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SYNTHÈSE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE AU CŒUR DES NOUVEAUX DEFIS POUR LES ORGANISATIONS > 25 novembre 2015, à Pantin

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SYNTHÈSE

L’INTELLIGENCE COLLECTIVE AU CŒUR DES NOUVEAUX DEFIS POUR LES ORGANISATIONS

> 25 novembre 2015, à Pantin

Pantin, le 25 novembre 2015 2

SOMMAIRE

Ouverture du colloque 3

Table ronde : Les nouveaux défis pour les organisations 4

Conférence-débat : La transition fulgurante 9

Conférence-débat : L’impact du numérique et l’accompagnement des organisations dans leur

digitalisation 15

Table ronde : Management et intelligence collective : le rôle et la posture des dirigeants 19

Conclusion 23

Les propos énoncés dans ce document n’engagent que la responsabilité de la personne citée.

Ouverture du colloque

Carine HERTEL (Responsable Pole de management à l’INET)

Bonjour à tous, je vous remercie de participer à cette journée née d’une volonté de croiser les regards sur l’intelligence collective.

Dominique LAGRANGE (Directeur adjoint de l’INET en charge de la formation)

Merci Carine pour le travail accompli. L’enjeu des Mercredis de l’INET consiste à identifier les interlocuteurs pour engager un travail réflexif et prospectif sur les actions publiques locales. Je vous annonce que les ETS se dérouleront les 2 et 3 décembre à Lyon, que l’offre de formation 2016 de l’INET est en ligne et que les campagnes d’inscription pour les cycles professionnels sont ouvertes.

Jean-Pierre HUREAU (Animateur, consultant en dynamique des organisations)

Bonjour à toutes et à tous. La question du collectif semble être un fondement incontournable de nos organisations. J’observe pourtant simultanément que la question du collectif n’est pas si simple à mettre en œuvre. Un membre d’un CODIR doutait récemment de la pertinence de laisser la possibilité aux salariés de remettre en cause les choix de l’entreprise. Un autre m’indiquait qu’il demandait à ses équipes de travailler de manière ahiérarchique et de mettre en œuvre elles-mêmes leurs idées. Ces conceptions doivent être respectées. L’importance d’organiser la participation des producteurs est pourtant soulignée de longue date.

L’intelligence collective implique de travailler ensemble. Dominique CHRISTIAN nous expliquera certainement au cours de cette journée que l’intelligence collective est plurielle et qu’il n’y a d’intelligence que collective. Vous entendrez aujourd'hui des témoignages de personnes ayant mis en

place de telles logiques. Vous pourrez ainsi créer votre propre définition de l’intelligence collective à la fin de la journée. Edgar MORIN soulignait que l’un des principaux enjeux s’imposant au monde est celui de la compréhension.

Je dois par ailleurs vous signaler que notre intervenante, Marie-Claude SIVAGNANAM, ne pourra pas assister à nos échanges et sera remplacée par un directeur général adjoint, Georges WAYMEL.

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Table ronde : Les nouveaux défis pour les organisations France BURGY, Directrice générale des services de la région de Haute-Normandie Jacques CHAIZE, Président de SOL France Tania DAMMERT, Directrice du campus RH d’Orange

Jean-Pierre HUREAU

Jacques CHAIZE a dirigé une PME et préside actuellement SOL France. Comment as-tu mis en œuvre l’intelligence collective dans ton entreprise ?

Jacques CHAIZE

Je me suis interrogé sur la définition que je pourrais donner à intelligence collective. Je me demande généralement si la valeur du résultat obtenu est supérieure ou inférieure à la somme des intelligences rassemblées dans le travail collectif. C’est impossible à mesurer, mais il faut se poser la question. La définition de l’intelligence collective importe peu mais ses effets sont essentiels.

Je revendique ma légitimité à intervenir sur le sujet de l’intelligence collective car j’ai dirigé la même entreprise pendant 30 ans. J’ai de nombreux amis qui ne sont restés que trois ans à la tête d’entreprise dans lesquelles ils ont mis en place une logique d’intelligence collective sans en observer les conséquences ; j’ai pour ma part dû assumer le poids de mes erreurs en la matière. J’en ai réalisé trois à mon sens.

La première consiste à consacrer 100 % des efforts d’une organisation à l’exploitation et 0 % à l’exploration, qui est pourtant le lieu dans lequel s’exprime l’intelligence collective. L’exploration ne doit pas être menée uniquement au sein de séminaires du CODIR mais à tous les niveaux de l’entreprise, du salarié au dirigeant. Se poser des questions ne fait habituellement pas partie de la vie d’une entreprise. Mon premier conseil serait

donc d’examiner votre organisation pour vous assurer que vous poursuivez une réelle démarche d’exploration.

