L’Islam des arts : la nouvelle muséographie des arts islamiques

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L’Islam des arts : la nouvelle muse ´ ographie des arts islamiques Giovanni Pinna Giovanni Pinna a e ´ te ´ directeur du Muse ´ e d’Histoire Naturelle de Milan (Italie) ou ` il a travaille ´ comme conservateur des collections de pale ´ ontologie entre 1964 a ` 1996. Membre de l’Associazione Nazionale Musei Scientifici (ANMS), il a aussi e ´ te ´ pre ´ sident d’ICOM-Italie pour deux mandats ainsi que membre du Conseil exe ´ cutif d’ICOM International. Il a publie ´ une trentaine de livres et de tre ` s nombreux d’articles sur des sujets relatifs a ` la pale ´ ontologie et a ` la muse ´ ologie. Il travaille en tant que consultant en muse ´ ologie pour des institutions italiennes et internationales. Le monde des muse ´es, comme chacun le sait, est en fermentation incessante : de nouvelles institutions apparaissent un peu partout, souvent installe ´es dans des ba ˆtiments monumentaux, signe ´es par de ce ´le `bres architectes qui ne de ´daignent pas de recourir a ` des formes originales. Ce sont les me ˆmes architectes qui, ailleurs, sont appele ´s a ` re ´nover la forme et l’organisation des galeries d’exposition d’institutions ve ´tustes, quoique glorieuses et riches. Dans cette situation d’activite ´ fre ´ne ´tique, entre innovation et re ´novation, la muse ´ ologie et la muse ´ographie n’ont ne ´glige ´ aucun secteur de la culture : œuvres d’art, objets arche ´ologiques, e ´le ´ments historiques et scientifiques et ouvrages techniques ont servi a ` construire, avec un riche appareil de textes, d’images et de nouvelles technologies de communication, des expose ´s qui initient les visiteurs, toujours plus nombreux, a ` une connaissance globale. Certains de ces muse ´es, qui conservent dans leurs collections les te ´moignages d’antiques civilisations, ont e ´te ´ en mesure d’e ´voquer dans leurs expositions les civilisations anciennes 108 ISSN 1020-2226, No. 251–252 (Vol. 63, No. 3–4, 2011) ª UNESCO 2013 Publie ´ par les E ´ ditions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

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L’Islam des arts : la nouvellemuseographie des arts islamiquesGiovanni Pinna

Giovanni Pinna a ete directeur du Musee d’Histoire Naturelle de Milan (Italie) ou il a travaille

comme conservateur des collections de paleontologie entre 1964 a 1996. Membre de

l’Associazione Nazionale Musei Scientifici (ANMS), il a aussi ete president d’ICOM-Italie pour

deux mandats ainsi que membre du Conseil executif d’ICOM International. Il a publie une

trentaine de livres et de tres nombreux d’articles sur des sujets relatifs a la paleontologie et a

la museologie. Il travaille en tant que consultant en museologie pour des institutions italiennes

et internationales.

Le monde des musees, comme chacun le sait,

est en fermentation incessante : de nouvelles

institutions apparaissent un peu partout, souvent

installees dans des batiments monumentaux,

signees par de celebres architectes qui ne

dedaignent pas de recourir a des formes originales.

Ce sont les memes architectes qui, ailleurs, sont

appeles a renover la forme et l’organisation des

galeries d’exposition d’institutions vetustes,

quoique glorieuses et riches. Dans cette situation

d’activite frenetique, entre innovation et

renovation, la museologie et la museographie n’ont

neglige aucun secteur de la culture : œuvres d’art,

objets archeologiques, elements historiques et

scientifiques et ouvrages techniques ont servi a

construire, avec un riche appareil de textes,

d’images et de nouvelles technologies de

communication, des exposes qui initient les

visiteurs, toujours plus nombreux, a une

connaissance globale.

