rendez-vous de l’Histoire à Blois (13-16), et pas moins de seize éditeurs se rendront à l’Espace des Blancs-Manteaux, à Paris, pour le 21 e Salon de la revue, du 14 au 16 octobre (programme sur www.entrevues.org). rendez-vous Ubiquité

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L'Arald publie chaque début de mois "livre&lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-hebdo et Livres de France publiées par le Cercle de la Librairie

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La quêteAu départ, il y a la quête. De soi, d’abord. Du comment, du pourquoi j’ai malquand on me touche là et je me sens sibien lorsqu’on me caresse ici. Et qu’est-ce qui m’attire, ailleurs, que je ne trouvepas ici ? Et tous ces gens qui ne me com-prennent pas, que je ne parviens pas àcomprendre. Et personne à qui le dire… Écrire ! Pour s’expliquer, se parler, sur dupapier, d’accord, mais c’est toujours ça,toujours mieux que le silence, l’abîmequi nous menace.

Le papier, alors, est un miroir où se reflète,mot à mot, une identité nouvelle, inédite,ignorée de tous et de nous-mêmes. Écrire ! Pour s’explorer, s’inventorier, carto-graphier ce monde complexe et fascinant où l’on s’aventure à tâtons.Et puis, vient la quête des autres à travers soi. Ceux-là que l’on ne connaît pas, dont les actes,les attitudes, dictés par des règles incompré-hensibles, nous déroutent. Impossible deconfier son malaise à ces autres qui en sontla cause. Écrire ! Pour justifier sa singularité, se mesu-rer à tout ce qui n’est pas nous, étranger,dangereux. Le papier se mue en laboratoire où la plumedissèque, analyse les caractères d’une huma-nité obscure, possiblement hostile. Écrire ! Pour se positionner sur le terrain,s’étalonner, se définir comme individu ausein de la masse anonyme.Alors, débute la quête de soi à travers les autres. Cette multitude d’aujourd’hui, d’hier et dedemain, puisant à l’intarissable réservoircommun les mêmes émotions, les mêmessentiments, quelques poignées, pas davan-tage, capables d’alimenter des milliardsd’existences et de destins. Écrire ! Pour traquer dans la pénombre detoutes ces vies les miettes de vérité qui nousfont défaut, pour s’éclairer, un peu, à la fra-gile lumière de tous ces moi possibles. Le papier se métamorphose en un fabuleuxchamp de fouilles où se révèle, ligne aprèsligne, un fragment de notre identité, une par-celle de ce qui nous fait Homme, si semblableet si différent. Écrire… Écrire… Reste la quête !

Lionel Salaün

n°265 - octobre 2011le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Les 17 et 18 octobre, l’ENSSIB organisela première Biennale du numériqueautour des usages et des enjeux de lamédiation numérique. Acteurs de la docu-mentation numérique, les bibliothécairesse positionnent ainsi au cœur du débat surl’édition numérique, la médiation et sespratiques innovantes. Un prix de l’innova-tion numérique en bibliothèque sera également remis lors de ces journées.http://biennale-du-numérique.enssib.fr

> www.arald.org

Suite de la rentrée littéraire des auteurs de Rhône-Alpes : Robert Alexis, Alexis Jenni,François Beaune, Éric Villeneuve, Ananda Devi, Lorette Nobécourt, Éric Sommier(lire p. 2 à 6).

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Quelles activités (ne) donnent (pas)lieu à une rémunération en droitsd’auteur ? Quelle rémunération pourquelles activités paralittéraires ?…, cesont quelques-unes des questions quiseront soulevées le 7 octobre lors del’après-midi d’information sur les reve-nus des auteurs organisée par l’Araldà la Villa Gillet, à Lyon (à partir de 14h).La nouvelle circulaire du 16 février2011 sur les revenus principaux etaccessoires des auteurs, qui élargitnotamment le champ des activitésprincipales donnant lieu à des reve-nus en droits d’auteur – en y incluantles lectures publiques, les bourses decréation et, sous certaines conditions,les présentations d’œuvres et les rési-dences d’écriture –, oblige les auteurset les porteurs de projets à être au faitde ces nouveaux dispositifs légaux.L’occasion leur est donnée d’interro-ger Geoffroy Pelletier, directeur de laSGDL, Thierry Dumas, directeur del’Agessa, et Emmanuel de Rengervé,délégué général du SNAC. À ne pasmanquer. L. B.

rentréelittéraire/p.2-3Robert Alexis, l’insaisissableUn nouveau roman, Mammon(José Corti), et un entretienaccordé à Livre & Lire par cet écrivain qui se méfie desconversations et se dépeint en loup solitaire…

manifestation/p.9Saint-Étienne pour les pros !26e édition de la Fête du livre de Saint-Étienne, la volonté deréconcilier lecteurs amateurs et professionnels du livre, et une journée professionnellequi remet le travail d’écriture au cœur des réflexions.

rousseau 2012/p.11-12Comment Jean-Jacques estdevenu RousseauPrémices de Rousseau 2012, où l’on célèbrera le tricentenaire de la naissance de l’écrivain,philosophe, botaniste…, un essaisur la jeunesse de Jean-Jacquessigné Claude Mazauric, et un extraitinédit du livre de Lionel Bourg, à paraître à La Fosse aux ours.

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !Regards sur les AlpesCent livres ont été choi-sis par la bibliothèquede Grenoble, en collabo-ration avec Ex LibrisDauphiné pour explorer

quatre siècles de littérature autour de ces« monts sublimes ». Sélectionnés parJacques Perret, collectionneur biblio-graphe, ces ouvrages rares et précieux évoquent les sommets de 1515 à 1908.Du 15 septembre au 10 décembrewww.bm-grenoble.fr

Octobre est officiellement unmois de salons ! Soutenus parla Région, les éditeurs deRhône-Alpes seront nombreuxà se déplacer un peu partout

en France et à l’étranger : cinqd’entre eux participeront notam-ment à la Foire internationale dulivre de Francfort (12-16) sur lestand de l’Arald : les Éditions

Stéphane Bachès, Balivernes Édi-tions, Critères Éditions, Lieux Ditset les PUG. D’autres iront auFestival international de géogra-phie de Saint-Dié-des-Vosges (6-9),aux Rendez-vous de l’Histoire àBlois (13-16), et pas moins de seizeéditeurs se rendront à l’Espace des Blancs-Manteaux, à Paris, pourle 21e Salon de la revue, du 14 au 16 octobre (programme sur

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rentrée littéraire

Dans Mammon, son dernier roman, Robert Alexiscontinue à creuser ses thèmes de prédilectionque sont la dynamique du mal, les rapports entrel’homme et la nature, la question du désir et desa perversion. Tout cela au travers d’une aven-ture de guerre et de diamants qui s’ancre dansle passé colonial.

L’ambiance poisseuse del’Indochine sied à RobertAlexis. Ses thèmes, maisaussi ses mots et sa phraseépousent au plus près leprocessus de décomposi-tion qui gangrène lasociété coloniale aussi pro-fondément que la nature,et corrompt les âmesautant que les essences

végétales dans ce climat tropical humide. Ici commedans ses précédents romans, un peu plus encore peut-être, la pourriture menace, à l’intérieur plus encorequ’à l’extérieur, dans le cœur des hommes, jusqu’àla folie et à l’enfermement. Les personnages deMammon sont ainsi mus par cette figure de l’Enfer,« qui pousse les hommes à aimer l’argent, à commettrele péché de cupidité… » Parce que l’argent a à voir avecle pouvoir, avec le désir, parce que son emprise balaiesouvent la contrainte morale, libérant l’être humaindes formes civilisées de l’entrave sociale et culturelle.Certains hommes ont alors des profils de bête et sefont prédateurs. Certaines femmes aussi. La jeune jour-naliste qui vient d’« abattre » un ministre par articlesde presse interposés n’est pas la moins rapace de tous.C’est elle qui, à la recherche de nouvelles victimes àcompromettre, répondra à la sollicitation du mysté-rieux et richissime Monsieur Moreau, qu’elle ira retrou-ver en Suisse. De là, le récit de cet ancien aventuriermilitaire prendra le pas sur l’autre, conduisant le lecteur dans un voyage initiatique et cruel à travers lajungle du Cambodge. Une manière de glissement aucœur des ténèbres, qui rappelle d’autres récits dejungle, là où, comme l’écrit Robert Alexis, la vie ne s’inquiète d’aucun sentiment. Cruauté, convoitise,égoïsme, Mammon est une invitation à plonger dansla vase des êtres, là où s’épanouissent les fleurs lesplus belles et les plus vénéneuses. L.B.

Robert AlexisMammonJosé Corti288 p., 17,50 ¤ISBN 978-2-7143-1064-4

Une rentrée littéraire entre les mains des libraires

Libraires, lectures d’étéParmi les centaines de romans reçus durant l’été, les libraires font des découvertes,détestent parfois, adorent aussi, et surtout ne peuvent pas tout lire… Plusieurs coupsde cœur, pourtant, dans la quinzaine de titres des auteurs de Rhône-Alpes qui paraissent lors de cette rentrée littéraire.

