L’Islam des arts : la nouvelle muséographie des arts islamiques
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L’Islam des arts : la nouvellemuseographie des arts islamiquesGiovanni Pinna
Giovanni Pinna a ete directeur du Musee d’Histoire Naturelle de Milan (Italie) ou il a travaille
comme conservateur des collections de paleontologie entre 1964 a 1996. Membre de
l’Associazione Nazionale Musei Scientifici (ANMS), il a aussi ete president d’ICOM-Italie pour
deux mandats ainsi que membre du Conseil executif d’ICOM International. Il a publie une
trentaine de livres et de tres nombreux d’articles sur des sujets relatifs a la paleontologie et a
la museologie. Il travaille en tant que consultant en museologie pour des institutions italiennes
et internationales.
Le monde des musees, comme chacun le sait,
est en fermentation incessante : de nouvelles
institutions apparaissent un peu partout, souvent
installees dans des batiments monumentaux,
signees par de celebres architectes qui ne
dedaignent pas de recourir a des formes originales.
Ce sont les memes architectes qui, ailleurs, sont
appeles a renover la forme et l’organisation des
galeries d’exposition d’institutions vetustes,
quoique glorieuses et riches. Dans cette situation
d’activite frenetique, entre innovation et
renovation, la museologie et la museographie n’ont
neglige aucun secteur de la culture : œuvres d’art,
objets archeologiques, elements historiques et
scientifiques et ouvrages techniques ont servi a
construire, avec un riche appareil de textes,
d’images et de nouvelles technologies de
communication, des exposes qui initient les
visiteurs, toujours plus nombreux, a une
connaissance globale.
Certains de ces musees, qui conservent
dans leurs collections les temoignages d’antiques
civilisations, ont ete en mesure d’evoquer dans
leurs expositions les civilisations anciennes
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disparues, les degres gravis par l’histoire du
monde, et les rapports culturels qui se sont
developpes avec le temps entre les diverses
civilisations. Beaucoup de ces musees allient dans
leurs expositions le passe et le present, comme le
Musee national d’Iran a Teheran ou plus de dix
millenaires d’histoire debouchent sur la civilisation
islamique. Ailleurs, des series de musees, dedies
chacun a un aspect particulier de l’histoire et de
l’art ou a une civilisation particuliere, creent une
collection ininterrompue de recits historiques :
c’est le cas, par exemple, des musees du Caire qui,
dans divers batiments de la ville, illustrent une
histoire qui a parcouru plus de six millenaires,
de l’Egypte pharaonique a l’Egypte moderne, en
passant par l’Egypte grecque, romaine, copte, et
l’Egypte islamique classique.
Le renouveau des arts islamiques
Un aspect important de la museologie de ces
dernieres annees est l’attention nouvelle que de
nombreuses institutions ont porte a la culture
islamique et a la valorisation des collections d’art et
des temoignages historiques et culturels de cette
civilisation profonde et multiforme. Cela s’est
produit soit dans d’importants musees
occidentaux, ou les collections d’art et de culture
islamique allochtones par rapport a la
communaute locale sont souvent l’expression d’un
antique superpouvoir politique, soit dans des
nations de culture islamique, ou ces collections
sont le produit historique, autochtone, des
communautes qui les composent. Il est indeniable
que dans ces deux cas ce qui conduit a une
attention nouvelle pour les collections et les
musees islamiques est le fruit d’un projet politique,
lequel poursuit pourtant des finalites differentes
selon que l’on parle de l’Occident ou des pays
islamiques.
Il me semble que l’on peut supposer que
pour l’Occident l’intention de renover la
presentation des collections islamiques represente
une ouverture, a la fois culturelle et politique, face
aux pays islamiques du Proche-Orient et des
rivages meridionaux de la Mediterranee, a laquelle
n’est pas etrangere la tentative d’attenuer le
souvenir d’un passe colonialiste ; tandis que pour
les pays de culture et de tradition islamiques la
renaissance des collections islamiques dans les
musees semble avoir plutot la signification d’une
revalorisation de la culture islamique au sens
nationaliste, d’une reappropriation du patrimoine
sous une forme qui etait traditionnellement un
heritage occidental.