Certains de ces musees, qui conservent

dans leurs collections les temoignages d’antiques

civilisations, ont ete en mesure d’evoquer dans

leurs expositions les civilisations anciennes

108 ISSN 1020-2226, No. 251–252 (Vol. 63, No. 3–4, 2011) ª UNESCO 2013

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disparues, les degres gravis par l’histoire du

monde, et les rapports culturels qui se sont

developpes avec le temps entre les diverses

civilisations. Beaucoup de ces musees allient dans

leurs expositions le passe et le present, comme le

Musee national d’Iran a Teheran ou plus de dix

millenaires d’histoire debouchent sur la civilisation

islamique. Ailleurs, des series de musees, dedies

chacun a un aspect particulier de l’histoire et de

l’art ou a une civilisation particuliere, creent une

collection ininterrompue de recits historiques :

c’est le cas, par exemple, des musees du Caire qui,

dans divers batiments de la ville, illustrent une

histoire qui a parcouru plus de six millenaires,

de l’Egypte pharaonique a l’Egypte moderne, en

passant par l’Egypte grecque, romaine, copte, et

l’Egypte islamique classique.

Le renouveau des arts islamiques

Un aspect important de la museologie de ces

dernieres annees est l’attention nouvelle que de

nombreuses institutions ont porte a la culture

islamique et a la valorisation des collections d’art et

des temoignages historiques et culturels de cette

civilisation profonde et multiforme. Cela s’est

produit soit dans d’importants musees

occidentaux, ou les collections d’art et de culture

islamique allochtones par rapport a la

communaute locale sont souvent l’expression d’un

antique superpouvoir politique, soit dans des

nations de culture islamique, ou ces collections

sont le produit historique, autochtone, des

communautes qui les composent. Il est indeniable

que dans ces deux cas ce qui conduit a une

attention nouvelle pour les collections et les

musees islamiques est le fruit d’un projet politique,

lequel poursuit pourtant des finalites differentes

selon que l’on parle de l’Occident ou des pays

islamiques.

Il me semble que l’on peut supposer que

pour l’Occident l’intention de renover la

presentation des collections islamiques represente

une ouverture, a la fois culturelle et politique, face

aux pays islamiques du Proche-Orient et des

rivages meridionaux de la Mediterranee, a laquelle

n’est pas etrangere la tentative d’attenuer le

souvenir d’un passe colonialiste ; tandis que pour

les pays de culture et de tradition islamiques la

renaissance des collections islamiques dans les

musees semble avoir plutot la signification d’une

revalorisation de la culture islamique au sens

nationaliste, d’une reappropriation du patrimoine

sous une forme qui etait traditionnellement un

heritage occidental.

Telles sont les motivations dont on peut

presumer qu’elles ont, au moins en partie, conduit

a la creation de plusieurs grands musees qui ont vu

le jour dans une periode recente, comme le Musee

d’art islamique a Doha (Qatar), le Musee Sharjah

de la civilisation islamique a Abu Dhabi et le Musee

national Zayed qui ouvrira prochainement ses

portes, toujours a Abu Dhabi. Pour d’autres

musees, une histoire longue, et parfois tourmentee,

oblige a rechercher des motivations plus

complexes. Je crois, par exemple, que la renovation

totale du Musee d’art islamique du Caire en 2010

peut etre liee a une double intention : d’une part,

comme acte ultime de reappropriation d’une

institution nee, en tant que Musee d’art arabe, dans

les annees de la domination culturelle de l’Egypte

par l’Occident, qui refletait, comme l’a ecrit Donald

Reid1 ‘‘la fascination de certains occidentaux pour un

‘‘Oriental other’’ esoterique; d’autre part, comme

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aboutissement d’une reecriture, a travers les

musees, d’une identite egyptienne qui – comme le

soutenait Fekri Hassan – puisse ‘‘integrer son passe

et reconnaıtre ses heritages pharaonique,

hellenistique et islamique et placer cet heritage

culturel bigarre dans la direction de la civilisation

mondiale’’2.