Il y a d’abord, pour ainsi dire, les coups decœur de l’émotion ! François Reynaud, dela librairie des Cordeliers à Romans a desaccents enthousiastes pour évoquer le livrede Fabio Viscogliosi, Mont-Blanc (Stock), quiévoque la disparition des parents de l’écri-vain dans l’incendie du tunnel du Mont-Blanc survenu en 1999 : « Quelle bonne sur-prise ! C’est très beau ! Ce n’est pas un livrequi crie, ce n’est absolument pas lar-moyant ». Même écho du côté de SylvainFourel, de La Voie aux chapitres, à Lyon, quisouligne « de très beaux passages dans celivre mélancolique ».Impressions semblables chez plusieurslibraires à propos du roman de FabienneSwiatly, Unité de vie (La Fosse aux ours) :« Un livre touchant », pour Sylvain Fourel,« plein de pudeur » selon Claude Lebrun, du Bal des Ardents, à Lyon, qui considère cetouvrage comme « son meilleur ! ». Un juge-ment que ne renierait sans doute pasCatherine Mugnier, responsable de la librai-rie L’Imaginaire, à Annecy : « Avec peu demots, dans un style ramassé, FabienneSwiatly dit énormément de choses, et le faitde manière très forte. » Quant aux librairesde la Maison jaune, à Neuville-sur-Saône,ils ont été, pour leur part, touchés par leroman de Brigitte Giraud, Pas d’inquiétude(Stock), et par « son sujet très marquant »,l’histoire d’une famille, et surtout d’un père,dont le quotidien est bouleversé par lamaladie d’un enfant.

Des surprises et des promesses tenues

Côté surprises et parutions inattendues, c’estsûrement l’imposant roman d’Alexis Jenni,L’Art français de la guerre (Gallimard) qui ale plus interpellé les libraires. Le premier livrede cet écrivain lyonnais, professeur de biolo-gie de quarante-huit ans, fait une entréeremarquée dans les librairies : « Fascinant !Époustouflant ! C’est une écriture extraordi-naire… Je ne savais pas du tout sur quoi

j’allais tomber… et je n’ai pas pu m’arrêter ! »,s’enthousiasme Catherine Mugnier àL’Imaginaire. Claude Lebrun, quant à lui, adécouvert « un auteur remarquable, qui aréussi à brasser cinquante ans d’histoire et à écrire un grand, grand roman ! ». Même ferveur chez Sylvain Fourel, qui évoque « unlivre foisonnant, très dense et l’impressiond’être en littérature ». Une expérience de lecture exigeante, pour le libraire, qui s’est« senti appelé par un texte, qui demande dela disponibilité et mêle des passages à la foistrès drôles et très violents ».Du côté des confirmations, on peut citer ledeuxième roman de François Beaune, Un ange noir (Verticales), qui a été un grandplaisir de lecture pour Olivier Badoy, de laLibrairie des Cordeliers à Romans-sur-Isère ;il a notamment apprécié les « très bellesphrases de l’écrivain et son sens de la formule ». Sylvain Fourel a lui aussi le sien,lorsqu’il proclame son grand intérêt pour ceroman : « C’est fantastique de se retrouver dans la tête d’un dingue ! » Claude Lebrun,qui aime « ce deuxième roman plus décalé eten version noire», y voit également «une vraieréussite ». Avec Rouge Argile (Liana Levi),Virginie Ollagnier convainc aussi de nom-breux libraires. La Maison jaune a d’ailleursclassé parmi ses favoris ce roman à deux voixet entre deux pays. Du côté de La Voie auxchapitres, le libraire a apprécié la construc-tion de l’ouvrage autour de la disparition desparents, avec le sentiment de comprendre, àtravers le personnage, « ce qui se passe lors-qu’il n’y a plus personne pour regarder par-dessus son épaule ». Et pour les libraires deLettres à croquer, à Villeurbanne, « RougeArgile est un roman sensuel, qui nous entraînedans une autre culture ». Enfin, énorme coup de cœur de ClaudeLebrun pour le dernier livre d’Alain Turgeon,Anamoureux préparturient (La Fosse auxours)… « J’adore son humour, la distance qu’il a pour parler de lui, et son ton un peumélancolique. » Julie Banos

Robert Alexis au cœur des ténèbres

Voyage au bout de la jungle

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rentrée littéraire

Pendant très longtemps, vous êtes restédans l’ombre, le lecteur ne sachant pas quise cachait derrière le nom de RobertAlexis. Aujourd’hui, nous en savons encoretrès peu sur votre parcours. Pensez-vousque l’auteur doit entièrement s’effacer derrière son œuvre ?J’aime assez les mots pour en faire desromans, pas assez pour les mettre en

paroles. Un réflexe de philosophe sans doute, jeme méfie beaucoup des conversations, ce à quoiun auteur est astreint lorsqu’il est invité ici ou là.Et puis, mon animal-totem doit être le loup solitaire, le « loup des steppes » ! Je ne suis pas très sociable, je me méfie de l’image qu’on peut donner de soi, des images en général… Bref, rienne me pousse à entrer en scène. J’ai décidé cepen-dant de faire un peu plus d’efforts.

Vos romans s’inscrivent dans des genres et desunivers très différents. Cette recherche dans laforme et dans le style est-elle une des clés devotre travail ? Le genre romanesque vous paraît-il le plus à même de répondre à cette variété etcette liberté dans l’écriture ? Mes romans illustrent une thématique récurrenteautour du corps, du monde, de l’univers. Ilsprésentent des « intuitions » qui, je l’espère, peu-vent servir à autre chose qu’à distraire un lecteursur une plage… La capacité d’intuition est la seuleforce du romancier. En cela, j’obéis à des appelsqui commandent, et les idées principales du récitet sa forme générale. Je ne m’interroge pas sur lasource de ces « appels », production d’une psy-chologie particulière ou capacité médiumnique.Le philosophe est honnête, il cherche la bonneclé à son trousseau ; le romancier utilise le piedde biche, c’est un cambrioleur. J’aime le fait devenir de la nuit et de repartir dans la nuit, l’épaulechargée d’objets mystérieux que la tribu humaineaura à se partager.

Dans votre premier roman, La Robe, vous mettiezimmédiatement en jeu un motif central de votreœuvre, qui est la question de l’identité… L’identité est un leurre. Elle représente l’une desnombreuses et dangereuses illusions dont noussouffrons encore : la fidélité conjugale, par exem-ple. Il est aussi stupide d’être fidèle en amour qu’il est absurde de se sentir «un» : pieds et poingsliés par ce que les autres ont voulu qu’on soit, par une image, une représentation unique de sa « personne » (quel mot adorable, et cocasse !).

La Véranda, qui comme La Robe est imprégné decette si particulière atmosphère austro-hongroise,est un livre d’une grande noirceur, hanté par laconscience aiguë de la mort…Je ne conseille à personne la lecture de ce livre.Sa rédaction fut pour moi un cauchemar. Ceroman n’a pas pour sujet la mort, il est la mortelle-même, ce que j’ai pu en savoir à un momentde ma vie… encore un savoir « cambriolé », maislà j’ai bien failli finir dans les oubliettes.

Avec Flowerbone, vous avez fait un pas de côtéen vous essayant au « récit d’anticipation »…La techno-évolution, l’anthropotechnie sont lefutur de l’humanité. Il faut en finir avec la natureen nous (et la nature tout court, d’ailleurs, commeon la comprend d’habitude). Je hais le corps etses limites et le roman que je suis en train d’écrire(les Contes d’Orsanne) en parle : je crois que lanature elle-même cherche à devenir autre que cequ’elle est, un mouvement la pousse à détruireses « installations ». Nous sommes les dignesreprésentants, nous humains, de ce saccage permanent des formes fixes.

Un autre motif récurrent de votre œuvre est lasexualité, avec, comme c’est le cas dans Nora, unregard sur la perversion, les rapports de domina-tion et de soumission qu’elle peut engendrer…Tout équilibre, toute homéostasie mène finalementà la mort. Mes romans sont l’étude de personnagesvoués au déséquilibre, c’est-à-dire au mouvementet à la vie. Il faut chasser de soi tout ce qui porteau confort d’une installation dans l’être, le sens, legenre, les habitudes, les traditions, etc. On n’a àapprendre que du déséquilibre. Mais un tel ren-versement est difficile à accomplir. Il faut desleviers. La sexualité en est un, dans la destructionvoulue de l’appareil sentimental, générique etreproductif, dans la transgression, dans l’effectua-tion de pratiques auxquelles rien ne nous préparait.

Chacun de ces livres est porté par une construc-tion complexe, avec mises en abyme, flash-back,enchâssement des narrations. Des structures nar-ratives qui répondent à la complexité, à l’ambiguïtédes personnages et de leur rapport au monde… Le monde est complexe, dans tous les sens duterme. Il faut répondre à la complexité par la com-plexité, en finir avec ceux qui veulent l’occulterou faire croire qu’au fond tout est simple. Non,rien n’est simple, et c’est ce qui fait la vertigineusepoésie de l’univers. Les choses sont d’ailleurs si

complexes que je crois beaucoup aux vertus del’intuition, des « insight », des fulgurances de lapensée. La science a du bon… dommage qu’ellesoit si souvent empesée de méthodes. Ceux qui lafont devraient lire mes romans et d’abord se débar-rasser « d’eux-mêmes ».