Telles sont les motivations dont on peut
presumer qu’elles ont, au moins en partie, conduit
a la creation de plusieurs grands musees qui ont vu
le jour dans une periode recente, comme le Musee
d’art islamique a Doha (Qatar), le Musee Sharjah
de la civilisation islamique a Abu Dhabi et le Musee
national Zayed qui ouvrira prochainement ses
portes, toujours a Abu Dhabi. Pour d’autres
musees, une histoire longue, et parfois tourmentee,
oblige a rechercher des motivations plus
complexes. Je crois, par exemple, que la renovation
totale du Musee d’art islamique du Caire en 2010
peut etre liee a une double intention : d’une part,
comme acte ultime de reappropriation d’une
institution nee, en tant que Musee d’art arabe, dans
les annees de la domination culturelle de l’Egypte
par l’Occident, qui refletait, comme l’a ecrit Donald
Reid1 ‘‘la fascination de certains occidentaux pour un
‘‘Oriental other’’ esoterique; d’autre part, comme
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aboutissement d’une reecriture, a travers les
musees, d’une identite egyptienne qui – comme le
soutenait Fekri Hassan – puisse ‘‘integrer son passe
et reconnaıtre ses heritages pharaonique,
hellenistique et islamique et placer cet heritage
culturel bigarre dans la direction de la civilisation
mondiale’’2.
Ce sont, je crois, d’autres motivations qui
ont pousse plusieurs grands musees europeens
a renover leurs galeries d’art islamique. Sans
aucun doute, le progres des techniques
museographiques, avec les meilleures possibilites
de lisibilite et de conservation des objets qu’elles
offrent, et la tendance actuelle de la museologie a
proposer les colletions sous une forme narrative,
sont deux elements qui ont rendu inevitable la
realisation de nouvelles presentations des
collections d’art islamique dans des musees
comme le Victoria and Albert de Londres et le
Louvre de Paris. Mais il y a eu aussi, dans ces
cas, la volonte de construire un pont entre les
cultures occidentale et islamique, un pont
capable de guerir les blessures d’un colonialisme
qui n’a pas ete seulement culturel, et la
conscience de la responsabilite que tout musee
devrait avoir face a la conservation et a la
presentation de cultures ‘‘autres’’.
En cette meme annee 2012 qui a vu
l’ouverture de la nouvelle section des arts de
l’Islam du Louvre, un musee ne dans les annees
1980 a Paris et consacree au monde arabe a ete
profondement transforme; il est devenu la vitrine
d’un monde plus multiforme et plus articule que
celui que nous percevons en tant que monde
islamique. Il s’agit du musee de l’Institut du Monde
Arabe, lequel, sous la nouvelle forme voulue par
22 pays arabes qui, avec la France, ont donne vie a
l’Institut, se propose d’illustrer la globalite de la
culture arabe a travers ses mille facettes et les
differences ethnolinguistiques et confessionnelles.
Ces differences convergent cependant en un
heritage culturel commun. Il permet ainsi aux
visitateurs, comme l’ecrit Marie Foissy, Directeur
scientifique du projet, de decouvrir la ‘‘culture des
societes du monde arabe dans ses origines, son
elaboration et la continuite de ses vivantes racines’’.
De cela est ne un musee dont l’exposition ‘‘coule
comme un voyage, une histoire que l’on raconte,
tisse tant par les objets que par les textes
d’accompagnement, les images, les sons et les
parfums’’.
Ce bref panorama de quelques-uns des
plus recents evenements ayant implique les musees
et les collections d’art et de culture islamiques n’est
pas le prelude a l’objectif de mon article. Celui-ci
n’a pas en fait pour intention d’illustrer les diverses
realisations museales, l’organisation scientifique
de leurs expositions, les criteres museographiques
ou les systemes de communication adoptes; les
conservateurs et les designers qui ont cree ces
nouvelles installations et ces nouveaux musees ont
deja produits des guides et des textes d’illustration,
et ils en produiront bien d’autres3. Ce que je veux
souligner, en prenant pour point de depart
certaines des nouvelles realisations citees, c’est au
contraire la complexite du travail technique de
construction des expositions des musees, les divers
defis technologiques que tout musee doit affronter
pour garantir en meme temps la visibilite des
objets pour les visiteurs, leur conservation par
rapport aux agents atmospheriques, leur defense
contre les agents polluants, leur securite et leur
integrite. Complexite bien connue de ceux qui
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travaillent quotidiennement dans les musees mais
qui echappe au grand public; complexite qui
implique l’etude et l’adoption de techniques de
construction complexes, l’etude et la realisation
d’instruments propres a garantir la conservation
des objets, une organisation precise du travail dans
le temps et dans l’espace, la gestion des chantiers
sur place, afin que la construction et le montage
des elements d’exposition, l’installation des
elements d’eclairage, le delicat travail de
disposition des objets dans les vitrines, la mise en
œuvre de l’appareil didactique, etc., ne se genent
pas mutuellement.
