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Le Parti communiste italien vient d’achever son processus de social-démocratisation. Lors de son dernier congrès, à Rimini, en février 1991, il a abandonné son appellation historique pour prendre le nom de Parti démocratique de la gauche (PDS). Fier pendant longtemps de son “identité communiste” et même de sa “diversité” dans le cadre du système politique national et de la gauche euro péenne, le PCI a été, pendant plusieurs décennies, non seulement la force principale du mouvement ouvrier italien mais aussi le parti communiste le plus important de l’Occident capitaliste. A la fin de cette trajectoire, un bilan s’impose. Dans cette étude, Li vio Maïtan analyse les moments fondamentaux de l’histoire du PCI et souligne les problèmes et les contradictions qui ont préparé le tournant actuel. Livio Maïtan. à Venise en 1923, il est actif dans le mouvement ouvrier italien depuis le début de la Deuxième Guerre Mondiale. Responsable national des Jeunesses socialistes à la libération, il adhère en 1947 à la Quatrième Internationale, dont il est aujourd’hui un des principaux dirigeants. Il a enseigné la sociologie à l’Université de Rome et a traduit et préfacé presque toutes les éditions italiennes des écrits de Trotsky. Parmi ses ouvrages, on peut rappeler ici Pci 1945-1969 stalinismo e opportunismo, Rome, 1969 ; Partira, esercito e masse nella crisi cinese, Rome, 1969 Dinamica delle classi sociali in houa, Rome, 1976 Destino di Trockij, Milan, 1981 ; II marxismo rivoluzionario di Antonio Gramsci, Milan, 1987. ~indecon~de Nom - Prénom Numéro et rue Commune Code postal Pays Ci-joint la somme de pour * un abonnement à cinq numéros des CER (100 FF), à partir du numéro * les numéros suivants des CER (20 FF, 25 FF ou 40FF par exemplaire; voir titres en page 2) Chèques libellés à lordre de P. Rousset, de préférence en francs français, tirables dans une banque située en France. Envoyer à CER, 2 rue Richard-Lenoir, 93108 Montreuil, France. Virements postaux à P. Rousset, CCP Paris 11 541 97 T. Paiements groupés indiquer la somme pour les CER. Eviter les eurochèques. Cahiers d’Etude et de Recherche N°15 (1SSN0298-7899) 1991 25FF, lOFS, 170FB Dans la série “études” Du PCI au PDS La longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan Introduction p. 3 1. Le PCI dans la dynamique sociale et politique italienne p. S 2. Le cadre international p. 8 3. De Livourne à la social-démocratie p. 13 4. Des choix alternatifs étaient-ils possibles ? p. 18 5. Les protagonistes: de Togliatti à Berlinguer p. 26 6. Le dernier tournant p. 34 7. Eloge de la révolution p. 41 Annexes Chronologie p. 4 Glossaire p. 44 Bibliographie p. 46 Du PCI au PDS La longue marche du Parti communiste italien . Livio Maïtan numéro 15, 1991 Institut International de Recherche et de Formation 25F, lOFS, 170FB

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Le Parti communiste italien vient d’achever son processus de social-démocratisation. Lors de son dernier congrès, à Rimini, enfévrier 1991, il a abandonné son appellation historique pour prendre le nom de Parti démocratique de la gauche (PDS). Fier pendantlongtemps de son “identité communiste” et même de sa “diversité” dans le cadre du système politique national et de la gauche européenne, le PCI a été, pendant plusieurs décennies, non seulement la force principale du mouvement ouvrier italien mais aussi leparti communiste le plus important de l’Occident capitaliste. A la fin de cette trajectoire, un bilan s’impose. Dans cette étude, Livio Maïtan analyse les moments fondamentaux de l’histoire du PCI et souligne les problèmes et les contradictions qui ont préparéle tournant actuel.

Livio Maïtan. Né à Venise en 1923, il est actif dans le mouvement ouvrier italien depuis le début de la Deuxième GuerreMondiale. Responsable national des Jeunesses socialistes à la libération, il adhère en 1947 à la Quatrième Internationale, dont il estaujourd’hui un des principaux dirigeants. Il a enseigné la sociologie à l’Université de Rome et a traduit et préfacé presque toutes leséditions italiennes des écrits de Trotsky. Parmi ses ouvrages, on peut rappeler ici Pci 1945-1969 stalinismo e opportunismo,Rome, 1969 ; Partira, esercito e masse nella crisi cinese, Rome, 1969 Dinamica delle classi sociali in houa, Rome, 1976Destino di Trockij, Milan, 1981 ; II marxismo rivoluzionario di Antonio Gramsci, Milan, 1987.

~indecon~de

Nom - Prénom

Numéro et rue

Commune Code postal PaysCi-joint la somme de pour

* un abonnement à cinq numéros des CER (100 FF), à partir du numéro* les numéros suivants des CER (20 FF, 25 FF ou 40FF par exemplaire; voir titres en page 2) ‘

Chèques libellés à lordre de P. Rousset, de préférence en francs français, tirables dans une banque située en France. Envoyer à CER,2 rue Richard-Lenoir, 93108 Montreuil, France. Virements postaux à P. Rousset, CCP Paris 11 541 97 T. Paiements groupésindiquer la somme pour les CER. Eviter les eurochèques.

Cahiers d’Etude et de Recherche

N°15 (1SSN0298-7899) 1991 25FF, lOFS, 170FB

Dans la série “études”

Du PCI au PDSLa longue marche du Parti communiste italien

Livio Maïtan

Introduction p. 3

1. Le PCI dans la dynamique sociale et politique italienne p. S2. Le cadre international p. 83. De Livourne à la social-démocratie p. 134. Des choix alternatifs étaient-ils possibles ? p. 185. Les protagonistes: de Togliatti à Berlinguer p. 266. Le dernier tournant p. 347. Eloge de la révolution p. 41

Annexes

Chronologie p. 4Glossaire p. 44Bibliographie p. 46

Du PCI au PDSLa longue marche du

Parti communiste italien

.

Livio Maïtan

numéro 15, 1991

Institut International de Recherche et de Formation

25F, lOFS, 170FB

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CAHIERS D’ETUDE ET DE RECHERCHENOTEBOOKS FOR STUDY AND RESEARCH

Les Cahiers dtEtude et de Recherche/NoteboolcsforStudy and Research (CERINSR) sont publiés dansle cadre des activités de l’Institut International deRecherche et de Formation/International Institute forResearch and Education (IIRF/IIRE).

Ils comportent trois séries:

* La série “cours”: sont reproduits dans cette sériedes cours donnés dans le cadre de l’IIRF (et parfoisdautres institutions). On trouve dans les cahiers decette série, outre la transcription du cours lui-même,un matériel de lecture complémentaire quiaccompagne le texte principal.

* La série “études” : sont publiées dans cette sériedes études systématiques portant soit sur un pays etune expérience donnés, soit sur une thèmeparticulier.

* La série “dossiers et débats” : sont présentésdans cette série un ensemble de documents,d’articles et d’interviews qui permettent de faire lepoint sur une question controversée.

Les mêmes textes paraissent en français, sous le titreCahiers d’Etude et de Recherche, numérotés selon laséquence de publication française, et en anglais,sous le titre Notebooks for Study and Research,numérotés selon la séquence de publication anglaise.

Certains cahiers sont traduits en d’autres langues,notamment en espagnol, en allemand et en portugais.Pour plus d’informations sur leur disponibilité,écrire à la rédaction.

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En françaisN° 1 La Place du marxisme dans l’histoire, par Emest Mandel(série “étudet~”) (40 p. 20FF)N° 2 La révolution chinoise - Tome I La Deuxième révolution chinoise et la formation du projet maoL~te, par PierreRousset (série “études”) (32 P. 20 FE)N° 3 La révolution chinoise - Tome II Le maoïsme àl’épreuve de la lutte de pouvoir, par Pierre Rousset (série“études”) (48p. 25FF)N° 4 Sur la révolution permanente, par Michael LÔwy (série“études”) (44 p. 20FF) (2ème tirage) *

N° S Lutte de classe et innovation technologique au Japondepuis 1945, par Muto Ichiyo (série “études”) (48p. 25 FE)N° 6 Le populisme en Amérique latine, textes d’Adolfo Gilly,Helena Hirata, Carlos M. Vilas, PRT argentin présentés parMichael Ltiwy (série “dossiers”) (40 p. 20FF)N° 7/8 Plan, marché et démocratie : l’expérience des pays ditssocialistes, par Catherine Samary (série “cours”) (64p. 40FF)N° 9 Les années de formation de la IVème Internationale, parDaniel Bensaïd (série “cours”) (48p. 25FF)N° 10 Marxisme et théologie de la libération, par MichaelLôwy (série “études”) (‘tOp. 20FF)N° 11/12 Les révolutions bourgeoises, par Robert Lochhead(série “études”) (64p 40FF)N° 13 La guerre civile espagnole en Catalogne et au PaysBasque, par Miguel Romero (série “études”) (48p. 25FF)N° 14 Marxisme et parti. Lénine, Trotsky, Rosa Luxemburgpar Norman Geras et Paul le Blanc (série “études”) (48p25FF)En anglaisLes numéros 1 à 12 des CER sont également parus en anglaissauf le numéro 4, traduction de deux chapitres de l’ouvrage deMichael LOwy, The Politics of Uneven and Combined Development: The Theory of Permanent Revolution, disponiblechez New Left Books, Londres, 1981. Les NSR ont publié ennuméro 4 une traduction de la première partie de l’ouvrage deDaniel Bensaïd, Stratégie et parti, disponible à La Brèche,Paris, 1987.

Différents numéros des Cahiers ont déjà été publiés en allemand et en espagnol. Vous pouvez commander à la rédactionle suivant : Planijicacion, mercado y democracia. La experiencia de los llamados payses socialistas par Catherine Samary(64p 40W)

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Livio Maïtan

Introdùctiàn*

Pour le mouvement ouvrier italien, l’heure d’unbilan global n’a pas sonné qu’une seule fois.

Un bilan aurait déjà pu être tiré en 1948, après lavictoire des forces conservatrices aux élections du 18avril qui avaient marqué la défaite du projet inspiré parla politique d’unité antifasciste et la stratégie dedémocratie progressive (1). Les prémisses analytiquesde cette politique s’étaient avérées fausses. Au niveaunational, les groupes hégémoniques au sein des classesdominantes et leur parti, la Démocratie chrétienne(DC), étaient de plus en plus décidés à imposer leurchoix de reconstruire le pays sur les ruines de la guerreen restaurant l’Etat traditionnel avec ses appareils et sesmodes de fonctionnement et en relançant les mécanismes classiques de l’économie capitaliste. Après lapériode transitoire de l’émergence, ils n’avaient aucuneintention d’établir une collaboration systématique avecles partis ouvriers en les associant au gouvernement.Au niveau international, depuis le discours de Churchillà Fulton sur le “rideau de fer” (1946), les puissancesimpérialistes avaient désormais lancé la “guerre froide”en laissant rapidement tomber les illusions sur lapossibilité d’un accord durable entre les pays “démocratiques” pour l’unification d’un monde libre etpacifique (2). Par ailleurs, en juin 1948, la premièremanifestation éclatante de la crise du stalinisme — larupture entre l’union soviétique et la Yougoslavie —

aurait dû stimuler un processus de réflexion critique,d’autant plus que, jusqu’à la veille, la Yougoslavie étaitapparue aux yeux des communistes italiens comme lemeilleur modèle, après l’URSS, de pays socialiste.

Une autre grande occasion s’émit présentée en 1956,après la dénonciation par Khrouchtchev des crimes deStaline et la naissance de mouvements anti-bureaucratiques de masse en Pologne et en Hongrie (sans oublier que des événements analogues s’étaient déjà produits, trois ans auparavant, en Allemagne de l’Est). Acette occasion, le Parti communiste italien (PCI) avaitsubi une secousse sans précédent et avait esquissé uneréflexion autocritique de ses attitudes passées à l’égardde la direction de l’URSS. Mais, en général, il n’avaitpas dépassé les limites d’une acceptation de la perspective de Khrouchtchev, à savoir celle d’une auto-réformede la bureaucratie. Lorsque l’armée soviétique intervinten Hongrie, il avait accepté la thèse officielle etapprouvé de manière explicite la répression contre lesinsurgés.

Un bilan global — d’un point de vue national etinternational — aurait dû prendre en compte d’une partl’expérience tchécoslovaque avec la répression soviétique et, d’autre part, la crise sociale et politique quisecouait profondément la société italienne, ainsi quecelle des autres pays de l’Europe capitaliste, et brisaitles équilibres relatifs établis à la fin des années quarante. Mais ce bilan ne fut pas fait après 1968-1969non plus. Il y eut alors d’autres rectifications et correc

tions, avec des positions à l’égard de l’URSS plus précises que dans le passé, mais on n’arriva jamais à unbilan global des analyses, des perspectives et des orientations.

Il a fallu le tremblement de terre de 1989, précédépar une décennie de déclin du parti, pour se décider àremettre en cause toute une expérience historique. J!devrait être évident pout tout le monde que le bilan quis’impose doit avoir une dimension internationale et nonseulement nationale. Il doit partir d’une réflexion globale, d’une reconstruction historique capable d’éviter lestentations apologétiques ou justificatrices. Il s’agit, niplus ni moins, du bilan de plusieurs décennies de “construction du socialisme” dans des sociétés de transitionbureaucratisées et, tout d’abord, de l’expérience tragiquedu stalinisme depuis la fin des années vingt et pendantles années trente et quarante. Il s’agit, en même temps,pour ne pas remonter plus loin, du bilan d’un demi-siècle d’histoire du mouvement ouvrier et des partiscommunistes dans les pays capitalistes industrialisés.Les ravages ont été si profonds, les échecs si éclatants,les contradictions si déchirantes, l’égarement idéologique et moral si grave, que les argumentations faisantappel au soi-disant réalisme politique avec lesquelles lePCI avait accepté comme inéluctable pendant plusieursdécennies la réalité présente, en lançant l’anathème conte tous ceux qui osaient contester ses analyses et sesperspectives, ses choix tactiques ou stratégiques, sesméthodes de direction ou d’organisation, eh bien cesargumentations ne tiennent plus Les résultats de l’oeuvre des soi-disant réalistes apparaissent aujourd’hui sousun jour dramatique et cela permet aux classes dominantes d’entonner la marche funèbre du communisme etdu socialisme en proclamant la pérennité de l’ordreexistant.

L’oeuvre à entreprendre maintenant est tout simplement colossale. C’est une entreprise extrêmement difficile de recomposition et de reconstruction, voire defondation ex novo. Le bilan du passé en constitue uneprémisse indispensable. Le but de notre essai est celuid’y contribuer en reconstituant de manière critique l’itinéraire d’un parti qui, après avoir joué pendant environcinquant’ans un rôle incontestable de premier plan, a ététouché par une crise qui l’a amené à remettre en causenon seulement son passé, mais aussi sa raison d’être etson avenir eux-mêmes.

*) cette éLude de Livio Maïtan est panse originellemenL en ita

lien sous le titre AI termine di une tunga merda : dat pci al PDS,chez les éditions Erre Emme de Rome. La traduction française, parEnzo Traverso, a été révisée par l’auteur.

I) Dans un article de Rinascita sur lequel nous reviendrons, Pal-miro Togliatti constatait l’échec du “compromis du front antifasciste” dès aoOL 1946 (une périodisation analogue a été aussi esquissée par Pietro Secchia).

2) A la fin de la guerre, les dirigeants du PCI niaient avec forcela réalité de la création de deux blocs avec leurs zonesd’influence. Lors des débats que, en tant que militant socialisLe,j’ai eu à lépoqaae avec des représentants du PCI, j’ai été souventtraité avec des épithètes très peu flatteurs pour la simple raisonque je mentionnais le sommet de Yalta où l’Europe avait été partagée en zones d’influence.

Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien

cahiers détude et de recherche, périodique publié cinq fois par an. ISSN 0298-7899. Directeur de la publication: Pierre Rouaact.Administration: 2, sue Richard-Lonoir, 93108 Montreuil. Franco. Imprimé par Rotographie. Commission paritaire: 68604.

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1921 : En janvier, se doule à Livourne le Congrès de fondationdu Parti communiste d’Italie (PCd’I). Le nouveau parti, dont Amadeo Bordiga est le secrétaire national, rassemble 58783 militants et la majorité de l’organisation des jeunesses socialistes.Environ 100 000 “communistes unitaires”, dirigés par G. Serrati, et 14000 réformistes animés par F. Turati demeurent dans lePSI.

1922 : ile Congrès du PCdI à Rome. L’Internationale communiste critique l’orientation bordiguiste du parti italien, qui refusela tactique de front unique dans la lotte contre le fascisme. Octobre : “marche sur Rome”. Les fascistes prennent le pouvoir etMussolini est nommé premier Ministre.

1923 Le Çomintern éloigne Bordiga de la direction du PCd’I,en dépit du fait qu’il représente encore la majoriLé du parti.

1924 Assassinat de Matteotli. L’opposition antifascisLe quittele Parlement (retraite dans tAventino, une sorte d’anti-parlement). Les socialistes favorables à la me Internationale(Serrati) adhèrent au PCd’I. A Moscou se déroule le Ve Congrès duComintem.

1925 Attentat contre Mussolini qui déclenche un tournant répressif. P~ssage du “mouvement” au “régime” fasciste et instauration définitive de la dictature. Les partis antifascistes sont mishors la loi. Conférence du PCd’I à Como où les bordiguistessont encore majoritaires. Début d’une campagne contre le “trotskisme-bordiguisme”.

1926 ifie Congrès du PCd’I à Lyon, où sont approuvées lescélèbres thèses sur la révolution italienne rédigées par Gramsei,Ce dernier écrit une lettre au PCUS où il soulève des doutes sur lamanière dans laquelle est menée la lutte contre l’Opposition degauche; la lettre est cachée par Toglialti. Gramsci est arrêté peuaprès la fin du congrès.

1928 VIe Congrès de l’Intemationale communiste, qui marquele début de la “troisième période” et prévoit une nouvelle vaguerévolutionnaire à l’échelle mondiale.

1929 : Accords du Latran entre l’Eglise et le régime fasciste.Stabilisation de la dictature de Mussolini. Débat au sein du Bureaupolitique du PC italien sur les formes du “tournant” (rétablissement du centre clandestin en Italie ct préparation de la révolutionconsidérée comme imminente).

1930 : Naissance de l’Opposition de gauche dans le PC, sous ladirection dc Leonetti, Ravazzoli et Tresso, qui sont immédiate-ment expulsés du parti. On sait maintenant que Gramsci, imprisonné, s’opposa au “tournant” et partageait les positions des“trois”. Bordiga, exilé à Ponza, est à son tour expulsé du parti.

1931 IVe Congrès du PCI à Cologne.

1933 : Hitler prend le pouvoir en Allernagne.

1935 : Vile Congrès de l’Internationale communiste, qui abandonne la politique de la “troisième période” et adopte la stratégiedes fronts populaires. Le PCI rétablit l’alliance avec le PSI dansl’émigration.

1936 Conquête de l’Ethiopie par le fascisme italien. Pacte“anti-Comintem” entre l’Italie, l’Allemagne et le Japon.

1937: Mort de Gramsci.

1936-1939 z Guerre civile espagnole. L’Italie intervient avecl’Allemagne à côté de Franco. Plusieurs milliers de communisteset antifascistes italiens (environ 3 350) s’engagent dans les l3ri-gades internationales pour défendre la République. Togliatti est leprincipal responsable de la politique du Comintem en Espagne.

1939 : Pacte germano.soviétique. Terraeini s’y oppose (il seraexpulsé du parti).

1940 z L’Italie entre en guerre à côté de l’Allemagne nazie.

Livio Maïtan

1943 : Occupation de l’Italie du Sud par les troupes alliées. Décomposition de l’année italienne. Juillet : chute de Mussolini,qui, protégé par les nazis, se réfugie à Salà et fonde la République sociale. L’armée allemande occupe le Centre et le Nord. Enmars, une vague de grèves à la FIAT de Turin marque le début de larésistance. Formation des premiers maquis. Dissolution del’Internationale communiste au nom de la collaboration entrel’URSS et les puissances alliées.

1944 Togliatti quitte Moscou et rentre en Italie, à Salerne. IIimpose au PCI le célèbre “tournanC’ qui lui implique d’appuyerles gouvernements “d’unité nationale” (y compris avec les représentants de la monarchie) et éloigne la perspective du socialismeau nom de la “révolution antifasciste”. Le PCI entre dans le gouvemement d’unité nationale dirigé par le monarchiste Badoglio.Début de la politique de la “démocratie progressive”. Tresso estassassiné par un maquis stalinien lors de la libération du camp oùil est interné, dans le Midi de la France. Dans plusieurs villes seconstituent des groupes communistes dissidents qui seront graduellement reabsorbés par le PCI 0es plus importants sont laFédération communiste dc Naples, le Mouvement de Bandiera rossa à Rome et celui de Siella rossa à Turin, ainsi que d’autres àGênes, Legnano, Foggia, etc.).

1945 : Fin de la guerre et exécution de Mussolini par la résistance. Libération du pays par l’avancée des troupes alliées combinée avec des insurrections populaires dirigées par les Comitésde Libération Nationale (CLN). Le PCI est la force nettement majoritaire et hégémonique au sein de la résistance. Ve Congrès duPCI. Togliatti Ministre de la justice.

1946 Proclamation de la République.

1947 : Début de la “guerre froide”. Le PCI est exclu du gouvernement. Formation du Cominform (Bureau d’information despartis communistes, sous le contrôle de Moscou). Le PCI dénonce 2252716 adhérents.

1948 : Rupture entre l’URSS et la Yougoslavie. Togliatti participe activement à la campagne hystérique de dénonciation du“fasciste” Tito. Défaite de l’alliance électorale entre PCI et PSI;la DC impose son hégémonie (début du centrisme). Attentat contre Togliatti, suivi par une réaction populaire qui débouche sur unmouvement de type insurrectionnel, mais que le PCI parvient àcontrôler.

1949 Création de l’o.T.A.N.

1953: Mobilisation du PCI contre la “loi-escroquerie” (leggetruffa) proposée par la DC et qui prévoit la majorité absolue dessièges au Parlement pour le Parti qui obtiendrait la majorité relative des voix. Face à l’opposition populaire, la loi n’est pas approuvée. Mort de Staline.

1955 Défaite de la CGIL (le syndicat contrôlé par le PCI) à laFIAT. Les militants communistes sont frappés par une très forterépression et expulsés en grand nombre des usines RAT.

1956 z 30Cc Congrès du PCUS, où Kroutchev dénonce les crimesde Staline et le culte de personnalité en URSS. VIe Congrès duPCI, qui approuve la stratégie de la “voie italienne au socialisme”. Le PCI approuve la répression de la révolution hongroisepar les troupes du pacte de Varsovie. Par protestation, beaucoupd’inteflectuels quittent le parti.

1960 : Soulèvement populaire à Gênes contre le Congrès duMSI (le parti néo-fasciste). Fin du centrisme et début des gouvernements de centre-gauche.

1962 z Emeutes à Turin (Piazza Statuto).

1964 : Mort de Togliatti. Luigi Longo est élu secrétaire du parts.

Pendant les soixante-dix ans qui sont écoulés depuissa naissance, le Parti communiste italien (PCI) a étéune composante essentielle et, à partir de la fin desannées quarante, nettement hégémonique du mouvement ouvrier, avec un rôle de premier plan dans la luttepolitique de son pays.

Le contexte historique

Pour comprendre comment cela a été possible, ilfaut très brièvement rappeler la cadre historique d’ensemble. Dans une société qui avait connu un développement capitaliste inégal et dont les institutions parlementaires ne permettaient qu’une expression tout à faitpartielle des intérêts et des aspirations de la grande majorité de la population, donc dans un contexte marquépar de nombreux conflits et par de fréquentes explosions sociales, le mouvement ouvrier avait connu uneforte montée depuis le début du siècle et le Parti socialiste italien (PSI) avait pris un profil sous plusieursaspects différent de celui des social-démocraties classiques.

Pendant les années qui ont immédiatement suivi laPremière Guerre Mondiale, l’Italie a été secouée par unecrise sociale et politique bien plus profonde que cellesconnues par d’autres pays d~Europe occidentale (à l’exception, bien entendu, de l’Allemagne), avec une politisation et une radicalisation de larges secteurs de la classe ouvrière, d’importantes couches paysannes de mêmeque de secteurs de la petite bourgeoisie. Cela accentuaitdavantage certains caractères spécifiques du mouvementouvrier italien, y compris du Parti socialiste (avec,entre autre, la formation d’une forte tendance communiste et d’une composante maximaliste majoritaire quiacculait les réformistes dirigés par Filippo Turati dansune position nettement minoritaire).

Ce contexte de crise révolutionnaire ou pré-révolutionnaire qui, en dépit de ses potentialités, n’a pas étéexploité dans un sens favorable, explique pourquoi lephénomène fasciste s’est manifesté pour la premièrefois en Italie,

D’autre part, ce sont justement les vingt années dela dictature de Mussolini qui ont déterminé le type deluttes et de mobilisations qui se sont développées dèsque la crise du régime a éclaté. Il faut rappeler, parexemple, que, en mars 1943 et l’année suivante, ont eulieu des grèves de masse, qui ont représenté des épisodes presque uniques dans le cadre de la Résistanceantifasciste en Europe occidentale. Pendant les jours del’armistice, par ailleurs, la maturation politique delarges couches de la population s’est combinée avec ladécomposition de l’armée, en créant les conditions pour~le développement d’un vaste mouvement clandestin et

d’une résistance armée disposant de forces considérables.

Tout en ne faisant pas de concessions aux interprétations apologétiques, il faut ajouter que l’âpreté dela lutte en cette période ainsi que la participation populaire ont eu un impact durable sur le cadre social etpolitique des décennies suivantes. Ainsi, toute une phase de la reconstruction de l’après guerre a été marquéepar des conflits sociaux et politiques aigus et durables,qui se sont traduits en de grandes mobilisations dontcertaines — par exemple celle du 18juillet1948, aprèsl’attentat contre Togliatti — ont pris un caractèreinsurrectionnel. Même après que les classes dominanteset leurs gouvernements avaient réussi à imposer unerelative stabilisation, le mouvement ouvrier a pumaintenir ses forces organisées et son influence, sanssubir aucune défaite comparable, par exemple, à cellequi a été infligée à la classe ouvrière en France avec lamontée au pouvoir de De Gaulle et l’instauration de laVe République.

En 1968-1969 s’ouvrait une nouvelle crise politiqueet sociale, Nous ne reviendrons pas ici sur les facteursqui l’ont déterminée et sur ses manifestations (1). EnItalie, il n’y a pas eu d’explosion révolutionnaire concentrée comme celle de Mai 68 en France, mais, enrevanche, la crise a touché plus en profondeur les structures et les rapports sociaux, les institutions politiques,administratives et mêmejudiciaires, les relations sur leslieux de travail et a été marquée par une radicalisationpolitique sans précédent. Cette crise — encore une fois,une variante assez exceptionnelle dans le cadre de l’Europe capitaliste — s’est prolongée, avec des hauts et desbas, pendant plus de cinq ans, avec des rebondissementsdans la période suivante.

Pour synthétiser, c’est dans ce contexte, entre la finde la guerre et les années soixante-dix, que le mouvement ouvrier a pu bâtir, renforcer et maintenir desorganisations politiques et syndicales tellement fortes(ainsi qu’un réseau vaste et articulé du mouvementcoopératif), exercer une influence considérable sur leplan culturel, occuper des positions solides à tous lesniveaux des institutions, même si sa composante majoritaire (le PCI) restait exclue du gouvernement.

C’est ce contexte qui explique, en dernière analyse,la croissance et la consolidation du Parti communiste,un parti qui, depuis des décennies, reste le plus fort

1) Parmi ces facteurs, il faut souligner tout d’abord le poids aecrn de la classe ouvrière et l’irruption de la force politique et sociale nouvelle représentée par le mouvement des étudiants (cf. à cepropos ce que nous avons écrit dans PC! 1945-1969 stalinismoe opportunismo, Samonà e Savelli, Roma, 1969, pp. 311 ; IIpartito leninista, Samonà e Savelli, Roma, 1972 et Dinamicadalle classi sociali in balla, Samonà e Savelli, Roma, 1976).

Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

CHRONOLOGIE 1921-1964

Livio Maïtan Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

1. Le Parti communiste dansla dynamique sociale et politique italienneL

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Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan I Livio Maïtan Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien

parmi ceux des pays capitalistes et a été capable d’éviterdes chutes catastrophiques comme celles qu’ont connuesles partis communistes français ou espagnol.

Les étapes d’une construction

Ceci dit, si l’on veut éviter tout risque d’une interprétation mécaniste, il faut saisir en même temps lesfacteurs subjectifs qui sont intervenus et indiquer plusconcrètement comment le PCI a pu exploiter à sa faveur les potentialités des situations objectives qui sesont à chaque fois créées. Donc il faut revenir rapidement à certaines étapes de sa construction.

Le Parti communiste d’Italie naît alors que la phasemontante de la révolution est en train de s’épuiser et lesclasses dominantes sont passées à la contre-offensive.En ce sens, il n’est pas faux de dire — ce qui a déjà étéfait sous des formes et avec de points de vue différents— qu’il est né trop tard. Trop tard pour exploiter lacrise sociale et politique de l’après guerre dans un sensfavorable à la classe ouvrière et trop tard pour avoir letemps de construire un instrument de lutte capable des’opposer de manière efficace à la montée du fascisme età sa prise du pouvoir. Ses difficultés ont été accentuéespar le fait que les conceptions et les méthodes d’analysepropres de son premier groupe dirigeant, sous l’hégémonie bordiguiste, ont sérieusement entravé la compréhension de la nature du fascisme, un phénomènejusqu’alors inconnu (2).

Cela n’empêche que le parti dispose, à sa naissance,de forces non négligeables et que, en dépit des coupssubis, il maintient une organisation assez solide pendant les premières années du nouveau régime, en augmentant même le nombre de ses membres après l’assassinat de Matteotti, en 1924. Il dispose notamment d’uneinfluence considérable dans certaines usines, parmi lesplus importantes. Mais surtout, il sera la seule organisation politique qui, après la consolidation de la dictature fasciste, réussira à déployer une activité à l’intérieurdu pays, y compris dans les moments les plus difficiles(3).

Nous verrons plus loin quel prix aura-t-il payé pour

2)11 vaut la peine ici de mppeler l’évaluation exprimée au début des années trente par l’Opposition de gauche italienne: “Ceparti naissait trop Lard pour exploiter victorieusement la vaguerévolutionnaire déclenchée en Italie à la fin de la guerre (1919-1920), mais il représentait la seule garantie de succès dans lalutte pour l’avenir du prolétariat italien, pour empêcher de toutperdre, pour créer les conditions d’une victoire fuLure sur la bourgeoisie. La condition était de donner non seulement una juste solution théorique aux problèmes de la révolution prolétarienne,mais aussi de mener une politique adéquate pour faire accepter auxlarges masses les solutions présentées par le Parti communiste.C’est cette politique qui est essentiellement manquée à notre partidans la phase de son ‘enfance’, sous la direction bordiguiste”(Botiettina de!I’Opposiziane italiana, n° 13, 10 février 1933).

3) Au Congrès de Livoume, environ 60000 inscrits avaientappuyé la motion communiste, auxquels il fallait ajouter 35 000voix, sur un total de 43 000, de la Fédération de jeunesse (rappelons que les maximalistes étaient environ 100 000 et les réformistes 15 000). Le courant syndical communiste comptait288 000 adhérents dans les Bourses du travail (Camere de! lava,-o) et 136 000 dans les syndicats catégoriels. La composition

les erreurs commises autour de 1930. Toujours est-ilque, grâce à ses liens organiques avec les classes exploitées et tout d’abord avec de secteurs prolétarienssignificatifs, aux cadres qu’il avait formé dès lespremières années de son existence, à l’influence parfoismassive acquise dans l’émigration (surtout en France,mais aussi en Belgique, au Luxembourg et en Suisse),à la force et à l’autorité qu’il tirait de son appartenance àla 111e Internationale et de sa référence à la révolutionrusse, le PCI — à la différence de tous les autres parfisou mouvements et notamment du Parti socialiste — apu bénéficier d’une continuité substantielle pendant lesdeux décennies de la dictature. C’est cette continuité quipermettra à ses militants, en dépit de la faiblesse etsouvent de l’absence de liens avec le centre du Parti, dedonner une contribution décisive aux grèves déjà mentionnées du printemps 1943 (4).