Dites-nous un mot de votre dernier roman,Mammon, où, comme dans U-boot, vous abor-dez l’idée du mal dans ses dimensions his-torique et intime… J’ai déjà lu quelques critiques concernant ceroman, positives d’ailleurs. Tant mieux, je vousparle à la veille de sa sortie en librairie, et je mesens un peu nerveux. Je souhaite simplementqu’on ne s’attache pas trop au pittoresque des situations, la jungle, la quête des rubis, etc.Mammon est une possibilité d’explorer, d’enrichirmes thèmes de prédilection… J’ai toujours eu unfaible pour Lucifer, personnage utile s’il en est !On le rencontrera dans ces pages. On pourra,comme je l’ai fait moi-même à ma plus grandesurprise, croiser également Chung, sa pensée dunon-moi, la fusion dans le Grand-Tout. Un beaucombat par-delà le bien et le mal.

À propos de ce roman, votre éditeur évoque uneproximité avec Conrad. Avez-vous le sentimentd’appartenir à une « famille » littéraire, et si oui,laquelle ? Je suis composé de mille influences, mais jen’aime pas les familles. J’ai aimé certaines œuvresjusqu’à la passion ; je n’ai jamais aimé les« écrivains ». Un seul me semble à la hauteur dece qu’il a écrit : Jean Cocteau. Les autres trem-blotent en lumière incertaine. À les voir, à lesentendre, on comprend bien que tous ces gensécrivent « sous la dictée », qu’ils ne sont vraimentquelque chose que durant le peu de temps d’écri-ture que le mystère nous accorde.

Propos recueillis par Yann Nicol

Sur les chemins littéraires d’un écrivain qui cultive la discrétion

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En cinq ans et sept romans, Robert Alexis s’est affirmé comme l’un des écrivains les plussinguliers de la littérature française contemporaine. Retour sur une œuvre en mouvement,intrigante et inclassable, à l’occasion de la parution de son nouveau roman, Mammon.

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aussi les pensées et les souvenirsqui l’ont submergé alors qu’il s’estréfugié dans une trappe de sécuritéaprès s’être jeté une fois de tropdans la fournaise. On est touché parce portrait d’un homme qui sortsoudain de son quotidien ordinaire,même si la façon dont il devient ce que l’on nomme un « héros »demeure un mystère. Mais l’on enperçoit quelques échos avant que lesflammes ne l’emportent. C’est là laréussite de ce premier roman. N.B.

Éric Sommier DixL’Arpenteur206 p., 17, 50 ¤ ISBN 978-2-07-013340-6

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rentrée littéraire

de la guerre : comment un jeuneFrançais, décidé à se battre pour laliberté de son pays, devient un bar-bare sanguinaire, rasant des villages,torturant des hommes, jusqu’à nierles fondements même de la naturehumaine ? De réponses, il n’y a pas,au fil de ces pages denses et parfoismagnifiques. Mais la question est là,et elle a le mérite d’être posée defaçon très convaincante.

L’art français de la narration

Drôle de personnage que ceVictorien Salagnon, qui fait de lapeinture une manière d’échapper audésastre – et de s’y colleter. En insis-tant sur l’importance du dessin et ledésir de « montrer », Alexis Jenniintroduit une passionnante réflexionsur le langage, la narration, et finale-ment sur le roman en tant que tel.Car l’histoire de Salagnon nous estcontée par le prisme d’un narrateur«contemporain», sorte d’alter ego del’auteur, qui s’interroge lui aussi surla meilleure façon de transmettre, derendre compte, de « narrer ».

Mais comment diable un professeurde sciences naturelles anonyme, quin’avait jusqu’alors jamais publié lamoindre ligne, peut devenir lacoqueluche de la rentrée littéraireet l’un des romanciers dont on parlele plus en cette période éditorialeplutôt surchargée ? Réponse : enpubliant un gros roman de 630pages, ambitieux et réussi, quientremêle une documentationsolide et un sens inouï de l’écritureromanesque pour rendre compte decinquante années de conflits armés,du maquis de la Seconde Guerremondiale au désert Irakien de laGuerre du Golfe, en passant par lajungle tonkinoise et les montagnesdes Aurès… Au cœur de cette folieguerrière, un homme, VictorienSalagnon, à la fois peintre et soldat,qui constitue le trait d’union entreces différentes périodes. Entré enrésistance en 1943, engagé enIndochine après la Libération, puisen Algérie dès 1954, il est le symboled’une génération marquée au ferrouge, et la clé d’une question quitraverse l’ensemble de L’Art français

Ainsi, chaque épisode de la grandeHistoire est mis en miroir avec lescommentaires du narrateur, qui vitcomme un déclic les imagestélévisées de la Guerre du Golfe de1991: «On pourrait n’y rien voir et n’yrien comprendre ; on pourrait laisserdire les mots : il guerre comme il pleut,et c’est fatalité. La narration est impuis-sante, on ne sait rien raconter de cetteguerre, les fictions qui d’habitudedécrivent sont restées pour celle-ci allu-sives, maladroites, mal reconstituées».Une manière de mettre en exerguela dimension romanesque del’Histoire (une notion que le Généralde Gaulle avait, selon Alexis Jenni,parfaitement intégrée), en mêmetemps que le pouvoir incomparabledu roman à mettre en scène

Alexis Jenni et la dimension romanesque de l’Histoire

Roman de guerre(s)

Vie et mort d’un héros ordinaire

Autopsie d’une catastropheDix, premier roman d’Éric Sommier,nous plonge dans la fournaise,celle de l’incendie qui ravagea letunnel du Mont-Blancet provoqua la mort detrente-neuf personnes.Il y a un aspect documen-taire dans le premier livred’Éric Sommier, Dix. Ilcherche à retracer méti-culeusement et avec forcedétails – authentiques –comment a pu se produirela catastrophe du 24 mars1999 dans le tunnel duMont-Blanc, au cours de laquelle trente-neuf personnes périrent dansles flammes. Remontant

jusqu’à la construction du tunnel,il analyse la manière dont furentignorées les règles de sécurité, par

souci de rentabilité ou par simpleparesse. Et il décrit, presque minutepar minute, le déroulement de l’accident, ce qui rend d’ailleurs la lecture de certaines pages terrible-ment oppressante. Mais le livre est aussi un vrai romanqui s’inspire de la vie de PierlucioTinazzi, surnommé Spadino. Unhomme, patrouilleur à motoemployé par la société gérant letunnel, qui devint un véritablehéros en se précipitant à plusieursreprises dans le brasier afin de secourir des automobilistes qui s’ytrouvaient bloqués.Éric Sommier retrace son histoiredans la première partie du livre, sapassion pour les fleurs, son amitiéavec deux frères jumeaux et sonamour malheureux pour unefemme sculptrice. Il nous confie

l’Histoire. Reconstitution historiqueet géopolitique, réflexion sur la littérature et les arts en général,roman d’aventure et de guerre(s), L’Artfrançais de la guerre est tout cela à la fois, et même un peu plus,puisque cette ample méditation surla deuxième partie du XXe siècle estaussi, en filigrane, une manière deregarder la réalité sociale et politiquede la France du XXIe siècle. Y.N.

Alexis JenniL’Art français de la guerreGallimard634 p., 21 ¤ISBN 978-2-07-013458-8

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Avec L’Art français de la guerre, Alexis Jenni donne un premier livreépatant, entre fresque romanesque et traité d’histoire, autour des guerresfrançaises de la seconde partie du XXe siècle. Des débuts en fanfare.

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rentrée littéraire

fourvoiement, Nathan repart penaudet trouve refuge dans l’imaginaire. Au terme d’une longue errance, il reprend conscience et, pénible-ment, le fil de ses pensées : c’est ledébut de l’année, il est en Angleterreet il projette d’aller en juillet sur l’île de Pâques…Avec ce roman gigogne, quiemprunte à la littérature de pira-terie, au conte initiatique, maiségalement à la poésie ainsi qu’authéâtre de l’absurde, Éric Villeneuvemène son lecteuren bateau, usantde toutes sesarmes d’écrivainpour l’égarer, et leconduire à partagerla confusion dup r o t a g o n i s t e ,Nathan. Il y parvienten beauté, grâce à son art de larupture de style et de ton,d’abord, modulant la voix dunarrateur, scandant sa paroledans des phrases lapidaires,

À l’abordage du dernier romand’Éric Villeneuve, Aventures dans

l’île de Juillet !

Adolescent originaire de Chelsea,Nathan Larenbroke effectue, encompagnie de sa mère et de lamutique Ethel, un grand voyageautour du monde. Six mois aprèsson départ, le trio fait escale enplein hiver austral au milieu duPacifique, sur une possession chilienne nimbée de mystère : RapaNui, l’île de Pâques. Fasciné par laculture pascuane, Nathan piaffe dedécouvrir, entre autres merveilles,les célèbres moaï – ces statuesmonolithiques dont l’édificationcausa le déboisement de l’île. Alors,quand Sebastian, leur prévenantguide, l’invite à son domicile, lejeune ingénu s’imagine que c’estpour admirer des trésors cachés auvulgum pecus des touristes. À tort :Sebastian nourrit pour Nathan unintérêt dénué de toute considéra-tion archéologique ! Constatant son

mais aussi à travers les pages dujournal intime de l’adolescent oucelles de ses épîtres à Dick – soncorrespondant idéal.