Coherence narrative et problemes techniques
En ce qui concerne l’exposition de collections d’art
islamique, certains problemes specifiques se
posent, dont la solution depend en premier lieu de
la coherence du projet museographique, et en
second lieu des techniques de construction des
elements exposes. Par exemple, la diversite des
materiaux – verre, ceramique, pierre, cuir,
parchemin, papier – dont sont constitues les objets
implique des normes de conservation differentes,
ce qui serait soluble si l’on pouvait exposer les
objets separement selon leur typologie. Mais ceci
45. Les collections du Musee de l’Institut du Monde Arabe (Paris).
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est impossible pour des raisons de coherence de
la narration museale, d’ou la necessite d’etudier
un equilibrage des normes pour rendre la
conservation acceptable de maniere homogene. Le
probleme pose par la diversite des dimensions des
objets n’est pas different : il necessite l’etude et la
construction d’elements d’exposition ou des objets
tres petits aussi bien que tres grands puissent etre
lus aisement par le public ainsi qu’une etude
attentive de l’eclairage. Il est certain que ces deux
problemes ne se posent pas uniquement pour les
expositions d’art islamique, mais ils acquierent une
importance particuliere, car l’exposition doit
suivre un fil narratif par stades chronologiques ou
par secteurs, culturel ou social.
Les travaux qui ont conduit a la creation
recente de musees et galeries d’art islamique
m’ont donc semble offrir un champ d’analyse
interessant pour illustrer quelques-uns des defis
technologiques innombrables et divers que les
museologues, les designers de la museographie et
les constructeurs ont du affronter dans chaque
realisation pour garantir a la fois la conservation, la
securite et la visibilite de chaque objet ou de
l’ensemble de la collection exposee. J’ai extrapole,
46. Le departement des Arts de l’Islam du Musee du Louvre (Paris).
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du cheminement complique de la construction
technique et intellectuelle des expositions, un
aspect specifique : la complexite et l’extreme
delicatesse du travail de construction des vitrines
de presentation, car elles constituent, dans toute
exposition, l’element central de conservation et de
communication. Dans les musees d’art islamique,
comme dans d’autres typologies museales – par
exemple dans tous les musees archeologiques ou
d’art applique, ou la majeure partie des objets est
de dimension reduite et exige des soins particuliers
par rapport aux attaques d’agents atmospheriques
nocifs – les vitrines d’exposition doivent respecter
des conditions techniques. Celles-ci sont
necessaires pour garantir a la fois, et au mieux, la
securite des objets face aux agents atmospheriques
polluants et a d’eventuels actes de vandalisme.
L’accessibilite pour le personnel du musee dans le
cas des operations normales d’entretien et la
manipulation en toute securite, ainsi que la
47. La vitrine de presentation du tapis Ardabil dans la galerie des arts islamiques du Victoria & Albert Museum de Londres.
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48. Le Musee d’Art islamique du Caire.
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MUSEES ET TRANSFORMATIONS SOCIALES
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visibilite des objets exposes pour les visiteurs du
musee doivent ainsi etre garanti. Cela presuppose
la solidite des structures, l’utilisation de materiaux
non polluants lors de la construction, tels que les
bois ou peintures, des systemes d’ouverture qui
liberent des espaces d’accessibilite assez vastes et
simple a manœuvrer avec simplicite, de grandes
surfaces pour une lecture aisee des objets de
diverses dimensions, et enfin des systemes
d’eclairage adaptes a la conservation et a la lecture
des objets et des systemes actifs ou passifs de
controle de l’atmosphere interieure des vitrines.
Vient s’ajouter a cela le fait que les vitrines
d’exposition font partie integrante de la conception
generale d’une exposition museale. Elles sont
concues par des architectes et des responsables de
projet, et doivent respecter des contraintes
formelles. Cela presuppose, de la part de
l’entreprise de construction, la capacite de
conjuguer les possibilites fournies par la
technologie avec les exigences esthetiques.