Ce sont, je crois, d’autres motivations qui

ont pousse plusieurs grands musees europeens

a renover leurs galeries d’art islamique. Sans

aucun doute, le progres des techniques

museographiques, avec les meilleures possibilites

de lisibilite et de conservation des objets qu’elles

offrent, et la tendance actuelle de la museologie a

proposer les colletions sous une forme narrative,

sont deux elements qui ont rendu inevitable la

realisation de nouvelles presentations des

collections d’art islamique dans des musees

comme le Victoria and Albert de Londres et le

Louvre de Paris. Mais il y a eu aussi, dans ces

cas, la volonte de construire un pont entre les

cultures occidentale et islamique, un pont

capable de guerir les blessures d’un colonialisme

qui n’a pas ete seulement culturel, et la

conscience de la responsabilite que tout musee

devrait avoir face a la conservation et a la

presentation de cultures ‘‘autres’’.

En cette meme annee 2012 qui a vu

l’ouverture de la nouvelle section des arts de

l’Islam du Louvre, un musee ne dans les annees

1980 a Paris et consacree au monde arabe a ete

profondement transforme; il est devenu la vitrine

d’un monde plus multiforme et plus articule que

celui que nous percevons en tant que monde

islamique. Il s’agit du musee de l’Institut du Monde

Arabe, lequel, sous la nouvelle forme voulue par

22 pays arabes qui, avec la France, ont donne vie a

l’Institut, se propose d’illustrer la globalite de la

culture arabe a travers ses mille facettes et les

differences ethnolinguistiques et confessionnelles.

Ces differences convergent cependant en un

heritage culturel commun. Il permet ainsi aux

visitateurs, comme l’ecrit Marie Foissy, Directeur

scientifique du projet, de decouvrir la ‘‘culture des

societes du monde arabe dans ses origines, son

elaboration et la continuite de ses vivantes racines’’.

De cela est ne un musee dont l’exposition ‘‘coule

comme un voyage, une histoire que l’on raconte,

tisse tant par les objets que par les textes

d’accompagnement, les images, les sons et les

parfums’’.

Ce bref panorama de quelques-uns des

plus recents evenements ayant implique les musees

et les collections d’art et de culture islamiques n’est

pas le prelude a l’objectif de mon article. Celui-ci

n’a pas en fait pour intention d’illustrer les diverses

realisations museales, l’organisation scientifique

de leurs expositions, les criteres museographiques

ou les systemes de communication adoptes; les

conservateurs et les designers qui ont cree ces

nouvelles installations et ces nouveaux musees ont

deja produits des guides et des textes d’illustration,

et ils en produiront bien d’autres3. Ce que je veux

souligner, en prenant pour point de depart

certaines des nouvelles realisations citees, c’est au

contraire la complexite du travail technique de

construction des expositions des musees, les divers

defis technologiques que tout musee doit affronter

pour garantir en meme temps la visibilite des

objets pour les visiteurs, leur conservation par

rapport aux agents atmospheriques, leur defense

contre les agents polluants, leur securite et leur

integrite. Complexite bien connue de ceux qui

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travaillent quotidiennement dans les musees mais

qui echappe au grand public; complexite qui

implique l’etude et l’adoption de techniques de

construction complexes, l’etude et la realisation

d’instruments propres a garantir la conservation

des objets, une organisation precise du travail dans

le temps et dans l’espace, la gestion des chantiers

sur place, afin que la construction et le montage

des elements d’exposition, l’installation des

elements d’eclairage, le delicat travail de

disposition des objets dans les vitrines, la mise en

œuvre de l’appareil didactique, etc., ne se genent

pas mutuellement.

Coherence narrative et problemes techniques

En ce qui concerne l’exposition de collections d’art

islamique, certains problemes specifiques se

posent, dont la solution depend en premier lieu de

la coherence du projet museographique, et en

second lieu des techniques de construction des

elements exposes. Par exemple, la diversite des

materiaux – verre, ceramique, pierre, cuir,

parchemin, papier – dont sont constitues les objets

implique des normes de conservation differentes,

ce qui serait soluble si l’on pouvait exposer les

objets separement selon leur typologie. Mais ceci

45. Les collections du Musee de l’Institut du Monde Arabe (Paris).

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est impossible pour des raisons de coherence de