Une plongée dans la disparition

Ces repères littéraires abolis,Villeneuve rebat ensuite les cartes(géographiques) du concept de voyage, dans lequel il voit plus qu’unsimple déplacement sur la surfacefinie du globe terrestre : sous saplume, en effet, le cheminement deNathan se double d’un mouvementcyclique ou circulaire à l’intérieur

d’une zone temporelle close. Lieu et temps sont indissoluble-ment liés pour Villeneuve. Ce n’estévidemment pas un hasard si toutcommence (et tout s’achève) sur

une île dont letoponyme découledu calendrier –Jakob Roggeveenla baptisa ainsiparce qu’il l’avaitdécouverte le jourde Pâques 1722.Se perdre dans le

sillage de Nathan est une expé-rience terriblement troublante : carsi l’on peut espérer le secours d’unplan pour retrouver son chemindans l’espace, il n’en existe aucunqui permette de se réengager dansla course normale du temps. Onl’aura compris, les Aventures promisesici par le titre n’ont rien d’héroïqueni de truculent : ce roman cérébralet psychologique se révélant uneangoissante plongée à tâtons dansla disparition, l’effacement, l’oubliet la solitude. Celle de Rapa Nui,bien sûr, l’île singulière et abandon-née, qui a gommé la plupart dessouvenirs de ses civilisations suc-cessives, et dont Éric Villeneuvedétaille les formidables réalisationset l’inéluctable déclin. Et celle deNathan, avec sa mémoire oblitérée,en quête d’un mirage, d’unebeauté, d’un mystère, à jamais inaccessibles. Vincent Raymond

Éric VilleneuveAventures dans l’île de JuilletP.O.L320 p., 20 ¤ISBN 978-2-8180-1432-5

entrevue dans le magnifique Ennous la vie des morts, et pousse cedésir de fiction encore plus loin,avec un roman extrêmementample, bourré de personnages, delieux divers, d’intrigues, d’histoires

Retour à la fiction pour LoretteNobécourt avec Grâce leur soit

rendue, un roman foisonnantdans lequel on retrouve sesobsessions de toujours : laliberté, la littérature, l’engage-ment et la quête d’absolu. Unlivre pluriel et enivrant.

Son précédent livre, L’Usure desjours, était un récit purement auto-biographique, un autoportrait frag-menté qui s’inscrivait dans la lignéedes autofictions qui l’avaient faitconnaître au début des années 90,comme La Démangeaison. AvecGrâce leur soit rendue, LoretteNobécourt revient à une écriturebeaucoup plus romanesque, déjà

d’amour, de sexe, devie et de mort.Le roman étant écritsous l’influence deRoberto Bolaño (citéen exergue du livre),on ne sera pasétonné de retrouverparmi les person-nages un écrivainchilien, prénomméRoberto, en exil àBarcelone, qui meurtprécocement aprèsque la femme de sa vie – elle aussiécrivain et mère deson fils Kola – s’estsuicidée… Une his-toire d’amour et d’ab-solu qui constitue la

première partie du livre, et qui permet à Lorette Nobécourt une puissante réflexion sur l’acte d’écritureet la radicalité du geste artistique.Après leur disparition, ce désir de liberté, cette soif de «vie vivante» sera

incarnée par leur fils Kola, dont laquête intérieure le mènera jusqu’auChili, sur les traces d’un passé familial chaotique et douloureux.Son engagement, sa marginalité, sasingularité et la force de sa jeunessefont de son personnage le symboledu combat mené par LoretteNobécourt au fil de ce beau romancontre toutes les formes d’enfer-mement et de rétrécissement de lanature humaine dans son rapportau monde. Son écriture, qui semblelibérée de tous les carcans,embrasse ces méditations philo-sophiques et spirituelles avec une fougue et un désir d’absoluparticulièrement communicatifs.

Grâce lui soitrendue ! Y.N.

LoretteNobécourtGrâce leur soit rendueGrasset456 p., 21,50 ¤ISBN 978-22-46-76-0313

Éric Villeneuve ou l’écriture de l’effacement

Voyageuses Pâques !

Lorette Nobécourt : retour au roman

Soif de la vie

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rentrée littéraire

couleur de vieux sable ». Trente ansd’une vie « normale », un mari, desfils, tous ces hommes qui lui par-lent, ne l’écoutent pas, les reproches,l’incompréhension, la fuite. Les personnages de romans ne sont pluslà pour peupler le vide existentiel,la vie n’est pas seulement dans leslivres. Mais les livres permettentaussi de rester en vie. Au tournantde son existence, afin de briser lesconventions et de renoncer à sespropres compromis de femme sou-mise, l’auteur prend le risque de laconfession : « Il ne reste plus que lesmots de la vérité, qui, en général, sontles plus simples. »Une confession, une démission, unautre chemin. Ne plus être épouse,mère, ne plus accepter de feindre,de donner, sans retour. «La folie n’estjamais loin. La folie, dans mes livres,est la liberté et la consolation de laparole. Une possibilité d’affranchis-sement de ces règles. Je ne veux plusde faux-semblants. Je ne veux plusêtre conforme et conformiste. Je veuxsortir de mes gonds. Mais je ne saisplus comment faire. »Ananda Devi en est consciente, l’introspection est menacée par la

Ananda Devi est écrivain. Depuisvingt-cinq ans, elle a publié unequinzaine de livres, romans et nou-velles. Une manière de biobiblio-graphie, vite faite, bien faite. Laréalité de la vie est autrement pluscomplexe. À cinquante-trois ans,au plus fort d’une crise person-nelle et familiale, la femme se metà nu dans Les Hommes qui me

parlent. Parce que le mensonge ne peut faire figure de destin.

Ce n’est pas un bilan, c’est un choc.Le prix – élevé – de l’honnêteté.Jusque-là, « tu jouais à la perfectiontous tes rôles, mais tu ne faisaisjamais que tisser un cocon de fic-tions entre toi et le monde ». L’auteurse parle, l’auteur s’écrit. L’existencecomme un chemin de faux-sem-blants qui permet de s’oublier soi-même, l’écriture comme cettedirection à suivre coûte que coûte.Et il en coûte parfois beaucoup àl’écrivain.À cinquante-trois ans, Ananda Devise regarde dans le miroir. Autourd’elle, la lumière est singulièrementcrue. Ses proches sont de plus enplus lointains, « l’amour a pris une

facilité. Elle s’en méfie: «Ne pas som-brer dans la vacuité, dans l’ordinaire,dans la contemplation du nombril ;ne pas faire du livre un miroir embel-lissant mais au contraire le plus glacial des regards, et le plusinflexible.» Elle ne cède pas. Une foisencore, c’est la littérature qui lasauve. Les écrivains (Joyce, Césaire,Gracq, Woolf, Plath…), ses lectures,l’écriture, son enfance, toute la placeque prend cet art de mentir et de nepas le cacher. Ce mensonge-là estbien plus vrai que tous les autresdont la vie est faite. Il permet de com-prendre « les entrailles fumantes de[nos] actes ». Laurent Bonzon

Ananda DeviLes Hommes qui me parlentGallimard224 p., 16,90 ¤ISBN 978-2-07-013440-3

Vrai-faux polar, Un ange noir

marque le retour – en excellenteforme… – de François Beaune,auteur du très remarqué Un

homme louche, sorti en 2009.

Les codes n’existent que pour êtredétournés. C’est une pensée que l’onprêterait volontiers à François Beaune.Son premier roman se présentait eneffet comme un journal intime,

offrant même au lecteur des croquiscrayonnés par le (prétendu) diariste.Sauf qu’Un homme louche, titre de cesingulier ouvrage, était un livre depure fiction décrivant la vie d’un ado-lescent regardant la vie de tellementprès qu’il en venait à loucher.Avec Un ange noir (référence au livrede François Mauriac Les Angesnoirs ?), François Beaune se jouecette fois des codes du polar. Le livrese propose en effet comme la confes-sion d’un suspect, Alexandre Petit,après le meurtre d’une de ses col-lègues de travail. Il est le coupableidéal puisqu’il a passé la soirée auxcôtés de la victime et l’a même rac-compagnée chez elle le soir des faits.Paniqué, il s’enfuit, se cache, écrit sesdoutes, la certitude qu’il a d’être

condamné : « Je serai toujours cettetête de Turc, le bouc émissaire quel’on ressort à chaque dérapage.J’aurais dû naître Juif, écrivais-je hier,et je n’étais pas loin du compte : aumoins il y aurait une raison à tant dehaine, je serais à ma place. » On suit alors le personnage principaldans sa cavale. Il se clochardise, semet à fréquenter des « punks àchiens », tout en vomissant sa haineà leur égard. Car le narrateur est per-suadé qu’il va démasquer le véritablecoupable, et que celui-ci se tientparmi les marginaux dont il finitpourtant par partager l’alcoolisme etles errances. On entend sa voix qui,petit à petit, déraille et nous instillele doute sur son innocence, alorsqu’on la croyait établie. Le livre est