On connaît le rôle joué par les communistes dans laRésistance et qui est à l’origine de leur croissance exceptionnelle pendant ces deux années cruciales (1943-1945). Cette croissance, qui a été largement favoriséepar le prestige dont jouissait l’URSS à l’époque, a étépossible car le PCI est entré dans la lutte avec unpatrimoine de cadres et de militants incomparablementsupérieur à celui de toutes les autres organisations. Dèsjuillet 1943, le nombre des militants actifs était augmenté avec l’arrivée de ceux qui avaient été empri

sociale du nouveau parti était prolétarienne à ~s %. Aux premières élections auxquelles il participait, en avril 1921, il obtenait 291 952 voix et 15 sièges (le PSI un million et demi devoix et 122 sièges). A l’automne 1924 les membres étaient25 000 et quelques milliers de plus l’année suivante, alors qu’en1926 ils n’étaient plus que 16000. n faut enfin rappeler que, enavril 1925, lors des élections pour la Commission interne RAT,la liste du PCI obtenait presque le même nombre de voix que laliste FIOlvt, appuyée par les deux partis socialistes.

4) Au début de l’année 1943, il n’y a que 80 inscrits chez PlATMirafiori, environ 30 chez Lancia, environ 60 chez Viberti, environ 70 chez Aeronautica et, globalement, environ 1 000 membres dans la ville de Torin, presque tous des ouvriers. Ces chiffrespeuvent apparaître modestes par rapport au nombre de membres-dont disposera le PCI dans les années suivantes. Mais ceux quisavent ce que cela veut dire que de travailler dans la clandestinitéet connaissent le rôle déterminant que des noyaux, même petits,peuvent jouer dans des grandes usines lorsque les conditionschangent, ils ne peuvent que donner une évaluation différente etcomprendre le travail qui avait été mené pour arriver à l’échéancede 1943 avec un tel potentiel.

sonnés ou déportés dans les îles et le retour des exilés,dont un noyau important avait fait dans la guerre civileespagnole une expérience militaire qui se révélera trèsutile.

C’est grâce à cette ossature que le PCI pourra donnerla contribution de loin la plus importante au mouvement clandestin, à des mobilisations de masse tellesque les grèves du printemps 1944 et à la lutte dans lesmaquis. Cela entraînera l’adhésion massive de forcesnouvelles qui joueront un rôle central dans son activitéet dans sa vie intérieure au fil des décennies suivantes(5).

La croissance du PCIaprès la guerre

A la fin de la guerre, le PCI a déjà une influenceprédominante dans la classe ouvrière et sa force est àpeine inférieure à celle du Parti socialiste sur le planélectoral (6). Ses militants sont en première ligne dansla construction des organisations syndicales, ouvrièreset paysannes, ainsi que d’autres organisations de masse,

Dans les années suivantes, les rapports de force ausein du mouvement ouvrier évoluent encore plusnettement à sa faveur, Nous verrons plus loin queljugement faudra-t-il porter sur ses orientations et surses contradictions dans cette période. Il suffit ici de rappeler que, dans la mesure où le PSI s’affaiblit à cause deson inconsistance politique, de son suivisme croissantà l’égard des communistes et enfin à cause de la scission du Palais Barberini (qui donnera naissance au Partisocialiste démocratique italien [PSDII de GiuseppeSaragat), le PCI apparaît de plus en plus aux yeux desmasses populaires comme la seule force capable des’opposer à l’offensive restauratrice des classes dominantes et au bloc politique et militaire impérialiste del’Alliance atlantique (OTAN). A ce propos, deuxépisodes emblématiques ont été à juste titre évoquésla bataille, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur duParlement, contre la signature du Pacte atlantique en1949 et, quatre ans plus tard, la lutte démocratiquecontre la “legge iruffli” (“loi-escroquerie”).

Dans la nouvelle phase qui s’ouvre à partir desannées soixante avec l’avènement du centre-gauche,marqué par l’entrée du PSI dans des gouvernementsincapables même de réaliser les réformes très modéréesesquissées dans leur programme, le PCI ne peut qu’apparaître comme la seule force d’opposition crédible etcomme l’outil le plus efficace pour défendre les intérêtset les aspirations des masses populaires.

Une contestation de ce rôle se dessine seulement àpartir de 1968-1969, avec la montée des grands mouvements de masse des ouvriers et des étudiants. Pour lapremière fois dans son histoire, le parti est remis encause et attaqué à une grande échelle sur sa gauche.Mais grâce à l’incontestable souplesse tactique de songroupe dirigeant et au transformisme habile dont fontpreuve ses dirigeants syndicaux, il réussit assez rapidement à s’adapter à la situation en s’appropriant derevendications des nouveaux mouvements et en parvenant à en influencer de larges secteurs.

Lorsque se termine la période le plus aigus de lacrise politique et sociale; lorsque commencent à se poser les problèmes de la crise économique nationale etinternationale de 1974-1975, face auxquels l’extrêmegauche est dans une large mesure désarmée (c’est l’unedes raisons de l’amorce de son déclin) ; lorsque lesgrandes masses entrent à nouveau dans une perspectiveinstitutionnelle-électorale, le PCI apparaît encore unefois comme le seul outil efficace. On arrive ainsi à sessuccès électoraux de 1975-1976, alors que, à l’échelleinternationale, c’est l’heure de l’eurocommunisme, quiapparaît comme un effort systématique de donner auxluttes et aux perspectives politiques la dimension internationale dont elles ont besoin. C’est en cette conjoncture que, sous la direction de Berlinguer, le PCI atteintle point le plus élevé de sa trajectoire.

Bref, sa force est le produit d’une action menéependant plus d’un demi-siècle, pratiquement sans aucune solution de continuité. Elle est dûe à un enracinement social profond dans la classe ouvrière, dans delarges secteurs paysans et dans certaines couches de lapetite bourgeoisie (moderne et traditionnelle) que sonrôle politique et organisationnel lui a permis de réaliser,développer et consolider. Elle est dûe à l’influencemultiforme exercée sur la culture nationale, grâce à unevaste réseau d’intellectuels, présents dans ses rangs ouautour de lui (surtout dans ce domaine, le parti peutexploiter, bien qu’abusivement, le prestige d’AntonioGramsci). Elle est dûe aussi à la mise en valeurconstante et prioritaire de ceux qu’on appelait autrefoisles révolutionnaires professionnels, c’est-à-dire deshommes et des femmes pour lesquels la lutte contre lasociété existante était la raison même de leur viô, quiétaient totalement dévoués et constituaient un élémentde force dont aucune autre formation politique nepouvait même de loin disposer (nous verrons quels ontété les aspects négatifs de l’existence de l’appareil, aumoins tcndanciellement monolithique, qui s’est créésur cette base). Finalement, elle estdûe à l’utilisationsystématique — avec des résultats, surtout dans les administration locales, à plusieurs égards positifs — ducadre institutionnel où le poids électoral assurait,comme nous l’avons déjà mentionné, une présence trèsvaste.

5) On estime que, pendanL les 45 jours entre la chute de Mussolini et la signature de l’armistice avec les alliés par le gouvernement, environ 3 000 militants avaient été libérés, ce qui permettait, dès la deuxième moitié de 1943, de réaliser la rencontreentre les “trois composantes’ du parti les ex-prisonniers, lesmilitants de l’émigration et les jeunes récemment recrutés (cf.Paolo Spriano, Storia de! Parfila comunista italiano, liinaudi, Torino, 1973, vol. IV, p. 344; pour les chiffres sur les membresdans les usines ibid., vol. V, pp. 225-226).

6) Le 2 juin 1946, le PCI obtenait 4 356 686 voix contre4758 129 voix pour le PSI. Au moment de la libération, c’est-à-dire à la fin de la clandestinité dans toute une partie du pays, ilcomptait 90000 membres au Nord et 311 960 dans le reste dupays. Lors du Ve Congrès, le premier de l’après-guerre, il annonce 1 770 596 membres. Le niveau le plus élevé sera atteintlors du Vile Congrès, en 1951, avec environ 2,5 millions demembres.

Livio Maïtan

“Le marxisme révolutionnaired’Antonio Gramsci”

Quatrième Internationale1987, n° 24

pp. 5-38

WI

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Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan Livio Mai’tan Du PCI au PDS la longue marche du Parti communiste italien

Dans notre synthèse de la trajectoire historique duPCI, nous avons fait abstraction, sauf quelques allusions, des facteurs internationaux. Il nous a semblénécessaire d’adopter cette démarche en ce moment oùfleurissent les reconstructions “historiques” les plussimplistes qui réduisent tous les problèmes ou presqueaux crimes de Staline et aux complicités de Togliatti.Mais une analyse et une évaluation globales doiventnaturellement intégrer la dimension internationale danstoute sa portée, en refusant, de même que les condamnations sommaires, toutes les interprétations apologétiques, qui ont prévalu pendant des décennies et quin’ont pas encore été complètement abandonnées.

Le PCI etl’Internationale communiste

Dès le début — cela apparaît aussi dans les ouvragesde Paolo Spriano, son principal historien (1) — laformation et l’évolution du PCI ont été déterminéesdans une très large mesure par les interventions directesou indirectes de la 111e Internationale.

Dans la première phase d’existence du parti, l’Internationale a essayé, non sans difficultés, de faire valoirson poids pour contrecarrer les conceptions et les orientations bordiguistes, notamment pour faire accepter laligne du front unique prolétarien et pour favoriser unecollaboration avec le PSI, dans la perspective d’uneréunification avec la tendance maximaliste qui s’étaitimposée au congrès de Livoume.

Ensuite, les interventions et les pressions internationales ont contribué à la formation d’un nouveaugroupe dirigeant en rupture avec Bordiga (2). Egalement, sans les débats et les expériences effectués ausein de l’Internationale il n’y aurait pas eu cn 1926 lesthèses du Congrès de Lyon, qui ont marqué un tournant très importante dans l’évolution du parti.

L’évaluation de ces thèses a fait l’objet de discussions dans la gauche révolutionnaire dans la mesure oùles bordiguistes les ont considérées comme une étapedans la route qui aurait inévitablement amené le partivers la politique des fronts populaires et d’unité natio

1) Paolo Spriano a souvent des tendances justificationnistes,notamment à l’égard de Togtiatti. Mais la valeur de son travailréside dans le fait qu’il fournit des éléments et du matériel qui permettent de tirer des conclusions différentes de l’auteur.

2) Même dans la période antérieure à la bureaucratisation stalinienne les méthodes autoritaires n’ont pas toujours été évitées.Dans le cas du PC d’ttalie, lors de la session de l’Exécutif élargide juin 1923, le Comintern intervenait pour la première foisd’autorité pour déterminer la composition de la direction d’une deses sections (un exécutif mixte de S membres, dont 3 dc la majorité et 2 de la minorité).

nale. Il s’agit à notre avis d’une interprétation tout aussierronée que celle soutenue pendant des décennies par ladirection officielle du parti et qui, au fond, allait dans lemême sens, à la seule différence près que ce que lesuns présentaient comme positif, était considéré négatifpar les autres. En réalité, les thèses de Lyon ont représenté une contribution valable pour l’analyse de lasociété italienne et de sa dynamique et pour la définition d’une stratégie révolutionnaire. Dans leur élaboration, l’apport de Gramsci a été décisif.

Cependant, il ne faut pas oublier un autre aspect:le débat sur la stratégie et sur les orientations politiquesen Italie s’est déroulé dans le cadre lourd d’ambiguïtés dela dite “bolchevisation” des partis communistes. Lancéepar le Ve Congrès de l’Internationale, la “bolchevisation” essayait de répondre à une exigence d’homogénéisation politique et de dépassement des méthodesd’organisation et de fonctionnement héritées des vieuxpartis réformistes. Toutefois, entre autres, sous l’impulsion de Zinoviev, qui était à l’époque le Président del’Internationale, elle a indéniablement marqué le préludede la bureaucratisation, qui se développera dans lapériode suivante. Même lors de la préparation ducongrès de Lyon, des méthodes assez peu démocratiquesont été employées: à ce propos, les plaintes desbordiguistes n’émient pas sans fondement (3).

De toute manière, les contraintes internationales ontpris un caractère qualitativement différent après la consolidation du stalinisme: c’est un fait que personne nepeut plus contester. Puisque ce n’est pas le but de cetteétude que de revenir sur toutes les vicissitudes de cettepériode largement traitée par l’historiographie, nousn’aborderons que les problèmes qui se sont posés à desmoments parmi les plus significatifs.

3) Au HIe Congrès de l’Internationale communiste, Zinoviev adéfini la bolchevisation dans les termes suivants “Pour nous,la bolchevisation signifie que les partis acceptent ce qui, en général, était contenu dans le bolchevisme et que Lénine a précisé àpropos de la “maladie infantile”. Bolchevisation des partis signifie pour nous la haine implacable contre la bourgeoisie et leschefs sociaux-démocrates, la possibilité de toutes les manoeuvrescontre l’ennemi. La bolchevisation c’est la volonté inflexible delutter pour l’hégémonie du prolétariat contre les chefs révolutionnaires et tes centristes, contre les pacifistes et toutes les excroissances de l’idéologie bourgeoise. Bolchevisation signifiecréer une organisation fortement structurée, monolithique, centralisée, capabte de résoudre harmonieusement et fratemellementles divergences dans ses rangs,

Comme nous l’a enseigné Lénine, la bolchevisation c’est lemarxisme en action. C’est la fidélité à l’idée de ta dictature duprolétariat et aux idées du léninisme. Bolchevisation signifieaussi ne pas imiter mécaniquement les bolcheviks russes, maisgarder ce qui était et demeure essentiel dans le bolchevisme”.

Du tournant de 1930aux fronts populaires

Tout d’abord, il faut revenir sur le “tournant” de1929-1930, lié aux conceptions de la “troisième période” de l’internationale communiste, qui prévoyait descrises révolutionnaires généralisées à brève échéance etimposait l’abandon de la politique de front unique avecles partis sociaux-démocrates, désormais dénoncés comme “social-fascistes”, Les fruits les plus amers de cettepolitique ont été récoltés en Allemagne, où l’orientation du Parti communiste a contribué dans une largemesure à la défaite tragique du mouvement ouvrier faceà Hitler (4), Mais le parti italien a payé lui aussi leprix du tournant opéré selon les directives de Moscou.

A ce propos, il existe une interprétation avancée pardeux hommes si différents que Giorgio Amendola ePietro Secchia, selon laquelle le “tournant”— la svolta— aurait été déterminé en Italie par des facteurs spécifiques en prenant des formes particulières d’application, Cette interprétation contient un noyau de vérité,dans la mesure où le tournant semblait répondre à uneexigence de radicalisation de la lutte, qui était un desprincipaux soucis du secteur le plus jeune du groupedirigeant, et de relance du travail organisé à l’intérieurdu pays, en laissant de côté les querelles de l’émigration, Xl faut ajouter que certaines formules staliniennes, par exemple, celle du “social-fascisme”, semblaient être sur la même longueur d’onde de formulesdéjà avancées par le bordiguisme, dont un des traitsavait toujours été le refus de toute forme d’unité avec leParti socialiste (5).

Cela n’empêche que le tournant avait été décidé auniveau international, conformément aux exigences contingentes de la direction soviétique, et imposé à toutesles sections par n’importe quel moyen (6). On pourrait,d’ailleurs, se poser la question suivante: s’il n’y avaitpas eu la décision de l’Internationale communiste, lePCI serait-il également parvenu aux analyses et à lapolitique de la troisième période? La réponse ne peutêtre que négative. Par exemple, il est difficilement concevable que, sans les pressions exercées depuis Moscou, le journal du parti, l’Unicà en serait allé jusqu’à

4) Comme l’on sait, la polémique contre les orientations staliniennes de la troisième période a été, à cette époque, le kit mcdivde la critique de Trotsky, dont la justesse et la clairvoyance ontété presqu’universellement reconnues, malheureusement avec desdécennies de retard...

5) 11 faut ajouter que la catégorie du social-fascisme n’était pasune pure découverte stalinienne. Lors du Ve Congrès del’Internationale communiste, Zinoviev avait affirmé : “Le faitessentiel c’est que la social-démocratie est devenue une ailc dufascisme”. Tout en n’abandonnant pas l’idée du front unique, ilavait privilégié le front unique d’en bas. De son côté, Togliatti,lors de la conférence de Como, en se référant à Zinoviev, avaitqualifié les “unitaires”, à savoir les socialistes réformistes,comme “un’aile du fascisme”. L’attitude sectaire à l’égard des socialistes n’avait été dépassée même pas au Congrès de Lyon.

6) Cf. à ce propos les comptes-rendus du Comité central du PCIde mars 1930 ainsi que de nombreux écrits d’Alfonso Leonetti(parmi lesquels Un comurzista, Feltrinelli, Milano, 1977, pp.157.176).

proclamer dans un titre quc le moment était venu de“passer à la violence prolétarienne” et à ajouter qu’ilfallait “se préparer à tirer contre le fascisme et lecapital”. Et cela dans l’Italie de 1930, où Mussolinivenait de consolider sa dictature (7)!

L’argument de Secchia et Amendola, selon lequel letournant fut la condition pour maintenir la continuitédans l’action du parti avec tout ce qui en découlait, estspécieux et clairement apologétique. En fait, ceux quicritiquèrent le tournant, ne s’opposaient pas à une relance du travail dans le pays. Mais cette relance pouvaitêtre conçue différemment, en refusant des perspectiveset des pratiques aventuristes qui eurent des conséquences catastrophiques, en premier lieu l’arrestation etla détention prolongée d’un nombre élevé de militants(8).

Le tournant suivant a amené à la politique des frontspopulaires, caractérisé par Spriano comme un “changement soudain” à partir de l’été 1934 (le 17 août de lamême année avait lieu la signature du pacte d’unitéd’action entre les communistes et les socialistes), Encore une fois, il ne s’agissait pas d’une initiative autonome du PCI, mais d’une décision prise à Moscou. Apartir du moment où il avait dû constater l’échec de sapolitique allemande, Staline avait commencé à s’inquiéter du danger de guerre représenté par la montée desnazis au pouvoir et s’était posé le problème d’une nouvelle orientation de la politique étrangère de l’URSS.Cette nouvelle orientation commençait à se dessiner en1934 et se concrétisait en mai de l’année suivante parune déclaration conjointe avec le Premier ministrefrançais Lavai. Pour l’Internationale communiste, laconséquence fut la politique adoptée lors du VIleCongrès (les fronts populaires). Désormais, les partiscommunistes cherchaient des alliances non seulementavec les partis socialistes, mais même avec des partisbourgeois (en France, par exemple, avec le Parti radical)et n’excluaient pas leur participation à des gouvernements de coalition. Pour évaluer cette politique, nouspouvons citer l’historien Spriano lui-même, qui n’étaitcertainement pas un gauchiste: “Le souci de favoriserdes gouvernements de front populaire — écrit-il — seral’indication fondamentale pour laquelle seront sacrifiéesles revendications révolutionnaires, d’abord présentéescomme la garantie que ces gouvernements ne deviennent une réédition des gouvernements sociaux-démocrates, substantiellement bourgeois, et ensuite abandonnées — comme, par exemple, en France — avec lerésultat de compromettre sérieusement la nature populaire des gouvernements du front et de les éloigner des

7) Dans l’appel du Congrès de Cologne (1931) on lit, entre autre “Les éléments d’une crise révolutionnaire s’accumulent...Dans la situation actueue, la tâche du parti consiste à agir pouraccélérer le mûrissement d’une crise révolutionnaire”, Le Plenumde l’Internationale communiste avait parlé d’une “nouvelle vaguerévolutionnaire qui monte” et du “mûrissement d’une crise révolutionnaire dans certains pays”.

8) Amendola lui-même devait écrire “II fallait reconnaître quele ‘tournant’ n’avait pas atteint ses buts” (Storia de! Partita cemunista italiano 1921-1943, Editori Riuniti, Roma, 1978, p.201).

2, Le cadre international

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Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan I Livio Maïtan Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

masses” (9). Mais pour Staline et la direction duComintern, tout cela était tout à fait secondaire, lapriorité étant les intérêts diplomatiques de l’URSS.

Les dirigeants du PCI ont toujours prétendu que lapolitique adoptée pendant et après la Deuxième GuerreMondiale tirait son origine, au fond, du tournant desfronts populaires et des décisions du Vile Congrès del’Internationale. Ils ont insisté sur ce thème pour prouver leur cohérence ainsi que le caractère non conjoncturel de leur stratégie. En réalité, les choses ne sontpas si simples, notamment parce qu’il y a eu le pactegermano-soviétique qui, en dépit de son caractère éphémère, a représenté une rupture de continuité. De toutemanière, la référence à la politique des fronts populairesn’est pas un argument valable pour prouver la spécificité et l’autonomie du PCI, qui, tout au contraire,avait encore une fois adopté une orientation dictée par ladirection de l’Internationale selon les exigences de l’Union soviétique et de son groupe dirigeant (10).

De Salerne au XXe Congrès

Un troisième tournant qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, est celui dit de Salerne. Si l’on veut seréférer à ce tournant pour affirmer que déjà à l’époque —

en 1943-1944 — le PCI avait adopté une perspectivedémocratique/institutionnelle et abandonné toute optionrévolutionnaire/insurrectionnelle, alors cet argument estsans aucun doute pertinent (11). Mais cela n’impliquepoint qu’il y ait eu un choix autonome et spécifique. Enfait, la ligne appliquée de manière de plus en plussystématique depuis le retour en Italie de Togliatti étaitpartagée par tous les partis communistes de l’Europeoccidentale — mutatis mutandis, non seulement del’Europe occidentale — et avait été décidée par ladirection soviétique et par l’Internationale communiste(juste avant sa dissolution) (12).

Amendola insiste sur le fait que la propagande deTogliatti depuis Radio Moscou était orientée versl’unité antifasciste déjà avant son retour, mais cela ne

9) P. Spriano, op. cii., III, p. 27.

10) Nous n’aborderons pas ici un autre aspect du problème: laligne de front populaire n’a pas eu ni ne pouvait avoir en Italieles mêmes conséquences pratiques qu’en France ou en Espagne. LeFront populaire était présenté comme un projet d’unification detous les courants d’opposition contre le fascisme, y compris uncourant fasciste critique ou supposé tel. Lors du Comité central defin octobre 1935, Ruggero Grieco affirmait dans ses conclusions “Nous serons les dirigeants du Front populaire si nousserons capables — comme le dit Ercoli — de souder l’oppositionantifasciste avec l’opposition fasciste”. On lançait alors le motd’ordre de la “réconciliation nationale” et d’un programme depaix, de liberté et de défense des ‘mtérêts du peuple italien”. On sedéclarait disposé à lutter à côté des fascistes critiques pour la réalisation du programme fasciste de 1919. Dans une résolution defin septembre 1936, on affirmait même que “les syndicats fascistes peuvent être un instrument de lutte contre les patrons etdonc doivent être considérés comme des syndicats ouvriers dansles conditions italiennes actuelles”, De telles prises de positionprovoquaient, comme on peut bien l’imaginer, de fortes polémiques dans l’opposition antifasciste, avec des répercussions ausein du parti lui-même,

li) Dans des polémiques récentes, on acm bonde reprocher au

fait que prouver le contraire de ce qu’il voudrait démontrer. D’une part, à l’époque Togliatti n’était pas lié à ladirection en Italie — qui n’existait pratiquement pas entant qu’organisme — et ne pouvait donc pas être leporte-parole d’une ligne élaborée de façon autonome parson parti; d’autre part, qui plus est, quiconque ait uneidée même très vague du fonctionnement du régimesoviétique au début des années quarante, ne peut passérieusement penser que ses dirigeants auraient donné àun communiste étranger les moyens — en roccurrenceun puissant répétiteur — pour exprimer ses idéesindépendamment des orientations du Kremlin. Il esttout aussi inconcevable que Togliatti ait pris demanière complètement autonome, sans aucune approbation in alto loco, la décision de rentrer et de lancer,dès son arrivée, une ligne qui provoquait un désarroidans de larges couches du parti (13).

Plus en général, le choix de la voie nationale ausocialisme non plus ne peut être revendiquée commeune expression d’originalité et d’autonomie. Il suffit derappeler que Staline lui-même, avant le début de laguerre froide, lors d’une conversation avec une délégation du Parti travailliste et, peu après, lors d’unerencontre avec le dirigeant du PC tchèque, Gottwald,avait envisagé la possibilité de différentes voies ausocialisme, une hypothèse qui avait trouvé un échochez plusieurs dirigeants communistes, il faut aussiajouter que, après la création du Cominform en 1947 etles critiques d’opportunisme adressées par Jdanov,durant la réunion constitutive, à l’égard du PCI et duPCF, le parti s’est adapté au nouveau climat et, sansmodifier substantiellement sa politique — ce qui lessoviétiques eux-mêmes ne demandaient pas —, aabandonné discrètement le thème des voies nationalesau socialisme, qui ne sera repris que cinq ans plus tard,lors du Congrès de 1956 (14).

En réalité, ce Congrès a représenté une autre étapedécisive dans l’histoire du PCI: ce sont ses textes —

et non pas ceux des trois précédents Congrès de l’après

PCI une prétendue incohérence du fait que, pendant la résistance,il avait lancé des appels à l’insurrection. Cet argument est tout àfait captieux : il s’agissait d’une insurrection contre le fascismeet non pas pour le renversement du capitalisme, et elle impliquaitla collaboration de toutes les forces antifascistes.

12) Dans sa dernière résolution (15 mai 1943), l’Internationale communiste affirmait, entre autres ‘Dans les pays dubloc hitlerien, la tâche fondamentale des ouvriers, des travailleurs et de tous les honnêtes consiste à contribuer à la défaite dece bloc. Dans les pays de la coalition anti-hitierienne, la sacrédevoir dcs larges masses populaires... est celui de soutenir avectous leurs moyens les efforts militaires de ces pays”.

13) L’expérience dramatique de la Grèce est une confirmation acontrario de l’orientation générale des partis communistes. Enfait, Staline condamnait ouvertement les mouvements quis’étaient produits dans ce pays et qui étaient débouchés sur laconfrontation entre les forces partisanes et l’armée britannique.

14) En juillet 1948, Togliatti déclarait “II ne peut y avoirqu’un seul guide: dans le domaine de la doctrine c’est le marxisme-léninisme, dans le domaine des forces réelles c’est le pays quiest déjà socialiste et dans lequel un parti marxiste-léniniste forgépar trois révolutions et par deux guerres victorieuses joue le rôledirigeant”.

guerre (15) — qui ont systématisé la conception de la“voie italienne au socialisme”. Cette systématisationavait été préparée par les congrès précédents. Mais,encore une fois, le tournant a été inspiré par lesdirigeants du PCUS. En fait, en février de la mêmeannée avait eu lieu le XXe Congrès, où Khrouchtchevavait lancé la perspective d’une transition au socialismepacifique et institutionnelle dans les pays industrialisés.C’est dans le sillage de Khrouchchev — auquel Togliatti se référait explicitement dans son rapport — queles idées et les orientations du Ville Congrès du PCIont été élaborées. Plus en général, ce n’est qu’après lecélèbre rapport de Khrouchtchev sur les crimes deStaline et le “dégel” en URSS que le PCI amorçait,avec un gradualisme prudent et non sans contradictions,un processus de révision critique — partielle — dustalinisme et même de son passé.

Entre le tournant de Salerne et le Congrès de 1956s’était produit un événement que nous avons déjà mentionné et qui sera lourd de conséquences sur l’avenir dumouvement communiste: la rupture entre Moscou etla Yougoslavie, en juin 1948. La direction du PCIn’eut pas un seul instant d’hésitation: en oubliant toutce qu’elle avait écrit sur la Yougoslavie et sur Tito, elles’associait sans réserves à la campagne farouche contrela Yougoslavie, marquée par l’usage des épithètes classiques du stalinisme (16). Après la mort de Staline,lorsque Khroutchchev reconnaissait l”erreur” qui avaitété commise, le PCI se railiait aux choix de Moscouavec le même zèle. Il réagissait de la même façon en1956, en approuvant l’intervention soviétique en Hongrie.

Des pratiquesorganisationnelles staliniennes

Comme nous le verrons plus loin, sur le plan deson fonctionnement organisationnel le PCI a subimoins que d’autres partis communistes le processus destalinisation. Mais cela n’empêche que, même de cepoint de vue, ce parti fut fondamentalement stalinien.

Par exemple, il n’a connu un débat interne réellement démocratique que dans une période très limitée,pendant les premières années de son existence (17),Ensuite, le passage à l’activité clandestine favorisait laconcentration de pouvoirs au sommet et un fonc

15) Le premier congrès de l’après-guerre, le Ve, s’est déroulépendant les derniers jours de 1945 et les premiers jours de1946 le second, le VIe, en 1948 et le troisième, le Vite, en1951. Sur le caractère particulier du Ve Congrès cf. .4rchivio Pie-ira Secchia 1945-1973, Annali Feltrinelli, Milano, 1979, p.212.

16) J’étais à l’époque à Venise et j’étais en contact avec lesdirigeants de la Fédération communiste. L’annonce par radio enfin de soirée de la rupture de l’URSS avec la Yougoslavie provoquait une réaction de désarroi dans te parti. Mais le matin suivant, au moment de l’ouverture du local de la Fédération provin’ciale, le portrait de Tito avait déjà disparu I

17) 11 faut ajouter que Bordiga n’avait pas lui non plus une conception démocratique du fonctionnement du parti. Son idée étaitqu’il aurait été préférable de parler de centralisme organique plutôt que de centralisme démocratique. Il ne s’agissait pas d’une

tionnement d’appareil avec des compartimcnls étanchestrès rigides. Jusqu’à la fin des années vingt, lcs débatsse poursuivaient, mais ils ne touchaicnt plus que desorganismes dirigeants de plus en plus restreints etreconstitués par cooptation.

Déjà pendant la lutte contre la tendance de Bordiga,avant et après le Congrès de Lyon, des mesures disciplinaires de style bureaucratique avaient été adoptées.Au début des années trente, au moment de la criseprovoquée par le tournant, le parti franchissait un autrepas en avant sur la voie de la bureaucratisation : lesminoritaires étaient expulsés par voie administrative etattaqués par une vaste campagne de calomnies.

A l’époque des procès de Moscou, la campagne anti-trotskiste était lancée aussi en Italie, où le mouvementtrotskiste n’existait pratiquement pas (il n’y avait qu’unpetit noyau de camarades, presque tous dans l’émigration). Cette campagne se déroulait même dans lesprisons et dans les lieux de déportation : ceux qui nepartageaient pas la ligne du Parti ou môme seulementcertains de ses aspects (pour ne rien dire de la ligne duPCUS et du Comintern), étaient durement attaqués,isolés et expulsés avec des méthodes somrnaires (le casle plus éclatant a été celui d’Umberto Terraeini) (18).

Après Lyon (1926), il n’y a eu qu’un seul congrèspendant deux décennies (celui de Cologne en 1931),dans lequel aucun débat n’a été ouvert sur le tournantde l’année précédente qui avait eu pourtant commeconséquence l’expulsion de presque la moitié du Bureaupolitique. It ne faut pas oublier non plus que, en 1939,lorsque le Comintem décide de dissoudre le Comitécentral du parti italien et de créer à Moscou un “centreidéologique” ou de “réorganisation” en désignant-sonnouveau secrétaire sans consulter ou informer personne,le PCI n’a pas la moindre réaction. Il s’aligne à Moscouau môme titre que les autres partis communistes àl’échelle internationale (19).

Cette mesure ne devait pas avoir les mêmes conséquences tragiques que des mesures analogues prises àl’égard d’autres partis communistes, comme par exemple le Parti communiste polonais, qui fut littéralementdétruit (un épisode dans lequel Togliatti n’est certes pascomplètement innocent). Mais elle ne pouvait qu’aggraver la crise de direction qui existait à l’époque et l’onpeut légitimement se poser la question si, avec une solution plus démocratique de cette crise, le parti aurait-il

question purement terminologique, car Bordiga se déclarait favorable “à une discipline de type militaire”. Par ailleurs, la gauchebordiguiste était favorable à la plus grande centralisation au seinde l’Internationale. -

18) Selon certains témpignagcs d’ancibns déportés dans lesîles, les ex membres, surtout pendant les dernières années, auraient été traités correctement par leurs camarades demeurés dans leparti. Nous n’avons aucune raison de soulever des doutes sur cestémoignages. Mais il en existe d’autres, plus nombreux, qui affirment le contraire r ceux qui avaient quitté le parti ou en avaientété exclus étaient les victimes de véritables campagnes de persécution. Des attitudes similaires étaient répandues aussi pendant laRésistance (par exemple, à l’égard des militants de Sietia Rossa à‘l’urin et de Bandiera Rossa à Rome).

19) Ce secrétaire était Giuseppe Serti.

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Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan Livio Maïtan Du PC’! au PDS : la longue marche du Parti communiste italien

pu faire face dans des conditions bien plus favorables àrépreuve cruciale de la guerre (20).

Pendant la phase ouverte par la crise et la chute dufascisme, se développaient dans le parti des débats trèsanimés, qui cependant demeuraient strictement limitésaux groupes dirigeants, c’est-à-dire aux deux centres deMilan et Rome, sans aucune participation des cadres etafortiori des militants de base (21). Après le retour deTogliatti et la réunion du Conseil national qui avaitapprouvé le tournant de Salerne, la nouvelle ligne avaitété imposée de manière assez expéditive: pour reprendre les mots de Spriano, “c’était la fin d’un régimede discussion plus libre” (22).