la narration museale, d’ou la necessite d’etudier

un equilibrage des normes pour rendre la

conservation acceptable de maniere homogene. Le

probleme pose par la diversite des dimensions des

objets n’est pas different : il necessite l’etude et la

construction d’elements d’exposition ou des objets

tres petits aussi bien que tres grands puissent etre

lus aisement par le public ainsi qu’une etude

attentive de l’eclairage. Il est certain que ces deux

problemes ne se posent pas uniquement pour les

expositions d’art islamique, mais ils acquierent une

importance particuliere, car l’exposition doit

suivre un fil narratif par stades chronologiques ou

par secteurs, culturel ou social.

Les travaux qui ont conduit a la creation

recente de musees et galeries d’art islamique

m’ont donc semble offrir un champ d’analyse

interessant pour illustrer quelques-uns des defis

technologiques innombrables et divers que les

museologues, les designers de la museographie et

les constructeurs ont du affronter dans chaque

realisation pour garantir a la fois la conservation, la

securite et la visibilite de chaque objet ou de

l’ensemble de la collection exposee. J’ai extrapole,

46. Le departement des Arts de l’Islam du Musee du Louvre (Paris).

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du cheminement complique de la construction

technique et intellectuelle des expositions, un

aspect specifique : la complexite et l’extreme

delicatesse du travail de construction des vitrines

de presentation, car elles constituent, dans toute

exposition, l’element central de conservation et de

communication. Dans les musees d’art islamique,

comme dans d’autres typologies museales – par

exemple dans tous les musees archeologiques ou

d’art applique, ou la majeure partie des objets est

de dimension reduite et exige des soins particuliers

par rapport aux attaques d’agents atmospheriques

nocifs – les vitrines d’exposition doivent respecter

des conditions techniques. Celles-ci sont

necessaires pour garantir a la fois, et au mieux, la

securite des objets face aux agents atmospheriques

polluants et a d’eventuels actes de vandalisme.

L’accessibilite pour le personnel du musee dans le

cas des operations normales d’entretien et la

manipulation en toute securite, ainsi que la

47. La vitrine de presentation du tapis Ardabil dans la galerie des arts islamiques du Victoria & Albert Museum de Londres.

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48. Le Musee d’Art islamique du Caire.

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visibilite des objets exposes pour les visiteurs du

musee doivent ainsi etre garanti. Cela presuppose

la solidite des structures, l’utilisation de materiaux

non polluants lors de la construction, tels que les

bois ou peintures, des systemes d’ouverture qui

liberent des espaces d’accessibilite assez vastes et

simple a manœuvrer avec simplicite, de grandes

surfaces pour une lecture aisee des objets de

diverses dimensions, et enfin des systemes

d’eclairage adaptes a la conservation et a la lecture

des objets et des systemes actifs ou passifs de

controle de l’atmosphere interieure des vitrines.

Vient s’ajouter a cela le fait que les vitrines

d’exposition font partie integrante de la conception

generale d’une exposition museale. Elles sont

concues par des architectes et des responsables de

projet, et doivent respecter des contraintes

formelles. Cela presuppose, de la part de

l’entreprise de construction, la capacite de

conjuguer les possibilites fournies par la

technologie avec les exigences esthetiques.

La construction de vitrines qui respectent

toutes ces conditions n’est pas un travail qui

s’improvise, meme si de nombreux musees

peripheriques s’adressent, helas, a des constructeurs

improvises. Je m’en suis rendu compte en suivant,

en tant qu’observateur neutre, les travaux de

construction des vitrines pour les expositions de

quatre des recentes actualites museales liees a la

culture islamique : les Islamic Galleries du Victoria

& Albert Museum (Londres), le Musee d’art

islamique du Caire, le Musee de culture arabe de

l’Institut du Monde Arabe (Paris) et la nouvelle

section islamique du Louvre. Les vitrines de ces

institutions ont ete concues au Laboratoire

museotechnique Goppion (Milan) auquel ces

travaux avaient ete confies. Dans ce laboratoire, ou

se font l’etude des vitrines, l’elaboration de leurs

divers elements et la realisation de prototypes, j’ai

eu la possibilite d’un acces quasi quotidien pour

pouvoir etudier les diverses phases de travail, etude

qui s’est etendue, quoique plus brievement, aux

chantiers de montage in situ.