Un livre confession d’Ananda Devi

Écrire pour s’affranchir « L’un de ces hommes quime parlent (celui qui mejuge) me dit : c’est facilepour toi d’être triste. Pour

une charmeuse, la tristesse estla plus grossière des armes.Je suis debout devant un mur.Je scrute la surface bosselée etridée comme si je tentais d’yvoir mon propre visage.Derrière, je le sais, il n’y a riend’autre que ces larmes dont jesuis si dispendieuse : l’antiquerôle de pleureuse est bien leseul qui convienne désormais.Charmeuse ? De serpents, peut-être. Mais ce n’est qu’ici que je parviendrai à aller jusqu’aubout de ce que j’ai entrepris :l’honnêteté.Ma tristesse est à moi ; sansdoute la seule chose qui me reste. Pourquoi devrais-je

y renoncer ? Lechemin le plusdroit est celui quitraverse l’absencede bonheur. Tout le reste n’est quelongs détoursdans l’inutile. Desespoirs entrevusau loin et qui neseront jamais quecela : les miragesdes aveugles. »

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François Beaune : la cavale d’un antihéros

Le grand roman d’Alexandre Petit en effet diablement bien construit, s’appuyant sur des articles du Progrès(l’histoire se passe en majeure partieà Lyon) qui retracent l’avancement del’enquête, ainsi que sur le témoignagede la mère.Mais ce qui nous touche le plus, c’estcet homme avec ses blessures et sarancune tenace envers la société quile tient à l’écart. Même lorsqu’iltombe dans le racisme, dans desjugements rances sur les laissés-pour-compte, qui le fascinent et lui fontpeur en même temps. Un doublesentiment que par-tage le lecteur…Nicolas Blondeau

François Beaune Un ange noirVerticales288 p., 17,90 ¤ ISBN 978-2-07-013477-9

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Après Georges-Arthur Goldschmidtet Maryline Desbiolles, FabriceMelquiot nous offre le troisièmelivre de la très belle collection« Paysages écrits » initiée par laFacim, Fondation internationalepour l’action culturelle enmontagne.

Braderie des ombres est unlivre de souvenirs pascomme les autres, partition(anti)mémorielle écrite dansun style alerte et vif, stac-cato, où le drôle alterne avecle pas drôle, le rêche avec le revêche : « MonsieurC. est apparu. Pas vu depuis des lustres, joues videset le teint vert, usé jusqu’à la chaîne d’or qui luimange le poitrail ». C’est à Modane que FabriceMelquiot, l’homme de théâtre, revient. Et c’estd’abord de Modane qu’il se souvient. Melquiotne peut faire autrement que d’aimer cette villefrontière, de nulle part ou presque, « ami imaginaire », « part manquante de lui-même »,qu’il traverse comme Orphée le royaumed’Hadès. Surgissent alors amours en détresse,

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conte gigogne, oùun événementcache un sou-venir qui dévoileà son tour unelégende, ou flirteavec la mémoired’un poème quilui-même révèle les bribes d’un journal de bord,etc. La vie, l’amour, la mort (la mort, pas mal), letout emporté dans un présent éternel, sans bous-sole ni limites. Il est difficile de dire à quel principe de naviga-tion Joël Roussiez a confié son texte. Que cepaquebot soit une île, une matrice, un ventre, ouquelque autre allégorie de l’humaine condition,soit. Mais il souffle dans l’écriture un vent tropaléatoire pour que le navire s’assèche à n’être

Il n’y a pas une histoire, mais une myriade d’histoires qui scintillent au fil des pages. Pas de personnages vraiment fiables : « Nous avons souvent l’impression d’être là et de n’y êtrepas… ». Susanna, Michaela, Florian, André, Walter, Léandre, Claudine, Paul, Zoé, Margerie :des silhouettes qu’on apercevrait de loin sur lepont du navire. Indécidables, interchangeables.Nulle trame où s’accrocher comme à un filinsolide, sauf l’énergie du texte qui avance et, pourainsi dire, se génère et se régénère sans fin.Or, il s’en passe des choses. Il s’en passe mêmede belles, d’émouvantes. On en apprend destonnes sur les dessous de l’océan, bathyscapheou pas. Il s’en raconte surtout par paquets, desgerbes de paroles, des vagues de confidences,d’anecdotes. Risquer un pied sur le pont duPaquebot magnifique, c’est glisser dans un

qu’une coquille démonstrative. Le regard porte plus loin, l’esprit semble ailleurs : dans la réjouis-sante dispersion d’une écumeromanesque, faite d’échos et de résonances, qui sans cesse se solidi-fie en une boule compacte, pourexploser plus loin, repartir, s’élancerà nouveau. À l’infini. Le lecteur ne saitjamais avec quoi, avec qui il a rendez-vous. Il se promène (on le balade ?)dans cette incertitude, il voit desmondes, il écoute des histoires. Lelecteur est nu, ayant été, au bout dequelques pages, lessivé, essoré, etrendu à son état naïf. Le meilleur quisoit pour se baigner dans ce texte de grands fonds. Danielle Maurel

Joël RoussiezUn paquebot magnifiqueLa Rumeur libre Éditions282 p., 19 ¤ISBN 978-2-35577-025-8

Voyage en haute mer avec Joël Roussiez

Grands fonds

Braderie des ombres

livres & lectures/récit

Un paquebot magnifique, de Joël Roussiez, est assurément unlivre inclassable : roman lyrique ? poésie aventurière ? conte àtiroirs ? Tout cela à la fois et sans doute bien plus. Embarquerdans ce texte imprévisible, c’est renoncer à filer droit et plon-ger dans un océan d’expériences.

Comme dans le tableau de Francis Bacon, Deux personnages, une scène d’amour entre deux hommes,l’écriture de Sylvain Cavaillès se concentre et se res-serre sur la chair, les sensations, les syncopes du désir,les éclats tranchants d’impressions physiques. Commechez Bacon, tout y est à la fois un peu flou et traverséd’intensités et de fulgurances très crues et directes…Dans De vaines mercis, un homme quitte son foyer,son confort, son hétérosexualité, pour « une multipli-cité d’identités possibles parmi lesquelles il doute desavoir choisir ». Ce seront d’ailleurs très concrètementune multiplicité d’aventures sexuelles éphémèresavec des amants rencontrés au hasard de sa route,une multiplicité de voix ou d’échos venus du passé,une multiplicité de fantasmes et, aussi, d’impassesexistentielles. « Il va falloir apprendre à marcher sansbut connu ou conscient, dans les rues sans désir de lescomprendre ni viser à les reconnaître ». Le texte avanceainsi, myope (imprécis sur son contexte, beaucoupplus net et brut sur tout ce qui passe à portée demain, de bouche, de peau), ambitieux dans sa formeexpérimentale, usant beaucoup de tournures néga-tives, de dédoublements, de bégaiements, d’énoncéssans ponctuation. Le lecteur s’y perdra, parfois avecle plaisir de découvrir une prose poétique puissante,parfois avec le sentiment de parcourir plusieurs foisle même chemin. Jean-Emmanuel Denave

Sylvain CavaillèsDe vaines mercisÀ Rebours143 p., 15 ¤ISBN 978-2-915114-23-2

voisins de jeunesse, amis de palier, qui tousvendent leur passé sur des cintres de fortune.Sur l’un d’entre eux, ceci : « Vends FabriceMelquiot et tout ce qui va avec ». L’auteur brade ses souvenirs comme on se débar-rasserait de vieilles peaux successives. Et à la fin,il se retrouve neuf comme au premier jour, don-nant tout son sens à l’épigraphe de T. S. Eliot :« Et le terme de notre quête/Sera d’arriver là d’oùnous étions partis/Et de savoir le lieu pour la première fois ». R.-Y. R.

Fabrice MelquiotBraderie des ombresFacim/Créaphis78 p., 9,80 ¤ISBN 978-2-35428-050-5

Sur la route des sensations

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Le 7 juillet dernier s’est tenue, au muséesavoisien de Chambéry, la réunion annuelledes éditeurs de la région, organisée par l’Arald,où quelque quarante maisons d’éditionétaient représentées. Geneviève Villard, pourla Région Rhône-Alpes, et Gilles Lacroix, pourla DRAC Rhône-Alpes, participaient à ce ren-dez-vous estival attendu. Chaque année, il estl’occasion de faire le bilan des actionspassées, mais aussi d’entendre s’exprimer lesbesoins et les attentes de la profession pour

mieux envisager de nouvelles perspectives.Des pistes de travail ont ainsi été donnéesautour de la question du numérique et de laformation. La Région Rhône-Alpes a d’ailleursmis un nouveau dispositif à l’étude pour2012. L’après-midi, Marion Baudouin, coordi-natrice de l’association Libraires en Rhône-Alpes, était invitée à se faire l’écho des Assisesnationales de la librairie qui se sont tenues àLyon en mai. Une attention particulière a étéportée aux relations entre les éditeurs et leslibraires de la région. Enfin, les éditeurs ontexprimé leur souhait de se regrouper en asso-ciation et ont pu interroger Marion Baudouinsur l’expérience des libraires. M.-H.B.

simple version sur écran d’un livre papier. Avecce projet de site compagnon, nous offrons un hori-zon plus vaste au lecteur et un véritable outil detravail », rappelle Emmanuelle Vouillot, chargéede la communication aux PUG. Les auteurs sontinvités à poursuivre leur travail et à enrichir lesite : « Avoir le réflexe de partager ses données,c’est un véritable apprentissage », préciseEmmanuelle Vouillot, qui annonce par ailleursde nouveaux projets d’édition numériqueenrichie. J.B.