Mon deuxième sujet repose sur le principe que l’intelligence collective n’est pas statique et doit se renouveler régulièrement dans une logique d’apprentissage. J’ai participé à un groupe de travail dans les années 90 consacré au développement de l’intelligence collective. Nous avons découvert les nombreux travaux entrepris sur le sujet aux Etats-Unis et en France. Il m’est apparu que nous pouvions avoir une organisation apprenante dans sa conception alors même que les salariés ne le sont pas. Peter SENGE considère dans son ouvrage « La cinquième discipline » qu’il existe cinq disciplines à maîtriser individuellement et collectivement pour devenir une entreprise apprenante. Au niveau individuel, il faut être prêt à recevoir des données différentes de celles avec lesquelles on fonctionne. Ce concept renvoie à la volonté d’apprendre. La deuxième discipline impose d’être conscient des modèles mentaux qui nous gouvernent et d’être capable d’en sortir pour accepter un nouveau modèle. Les sociétés qui n’acceptent pas l’uberisation fonctionnent sur des modèles mentaux différents de ceux de leurs concurrents.

L’intelligence collective est une interaction qui implique une vision partagée. Ces deux disciplines sont essentielles. Créer le dialogue dans une entreprise revient pour beaucoup à ouvrir la boîte de Pandore. Il est fréquemment conseillé aux présidents d’instances de ne pas inclure un point Questions diverses à l’ordre du jour de leurs réunions. Ce sujet permet pourtant d’ouvrir des sujets qui ne sont pas prévus mais qui permettent de construire quelque chose. L’intelligence collective se situe dans ce sujet.

La cinquième discipline résulte du constat que l’intelligence ne se déploie pas et dépend du contexte. On ne peut pas déployer une solution indépendamment du contexte. Cette cinquième discipline est donc l’intelligence systémique.

Dans un troisième temps, je souhaite souligner que les ressources s’achètent alors que l’intelligence collective ne s’achète pas si les personnes qui la possèdent ne veulent pas la vendre. Les mécanismes

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d’intéressement et de participation sont inefficaces pour motiver les salariés. L’intelligence collective ne peut se développer que si nous travaillons sur la motivation intrinsèque et l’inclusion des personnes. Les salariés ne donneront leur intelligence que s’ils comprennent la stratégie pour pouvoir l’incarner dans leurs actes quotidiens.

Jean-Pierre HUREAU

J’ai été provocateur dans ma présentation, mais il existe forcément une forme d’individualisation de l’intelligence collective par frottement. Tania DAMMERT souhaite nous parler d’une nouvelle forme d’apprentissage collectif et nous proposer un nouveau regard sur le développement des compétences à l’heure du digital. Cette démarche ne s’adresse pas à des personnes digital natives mais aux gens comme nous.

Tania DAMMERT

Orange est une grande entreprise qui se transforme pour s’adapter aux évolutions du monde et de ses clients. Notre projet stratégique est centré sur l’expérience client. La symétrie des intentions nous oblige à revisiter notre relation avec les salariés afin de proposer une expérience comparable à celle de nos clients. Nous devons donc réviser nos modes de fonctionnement en interne en travaillant sur les trois piliers de la compétence, de l’agilité collective et l’engagement.

Le DRH du Groupe a posé ce cadre d’autorisation en décidant la création de la Villa Bonne Nouvelle comme lieu d’observation, d’expérimentation et d’exploration des nouveaux modes de travail.

La Villa est un espace physique dans lequel ont embarqué des équipes volontaires pour tenter de passer de l’économie de la subordination à l’économie du co : le collaboratif, le comaking, le coworking, et le construire ensemble. Les trois équipes projets ont vocation à produire de la performance économique et sociale.

Ce lieu est ouvert à d’autres que nous, à savoir des start-up, des artistes en résidence ou des designers dont les méthodes de

travail sont différentes des nôtres. L’expérimentation vise à déterminer comment vivre ensemble pour délivrer des produits en fonction de variables de temps, d’aménagement du lieu, d’ouverture, de management et de collaboration.

Je dispose d’une équipe de six ingénieurs sur le campus. La moyenne d’âge de la filière est de 51,7 ans, ce qui apporte une réponse à la remarque de Jean-Pierre HUREAU sur les digital natives. J’ai constaté que la collaboration fonctionne lorsque l’on a des moments pour apprendre qui est l’autre. La Villa nous permet de nous retrouver en dehors des temps de travail pour réaliser ce que nous pouvons nous apporter mutuellement. L’essentiel réside dans cet échange, dans ce que nous pouvons apprendre au contact de l’autre. Il faut être ouvert à l’autre et accepter de dire « je ne sais pas ». Nos ingénieurs peuvent jouer au ping-pong ou faire du skateboard, ils échangent avec des jeunes qui montent des start up dans une logique de frottement. La démarche repose sur la capacité de chacun à remettre en cause sa manière de fonctionner et à accepter l’autre pour ses compétences plutôt que pour ce qu’il représente dans un organigramme. L’équipe a également appris que la diversité des profils et des expériences devait être valorisée : le fait de ne pas être expert sur un sujet permet d’apporter un regard neuf et d’identifier de nouvelles solutions. Cette logique peut conduire à inviter des personnes ne participant habituellement pas aux réunions afin de bénéficier de leur approche novatrice.

J’ai incité ces équipes à prendre du temps dans leur semaine de travail pour aller voir dehors afin de sortir de leur périmètre de confort.