La construction de vitrines qui respectent
toutes ces conditions n’est pas un travail qui
s’improvise, meme si de nombreux musees
peripheriques s’adressent, helas, a des constructeurs
improvises. Je m’en suis rendu compte en suivant,
en tant qu’observateur neutre, les travaux de
construction des vitrines pour les expositions de
quatre des recentes actualites museales liees a la
culture islamique : les Islamic Galleries du Victoria
& Albert Museum (Londres), le Musee d’art
islamique du Caire, le Musee de culture arabe de
l’Institut du Monde Arabe (Paris) et la nouvelle
section islamique du Louvre. Les vitrines de ces
institutions ont ete concues au Laboratoire
museotechnique Goppion (Milan) auquel ces
travaux avaient ete confies. Dans ce laboratoire, ou
se font l’etude des vitrines, l’elaboration de leurs
divers elements et la realisation de prototypes, j’ai
eu la possibilite d’un acces quasi quotidien pour
pouvoir etudier les diverses phases de travail, etude
qui s’est etendue, quoique plus brievement, aux
chantiers de montage in situ.
Les projets du Laboratoire de recherche Goppion :
le Victoria & Albert Museum
Pour le Laboratoire museotechnique Goppion,
je l’ai verifie, chaque realisation est un defi
technologique. Dans chacune des expositions
citees relatives aux arts de l’Islam, en dehors de
vitrines que l’on peut qualifier de d’usuelles par
leurs dimensions ou leurs conditions techniques,
il a fallu realiser un certain nombre d’exemplaires
uniques. Ces derniers ont mis a l’epreuve la
capacite des techniciens du laboratoire a inventer
des solutions qui, dans le respect des normes que
j’ai citees, en permettent la realisation.
Pour la Jameel Gallery d’art islamique du
Victoria & Albert Museum, Goppion a realise tous
les elements d’exposition : vitrines cloche pour les
petits objets, hautes vitrines murales avec volets
ouvrants de plusieurs metres pour l’exposition de
tapis, ainsi qu’une vitrine destinee au tapis Ardabil,
de facture iranienne, datant de 1539, aux
dimensions exceptionnelles (10,5 x 5 metres). Lors
de l’etude de l’exposition, les museologues du
Victoria & Albert Museum se sont demande
comment exposer l’un des plus grands tapis du
monde afin d’en distinguer tous les details et sans
mettre l’œuvre en peril. L’exposition au sol,
horizontalement, s’imposait. L’exposition verticale
du tapis n’aurait pu s’integrer a l’architecture en
arcades de la galerie, d’une part, et, d’autres part
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une vitrine verticale d’une telle dimension,
depourvue de joints, et ouvrable en un seul volet
pour l’entretien normal du tapis etait irrealisable.
De grandes vitrines murales a volet unique avaient
toutefois deja ete realisees par Goppion pour la
meme exposition au Victoria & Albert Museum, et
au Musee Poldi Pezzoli de Milan pour une vitrine
dessinee par Takashi Shimura pour exposer
verticalement un grand tapis de chasse persan du
15e siecle (682 x 335 cm). Dans le cas du tapis
Ardabil, le volet unique aurait ete vraiment trop
grand.
L’exposition horizontale du tapis a ete
choisie en outre pour creer une contextualisation
au moins partielle de l’objet. Il fallait d’une part
permettre la visibilite du tapis dans sa totalite, quel
que fut l’angle du parcours du visiteur. Il fallait
d’autre part, faire en sorte que le visiteur ait le
sentiment d’etre integre spatialement dans la
surface physique du tapis, tout en lui restant
exterieur. Le resultat devait etre comparable au
rapport ‘‘dedans et dehors’’ qui devait ainsi
permettre de rapprocher le plus possible le visiteur
du tapis. Un chef d’œuvre de technique
d’exposition a donc ete concu : une vitrine de
7 x 11 metres et haute de 3 metres, a parois de
verre antireflet soudees entre elles, depourvue
d’embase et de montants metalliques. Elle peut etre
soulevee d’un bloc grace a un systeme complexe de
vis telescopiques logees dans une fente du dallage
et commandees simultanement par une chaıne. Le
caisson etudie est dans l’evolution technologique
des elements d’exposition museaux. La
permeabilite optique du verre autorise ce rapport
‘‘dedans et dehors’’ auquel j’ai fait allusion et un
systeme d’eclairage variable et des dispositifs de
controle de l’air interieur garantissant la visibilite
et la securite de conservation. Ce n’est donc pas un
hasard si la vitrine du tapis Ardabil a remporte le
prix de ‘‘Best Commercial Fixture’’ au FX
International Interior Design 2006.