Grenoblecité internationale, cité d’innovationsSous la direction de Daniel BlochPresses universitaires de Grenoble238 p., 20 ¤ISBN 978-2-7061-1656-8

Site compagnon : www.grenoble-cite-innovations. frwww.pug.fr

l’éditeur grenoblois d’évoquer ces initiativesnovatrices dans un livre accessible à tous etrenouvelé dans sa forme.

Grenoble, mode d’emploi

Le fonctionnement du livre est simple, il s’agitde naviguer entre le papier et l’écran. À chaquechapitre, un QR code à scanner avec un smart-phone se double d’un lien qui mène au site com-pagnon. Sur le web, des compléments au livrepapier sont proposés : photos, vidéos, données plus précises, schémas ougraphiques sont actualisés régulièrementafin de donner aux lecteurs les informa-tions recherchées. Ces derniers ont aussileur mot à dire puisque l’ouvrage est par-ticipatif. Une page de commentaires estainsi accessible en ligne pour dialogueravec les auteurs, susciter des débats ouobtenir des précisions.C’est un véritable chantier-test pour lesPUG, qui cherchent avec ce projet àaffirmer que le numérique est unerichesse pour le livre : « On nous reprochesouvent l’inutilité du livre électronique,

Les Presses universitaires de Grenoblepublient Grenoble, cité internationale, cité

d’innovations, premier ouvrage en éditionnumérique enrichie. De l’innovation dans laforme et dans le fond.

Ce n’est pas un livre, mais bien plusieurs volumes en un seul que l’on peut découvrir dansla première édition numérique enrichie deGrenoble, cité internationale, cité d’innovationslancée par les PUG. Pour les éditeurs, il étaitnécessaire de « penser le livre et le numériquecomme complémentaires et de comprendre qu’ilspeuvent s’enrichir mutuellement ».Sous la direction de Daniel Bloch, l’ouvrage propose un tour d’horizon des différentes inno-vations grenobloises. En Isère, les technologiesde pointe, mais également les politiques culturelles ou sociales, l’économie et l’environ-nement ont souvent une longueur d’avance.L’occasion était donc toute trouvée pour

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actualités/édition

Le Vampire actif, une nouvelle maisonassoiffée de littératureCréée en 2007 à Écully, la maison d’édition associativeLe Vampire actif a d’abord cultivé sa présence surInternet en animant deux blogs, Le Vampire Ré’actif etLe Vampire Inter’actif. Il fallait se lancer et essaimer.Puis, la toile s’est tissée d’elle-même avec les lecteurs,les libraires, les festivals de littérature… Lorsque le pre-mier ouvrage est paru, deux ans plus tard, il a aussitôttrouvé son public. Le Vampire actif avait pris son envol.Le nom de la maison, Karine Cnudde et Hugues Beesau,les éditeurs, le doivent à Michel Tournier, qui comparela publication d’un livre à «un lâcher de vampire». Pourdevenir une œuvre vivante, le livre doit en effet se nour-rir de lecteurs. La ligne éditoriale défendue par ces deuxlecteurs insatiables est tournée vers la littérature et« des textes qui font le choix de la langue ». En octobre, le catalogue s’enrichit de deux titres dansune nouvelle collection, « Les Échappées », qui fait unpas de côté pour accueillir des textes atypiques, pluspoétiques et engagés sur le plan formel : Brueghel enmes domaines, petites proses sur fond de lieux, de Lionel-Édouard Martin et Fers, de Véronique Gentil. M.-H.B.

www.vampireactif.com

PUG : naviguer entre le papier et l’écran

Lire et surfer

Rencontre annuelledes éditeurs

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Octobre noirtexte de Didier Daeninckx,illustrations de MakoÀ travers l’histoire d’unjeune homme d’originealgérienne et de son groupe de rock, cette bande

actualités/manifestation

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entre auteurs et lecteurs, tout en satisfaisant les professionnels, parfoislassés de la routine de ce genre demanifestation. C’est l’objectif ques’est donné l’équipe de la Fête dulivre de Saint-Étienne, et la théma-tique de cette édition, « Liberté(s) »,est l’occasion, selon Sophie Thierry,coordinatrice de la manifestation,«de se renouveler et de proposer plusde contenu ».Après le succès de la première

journée organisée l’annéedernière, un nouveau tempsréservé aux professionnels est proposé autour de La fabrique de l’écriture. Lesécrivains Emmanuel Audely,Christian Garcin et MathieuRiboulet sont invités àréfléchir à « l’invention de lalangue», alors que l’après-midiest consacrée à « la com-mande, liberté ou entrave ? »,avec Pierre Jourde, Yves Raveyet Gaëlle Bantegnie. Pour lesorganisateurs, il s’agit de remet-tre le travail d’écriture au cœurdes réflexions et de permettreaux écrivains de partager leurexpérience. C’est aussi dans cet esprit quela Fête du livre a souhaité

Pour sa 26e édition, la Fête dulivre de Saint-Étienne continuede réconcilier lecteurs amateurset professionnels du livre. Au programme, une thématique d’actualité, une journée profes-sionnelle, et surtout des lectures !

Pas facile pour une manifestation littéraire de rendre la littératureaccessible au plus grand nombre, desusciter un échange intellectuel

dessinée s’intéresse à un épisode douloureux de la décolonisation : la répression sanglante de la manifestationpacifique du FLN, le 17 octobre 1961.64 p., 13,50 ¤ISBN 978-2-918462-11-8

ÉDITIONS STÉPHANEBACHÈS

Une histoire de la peinture à LyonEn 46 chapitres sontévoquées les principalesdates de l’histoire de la peinture à Lyon, du XVe

au XXIe siècle. Sous la formed’une chronique, l’ouvragedécouvre une suite deparcours artistiques ayanttous un lien singulier avec le territoire lyonnais. 368 p., 59 ¤ISBN 978-2-35752-084-4

BALIVERNES

Les Baisers de Cornéliustexte d’Agnès de Lestrade,illustrations de Charlotte Cottereaucoll. « Calembredaine »

Le vieux Cornélius est un inventeur. Un jour,

il fabrique une machine à baisers qui va bouleverserla vie de son petit village,mais aussi la sienne et celle de Gala, la sorcière…Un album sur la vieillesseplein de tendresse.40 p., 12 ¤ISBN : 978-2-35067-061-4

UN COMPTOIR D’ÉDITION

Les Unitésde Sabine BourgoisUne fillette de 9 ans est confrontée à une louve et à la mort atroce du Petit Chaperon Rouge. Devenue adulte, la jeunefemme interroge cette mort. Un récit poétique qui cherche à rouvrir le temps, le temps bloqué de l’enfance.100 p., 12 ¤ISBN 978-2-919163-02-1

Fête du livre de Saint-Étienne : une nouvelle journée professionnelle

Saint-Étienne pour les pros !

nouveautés des éditeurs

Les marchésd’achats de livres :deuxième étape

En janvier 2011, une journée d’in-formation et de réflexion sur l’ac-

cès des libraires aux marchés d’achats delivres des bibliothèques réunissait les pro-fessionnels pour mesurer la réalité deséchanges économiques entre libraires etbibliothécaires. Dans la continuité desréflexions menées par la Drac Rhône-Alpes et l’Arald, une deuxième journéed’information et d’ateliers pratiques estorganisée pour les bibliothécaires.La rencontre sera l’occasion de présen-ter le nouveau Vade-mecum à l’usage desbibliothèques et de l’État, des collectivi-tés et de leurs établissements, et de rap-peler les principales dispositions du Codedes marchés publics. Les bibliothécairesde la région sont également invités àéchanger sur la situation économique dela librairie et le rôle des différents acteursde la chaîne du livre. Trois lieux sont proposés afin de facili-ter les déplacements. Le 22 novembreà Lyon, pour les bibliothécaires de l’Ain,de la Loire et du Rhône; le 1er décembreà Chambéry, pour les professionnelsde l’Isère et des deux Savoie ; le9 février à Valence, pour l’Ardèche et laDrôme. Analyses de cas et exercicespratiques sont au programme, pourmieux comprendre les enjeux qui pré-sident à la préparation d’un marchépublic d’achats de livres.

Les marchés d’achats de livres des bibliothèques publiquesJournées d’information et d’atelierspratiques ouvertes aux bibliothécaires,nombre de participants limité.Inscriptions auprès de l’Arald :04 50 51 64 63 ou [email protected]

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collaborer plus étroitement avec lesacteurs culturels locaux, notam-ment les libraires. Ces derniers,présents cette année dans les dif-férents groupes de travail, ont égale-ment participé au choix de plusieursauteurs qu’ils défendent déjà dansleurs librairies : un gage de complé-mentarité et une façon de faciliterla rencontre avec les lecteurs. « Lepublic de la Fête du livre ne fréquentepas forcément les librairies », rappelleSophie Thierry, « il nous faut rendrela littérature plus visible, et le rôle deslibraires stéphanois est important ».Celui des éditeurs également. Le responsable d’Encre marine viendra d’ailleurs en voisin participerà une rencontre. Enfin, les rendez-vous sont nombreux pour cettesemaine littéraire : rencontre avecJean-Christophe Ruffin, parrain del’édition, table ronde autour desévénements du printemps arabedans la littérature, et même un ballittéraire avec Fabrice Melquiot ! J.B.