Jean-Pierre HUREAU

Tania DAMMERT s’est appuyée plusieurs fois sur les propos de Jacques CHAIZE dans une logique d’intelligence collective. Je vous propose d’écouter France BURGY, qui aborde particulièrement la question des doutes pouvant être rencontrés dans un contexte de fusion des régions.

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France BURGY

Les agents savent que leur responsable et l’ensemble de l’exécutif pourraient quitter la région dès le 4 janvier en cas d’alternance. J’utilise la notion de réflexe nombril pour décrire le repli sur soi lorsque tous les fondamentaux du milieu professionnel sont attaqués. Cette attitude donne naissance à des initiatives compétitives consistant pour des équipes ou des individus à valoriser leur travail. Il est difficile de mettre en place une logique d’intelligence collective dans un tel contexte.

Nous avons donc fait en sorte de mener des chantiers phares qui resteront viables quel que soit le résultat des élections. Ces projets d’intelligence collective devaient permettre d’identifier des marqueurs identitaires pour les populations locales. Nous avons également lancé des chantiers fonctionnels avec pour seule consigne d’observer un principe de non-régression : ce qui marchait à un endroit devait impérativement être exporté ailleurs. La dématérialisation des courriers entrants et sortants mise en place par une région a ainsi été retenue par l’autre région.

Pour donner de la force à notre action, nous avons organisé tous les trois mois une assemblée générale d’information des élus. Nous ne pouvons pas adopter une logique de pilotage d’entreprise sans y associer les élus ; dans le cas inverse, les élus pourraient être tentés de casser l’intelligence collective mise en place.

Nous avons réussi à créer un collectif de travail malgré le contexte. Les collègues ont cessé de se considérer comme des concurrents. Nous avons observé une forte baisse de la tension initiale alors que nous approchons de la zone de rupture. Nous avons ressenti avant l’été un besoin de réassurance parmi les populations ne participant pas aux chantiers. Nous avons donc demandé au siège de rédiger un plan de continuité de l’action avant et après les élections.

Les chantiers qui fonctionnent sont ceux dans lesquels il existe une réelle volonté de mixage. Les résistantes ont été rencontrées davantage dans le fonctionnel que dans l’opérationnel. La difficulté principale résidait

dans le double pilotage hiérarchique et politique. La régulation ne pouvait pas s’opérer correctement car les régions n’avaient pas connaissance des pratiques de l’autre région. Cette méconnaissance était bilatérale. Les personnes en difficulté dans les chantiers sont celles qui sont les plus ancrées dans leur poste et dans leurs pratiques ; ces populations ont tendance à bloquer les évolutions sans que nous ne puissions les rassurer sur leur place dans l’organisation future.

Nous n’avions pas une dynamique suffisamment forte pour entraîner les Wait and See et le temps était trop court pour leur expliquer la complexité de la nouvelle organisation. Je vous conseille donc de rester pragmatique et de prioriser les sujets. L’essentiel est de libérer les énergies.

Le processus collaboratif peut fonctionner si nous définissons son cadre. Il ne faut pas faire croire qu’il n’y a pas une ligne de partage ; à défaut, l’intelligence collective devient une inquiétude collective. Nous avons donc communiqué des feuilles de route écrites avec des livrables prédéfinis. Il faut également avoir suffisamment de retours pour procéder aux arbitrages nécessaires. En dernier lieu, il ne faut pas garantir un avenir sur lequel nous ne pouvons pas nous engager, en laissant par exemple entendre que les nouveaux élus reprendront les projets entamés.

Notre responsabilité est d’assurer la continuité du service public malgré les changements d’organisation. Nous pouvons remédier aux angoisses en apportant une sécurité sur l’environnement de travail. Nos systèmes d’information sont interconnectés, nos logiciels financiers sont semblables et la comptabilité des deux régions est unifiée. Il faudra enfin lancer les équipes sur des projets impliquant l’usager dès le 4 janvier.

Tania DAMMERT

Je souhaite réagir sur la question du cadre. Nous avons choisi de faire définir le cadre par les participants de la Villa eux-mêmes. Les équipes se sont fixé leurs propres jalons et ont restitué l’un des livrables avant le délai prévu.

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Nous devons également nous interroger sur la confrontation des équipes au reste de l’entreprise. Il faut organiser des animations et identifier des projets communs pour travailler ensemble

Jacques CHAIZE

Vous avez évoqué l’inclusion des élus dans le processus. Le développement de l’intelligence collective est effectivement lié à l’inclusion d’un maximum de parties prenantes. Vous avez insisté sur la nécessité d’assurer la continuité du service public et la sécurité de l’environnement. Dans cette optique, il ne faut jamais perdre de vue l’objet social de l’entreprise et la nécessité de respecter les personnes partageant l’intelligence collective. J’ai accompagné un patron sur un chantier et celui-ci était mortifié par le manque total de respect de son entreprise à l’égard des salariés au regard de leurs conditions de travail. Les salariés ne peuvent pas développer leur intelligence collective s’ils ne sont pas respectés dans leur travail.

France BURGY

Je tiens à préciser que les feuilles de route ont été écrites par les équipes elles-mêmes. Nous n’avons fait que les valider.