Ensuite, le culte de Togliatti s’est développé sousdes formes de plus en plus ouvertes, tandis que lesdécisions les plus importantes étaient toujours réservées au groupe restreint des dirigeants principaux. Lorsqu’il y avait des points de vue différents, ils étaientdiscutés dans ce noyau sans jamais être communiquésnon seulement aux militants, mais même aux autresorganismes de direction. Dans une lettre à Togliatti denovembre 1954, Pietro Secchia, qui pourtant avait uneconception du centralisme démocratique beaucoup plusproche de celle de Staline que de celle de Lénine, décrivait les processus de décision avec les mots suivants : “Depuis 1945, beaucoup de décisions sur desquestions très importantes pour l’orientation politiquedu Parti et pour son action pratique ont été prisesindividuellement; il est même arrivé qu’elles n’étaientpas discutées avant, mais seulement après avoir étéprises. Et même lorsqu’on en a discuté avant, les débatsont été très rapides et menés de telle façon que lapersonnalité avait un poids écrasant et les autres inter-vendons ne pouvaient qu’approuver la proposition”.Toujours d’après Secchia, plusieurs camarades auraient

déclaré à un moment donné que le Comité central“n’était plus qu’une réunion d’activistes convoquée detemps en temps pour distribuer les tâches” (23).

Les choses ne changeaient que très partiellementaprès le XXe Congrès, en dépit des débats très vifs, àtous les niveaux, en 1956. Dans la période de Berlinguer, ce fonctionnement bureaucratique n’a pas été nonplus abandonné. Des prises de position et des décisionscruciales de cette période — comme par exemple l’annonce du “compromis historique” ou, plus tard, l’abandon de la politique d’unité nationale — n’ont pas étéprécédées par une discussion quelconque dans la direction ou dans le Comité central (24). En réalité, lesanciennes conceptions et les anciennes méthodes neseront abandonnés que dans les années quatre-vingt.Cependant, cela n’impliquait pas une véritable démocratisation, mais plutôt le remplacement des méthodesstaliniennes et post-staliniennes par des méthodes plustypiques des partis sociaux-démocrates.

20) Amendola, dont le livre est constamment imprégné de justificationnisme, écrivait : “Le PCI est arrivé à l’épreuve de laguerre en des graves conditions d’affaiblissement organisationnel et de confusion politique” (op. ciL, p. 369).

21) Cf. P. Spriano, op. dc., V, p. 79.

22) Op. ci~, V, p. 326.

23) Archivio Pietro Secchia 1945-1973, Feltrinelli, 1978, p.673. U0 jugement substantiellement analogue, même si expriméen ternies plus modérés, est celui de Pietro Ingrao, Le dose 1m-possibili, Editori Riuniti, Roma, 1990, p. 76.

24) Luciano Lama s affirmé que, tout en étant membre de la direction, avait lu dans la revue du parti, Rinascita, les thèses deBerlinguer sur la compromis historique et appris par l’Unitâ quel’on passait désormais à une politique d’alternative démocratique(Intervista sut partito, Laterza, Ban, 1982).

Nous avons déjà souligné l’importance du congrèsde 1956 dans la trajectoire du Parti communiste italien.Maintenant, nous essayerons de synthétiser cette évolution d’un point de vue plus général. Le PCI représente incontestablement le, cas extrême d’un phénomènepolitique qu’il était très difficile de prévoir dans toute saportée au moins jusqu’au milieu des années cinquante:la transformation d’un parti, né comme parti révolutionnaire en opposition au réformisme et devenu par lasuite un parti stalinien, en un parti née-réformiste detype social-démocrate (1).

- Les contradictionsdes partis staliniens

Revenons tout d’abord sur la notion de parti stalinien. Dans les années trente, les partis communistesstaliniens ont développé une idéologie spécifique, c’est-à-dire leur propre conception de la société socialiste etde ses traits marquants, ainsi que leur propre conceptiondu parti et de son fonctionnement, du rapport entre leparti et les organisations de masse, cIta rôle de la culture, etc. Cette idéologie a été périodiquement soumiseà des changements et à des adaptations. Mais ce qui afondamentalement marqué ces partis a été beaucoupmoins l’idéologique que leur acceptation du rôlehégémonique de l’URSS, la “patrie du socialisme”, deson parti unique et de son chef incontesté. Autrementdit, la soumission — d’abord par le Comintern etensuite par d’autres mécanismes (2) — des intérêts etdes besoins du mouvement ouvrier des différents paysaux intérêts et aux exigences de l’Etat soviétique ou,plus concrètement, de sa caste dominante.

C’est à cause de cette soumission qu’ils ont cesséd’être des partis révolutionnaires clans l’acception la plusstricte du mot. Cependant, ils ont gardé une différencegénétique à l’égard des partis réformistes de type social-démocrate, dont la déformation opportuniste et bureaucratique avait été essentiellement déterminée par lescontraintes économiques, sociales et politiques découlant de leur insertion dans le cadre et dans les mécanismes institutionnels de la société capitaliste.

Une fois esquissés ces éléments de définition, il fautajouter que les intérêts et les exigences de la bureaucratie soviétique ne pouvaient pas être la composanteexclusive de la politique d’un parti communiste, ou dumoins d’un parti qui avait dépassé les dimensions d’ungroupe de propagande en établissant des liens réels avecdes couches sociales et des mouvements de masse,Deux autres facteurs jouaient: d’une part la nécessitéde prendre en compte les besoins des mouvements danslesquels on travaillait et, d’autre part, les intérêts desgroupes dirigeants et des appareils nationaux qui ne

coïncidaient pas forcément avec ceux de lEtat et duparti soviétiques. Selon les phases, ces trois facteursont agi et se sont combinés de manière différente.

Dans le cas du PCI, cette différence peut être saisietrès clairement. Dans les années trente, le premierfacteur s’imposait de loin sous tous les aspects (lesaides matérielles, la force que le parti tirait de sonappartenance au mouvement mondial dirigé par lepremier Etat “socialiste” de l’histoire, etc.). Cependant,dès que le parti a commencé à se développer et à acquérir une base de masse considérable pour se transformerenfin dans l’organisation hégémonique au sein du mou•vement ouvrier, le poids des deux autres facteurs augmentait progressivement. Le tournant était représentépar les événements de 1956 : depuis cette date, lesintérêts “nationaux” tendaient à pravaloir sur les conditionnements internationaux, même si le lien avecMoscou n’était pas rompu (il ne le sera complètementque vingt années plus tard). Même après la mort deStaline, lorsque le stalinisme n’a plus beaucoup departisans, lorsque l’URSS n’apparaît plus comme unmodèle de socialisme et sa direction est contestée nonseulement par les forces révolutionnaires mais aussi parles groupes dirigeants bureaucratiques d’autres pays, lecordon ombilical est maintenu, car la référeneè aux“pays socialistes” et au “mouvement communistç” peutêtre mise en valeur comme un élément de force du parti(3). Toutefois, lorsque la politique de Moscou risqued’avoir de graves conséquences négatives pour sa proprebataille — comme c’est le cas avec l’invasion de laTchécoslovaquie ou l’intervention en-Afghanistan—-lePCI n’hésite pas à prendre ses distances avec desdéclarations explicites de condamnation.

En réalité, la contradiction fondamentale et intrinsèque des partis staliniens — y compris le PCI —

I) Pour la précision,Trotsky avait indiqué la tendance de partiscommunistes à se transformer en partis communistes nationaux,réformistes ou néo-réformistes, déjà à la veillc de la guerre, notamment dans un article écrit après les accords de Munich (cf. L.Trotsky, OEuvres, vol. 19, pp. 73-75).

2) Se référant à la période suivaht la dissolution du Cominform, Luigi Longo a écrit: “Le l’eus den,curait la référence et la‘hiérarchie’ à respecter même dans la dynamique nouvelle dumouvement communiste. De ce point de vue, la logique dc laTroisième Internationale survécut (et, en 1948, fut à nouveau explicite avec la constitution du Bureau d’infonniiion) en conditionnant le comportement de tous les partis communistes ou presque” (Opinioni suita Chia, Milano, 1977).

3) Encore en 1968, on pouvait lire dans un rapport de Berlinguer ‘Nous sommes et resterons un parti internationalistenous sommes et resterons dans un mouvement dans lequel il y al’Union soviétique et d’autres pays socialistes, dans lequel il y aCuba et le Viet-nâm et nous voulons maintenir ouverte la perspective avec la Chine”.

3. De Livourne à la social-démocratie:une trajectoire sans précédent

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s’est manifestée dès la deuxième moitié des annéesvingt et surtout dès le début des années trente: ilsdevaient subir l’influence déterminante de la directionsoviétique à travers l’Internationale bureaucratisée,mais, en même temps, pour agir et se construire ils nepouvaient pas faire abstraction de leur contextenational. Pendant toute une période, cette contradictiona été plus potentielle que réelle et il n’était pas faciled’en saisir toute la portée, d’autant plus que dans les casoù elle se manifestait déjà, comme, par exemple, enChine, les parties concernées émient intéressées à nepas l’exprimer ouvertement mais plutôt à la cacherderrière des formules politico-idéologiques stéréotypéesqui ne correspondaient guère aux pratiques réelles (4).C’est seulement après l’explosion de la crise du stalinisme et les événements des années cinquante etsoixante, sur la base de témoignages des protagonistesencore vivants ou d’études historiques, que nous avonspu connaître ce qu’auparavant on ne pouvait que soupçonner, c’est-à-dire que, en dépit de toutes les prétensions d’unanimité, cette contradiction avait agi dès ledébut en provoquant des conflits et des déchirures.

L’année 1956, aussi bien pour la portée de sesévénements que pour sa valeur symbolique, marque unpoint de clivage. En particulier, cette contradiction semanifeste désormais dans le PCI sous des formesdifférentes: il s’agit de la contradiction d’un parti quidepuis des décennies n’est plus un parti révolutionnaireet qui cesse maintenant d’être un parti stalinien, sanspour autant devenir un parti social-démocrate, car ilrefuse explicitement d’être caractérisé en tant que tel etne peut pas agir avec cohérence comme un partiréformiste dans le contexte d’une société où il a atteintun poids spécifique considérable, C’est ici qu’il fautsaisir, en dernière analyse, les raisons de son incapacitéà réaliser les buts stratégiques qu’il s’était donnés et àsurmonter les obstacles que les classes dominantess’acharnent à interposer contre sa légitimation en tantque force de gouvernement (5).

La nouvelle phase est marquée par des développements différents et même contradictoires sur lesquelsnous ne pouvons pas nous arrêter. Il suffit ici d’enindiquer le trait principal : désormais, la politique duPCI n’est plus conditionnée — sinon partiellement ouindirectement — par l’URSS et par le soi-disantmouvement communiste qui est déjà sur la voie d’uneffritement progressif, mais surtout par les facteursnationaux. Le déclin du prestige de l’URSS et du“monde socialiste” et de leur force d’attraction, pour nepas parler de l’écroulement irréparable du mythe stalinien, contribuent à accentuer cette tendance. Maisl’essentiel n’est pas cela.

4) L’exemple le plus pertinent est celui de la Chine des annéestrente, lorsque la direction madfste a appliqué une ligne considérablement différente de celle des autres partis communistes et agiindépendamment du Comintem, touL en ne se différenciant pas surle plan idéologique, n’exprimant pas publiquement ses divergences (et plutôt en participant au culte de Staline et de l’URSS, lapatrie du socialisme).

5) Pour ces analyses et évaluations, voir notre ouvrage Teoria epotitica comunista net dopoguerra, Schwartz, Milano, 1959, re

Les origines et les phasesd’une social-démocratisation

Le réformisme social-démocrate traditionnel s’étaitdéveloppé surtout dans les décennies avant la PremièreGuerre Mondiale, qui avaient été marquées, en Europeoccidentale et centrale, par une croissance économiqueet une stabilité relative des institutions démocratiquesbourgeoises. Dans ce contexte — qui ne connaissaitpas de crises révolutionnaires ou pré-révolutionnaires,en dépit de l’explosion de conflits sociaux et politiquesparfois très aigus — le mouvement ouvrier visaitsurtout à arracher des conquêtes partielles (économiques, sociales et politiques). Les succès, même limités,sur ce terrain, étaient à la base de la croissance despartis socialistes, des syndicats et d’autres organisationsde masse. Mais, en même temps, opérait ce que nousappelons la dialectique des conquêtes partielles. Dansla mesure où, grâce à leurs luttes et à leur organisation,des couches de plus en plus larges des classes exploitées obtenaient toute une série de droits démocratiques et des améliorations non négligeables de leursconditions de vie, ils se souciaient de ne pas compromettre leurs acquis et tendaient donc, plus ou moinsconsciemment, à subordonner la lutte révolutionnairepour le renversement du capitalisme à la défense et àl’élargissement des conquêtes partielles. Là se trouvaitla base objective du développement du réformisme et laraison de son influence durable, malgré les défaitescatastrophiques essuyées à des moments cruciaux parles partis qui s’y inspiraient.

Surmontée une première période de reconstructionassez difficile, après la Deuxième Guerre Mondialel’Italie a connu un boom économique prolongé et sansprécédent dans son histoire, ainsi qu’un processus demodernisation qui, dans les formes de sa réalisation,personne n’avait prévu. Cette croissance avait lieu dansun contexte de stabilité politique relative et dans lecadre de nouvelles institutions parlementaires quiétaient plus avancées non seulement que celles del’Italie pré-fasciste, mais aussi que celles d’autres paysde l’Europe occidentale (6). En ligne générale, tout engardant certaines spécificités — et notamment celle duMidi (Mezzogiorno) — la société italienne devenait deplus en plus homogène avec le reste de l’Europecapitaliste, quoiqu’en pensent tous ceux qui ont fondéleurs analyses et leur stratégie politique sur l’idée d’uneprétendue “arriération” du pays.

Grâce au renforcement du poids social spécifique de

pris et développé dans PC! 1945-1969 stahnis,no e opportunismo. Contrairement aux analyses développées par la suite,nous écrivions ceci; “le PCI ne peut ni ne pourra êLre un partiréformiste”. L’hypothèse s’est révélée fausse surtout, me semble-t-il, à cause de l’évolution du contexte international.

6) Nous ne partageons certainement pas les exaltations acritiques de la ConstituLion de 1947, mais il ne faiL pas de douteque, sur le plan de la démocratie capitaliste, elle demeure, aveccelle de l’Allemagne de Weimar (1919), panai les plus avancées.Dans l’italie de l’après-guerre, en ligne de principe, les droits démocratiques, tout d’abord électoraux, ont été plus garantisqu’ailleurs.

Livio Maïtan

la classe ouvrière et, plus en général, des travailleurs,se créaient ainsi les conditions favorables au déclenchement de luttes ouvrières et populaires pour desrevendications économiques et des droits démocratiquestrès importants. En fait, des luttes se sont développéessans interruption à différents niveaux, souvent avec desrésultats réels ; par ailleurs, les partis ouvriers, et toutd’abord le Parti communiste, ont pu consolider etélargir leurs positions dans les institutions, en conquérant l’administration d’un grand nombre de villes, deprovinces et même de régions. Ce contexte s’est maintenu pendant des décennies et n’a pas été modifié par lacrise sociale et politique des années soixante et du débutdes années soixante-dix, II faut souligner le constatsuivant: il s’agit d’une période bien plus longue quecelle qui avait vu la montée des partis réformistesd’avant 1914, pour ne pas parler de la période de l’entre-deux-guerres.

Il est donc parfaitement explicable qu’un parti qui,depuis la moitié des années trente, avait renoncé à touteperspective révolutionnaire, qui ne fournissait plus àses cadres et encore moins à ses militants la formationqu’il leur avait donnée au début, qui considérait laconstitution républicaine comme le cadre nécessaire etsuffisant pour la transition au socialisme et envisageaitcette même transition par des “approximations successives”, eût de plus en plus tendance à agir comme unparti réformiste, en se transformant finalement dans unparti social-démocrate.

Nous ne pouvons pas reconstruire ici toutes lesétapes d’un processus qui, avant de s’achever, a duréplus de trois décennies (7). Nous nous bornerons donc àesquisser de manière synthétique une périàdisation, qui,comme toute périodisation, implique inévitablementdes éléments d’arbitraire et de schématisme:

I) Une première phase allant de 1956 (XXS Congrèsdu PCUS et VIlle Congrès du PCI) au mois d’août1968. Le parti développe une critique, somme toutetimorée, du stalinisme, en ne remettant pas en questionses liens avec l’URSS. Mais lorsque les armées dupacte de Varsovie étouffent le printemps de Prague, ilcondamne pour la première fois ouvertement lapolitique de Moscou,

II) Une deuxième phase, “berlinguerienne”, allant dudébut des années soixante-dix à la “déchirure” opéréelors du coup d’Etat de Jaruzelski en Pologne (décembre1981). Le PCI prend définitivement ses distances parrapport à l’URSS et aux “pays socialistes”, Déjà avant,il avait reconnu la présence de l’Italie dans l’OTAN,Son évolution est inspirée essentiellement par le soucide faire apparaître crédible, sur le plan national, sonprojet de compromis historique (1973) et ensuite sapolitique d’unité nationale (1976-1978) et d’alternativedémocratique (à partir de 1979) et, sur le plan international, son projet eurocommuniste. Pourtant, il s’efforce toujours de se différencier, théoriquement et politiquement, des partis sociaux-démocrates (c’est dans cebut que Berlinguer projette l’idée d’une “troisièmevoie”).

III) Une troisième phase symbolisée par les deuxpremiers congrès qui ont lieu après la mort de Berlin-

guer, le XVIIe et le XVIIIe, qui prennent acte de lafaillite du projet eurocommuniste, laissent tomber toutevelléité de “troisième voie” et affirment que le parti estdésormais “partie intégrante de la gauche européenne”(son organisation de jeunesse adhère à l’Internationalesocialiste à titre consultatil) (8).

A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler les traitsmarquants des partis sociaux-démocrates les plus typiques:

— une conception gradualiste de la transition versune société nouvelle (jusqu’à ce que cette perspectivefinale est maintenue)

— une conception a-historique de la démocratie (ladémocratie comme valeur universelle permanente, au-delà des formes historiques concrètes de la société) etd’une acceptation, théorique et pratique, du cadre existant des démocraties parlementaires et présidentiellescapitalistes

— une stratégie de conquêtes partielles dont laréalisation se fonde sur une combinaison de l’actionparlementaire et de l’actioil des organisation de masse,avec une priorité de la première sur la seconde;

— une perspective de rationalisation et de “démocratisation” de la société existante;

— une perspective de transformation des relationsinternationales, surtout grâce à des organisme internationaux tels que la Société des Nations dans l’entre-

7) Nous l’avons fait, de notre c8té, dans les ouvrages déjà citésainsi que dans Destino di Trockij, Rixzoli, M’dano, 1979.

8) Les dirigeants du PCI ont eu à plusieurs reprises le souci dedérinir la différence entre leur parti et la social-démocratie. Ils’agissait le plus souvent de définitions changeantes et tout à f~kpartielles, sinon fictives. En septembre 1978, llerlinguer a affitmé que “le trait commun des social-démocraties demeure leur renoncemenL à sortir du capitalisme et à transfomrnr les bases de lasociété dans un sens socialiste”. Environ deux ans plus tard, dans

Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan Du PCI au PDS la longue marche du Parti communiste italien

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Leon Trotsky

Scritri sull’Italia

Introduzione di Antonella MarazziErre Emme Edizioni, Roma

252 p.’ L. 20000

Ce volume rassemble tous les écrits de Trotskysur l’Italie: les articles consacrés à la vague

révolutionnaire de 1919-1920 et à la montée dufascisme, la correspondance avec Gramsci,

Leonetti, l’Opposition bordiguiste au sein duPCd’I, ainsi que des fragments sur l’histoire de laculture et de l’art italiens. Antonella Marazzi aécrit l’introduction et un large appareil de notes,

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Livio Maïtan Du PCI au PDS la longue marche du Parti communiste italien

deux-guerres et les Nations Unies aujourd’hui), dans lebut de réduire les armements et de garantir la paix, sanspour autant remettre en cause les orientations fondamentales de la politiques étrangère de leurs pays respectifs;

— une conception de la construction et de laconsolidation du mouvement ouvrier en fonction de laprésence dans les institutions et. d’autre part, d’uneconvergence avec l’action des syndicats engagés dans lacogestion des entreprises et des coopératives respectueuses des mécanismes du système;

— une conception qui transforme le parti en outilélectoral et soumet de manière croissante les choix dumouvement ouvrier à plusieurs centres ou groupes depression (les groupes parlementaires, les administrations locales, les groupes dirigeants des syndicats etdes coopératives, les intellectuels qui organisent laculture, etc.), avec un rôle de plus en plus marginal desmilitants organisés.

Traditionnellement, les partis sociaux-démocratesont établi et maintenu des liens multiples avec de largescouches de la société. Mais leur faiblesse intrinsèque arésidé dans le fait que la représentation de ces couches aété exercée de façon sectorielle et partielle, parfois sousdes formes carrément corporatives. C’est la conséquenced’une optique d’adaptation à la société existante et derenoncement à toute orientation anticapitaliste. Parconséquent, si d’une part les sociaux-démocraties gardent toujours un poids considérable, continuent de jouerun rôle hégémonique dans plusieurs pays de l’Europecapitaliste et dirigent des luttes qui ont permis à leurbase sociale d’arracher des conquêtes partielles, d’autrepart elles portent aussi la responsabilité de défaitesdécisives du mouvement ouvrier.

Vers la moitié des années soixante, il était déjà clairque le PCI agissait comme un parti néo-réformiste,était inséré dans le cadre institutionnel avec une perspective surtout électorale et visait essentiellement àrenforcer ses outils traditionnels tels que les administrations locales, les syndicats et les coopératives. Lalogique d’une telle évolution impliquait toute une sériede conséquences : une réduction du pourcentage desinscrits par rapport à celui des électeurs ; un relâchement de l’activité militante des inscrits, qui avaittendance à se limiter à une participation ponctuelle; unpoids prépondérant des éléments petit-bourgeois et desintellectuels vis-à-vis des ouvriers et des autres membres appartenant aux couches populaires ; une activité

une interview à La Repubblica, il expliquait que “les sociaux-démocrates se sont beaucoup souciés des ouvriers, des travailleurs organisés dans les syndicats, mais presque jamais des marginalisés, des sous-prolétaires CL des femmes”. Pour ce qui concerne, par ailleurs, la troisième voie et la troisième phase, voicice que disait Berlinguer en janvier 1982: “La troisième voie estune posiLion spécifique par rapport, d’une part, au modèle soviétique et, de l’auLre, aux expériences de type social-démocrate, Laformulation ‘troisième phase’, par conLre, se réfère à l’expérience historique et donc aux deux phases précédentes de développement connues et traversées par le mouvement ouvrier. Cependant, il est évident que la rechetche de la troisième voie seraitimpossible s’il n’y avait pas une troisième phase et si nous nepensions pas de la suivre”,

dans les usines limitée aux campagnes électorales et àl’appui de certaines luttes syndicales ; une marginalisation croissante des jeunes au sein d’une organisationqui avait perdu toute inspiration idéale dans un senstant soit peu révolutionnaire, De toute évidence, cestraits distinctifs d’un parti social-démocrate s’appliquentencore plus au PCI de la fin des années soixante-dix etde la première moitié des années quatre-vingt.

Un paradoxe historique

Cette transformation dont nous avons indiqué lesracines structurelles, doit être située plus concrètement,au delà des choix subjectifs des groupes dirigeants, dansune évolution de la situation nationale et internationalequi, sous plusieurs aspects, pouvait difficilement êtreprévue non seulement à la fin de la guerre, mais mêmeà la fin des années cinquante.

En effet, d’une part le système capitaliste mondial— aidé aussi par les organisations majoritaires dumouvement ouvrier qui renonçaient à le mettre enquestion et lui permettaient de surmonter les momentsles plus critiques (comme, par exemple, la crise del’après-guerre et celle de 1968-1975) — parvenaitd’abord à se donner un dynamisme nouveau grâce àl’onde longue de croissance économique durée pendantenviron un quart de siècle et, ensuite, à gagner dans unelarge mesure la bataille pour les restructurationspendant la première moitié des années quatre-vingt.Tout cela assurait une relative stabilité institutionnelleaux pays industrialisés de l’Europe occidentale etd’Amérique du Nord, ainsi qu’au Japon. D’autre part, lessociétés de transition bureaucratisées, incapables d’introduire des réformes substantielles, entraient dans unephase où leurs directions se transformaient de freinrelatif en frein absolu à la croissance et à rorganisationdes forces productives. En même temps, leurs institutions se heurtaient aux besoins et aux aspirations decouches de plus en plus larges de la société, ce quidevait rapidement acheminer ces sociétés vers un déclincatastrophique.

Tout cela avait inévitablement de répercussionsprofondes sur l’action et la prise de conscience des travailleurs eux-mêmes et sur leurs organisations politiques et syndicales, surtout si l’on considère que, saufpendant des courtes périodes et en tous les cas sous desformes partiellles, les contre-tendances avalent du mal às’affirmer et à se consolider (le déclin rapide des formations de l’extrême gauche des années soixante etsoixante-dix a reflété cette limite). La tendance du PCIà s’approcher et enfin à s’identifier avec les social-démocraties, une tendance dont l’origine, comme on l’avu plus haut, remontait au tournant de 1935, en étaitrenforée,

Le résultat de ce processus est une sorte de paradoxehistorique: le PCI se transforme en parti de typesocial-démocrate à une époque où les partis sociaux-démocrates les plus représentatifs sont sensiblementdifférents de ce qu’ils étaient à leur apogée. Nousn’avons pas besoin de rappeler que, déjà entre les deuxguerres, certains de ces partis avaient été, pour reprendre

l’expression tout à fait pertinente de Léon Blum, les“gérants loyaux du capital”. Mais la nouveauté desdernières décennies — anticipée, pour des raisons trèsspécifiques, dans l’expérience suédoise — réside dans lefait que les partis sociaux-démocrates ont assumé etassument la direction de gouvernements dans des payscapitalistes pendant des périodes prolongées et parfoisdeviennent même le seul instrument politique possiblede gestion du système. C’est le cas de I’Etat espagnol,où — dès le début des années quatre-vingt — labourgeoisie n’a plus été capable d’exprimer un partihégémonique et a dû recourir — non sans raison, deson point de vue — au PSOE de Felipe Gonzalez.C’est aussi, avec quelques différences, le cas de laFrance, qui est dirigée depuis dix ans par un présidentsocialiste.

Cela a engendré une transformation de la composition même de ces partis. Les salariés constituentencore la grande majorité de leurs électeurs, mais cen’est plus le cas en ce qui concerne leurs membres.Quant à leurs cadres et à leurs groupes dirigeants, ilssont le plus souvent d’origine petite-bourgeoise, sinonbourgeoise. Qui plus est, les partis en tant que telssont imbriqués d’une façon de plus en plus inextricableaux appareils de l’Etat et des administrations locales demême qu’à différents organismes économiques, publiques et privés. Leur contradiction principale peut êtresynthétisée dans les termes suivants d’une part, s’ilsne veulent pas renoncer complètement à leur identité etperdre leur base sociale — plus prosaïquement, leur

clientèle électorale — ils ne peuvent pas ignorer tout àfait les intérêts et les besoins de la classe ouvrière, desautres couches populaires et des secteurs de la petitebourgeoisie frappés à leur tour par l’onde longue destagnation d’autre part, en tant que gérants du pouvoir— ou même candidats “responsables” de cette gestion— ils acceptent le cadre actuel du système avec sesimpératifs économiques, en s’engageant à faire retombersur leurs propres électeurs le fardeau de la politique decentralisation, de concentration et d’austérité à sensunique.

Etant.exclu du gouvernement depuis 1947, le PCIn’est pas encore frappé de plein fouet par cettecontradiction, Sa contradiction a résidé plutôt dans lefait qu’il a avancé pendant de longues années uneperspective réformiste sans être en état de la concrétiser.Mais il a commencé à payer à son tour le prix del’approche social-démocrate surtout à l’époque de l’uniténationale lorsqu’il a soutenu des gotivernements dirigéspar la Démocratie chrétienne et qu’il est devenu l’avocatd’une politique d’austérité en jouant un rôle de frein desluttes, soit directement soit par l’intermédiaire desdirigeants syndicaux. Ainsi, son identité elle-mêmes’est de plus en plus estompée,

C’est dans un tel contexte que, sous l’impact desévénements internationaux de 1989, Occhetto a avancé,il y a treize. mois, sa proposition de transformationradicale du parti et du changement de nom. Il a ainsiouvert la crise la plus grave dans la longue histoire duparti.

Du PCI au PDS: la longue marche du Parsi communiste italien Livio Maïtan

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Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan Livio Maïtan Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

Dans un moment critique pour l’avenir du Particommuniste et, plus généralement, du mouvement ouvrier, on peut légitimement se poser la question : est-ce que les choix qui ont été faits pendant soixante-dixans, autant sur le plan national qu’international, étaientles seuls possibles, ou est-ce qu’on aurait pu en faired’autres avec des résultats bien différents?

Disons tout de suite que l’objection classique selonlaquelle il serait inutile de réécrire l’histoire sur la based’hypothèses invérifiables ne nous paraît pas recevable.Du point de vue politique, il ne pourrait y avoir aucuneréflexion critique ou autocritique si l’on pensait quetout ce qui s’est passé devait inévitablement se passer.Cette attitude relève d’une sorte de fatalisme auto-justificateur que nous ne pouvons pas accepter.

Mais cette objection ne tient pas non plus d’unpoint de vue historique. Il va de soi qu’une reconstruction historique doit surtout essayer d’expliquer lesévénements dans leur connexion intime, d’en indiquer lagenèse et d’en saisir la dynamique. Mais cela ne nousautorise pas à oublier que, dans une situation donnée, ily a des potentialités et des possibilités de développement différentes qu’il faut prendre en compte si l’onveut analyser la situation dans tous ses aspects et,notamment, si l’on veut examiner le rôle de sesprotagonistes, dont l’action n’est pas prédéterminée àl’avance.

Dans le cas de l’Union soviétique et du mouvementcommuniste international, ce problème de méthodes’est posé dès la moitié des années vingt. Nous avonstoujours rejeté, sur la base d’analyses et d’argumentations concrètes, l’idée selon laquelle la bureaucratisation était inévitable et, par conséquent, le stalinismeaurait une justification (1). Nous rejetons toute idéeanalogue en ce qui concerne le PCI et, plus généralement, le mouvement ouvrier italien.

Il faut remarquer que des dirigeants de ce parti ontavancé à plusieurs reprises l’hypothèse selon laquelleun développement différent des événements aurait étépossible si des choix différents avaient été faits par desforces concernées. Par exemple, dans son Interview surl’antifascisme (2), Giorgio Amendola a expliqué àpropos de la situation italienne à la veille de l’avènement du fascisme : “Si les forces du mouvement ouvrier avalent été capables de mener une politique d’unitéavec les forces démocratiques, si elles avaient favoriséla formation d’un gouvernement Nitti, il est évident queles résultats auraient pu être différents”.

Autre exemple: parlant des potentialités inscritesdans la situation qui s’était créée à la fin de la guerre etnotamment de la politique de De Gasperi, Togliatti aécrit: “Abandonnée à elle-même, la grande bourgeoisiene pouvait qu’agir ainsi dans l’oeuvre de reconstruction,car cela correspondait à sa nature de classe. Mais est-ce

que l’on pouvait obtenir qu’elle agisse autrement ?“

(3).Selon Togliatti, il était possible qu’une partie des

classes dominantes s’alliât avec les partis ouvriers pourempêcher à la grande bourgeoisie de faire tout ce qu’ellevoulait. Si cette possibilité ne s’était pas réalisée, lacause résidait, selon Togliatti, dans la politique de DeGasperi. Une telle considération avait déjà été faite enaoût 1946 dans un article — nous l’avons déjà cité eton y reviendra — qui mentionnait deux “perspectivespossibles” pour une politique du bloc antifasciste (4). Ilest encore plus intéressant de rappeler que la ligneélaborée par le groupe dirigeant communiste a étécontestée à plusieurs reprises et à plusieurs niveaux etque des choix différents, bien que jamais diamétralement opposés, ont été proposés ou esquissés.

Il n’est pas nécessaire ici de rappeler certainsépisodes connus et déjà mentionnés tels que l’opposition et les critiques exprimées en 1929-1930 à l’égarddu tournant non seulement par trois membres duBureau politique — Pietro Tresso, Alfonso Leonetti etPaolo Ravazzoli — mais aussi par Antonio Gramscilui-même et par d’autres dirigeants alors emprisonnés,comme, par exemple, Umberto Terracini, Il y a euaussi des critiques et des oppositions lors du pactegermano-soviétique de 1939, qui avait profondémentébranlé les militants du parti. Terracini avait pris encore une fois une attitude critique qu’il payera — paradoxalement, au moment où l’URSS avait déjà étéattaquée par les nazis — par l’expulsion du parti.