Le Musee d’Art islamique du Caire
En octobre 2010, apres des travaux de renovation
complexes, touchant le batiment du debut XXe
siecle et l’organisation des espaces de service et
d’exposition, le Musee d’Art Islamique du Caire a
ouvert ses portes. Adrien Gardere, le scenographe
charge du projet, a organise les espaces interieurs
en respectant l’architecture de l’edifice. Une salle
centrale rappelle la qa’a caracteristique de
l’architecture civile medievale egyptienne, et les
salles d’exposition et les parcours de visite sont
organises par rapport a cet espace central. Le mode
d’organisation spatiale, un espace central autour
duquel le visiteur evolue, a prevalu a tous les
dispositifs museographique et compris les vitrines.
Tout en respectant les proportions
originales de l’interieur du batiment, le
scenographe a utilise au mieux les perspectives et
exploite les niches et les arcades pour installer des
objets et des vitrines. Une etroite symbiose entre
l’edifice et les objets exposes se degage ainsi qui a
conduit ce musee a recevoir le prix
Museum+Heritage International Awards 2011.
Quatre-vingt-six vitrines-cloche ont ete
realise par Goppion, entierement en verre,
depourvues de montants et posees sur des embases
de pierre. L’impression generale qui se degage de
l’exposition est d’une extreme legerete de
l’ensemble. Les quelque 2500 objets exposes
donnent l’impression de leviter dans l’espace. Cinq
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vitrines sur table de 5 m de long et surmontees
d’une cloche de verre d’une tonne, ont donne lieu a
un systeme complexe d’ouverture pour les travaux
d’entretien, de controle et de manipulation des
objets. Un systeme d’elevation de verre a ete mis au
point qui garantit son integrite pendant le
mouvement d’ouverture par la parfaite
synchronisation des moteurs qui interdit toute
torsion.
Au-dela de la complexite des travaux de
restauration du batiment et de la reflexion globale
sur l’exposition, l’edifice qui donne sur l’un des
quartiers les plus actifs du Caire a mis les auteurs
du projet et les constructeurs face a deux
problemes lies a la conservation des objets : d’un
cote, la force du soleil egyptien, penetrant par les
vastes baies vitrees ouvrant sur l’exterieur, et de
l’autre la pollution et le sable qui souvent s’abat sur
le Caire. Le Laboratoire museotechnique Goppion
a etudie un systeme de vitrines qui garantisse la
purete de l’atmosphere interieur, indispensable
pour la conservation des objets.
L’Institut du Monde Arabe
Au debut de l’annee 2012 le nouveau musee de
l’Institut de Monde Arabe a ete inaugure a Paris.
L’’architecture interieure et la localisation du
musee dans les etages elevees impose de
nombreuses contraintes a l’organisation du
chantier, relatives notamment au transport et au
montage des materiaux et des elements
d’exposition. Pour certaines vitrines aux parois de
verre particulierement grandes (2,5 x 4,2 m), la
mise en place dans le musee au quatrieme etage du
batiment de Jean Nouvel a pose certains problemes
de depassement des barrieres architectoniques.
Comme il etait impossible de faire parvenir ces
elements sur le lieu du montage definitif par
l’interieur de l’edifice, il a fallu inventer un systeme
permettant leur arrivee par la partie superieure de
l’immeuble. Dans un premier temps on a pense a
soulever et transporter les verres par helicoptere,
mais les conditions de securite imposees par la
Ville de Paris en ont deconseille l’usage; les
responsables du chantier ont donc ete contraints
d’opter pour la solution moins spectaculaire de la
construction d’un echafaudage et d’un systeme de
grue capable de soulever le poids important des
divers elements des vitrines. Pour les salles
d’exposition du musee realisees par l’architecte
Roberto Ostinelli, Goppion a fourni au total
125 vitrines. Certaines ont exige un travail tres
particulier pour repondre aux exigences du projet
museographique. L’architecte souhaitait que les
objets exposes dans les vitrines donnent
l’impression de flotter dans l’espace et par
consequent devraient etre soutenus par des
supports directement rattaches au verre. La
solution apportee par Goppion a ete d’eviter le
collage des supports au verre, qui n’aurait pas
garanti la stabilite dans le temps, avec des
consequences previsibles. Les supports ont donc
ete inseres dans le verre. Une experimentation
preliminaire complexe a ete necessaire pour
verifier la resistance structurelle des verres soumis
a de multiples perforations ainsi qu’aux forces dues
au poids des objets.