Les projets du Laboratoire de recherche Goppion :

le Victoria & Albert Museum

Pour le Laboratoire museotechnique Goppion,

je l’ai verifie, chaque realisation est un defi

technologique. Dans chacune des expositions

citees relatives aux arts de l’Islam, en dehors de

vitrines que l’on peut qualifier de d’usuelles par

leurs dimensions ou leurs conditions techniques,

il a fallu realiser un certain nombre d’exemplaires

uniques. Ces derniers ont mis a l’epreuve la

capacite des techniciens du laboratoire a inventer

des solutions qui, dans le respect des normes que

j’ai citees, en permettent la realisation.

Pour la Jameel Gallery d’art islamique du

Victoria & Albert Museum, Goppion a realise tous

les elements d’exposition : vitrines cloche pour les

petits objets, hautes vitrines murales avec volets

ouvrants de plusieurs metres pour l’exposition de

tapis, ainsi qu’une vitrine destinee au tapis Ardabil,

de facture iranienne, datant de 1539, aux

dimensions exceptionnelles (10,5 x 5 metres). Lors

de l’etude de l’exposition, les museologues du

Victoria & Albert Museum se sont demande

comment exposer l’un des plus grands tapis du

monde afin d’en distinguer tous les details et sans

mettre l’œuvre en peril. L’exposition au sol,

horizontalement, s’imposait. L’exposition verticale

du tapis n’aurait pu s’integrer a l’architecture en

arcades de la galerie, d’une part, et, d’autres part

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une vitrine verticale d’une telle dimension,

depourvue de joints, et ouvrable en un seul volet

pour l’entretien normal du tapis etait irrealisable.

De grandes vitrines murales a volet unique avaient

toutefois deja ete realisees par Goppion pour la

meme exposition au Victoria & Albert Museum, et

au Musee Poldi Pezzoli de Milan pour une vitrine

dessinee par Takashi Shimura pour exposer

verticalement un grand tapis de chasse persan du

15e siecle (682 x 335 cm). Dans le cas du tapis

Ardabil, le volet unique aurait ete vraiment trop

grand.

L’exposition horizontale du tapis a ete

choisie en outre pour creer une contextualisation

au moins partielle de l’objet. Il fallait d’une part

permettre la visibilite du tapis dans sa totalite, quel

que fut l’angle du parcours du visiteur. Il fallait

d’autre part, faire en sorte que le visiteur ait le

sentiment d’etre integre spatialement dans la

surface physique du tapis, tout en lui restant

exterieur. Le resultat devait etre comparable au

rapport ‘‘dedans et dehors’’ qui devait ainsi

permettre de rapprocher le plus possible le visiteur

du tapis. Un chef d’œuvre de technique

d’exposition a donc ete concu : une vitrine de

7 x 11 metres et haute de 3 metres, a parois de

verre antireflet soudees entre elles, depourvue

d’embase et de montants metalliques. Elle peut etre

soulevee d’un bloc grace a un systeme complexe de

vis telescopiques logees dans une fente du dallage

et commandees simultanement par une chaıne. Le

caisson etudie est dans l’evolution technologique

des elements d’exposition museaux. La

permeabilite optique du verre autorise ce rapport

‘‘dedans et dehors’’ auquel j’ai fait allusion et un

systeme d’eclairage variable et des dispositifs de

controle de l’air interieur garantissant la visibilite

et la securite de conservation. Ce n’est donc pas un

hasard si la vitrine du tapis Ardabil a remporte le

prix de ‘‘Best Commercial Fixture’’ au FX

International Interior Design 2006.