Jacques CHAIZE

Pour qu’une équipe soit apprenante, il faut que la question appartienne à l’équipe, que la réponse appartienne à l’équipe, qu’un candide soit systématiquement identifié dans une équipe, et que le client y soit également associé.

De la salle

Je n’approuve pas la distinction entre la stratégie et l’opérationnel. Nous avons parfois de grandes idées sans assurer le suivi de leur mise en œuvre.

L’intelligence collective ne constitue pas à mon sens une finalité mais un moyen. Comment pouvons-nous mettre en œuvre l’intelligence collective lorsque les décisions

sont prises en comité de direction ou en comité technique ?

De la salle

Notre collectivité est confrontée à la difficulté d’associer les agents aux projets. Comment avez-vous réussi à intégrer l’ensemble des publics dans vos démarches ?

De la salle

Un sociologue m’a expliqué que la personne qui anime la réunion doit avoir plus d’idées que les personnes y assistant. Cette opinion me semble contre-intuitive par rapport à l’idée que je me fais de l’intelligence collective.

De la salle

Je souhaite savoir comment vous envisagez la place des organisations syndicales dans cette logique d’intelligence collective.

De la salle

En dehors des lieux ou des moments dédiés à la mobilisation de l’intelligence collective, estimez-vous qu’il pourrait exister d’autres pistes permettant de mobiliser en permanence l’ensemble des acteurs pour aboutir à une amélioration continue de la performance ?

France BURGY

Nous nous sommes interrogés sur l’association de l’ensemble des agents à notre démarche. Notre chantier Courrier a été pensé par les équipes dédiées à cette activité ; celles-ci se sont interrogées sur des sujets que nous n’avions pas envisagés, tels que la charge de travail liée à la rematérialisation des courriers. Nous avons également ouvert un chantier participatif avec tous les agents techniques des lycées. Leurs témoignages étaient très intéressants mais ces personnes n’ont pas l’habitude de s’exprimer. Les représentations syndicales prennent parfois le dessus et se saisissent de ces opportunités d’expression pour aborder d’autres sujets.

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Nous avons proposé une information régulière sur les chantiers en cours. Les organisations syndicales étaient destinataires de ces communications et ont pu participer à des ateliers spécifiques sur la gouvernance RH.

Tania DAMMERT

L’expérimentation ne doit pas devenir pérenne pour les équipes embarquées, ce qui pose la question de la sortie. Il faut diffuser l’expérimentation par pollinisation. Les mentors se sont appliqué à eux-mêmes les nouvelles méthodes de travail. L’objectif n’est pas de dupliquer les lieux mais d’aboutir à ce qu’ils se transforment.

Nous avons collaboré avec l’ensemble des CHSCT d’un périmètre donné afin qu’ils travaillent ensemble sur la question du travail, qui doit être remise au cœur des préoccupations de l’instance.

Je doute que l’animateur ait plus d’idées que les participants. Celui-ci est cependant garant de l’ambition et de la vision.

Jacques CHAIZE

La dichotomie entre stratégie et opération renvoie à la césure entre les personnes qui réfléchissent et celles qui exécutent. Les personnes très diplômées sont censées tout savoir et n’envisagent pas d’admettre une erreur quand les personnes ayant moins réussi à l’école sont persuadées qu’elles auront du mal à apprendre.

Il est essentiel de s’assurer que toute la chaîne managériale est ancrée sur le terrain. Le travail sur powerpoint, hors site, ne s’appuie pas sur la réalité mais sur des ressentis. Il faut donc ancrer l’amélioration continue dans le quotidien. Vous ne respecterez pas les gens en vous rendant sur le terrain pour leur serrer la main mais en restant à leurs côtés pour observer comment ils travaillent.

Tania DAMMERT

Les personnes qui ont le plus de mal à évoluer sont celles qui ont l’expertise la plus forte. Reconnaître qu’on ne sait pas faire ou

qu’on a besoin des autres est particulièrement difficile pour ces populations, qui se sentent dépossédées de leur métier et de leur expertise.

Les start-up nous ont demandé de les challenger sur ce qu’elles ont produit. Ce mode de fonctionnement novateur a inspiré nos équipes.

France BURGY

Il faut évoluer d’une logique d’appartenance à une structure à une démarche de construction mutualisée du service public. A défaut, vous risquez d’observer une uberisation de vos collaborateurs qui chercheront leur référent chez celui qui règlera leur problème, quel que soit son niveau hiérarchique.

De la salle

Les équipes ont cependant besoin de constater l’existence d’une stratégie et d’un pilotage. Il faut identifier les responsabilités de chacun. Les objectifs théoriques doivent être définis par le pilote et ne peuvent pas être négociables, mais sont amendés par les opérationnels. A contrario, les moyens d’y parvenir doivent être proposés par les opérationnels et amendés par la hiérarchie.

France BURGY

Il faut réancrer l’équipe qui produit dans le réel.