L’unité antifasciste :réserves et oppositions

Dans le cadre de cette étude, il nous semble plusutile un rappel des résistances, des critiques sinon desvéritables oppositions qui se sont manifestées enlie1943 et 1945 et, sous certains aspects, dans la périodesuivante

La politique d’unité antifasciste avait soulevé desobjections et des réactions déjà avant le 25juillet1943

1) Pour ce qui nous concerne, nous avons abordé ce problèmedans différentes introductions aux éditions italiennes des oeuvresdc Trotsky, de même que, par exemple, dans Trotsky o~gi, liinaudi, Torino, 1958 CL dans Destino di Trockij.

2) Laterza, Ban, 1976.

3) Rinascita, octobre 1955.

4) La méthode de juger les protagonistes en tenant compte desalternatives qui étaient possibles, a aussi 6L6 adopLée par GiulioAndreotti à propos de De Gasperi: “S’il n’y avait pas eu unecollaboration entre la DC cL le PCI, il y aurait en Italie soit unedomination de ce dernier soit une prolongation de l’occupationmilitaire pour une autre décennie” (De Gasperi e il suo tempo, Milano, 1956).

(5). La politique de collaboration avec les autres partisdans les Comités de libération nationale (CLN) pendantla Résistance avait également rencontré de fortes oppositions et fait l’objet de différentes interprétations.Cela ne concernait pas que les militants de base,anciens et nouveaux, mais aussi les organismes dirigeants, avec une différenciation entre le noyau installéau Centre-Sud et le noyau du Nord, qui était plusdirectement lié à la Résistance et au mouvement despartisans.

Amendola essaie de saisir un élément communparmi ces différentes attitudes en expliquant que “laligne d’unité nationale élaborée par l’Internationalecommuniste depuis son Vile Congrès” s’émit “superposée” sans trop de réflexion critique, à la vision ancienne d’une action directe pour l’instauration de ladictature du prolétariat” (6). Cette remarque nous paraîtfondamentalement correcte de même qu’une autre remarque concernant les divergences au sujet du rôle du Comité de libération nationale ( CLN).

Il y avait d’une part ceux qui acceptaient la limitation de ce rôle à l’élaboration et à l’application d’unepolitique commune à tous les partis qui y participaientet, d’autre part, ceux qui voulaient renforcer la présencedes organisations de masse au sein des comités afin“d’assurer une hégémonie réelle de la classe ouvrière”.“Poussée à ses conséquences extrêmes — écrit Amen-dola — cette ligne amenait, en dépit de ses prémissesdémocratiques, à une rupture dans les CLN et à uneopposition au gouvernement de Rome et aux alliés.C’était une ligne qui suivait l’orientation indiquée parles Yougoslaves. L’exemple yougoslave faisait l’objetde nombreuses discussions parmi nous”.

De son côté, Spriano parle d’une ligne Longo-Secchia, visant à transformer “les CLN en organismes depouvoir ouvrier”, surtout à travers le “renforcement deleurs traits démocratiques et le passage d’une représentation paritaire [entre les différents partis] à unereprésentation selon la direction réelle des masses”. Lebut devait être, en dernière analyse, celui de “la prise dupouvoir” par la résistance avant l’arrivée des alliés.Cela aurait été décisif “pour l’orientation politique et ledéveloppement futur du peuple italien” (7).

Des courants ou des sensibilités d’opposition à laligne d’unité antifasciste et de collaboration avec les

5) Pour les résistances à la base voir, par exemple, P. Spriano(op. ciL, IV, p. 225). Le même auteur parle de réticences, voire decritiques ouvertes à l’égard de la perspective de collaboration nationale, notamment à propos d’un message-radio de Togliatti(op. cii., V, pp. 121-123 et 131-133). Dans certaines régionsméridionales, un nombre non négligeable de militants avaientconsidéré la nouvelle ligne du parti comme una Lrahison (cf.l’intervention de Velio Spano au Ve Congrès).

6) G. Amendola, Leflere o Milano, Editori Riuniti, Roma, 1974,

p. 109.

7) P. Spriano, op. cii., V, pp. 372-373.

8) C’est sous l’influence de ses militants de gauche que, débuLoctobre 1943, le PSIUP se prononçait contre la collaboraLionavec les partis bourgeois et pour un “bloc solide des forces authentiquement républicaines” et critiquait les “compromis collaborationnistes et patriotiques du PCr’,

partis de la bourgeoisie se sont exprimés à plusieursreprises dans le Parti socialiste (8). Avant la chute deMussolini s’était même constitué un mouvement séparé, le Mouvement d’unité prolétarienne (MUP), où unrôle de pointe était joué par des hommes comme LelioBasso, Lueio Luzzatto et Corrado Bonfantini. Maismême après l’entrée du MU? (9) dans le parti unifié,qui avait pris l’appellation de Parti socialiste dunitéprolétarienne (PSIUP), nombreux étaient ceux quigardaient une attitude oppositionnelle. Lelio Bassoquittait même le parti avec des positions à certainségards proches de celles du mouvement romain deBandiera rossa (Drapeau rouge).

En ce qui concerne plus directement l’aire du PCI,des groupes et des mouvements ouvertement dissidentsse sont formées dans plusieurs villes. Par exemple, àTurin était actif depuis le début 1943 le groupe StellaRossa (L’étoile rouge) qui arriva même à compter2 000 adhérents (la Fédération communiste en comptait5 000) (10). Un autre groupe s’est constitué à Legnanoautour de Mauro et Carlo Venegoni alors qu’à Naplesdes militants ont même organisé, pendant une courtepériode, une Fédération opposée à celle officiellementreconnue (11). Mais le phénomène le plus important acertainement été la formation, à Rome, du Mouvementcommuniste d’Italie (Bandiera Rossa). Créé pendant les“quarante-cinq jours” (entre la chute du fascisme etl’occupation allemande de la péninsule) grâce à lafusion de plusieurs groupes préexistants, ce mouvementavait une large influence dans les quartiers populaires dela ville et, à la fin de 1943, il comptait probablementun nombre d’adhérents supérieur à celui de la Fédérationdu PCI qui rassemblait 1 700/1 800 membres (ilparaît que son journal avait t~n tirage supérieur à celuide 1’ Unità). Au moment de la libération de Rome, ilcomptait sans doute 6 000 membres (12).

L’élément commun de ces groupes ou mouvementsétait le rejet de la politique d’unité nationale qui s’accompagnait de l’exigence d’un fonctionnement démo

9) Dans un article du 1° août 1943, Basso définissait en cestermes la conception du Mup sur le nouveau parti à construire:“I) se libérer du poids des anciennes traditions du PST, sans lesrenier; 2) être bâLi démocratiquement d’en bas ; 3) lutter pourune solution socialiste à l’échelle européenne ; 4) lutter pour laconquête intégrale du pouvoir politique en détruisant l’appareilbourgeois ; 5) se considérer membre de la nouvelle Internationale qui surgira des ruines de la Deuxième et de la Troisième Internationale; 6) dépasser la limitation du mouvement socialiste quin’organisait que le prolétariat industriel et organiser toutes lesforces do travail (ouvriers, paysans, techniciens, employés,membres des professions libérales et intellectuels qui sont exploités par le capitalisme et qui n’exploitent pas le travail desautres)” (cL Spriano, op. cii., V, p. 223).

10) Cf. Spriano, ibid., IV, p. 145, ainsi que Raimondo Luraghi,11 movi.’nento ope raja torinese duranie la resistenza, liinaudi, Torino, 1958.

11) Cette fédération était née contre les permanents du centreet ses animateurs — panni lesquels Ennico Russo, Ennio et Libero Villone, Mario Palermo — étaient contre l’alliance avec lespartis bourgeois et pour un fonctionnement démocratique du parti.

12) Cf. S’dverio Corvisieri, i3andiera rossa nella resistenza ramana, Samonà e Savelli, Roma, 1968.

4~ Des choix alternatifsétaient-ils possibles 7

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cratique du parti. Dans leurs rangs se rassemblaientd’anciens militants qui s’étaient formés à l’école desannées vingt et trente, et des jeunes pour lesquels l’opposition au fascisme prenait en même temps la dimension d’une lutte contre la société capitaliste. Ils étaientinspirés non seulement et pas tellement par une différenciation sur le plan idéologique, mais plutôt par lesconséquences pratiques de orientations du parti. Leurtalon d’Achille était le manque d’une vision stratégiqued’ensemble qui découlait, au fond, d’une analyse erronéede l’évolution du PCI et surtout de la politique del’URSS -

Le cas le plus éclatant est celui du mouvementBandiera Rossa qui, tout en reprenant parfois des motifsvaguement trotskistes, qualifiait l’URSS de pays socialiste et se réclamait de Staline sans la moindre réflexioncritique. Il allait même jusqu’à reprocher au PCI et àTogliatti de ne pas appliquer l’orientation des dirigeants soviétiques qui, à son avis, auraient prôné uneligne révolutionnaire (13).

Il vaut la peine de rappeler que la thèse selonlaquelle la ligne du PCI aurait été en opposition aveccelle du PCUS et de Staline, a été partiellement reprise,pendant les années cinquante, par le groupe — lui aussiéphémère — d’Azione comunista (Action communiste).Une telle interprétation de la position de Staline, estdémentie, entre autres, par un épisode relaté par PietroSecchia. Lors d’une visite à Moscou, Secchia avaitexprimé des réserves au sujet de la ligne du parti, sansdoute dans l’espoir d’être encouragé par les dirigeantssoviétiques. Mais Staline n’avait pas caché son accordavec Togliatti.

C’est cette faiblesse fondamentale qui rendait inévitablement précaire l’existence des groupes sus-mentionnés et les condamnait à une disparition rapide. Et ced’autant plus que le PCI, après les avoir attaqués selonle style stalinien le plus classique, en les accusantmême d’être des agents de l’ennemi, déployait desmanoeuvres habiles pour les récupérer (14).

On pourrait faire des considérations analogues àpropos d’un personnage sous plusieurs aspects singulier comme Lelio Basso, qui est passé d’une critiquedes positions du PCI et du stalinisme à leur acceptationopportuniste jusqu’à justifier, au début des annéescinquante, le procès contre Làszlo Rajik en Hongrie.Environ quinze ans plus tard, Basso reprenait essentiellement son jugement sur 1943-1944, en parlant d’une“véritable occasion historique manquée” et en ajoutantceci : “L’enjeu était grand : en dernière analyse, ils’agissait de décider si l’Italie issue de la guerre devait

13) Voir par exemple les articles pams dans Bandiera rossa et larésolution de la conférence de Naples (janvier 1945) qui proclamait l’identité Lénine-Staline et accusait Togliatti de ne pas appliquer la ligne du “communisme international et de Staline” (cf.aussi la brochure La vùi ~naeslra, publiée en décembre 1944).

14) Le Mouvement communiste d’Italie est quitté, en 1947, parla majorité de ses militants qui entrent dans le PCI (dans lequel,cependant, certains de ses dirigeants ne seront pas acceptés). Unpetit noyau s’est maintenu jusqu’en 1949. Un des représentantsles plus connus, Francesco Cretara, adhérait plus tard à la Quatrième Internationale.

vraiment être ‘nouvelle’, et donc rompre avec l’ancienordre monarchiste et fasciste, se construire à partir de lavolonté et de l’initiative populaires qui se manifestaientà la base ou si, en revanche, elle devait suivre une lignede continuité juridique et politique avec l’ancien Etat,en légitimant le passé et en débouchant sur une restauration par en haut. Les partis de gauche ont subordonné toutes leurs exigences à l’effort militaire et ontaccepté toute une série de compromis qui ont finalement favorisé la restauration des anciennes structureset des anciennes forces sociales. C’était ‘le célèbretournant de Togliatti’ qui portait la responsabilitéprincipale de tout cela” (15).

On peut accepter cette évaluation critique commepoint de départ, mais on doit, en même temps, constater que le discours sur l’alternative demeurait assezvague et, surtout, ne remettait pas en cause le choixfondamental de l’intégration dans le cadre du système.Basso fera preuve de la même ambiguïté lorsqu’ilabordera les problèmes de la stratégie ouvrière (16).

Des positions analogues ont été exprimées parRodolfo Morandi, qui les a synthétisées dans un articleparu pendant les journées de la libération. A propos duproblème du rôle des CLN, Morandi écrivait:“Aujourd’hui, l’autorité suprême de l’Etat ne peutqu’être représentée et exprimée par une conférencegénérale des Comités de libération” (17). Par la suite, ilaurait abordé la perspective de ce que l’on appelait àl’époque les “réfonnes de structure” sous un angle assezdifférent de l’orientation prédominante : à son avis, cesréformes devaient être conçues comme “une rupture dusystème”. Mais ces affirmations, ainsi que beaucoupd’autres, demeuraient des allusions, des indications trèsvagues, sans jamais se concrétiser et sans jamaiss’insérer dans une critique plus générale de l’action dumouvement ouvrier national et international.

Pietro Secchia et Umberto Terracini

Parmi ceux qui ont envisagé, lors d’échéances importantes, des orientations et des points de vue différents de ceux de la majorité du groupe dirigeant, il fautciter Pietro Secchia. Le fait que ses positions critiquesn’aient été exprimées ouvertement que dans les notesde ses Archives, alors qu’il avait été depuis longtempsmarginalisé, ne diminue pas leur importance intrinsèque, surtout du point de vue qui nous intéresse ici.

Secchia avait déjà pris une position particulière à lafin des années vingt, lorsque il avait représenté avecLongo une “tendance” de l’organisation de jeunesse quirejetait une correction de ligne à son avis opportuniste:contre l’adoption du mot d’ordre de l’Assemblée constituante, il était favorable à maintenir le mot d’ordre de“révolution populaire pour un gouvernement ouvrier etpaysan”, que le parti avait adopté auparavant.

C’est en partant de cette attitude critique que

15) L. Basso, II Psi, Nuova Accademia, Milano, 1958, p. 248.

16) A ce propos, voir notre évaluation dans I! nwvimento opetala in rata faxe crilica, cit~, pp. 141-146.

17) Avanti du 28 avril 1945.

Livio Maïtan

Secchia avait accepté avec enthousiasme le “tournant”dont il pouvait se considérer au moins en partie leprécurseur. Encore quarante ans plus tard, il défendaitfarouchement cette interprétation: à son avis, il étaitimpératif pour le parti de concentrer la plupart de sesforces dans le travail de construction à l’intérieur dupays et, de ce point de vue, la critique des opposants luiparaissait inacceptable (à notre connaissance, il atoujours éludé le fait que parmi ces derniers il y avaitbeaucoup de militants emprisonnés et Gramsci lui-même) (18). Par conséquent, son jugement a coïncidédans une large mesure avec celui de Giorgio Amendolaqui, tout en reconnaissant le caractère erroné de l’analyse du parti et le peu de résultats obtenus, a justifié,même dans son livre de 1978, la condamnation de l’opposition des “trois” (Leonetti, Ravazzoli et Tresso), enexpliquant que le tournant fut la condition de la croissance que le parti a connue plus tard. C’est un exempletypique de cette tendance à la justification dont Amen-dola a été maître, même lorsqu’il a prétendu jouer lerôle de l’iconoclaste qui défiait les tabous traditionnels et soulevait des questions que les autres préféraientéviter (19).

Secchia est revenu à plusieurs reprises sur lesproblèmes qui s’étaent posés dans la dernière phase de laguerre et les premiers temps de l’après-guerre. A sonavis, c’est surtout dans cette période que le parti auraitdû adopter une ligne différente. Par exemple, en 1958 ilécrit ceci : “Je ne pense pas que l’on aurait pu faire larévolution en 1945. Notre pays était occupé par lesAnglo-américains, etc. Je partage complètement lesanalyses faites par le parti ainsi que les conclusionsauxquelles il est parvenu. Il s’agissait plutôt de miserdavantage sur les mouvements de masse, de défendreavec plus de force certaines positions et d’avoir uneaction plus efficace lorsque nous étions au gouvernement. De plus, tôt ou tard les Anglo-américainsauraient dû partir et nous aurions pu devenir plus intransigeants” (20).

Dans un texte de 1971, il précise: “Déjà pendantla Résistance et notamment à la veille dc l’insurrection,le conflit entre les forces de la gauche, notamment lePCI, et les forces modérées, s’était manifesté au grandjour au sujet de la forme d’Etat et du type de démocratiequ’il fallait construire. L’attaque contre les CLN quireprésentaient des nouveaux organismes de pouvoirs etétaient les piliers de la nouvelle démocratie, fut déclenché juste après la libération et nous n’avons pas étécapables de lui donner une réponse adéquate. Nousavons cédé au chantage et n’avons pas eu la confiancedans la possibilité de créer un nouvel Etat, différent del’ancien Etat pré-fasciste. Nous avions peur d’un

18) Selon Terracini, la perspective d’un possible retour à la“méthode démocratique”, c’est-à-dire d’une perspective opposée àcelle du tournant, “allait de soi dans les idées des communistes dcRegina Coeli [la prison de Rome]”.

19) Amendola s’est aventuré dans l’écriture d’une histoire duparti communiste qui n’est absolument pas comparable à celle deSpriano. Son justificationnisme apparaît au grand jour en ce quiconcerne le stalinisme (en 1978 I) et même les procès de Moscou (op. cil., p. 307).

affrontement et craignions de répéter l’expérience grecque” (21).

Dans un autre texte, il exprime la même évaluation sous une forme plus problématique: “Il s’agit devoir si, avec une action plus décidée et des luttes pluslarges et unitaires menées par les masses travailleuses,il était possible d’empêcher la ‘restauration du capitalisme’ avec le retour au pouvoir des groupes monopolistes et des grands chefs de l’industrie, s’il étaitpossible de mener une action plus cohérente pour larenaissance économique, politique et sociale du pays,pour réformer ses structures et réaliser un régime véritablement démocratique. Tous les partis antifascistes,sans exception, devraient approfondir cette étude avecune attitude autocritique et en abandonnant, dans lamesure du possible, tout esprit de clocher” (22).

Une erreur particulièrement grave et source de“plusieurs faiblesses”, avait été, selon Secchia, celle“d’avoir considéré la DC comme un parti démocratiqueet populaire qui aurait représente les paysans, lescouches moyennes et les classes travailleuses. L’influence de masse de ce parti ne change ni son caractèreet sa nature de classe ni la fonction qu’il a accompliaprès la libération” (23).

Un autre thème de la critique de Secchia porte surles luttes ouvrières, Se référant à la période 1947-1948,il estime que “dans la politique syndicale et de mobilisation de larges masses — surtout dans les centresindustriels — on aurait pu et dû faire davantage” (24).“Il est certain — ajoute-t-il ailleurs — qu’il y eut desretards dans la lutte pour la défense des comitésd’entreprise et des libertés dans les usines” (25).

D’autres remarques touchent des problèmes plusspécifiques. Par exemple, Secchia exprime son désaccord avec la décision du parti de voter pour GiovanniGronchi comme président de la République en 1955 etne cache pas son scepticisme quant au mot d’ordre ducontrôle démocratique sur les monopoles (26). Au moment de la lutte contre la “legge truffa”, en 1953, ilcritique l’attitude à son avis trop modérée de Togliatti,révélatrice “encore une fois d’une conception parlementariste” (27).

Il s’agit de critiques globalement non négligeableset toujours développées à partir d’une position de gauche. Cependant, elles représentent plus qu’une véritablealternative à la ligne officielle un projet d’applicationplus dure et moins disposée aux compromis de la stratégie globale de cette période. Cela est confirmé sansaucune amibuïté par le fait que Secchia exprime sonaccord avec l’objectif central, celui de la “démocratie

20) Archivia Pietro Secchia, cit., p. 192.

21) P. Secchia, Il PCI e la guerra di liberazione, 1943-1945,Annali Peltrinelli, Milano, 1971, p- 581.

22) Ibid., p- 1061.

23) Archivio Secchia, cit., p. 583.

24) Ibid., p- 427.

25) Ibid., p’ 268.

26) Ibid., pp. 267 et 269.

27) Ibid., p. 237.

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progressive”, même s’il en propose une version plusradicale. “Le but de la Résistance — écrit-il — nepouvait pas être le socialisme mais devait être une démocratie nouvelle, progressive, fondée sur des institutions nouvelles représentant directement les masses populaires et sur les organismes de pouvoir qui étaient nésdurant la Résistance” (28).

Toutefois, la limite fondamentale de Secehia neréside pas seulement dans sa manière d’aborder lesproblèmes stratégiques sur le plan national, mais surtout dans le fait de n’avoir jamais été capable, y compris dans les dernières années de son existence, de réglerses comptes avec le stalinisme. En ce qui concerne lesannées trente, par exemple, il n’a jamais remis en causeles arguments avec lesquels son parti avait justifié lesprocès de Moscou, ni essayé de saisir les racines et ladynamique des événements en l’URSS. Même après leXXe Congrès du PCUS, il a écrit que l’URSS “doitêtre au centre du mouvement communiste, car, qu’on leveuille ou non, de par sa fonction objective l’Unionsoviétique est à l’avant-garde du monde socialiste”. Enmême temps, il n’a cessé de défendre une conception, endernière analyse, stalinienne de l’unité du mouvementcommuniste (29).

Nous avons mentionné les positions d’UmbertoTerracini en 1929-1930 et à propos du pacte germanosoviétique de 1939 (30). Dans un document écrit enautomne 1941, Terracini esquissait, pour la période quiaurait suivi la chute du fascisme, une perspective quis’éloignait de celle esuissée à ce moment-là par lespartis communistes : “Il faut prévoir que dans un telcadre (surtout dans les pays vaincus, l’Allemagne etl’Italie, dans lesquels, avant même l’instauration d’uneautorité nouvelle, la défaite brisera l’appareil d’oppression de la dictature et amorcera un processus tumultueux de réorganisation des regroupements politiques anciens et nouveaux), la lutte politique se développera avec un rythme accéléré, déterminé par unepolarisation croissante sur des positions inconciliablesdes forces alignées au départ, sous une forme confuse,sur une même plate-forme démocratique primordiale. Iln’est pas exclu que, en quelques mois, se crée unesituation révolutionnaire capable de rejeter encore unefois les partis bourgeois dans le camp de la réactionouverte, Le résultat de la lutte dépendra alors de lacapacité des forces révolutionnaires à exploiter la pé

28) Ibid., p. 585. A notre connaissance, Secchia n’a pas remisen question par la suite non plus ta ligne générale du parti, Sesréserves — exprimées avec prudence CL de manière plus indirecteque directe — sur la voie italienne au socialisme apparaissenttout au plus idéologiques, sans implication sur le plan de la stratégie politique.

29) Op. ci:,, p’ 429. Il est remarquable que, lorsqu’il écrivait lepassage cité, Secchia faisait référence à Cours nouveau de TroLsky, notamment à propos du “problème des générations et du renouvellement des partis communistes” (p. 434). Précédemment,il avait cité des passages tirés de 1905 et de La révolution trahie(pp. 300-301).

30) Les positions de Terracini sont illustrées surtout dans seslivres La svolta, La Pietra, Milano, 1975, et Al banda dat partito,La Pietra, Milano, 1976. A propos du pacte gemiano-soviétique,Terracini insistait sur la distinction qu’il fallait faire entre les ex

riode de liberté et de leur habilité à manoeuvrer tactiquement dans une situation transitoire mouvante”(31).

Dans l’appel qu’il présente contre son expulsiondu parti (février 1943), il réaffirme: “Je pense que laformation du premier gouvernement post-fascisteéchappera à l’influence directe des forces prolétariennes.(...) [C’est pourquoi] nous devrons immédiatementlancer une action — avec un programme non seulementpolitique mais aussi économico-social avancé — pourencadrer les masses, selon les expériences de 1919-1921(les conseils d’usine) et de 1925-1926 (les comitéspaysans unitaires), en des organismes qui puissent aiderleur mobilisation pour les luttes directes et fonctionnercomme les noyaux primordiaux d’un gouvernementrévolutionnaire. Ainsi, en exploitant au maxjmum lesmarges de la démocratie bourgeoise restaurée, nousforgerons les armes nécessaires à la dépasse?’ (32).

Il y a là, en synthèse, les éléments d’une lignealternative sur laquelle nous reviendrons. Reste le faitque Terracini a renoncé à développer son projet: moinsun an plus tard, dans une lettre à Togliatti, il n’hésitaitpas à exprimer son “accord total avec la ligne du parti”et réaffirmait cette attitude dans une autre lettre écritejuste avant la libération (33).

Par la suite, Terracini exprimera à plusieurs reprises des opinions différentes de celles du groupe dirigeant. de son parti. Par exemple, dans une interview de1947, il souligne les dangers qui découlaient de ladivision du monde en deux blocs, ce qui provoquaitimmédiatement un démenti public par le secrétariat duparti. Juste après le XXe Congrès, il soulève auComité central le problème de l’élimination de BelaKun et de la dissolution du Parti communiste polonaiset il affirme dans un article que le PCI devait supprimerles causes et les conséquences du stalinisme. Environvingt ans plus tard, lors du XIVe Congrès du PCI, ilcritique le fait que la Démocratie chrétienne, ne soitplus caractérisée comme un parti de nature bourgeoise.Mais aucune de ces prises de position ne l’amène à unecontestation de la ligne générale du parti (34), dontcertaines prémisses étaient même poussées à l’extrême

igences légitimes de l’URSS en tant qu’Etat et les orientations dumouvement communiste international. Plus tard, contre la thèseofficielle, il soutenait que, pour les pays capitalistes, la guerredemeurait une guerre impérialiste, en dépit de l’intérêt de l’URSSà établir une alliance avec eux.

31) U. Terracini, Al banda det parfila, cit., p. 44.

32) Ibid., p. 126.

33) 12 avril 1945: “La ligne du parti c’est ma ligne, sans réserve et ma discipline est aussi sans réserve” (p. 185).

34) Par exemple, lors di Vile Congrès (avril 1951), en repoussant la thèse de la Constitution comme un compromis, it affirmait que si, en faisant une “absurde hypothèse, le PCI s’étaittrouvé en 1946 à rédiger tout seul la Constitution de la République... dans ses lignes générales et dans ses principes fondamentaux elle serait identique à celle que nous avons aujourd’hui”(Vile Congrès du PCI, Edizioni di Cultura Sociale, Roma, 1954,p, 298). Voici un autre exemple: lors du IXe Congrès, pour justifier la politique d’alliance du parti, il avait même tiré par lescheveux un passage du Manifeste communiste, en prétendanL quel’expression “chute dans le prolétariat” aurait signifié non seule’

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dans certaines de ses formulations. On ne peut pas direnon plus qu’il ait contribué de manière importante à lacritique du stalinisme (35).

Quelles alternatives ?

Donc, des alternatives possibles ont été esquisséespresque à chaque échéance cruciale de l’histoire du parti.Mais il s’agissait toujours d’alternatives partielles,dépourvues d’une dimension stratégique internationale:c’est la raison de leur faiblesse intrinsèque, de leurcaractère éphémère et de leur influence limitée.

Il n’en découle pas moins qu’une évolution différente était inconcevable. Il était parfaitement possibled’élaborer une stratégie et des options alternatives, quiauraient stimulé une dynamique différente des événements. Mais le projet alternatif aurait dû prendre dèsle début une dimension internationale. A partir d’uneanalyse rigoureuse des processus en URSS et de leursrépercussions au sein de l’Internationale communiste,on aurait pu et on aurait dû lutter pour contrecarrer,avant qu’il ne soit trop tard, l’instauration et laconsolidation de la bureaucratie stalinienne. Il s’agissaitcertainement d’une bataille très dure, dont l’issue favorable n’était guère assurée a priori. Mais aujourd’huitout le monde peut constater l’aboutissement catastrophique des choix “réalistes” qui ont été faits.

Revenons un instant en arrière. En 1929-1930, ilétait possible de rejeter les analyses — manifestementfausses — de la “troisième période” et de créer lesconditions pour une action unitaire du mouvementouvrier contre la dictature de Mussolini (et pours’opposer, en Allemagne, à la montée de Hitler). Ilétait parfaitement possible d’organiser le travail àl’intérieur du pays sans accepter pour autant lesperspectives les plus irréalistes, les ultimatismes et lesinitiatives aventuristes. On aurait ainsi créé lesprémisses d’une relance, Tout cela n’est pas affirmé quemaintenant, a posteriori. Des indications allant dans cesens avaient déjà été avancées à l’époque non pas parquelques militants isolés mais par des cadres, voire desdirigeants du PCI et de l’Internationale communiste ellemême.

A d’autres échéances importantes, pendant la Résis

ment un déclassement, mais aussi un rapprochement d’intérêts,un ralliement des classes” ~Xe Congrès du PC!, Editori Riuniti,Roma, 1960, vol. I, p’ 297).

35) Pendant le Ville Congrès du PCI, U avait utilisé lui-aussil’argument pénible “nous ne savions pas”, en ajoutant que “laconnaissance que nous avions du fonctionnement des institutionspolitiques dans les pays socialistes étaient extrêmement limitées”. Nous avons été témoins des efforts de Terracini, durant uneconférence d’un cercle juif de la capitale, pour expliquer que leprocès Slansky n’avait pas été une manifestation d’antisémitisme et s’était déroulé selon le “droit étatique” tchècque.

36) A ce propos, dans son livre I camunisti eurapei e Statin,Hinaudi, Torino, 1983, Spriano écrit: “La guerre civile, ou dumoins de forts clivages et conflits sociaux s ‘accompagnent, danschaque pays, au déroulement de la guerre sur les fronts, II y a desforces ralliées aux occupants, il y a des groupes sociaux passifset résignés, il y a aussi des combattants sincères pour la libertéqui cependant ne veulent pas collaborer avec les communistes,

tance ou dans l’après-guerre, la ligne adoptée n’était pasnon plus la seule possible. Encore une fois, des critiques et des hypothèses différentes avaient été avancées,Elles avaient un écho certain dans de larges secteurs desmasses, chez des militants et des cadres des générationsanciennes et nouvelles, qui se mobilisaient dans laperspective non seulement de renverser le fascisme et dechasser l’armée nazie (36), mais aussi de transformerradicalement l’ordre existant et bâtir une société socialiste. Différentes sources et de nombreux études historiques confirment, par ailleurs, que souvent la ligne del’unité nationale était acceptée comme une exigencetactique qu’il aurait fallu dépasser, le moment venu,pour s’engager dans une lutte pour la conquête du pouvoir (37).

Nous connaissons les arguments des défenseurs de laligne officielle. Il était absurde d’avancer une perspective révolutionnaire le 25 avril, le jour de la libération, caries armées d’occupation séraient intervenuesà côté des forces réactionnaires. Mais il ne s’agissaitpas d’essayer d’instaurer un Etat ouvrier au lendemaindu 25 avril. Il s’agissait de donner aux luttes uneperspective différente, de développer tous les élémentsde pouvoir et de contrôle ouvrier nés pendant la Résistance, d’assurer que le rôle hégémonique de la classeouvrière et de ses organisations ne soit pas vidé decontenu et effacé par une collaboration systématiqueavec les partis bourgeois et par la renonce à. mpner uneaction indépendante, de refuser l’intégration dan& l’appareil d’Etat traditionnel et de ne pas collaborer à lareconstruction de la société sur des bases capitalistes.Autrement dit, au lieu d’essayer d’étouffer ou d’estomper les conflits de classe, il aurait fallu essayer de lesdévelopper selon une dynamique qui était inscrite dansla réalité, de les orienter dans une perspective anti-capitaliste, favorisant ainsi la prise de conscience desecteurs de masse de plus en plus vastes. A priori,personne ne pouvait savoir quand se serait posée laquestion du pouvoir. Mais il était essentiel de maintenircette perspective stratégique, indépendamment de toutehypothèse concernant les échéances et les formes delutte.

Cela n’a pas été fait. Pire: si le PCI a mené desluttes parfois très dures pour défendre les droits et leniveau de vie des travailleurs, il a toujours été trèstimide, sinon absent, sur le-terrain de batailles pour dcsrevendications démocratiques importantes. Il suffit de

D’ailleurs, ces derniers se battent pour une révolution socialistemême si elle n’est pas fixée à l’ordre du jour par les documentsofficiels. L’interprétation de l’unité nationale est donc soumise àun nombre infini de variations et nuances. lin haut et en bas, auxsommets des partis qui agissent réellement dans, la clandestinitéet dans leurs bases ouvrières et paysannes, parmi les cadres intermédiaires qui deviennent décisifs pour organiser la lutte arméq”(p. 175).

37) Les dirigeants du PCI étaient bien conscients de cela etc’est la raison pour laquelle ils craignaient l’émergence à leurgauche d’un autre parti autour des éléments, groupes et mouvements critiques que nous avons déjà mentionnés (des craintes dece genre étaient exprimées par exemple par Scoccimarro à la finde 1944).