Le departement des arts islamiques du Louvre
La section des Arts de l’Islam du Louvre, inauguree
en septembre 2012, est une exposition qui, par la
complexite et la richesse des collections exposees,
peut sans aucun doute etre consideree comme
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l’evenement le plus important de la museographie
actuelle. Destinee a accueillir une des plus vastes
collections d’art islamique du monde, la nouvelle
section du Musee du Louvre occupe la Cour
Visconti, le dernier grand espace disponible assez a
l’interieur du palais. La cour a ete creusee, pour
recuperer un niveau souterrain. Le niveau original
de la cour a ete recouvert d’un toit, diaphane et
semi-transparent. Fait d’acier et de verre, protege
par un reseau geometrique ajoure, les deux
auteurs, les architectes Rudy Ricciotti et Mario
Bellini, ont qualifie cette structure respectivement
de ‘‘nuage dore’’ et de ‘‘aile de libellule’’, mais
beaucoup d’observateurs considerent comme une
allusion au voile islamique.
La nouvelle section dispose d’un espace
d’un peu plus de 4 500 m2 ou sont exposes, par
rotation, pense-t-on, 4 000 des 18 000 objets de la
riche collection du musee. La direction du chantier
de construction de la nouvelle section islamique a
reussi a garantir une organisation du travail
primordiale compte tenu des delais afin de
respecter la date d’ouverture. Plusieurs corps de
metier ont du travailler en meme temps dans le
meme espace : pose des pavages, montage des faux
plafonds, realisation de l’installation electrique
pour l’eclairage et la climatisation, transport,
peinture des parois, installation et montage des
vitrines et des elements d’exposition. Il n’en a pas
ete autrement pour la mise en place et le montage
des 105 vitrines, dessinees par Renaud Pierard, et
concues de facon a se glisser sans rupture dans le
paysage. Elles semblent le plus souvent emerger du
sol et masquent leur haute technologie en reportant
les dispositifs de tenue du verre dans leurs bases.
Elles sont constituees de verres extra blancs de
grandes dimensions assembles entre eux par collage
et s’ouvrent largement par coulissement. La
presentation est ordonnee, tour a tour dense pour
jouer la repetition des formes, ou aerees pour
mettre les œuvres majeures en exergue.
Beaucoup sont de dimensions importantes
dont une vitrine monumentale de 8 metres de long
au niveau du sol de la Cour Visconti sous la
lumiere voilee du ‘‘nuage dore’’. Disposees de
maniere irreguliere par rapport au plan des espaces
du musee, les vitrines sont intercalees avec des
panneaux verticaux revetus de pierre de couleur
grise et des embases inclinees sur lesquelles seront
exposes les tapis. Il suffit d’un coup d’œil au plan
de l’exposition pour comprendre combien le
montage de ces elements d’exposition a ete
complexe – vitrines, panneaux verticaux et
embases – sur un chantier en pleine agitation, sans
incident et dans un temps relativement bref. C’est
un aspect, celui du chantier et de son organisation,
qui echappe, helas, a ceux qui visitent le musee
une fois que chaque vitrine, chaque panneau et
chaque objet a trouve son emplacement definitif.
NOTES
1. Reid D.M., 2002 – Whose Pharaohs? University of California Press.
Berkeley.
2. Hassan F.A., 1988 – Memorabilia. Archaeological materiality and
national identity in Egypt. In Meskell L. (ed.), Archaeology Under Fire.
Routledge, London, p. 200-216.
3. Entre autres : Crill R., Stanley T. (eds), 2006 – The Making of the Jameel
Gallery of Islamic Art at the Victoria and Albert Museum. V&A Publica-
tions, London.
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