Jacques CHAIZE

Le chemin menant à l’intelligence collective n’est pas confortable car il heurte nos routines, nos façons de penser et nos façons de nous percevoir. Il appartient au patron de sécuriser les salariés sur ces sujets. Dans le secteur privé, il faut également apprendre à faire patienter les actionnaires.

Tania DAMMERT

L’important n’est pas le but mais le chemin pour y parvenir.

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Conférence-débat : La transition fulgurante

Pierre GIORGINI Président recteur de l’université catholique de Lille

Jean-Pierre HUREAU

Pierre GIORGINI a été le directeur du développement des ressources humaines au sein du groupe Orange et a créé une école d’ingénieur. Il a également été directeur général adjoint de Pôle Emploi.

Pierre GIORGINI

Nous allons évoquer ensemble la transition fulgurante. Les ventes de mon livre sur le sujet ont dépassé les 10 000 exemplaires, ce qui démontre l’intérêt apporté au sujet. Les lecteurs me disent merci mais me demandent ce qu’il faut désormais en faire.

Il m’apparaît que ce livre ne constitue pas un exercice de prospective car nous entrons dans une période d’imprévisibilité. La notion de « transition fulgurante » constitue un oxymore reflétant la sensation que nous avons de tout voir bouger rapidement. Mon intention n’était donc pas de faire une prospective mais de mettre en perspective la transition que connaît notre monde. Certains anthropologues estiment que nous sommes entrés dans une phase de métamorphose comparable à la sédentarisation des chasseurs cueilleurs. Cette évolution n’a cependant pas eu lieu en 3 000 ans mais en un demi-siècle.

Je suis ingénieur de formation, mais j’ai appris la philosophie sur le tard. Il m’apparaît que notre monde doit être étudié avec les regards de la raison et de la spiritualité. Mes livres commencent toujours par des contes car la narration mobilise dans le cerveau des zones plus différenciées que la simple conceptualisation et peut nous aider à avoir une compréhension intégrale des sujets. Comprendre consiste à raisonner et à conceptualiser à partir d’objets que nous manipulons par la pensée. Il peut cependant arriver que nous comprenions un jour un sujet de manière intégrale alors que nous

pensions le comprendre depuis plusieurs années.

Suite aux attentats du 13 novembre, j’ai envisagé d’annuler toutes mes conférences. Je fais en sorte d‘ouvrir une perspective à 20 ans dans mes travaux mais ces actes nous confrontent à l’immédiateté de l’horreur. J’ai appelé un ami qui m’a déclaré que ces événements doivent donner l’occasion de regarder loin et haut, comme je le préconise dans mes écrits. J’ai donc fait le choix de n’annuler aucune conférence. Ces événements nous poussent à nous replier alors que nous devrons regarder haut et loin.

Je fais partie des ingénieurs qui ont approuvé et défendu un article paru dans le Monde en 1983 et intitulé : « internet : zéro milliard de bit, zéro milliard de chiffre d’affaires, pas de modèle économique. L’avenir c’est le Minitel. » Cette prise de position vous en dit long sur ma capacité prospective. Je me souviens d’une réunion chez France Telecom au cours de laquelle un jeune américain nous avait affirmé que le Minitel serait mort dans vingt ans. Nous l’avions mis à la porte. Un grand ingénieur, acquis depuis à la net company, avait entrepris de démontrer que son propos était totalement faux. Il faut cependant se rappeler du contexte de l’époque : 70 % de notre création de valeur résidaient dans la location de lignes fixes à la durée et nous ne pouvions donc pas concevoir un tel effondrement des coûts fixes. Il nous paraissait impossible d’envisager que le réseau se déhiérarchise et qu’un protocole asynchrone transmette plusieurs gigabits alors que nous passions au mieux 9 600 bits par seconde. J’attire régulièrement l’attention des ingénieurs assistant à mes conférences sur le risque de rencontrer la même situation lorsqu’ils ironisent sur les travaux de Rifkin.

J’avais la sensation de participer à l’augmentation des richesses, d’améliorer les conditions de vie et de créer de la valeur globale lorsque j’ai rejoint France Telecom. Je demande souvent aux chefs d’entreprise s’ils considèrent que leurs salariés ont eux aussi l’impression d’être co-créateurs d’une valeur globale en travaillant chez eux.

Je travaillais depuis longtemps sur les problématiques des réseaux apprenants et de l’intelligence collective lorsque j’ai participé à un séminaire au cours duquel

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Langdon Morris a évoqué les nuages d’étourneaux et leur modélisation par les scientifiques. Il ressortait de ses travaux que l’enveloppe d’un nuage d’étourneaux est toujours quasiment égale à un compromis mathématique entre la pénétration dans l’air, la vitesse, et le fait qu’il n’y ait jamais d’accidents d’étourneaux. Il n’existe aucune puissance de calcul capable de piloter un nuage composé de drones alors que nous pouvons réaliser mille milliards d’opérations par seconde. Nous avons tenté de reproduire un tel nuage nous-mêmes, en courant au milieu de la salle, mais nous n’y sommes pas parvenus. Nos mécanismes internes nous conduisaient à faire des prédictions ou à définir une feuille de route alors que l’essentiel consistait à lâcher prise. Les étourneaux ont moins d’appréhensions grâce à leur vision à 360 degrés et obéissent à un algorithme très simple : ils ralentissent ou se déplacent lorsqu’ils perçoivent un obstacle.