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penser à la concession énorme qu’il a fait à propos desrelations entre l’Eglise et l’Etat lorsqu’il a voté letristement célèbre article 7 de la Constitution, ouencore à son renoncement, pendant plusieurs décennies,à mener une bataille pour les droits au divorce et àl’avortement, jusqu’au moment où il a dû suivre desinitiatives prises par d’autres forces,

Des considérations analogues à celles que nousavons faites pour la période 1943-1945 peuvent êtrefaites aussi en ce qui concerne l’énorme mobilisationouvrière et populaire du 14 juillet 1948 qui, en riposteà l’attentat contre Togliatti, a bouleversé pendant quelques jours la péninsule avec des mouvements presqueinsurrectionnels. Certes, les conditions d’une lutte révolutionnaire pour le pouvoir n’étaient pas réunies. Mais,encore une fois, il ne fallait pas en tirer la conclusionque le mouvement devait être bloqué, canalisé et arrêtéle plus rapidement possible. Entre une grève deprotestation et une insurrection, il existe toute unegamme de possibilités à exploiter. On aurait pu, enl’occurrence, fixer des objectifs politiques (,par exemple,épuration des fascistes qui avaient refait surface, arrêtimmédiat de toute poursuite contre des militants de laRésistance inculpés pour des faits de guerre, instauration de conseils de gestion dans les entreprises, deconseils d’usine et de grandes propriétés agricoles avecun pouvoir de contrôle, etc.). On aurait pu fixer enmême temps des objectifs économiques en partant desluttes syndicales en cours (arrêt des licenciements,réembauchage des travailleurs licenciés, révision généralisée du système des salaires, etc.). Le mouvementn’aurait pas dû s’arrêter avant que ces objectifs soientatteints. Des comités de grève et d’agitation élus directement par les travailleurs auraicnt dû en prendre ladirection. Un succès éventuel aurait constitué uneriposte majeure aux attaques contre le mouvement ouvrier déclenchées depuis un certain temps en permettantde créer les prémisses d’une relance des luttes dans unesituation plus favorable.

Un dernier exemple: vers la fin des années soixante, l’Italie a été secouée, plus profondément etdurablement que d’autres pays européens, par une crisesociale et politique qui devait prendre en 1969-197 1 lestraits d’une crise pré-révolutionnaire (38). Le PCI aabordé la situation, avec son doigté tactique habituel, ens’efforçant d’intégrer les nouveaux mouvements dans sastratégie politique néo-réformiste. Son opération a euun succès sur le seul terrain pour lui fondamental, celuides élections. Mais, justement, le grand mouvements’arrête avec la réalisation de conquêtes partielles —

érodées par la suite l’une après l’autre — et avec unchangement relatif du rapport de forces à l’échelle électorale. Le système réussit, quand même, surmonter sacrise et, depuis la fin des années soixante-dix, labourgeoisie peut mener à bien des opérations systématiques de restructuration et de restauration avec desrésultats que, dix ans plus tard, on ne saurait contester.

Dans ce cas aussi, la politique suivie n’était pas laseule possible. On aurait pu.impulser une dynamiquedes luttes visant à approfondir la crise du système, àdévelopper des organes démocratiques à la base, au lieu

de s’efforcer d’institutionnaliser ceux qui émient apparus, avancer un projet de reconstruction de la sociétéitalienne sur des bases anticapitalistes. Avec une telleperspective, il était possible à l’époque de réaliser unlarge front de forces sociales — et non seulement de laclasse ouvrière — en stimulant une prise de conscienceà une échelle de masse de la nécessité de solutionsrévolutionnaires. De plus, dans ce contexte on ne pouvait plus avancer l’argument traditionnel de la possibilité d’une intervention militaire de l’impérialisme(39).

Un bilan d’échecs

L’application d’une stratégie et d’orientations alternatives n’aurait pas automatiquement assuré une victoire historique de la classe ouvrière et de son mouvement. Il n’y avait et il n’y a toujours pas de solutions faciles. Mais on peut quand-même constater quetoutes les perspectives stratégiques, prétendument réalistes, que les dirigeants du PCI ont successivementavancées, sont tombées à l’eau.

Dans la période 1944-1945, la perspective stratégique émit celle de la “démocratie progressive”. Sonobjectif émit, pour reprendre la formulation de Togliatti, “de détruire le fascisme, couper ses racines etrenouveler notre pays de manière qu’un régime analogue ne puisse jamais renaître, (...) La démocratieprogressive organisera un gouvernement du peuple pourle peuple et, dans son cadre, toutes les forces vivantesdu pays pourront avoir leur place, avancer poursatisfaire toutes leurs aspirations” (40). Autrement dit,elle aurait dû représenter le stade le plus avancé que ladémocratie puisse atteindre dans le cadre d’une sociétécapitaliste (41). Sur le plan plus strictement politique,le succès de cette stratégie exigeait, selon le dirigeantdu PCI, la concrétisation de deux perspectives: “la

38) La crise de 1969-1971 est à l’origine de la formation et dela croissance d’organisations d’extrême gauche qui, à leur apogée, ont été capables d’exercer une influence considérable sur dessecteurs de masse. Dans ce sens, elles portent leur partie de responsabilité en ce qui concerne l’issue de cette période critique.Voir à ce propos notre ouvrage Verifica de! !eninisrno in houa,eit.

39) Contrairement à l’opinion de ceux qui l’avançaient,l’argument du caractère inévitable d’une inLervention américainen’était pas si péremptoire à la (in de la gueae non plus aesgroupes dirigeants de Washington auraient eu des difficultés, à lafin de la guerre, à convaincre leur peuple qu’il fallait s’engagerdans une nouvelle acLion militaire). D’autre part, un dirigeant duPCI tout à fait orthodoxe tel qu’Emilio Sereni avait lui-même af(inné en avril 1945, qu’il n’était pas certain que, au cas d’uneprise du pouvoir par les communistes en Italie du Nord, elle aurait été réprimée par les Anglo-américains (cf. P. Spriano, î comunisli europei e Sla!in, cit., p. 216).

40) P. Togliatti, Politica comunisea, l’Unità, Roma, 1946.

41) La formule de la démocratie progressive a aussi été avancéedans les pays d’Europe orientale sous l’influence de l’URSS.Mais la démocratie progressive a été assez rapidement présentéedans ces pays comme une première phase de la dictature du prolétariat (ou plutôt de l’instauration de la dictature bureaucratiquegrâce aux rapports de force créés par la présence de l’armée soviétique).

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démocratisation du pays dans son ensemble” et, toujours selon Togliatti, “la démocratisation des conservateurs italiens eux-mêmes” (42). Cela n’a pas eu lieuet la démocratie progressive ne s’est jamais réalisée,comme le reconnaîtra Togliatti lui-même.

Le fait qu’une perspective ne se soit pas réaliséene signifie pas forcément qu’elle était fausse. Desrapports de force défavorables peuvent jouer dans unsens contraire et on peut continuer de lutter pour lesmodifier. Mai, en l’occurrence, il s’agissait d’une formule à laquelle ne correspondait pas une dynamique dedéveloppement possible, objectivement et politiquement féconde. Si les conservateurs ou, plus précisément, les groupes dirigeants de la bourgeoisie n’ont pasconnu l’évolution souhaitée par Togliatti, ce n’est pasqu’ils ont commis une erreur ou fait preuve de myopiepolitique. Leur but c’était la reconstruction du paysdans le cadre de l’économie capitaliste et d’institutionscapables de garantir leur hégémonie. De ce point devue, leur action a été tout à fait cohérente jusqu’à ceque la situation leur imposait une collaboration avecles partis ouvriers afin d’éviter des tensions et desconflits explosifs, ils ont accepté la politique unitairedes CLN et les gouvernements tripartites (incluant DC,PSI et PCI) ; mais, dès que cela n’émit plus nécessaire,que la situation internationale changeait et la présencedes partis ouvriers au gouvernement devenait unobstacle sur la voie de leur propre reconstruction, ilsont préparé et provoqué la rupture.

En laissant de côté certaines des formules élaboréespar la suite, comme celle de “gouvernement démocratique des classes travailleuses” (Ville Congrès) etl’autre, encore plus vague, de “démocratie de type nouveau”, disons quelques mots sur la revendication du“contrôle démocratique des monopoles”, qui a été présentée, surtout au cours des années soixante, comme unélément centrai d’une “programmation démocratique”. Ils’agissait encore une fois d’une revendication intrinsèquement inconsistante. Elle se fondait sur l’hypothèsequ’il émit possible, dans le cadre du capitalisme, decontrôler le fonctionnement des monopoles, en revenant à une sorte de capitalisme basé sur la libre concurrence et susceptible de prendre en compte les intérêtsdes masses populaires. On oubliait — ou on voulaitoublier — que la phase monopoliste n’est pas une“dégénérescence” mais plutôt l’aboutissement inévitabledu capitalisme, et qu’un capitalisme sans dominationdes monopoles est tout simplemènt inconcevable.Compte tenu de la stratégie globale du parti, cetteperspective émit intenable aussi du point de vuepolitique : en fait, une rupture du pouvoir monopolistique aurait impliqué un tel changement du rapports de forces et un tel saut qualitatif et provoqué detels conflits que le mouvement ouvrier n’aurait pas puéviter un affrontement général dans la perspective d’unelutte pour le pouvoir (43).

Etant donnée la faiblesse de toutes ces approches,le PCI ne pouvait pas ne pas se trouver en difficultéface aux gouvernements de centre-gauche, du moinspendant leur première phase. En fait, d’une part, ildevait s’opposer à une opération qui visait ouvertement

son affaiblissement et son isolement et, d’autre part, ilne pouvait pas rejeter des orientations programmatiques, politiques et idéologiques qui, du moins sur lepapier, n’émient pas qualitativement différentes dessiennes.

C’est justement après l’avènement des gouvernements de centre-gauche que les contradictions du PCIcommencent à s’approfondir et à se manifester à lasurface. Sa perspective émit déjà réformiste depuislongtemps. Vers la fin des années soixante et dans. lapremière moitié des années soixante-dix, l’émergencede mouvements de masse de nature différente mais tousmarqués, à leur apogée, par un grand dynamisme et parune capacité à peser sur les rapports de forces globaux,crée des conditions favorables à la réalisation deconquêtes importantes sur le plan économique, social etpolitique. Afin d’éviter une dynamique à leurs yeuxdangereu~e, des secteurs des classes dominantes estiment nécessaire de faire des concessions. Comme nousavons déjà souligné, le PCI s’insère dans ces mouvements. Mais il ne réussit à leur donner une perspective stratégique d’ensemble ni à imposer son hégémonie, et en même temps il demeure toujours exclu dugouvernement. C’est là qu’il faut chercher, en dernièreanalyse, les causes de sa faiblesse en dépit de ses succèsélectoraux.

La stratégie du “compromis historique” élabçrée parBerlinguer visait à surmonter cette impasse. Mais ellene s’avérait pas plus efficace que les autres (nous yreviendrons dans le chapitre suivant). Dans la pratique,le seul but qu’elle a atteint, a été la collaboration avecle gouvernement lors de l’expérience dite de solidariténationale entre 1976 et 1978, dont le seul résultat fut defaire apparaître le PCI comme un élément de couverturede la politique d’austérité et de restructuration menée parles classes dominantes. Finalement, l’échec a dû êtreexplicitement reconnu.

L’heure de l”akcrnative démocratique” sonnait. Ils’agit d’événements encore récents, sur lesquels il n’estpas nécessaire d’insister: d’autant plus que la stratégienouvelle — si l’on peut utiliser cette expressionnon seulement n’aboutissait à aucun résultat concret,mais créait dès le début des problèmes de définitionjamais résolus en dépit de tous les jeux d’équilibreidéologiques et conceptuels (44). Elle contribuait donc àl’approfondissement d’une crise dont la manifestation laplus éclatante a été une décennie de défaites électorales.

42) Rinascita, août 1946.

43) La perspective du contrôle démocratique sur les monopolesa impliqué l’usage d’autres formules, pas plus consistantes,comme celle des “profit équitable”. Sur le plan politique, un caslimite de perspective vague est représenté par la formule utiliséepar Togliatti lors du Xc Congrès “Diminuer et si possible briser la domination absolue des groupes dirigeants bourgeois”.

44) Il suffit de penser que, lors du nouveau tournant, Berlinguers’était hâté de déclarer que l’altemative démocratique n’impliquaitaucun changement des “bases fondamentales” de la stratégie duparti, alors que un texte pour le Congrès de 1983 expliquera quel’alternative démocratique signifiait, sur le plan gouvernemental.une alternative à la DC ct à son système de pouvoir.

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IComme nous l’avons vu, l’histoire du PCI a été

déterminée par une série de facteurs qui ont marqué pendant soixante-dix ans à la fois la société italienne et lascène internationale. C’est en même temps l’histoire dedizaines sinon de centaines de milliers de cadres et demilitants dont le dévouement et les sacrifices ont permis à ce parti de jouer un rôle majeur, indépendammentdu jugement que l’on peut porter sur ce rôle même.Mais elle a été déterminée aussi par les leaders qui sesont succédés à sa direction et ont défini ses conceptions, sa stratégie et ses orientations.

A propos du premier secrétaire, Amadeo Bordiga,nous nous bornerons à rappeler un jugement de PietroTresso qui, en dépit du langage un peu désuet, demeurevalable : “Sous la direction de Bordiga et malgré le faitque son orientation était fausse, le parti prend conscience de soi-même et de la vérité que ‘sans parti declasse, sans doctrine révolutionnaire’, le prolétariat nepeut pas vaincre. Il s’agit de vérités premières, fondamentales. Sous Bordiga, non seulement le parti prendconscience de soi-même et commence à se former,mais, au milieu de la guerre civile la plus dure, il opèresa ‘sélection’, se renforce, acquiert une discipline d’acieret développe un esprit de sacrifice: autant de qualitésindispensables pour la création d’un parti bolchevique”(1).

Nous ne reviendrons pas non plus sur AntonioGramsci: nous avons déjà synthétisé notre évaluationsur son oeuvre théorique et politique de marxisterévolutionnaire dans une étude qui a été publiée àl’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort (2).De son vivant, Gramsci n’eut une influence déterminante que pendant une assez courte période, depuis laformation d’un nouveau groupe dirigeant opposé àBordiga jusqu’à la fin de 1926. Ce n’est que vingt ansaprès sa mort que l’on a commencé à étudier et à apprécier son apport politique et culturel. Pendant plus dequatre décennies, le souci majeur des dirigeants et desintellectuels du PCI a été celui de présenter Gramscicomme le précurseur ou l’inspirateur de leurs conceptions stratégiques. Mais, puisque celles-ci, dans toutesleurs évolutions, ont toujours été bien différentes decelles qui avaient été formulées par Gramsci non seulement pendant la première moitié des années vingt, maisaussi dans les Cahiers de prison, nous avons assisté etassistons encore à un spectacle effrayant de jeux d’équilibre conceptuels et terminologiques ou, pour parlerplus explicitement, à une série ininterrompue de mystifications. Maintenant, il faut s’attendre à une nouvellerelecture de Gramsci afin d’y découvrir des éléments quianticipent le dernier tournant politique du parti (3).

Nous ne nous étendrons pas non plus sur deux autresdirigeants qui ont exercé leurs fonctions pendant unepériode limitée. Il suffit de rappeler que le premier,Luigi Longo, qui avait partagé toutes les responsabilités du groupe dirigeant dès la fin des années vingt,a contribué, lorsqu’il est devenu secrétaire, à. approfondir la prise de distance du parti à l’égard de l’Unionsoviétique avec la condamnation de l’invasion de laTchécoslovaquie. Grâce à son curriculum, il a pu réaliser la convergence sur cette position aussi bien desanciennes que des nouvelles générations du parti. Ledeuxième, Alessandro Natta, a présidé à la dernière phase du processus de social-démocratisation du parti, sansdonner aucune contribution particulière.

Longo et Natta n’ont été secrétaires que pendantdouze ans au total. Palmiro Togliatti et Enrico Berlinguer ont exercé leurs fonctions pour des périodesbeaucoup plus longues, dans lesquelles ils ont dans unelarge mesure déterminé les conceptions et les orientations du parti.

Togliatti: du Comintern à Valta

Au fil de ces dernières vingt années, le jugementporté sur Togliatti a connu, toute proportion gardée,une vicissitude comparable à celle du jugement surGramsci: il s’est modifié en fonction des conceptionset des orientations du parti, sinon même de ses exigences conjoncturelles.

Togliatti a été longtemps présenté comme le collaborateur le plus étroit et le continuateur le plus fidèlede Gramsci, ensuite comme celui qui avait explicité etdéveloppé ce qui demeurait chez Gramsci implicite etembryonnaire. Finalement, il est apparu comme ledirigeant qui, après le XXe Congrès, avait été capabled’introduire les éléments de rupture nécessaires à l’égarddu passé. Plus récemment, et surtout après le lancement de l’opération d’Occhetto, en dépit d’unecertaine continuité dans les évaluations positives etsouvent encore apologétiques, l’accent a été mis sur la

1) Bollettina delI’Opposizione italiana, n’ 13, 1° février 1933.

2) “Le marxisme révolutionnaire d’Antonio Gramsci”, Quatrième Internationale, n° 24, 1987, pp. 5-38.

3) Giuseppe Vacca, un inteuectuel toujours soucieux de donnerles explications les plus sophistiquées à l’évolution des conceptions et des perspectives de son parti, a annoncé un nouveau livre qui devrait prouver que Gramsei et Togliatti étaient “différentsmais indissociables”. Le livre devrait sortir au printemps 1991.Si l’on juge d’après l’interview qu’il adonné à i’Unità (6 sepLembre 1990), il faut conclure que s’a fantaisie sera encore une foisin4puisable.

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nécessité de faire la différence entre le parti de Togliattiet celui d’aujourd’hui (4).

Les appréciations des partisans de Togliatti peuvent être partagées sur un point: si l’on le compareaux autres leaders politiques de l’Italie de l’après-guerre,la comparaison ne peut que lui être favorable.

A l’époque de Togliatti, la classe dominante n’aproduit qu’un seul homme capable de s’imposer pour sastature : Alcide De Gasperi. Mais De Gasperi lui-même avait des limites évidentes et s’est imposé beaucoup plus grâce à une convergence de circonstances quepour ses qualités exceptionnelles. Quant aux socialistes, il n’ont eu d’exprimer aucun leader de l’envergurede Togliatti. Une appréciation allant dans le même peutêtre exprimée par rapport à d’autres dirigeants du ditmouvement communiste international.

Grâce à son intelligence lucide, à son habileté et àsa souplesse, Togliatti a pu représenter mieux quequiconque le mouvement auquel il appartenait et enexprimer les exigences, surtout dans certaines phases(les fronts populaires, l’unité antifasciste, la périodeaprès le XXe Congrès). Aux yeux de son parti, de sesdirigeants et de ses cadres, ses contradictions et sonpassé n’apparaissaient pas comme des traits négatifs,mais plutôt comme une garantie que, tout en opérantdes mutations, on n’aurait pas dépassé certaines limites. Autrement dit, on n’aurait pas remis en questionl’hégémonie des directions et des appareils bureaucratiques (ils étaient très nombreux à souhaiter qu’onoublie ce qu’il a essayé de faire oublier, avec sonincroyable culot, pendant les mois cruciaux de 1956).

Surtout lors de ses dernières années, Togliatti a étécapable de formuler avec assez de clarté et d’imposeravec l’autorité nécessaire le cours partiellement nouveau dont la grande majorité du parti ressentait lebesoin. C’est pourquoi, même après des événementsqui auraient dû ébranler profondément son prestige, il acontinué d’apparaître comme une référence et une autorité, y compris pour les courants les plus “rénovateurs”, sur le plan aussi bien national qu’ international,

A l’occasion de sa mort, on a souligné, d’une part,son rôle en tant rédacteur de L’ Ordine Nuovo etcollaborateur de Gramsci, et en tant qu’inspirateur de lapolitique des fronts populaires et de la coalition antifasciste et, d’autre part, son attitude après le XXe Congrès du PCUS. On a essayé de saisir dans son aLtionune ligne d’évolution cohérente que la dégénérescencestalinienne n’aurait pas fondamentalement marquée, enoubliant le fait que, sur les quarante-cinq ans de sonactivité politique, environ vingt-cinq — et certainementpas les moins importants — ont été sous l’empreintedu stalinisme. C’est sous Staline qu’il s’est imposé entant que dirigeant et a assumé des responsabilités depremier plan dans le Comintern bureaucratisé: évidemment, cela aurait été impossible sans une adhésion totale à la ligne, aux conceptions et aux méthodes dudespote du Kremlin. C’est un fait qu’aucun historien nepourrait sérieusement contester, au delà des explicationset des justifications que l’on peut essayer d’inventeravec plus ou moins d’enthousiasme, Togliatti a acceptéet célébré selon les règles de l’époque tous les traits

essentiels de la politique de Staline. Tout le monde connaît des événements particulièrement tragiques — I ‘élimination de Bela Kun et la dissolution du Parti communiste polonais — dont le numéro deux du Comintern a été directement ou indirectement responsable (5).

Les partisans de Togliatti ont beaucoup insisté sursa contribution à l’analyse du fascisme et à l’élaboration d’une ligne d’unité avec les socialistes, ainsique sur son esprit démocratique et tolérant. Ils ontvoulu, en revanche, faire oublier qu’ il avait pleinementaccepté, au même titre que les autres dirigeants, lesorientations de la “troisième période” le concept de“social-fascisme”, sans hésiter à expulser ceux qui lesavaient critiqués; qu’il s’était distingué pour sonacharnement dans l’apologie des procès de Moscou etdans la chasse aux dissidents que, surtout après sonretour en Jtalie, il avait introduit dans le PCI la pratiquedu “culte du chef’. En fait, tous ceux qui ont critiqué laligne du parti ou ses méthodes de fonctionnement, ontfait connaissance, dans le meilleur des cas, avec un bureaucrate paternaliste et le plus souvent un pourfendeurimpitoyable de tous les opposants ou présumés tels(6).

Faut-il rappeler encore que, au moment même où ilécrivait une préface au Traité sur la tolérance de Voltaire, il participait sans le moindre scrupule à la campagne de calomnies contre les communistes yougoslaves et applaudissait la réédition tchèque ou, hongroise des procès staliniens ? Faut-il rappeler que celuiqui a été présenté, surtout après sa mort, comme undéfenseur éclairé de l’autonomie de la cultute, n’a jamaisexprimé la moindre réserve à l’égard du réalisme socialiste ou des campagnes “culturelles” ravageuses d’Andrej Jdanov?

Nous avons déjà vu, par ailleurs, que ceux qui ontété jugés comme les aspects les plus positifs de sonaction, c’est-à-dire la politique des fronts populaires etcelle de la coalition antifasciste, ne représentaient pointune contribution originale mais étaient dictés par leschoix stratégiques de Staline, de la bureaucratie so

4) Très souvent ce sont les mêmes personnes qui ont défendudes interprétations différentes, cc qui prouve que les soucis politiques primaient sur les exigences de l’analyse historique. Un exemple significatif d’interprétation “adaptée” c’est le numéro deCritica marxista sur “‘l’ogii~tti e la storia d’Italia”, paru àl’occasion du vingtième anniversaire de sa mort.

5) Par exemple, il serait non seulement très peu “internationaliste”, mais carrement cynique de justifier l’élimination de Belakun et la dissolution du PC polonais en expliquant quel’acceptation de telles décisions aurait permis dc sauvegarder lesintérêts du PCI. Il faut ajouter que, après la mort de Staline, Togliatti a continué de juger très durement Tito et à approuver, mêmesi non plus de manière publique, les accusations lancées contreBela kun (cf. Archivio Pietro Secchia, cit., p. 490).

6) Très intéressants apparaissent, à ce propos, les témoignages de P. Secchia. 11 parle du “système habituel de Togliatti” quiétait “la négation non seulement de l’élaboration collective,mais même de la direction collective” (Archivio, p. 244) et publie une lettre de Togliatti postérieure au XXe Congrès qui montreouvertement la conception paternaliste et autoritaire de ce dernier(“les critiques générales à l’activité du parti. lorsqu’elles doiventavoir lieu, doivent être préparées, menées, dirigées” (lvi, p.679).

Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan

5. Les protagonistes :de Togliatti à Berlinguer

Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

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Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan Livio Maïtan Du PCI au PDS la longue marche du Parti communiste italien

viétique et de cette direction du Comintern qui n’avaitplus aucune autonomie. A la limite, on pourrait rechercher une originalité relative dans des formes d’application de cette ligne ou dans certaines ses approchestactiques particulières. Sur ce terrain, Togliatti est parfois allé plus loin que d’autres, par exemple, lors dutournant de Salerne ou du vote sur l’article 7 de lanouvelle Constitution italienne (7).

Pour revenir à l’époque de la crise du stalinisme, onne peut certainement pas considérer comme méritoiresses prises de position de condamnation totale des communistes yougoslaves et de soutien inconditionnel àStalini en 1948. Mais, même après le XXe Congrès,Togliatti s’efforce de fixer des limites précises à lacondamnation du stalinisme. Par exemple, dans uneinterview célèbre publiée dans la revue Nuovi Argomenti, il en va jusqu’à mettre sur le même plan lescoupables des répressions les plus épouvantables etleurs victimes. Lorsque les dirigeants soviétiques seplaignent des critiques — somme toute très modérées— à leur égard, il recule immédiatement et pendantquelques temps évite de revenir sur les thèmes esquissés(8).

Toujours en 1956, non seulement il approuvel’intervention soviétique contre la révolution en Nongrie, mais il participe à la campagne contre les insurgés. Il publie, dans Rinascira, un article où il condamne dans les termes les plus durs un recueil d’écritspar des intellectuels hongrois et qui est tout à faittyplijue de sa manière de polémiquer, de ses conceptionsbureaucratiques dans le sens le plus profond du mot etde la véritable nature de sa “destalinisation”. Il n’hésitemême pas à critiquer sans la moindre hésitation et avecmépris les funérailles grandioses de Làszlo Rajk, unecérémonie qui rendait justice à une victime des crimesdu stalinisme et qui a été l’une des manifestations lesplus émouvantes du mouvement de masse anti-bureaucratique hongrois (9). Il ne faut pas oublier non plus lafroideur avec laquelle, au début, il avait accueilli Gomulka, qui, à l’époque exprimait les sentiments anti-staliniens des masses, ni son interprétation typiquementstalinienne des luttes ouvrières et populaires à Poznanqu’ il attribuait à l’action de “l’ennemi”.

Qui plus est, après le XXIIe Congrès du PCUS(1961), Togliatti s’oppose à ceux qui voudraient développer davantage la critique du stalinisme et menacemême de prendre l’initiative de créer une tendance pro-soviétique (10). Une année plus tard, dans une note

7) Selon un témoignage d’Emilio Lussu, ancien dirigeant dumouvement pour l’autonomie en Sardaigne, ensuite membre duParti d’action et du Parti socialiste, Togliatti lui aurait dit quegrâce à ce vote le PCI seraiL resté au gouvernement avec la DCpour vingt-cinq ans.

8) Ce n’est qu’au IXe Congrès, en 1959, que Togliatti dira dene pas avoir renoncé à ses points de vue.

9) Le recueil avait été publié même en Italie (Laterza, Ban,1957) sous le titre Iridalmi Ujsag (“Gazette littéraire”). Contrairement à ce que Togliatti prétendait, la plupart des auteurs étaientfavorables à une transformation démocratique de la liongrie dansun sens socialiste. A propos des funérailles de Rajk, il parte d’un“défilé macabre, absurde et exaspérant”.

visant à expliquer ses jugements élogieux de Staline, ilreprend un vieil argument: “Les révélations et lescritiques qui ont été faites à propos de l’oeuvre deStaline lors du XXe Congrès du PCUS ne diminuent nila grandeur ni le génie du personnage” (11).

L’analyse des causes et du sens de la dégénérescencestalinienne — telle qu’elle est esquissée dans l’interview déjà mentionnée à NuoW Argomenti ou encoredans un numéro spécial de Rinascita pour le quarantième anniversaire de la révolution d’octobre — estelle-même tout à fait révélatrice de sa conception de la“destalinisation” et de sa volonté de couvrir ses responsabilités passées (12). Certaines de ses affirmationsmériteraient de figurer dans une anthologie des autojustifications. Par exemple, la suivante: “Nous n’avions et ne pouvions avoir aucune connaissançe desfaits qui sont dénoncé aujourd’hui. (. -) Maintenantnous apprenons qu’en Union soviétique, sous Staline,ont eu lieu des procès qui se sont terminés par descondamnations illégales et injustes” (13), Pas plus qued’autres qui ont avancé des arguments pareils, il ne serend compte que, même si on voulait accepter une telleversion, le jugement devrait être quand même négatif.Tout en ayant passé de longues années en URSS, iln ‘avait rien vu et rien compris de ce qui était en train des’y passer. Ecellent bilan pour un dirigeant et un intellectuel “marxiste”

L’attitude plus générale de Togliatti à propos de ladestalinisation nous donne, en dernière analyse, une cléd’interprétation de sa personnalité. Il était désormaisparfaitement conscient que les méthodes et les conceptions de Staline étaient obsolètes, y compris du pointde vue de la conservation des régimes bureaucratiquesexistants, et qu’il fallait changer de cap. Mais, pour lui,changer de cap signifiait innover dans la mesure nécessaire au maintien d’une continuité substantielle. Sesinterventions de 1956 jusqu’à sa mort (1964) le prouvent sans possibilité d’équivoque,

Mais il y a un autre aspect qui n’est pas secondaire.Si l’on considère de manière abstraite ses propensionsculturelles, sa formation, sa mentalité et son style, onpourrait conclure que le stalinisme ne s’adaptait pasbeaucoup à son caractère. Cela explique ses réserves audébut, ainsi que certaines attitudes des dernières annéesde sa vie et certaines modes d’application pratique dustalinisme lorsque celui-ci était encore à son apogée.Pour son tempérament et ses tendances, Togliatti sesituait plutôt du côté du courant dc droite de l’Internationale communiste, ce qui explique ses affinitésavec Bukharine pendant une période de l’histoire du

10) Cf. Giuseppe Pion, Vila di Enrico Berlinguer, Laterza,Ban, 1989, p- 115.

11) “Momenti doUa storia d’Italia”, Crilica marxiste, n° spécialcit., p. 206.

12) Selon Secchia, Togliatti “ne voulait pas une discussion surle passé parce quil serait appani comme le principal responsablede nos positions et de la politique menée en Italie... Il désiraitattendre et surtout ne pas modifier les méthodes de direction” (Archivia Secchia, ciL, p. 303).

13) D’après l’interview cité.

PCUS et de la 111e Internationale. Dans ce sens, il étaitbeaucoup plus à l’aise avec les fronts populaires qu’avec la troisième période, avec la coalition antifascisteplutôt qu’avec la guerre froide et il aurait préféré desconceptions et des pratiques paternalistes plutôt que desconceptions et des pratiques répressives et terroristes,Si l’on oublie cet aspect, on risque de ne pas donner unjugement d’ensemble adéquat. Cependant, il serait toutà fait arbitraire de cacher le fait qu’il ne s’est jamaisopposé au stalinisme (même lorsque il était intimement convaincu du caractère erroné de la ligne quiétait imposée) et, concrètement, a été pendant desdécennies son instrument, même au prix d’une déformation de sa personnalité. En dernière analyse, sesparticularités augmentent ses responsabilités au lieu deles diminuer.

On a attribué une importance exceptionnelle audernier de ses écrits, le Mémorial de Yalta, qui constitue certainement un miroir fidèle de ses conclusionsau sujet de problèmes centraux du mouvement communiste. Si l’on juge ce texte du point de vue de sa valeur intrinsèque, son importance apparaît tout à faitrelative. Ses remarques les plus importantes et lesmoins contestables — par exemple les critiques auxstructures bureaucratiques de l’URSS, les explicationsconcernant la spécificité de la dialectique de l’art et de laculture et la nécessité de coordonner au niveau européenles luttes syndicales à l’époque du Marché commun —

ne font que reprendre, timidement et avec un énormeretard, ce que plusieurs courants du mouvement ouvrieront défendu depuis longtemps: les marxistes révolutionnaires à partir des années trente, les communistesyougoslaves depuis les années cinquante, mais aussi,sous certains aspects, les réformistes de l’âge d’or de lasocial-démocratie et, pour ce qui concerne l’Europe, desgroupes et des tendances syndicales de différents pays. Ilne s’agit donc pas d’un document original et novateur,comme on a essayé et on essaie encore de le présenter.

Son importance réside dans le fait que certaineschoses soient dites — même si avec retard et non sansréticences — par un personnage comme Togliatti et parun parti communiste avec une grande influence demasse et un prestige international. Il était importantque le leader du PCI se prononce contre tout nouvelencadrement autoritaire du dit mouvement communisteinternational, dénonce la faiblesse fondamentale de certains partis communistes de l’Europe occidentale etl’inefficacité de certains organismes syndicaux (commela Fédération mondiale des syndicats), et souligne —

bien que de manière encore très peu explicite — leslimites de l’élaboration théorique et politique sur lesproblèmes de la lutte des peuples coloniaux et néocolon iaux.