Fête du livre de Saint-Étienne14-16 octobreJournée professionnelle le 13 octobre de 10h à 16h30(Participation gratuite sur inscription)

Médiathèque Municipale

20-24 rue Jo Gouttebarge

http://fête-du-livre.saint-etienne.fr

Sélection des nouveautés des éditeurs de Rhône-Alpesréalisée par Marie-HélèneBoulanger

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FAGE ÉDITIONS

L’Affaire Liabeuf :Histoires d’unevengeance de Frédéric LavignetteEn assassinant un policier par vengeance, Jean-JacquesLiabeuf ne soupçonnait pasqu’il serait à l’origine d’undébat de société tonitruant. À partir de la presse del’époque, l’affaire Liabeuf est retracée depuis le9 janvier, jour du crime,

jusqu’à la date del’exécution, le 1er juillet 1910.304 p., 29,50 ¤ISBN 978-2-84975-205-0

JARJILLE ÉDITIONS

C’est du proprede ZelbaAprès Ma vie de poulpe,l’illustratrice WiebkePetersen, alias Zelba, signeson deuxième ouvrage chezJarjille. Cette bande dessinée

ÉDITIONS OLIVÉTAN

L’Église dans l’espacepublic. De quel droitprend-elle part à ses débats ? Qu’est-ce qui autorise l’Église à s’exprimer dans une sociétélaïque ? L’auteur développe ici une large réflexion sur la légitimité de l’Église à descendre sur la placepublique. 480 p., 25 ¤ISBN 978-2-35479-131-5

PRESSES DE L’ENSSIB

Mener l’enquête. Guidedes études de publics en bibliothèquesous la directionde Christophe Evanscoll. « La boîte à outils »

Une véritable approche deterrain qui imagine aussid’autres scénarios que ceux de la violence répétée pourconstruire l’avenir du pays.296 p., 19 ¤ISBN 978-2-70611-672-8

en noir et blanc raconte avec humour et tendressedes tranches de vie.162 p., 15 ¤ISBN 978-2-91865-819-1

MNÉMOS

Eternity Incorporatedde Raphaël Granier de CassagnacAprès l’anéantissement dela civilisation par un virusinconnu, une partie del’humanité survivante atrouvé refuge dans uneville-bulle. Un récit descience-fiction qui dévoileles ressorts d’une sociétéfuturiste se rêvant idéale. 288 p., 19 ¤ISBN 978-2-35408-119-5

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regard/

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image, pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinentsur l’univers des livres, des lectures et des écrivains…

Au travailLe bon sensVoilà, c’est fait. Je viens d’envoyer un mail à l’Institut français, afin de confirmer ma présence durant sept mois au Japon, à la villa Kujoyama.Semblable à une athlète de haut niveau, un mini-mum de préparation mentale m’est nécessaire avantle départ.Pour pouvoir s’adonner en paix à la connaissance,il importe, comme l’écrit Descartes dans son Discoursde la méthode, de «savoir comment vivre. En ce sens,la saine méthode exige que l’on pose d’abordquelques règles simples de “morale” assurant la paixintérieure du chercheur. »1/ Le bon sens : la raison, la faculté de juger, de dis-tinguer le vrai du faux. Toujours selon Descartes, le« bon sens » devrait permettre d’atteindre la vérité etd’éviter l’erreur.2/ La certitude et l’évidence : impossibilité de douter en raisonde la complète clarté des notions, qui s’impose sans restriction à l’esprit.3/ L’ignorance : peut être considérée dans le bouddhisme comme unepassion. Ce n’est pas pour Jacques Lacan une moins-value, ce n’est pasnon plus un déficit. C’est autre chose. « L’ignorance est liée au savoir. »Je dois m’accoutumer à cette future réalité : je pars seule et je vais vivredes mois sans la présence de mon fils.

J’ignore la sensation de manque liée à la séparation d’une mère et de son enfant, sur une aussi longue durée. Je ne sais pas si l’on fait toujours nos choix suivant le

« bon sens », ni si essayer d’atteindre la vérité évite l’erreur. Ce que je sais, c’est qu’il faut souvent

se battre contre soi-même pour rester au plus près de

ses convictions et de sesengagements.

chronique Géraldine Kosiak 24 /

Ce guide présente de façondétaillée et pratique les étapesqui jalonnent le déroulementdes études de publics. L’ouvrageest complété par des exemplesd’enquêtes réalisées enbibliothèques publiques etuniversitaires. 159 p., 22 ¤ISBN 978-2-910227-89-0

PUG

Afghanistan, gagner les cœurs et les espritssous la direction de Pierre MichelettiDes universitaires, des journalistes et deshumanitaires croisent leurspoints de vue sur lesmécanismes qui alimentent le conflit afghan depuis le 11 septembre 2001.

DescartesDiscours de la méthode10/18

Jacques LacanJe parle aux mursSeuil

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Cela pourrait s’appelerune biographie par labande, une tentative deraconter les bords et lesdébords de la vie deJean-Jacques avant qu’ilne devienne Rousseau,fragments ou frangesd’existence de celui quin’en est encore qu’àrêver d’être et qui ne saitpas vraiment ce qu’ildeviendra : prêtre, maîtrede musique, précepteur,diplomate. Nous sommesdans les années 1730.Cela ne fait guère dedoute : Jean-Jacques àvingt ans a plus d’un touret détour dans son sac. Au vrai, il tourneparfois sur lui-même, s’en va d’où il vient,revient, repart et vice-versa. Une véritabletoupie suisse. Dans un style alerte, vivant, jamais pesant,Claude Mazauric, historien de formation,spécialiste du XVIIIe siècle, parvient à saisirl’âme du philosophe qui croît dans le corpsde l’adolescent échappé de Genève, étrangeet troublante âme, incertaine, où le désir ledispute sans cesse au désordre. Certes, laplupart des épisodes de la vie de Jean-Jacques sur lesquels l’auteur se penche sontconnus, ils ont été mille fois scrutés, com-mentés, démontés : le peigne brisé, le rubanvolé, la fessée voulue… De même, la vieaffective de l’éternel « Petit » de « Maman »(Madame de Warens) n’est évidemment pasune découverte, pas plus que l’aventuremerveilleuse et sans lendemain avecMadame de Larnage sur la route deMontpellier ou encore la rencontre avec les deux jeunes filles aux cerises. Maisl’essentiel est ailleurs, dans la manière d’agencer ces signes avant-coureurs, d’enfaire les éléments d’une dialectique propreà Rousseau : son indécision décisive.L’autre nom de cette indécision, c’est bien sûrl’errance, qui fut pour le jeune Rousseauautant physique que psychique, une manièrefondatrice d’aller et de revenir, d’être et de ne pas être. Des villes – Genève, Annecy,

Fribourg, Lyon, Turin –qu’il découvre, quitte,retrouve (comme unefemme?). Des paysagesqu’il traverse, des mon-tagnes qu’il aperçoit,des lacs, des grottespropices à la rêverie.C’est une des réussitesde ce livre que de nous faire entendre com-ment Jean-Jacques s’estperdu et retrouvé dansune géographie aussiserrée que singulière,un morceau du mondepas plus grand qu’unmouchoir de poche.

Comment, aussi et peut-être avant tout, son errance lui a ouvert poli-tiquement les yeux : « à travers ses déplace-ments de chemineau occasionnel et sestribulations de voyageur sans but assuré,Jean-Jacques Rousseau s’est construit enquatre années une sorte d’identité franco-phone quasiment cosmopolite au vu de laconfiguration étatique de ce temps », écritjustement Mazauric. Le destin du « citoyen de Genève » est enmarche. Il n’a plus 20 ans depuis longtemps.Trois voies s’offrent désormais à lui, qu’ilva explorer comme seul un voyageur lepeut. La musique et la diplomatie sontplus ou moins des échecs. Reste la philoso-phie, l’immense étendue de l’œuvre àvenir, ses somptueux paysages d’écritureaussi. Jean-Jacques en moins. Rousseau en plus. Roger-Yves Roche

ClaudeMazauricJean-JacquesRousseau à 20 ansAu Diable vauvert152 p., 12 ¤ISBN 978-2-84626-289-9

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Une jeunesse : tours et détours de Jean-Jacques

Rousseau, à hue et ado !Comment Jean-Jacques est devenu Rousseau. En quelque 150 pages aussi densesque passionnantes, Claude Mazauric parvient à saisir l’âme du philosophe qui croîtdans le corps de l’adolescent échappé de Genève.