Ce passage du mode de l’horloge au mode coopératif maillé constitue une transformation de fond. Je ne fais cependant pas partie de ceux qui s’engagent dans le militantisme pour le maillé coopératif car celui-ci peut aboutir à des formes de domination et d’aliénation plus subtiles que le lien hiérarchique. Il convient donc d’observer cette transformation avec un certain recul. Certaines personnes estiment que le maillé coopératif porterait l’autonomisation et diminuerait la souffrance au travail, mais les statistiques n’en apportent pas la preuve. Le psychanalyste Jacques Arènes estime pour sa part qu’il faut une portance psychique et sociale pour travailler en maillé coopératif. La nécessité de nouer des alliances inédites dont vous êtes à l’initiative pour résoudre des problématiques n’est pas comparable avec le fait d’être installé dans un poste de travail et d’appliquer des procédures.

Une société américaine a travaillé sur la problématique des personnes enfouies à la suite d’un tremblement de terre ou d’un bombardement. Ce laboratoire a mis au point un circuit pouvant être branché sur le dos des blattes afin de les contrôler pour explorer ces décombres. Le projet ne faisait pas débat au plan éthique. Une autre société a cependant pris connaissance de ce projet et a commercialisé le dispositif pour que les parents puissent l’offrir à leurs enfants. Les débats éthiques ont débuté à cette occasion. Il a été considéré que cette offre s’inscrivait

dans une démarche de toute puissance sur le vivant, ou « d’arraisonnement de la nature » comme le disait Heidegger. Mes étudiants ont pu souligner le fait qu’une cravache offrait le même pouvoir sur un cheval, mais il serait faux de penser que l’on peut imposer sa volonté à un cheval.

Ces différentes anecdotes démontrent que nous vivons une période de transition technoscientifique sans précédent. Les potentialités de destruction de l’humanité ou de construction d’une société meilleure sont inédites. Nous nous trouvons face à des enjeux éthiques que nous résolvons habituellement grâce aux hiérarchies traditionnelles que sont les Etats. Le changement de paradigme social a produit un effondrement de ces hiérarchies et les problématiques éthiques dépassent aujourd'hui nos frontières. Il existe donc une contrainte complexe entre des enjeux éthiques considérables et des systèmes de régulation réinterpelés par l’effondrement des hiérarchies traditionnelles.

La transition fulgurante repose à mon sens sur trois déterminants que sont les facteurs technoscientifiques, le développement de l’économie créative, et l’explosion du co-élaboratif. Mon livre tente de démontrer comment ces trois actants se combinent. Une approche comparable est retenue en thermodynamique : lorsqu’un système complexe se trouvant dans un état quasi statique doit transiter extrêmement rapidement vers un autre état, nous pouvons observer un phénomène d’entropie.

Les facteurs technoscientifiques sont eux-mêmes le produit d’une combinatoire. Les innovations radicales se nichent dans des rencontres improbables et naissent des combinaisons de disciplines. Nous avons déjà investi 50 millions d'euros dans l’université catholique de Lille afin qu’elle devienne un campus créatif de référence dans le monde et nous engagerons les mêmes montants pour mener une réflexion sur la question suivante : comment stimuler les rencontres improbables sur un campus universitaire ?

Nous avons identifié huit actants favorisant ces rencontres. Le principal d’entre eux est l’hyperpuissance digitale, qui entraîne l’ensemble des autres transformations. Nous sommes en capacité de réaliser

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1 000 milliards d’opérations par seconde sur une puce et les pistes d’amélioration pourraient atteindre un facteur 10, voire 100 en changeant d’architecture et de substrat. Les premières puces permettaient de réaliser 1 000 opérations par seconde. Le HVD peut quant à lui stocker 4 terras, soit 4 000 milliards de caractères. Par comparaison, la Bibliothèque François Mitterrand compte 110 terras non compressés, ou 5 terras compressés. Des machines pourront procéder à une indexation sémantique automatique car elles comprendront le sens des textes. L’astrophysicien Stephen Hawking a demandé un moratoire sur les recherches en intelligence artificielle lorsqu’il a observé que le cerveau technique pourrait dépasser les capacités du cerveau humain à terme.

La première émission en mondovision n’a duré que 27 minutes car il fallait que le satellite reste visible. Nous comptons aujourd'hui 160 000 canaux de télévision simultanés aujourd'hui et devrions pouvoir en dénombre 20 millions à l’avenir grâce aux câbles transatlantiques 12 fibres.

L’hyperpuissance digitale se combinera avec des grands actants que sont la machinisation de l’Homme et l’humanisation des machines. Google a fait le pari de la convergence au travers du projet Calico. Google entend faire naître une « post post-humanité », qui serait une humanité hybride faite d’humain et de technique, et s’est ainsi engagé dans un projet de victoire contre la mort. Il s’agit cependant d’une erreur, puisque la victoire contre la mort signifie également une victoire contre la vie.