D’autre part, le Mémorial revient sur des positionsdéjà acquises par le PCI, en développant davantage sesconceptions et ses orientations réformistes et néoréformistes et en remettant en cause de manière encoreplus ouverte la conception léniniste de l’Etat. Mais,même à ce propos, son originalité est très discutable.En réalité, des contributions d’autres dirigeants et intellectuels du parti ont été, sur ce terrain, plus im

portantes et plus concrètes. Des efforts d’interprétationde la réalité du capitalisme des années cinquante etsoixante ont été faits par des analyses incomparablement plus profondes que les formulations vagues etallusives de Togliatti (marquées, entre autres, par unefaiblesse tout à fait évidente dans le domaine économique). Il est aussi significatif que Togliatti ne prendpas position sur des événements majeurs tels que lesprocessus révolutionnaires alors en train de se dérouler àCuba et en l’Algérie.

Dans un article sur l’oeuvre du dirigeant démocrate-chrétien Alcide de Gasperi (14), Togliatti a indiqué dc lamanière suivante ce qui à son avis constituait la “pierrede touche” des qualités d’un personnage politique “Enquelle mesure ses orientations idéales et sa perspicacitépersonnelle lui permettent de comprendre le cours desévénements, de saisir, au-delà de la confusion du réel, cequi est essentiel et nouveau et donc les germes del’avenir? En quelle mesure peut-il dégager de ses principes une ligne de conduite qui le rende maître desévénements, jusqu’à leur donner une marque permanente ?“

Si nous appliquons ces cdtère~ pour essayer de jugercelui qui les a énoncés, le bilan d’ensemble ne pourraitpas lui être favorable. Il serait en effet difficile d’affirmer que Togliatti avait prévu “le cours des événements” et encore moins qu’il avait “saisi.. - lesgermes de l’avenir” dans les années trente et au début del’après-guerre, pour ne citer que ces deux exemples. Il aaccepté, assumé et “théorisé” le stalinisme et, en 1944-1945, formulé un projet stratégique qui s’est révéléintrinsèquement inconsistant.

Dans la période suivante il s’est progressivementadapté aux événements, souvent avec habileté, mais,pour reprendre ses mots, il n’a jamais pu en devenir“maître”. En particulier, dans la mesure où il s’est efforcé surtout d’expliquer a posteriori, dans un soucid’auto-justification, ce qui s’était passé, il ne pouvaitpas être un théoricien original (15).

Des hommes qui l’ont connu de près, à des époquesdifférentes, ont exprimé des jugements fortement négatifs. Selon Pietro Tresso, Togliatti “ne croit à aucunepolitique, mais il est un avocat toujours prêt à défendretoutes les causes et à soutenir toutes les lignes politiques, à savoir les causes et les lignes politiques dominantes à un moment donné. Lorsque l’Internationalecommuniste était dirigée par Boukharmne, il était pourBoukharine ; après le tournant, il s’est rangé du côté duvainqueur, du côté de Staline” (16).

Au fond, le jugement de Pietro Secchia n’était pasmoins sévère. A propos des déclarations de Togliatti sur

14) Rinasciia, octobre 1955.

15) Selon Spriano, les aspects originaux de la contributionthéorico-potitique de Togliatti seraient son jugement sur.la religion et la conscience religieuse et sur le problème de la guerrenucléaire (Critica marxiste, n° spécial cité). rt serait vraiment exagéré que d’affirmer qu’il s’agissait de contributions originales etsystématiques. Mais il est vrai que Togliatti fut panni les premien à soulever ces questions dans les partis communistes.

16) Cité dans Archivio Secchia, cit., p. 158.

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la dissolution du Cominform, il écrivait: “Ces sagesconsidérations, comme beaucoup d’autres du mêmeTogliatti, arrivent toujours avec plusieurs années deretard, c’est-à-dire lorsqu’il ne faut plus aucun couragepour les manifester, elles arrivent lorsque le ‘tournant’s’est déjà amorcé, la ‘décision’ a été prise et il seraitmême imprudent de s’y opposer et résister.

Et alors, au lieu de se limiter à faire de même queles autres, à savoir de reconnaître qu’il faut changer, ilprend le ton du premier de la classe, l’attitude de celuiqui veut laisser croire qu’il ‘l’avait toujours dit’, decelui qui avant avait accepté seulement par discipline etpeut finalement s’exclamer: ‘voilà, j’avais raison’. Enréalité, il a presque toujours accepté toutes les différentes orientations d’abord de l’Internationale communiste et ensuite du Cominform. Il les a toujours acceptées et farouchement défendues, en faisant preuve d’uneconviction profonde et en se battant contre tous ceuxqui exprimaient des doutes” (17).

On peut prendre en compte, dans le premier cas, unetendance à l’exagération polémique, dûe à une lutte defractions très dure et, dans le deuxième, une forme deressentiment pour les torts subis. Cela n’empêche queTresso et Secchia ont saisi un aspect incontestable etpoint négligeable de la personnalité de Togliatti. Aprèstout, ces jugements vont dans la même direction desremarques de Gramsci à propos des critiques de Togliatti à la lettre célèbre au Comité central du PCUS“Nous serions des piètres révolutionnaires, irresponsables de surcroît, si nous restions passifs en regardantse dérouler les événements et en justifiant a priori leurnécessité... Ta manière de penser m’a fait une impression vraiment pénible” (18).

Toutefois, dans une évaluation globale, on peutconsidérer comme apport spécifique de Togliatti —

bien qu’il ne s’agisse évidemment pas d’un apport exclusivement personnel — l’action menée pendant vingtans pour transformer un parti stalinien en un parti detype néo-réformiste, social-démocrate, tout en conservant et même en augmentant son influence de masse etsa force d’attraction au niveau culturel.

Ce dessein n’avait pas été conçu de manière systématique dès le début, car Togliatti était loin de prévoirtous les facteurs nationaux et internationaux qui enauraient permis la réalisation, et, en fait, à différentsmoments et avec des arguments différents, il avaitvoulu souligner le clivage séparant son parti du réformisme traditionnel. Cependant, des prises de positionssur des questions spécifiques, plus que sa stratégie d’ensemble, permettent de conclure que Togliatti avait

17) Ibid., pp. 298-299. Au moment de la mort de Togliatti,Secchia exprimait un jugement plus favorable, qui cependant nesupprime pas ses considérations précédentes (ibid., p. 546).

18) CL La costruzione de! Partùo comunista 1923-1926, Einaudi, Torino, 1971, p. 135.

19) L’historien Gaetano Salvemini polémiquait avec le jugement de Togliatti dans la revue H Ponte dc février 1952. MêmeSecchia est critique à l’égard de ce point de vue (Archivio, p.453). 0e notre côté, nous avons analysé la signification du discours de Togliatti dans .4uuatigà di Gramsci e politica comunista,Schwartz, Milano,l955, pp. 32 sq.

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commencé à esquisser un projet néo-réformiste dès1944-1945.

Par exemple, dans son rapport au Ve Congrès, en1945, il avait présenté sous un jour favorable undiscours de Turati de juin 1920, que les vieux réformistes avaient toujours considéré comme un de seschef-d’oeuvres (et que, en revanche, les communistes etles “maximalistes” avaient durement critiqué). Dans cediscours, Turati avait fait des propositions pour lareconstruction de l’après-guerre assez semblables à cellequ’avançait quarante cinq ans plus tard le Parti communiste.

Un autre exemple: dans un discours de mai 1950,Togliatti rectifiait sensiblement, voire renversait lejugement traditionnel de Gramsci et du PCI sur Giolitti, en présentant le vieux leader bourgeois comme unlibéral progressiste et soucieux des exigences populaires (19).

De plus, selon Lelio Basso, il lui aurait dit unjour: “Tu ne dois pas penser que le PCI ne changerapas. Tôt ou tard, il devra même changer de nom, pourdevenir un grand parti unique des travailleurs...” (20).

Voici donc Togliatti... précurseur d’Occhetto!

Berlinguer: compromishistorique et eurocommunisme

Enrico Berlinguer adhère au parti en 1944, en Sardaigne, à un moment où l’île est coupée du continent.Par conséquent, non seulement il n’a pas accumulé,pour des raisons d’âge, l’expérience des militants desannées vingt et trente, mais il n’a pas participé nonplus à la Résistance. Il entre rapidement, par cooptation, dans les organismes de direction et toute sonexpérience se fait lorsqu’il est déjà inséré aux niveauxles plus élevés de l’appareil (21). Les besoins et lesmécanismes de l’appareil et du groupe dirigeantdétermineront les étapes de sa montée (ainsi que de sesreculs temporaires). Même son élection en tant quesecrétaire n’est pas dùe à la reconnaissance de qualitéssupérieures à celles d’autres membres de la direction etencore moins à une plus grande popularité au sein duparti et des masses. En fait, il y a autour de lui uneconvergence des “courants” et “sensibilités” qui existaient à l’époque et dont aucun n’aurait accepté la désignation d’un leader du regroupement opposé.

Si l’on considère que Togliatti s’était placé aucentre, dans la topographie du parti, alors on peutaffirmer que dans ce sens Berlinguer a voulu être et aété son continuateur. Mais il est devenu secrétaire dansune période où le parti avait désormais des conceptions,des orientations et une position internationale quiétaient très différentes non seulement de celles del’après-guerre, mais aussi de ceux de la fin des annéescinquante. Plus particulièrement, Berlinguer, qui avaitété stalinien lorsque tout le monde l’était, mais nes’était pas formé à l’époque de l’apogée du stalinisme et

20) Corriere delta sera, 21 août 1985.

21) Selon une plaisanterie de Pajetta, Berlinguer aurait adhérédès sa jeunesse à la direction du parti.

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avait une formation culturelie différente de celle de sesprédécesseurs, était mieux placé pour accompagner,stimuler et accentuer l’évolution ultérieure du parti versune rupture complète du cordon ombilical qui lerattachait à l’URSS et au “mouvement communiste” etsa transformation en parti néo-réformiste.

L’oeuvre de Berlinguer pendant les douze ans passésà la tête du PCI sera surtout rappelée pour l’adoption dela stratégie du compromis historique et du projet euro-communiste. La stratégie du compromis historique aété formulée pour la première fois dans un essai parudans la revue Rinascita en 1973, juste après le coupd’Etat militaire au Chili. Son but n’était pas seulementde prendre en compte cette expérience dramatique dansl’élaboration d’une perspective de gouvernement pour lagauche, mais aussi, en même temps, de proposer uneissue à l’instabilité désormais chronique des gouvernements de centre-gauche et à la crise sociale etpolitique ouverte depuis 1968.

Berlinguer se rélie, en ligne générale, à l’approchede Togliatti qui prévoyait des transformations réformistes graduelles (la formule du “compromis historique” elie-même étair empruntée à Togliatti). Le concept de “démocratie progressive”est remplacé par celuid”assainissement et rénovation démocratique” de lasociété toute entière et de l’Etat, présentés comme leseul moyen de “créer dès maintenant les conditionspour construire une société et un Etat socialistes”.

En réalité, dans la mesure où on peut faire la comparaison entre un pays sous-développé et néo-colonialcomme le Chili et un pays capitaliste industrialisé,voire impérialiste, comme l’Italie, l’expérience chilienne aurait dû aider à comprendre quelle est l’alternative qui se pose lorsqu’on amorce un projet detransformations graduelles vers le socialisme. Des deuxchoses l’une: soit le projet reste sur le papier et nesont réalisées que des transformations marginalesdans ce cas, il n’y a pa d’affrontement direct entre lesclasses antagonistes pour la raison très simple que lerégime existant ne se sent pas menacé; soit on commence à réaliser de véritables réformes de structure,dans un contexte de mobilisations croissantes de laclasse ouvrière et des autres couches populaires, et alorsl’affrontement sera tôt ou tard inévitable.

C’est ce qui s’est passé au Chili avec le résultat quetout le monde connaît, car les classes dominantes etleurs appareils étaient préparés à l’épreuve de force,alors que Allende, les socialistes, les communistes, lesorganisations syndicales, les mouvements paysans, etc.ne l’émient pas et n’avaient pas pris, sinon en retard etde manière tout à fait insuffisante, les mesures d’autodéfense nécessaires. Berlinguer élude tout simplementcette problématique, en mettant l’accent sur les alliances et sur le bloc social et politique nécessaires, àson avis, pour la réalisation de son projet. Il ne suffitpas, explique-t-il, de miser sur une majorité de 51% desvoix pour les forces de la gauche; il faut poursuivre“une collaboration intense des forces populaires d’inspiration socialiste et communiste avec les forces populaires d’inspiration catholique, ainsi qu’avec d’autresformations d’orientation démocratique”.

Plus concrètement, c’est la DC elle-même qui devrait être partie prenante de cette opération. Prévoyantune objection possible, Berlinguer rejette toute définition de la DC comme une “catégorie a-historique,quasi métaphysique”, ce qui va de soi. Mais il ajouteque la DC subit un double conditionnement: d’unepart, celui des “groupes dominants de la bourgeoisie”et, d’autre part, celui “d’autres couches”, en précisantque ce dernier pourrait, en perspective, s’avérer décisif.Donc il utilise désormais son approche gradualistemême dans la définition la Démocratie chrétienne!

Trente ans d’histoire italienne avaient déjà prouvéque cette hypothèse n’avait aucun fondement: à la finde la guerre, la Démocratie chrétienne avait été l’instrument politique fondamental de la bourgeoisie etavait permis d’assurer, grâce à son idéologie éclectiqueet flexible, l’hégémonie des classes dominantes sur delarges couches de. la société. Il est difficile d’affirmerqu’elle n’a plus joué ce rôle dans les deux décenniessuivantes. On pouffait dire, au contraire, qu’elle estdevenue plus conservatrice et moins démocratique. Lecompromis historique ne s’appuyait donc sur aucunebase solide. Berlinguer lui-même devait reconnaître, dixans plus tard, de s’être trompé lorsqu’il pensait que “laDC aurait vraiment pu se rénover, se modifier, changerde méthodes et de politique” (22).

Il faut quand-même admettre qu’au XIVe Congrès deson parti, en 1975, il a fait un effort supplémentaire demieux définir sa stratégie et de l’insérer plus systématiquement dans un cadre historique et théorique. Acette occasion, il a esquissé une nouvelle variante de la“démocratie progressive” (ou de la “transformation démocratique et socialiste”, selon la formule du congrèsde 1956): “la deuxième étape de la révolutiondémocratique et antifasciste” (la première ayant été interrompue en 1947), dont l’issue finale serait la “sortiehors de la logique des mécanismes du système capitaliste”.

Pour justifier cette approche, il se lance dans uneargumentation historique qui mérite d’être rappelée, caril s’agit d’une des rares occasions où Berlinguer aessayé de motiver ses affirmations sans se référer auxélaborations passées de Togliatti et du parti : “Si nousregardons l’histoire de notre pays, nous trouvons queles forces progressistes et révolutionnaires qui ont eu,selon les périodes, une nature et des orientations declasse différentes, ont été capables de faire réellementavancer les événements seulement lorsqu’elles ont prisen compte deux éléments, celui international et celuiinterne ; et lorsque, avec une initiative rénovatriceaccompagnée de réalisme vigilant, elles ont été capables de traîner vers des buts de transformationpositive de l’ordre sociale et politique d’autres forcesqui, sans être révolutionnaires, étaient quand-même

22) Interview à La Repubblica du 28 juillet 1981. 11 faut néanmoins ajouter que la portée de l’autocritique est limitée du fait queBerlinguer, d’un côté, précisait: “ou mieux, les moyens utilisésn’atteignaient pas le buL” eL, de l’autre, affirmait r “Pour nous,l’alternative démocratique c’est un outil nécessaire à la transformation des partis, y compris la DC”. Donc, ta perspecLive — illusoire — de “renouveler” la DC n’était pas encore abandonnée.

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intéressées ou sensibles à des objectifs de progrèsgénéral de la société italienne. Mais, dans l’histoireitalienne, nous trouvons aussi le contraire, à savoir desmoments dans lesquels les forces révolutionnaires etprogressistes n’ont pas été capables de jouer ce rôle derenouvellement et de stimulation...

La leçon de stratégie de plus d’un demi-siècled’histoire nationale c’est que les forces révolutionnaireschangent vraiment le cours des événements quand — enévitant les erreurs opposées du suivisme et de l’avantgardisme, de l’opportunisme et du sectarisme extrémisteet radical — celles-ci savent rester dans le sens ducourant qui avance et savent associer les forces les plusvariées à leurs luttes. Toute avance, tout réel progrèshistorique, politique et civil a toujours été le fruit d’unealliance entre de forces diverses, non homogènes, maishétérogènes, socialement et idéologiquement. Maisnous n’esquissons ici une stratégie uniquement politique et uniquement nôtre. Il s’agit pour nous, et nouspensons que cela devrait être valable pour tous, d’unevision générale de la façon selon laquelle peut se développer la société italienne, peuvent se développer lesrapports politiques, les rapports entre les individus etdonc la vie morale elle-même. Voilà un des caractèrespermanents du marxisme italien”.

L’interprétation de l’histoire italienne — et notamment du “Risorgimento” — comme un processus marqué par des compromis n’est pas nouvelle et Berlingueraurait très bien pu, à ce propos, se réclamer de Gramsci. Mais celle qui avait été chez d’autres une interprétation des événements, devient chez lui une leçon destratégie politique, presque une conception du monde.C’est sur ce terrain qu’il saisit la spécificité plusprofonde de la “voie italienne au socialisme”!

Faut-il rappeler que la lecture du Risorgimentocomme compromis chez Grarnsci et, mutalis mutandis,chez Gaetano Salvemini ou Guido Dorso, s’accompagnait toujours de la dénonciation du prix qu’il avait

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fallu payer pour ce compromis? Les thèses deLyonelles-mêmes soulignaient explicitement la portée conservatrice et les conséquences négatives du compromisqui avait marqué le processus d’unification nationale.Berlinguer semble oublier tout cela et préI~re l’abstraction a-historique à l’abstraction déterminée. Autrement dit, il pense que les maux traditionnels de lasociété italienne — toutes ses “arriérations” et ses “distorsions”, toutes ses déformations dans le développement de la révolution démocratique — pourraient êtredépassées par une nouvelle pratique de “compromis”,alors que c’est justement dans les compromis historiques du passé que se trouvent leurs racines

C’est au moment de son influence la plus large,surtout au niveau électoral et parlementaire, vers lamoitié des années soixante-dix, que le PCI a pris partavec un rôle de premier plan à l’élaboration du projeteurocommuniste. C’était une tentative, avec des ambitions de systématisation théorique et stratégique, defaire face aux problèmes que la dynamique du Marchécommun posait au mouvement ouvrier; de donner uneréponse aux questions ouvertes par la crise du stalinisme et des “pays socialistes” ; de redéfinir uneidentité des partis communistes face aux social-démocraties ; d’augmenter le poids de ceux qui étaient àl’époque les plus grands partis communistes du mondecapitaliste avec une perspective d’action commune.Rarement un projet tellement ambitieux s’est conclu sirapidement et par un échec si éclatant.

Plusieurs facteurs ont contribué à cet échec : lesdéfaites et ses regressions du Parti communiste français (PCF), le déclin rapide et la crise déchirante duParti communiste espagnol (PCE) de même que l’affaiblissement du PCI lui-même à partir de 1979.

Tous ces événements ne pouvaient pas ne pasentamer la crédibilité et la force d’attraction d’un pôleeurocommuniste distinct de celui représenté par lespartis sociaux-démocrates. Mais, au delà de ces événements, l’eurocommunisme entrait en crise et disparaissait à cause des contradictions, qui l’avaient marquédès le début.

Tout d’abord, l’autonomie à l’égard de l’URSS et lacritique de sa direction pouvaient donner aux partiseurocommunistes des avantages tactiques conjoncturels,mais amenaient inévitablement un estompement de leuridentité. Parallèlement, l’abandon du modèle “historique” du socialisme permettait de ne plus partager deslourdes responsabilités, mais impliquait aussi un affaiblissement de la perspective stratégique. On renonçaità une référence concrète en la remplaçant que par deshypothèses très vagues et qui, au fur et à mesurequ’elles se précisaient, se révélaient très proches desconceptions traditionnelles de la social-démocratie.

D’autre part, l’intégration de plus en plus profondedu PCJ dans les institutions etles mécanismes de lasociété bourgeoise augmentait son influence dans plusieurs domaines et lui permettait d’occuper une placeplus importance dans le jeu politique “normal”, mais,en même temps, l’empêchait d’apparaître comme unevéritable alternative, notamment aux yeux des couchesles plus frappées par l’onde longue de stagnation.

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Ensuite, la tentative de faire surgir une alternativeau niveau européen était entravé dès le début par le faitque les partis eurocommunistes eux-mêmes avaienttendance à se différencier sur des questions non négligeables — par exemple sur l’attitude à l’égard del’OTAN, l’élargissement du Marché commun et lapolitique vis-à-vis des socialistes — en fonction, endernière analyse, de leurs exigences “nationales” et desdifférenciations au sein des groupes dirigeants bourgeois de chaque pays.

Finalement, l’eurocommunisme ne pouvait paséviter une autre contradiction fondamentale: dans lamesure où une stratégie réformiste pouvait se concrétiser dans un contexte donné et être acceptée par delarges secteurs de masse, les partis sociaux-démocratesapparaissaient forcément plus crédibles, aussi biengrâce à leurs traditions qu’à leur insertion plus profondedans les institutions démocratiques bourgeoises. C’estce qui s’est passé au Portugal, en Espagne, en France eten Grèce. En Italie, le hiatus dans le rapport de forcesavait joué, à partir dc la fin des années quarante, commeun élément de frein, mais, en dernière analyse le PCIn’a pas pu lui non plus échapper à un déclin qui duredésormais depuis plus de dix ans (23).

Deux autres apports de Berlinguer à l’évolutionidéologique et politique de son parti cdntinuent d’êtresoulignés et revendiqués : l’affirmation de “la valeuruniverselle de la démocratie” et l’idée-force de l”austéri té”,

Pour ce qui concerne la conception de la démocratie,des partisans impénitents du matérialisme historiquecomme nous ne peuvent que contester la notion mêmede “valeur universelle”. La démocratie est une catégoriehistorique qui ne peut être définie correctement si l’onfait abstraction de ses contenus et du contexte sociohistorique dans lequel elle se réalise, ou alors elledevient un concept a-historique, absolument abstrait ettrès peu opératoire. De toute façon, il ne s’agit pas d’unapport original de Berlinguer ou d’autres dirigeants duPCI qui, sur ce terrain, comme tout le monde sait, onété précédés depuis environ un siècle par des théoricienslibéraux-démocrates et, pour rester dans le cadre dumouvement ouvrier, par la social-démocratie.

Quant à l’austérité, la lecture des définitions lesplus connues — par exemple celles du discours deBerlinguer à l’Elysée ou encore celles contenues dansles thèses du XVe Congrès — fait surgir le soupçonqu’il s’agisse d’un abus conceptuel ou terminologique.

On avance la perspective d’une transformationradicale des choix économiques, de la hiérarchie desbiens de consommation, des systèmes de vie et desaspirations culturelles, cc qui n’a pas grand-chose à voiravec l’austérité telle qu’on l’entend couramment et qui,dans le contexte donné, ne pouvait qu’apparaître commeillusoire, comme la musique d’un futur très lointain(24). Mais toutes le formules berlinguériennes se réduisaient à une mystification idéologique du fait qu’àl’époque le PCI appuyait des gouvemements de “solidarité nationale”, qui présentaient l’austérité sous uneforme beaucoup plus prosaïque (25) en invitant lestravailleurs à serrer la ceinture!

A plusieurs reprises, surtout pendant les dernièresannées de sa vie, Berlingucr a fortement insisté, avecdes accents dramatiques, sur les dangers qui menacent lasociété humaine et, en paraphrasant Marx, a avancél’hypothèse que, sans des transformations révolutionnaires, on s’achemine “vers la ruine des classes sociales en lutte” (26).

Ce sont des soucis angoissants que nous partageons.Mais les solutions dessinées étaient sans communemesure avec les problèmes soulevés. Il ne faut pasoublier que c’est sous la direction de Berlinguer que lePCI a accepté l’OTAN, contre laqucl il avait menél’une de ses luttes les plus dures : ce n’était pas labonne voie pour “dépasser progressivement la logiquede l’impérialisme et du capitalisme”

C’est vrai que Berlinguer a avancé la perspectived’un “gouvernement mondial”, que ses disciples considèrent comme une de ses idées les plus valables etoriginales. Toutefois, si elle n’est pas liée à une transformation révolutionnaire radicale et au renversement dusystème capitaliste, l’idée d’un gouvernement mondialse réduit à une pure et simple utopie. Les choses nechangent pas pour le mieux du fait que Berlinguer, dansun effort être plus concret, présente l’ONU commeune forme embryonnaire du gouvernement mondialqu’il souhaite. Quant à l’originalité, des commentateursont rappelé que l’idée d’un gouvemement mondial avaitdéjà été avancée par Immanuel Kant, qui n’est pas plusproche dc nous que Karl Marx ou Rosa Luxemburg,pour ne rien dire, si parva lice: componere magnés, desdirigeants de la social-démocratie, qui ont inséré depuislongtemps cette formule dans leurs textes officiels (27).

Même à ce niveaux, les contradictions de Berliflguerse manifestent au grand jour.

23) Pour une analyse plus large de l’eurocommunisme CL de sesvariantes (notamment celle représentée par Ingrao) voir Destinodi Trockij (surtout le chapitre “Teorizzazioni e mistifïcazionidelt’eu,-ocomunisrno”. Voir aussi notre article paru dan la revuecanadienne Critiques socialistes, automne 1986).

24) Cf. entre autre, le choix d’écrits de Berlinguer dans Rinascita (22 juin 1984). La citation suivante nous paraît significative: “Loin d’être une concession aux groupes dominants ou auxexigences du capitalisme, l’austérité peut devenir un choix conscient contre ces demiers. DonceUe peut se charger d’un contenude classe très élevé elle peut et doit éLre une voie par laqueUe lemouvement ouvrier devient porteur d’une manière différented’organiser la vie sociale et mène les lutLes (dans les conditionsd’aujourd’hui) pour ses idéaux anciens et toujours valables. Enfait, il est impensable, dans les conditions actuelles, de menerune lutte réelle CL efficace pour une société supérieure si on nepart pas de la nécessité fondamentale de l’austérité”

25) Dans les thèses du congrès citées plus haut on parle de lanécessité de bloquer les salaires.

26) Par exemple, dans le discours déjà cité de l’Elysée.

27) Par exemple, à l’occasion du Conseil général d’Oslo de1962.

Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

Derniers Cahiers parus:

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Miguel RomeroLa guerre civile espagnole

au Pays Basque et en CatalogneContrastes et convergencesCER n° 13, 48 p~, 25 FF;

Norman Geras, Paul Le BlancMarxisme etparti 1903-1917

(Lénine, Luxemburg, Trotsky)CER n° 14,48 p., 25 FF

Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien

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Livio Maïtan i Livio Maïtan Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

On pourrait affirmer, un peu paradoxalement, que siOcchetto avait proposé pour le XJXe et le XXe Congrèsplus ou moins les mêmes textes qu’il a rédigé depuisun an sans les lier à la proposition de changement dunom du parti, il aurait sans doute obtenu le mêmesuccès du congrès précédent, sans provoquer trop dedéchirements et en évitant les dangers de scission.

Une telle affirmation contiendrait un noyau de vérité. En fait, l’initiative d’Occhetto n’est pas tombéecomme une foudre, et cela de deux points de vue: toutd’abord, car elle a été l’aboutissement d’un processusde plusieurs décennies et, ensuite, car elle avait étéanticipée par le XVIIIe Congrès, réalisé — on s’ensouviendra — sous le signe du “cours nouveau” et du“réformisme fort”.

Déjà à cette occasion, la “nouveauté” consistait aufond dans l’abandon de toute perspective de classe, autant sur le plan des analyses que sur celui des orientations: le PCI n’était plus présenté comme un partide la classe ouvrière ou des travailleurs et même l’expression de “mouvement ouvrier” n’était plus utilisée(1). Cossutta l’avait fait remarquer dans son intervention en affirmant, entre autre, que le parti se dirigeait vers des rivages libéraux-démocrates. Parmi lesbuts fondamentaux du parti, le congrès s’était donné,par ailleurs, celui d’une démocratie économique esquissée dans les termes suivants: “La démocratie économique représente une nouvelle frontière de la démocratiepolitique et son expansion dans le champ des pouvoirssociaux. Elle doit toucher plusieurs domaines: la réforme de l’Etat-providence; la démocratisation de l’entreprise; la redistribution des revenus, de la richesse etde la propriété; la création de formes nouvelles del’esprit d’entreprise. La lutte pour la démocratie économique doit se qualifier comme une croissance des possibilités d’accès des travailleurs à la connaissance et augouvernement des transformations de l’entreprise et desleurs implications sociales et humaines” (2).

On voit bien qu’il s’agit de concepts et de perspectives parfaitement acceptables par des libéraux-démocrates et même par des entrepreneurs vaguement progressistes, et cela d’autant plus qu’ils sont insérés dansle cadre d’une orientation “dont le but prioritaire doitêtre celui de l’élargissement de la base productive, d’unrenforcement de la productivité générale du système”(3).

Un autre aspect de la problématique actuellement endiscussion avait été anticipé dans le document sur leparti: “Aujourd’hui, dans la gauche italienne, il y abesoin d’un parti moderne de masse et d’opinion, quisoit capable de représenter et d’unir les besoins descouches faibles avec les aspirations et les exigences descouches aisées dans un projet qui, en unifiant ceux quisont dans le développement avec ceux qui risquent d’en

rester dehors, donne à la modernité une qualité socialedifférente”.

A propos du nouveau statut, il faut reconnaître àPiero Fassino d’en avoir donné, dans les pages de1’ Unità, lors du Congrès, une justification “théorique”novatrice qui dépasse toutes les formulations utiliséesmême par les partis sociaux-démocrates insérés depuislongtemps dans les institutions. Selon Fassino, le partinouveau correspond à “un modèle qui s’inspire à celuide l’Etat démocratique de droit” et qui, plus précisément, introduit “une nouvelle constitution des pouvoirsinspirée au modèle parlementaire”. Le Comité centralest conçu “comme une chambre, la direction comme ungouvernement, le secrétariat comme le bureau du président du conseil et on introduit la figure du président duComité central”.

Si l’on pense que le PCI se déclare favorable à uneaccentuation du rôle du Premier ministre, on peutconclure que le but est celui d’accorder au secrétaire unefonction nettement hégémonique par rapport à celle desautres dirigeants (4). A la fin du congrès, 1’ Unitân’hésitait pas à titrer “Le PCI d’Occhetto”.

On aurait la tentation d’évoquer le tristement célèbreculte de la personnalité. En réalité, il ne s’agit pastellement d’un retour impossible au chef charismatiquede l’ère stalinienne, mais plutôt de la tentative deconstruire, par un usage “moderne” des média, un leaderselon le modèle des partis parlementaires les plustraditionnels (et que l’on puisse opposer au “décisionniste” Craxi) (5).

La “déchirure” du 12 novembreet le dernier congrès

Rappeler les anticipations du XVIIIe Congrès nesignifie pas sousestimer la “déchirure” du 12novembre1989, qui est synthétiquement symbolisée par la proposition de changement de nom du parti. Pour l’essentiel,le projet d’Occhetto vise à dépasser y compris les conceptions classiques des partis sociaux-démocrates

1) Selon les comptes-rendus de i’Unitâ, l’expression “mouvement ouvrier” n’est apparue que dans le message de Gorbatchev.

2) Documenta politico, J! partie, poinL 10.

3) Ibid., point 12.

4) En fait, avec son “coup” du 12 novembre et avec d’auLres initiatives personnelles, Occheuo a traduit en pratique cette conception.

5) Le concept de “décisionnisme”, désormais entré dans le langage journalistique de la péninsule, est empmnté à la pensée deCari SchmiLt, un théoricien du droit de l’Allemagne de Weimarconsidéré à juste titre comme l’un des précurseur idéologiques dunazisme. Le PSI semble accepter sans le moindre problème queson secrétaire général soit qualifié de “décisionniste’ parPensemble de la presse.

l’opposition traditionnelle entre partis ouvriers et partis bourgeois devrait être remplacée, selon lui, parl’opposition entre “progressistes” et “conservateurs”.