ROUGE INSIDE ÉDITIONS

Tarifad’Eduardo IglesiasÀ l’extrême sud de l’Espagne, laville de Tarifa fait face au Maroc,avec comme horizon la mer,frontière quasi-infranchissablepour les immigrés clandestins.Dans ce roman, l’auteurespagnol livre une intriguepolicière d’une grande actualité. 150 p., 15 ¤ISBN 978-2-91822-608-6

livres & lectures/essaisLe livre, un objet écologique ?

Quel est l’impact d’un livre sur l’environnement ? Le papier recycléest-il réellement plus écologique ? Faut-il privilégier les encres végé-tales ? La maison d’édition Terre Vivante, spécialisée dans l’écologiepratique et soucieuse, depuis ses débuts, d’une production respec-tueuse de l’environnement, a voulu vérifier ses a priori et améliorerses pratiques.

Le parcours d’un livre édité par la petite maison iséroise a été étudié« du berceau à la tombe », en mettant en place la première Analyse ducycle de vie d’un livre (ACV). Extraction des matières premières, fabri-cation, impression, transport et recyclage, chaque étape est analysée,en comparant deux ouvrages test : l’un en papier recyclé, l’autre imprimésur du papier pâte vierge.Financée par la Région Rhône-Alpes et l’Ademe (Agence de l’environ-nement et de la maîtrise de l’énergie), et réalisée par les bureaux Kaoriet Air Be, l’analyse a permis à Terre Vivante de réaliser une charte tech-nique détaillée pour formaliser ses exigences envers ses prestataires.Puisque la production de fibres vierges est la phase la plus polluante,place au papier recyclé, en privilégiant la certification PEFC, issue desforêts durablement gérées. Le choix a été également fait de diminuer la distance entre le lieu de productiondu papier et l’imprimerie. L’impressionet le façonnage seront eux aussi réa-lisés en limitant les produits toxiques.Prochaine étape, l’utilisation, dès l’automne 2011, d’étiquettes d’impactécologique sur les livres, dans le cadredu programme national d’affichageenvironnemental prévu en 2012. Le livret qui retrace cette analyse et lesinformations récoltées est téléchar-geable sur le site Internet de Terrevivante. J.B.

Livret à télécharger sur : www.terrevivante.org/1034-acv.htmTerre VivanteDomaine de Raud38710 Menswww.terrevivante.org

TERRE VIVANTE

Vandana Shivade Lionel AstrucCette biographie romancéeretrace le combat de VandanaShiva pour la sauvegarde de labiodiversité, la protection dessemences et la reconnaissancedes communautés paysannes. Un voyage à travers l’Inde, entresuspense et réflexion écologique.192 p., 18 ¤ISBN 978-2-36098-043-7

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Carte postale, sans date. Le recto porte une biographie de Jean-Jacques Rousseau.

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Consultez le blog Rousseau 2012 sur www.arald.org/rousseau+ + + + + + + + +

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ambulante à laquelle il se vit assigné.Du coup, ses insubordinations nousconcernent autant que ses rêveries.Et si marchant, marchant avec lui,jusqu’à ce bosquet, là-bas, ces pansd’obscurité ou ces dalles d’azur quise délitent à l’intérieur des nues,il se peut qu’on se perde, ce seravolontiers.Pour la fontaine d’un village.Un sourire.Une poignée de griottes.Des gestes de défi. Un baiser sousdes acacias. Quelque chose de bleu.

Lionel BourgLa Croisée des errances

© La Fosse aux ours

Blog Rousseau 2012 :www.arald.org/rousseauwww.rhonealpes.fr (rubrique culture,« Rousseau 2012 »)

Lire. Écrire. Marcher.Imprimer ses pas dans ceux de Rousseau, humblement,fièrement bien sûr, s’orienterait-on sans sauvegarde parles pistes moins tortueuses que frappées d’interdits qu’ileut le cran de pratiquer.Gribouiller le silence.Contempler à son tour, la nuit, l’impénétrable ossuaired’astres et de froides planètes où gisent tant de divinités.J’aime Rousseau.La déclaration n’est pas raisonnable.Elle apprend beaucoup en revanche. Beaucoup et,d’abord – les divergences, la restriction n’entrent pas encompte –, qu’avec cet individu si profondément singu-lier ne s’amorce pas quelque simple bataille moralepropre à la génération des « Lumières ».Il en va d’un élan.D’une brusque, indomptable effervescence embrasantle dehors – naturel, social – comme l’intériorité. Descrues et de l’étiage de la mélancolie. Du déni des castesou des coteries, des compromissions, des privilèges.Rousseau, plus que tout écrivain, philosophe ou poètecouronné de lauriers eut à connaître ce qu’il en coûtede ne pas avilir sa conscience. Son intransigeance, laliberté qui toujours devait être la sienne, fût-elle entra-vée par la charge matérielle d’une vie plus ingrate que

confortable – entrave, mais condition choi-sie, fondatrice –, l’assujettirent à l’âpreté deson siècle. N’ignorant ni l’angoisse, ni l’exal-tation, ni les remords, les mille tracas duquotidien ni les persécutions, le culte nil’aversion du genre humain, il s’efforça,banni, proscrit, en butte au rejet nonmoins qu’à la fourbe commisérationde ses contemporains – la leçonvaut encore –, d’apparier son indé-pendance à notre dignité, notrevertu la plus élémentaire. L’acte,la pensée ne se séparent pas.« Ma tête ne va qu’avec mespieds », professait-il, et cetteprose errante, ce travail de cou-ture, de ravaudage, ces inlassablesvirées réclament de qui s’y risque à nou-veau davantage qu’une pérégrination attentive : suivreJean-Jacques, sous les arbres, dans les rues, le long dessentiers nonchalants ou sévères par lesquels il passa, netémoigne sans doute que d’une très actuelle inquiétude.

De maigres bouleaux.S’agrippant au rocher, les doigts crochus de la bruyère.Des arbustes – pins chétifs, trop jeunes ou trop grêlescoudriers –, un groupe de sorbiers en faction sur l’es-carpement au-dessus d’une cascade, des hêtres auxtroncs fendus comme ventres, des chênes pareils à despèlerins éclopés qui mendieraient dès l’aube sur laroute de Compostelle. La montagne. La forêt. Le chant du rossignol. Une minceclarté.La même rage nonobstant, les mêmes tourments ou lamême colère en ces mêmes allées où l’on foule un tapisde feuilles mortes, puisque rien n’a changé, ni l’injusticeni la misère, et qu’on les hait, les Grands, « leur état, leurdureté, leurs préjugés, leur petitesse, et tous leurs vices »,qu’on les méprise plus encore et que, de bon cœur, on« paumerait la gueule à Monsieur le Chef et Monsieur leMaître », préférant le commerce des réprouvés à celui de« ces tas de désœuvrés payés de la graisse du peuple pouraller six fois la semaine bavarder dans une académie,[…] cette foule de petits intrigants dont Paris est plein, quitous aspirent à l’honneur d’être des fripons en place ».Rousseau n’est pas, c’est à traits si grossiers qu’on lecampe, le bonhomme doux, compréhensif, cajolant lesenfants de ses hôtes – qui distribue des pommes, desoublies–, pas seulement ce botaniste courbé sur de volu-mineux herbiers ou prodiguant avis et conseils à ses cor-respondantes qu’une imagerie quasi sulpicienne vou-lut populariser. Il est ce cri. Cette indignation qu’aucunbaume n’apaise, cet homme comme ce gamin meurtridevant qui les portes, celles de Genève, de Dieu quandtout parut consommé, se refermèrent, le vouant à la vie

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l’Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction : Julie Banos

Ont participé à ce numéro : Nicolas Blondeau,Marie-Hélène Boulanger,Lionel Bourg,Jean-Emmanuel Denave,Géraldine Kosiak, DanielleMaurel, Yann Nicol, VincentRaymond, Roger-Yves Roche,Lionel Saläun. Remerciements à Pierre-Jean Balzan.

Livre & Lire/Arald 25, rue Chazière – 69004 Lyon tél. 0478395887 fax 0478395746 mél. [email protected] www.arald.org

Siège social/Arald1, rue Jean-Jaurès — 74000 Annecy tél. 0450516463 — fax 0450518205

Conception : PerluetteImpression : ImprimerieFerréol (Imprim’Vert). Livre & Lire est imprimé sur papier 100 % recyclé avec des encres végétales

ISSN 1626-1331

inédit/

Extrait d’un livre à paraître prochainement à LaFosse aux ours, à l’occasion de la célébration dutricentenaire de la naissance de Jean-JacquesRousseau en 2012, ce texte de Lionel Bourg,accompagné de dessins de Géraldine Kosiak, estné de plusieurs mois de compagnonnage avecRousseau ainsi que d’une série de résidences itinérantes, qui ont permis à l’auteur de mettreses pas dans ceux de l’écrivain, philosophe, botaniste… en différents lieux de Rhône-Alpes.Soutenu par la Région, ce projet d’envergure donnera naissance à une publication vivante, poétique, rousseauiste et personnelle à la fois.Pour Lionel Bourg, une façon de montrer « lamodernité de Rousseau, en rappelant à quel point

il est d’une actualité saisissante, tant d’un point de

vue littéraire que politique ».

nous écrire > > > > [email protected]

La croisée des errances

Illustrations de Géraldine Kosiak