Google a abandonné la commercialisation de ses Google Glasses car 72 % des Américains demandaient leur interdiction en raison du dispositif permettant à leurs utilisateurs de filmer à leur insu les personnes avec lesquelles elles discutent. Google ambitionne cependant d’en vendre 500 millions dans les 7 prochaines années. Jacques Arènes a cependant insisté sur la différence entre la mise à distance du terminal et sa consultation en temps réel superposé. Ces lunettes permettront un accès direct à des formes de connaissance.

Je pourrais aussi évoquer le concept terminal réalisé en joint-venture par Apple, Nokia et l’université de Cambridge. 80 % de ses

fonctionnalités prévues devraient être exploitées à un horizon de cinq ans. Ce terminal souple serait doté d’un nez permettant d’analyser les produits pour en connaître la composition chimique et serait connecté au système neuro lymphatique. Lors de l’université de la singularité à Amsterdam, un étudiant de Stanford s’est ouvert le bras pour présenter à l’audience la puce neuro lymphatique lui permettant de rester connecté émotionnellement avec sa compagne à l’autre bout du monde. Le collier de celle-ci change de couleur en fonction des émotions qu’il ressent.

Michael Crichton annonçait la fin de la chirurgie en 2030 dans son roman La Proie. Nous n’en sommes pas si loin, puisque nous envisageons aujourd'hui de faire réaliser des opérations de la vésicule par un robot en ambulatoire.

Un laboratoire américain a coupé les nerfs sciatiques de douze rats et a imprimé en 3D, à base de silicone, une gaine identique à la forme des nerfs coupés en la remplissant de protéines. Ces rats étaient à nouveau capables de courir après 12 semaines.

Nous observons également un phénomène d’humanisation des machines, au travers notamment de la notion d’agents intelligents. Ces agents virtuels peuvent réaliser des tâches à valeur ajoutée, tels que la rédaction de communiqués de presse. Le Monde a fait réaliser son étude sur les cantonales par des robots, et un journal de macroéconomie a annoncé que ses articles pourraient être rédigés par des robots sous trois ans. L’agent intelligent pourrait également réaliser des tâches de planification à la place des utilisateurs. Nous pourrons nous interroger sur le sens des verbes éduquer, instruire, enseigner voire manager lorsque ce dispositif sera déployé largement.

L’hyper calculateur d’IBM Watson a battu le champion du monde de Jeopardy en 12 minutes sans en connaître les règles. Le Big Data est également utilisé pour réaliser des simulations moléculaires ; les cancérologues peuvent croiser des millions de données pour déterminer des probabilités de survie extrêmement fines selon les protocoles.

Le CogniToy de Watson est encore au stade du développement. Il s’agit d’une forme de

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Wikipedia parlant et sémantique. Les parents devront être en capacité d’encadrer les réponses apportées par le CogniToy à leurs enfants en fonction du champ culturel choisi.

Nos sociétés modernes constituent un espace de mutualisation des risques. L’utilisation des données de Big Data par les mutuelles ou les forces de l’ordre pourrait cependant aboutir à un effondrement des hiérarchies traditionnelles. La ville de Los Angeles a ainsi amélioré de 30 % la focalisation de sa police en flagrant délit en établissant des prévisions sur les lieux de survenance des crimes grâce au Big Data.

Stanford a présenté une technologie permettant de visiter un monde virtuel autonome en glissant un iPhone dans des lunettes 3D. Le développement de la réalité augmentée permet de visiter des sites dans les conditions d’époque. Cette superposition du virtuel sur le réel ouvre des champs considérables et produira un choc de productivité, notamment dans les métiers de l’ingénierie ou du bâtiment.

Le débat entre les conceptions de Schumpeter et de Luc Ferry est au cœur de ces réflexions. La destruction créatrice continuera-t-elle de s’appliquer, comme l’écrivait Schumpeter, ou vivrons-nous une innovation destructrice comme le craint Luc Ferry ? Le système continuera-t-il de s’adapter au moins aussi vite que ne change l’environnement ? La question de l’autopoïèse se pose donc totalement. Les systèmes autopoïétique se renouvellent dans leur environnement. Les entreprises poursuivent aujourd'hui cet objectif.

L’impression 3D ouvre également de nouveaux horizons. Une résidence étudiante de 5 000 mètres carrés habitables devrait être imprimée à Lille en utilisant des produits de récupération. La société chinoise Ma Yihe est désormais en mesure d’imprimer des maisons de 27 mètres carrés incluant les réseaux électriques, les réseaux d’eau, la robinetterie et les meubles, et Winston a imprimé un bâtiment de quatre étages dans la banlieue de Shanghai. La technologie de l’impression sous vide par microscope à effet tunnel conduit les laboratoires pharmaceutiques à penser que 80 % des médicaments seront imprimés à domicile dans vingt ans.

Il faut également évoquer la biométhanisation au travers des prototypes de micro drones la taille d’un moustique dotés d’une autonomie en vol de 7 secondes. Des arbres produisant un éclairage pendant la nuit ont également été créés, donnant naissance à la notion de naturficiel. Ces innovations marquent la distinction entre les transhumanistes qui considèrent que les abeilles pourraient être remplacées par des dispositifs de pollinisation, et les personnes qui estiment que la distanciation à l’ordre naturel conduirait à la fin de l’humanité. Il faut identifier un tiers chemin entre ces extrêmes.