Les références, par ailleurs très vagues, au rôle quiappartiendra aux travailleurs dans la nouvelle organisation, ne change rien à la substance. Occhetto sait trèsbien que sans l’appui (tout d’abord électoral) de largesmasses, qui sont composées dans leur grande majorité— en dépit de ce que peuvent en penser les “modernistes” les plus désinvoltes — de travailleurs salariés,aucune force “progressiste” ne peut espérer de s’imposer. Mais il n’en découle pas qu’il accepte l’idéeprimordiale d’indépendance politique des travailleurs entant que classe sociale luttant pour sa propre hégémonie. Le concept même d’hégémonie — qui avait été,dans ses variantes les plus disparates, un leU mcxiv detous ses prédécesseurs, disparaît de sa problématique.Tant pis pour Gramsci I

Dans le domaine de l’idéologie, Occhetto et sespartisans parachèvent la rupture avec les conceptionsmarxistes ou tout simplement matérialistes. Ils mettentbeaucoup plus l’accent sur les thèmes politico-idéologiques que sur les thèmes socio-économiques. Ils diluent à l’extrême leur critique de la société existante etmême l’opposition entre les différentes forces politiques.

Occhetto affirme, entre autres, qu’il ne s’agit pas“d’opposer les antidémocrates-chrétiens et les anticommunistes, ainsi qu’il n’a pas de sens d’être antisocialistes... L’alternative implique un nouveau positionnement stratégique de toutes les forces de progrès et lesdifférenciations entre conservateurs modérés et réformistes ne pourront que traverser les clivages actuelspour donner naissance à des coalitions inédites dc majorité et d’opposition de même qu’à de nouvelles forcespolitiques”.

Toujours à son avis, il s’agirait “d’unifier, pour lapremière fois dans l’histoire de l’humanité, deux grandsidéaux qui, dans notre siècle, sont restés divisés etopposés : l’idéal de liberté et celui de justice”.

Pour compléter le tableau, il concrétise sa conception de l’intégration dans “la gauche européenne” endéclarant explicitement que le nouveau parti demanderad’être admis dans l’Internationale socialiste (6).

La “déclaration d’intentions” présentée par Occhettoen octobre 1990 relance, de manière plus systématique,des thèmes déjà avancés dans des exposés, des articles etdes interviews, outre que dans les textes du XIXe Congrès

* l’analyse de la situation mondiale dans l’interprétation gorbatchevienne de l’interdépendance et l’idéedu gouvernement mondial, dont l’ONU serait l’anticipation

~ la réaffirmation du caractère irremplaçable del’économie de marché et du but de la démocratie économique, aussi bien sur le plan national que sur le planinternational (la “nouvelle gauche” ne s’oppose pas àl’internationalisation — il aurait dû dire, plus ouvertement, aux multinationales — mais se pose leproblème de sa réglementation démocratique”);

* une “position nouvelle” sur la “question du pou-

voir”, “non pas et non plus en tant que conquête dupouvoir d’Etat, mais en tant que différente organisationdu pouvoir lui-même” ; “le socialisme comme processus de démocratisation intégrale de la société”;

* un programme de gouvernement “capable de don

ner une réponse aux besoins essentiels de tous lescitoyens et le caractère central du thème de la “réformede la politique” (réformes institutionnelles, etcj

* le “dépassement du centralisme démocratique”,

afin de “rompre la continuité non seulement avec latradition du communisme international, mais aussi aveccelle du communisme italien”;

* “l’idée d’une gauche rénovée; d’une gauche qui,

en Italie, s’engage à travailler pour parvenir, sans lesdisperser, à une synthèse plus élevée des idéaux et desexpériences du communisme italien, du réformisme libéral et socialiste, du catholicisme social et démocratique ; d’une gauche qui s’ouvre à la confrontationavec tous les courants et les forces mondiales du renouvellement et qui songe ainsi participer à la réalisationdu grand projet de la libération humaine”.

L’adoption du nouveau nom, Partijo democraticodella sinistra (Parti démocratique de la gauche, PDS)est, selon lui, l’expression cohérente du nouveau projetpolitique et organisationnel et n’est pas seulementinspirée par le désir de séparer ses propres responsabilités de celles du mouvement communiste traditionnel et des “pays du socialisme réel”.

En ce qui concerne la conception du parti, la tAchede définir la nouvelle évolution a été confiée encore unefâis à Piero Fassino. Il s’agit de passer “du parti del’émancipation au parti de la citoyenneté”, a-t-il expliqué. Cette formule ne dit pas grand-chose, mais, dansla mesure où elle a un sens, constitue une accentuationultérieure des orientations des dernières années et notamment du document sus-mentionné du XVIIIe Coogrès. Lors de ce congrès, le parti avait, pour reprendreles termes d’un titre de son journal, fait ses adieux aucentralisme démocratique. Bien entendu, il n’avait pasrenoncé, à ce moment-là non plus, à la vieille mystification de confondre, délibérément ou par ignorancegrossière, le centralisme démocratique du parti bolchevique de Lénine et des premières années dc l’Internationale communiste avec le centralisme “démocratique”, en réalité brutalement bureaucratique de l’èrestalinienne.

Déjà à cette époque — est-il nécessaire de lerappeler? — le parti était bien différent dc ce qu’ilavait été non seulement dans les années vingt ou dansla période de la lutte clandestine, mais aussi dans lesannées quarante et cinquante, à savoir un parti quin’était plus conçu en tant qu’instrument d’une lutteanticapitaliste dans la perspective d~unc société socialiste, mais un parti de plus en plus modôlé par lesinstitutions, où les “révolutionnaires professionnels”étaient devenus des parlementaires, des administrateurs

6) On pourrait penser à une certaine incohérence, vue la transformation que l’on veut opérer de la nature du parti. Ce n’estpasainsi, car l’Internationale socialiste comprend des forces quin’ont jamais fait partie du mouvement ouvrier.

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6. Le dernier tournant

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locaux, des bureaucrates syndicaux, ou des gestionnaires de coopératives et, aux niveaux inférieurs, despermanents, avec une carrière prédéterminée selon descritères assez rigides et des règles non écrites. Or, ledépassement de l’orientation classiste exige le passageau “parti de la citoyenneté”, capable de s’adapter à lasociété dans son ensemble.

Nous avons mentionné l’analogie de Fassino avecles institutions de l’Etat. Même d’un point de vuepurement théorique, il s’agit d’une conception erronée:car le parti — cela va de soi — est une organisationvolontaire à laquelle on adhère pour atteindre certainsbuts et non pas pour refléter la société telle quelle est(ni non plus dans la perspective idéaliste-sectaire detransformer le parti en une sorte de noyau embryonnaired’une société future) car cela implique de s’identifier àdes institutions qui, indépendamment de leurs déformations, ont des finalités qui sont différentes de celles d’unparti; car, en dernière analyse, cela constitue un renoncement à jouer le rôle d’une force qui exprime etcontribue à réaliser une proposition stratégique capabled’unifier les intérêts, les besoins et les aspirations decertaines classes et de certaines couches sociales, nécessairement contre ceux d’autres classes et couches sociales.

Tous ces motifs sont repris, sous une forme plussynthétique, dans le projet de résolution de la majoritépour le XXe Congrès. Ainsi on y reprend l’idée quel”éeonomie de marché” est irremplaçablé, on prône lacogestion au sein des entreprises, on réitère la disponibilité à “réformer” le système politique italien (7) ettout d’abord le système électoral et on réaffirmel’objectif de transformation de la CEE en une fédérationeuropéenne. Toutefois, dans le but d’échapper à la critique d’abandonner le but socialiste pour se déplacerdans le champ “du radicalisme et de la démocratie libérale”, une courte introduction explique que le nouveauparti maintiendra “le grand objectif du socialisme” et“l’idée de la démocratie comme voie au socialisme”.Cela n’engage absolument à rien, mais laisse entrevoirla difficulté qu’ Occhetto et les siens rencontrent dansleur projet de rupture totale avec la tradition du parti(8).

Comme l’on sait, le projet d’Occhetto s’est heurté àune opposition assez large, en provoquant dans le partides débats houleux. Au congrès de mars 1990, lesopposants émient divisés en deux courants, celui duvieux dirigeant Pietro Ingrao et de l’ancien secrétaire

7) CL I’Unità du 19 novembre 1990 (supplément). Le caractèredémocratique de certaines réformes envisagées est très discutable.Par exemple, le choix de la coalition gouvernementale par lesélecteurs — qui ouvre la voie à la prime de majorité — pourraitdéboucher sur une attente au droit des minoriLés à être représentées selon leur force. Quant à la suppression du vote de préférence, la concurrence parmi les candidats à travers une propagande corruptrice est sans aucun doute scandaleuse, maisl’abolition pure et simple des préférences risquerait d’accroître lepouvoir des direcLions cL des appareils des partis.

8) Dans la mesure où elle ne répond pas à une opération purement tactique, la “motion l3assoliào” exprime une sensibilité duparti qui, sans s’opposer à l’opération du 12 novembre, veuLgarder certains éléments de la démarche de Rerlinguer.

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Alessandro Natta et celui d’Armando Cossutta, caractérisé couramment, d’une façon trop sommaire, il estvrai, comme pro-soviétique. Ingrao et Natta réaffirmaient, fondamentalement, les conceptions qui avaientcaractérisé le parti à l’époque aussi bien de Togliatti quede Berlinguer, exprimaient un jugement favorable sansréserve à Gorbatchev et ne rejetaient pas l’idée d’adhésion à l’Internationale socialiste. Cossutta avançait sescritiques dans des termes plus drastiques, mais revendiquait lui aussi le passé du parti de Togliatti et sastratégie réformiste gradualiste et, en matière de politique internationale, s’alignait sur les positions de Gorbatchev en ajoutant quelques critiques marginales àl’Intemationale socialiste.

Pour le XXe Congrès, les deux courants ont présenté une motion unifiée qui reprend les motifs de leurstextes précédents sans changements un tant soit peuimportants. Tout en proclamant la nécessité d’une“refondation”, non seulement cette motion ne développe aucune réflexion critique sur l’expérience historique du PCI, mais n’hésite pas à revendiquer lesmérites de Berlinguer, du XVIIc Congrès (celui où lePCI avait affirmé son “appartenance intégrale à lagauche européenne”) et môme du “parti nouveau” deTogliatti (9).

Autrement dit, elle réaffirme les critères qui ontinspiré une stratégie réformiste gradualiste, aussi biensur le plan interne que sur le plan international (parexemple, en revendiquant le caractère central du parlement européen et la “souveraineté” de l’assemblée desNations Unies, un contrôle des multinationales, etc.).En se faisant l’écho de thèmes que la tendance duManifesto avait esquissés lors de sa constitution comme organisation indépendante, elle développe une conception qui évite de poser le problème du pouvoir (cequi est plus facile sur le papier que dans la réalité !) etqui est gradualiste dans sa manière môme de poser la

9) Il est vrai que le texte fait allusion aux “défauts” del’analyse et de la stratégie du parti dans les années soixante etsoixante-dix, mais il s’agit de critiques tout à fait partielles.

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question du communisme (10).D’autre part, elle prend une coloration berlingue

rienne lorsqu’elle prospecte “un nouveau cycle démocratique” qui risque de se réduire à une variante dc laformule des années soixante-dix citée plus haut, celle dela “deuxième étape de la révolution démocratique etantifasciste”. Pour ce qui concerne le problème du parti,on se tire d’affaire en ayant recours à la métaphore assezvague du “réseau”, une coquille vide dont on ne sedonne pas la peine d’expliquer le contenu.

Le déroulement du XXe congrès en tant que tel n’apas reservé de surprises dans le sens tous les courants etles sensibilités ont réaffirmé leurs analyses et leursapproches. En revanche, le fait nouveau a été représentépar la scission qui a eu lieu à sa fin lorsque une aile ducourant oppositionnel unifié a décidé de ne pas participer à la formation du PDS. En fait, cette rupture avaitété préparée depuis quelques mois, au delà des couvertures tactiques utilisées. Elle n’a concerné qu’uneminorité du courant, puisque notamment des vieuxdirigeants comme Ingrao, Natta et Tortorella et les anciens du groupe Il Manifesta, comme Magri etCastellina sont restés avec la majorité du parti. Mais lascission et la naissance de ce qu’on appelle pour l’instant le mouvement pour la refondation communisteont pris quand même des dimensions sensiblement plusimportantes que prévu, y compris parce que d’anciensmembres qui avaient quitté individuellement le parti,surtout au cours de la dennière décennie, s’y sontassociés (11).

Les contradictions nouvelles

Finalement, une question se pose: quel sera le futur du nouveau parti?

Comme toujours, il faut distinguer entre ce qui estprojeté et ce qui se passera dans la réalité. Tout d’abord,il est bien difficile, sinon exclu, que puisse se développer une organisation complètement nouvelle (comme l’impliquait l’idée de “constituante” avancée audépart). Le nouveau parti ne sera, pour l’essentiel,qu’un nouvel avatar du PCI, avec des traits idéologiqueslibéraux-socialistes ou démocratiques-radicaux et avecun profil politique plus éclectique que celui d’aujourd’hui, En fait, il continuera à jouer un rôle analogue àcelui que les partis sociaux-démocrates jouent dansd’autres pays d’Europe occidentale, en accentuant unedynamique de parti “progressiste”. Au-delà des variations quantitatives possibles, sa base sociale resterafondamentalement celle traditionnelle du PCI, ouvrièreet populaire.

Le PDS sera marqué profondément par la coexistence de positions et courants divers. Il y a déjà dansson sein des militants et des groupes qui s’efforcent dedéfendre, bien que dans des termes mitigés, uneperspective d”antagonisme” par rapport à la sociétécapitaliste, en relançant, par exemple, le discours deBerlinguer sur la troisième voie (c’est ce qu’a fait àl’occasion du dernier congrès une petite minorité représentée par Antonio Bassolino, qui, tout en acceptantle changement de nom du parti, ne partage pas une série

d’orientations d’Occhetto). Dans le pôle opposé, ilexiste un courant qui veut se lier à un réformiste plusclassique et qui prône une convergence, sinon une unification à court terme avec le Parti socialiste (GiorgioNapolitano est le porte-parole le plus connu de cecourant).

Le “nouveau” parti n’échappera pas, en tout cas, à lacontradiction propre, dans la phase actuelle, des partissociaux-démocrates, qui, nous l’avons vu, d’un côté,assument de plus en plus des responsabilités directesdans la gestion du système, d’un autre côté, doivent sepréoccuper de ne pas perdre le soutien des massesouvrières et populaires qui constituent toujours la basede leur force.

Une telle contradiction deviendrait beaucoup plusaigulS si le PDS devenait parti de gouvernement. Il nefaut pas être prophète pour imaginer ce qu’il ferait dansune telle éventualité. Il ferait, en gros, ce qu’ont fait,par exemple, depuis le début des années quatre-vingt, leParti socialiste français (PS) et le Parti socialisteouvrier espagnol (PSOE), deux partis dont la stratégie,les programmes politiques et l’idéologie ont été substantiellement partagés par le PCI et qu’à plus forteraison partagera le PDS. Le fait que le PCI n’ait jamaisessayé de tirer un bilan des expériences des gouvernements dc Gonzalez ou Mitterand et, encore moins,précisé en quoi son action de gouvernement se distinguerait de celles de l’un et de l’autre, reflète la faiblesse intrinsèque de ses perspectives. Môme s’il réussissait — ce qui n’est pas donné d’avance — à arrêterun déclin commencé depuis assez longtemps et à éviterd’être déchiré par des tendances centrifuges, le partitransformé se heurtera, donc, à des obstacles majeurs,qu’il pourra bien difficilement surmonter, sur le terrainmême sur lequel il va se placer.

Traits spécifiqueset caractère typique

Une des clés d’interprétation dc la trajectoire du PCIdont ses dirigeants, ses intellectuels et ses historiens,italiens et étrangers, ont toujours souligné l’importance, est celle de sa spécificité, sinon de son caractèreexceptionnel. Il ne fait pas de doute que toute l’histoiredu parti a été marquée par des éléments très particuliers.Dès le début, il a eu deux leaders tels qu’Amadeo Bordiga et Antonio Gramsci, que l’on pourrait difficilementcomparer, pour des raisons différentes, à ceux d’autrespartis communistes.

10) “Aujourd’hui, pour nous, le mot ‘communisme’ indique laconstruction dans le présent d’un point de vue et d’une pratiqueautonome, capable de réaliser, ici et maintenanL, des formes delibération à l’égard de l’oppression et de la domii’ation typiquesdes relations sociales capitalistes. Cette manière de voir le communisme n’est pas morte avec l’écroulement des régimes de l’Esteuropéen selon le modèle soviétique. Ce qui a échoué à l’Est c’estune société issue d’une conception du socialisme au centre de laquelle il y avait la prise du pouvoir d’ELat et l’étatisation desmoyens de production”.

Il) Voir à ce sujet notre article paru dans înprecor n° 326 du15 mars 1991.

Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien

IDu PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien

Pierre Rousset

La révolution chinoise

Tome 1 : La Deuxième révolutionchinoise et laformation du projet maoiste

CER n°2, 32 p, 20FF

Tome 2 : Le projet maoiste à l’épreuve dela lutte de pouvoir

CER n°3,48 p., 25FF

(Deuxième tirage)

N° 15

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Deuxièmement, le fait d’avoir agi comme un particlandestin dans les années trente et d’avoir connu saplus grande expansion dans la deuxième moitié desannées quarante, a eu comme conséquence que sa stalinisation a été moins profonde et moins systématiqueque celle subie, par exemple, par le PCF. Surtout depuis 1956, il a élaboré des analyses de la société danslaquelle il agissait et de ses tendances de développementqui, en dépit de leurs conditionnements internationaux,se distinguaient par une adhérence à la réalité bien supérieure à celle des analyses des partis frères y comprisd’Europe occidentale. Ainsi, il a pu s’insérer dans lesinstitutions (presque à tous les niveaux) plus profondément et avec plus de continuité que ces derniers. Endépit de ses réticences, hésitations et reculs, il s’estconfronté plus sérieusement à la problématique poséepar la crise du stalinisme depuis 1956. Par exemple,certaines polémiques de l’époque — autour de son VIlleCongrès — ont révélé sa manière particulière de concevoir le rapport entre les buts immédiats et les butsplus généraux, ce qui avait suscité de fortes critiques,notamment de la part du PCF (12). A marquer sesspécificités a par ailleurs contribué l’influence desconceptions politiques et théoriques de Gramsci qui,malgré les mystifications dont elles ont fait l’objet,ont agi comme contrepoids du moins partiel aux schématismes et aux aberrations méthodologiques du stalinisme.

Un autre élément important a été constitué parl’existence en Italie d’un Parti socialiste, lui aussi trèsspécifique, qui, d’abord en tant qu’allié et ensuite comme concurrent, l’a souvent obligé à se confronter à desproblèmes internes et internationaux d’un point de vuequi ne coïncidait pas tout à fait avec celui de la directionsoviétique et du mouvement communiste, stalinien etpost-stalinien. D’autre part, entre 1968 et 1975 il a dûfaire face à des mouvements de masse et à des organisations issus d’une crise politique et sociale prolongée: pour répondre au défi et récupérer le terrainperdu, il a dû recourir non seulement à toute sa souplesse tactique, mais aussi procéder à des révisionsassez radicales et rompre, au moins en partie, avec desanciennes pratiques organisationnelles (par exemple, enadaptant ses rapports avec les organisations syndicalesaux situations nouvelles).

Y compris dans son fonctionnement interne, il amontré plus d’ouverture et de tolérance, en dépit dumaintien de méthodes de direction autoritaires et del’interdiction de créer des tendances ou des courantscritiques. Les débats qui se sont poursuivis pendantplusieurs mois, après le XXe Congrès du PCUS, avecune large participation de cadres et de militants, avaientété par ailleurs une indication importante des changements qui se dessinaient. Enfin, il n’est pas nécessairede rappeler le rôle de premier plan joué par le PCI afinde faire évoluer les rapports entre la direction soviétiqueet les directions des partis communistes et donc pourchanger les structures et les articulations du soi-disantmouvement communiste déjà avant sa dissolution.

Tout cela ne peut pas être sousestimé. Cependant, sinous nous bornons à ce genre de remarques, nous

n’irons pas au fond du problème, à savoir que lestensions et les contradictions qui ont marqué l’évolution du PCI et, en dernière analyse, sa transformationen parti néo-réformiste, qualitativement similaire auxpartis sociaux-démocrates, classiques et modernes,étaient inhérentes à tous les partis communistes staliniens. Ils partageaient la contradiction entre la subordination au système stalinien, c’est-à-dire aux intérêtsde l’URSS et de sa caste dirigeante, et l’exigence d’exprimer les intérêts et les exigences des classes exploitées des sociétés nationales respectives. Ils partageaient la contradiction entre leur position internationale et leur insertion de plus en plus effective —

dans les cas de croissance plus importante — dans lesmécanismes et dans les institutions de la société bourgeoise. Autrement dit, ses tensions et ses contradictions fondamentales émient — et demeurent, dans lamesure où le problème n’a pas été résolu — non passpécifiques mais tout à fait typiques.

Le PCI a pu jouer un rôle d’avant-garde — de sonpoint de vue et de celui des partis communistes qui sesont ralliés à ses positions — non pas à cause d’unenature qualitativement différente, ou à cause d’une plusgrande clairvoyance de ses dirigeants, mais à cause desfacteurs spécifiques que nous avons déjà analysés. Laconclusion est donc que c’est grâce à ces facteurs spécifiques qu’il a pu exprimer mieux que les autres, letrait typique de la nature et de la dynamique, dans lecontexte historique donné, de partis communistes qui,nés comme des partis révolutionnaires, étaient ensuitedevenus des partis staliniens.

Un discours analogue doit aussi être fait pour l’évolution actuelle. Une fois que l’on abandonne l’analysematérialiste de la société, en interprétant ses conflits etses tendances non plus en termes de lutte de classe,mais selon les paramètres d’une sociologie “moderne”,unilatéralement empiriques et, en dépit de toute prétention au concret, fondamentalement abstraits; une foisque l’on adopte une stratégie non seulement de coexistence, mais même de collaboration entre des partenaires sociaux qualitativement différents, aussi bien àune échelle macro-économique (avec une adhésion à desmodèles de développement communs) que dans l’organisation et dans la gestion des entreprises ; une foisqu’on renonce à toute perspective révolutionnaire, il estlogique que l’on tend à “dépasser” la conception classiste du parti et la notion même de mouvement ouvrier.

Cette tendance à transformer les anciens partis ouvriers traditionnels en partis démocrates radicaux ouprogressistes, agit donc — dans la pratique avant qu’auniveau idéologique — chez tous les partis réformisteset néo-réformistes, tels qu’ils ont évolué dans le dernières deux décennies,

Si le PCI a été le premier à s’acheminer plus ouvertement dans cette voie avec son tournant du 12novembre 1989, cela s’explique encore une fois par une

12) Voir notamment la polémique avec Roger Garaudy, àl’époque l’un des principaux dirigeants du PCF (à propos de cettepolémique voir notre ouvrage Teoria e polirica comunista de!dopoguerra, cil., pp. 91-95).

Livio Maïtan

série de facteurs spécifiques : la forme particulière de lacrise d’un parti qui dispose encore d’une large influencede masse et qui est donc stimulé davantage à chercherune issue; la convergence de son déclin accentué pourdes raisons internes et ades répercussions ravageuses del’écroulement des sociétés de transition bureaucratisées; l’accentuation du danger représenté par laconcurrence du Parti socialiste; l’existence en Italied’une tradition libéral-socialiste, plus significative,dans les années trente, qu’on ne le croit normalement,représenté pendant la Résistance par une formationcomme le Parti d’Action, capable d’exercer une influence considérable sur le débat politique et culturel,malgré son existenvce éphémère, et demeurée vivantedans les décennies suivantes grâce à l’activité d’intellectuels incontestablement prestigieux (13).

En conclusion, même sur ce plan, le trait typiques’impose grâce à la combinaison d’une série de traitsspécifiques.

Aboutissement d’un processus

Nous ne reviendrons pas sur le contexte international dans lequel s’est produite la transformation duPCI en PDS. Il n’est pas inutile, en revanche, de rappeler le contexte national.

Dans la décennie qui vient de se terminer, lesprincipaux groupes capitalistes et, plus en général, lesforces conservatrices, ont été capables de réaliser, avecsuccès de leur point de vue, des restructurations et deconcentrations de grande envergure, de se consolider surle plan social et d’obtenir une relative stabilisationpolitique. Les travailleurs et leurs organisations onttoujours été sur la défensive, ont enregistré des reculsimportants et même le poids spécifique de la classeouvrière est diminué à cause de réduction de certainssecteurs industriels et de multiples processus defragmentation. En même temps, des secteurs petits-bourgeois, dont la radicalisation avait joué un rôle siimportant dans la crise de la fin des années soixante etdu début des années soixante-dix, ont connu un repliidéologique et politique et ont été de moins en moinsinfluencés par le mouvement ouvrier et par le Particommuniste. L’insertion dans les mécanismes institutionnels a continué à agir, mais avec des conséquencesencore plus négatives dans le contexte donné et avecune pression accrue sur le Parti communiste, poussé deplus en plus à chercher le moyen pour que cette insertion de plusieurs décennies aboutisse finalement àl’accès au gouvernement du pays (14).

D’autre part, la composition sociale du parti a connu des mutations considérables: cela ne concerne pastellement les différents pourcentages sur l’ensemble desmembres — où il faut néanmoins remarquer un reculdes ouvriers — mais surtout le degré de participation àl’activité et à la vie intérieure du parti, où des élémentsd’origine petite-bourgeoise — membres des professionslibérales, enseignants et intellectuels — occupent desplaces de plus en plus importantes et, en dernièreanaiyse, prédominantes. Inévitablement, depuis les an-nées soixante, une transformation s’est produite aussi

au niveau des cadres et des dirigeants.Si, juste après la guerre, la majorité des cadres

décisifs était issue de la lutte antifasciste et de laRésistance, avec une nette prépondérance des élémentsissus des couches prolétaires et populaires, petit à petitprévalaient des cadres dont l’expérience politique avaittendance à s’identifier avec une présence à différentsniveaux des institutions et, par conséquent, les vieuxpermanents qui avaient intériorisé le rôle des révolutionnaires professionnels, étaient remplacés par descarriéristes qui perdaient progressivement tout lienvivant avec les couches dc la société qui, sur le planélectoral, demeuraient la force décisive du parti.

Plus généralement, se modifiait le rapport entre cescouches, notamment leurs secteurs les plus politisés, etle parti en tant que tel. A la fin de la guerre et pour lapériode suivante, il s’agissait d’une rapport de confiance, avec des aspects presque mystiques : en dépit deses attitudes tactiques, le parti était considéré commeune force politique décidée à lutter contre la sociétéexistante pour une Italie socialiste, et ses dirigeantsjouissaient d’une autorité incontestée. Par la suite, leschoses ont commencé à changer. A partir de la fin desannées soixante, le PCI continuait à recueillir le votepopulaire, mais cela n’émit plus l’expression d’uneconfiance dans sa stratégie et encore moins dans savolonté de contester le système. Il s’agissait plutôt dufait qu’il apparaissait comme la seule force d’opposition et comme le seul instrument utile pour atteindredes objectifs partiels et contenir le pouvoir des classesdominantes et de leur parti hégémonique. Cette attitudese traduisait surtout sur le plan électoral et était àl’origine du renforcement même du parti vers la moitiédes années soixante-dix et de sa consolidation successive. Ce n’est que plus tard que la crise de confiance apris des formes plus évidentes et un nombre croissantd’électeurs ont commencé à ne plus voter pour un partiqui apparaissait sans perspective, même sur le terrainprivilégié de sa stratégie et de son action.

Enfin, il y a eu une mutation radicale dans le rôledes intellectuels. Pour éviter des malentendus, répétonsque, en adhérant au PCI ou en s’associant à son action,un nombre considérable d’intellectuels ont joué un rôleprogressiste et certains d’entre eux, grâce à leurs compétences, ont incontestablement contribué à la diffusiondes conceptions et des instruments méthodologiques dumatérialisme historique et, plus généralement, du marxisme. Mais ce que nous voulons souligner ici, c’estl’évolution — ou la régression — qui s’est produite.Juste après la guerre, la plupart de ces intellectuels seconsidéraient, à l’instar de la définition de Gramsci,

13) Nous nous référons notamment à Norberto Bobbio, une destrès rares personnes qui puissent vanLer une cohérence de penséeet une honnêteté intellectuelle incontestable du début des annéesquarante jusqu’à aujourd’hui. Mnlheureuszment, il a été lui aussiemporté par la “tempête du désert”, en justifiant la guerre duGolfe comme une “guerre juste”.

14) Un cas limite d’insertion dans les mécanismes, en l’occurrence économiques, du système, est représenté par l’évolutiondes coopératives, de plus en plus gérées selon des critères purement capitalistes, au-delà des frontières nationales.

Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien Livio Maïtan Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien

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comme des “intellectuels organiques” dont l’oeuvre etl’action émient intrinsèquement liées aux luttes et audestin de la classe ouvrière et du parti qui la représentait. Sous le stalinisme, une telle attitude comportait des dangers énormes. Néanmoins, un nombrenon négligeable d’intellectuels ont enrichi le patrimoine du mouvement ouvrier, avec une influence positive sur la culture italienne dans son ensemble.

Si nous faisons un saut en avant de quelques décennies et nous en venons à la situation actuelle, nousnous apercevons que le paysage a profondément changé: les intellectuels membres ou sympathisants duparti agissent comme une force indépendante, en s’arrogeant le rôle de juges sur toutes les questions et enoccupant des places de plus en plus importantes dansles média en tant que créateurs d’opinion. C’est surtouteux, avec de différents éléments issus de la petite bourgeoisie, qui essayent de modeler et dans une largemesure modèlent effectivement l’idéologie du parti etmeme prétendent d’en définir la perspective stratégique,les attitudes tactiques et les formes organisationnelles.Ils agissent ainsi alors qu’ils subissent, encore plusque le corps moyen du parti, tous les conditionnementsnégatifs du contexte international et des tendancesinvolutives sur le plan national.

Voilà donc tous les éléments qui expliquent la criseprofonde d’un parti qui, pour maintenir ses forces etpour se relancer, ne pouvait plus miser sur la pesanteursociologique, sur une inertie du contexte social, niespérer clans une prolongation à temps indéterminé desfidélités traditionnelles ou de l’acceptation résignéed’une logique du moindre mal. Dans ce sens, à l’originede l’initiative d’Occhetto il y avait certainement desproblèmes de vie ou de mort pour le parti. Mais lesréponses qu’il a données sont mystificatrices sinonpurement fantaisistes : elles vont dans la directionexactement opposée à celle que le mouvement ouvrierdevrait prendre pour sortir de l’impasse où il se trouveacculé.

Il va de soi que le travail de reconstruction dumouvement ouvrier devra partir tout d’abord d’uneanalyse de la société actuelle. Nous sommes convaincus que si on s’engage à étudier ou étudier ànouveau le Capital, sans prétendre d’en parler par ouï-dire ou par des vagues souvenirs de jeunesse, on nepeut que constater non seulement la validité de laméthode marxienne, mais aussi la pertinence etl’actualité de certaines description des mécanismes et dela dynamique du capitalisme. Mais, en laissant de côtéMarx et le Capital, il suffit simplement d’observer laréalité telle qu’elle apparaît à ceux qui s ‘efforcent de lasaisir sans lunettes déformantes, sans préjugés et sansvisées apologétiques.

Tout d’abord, toutes les divagations des économistes et des sociologues qui se sont mobilisés poureffacer même le souvenir des idées socialistes et révolutionnaires, ne peuvent pas supprimer un fait incontestable: la tendance fondamentale à la concentration età la centralisation du capital — industriel, commercialet financier — agit aujourd’hui beaucoup pluspuissamment que dans n’importe quelle époque passée.Les grandes multinationales représentent la forme extrême d’une concentration qui implique l’extorsion desprofits à l’échelle de la planète, la spoliation des payssous-développés et leur soumission à des choix économiques aux conséquences littéralement catastrophiques.Et c’est justement dans les multinationales que seconcrétise l’interdépendance croissante de l’économie,l’appréhension de laquelle, soit dit entre parenthèse,était déjà un des fils conducteurs du Manifeste communiste de 1848.

On pourrait discuter à l’infini sur le fait que lespetites et moyennes entreprises ne sont pas disparues etpeuvent encore connaître, dans certains périodes et danscertains secteurs, une croissance nouvelle. Mais il estindéniable que l’économie mondiale est dominée, comme jamais ne l’a été auparavant, par des colosses quialternent et combinent des fusions et des guerres acharnées de concurrence. Il est également indéniable que, endépit du déclin de certaines branches traditionnelles,l’industrie demeure stratégiquement décisive et l’industrialisation de l’économie dans son ensemble se poursuit et s’accroît sans cesse.