Le Musee d’Art islamique du Caire

En octobre 2010, apres des travaux de renovation

complexes, touchant le batiment du debut XXe

siecle et l’organisation des espaces de service et

d’exposition, le Musee d’Art Islamique du Caire a

ouvert ses portes. Adrien Gardere, le scenographe

charge du projet, a organise les espaces interieurs

en respectant l’architecture de l’edifice. Une salle

centrale rappelle la qa’a caracteristique de

l’architecture civile medievale egyptienne, et les

salles d’exposition et les parcours de visite sont

organises par rapport a cet espace central. Le mode

d’organisation spatiale, un espace central autour

duquel le visiteur evolue, a prevalu a tous les

dispositifs museographique et compris les vitrines.

Tout en respectant les proportions

originales de l’interieur du batiment, le

scenographe a utilise au mieux les perspectives et

exploite les niches et les arcades pour installer des

objets et des vitrines. Une etroite symbiose entre

l’edifice et les objets exposes se degage ainsi qui a

conduit ce musee a recevoir le prix

Museum+Heritage International Awards 2011.

Quatre-vingt-six vitrines-cloche ont ete

realise par Goppion, entierement en verre,

depourvues de montants et posees sur des embases

de pierre. L’impression generale qui se degage de

l’exposition est d’une extreme legerete de

l’ensemble. Les quelque 2500 objets exposes

donnent l’impression de leviter dans l’espace. Cinq

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vitrines sur table de 5 m de long et surmontees

d’une cloche de verre d’une tonne, ont donne lieu a

un systeme complexe d’ouverture pour les travaux

d’entretien, de controle et de manipulation des

objets. Un systeme d’elevation de verre a ete mis au

point qui garantit son integrite pendant le

mouvement d’ouverture par la parfaite

synchronisation des moteurs qui interdit toute

torsion.

Au-dela de la complexite des travaux de

restauration du batiment et de la reflexion globale

sur l’exposition, l’edifice qui donne sur l’un des

quartiers les plus actifs du Caire a mis les auteurs

du projet et les constructeurs face a deux

problemes lies a la conservation des objets : d’un

cote, la force du soleil egyptien, penetrant par les

vastes baies vitrees ouvrant sur l’exterieur, et de

l’autre la pollution et le sable qui souvent s’abat sur

le Caire. Le Laboratoire museotechnique Goppion

a etudie un systeme de vitrines qui garantisse la

purete de l’atmosphere interieur, indispensable

pour la conservation des objets.

L’Institut du Monde Arabe

Au debut de l’annee 2012 le nouveau musee de

l’Institut de Monde Arabe a ete inaugure a Paris.

L’’architecture interieure et la localisation du

musee dans les etages elevees impose de

nombreuses contraintes a l’organisation du

chantier, relatives notamment au transport et au

montage des materiaux et des elements

d’exposition. Pour certaines vitrines aux parois de

verre particulierement grandes (2,5 x 4,2 m), la

mise en place dans le musee au quatrieme etage du

batiment de Jean Nouvel a pose certains problemes

de depassement des barrieres architectoniques.

Comme il etait impossible de faire parvenir ces

elements sur le lieu du montage definitif par

l’interieur de l’edifice, il a fallu inventer un systeme

permettant leur arrivee par la partie superieure de

l’immeuble. Dans un premier temps on a pense a

soulever et transporter les verres par helicoptere,

mais les conditions de securite imposees par la

Ville de Paris en ont deconseille l’usage; les

responsables du chantier ont donc ete contraints

d’opter pour la solution moins spectaculaire de la

construction d’un echafaudage et d’un systeme de

grue capable de soulever le poids important des

divers elements des vitrines. Pour les salles

d’exposition du musee realisees par l’architecte

Roberto Ostinelli, Goppion a fourni au total

125 vitrines. Certaines ont exige un travail tres

particulier pour repondre aux exigences du projet

museographique. L’architecte souhaitait que les

objets exposes dans les vitrines donnent

l’impression de flotter dans l’espace et par

consequent devraient etre soutenus par des

supports directement rattaches au verre. La

solution apportee par Goppion a ete d’eviter le

collage des supports au verre, qui n’aurait pas

garanti la stabilite dans le temps, avec des

consequences previsibles. Les supports ont donc

ete inseres dans le verre. Une experimentation

preliminaire complexe a ete necessaire pour

verifier la resistance structurelle des verres soumis

a de multiples perforations ainsi qu’aux forces dues

au poids des objets.

Le departement des arts islamiques du Louvre

La section des Arts de l’Islam du Louvre, inauguree

en septembre 2012, est une exposition qui, par la

complexite et la richesse des collections exposees,

peut sans aucun doute etre consideree comme

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l’evenement le plus important de la museographie

actuelle. Destinee a accueillir une des plus vastes

collections d’art islamique du monde, la nouvelle

section du Musee du Louvre occupe la Cour

Visconti, le dernier grand espace disponible assez a

l’interieur du palais. La cour a ete creusee, pour

recuperer un niveau souterrain. Le niveau original

de la cour a ete recouvert d’un toit, diaphane et

semi-transparent. Fait d’acier et de verre, protege

par un reseau geometrique ajoure, les deux

auteurs, les architectes Rudy Ricciotti et Mario

Bellini, ont qualifie cette structure respectivement

de ‘‘nuage dore’’ et de ‘‘aile de libellule’’, mais

beaucoup d’observateurs considerent comme une

allusion au voile islamique.

La nouvelle section dispose d’un espace

d’un peu plus de 4 500 m2 ou sont exposes, par

rotation, pense-t-on, 4 000 des 18 000 objets de la

riche collection du musee. La direction du chantier

de construction de la nouvelle section islamique a

reussi a garantir une organisation du travail

primordiale compte tenu des delais afin de

respecter la date d’ouverture. Plusieurs corps de

metier ont du travailler en meme temps dans le

meme espace : pose des pavages, montage des faux

plafonds, realisation de l’installation electrique

pour l’eclairage et la climatisation, transport,

peinture des parois, installation et montage des

vitrines et des elements d’exposition. Il n’en a pas

ete autrement pour la mise en place et le montage

des 105 vitrines, dessinees par Renaud Pierard, et

concues de facon a se glisser sans rupture dans le

paysage. Elles semblent le plus souvent emerger du

sol et masquent leur haute technologie en reportant

les dispositifs de tenue du verre dans leurs bases.

Elles sont constituees de verres extra blancs de

grandes dimensions assembles entre eux par collage

et s’ouvrent largement par coulissement. La

presentation est ordonnee, tour a tour dense pour

jouer la repetition des formes, ou aerees pour

mettre les œuvres majeures en exergue.

Beaucoup sont de dimensions importantes

dont une vitrine monumentale de 8 metres de long

au niveau du sol de la Cour Visconti sous la

lumiere voilee du ‘‘nuage dore’’. Disposees de

maniere irreguliere par rapport au plan des espaces

du musee, les vitrines sont intercalees avec des

panneaux verticaux revetus de pierre de couleur

grise et des embases inclinees sur lesquelles seront

exposes les tapis. Il suffit d’un coup d’œil au plan

de l’exposition pour comprendre combien le

montage de ces elements d’exposition a ete

complexe – vitrines, panneaux verticaux et

embases – sur un chantier en pleine agitation, sans

incident et dans un temps relativement bref. C’est

un aspect, celui du chantier et de son organisation,

qui echappe, helas, a ceux qui visitent le musee

une fois que chaque vitrine, chaque panneau et

chaque objet a trouve son emplacement definitif.

NOTES

1. Reid D.M., 2002 – Whose Pharaohs? University of California Press.

Berkeley.

2. Hassan F.A., 1988 – Memorabilia. Archaeological materiality and

national identity in Egypt. In Meskell L. (ed.), Archaeology Under Fire.

Routledge, London, p. 200-216.

3. Entre autres : Crill R., Stanley T. (eds), 2006 – The Making of the Jameel

Gallery of Islamic Art at the Victoria and Albert Museum. V&A Publica-

tions, London.

MUSEES ET TRANSFORMATIONS SOCIALES

118 Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.