D’autre part, les entreprises petites et moyennes dépendent souvent des grandes ou occupent des intersticesque les groupes majeurs n’ont pas d’intérêt à occuper.Sans compter que beaucoup d’entreprises que l’onpourrait qualifier de petites et moyennes du point devue du nombre de leurs salariés, sont néanmoins caractérisées par une intensité du capital très élevée. Sur leplan social — en laissant de côté les discussions,pourtant non sans intérêt, sur la validité du pronostic deMarx à propos de la polarisation croissante entre lesclasses — s’imposent les constatations suivantes:

1) une petite minorité des classes dominantes elles-

mêmes, liée aux principaux groupes industriels, commerciaux et financiers, dispose d’un pouvoir économique croissant et peut mobiliser, en défense de sesintérêts, les appareils politiques et militaires des paysimpérialistes

2) si, au cours des dernières années, dans les paysles plus développés, il y a eu une réduction quantitative de la classe ouvrière industrielle à la suite desrestructurations et des innovations technologiques, lenombre des travailleurs salariés a continué à augmenter.Et la distinction essentielle du point de vue dc l’analysemarxiste, faut-il le rappeler, n’est pas du tout celle entreouvriers et employés ou entre travailleurs de l’industrieet travailleurs du tertiaire, mais celle entre salariés etnon-salariés. Même en acceptant l’hypothèse d’uneadoption massive de nouvelles technologies à desrythmes croissants (personne ne peut avoir la certitudeque ce sera le cas), rien n’autorise une deuxième hypothèse, à savoir celle d’un déclin décisif du travail salariéau cours des dix ou vingt années prochaines;

3) en dépit des tendances mentionnées plus haut, auniveau mondial et dans presque tous les pays, la classeouvrière est numériquement plus importante — à lafois en termes absolus et en pourcentage sur l’ensemblede la population active — non seulement par rapport àl’époque de Marx ou Lénine, mais aussi par rapportauxannées cinquante ou soixante. Il serait donc arbitraire deconclure que son rôle de force motrice anticapitaliste aperdu son fondement matériel;

4) la fragmentation et la dilution sociale qui ont étédécrites par de nombreux auteurs sont un phénomèneréel, mais il serait faux de l’interpréter comme unetendance générale et irréversible. Dans une large mesure, il s’agit d’un phénomène typique des phases destagnation prolongées et d’innovations et restructurations technologiques à une vaste échelle, dans uncontexte de recul politique. Tôt ou tard, comme nousl’avons déjà vu à d’autres époques, on assistera à unerecomposition unitaire de la classe ouvrière et, plusgénéralement, des travailleurs. Le problème centrai estcelui d’esquisser une politique qui favorise cette recomposition en stimulant une nouvelle prise de conscienceà un niveau de masse.

On peut tirer une conclusion : l’éclatement inévitable de nouvelles crises cycliques, la réapparition —

y compris dans les pays industrialisés — du chômagede masse et de l’appauvrissement de larges couches de lapopulation, la destruction de plus en plus catastrophique des ressources naturelles, le recours à des sourcesénergétiques peu ou point contrôlables et dont personnene peut prévoir avec exactitude les effets à moyen oulong terme, tout cela, au lieu de pQser des problèmesface auxquels les marxistes révolutionnaires devraient sesentir théoriquement désarmés, représente, en dernièreanalyse, une confirmation de l’actualité dramatique dela théorie de l’aliénation.

Livio Maïtan

CHRONOLOGIE 1968-1991 7. Eloge de la révolutionL

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1968 Journées de mai et situation pré-révolutionnaire enFrance. Le PCI critique la répression du “printemps de Prague”par les rorces du pacte de Varsovie. Un grand nombre de jeunesquittent le parti pour adhérer aux nouvelles organisations révolutionnaires.

1969 Vague de luttes ouvrières, qui changent radicalement lesrapports de force entre les classes dans le pays et débouchent surla naissance des conseils d’usine. Attentas terroristes de droite,“stratégie de la tension” que le PCI dénonce avec retard.

1972 : Berlinguer élu secrétaire du PCI.

1973 : Coup d’Etat au Chili contre le gouvernement d’UnidadPopular dirigé par Allende, Selon Berlinguer, cette défaite prouveque le mouvement ouvrier italien ne doit pas s’opposer à la Démocratie chrétienne, mais développer une stratégie d’allianceavec elle. Début de la politique du compromis historique.

1974 : Crise de la DC, qui est battue lors du référendum pourl’abolition de la loi sur le divorce.

1975 Elections administratives, marquées par une grandeavancée du PCI qui contrôle maintenant, en alliance avec le PSI,toutes les principales vines du pays. XVe Congrès du PCI, quiapprouve définitivement la politique du compromis historique.

1976 Nouvelle avancée du PCI lors des élections politiques(34,4 % des voix). Premiers attentats terroristes importants desBrigades rouges. Echec de l’extrême gauche aux élections, qui seprésente unie sous le sigle de Démocratie prolétarienne (Democrazia proletaria) et n’obtient que 1,5 % des voix en dépit de sonrôle dirigeant dans plusieurs mouvements de masse. Auto-dissolution de Loua continua. Dans une interview au Cornera ciel-la sera, Berlinguer déclare que le PCI est favorable au maintien del’Italie dans l’OTAN. Théorisation de l’eurocommunisme.

1977 Vague de radicalisation de la jeunesse (où un rôle important est joué par /sutonomia operaia) marquée par des affrontements parfois violent avec le PCI et les syndicats.

1978 Enlèvement du dirigeant de la DC Aldo Moro par lesBrigades rouges. Le PCI s’abstient au Parlement lorsque Andreotti (DC) présente son nouveau gouvernement. Début de la politique de “solidarité nationale”.

1979 Berlinguer décide d’abandonner la politique de ‘solidarité nationale” et de la remplacer par celle de l”alternative démocratique”, qui refuse l’alliance avec la DC.

1980 Grève des ouvriers FIAT menacés par les licenciements.Au bout de 35 jours de lutte, les directions syndicales approuvent, contre la volonté de l’écrasante majorité des travailleurs,un accord qui prévoit le chômage technique (en fait l’expulsionde l’usine) de 23 000 ouvriers. La plupart des militants syndicaux du PCI et d’extrême gauche sont expulsés de l’usine. Cettedéfaite marque la fin de la période ouverte par les luttes del’automne 1969.

1984 : Défaite de la lutte pour la défense de l’échelle mobiledes salaires (lors du référendum, 45,6% des électeurs se prononcent pour et 54,6 % contre). Mort de Berlinguer, suivie par ladernière grande percée électorale du PCI aux élections européennes (35 % des voix). Alessandro Natta est élu secrétaire duPCI.

1988 : Natta est remplacé par Achille Oechetto. Le parti connaît un déclin électoral important.

1989: Après les événements en Europe de l’Est, Ocehetto lancela proposition de changement de nom du parti.

1991 Le XXe Congrès du PCI approuve la proposition de sonsecrétaire général d’abandonner l’appellation de Parti communiste pour adopter celle de Parti démocratique de la gauche (Partib denwcratico dalla sinistra, PDS). Un courant de gauche — Cossutta, Libertini, Asor Rosa, etc. — quitte le parti et constitue leMouvement pour la refondation communiste.

N’i5

411

Cahiers Léon Trotskyn°29, 1987, 115 p., 70FF

Communismeet oppositions en Italie

Sommaire: A. Pian, Le chemin deTresso; G. Telloli, Alfonso Leonetti; A.

Moscato, Correspondance TrotskyLeonetti sur la guerre d’Ethiopie ; S.Lambert, L’histoire du trotskisme en

Italie; P. Broué, Le PC italien, la guerreet la révolution; D. Sedran, Memoires

d’un prolétaire révolutionnaire; C.Rosselli, Rencontre avec Trotsky

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C’est en partant des données que nous avons synthétisées que il est tout à fait légitime de formuler demanière crédible l’hypothèse d’une vitalité persistante etd’une relance, au-delà des échéances et des formesspécifiques, de mouvementsde masse anti-impérialisteset anticapitalistes, ainsi que l’hypothèse de nouvellescrises globales — c’est-à-dire non seulement économiques mais aussi sociales et politiques — des sociétéscapitalistes, au cours desquelles seront remis en question les fondements mêmes de ces sociétés. Et on peutêtre certain que, si cela se produit, la critique sociologique et la réflexion théorique commenceront à jouerune musique différente de celle qu’on écoute aujourd’hui.

Pour ceux qui, sans perdre la boussole face auxévénements les plus récents, essayent de lire la réalité etses tendances les plus dynamiques pour ce qu’elles sontdans la réalité, une tâche absolument primordiale estcelle de relancer l’idée même de révolution, en faisantbarrage à la vague de conceptions platement gradua-listes qui déferle avec ses tonalités positivistes, sesmystifications sur les institutions existantes, son réformisme ou pseudo-réformisme modéré et inconsistantqui n’est même pas capable de défendre les acquis dupassé.

Au fond, c’est un paradoxe extraordinaire que, aumoment où les sociétés capitalistes sont atteintes parune irrationalité sans limites et — dans la logiqueinfernale de leurs mécanismes intrinsèques — condamnent à la misère et à la famine une grande partie de lapopulation de la planète, avec des conséquences imprévisibles, à moyenne et longue échéance, pour les îlesheureuses de la société de consommation elles-mêmes,et alors qu’elles pourraient — en conséquence d’uneguerre nucléaire ou par un enchaînement de crisesécologiques — provoquer la destruction de la vie sur laplanète, il est paradoxal que dans un tel contexte lesystème existant soit réhabilité au sein même dumouvement ouvrier, ou du moins accepté comme laseule forme possible d’organisation sociale, à laquelle iln’y aurait pas d’alternative dans un futur prévisible.

Supposer qu’une société réglée depuis des siècles parune logique interne implacable et par une dynamiquesomme toute incontrôlable, où toutes les décisions quidéterminent, en dernière analyse, les destins des peupleset l’avenir de chaque individu, appartient à des minorités infimes, supposer qu’une telle société puisse êtretransformée sans ruptures révolutionnaires et par desprocessus graduels, signifie ne pas voir la réalité et sebercer dans des illusions (même si l’on prétend d’êtreréalistes).

Réfléchissons un instant sur le problème que l’onvient d’évoquer de la destruction de l’environnement, unproblème qui ne se posait pas sous les formes dramatiques d’aujourd’hui non seulement il y a un siècle,mais même il y a trente ou quarante ans, et que lesscientifiques les plus compétents présentent sous unelumière de plus en plus alarmante. Nous n’avons pas lacompétence pour juger les différentes thèses qui sontdébattues, mais l’hypothèse la plus plausible nousparaît la suivante: si les tendances qui opèrent déjà et

Livio Maïtan

qui ne sont contrastées que de manière absolumentinsuffisante, ne sont pas renversées, le destin de la planète est scellé, indépendamment des rythmes et destemps que ce processus prendra. Et pour réaliser cerenversement il faut une véritable révolution.

Posons-nous une autre question: s’il est vrai que lecours de l’économie est de plus en plus dominé par desmultinationales toute-puissantes dont le nombre se réduit constamment à la suite des processus de concentration et de centralisation, est-il réaliste d’espérer,comme semblent le faire les réformùistes de tout bord,que les choses puissent changer en votant quelques lois— très peu efficaces en principe et de toute façonvouées à rester sur le papier — en rêvant sur la “diffusion de l’esprit d’entreprise” ou sur la “démocratisation”de l’économie, ou encore en essayant de convaincre desindustriels, des banquiers et des grands commerçants àprendre un autre chemin dans leur même intérêt? Ils’agit d’un espoir vain et les acrobaties conceptuelles etterminologiques auxquelles nous assistons depuis desdécennies non seulement n’ont aucun fondement maisapparaissent aujourd’hui, sur la base de l’expériencevécue, comme tout à fait risibles. Le réalisme nousenseigne que seule unerévolution peut changer l’étatdes choses présent.

Le troisième problème — troisième dans l’énumération mais certainement pas pour son importance— est celui de la libération de la femme. Comme lemouvement féministe l’affirme à juste titre, il s’agit des’affronter à des structures, des rapports, des conceptions et des comportements non seulement séculaires,mais même millénaires : ne s’impose-t-il sur ce thème, encore plus que sur les autres, une rupture révolutionnaire dans le vrai sens du terme?

Enfin : est-il possible que les innovations et leschangements qualitatifs nécessaires à tous les niveauxse réalisent dans le cadre des structures étatiques et desinstitutions politiques existantes? Une thèse pareilleest de toute évidence indéfendable pour la grande majorité des pays de la planète, où existent des Etats et des“institutions” qui enlèvent à la presque totalité de lapopulation toute possibilité de faire valoir ses intérêtset ses aspirations (les choses ne changent pas qualitativement là où il y a des amorces d’ouvertures démocratiques). Mais elle est intenable même dans le cas desdémocraties parlementaires ou présidentielles de l’Europe occidentale ou de l’Amérique du Nord.

A ce propos, après tant de discours sur le “socialisme réellement existant” et sur ses mystifications, letemps serait venu de discuter des “démocraties réellement existantes”. On pourrait en discuter môme enfaisant abstraction des contenus socio-économiques,voire des conditions concrètes qui rendent intrinsèquement inégal l’exercice des droits démocratiques lesplus élémentaires (un b.a.-ba que l’on tend aujourd’huià oublier avec trop de désinvolture, en dépit du faitd’être quotidiennement confrontés au spectacle del’usage et de l’abus des médias pas des groupes oligarchiques ou des magnats individuels qui échappent à lamoindre forme de contrôle par les citoyens).

Pour faire quelques exemples, que dire des processus

Livio Maïtan

de décision dans la plus puissante des démocratiescapitalistes, les Etats-Unis, où les appareils des deuxpartis jumeaux agissent consciemment pour réduire lenombre des électeurs afin de mieux les contrôler, avecle résultat que seulement un tiers des citoyens se rendaux urnes, et cela après de pitoyables campagnes électorales, dans lesquelles les problèmes réels ne sontmême pas effleurés; où seulement ceux qui disposentde moyens financiers énormes peuvent être élus où lePrésident dispose de pouvoirs considérables et est à sontour conditionné, sinon détourné, par des pouvoirs defait, par des appareils économiques, politiques et militaires qui agissent dans les coulisses et ne doiventrépondre à personne?

Que dire de la Grande-Bretagne, où un systèmeélectorale archaïque permet, d’une part, d’éliminer de lascène non seulement les petites organisations, maismême des partis avec 20-25 % des voix et où, d’autrepart, un parti de minorité relative (en l’occurrence, leParti conservateur) a pu gouverner sans problèmespendant de longues années, en menant, entre autre, uneguerre dans l’hémisphère austral sans aucune forme deconsultation populaire, ou en déclenchant une autreguerre (interne) contre les syndicats, notamment celuides mineurs?

Et que dire de la France, où un président élu tous lessept ans concentre en ses mains une grande quantité depouvoirs, où le Parlement joue un rôle absolumentsecondaire et peut être détourné par le gouvernementgrâce à un article de la Constitution qui permet l’adoption d’une loi même si la majorité des élus s’y oppose,et où le système électoral peut réduire à peu de choseou même exclure des formations qui représentent 10 %des électeurs?

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que ces mécanismes ont été ou sont utilisés sans trop de scrupulespar les dirigeants de partis socialistes qui ne ratentaucune occasion pour se présenter comme les apôtres dela démocratie.

Le cas limite est celui de Mitterand qui, après avoirdénoncé pendant vingt ans les institutions de 1958 et lebonapartisme paternaliste de De Gaulle, a utilisé jusqu’au bout les mécanismes de la Ve République dèsqu’il est arrivé au pouvoir, au point d’offusquer lesouvenir de son prédécesseur.

La chose est d’autant plus grave que ces partis-làsont dominés par des souverains de droit charismatiquetels que Mitterand lui-même ou Gonzalez, qui imposentune gestion interne paternaliste et basée sur des clientèles, sans laisser pratiquement aucune place aux minorités critiques. Le travailliste Kinnock est encore à sesdébuts par rapport à ses collègues d’autres pays. Mais,lors du dernier congrès de son parti, il a annoncé lacouleur: après que les délégués l’avaient mis en minorité sur certaines questions — entre autres, la réductiondes dépenses militaires, à laquelle il s’oppose —, il aeu le culot de déclarer qu’il n’aurait pas pris en comptece vote!

Faut-il ajouter que les choses sont encore pires dansles partis conservateurs, comme par exemple le partigaulliste français, où les notables font le bon et le

mauvais temps et où les normes démocratiques n’existent même pas sur le papier?

En conclusion, au-delà de toutes les analyses spécifiques ou conjoncturelles, il faut se poser la question:est-il possible que des appareils d’Etat et des institutions visant à assurer le fonctionnement d’une économie fondée sur le profit et l’hégémonie d’une classesociale historiquement donnée, représentent le cadredans lequel atteindre des buts qualitativement différents,briser la logique du profit, de l’exploitation capitaliste,et garantir une organisation et une gestion socialesvraiment démocratiques, c’est-à-dire la participationactive de tout le monde à la vie de la société dans tousses aspects?

Une réponse positive ne saurait être donnée que parceux qui acceptent une idéologie mystificatrice oudéfendent une conception a-historique de la démocratie,conçue comme une forme abstraite séparée de ses contenus historiques concrets. En revanche, ceux qui partent de l’expérience historique réelle et ne veulent pasignorer ce que “notre” société nous montre à chaquejour, ne peuvent que donner une réponse négative. Lanécessité de la rupture révolutionnaire des structures del’Etat — tel qu’il existe, même dans ses formes lesplus “modernes” — synthétise l’exigence de la rupturerévolutionnaire dans sa totalité.

Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien Du PCI au PDS la longue marche du Parti communiste italien

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Amendola, Giorgio (1900-1980). Fils du leader libéral Giovanni Amendola, il adhère au PCd’I vers la findes années vingt et devient par la suite un de sesprincipaux dirigeants. Tout en revendiquant son passé de stalinien orthodoxe, il affirmera vers la fin desa vie que la scission de Livourne avait été une graveerreur pour le mouvement ouvrier italien.

Bandiera rossa (Drapeau rouge). Mouvement communiste dissident agissant à Rome entre 1943 et 1947.Aujourd’hui c’est le titre du journal du courant de Démocratie prolétarienne lié à la Quatrième Internationale.

Basso, Lelio. Dirigeant historique du courant de gauchedu socialisme italien, devenu ensuite un “compagnonde route” du PCI. Intellectuel et historien, il a largement contribué à la connaissance et à la diffusion del’oeuvre de Rosa Luxemburg. Il meurt en 1978.

Berlinguer, Enrico (1922-1984). Secrétaire général duPCI de 1973 jusqu’à sa mort, en 1984, il a élaboré lastratégie du compromis historique entre 1973 et1979 et ensuite celle de l’alternative démocratique.Sous sa direction, le PCI a beaucoup avancé dans lavoie de sa social-démocratisation.

Blum, Léon (1872-1950). Leader historique de la social-démocratie en France. Opposé à la scission de Toursqui donna naissance au PCF en 1920, il sera le chefdu gouvernement de Front populaire en 1936-1937.

Bobbio, Norber.to (1909-). Sans doute le principalphilosophe italien contemporain. En 1942, il estparmi les fondateurs du Parti dAction et dans l’aprèsguerre il devient le théoricien du libéral-socialisme.Intellectuel de gauche indépendant, il a critiqué lemarxisme au nom d’une réhabilitation de 1”Etat dedroit”. Auteur de Quale socialismo? (Turin, 1976) etIlfuturo delta democrazia (Turin, 1983).

Bordiga, Aniadeo (1889-1970). Fondateur du journal ilsoviet en 1918 et premier secrétaire du Parti conimuniste d’Italie (PCd’I) lors de sa fondation, en 1921. Ils’oppose à la tactique de front unique lancée parl’Internationale Communiste et, à partir de 1923, estécarté de la direction du parti (où ses positions demeurent pourtant majoritaires jusqu’en 1925-1926).Anti-stalinien, il est exclu du PCd’I en 1930. Exilé àl’île de Ponza sous le fascisme, il abandonne touteactivité politique. A la libération, il reconstitue soncourant politique, marqué par des positions extrêmement sectaires, dogmatiques et gauchistes (il théorisepar exemple l”invariance” du marxisme), qui s’exprime dans la revue Il programma comunista,

Boukharine, Nicolai (1888-1938). Dirigeant et théoricien bolchevique. Il devient célèbre grâce à sesnombreux ouvrages marxistes (L’économie politiquedu rentier, 1907, L’économie mondiale et l’impérialisme, 1915, Le matérialisme historique, 1921,etc.). Membre du Comité central bolchevique en1917, l’année suivante il s’oppose au traité de BrestLitovsk. Défenseur de la Nouvelle économie poli-

Livio Maïtan

tique (NEP) et dirigeant de l’Internationale comrnuniste pendant les années vingt, il anime d’abordl’opposition de droite et ensuite capitule à Staline en1929. Liquidé lors des procès de Moscou.

Castellina, Luciana. Dirigeante du courant du Mataifesto et député au Parlement européen du Parti d’unitéprolétarienne pour le communisme (PDUP) dans lesannées soixante-dix, elle est actuellement parmi lesreprésentants de l’aile gauche du PDS.

Cossutta, Armando. Dirigeant de l’aile gauche du PCI(considéré de manière un peu simpliste comme leplus pro-soviétique des com-munistes italiens), il estaujourd’hui l’un des animateurs du Mouvement pourla refondation communiste.

De Gaspei-i, Alcide (1881-1954). Dirigeant historiquede la Démocratie chrétienne, il a été chef du gouvernement entre 1946 et 1953.

Oemocrazia proletaria. Organisation de l’extrêmegauche italienne. Née en 1976 comme coalition électorale, elle se constitue en organisation à partir del’année suivante.

Fassino, Pietro. Dirigeant du courant Oechetto dans lePCI et actuellement l’un des porte-parole du PDS.

Giolitti, Giovanni (842-1928). Leader libéral, chefdu gouvernement avant et après la Première GuerreMondiale, d’abord entre 1911 et 1914 et ensuite en1920-1921,

Gomulka, Wladyslaw. Communiste polonais, il estarrêté en 1949 sous l’accusation de nationalisme. En1956, sous la pression du mouvement de masse, ilest élu secrétaire du POUP et dirige le processus transitoire de libéralisation du régime.

Gottwald, Klement (1896-1953). Communiste, Président de la République de Tchécoslovaquie à partir de1948.

Gramsci, Antonlo (1891-1937). Né en Sardaigne, ildevient socialiste à Turin à la veille de la premièreguerre mondiale. En 1919, il anime le quotidienL’Ordine Nuovo, où il analyse l’expérience de l’occupation des usines et développe sa théorie des conseils ouvriers. En 1921, participe à la fondation duPCd’I qu’il représente auprès du Comintem, à Moscou et à Vienne, entre 1922 et 1924. En 1926, il rédige les “Thèses de Lyon” qui marquent un tournantdans l’orientation du parti en l’éloignant de son orientation bordiguiste originaire. La même année ilest arrêté et condamné par les autorités fascistes.Pendant les dix années de sa détention, il rédige lesCahiers de prison, qui constituent une des contributions les plus importantes à l’enrichissement de lapensée marxiste.

Grieco, Ruggero. Dirigeant du PCI pendant les annéestrente et après la guerre.

Gronchi, Giovanni (1887-1978). Président de la République entre 1955 et 1962.

Kun, Bela (1886-1936). Communiste, principal dirigeant de la République hongroise des conseils ouvriers en 1919, il se réfugie en URSS après la répression qui écrase le mouvement révolutionnaire. Il estexécuté à l’époque des procès de Moscou.

Jdanov, Andrej (1896-1948). Dirigeant de l’URSS etdu PCUS. II incarne le stalinisme dans le domaine dela culture, la littérature et les arts. C’est à lui que l’ondoit la théorie tristement célèbre du “réalisme socialiste”.

Ingrao, Pietro (1917-). Intellectuel et dirigeant du PCI,il est considéré comme l’un des représentants historiques de son courant de gauche. En dépit de son opposition au changement de non du parti, il est restédans le PDS.

Leonetti, Alfonso dit “Feroci” (1895-1984). Collaborateur de Gramsei à Turin à l’époque de L’OrdineNuovo, il est parmi les fondateurs du PCd’I en 1921.Entré dans le CC et dans le BP après le Congrès deLyon. Rédacteur en chef de Z’ Unitâ clandestine, en1929 il s’oppose au “tournant” et est exclu du parti.Adhère à l’Opposition de Gauche Internationale avecTresso et Ravazzoli. Dirigeant de la IVe Internationale jusqu’à la fin des années trente. Participe à la résistance et réintègre le PCI après la guerre.

Longo, Luigi dit “Gallo” (1900-1980). Adhère auPCd’I au début des années vingt et dirige son organisation de jeunesse. Fidèle exécuteur de la ligne deMoscou pendant le “tournant” en 1929 et durant laguerre civile espagnole. Collaborateur de Togliatti,il devient secrétaire du PCI entre 1968 et 1973.

Lotta continua. Une des principales organisations del’extrême gauche italienne entre 1969 et 1976, annéede sa dissolution.

Magri, Lucio. Fondateur du courant Il Manifesto au seindu PCI à la fin des années soixante, il a été ensuiteun leader du PDUP, un parti réformiste de gauche quia réintégré le PCI au début des années quatre-vingt.Actuellement il est un des principaux représentantsde la gauche du PDS.

Il Manifesto. Courant de gauche du PCI qui publie unerevue du même nom en 1968 et, à partir de 1972, unquotidien (qui existe toujours, même s’il ne représente plus un courant organisé),

Matteotti, Giacomo (1885-1924). Député socialiste,assassiné par des tueurs fascistes après son discourssur la “tyrannie de la violence” au Parlement.

Morandi, Rodolfo Dirigeant du PSI, avec Pietro Nenni, après la guerre. De même qu’un large secteur dusocialisme italien, il sera influencé par le stalinisme.

MUP. Mouvement d’unité prolétarienne.

Napolitano, Giorgio. Dirigeant de l’aile droite duPCI, d’orientation plus ouvertement social-démocrate. Il est aujourd’hui le porte-parole du courant“pour l’amélioration” (“migliorista”) et le “Ministredes affaires étrangères” du gouvernement ombre duPDS.

Natta, Alessandro (1917-). Dirigeant du PCI, il endevient secrétaire général après la mort de Berlingueren 1984. Il est remplacé par Occhetto en 1988.

NennI, Pietro (1891-1983). Dirigeant du PSI dès lesannées vingt, il participe à sa reconstruction dansl’après-guerre en assurant le secrétariat de 1944 à1962, période dans laquelle il subit l’influence dustalinisme (il obtient même le “prix Staline” en1950 et se rend à Moscou, trois ans plus tard, pourles obsèques du “Père des peuples”). Dès le début desannées soixante, il oriente son parti vers les gouvernements de coalition avec la DC, qui ouvrent laphase du centre-gauche (ceniro-sinistra).

Nitti, Francesco. Député depuis 1904, participe auxgouvernements de Giolitti et Orlando avant et pendant la Première Guerre mondiale. Chef de gouvernement en 1919-1920, il représente l’aile libéral-démocratique ouverte à la collaboration avec les socialistes.

Occhetto, Achille. Ancien dirigeant de la Fédérationdes jeunesses communistes (FGCI) dans les annéessoixante et ensuite collaborateur étroit de B erlinguer,il est élu secrétaire général du PCI en 1988. Il est àl’origine du changement de nom du parti et du projetde création du PDS.

PCI. Parti communiste italien.

PSDI, Parti social-démocrate italien.

PSI. Parti socialiste italien.

PSIUP. Parti socialiste d’unité prolétarienne.

Ravazzoli, Paolo (1894-1940). Dirigeant de la direction clandestine du PCd’I et secrétaire de la CGIL à lafin des années vingt, il participe en 1930 à la fondation de la “Nouvelle Opposition Italienne” et est exclu du parti. En 1931, défend les positions del’Opposition de Gauche Internationale lors d’uneréunion de l’ISR à Moscou. Il quitte le mouvementtrotskyste durant la période des fronts populairespour se rapprocher du PSI.

Russo, Enrico (1895-1973). Adhère au PC en 1924avec le courant de Serrati actif dans l’émigration etdans les milices du POUM pendant la guerre civile espagnole. Dirigeant de la CGL et de la Fédération degauche du PCI à Naples en 1943.

Salvemini, Gaetaao. Un des principaux intel-lectuelsdans l’Italie de l’entre-deux-guerres. Historiend’orientation libéral-socialiste, il a été l’un des premiers à théoriser la “question méridionale”.

Secchia, Pietro, Dirigeant de l”aile gauche” du PCI àla libération, il essaie de s’opposer à Togliatti enprônant un durcissement de la ligne du parti (qu’il neremettra jamais en cause dans son ensemble). Il estprogressivement marginalisé au sein de l’appareil.

Sereni, Emilio. Intellectuel et économiste. Il joue unrôle dirigeant dans le parti pendant les années trenteet après la guerre.

Spriano, Paolo. Sans doute le principal historien duPCI, avec Ernesto Ragionieri. Il est l’auteur d’unehistoire du PCI en cinq volumes (Storia de! PCI, Einaudi, Torino, 1975 L’Unità, Roma, 1990), d’unouvrage sur le stalinisme et le mouvement ouvrier enEurope (J comunisti europei e Sta!in, Einaudi, Torino,1983) ainsi que d’autres volumes sur Gramsci et Matteotti et d’un livre de mémoires (Le passioni di un decennio, Garzanti, Milano, 1985).

Du PCi au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

L GLOSSAIRE

Livio Maïtan Du PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

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Du PCI au PDS : la longue marche du Parti communiste italien Livio MaïtanDu PCI au PDS: la longue marche du Parti communiste italien

Stella rossa (Etoile rouge). Mouvement communistedissident agissant à Turin à la fin de la DeuxièmeGuerre Mondiale.

Terracini, Umberto Collaborateur de Gramsci àL’Ordine nuovo et fondateur du PCd’J. Emprisonné de1926 à la fin de la guerre, il est temporairement expulsé du parti après s’être opposé au pacte germanosoviétique en 1939. Il préside l’Assemblée Constituante en 1946.

Togliatti, I’almlro dit “Ercoli” (1893-1964). Fondateur du PCd’I et ensuite dirigeant de l’Internationalecommuniste, où il se lie d’abord à Boukharine avantde devenir un des plus fidèles exécuteurs de la politique de Staline. Principal responsable du Comintempendant la guerre civile espagnole, il rentre en Jtalieen 1944 et impose le “tournant de Salerne”, quioriente le parti vers une alliance avec les forces antifascistes bourgeoises et conservatrices (y compris lamonarchie). En 1948, il survit à un attentat qui provoque un soulèvement de masse et amène le pays aubord de la guerre civile. Il dirigera le PCI jusqu’à samort.

Tresso, Pietro dit “Blasco” (1893-1944). Militant dela gauche du PSI avant la guerre, il est l’un des fondateurs du PCd’I en 1921. D’abord bordiguiste, iladhère aux positions de Gramsci en 1922, lorsqu’ilparticipe au IVe Congrès du Comintem. Elu au CC duparti en 1926, pendant le Congrès de Lyou. Dirigeant du centre clandestin et du travail syndical duPCd’I. En 1929-1930, il s’oppose au “tournant” qui,au lendemain d’une écrasante défaite imposé par lefascisme au mouvement ouvrier, prévoit comme imminente une nouvelle vague révolutionnaire en Italie. II crée la “Nouvelle Opposition Italienne” avecLeonetti et Ravazzoli et adhère au mouvement trotskyste dans l’émigration en France. En 1938, participe au Congrès de fondation de la IVe Internationale. Emprisonné pendant la guerre, il sera tué pardes maquis du PCF à sa libération, en 1944.

Turati, Filippo (1857-1932). Fondateur et chef charismatique du PSI, dont il dirige l’aile réformiste. Directeur de la revue Critica sociale. Opposé à la guerre, ildénonce le bolchevisme et la révolution russe. Contraire à la création du PCd’I en 1921, il demeure lereprésentant le plus cohérent de la social-démocratieitalienne.

Viltone, Llbero (1913-1973). Dirigeant de la Fédération de gauche du PCI à Naples, en 1943, il adhèreensuite au mouvement trotskyste.

Zinoviev, Gregory (1883-1936). L’un des principauxdirigeants du parti bolchevique ; président du Comintem en 1924; opposé à Staline, il est exclu duparti en 1927, en même temps que Trotsky. Réintégré en 1931, il est fusillé lors du premier procès deMo scou.

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Livio Maïtan

BibliographieL

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N~15

47rEnnrngEIgrHcIc.

Les Congrès de la QuatrièmeInternationale:

vol. 1 Naissance de la Quatrième Internationale1930-1940, 448 P., 75 FF

vol. 2 L’Internationale et la guerre 1940-1946,478 p., 75 FF

vol. 3 Bouleversements et crise de l’après-guerre1946-1950, 475 p., 120FF

vol. 4 Menace de la Troisième Guerre mondialeet tournant politique 1950-1952, 505 P. 120 FF

Textes réunis et présentéspar Rodoiphe Prager

Edlitions La Brèche,2 rue Richard Lenoir 93108 Montreuil-sous-bois

Peregalli, Arturo, L’altra resistenza : il PCI e le opposizioni