Le changement de paradigme des systèmes de coopération s’observe dans l’ensemble de l’acteur réseau, et pas uniquement dans la coopération interhumaine. Les pratiques RH se sont succédé pour évoluer vers un mode maillé coopératif. Nous observons une désasymétrisation dans la dimension démocratique et dans la dimension du marché. Par définition, la démocratie représentative et élective est asymétrique, puisque nous confions à un tiers le rôle de définir les normes. De même, le marché est par nature asymétrique. Un chauffeur de taxi produit ce que je ne suis pas en mesure de produire moi-même. Les fondamentaux de l’économie libérale que sont l’avantage comparatif, la rareté, et la division du travail sont cependant aujourd'hui questionnés par la robotisation et le développement d’une polyvalence augmentée.

Le phénomène de désasymétrisation ne s’observe pas uniquement dans le domaine humain. Les réflexions sur la ville de demain envisagent le recours à des moyens de transport collectifs tels que le métro, le tramway ou le téléphérique, mais l’avenir réside davantage dans l’utilisation de véhicules intelligents communiquant entre eux. Les technosciences devraient permettre de réduire le mix énergétique à l’échelle locale, voire domestique. La dynamique de l’énergie sera gérée par les smart grids. Le passage en mode maillé est également qualifié de pouvoir latéral par Jeremy Rifkin.

Le recours au mode maillé s’observe également dans le crowd founding, dans le crowd creativity, dans les communautés de résilience économique ou dans l’hyperdémocratie évoquée par Jacques Attali.

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Edmund Phelps a souligné que nous passions d’une économie de l’efficacité productive à une économie centrée sur l’intensité créative. Cette évolution s’observe notamment dans le secteur bancaire et dans la grande distribution. De nouveaux entrants utilisent l’intensité créative pour gagner du business sur les activités rentables et laissent aux acteurs traditionnels les activités qui ne le sont pas. 24 techshops ont été créés aux Etats-Unis et 4 existent à ce jour en Afrique. Le premier techshop français est localisé à Ivry. Il s’agit d’un studio d’innovation qui propose la haute technologie à l’échelle domestique. Les visiteurs peuvent utiliser des imprimantes 3D et des outils de découpe laser. Des jeunes créateurs ont ainsi pu fabriquer des canoés en quatre jours alors que le temps requis pour les financer et les produire aurait atteint deux ans par le passé. Ces personnes ont breveté leur création mais n’ont pas souhaité la mettre sur le marché. Ils troquent la vingtaine de canoés produits chaque année.

Les activités de co-économie non-soumises à la fiscalité, telles que les nouvelles monnaies, le troc ou le covoiturage, sont plafonnées à 5 000 euros en France contre 30 000 euros au Canada. Il faudra cependant identifier un cadre pour éviter qu’une nouvelle monnaie ne se substitue aux monnaies traditionnelles. Edmund Phelps affirme que la part de l’intensité créative dans le prix que le consommateur est prêt à payer pour un produit augmente chaque année.

Les principales valeurs ajoutées dominantes humaines résidaient traditionnellement dans la force et l’habileté, avant d’évoluer vers l’ingéniosité et l’intelligence. Les disciplines scientifiques ont été fortement valorisées dans l’éducation au détriment de la philosophie ou de l’histoire. L’émergence des machines intelligentes devrait cependant aboutir à un transfert vers de nouvelles valeurs de créativité et d’innovation.

Nous observons une transformation du triangle au carré et une inversion de la présomption de la compétence dans les travaux d’Edgar Morin et de Michel Serres. Nous avons conçu nos systèmes comme des triangles centrés sur le bénéficiaire, qu’il soit un usager, un salarié ou un étudiant. Ces populations souhaitent désormais être partenaires du système, qui adopte par conséquent un format carré. Les patients se

rendent chez le médecin en ayant des certitudes sur la maladie dont ils sont atteints et sur les médicaments à utiliser pour guérir.

Nous ne pouvons pas être hyper nomades et avons besoin d’un corps ou d’une peau, mais celle-ci doit être autopoïétique. Nous devons déterminer comment créer une communauté apprenante autopoïétique.

Pour conclure, je souhaite vous donner lecture du passage suivant :

« L’entreprise durable du troisième millénaire donnera le sentiment objectivable et vérifiable à ses salariés, ses actionnaires et ses clients qu’ils sont co-créateurs de valeur globale positive sur le plan humain et environnemental lorsqu’ils investissent, travaillent ou consomment.

Elle se pensera davantage en écosystème d’acteurs autonomisés par une montée en conscience individuelle sur les enjeux globaux, et surtout sur l’articulation entre leur action locale et ces enjeux globaux, que comme un processus fermé dont la valeur ajoutée se limiterait à servir le client pour l’actionnaire sans « supplément d’âme ».

Elle sera en interaction courte avec son marché, la société et les cultures où elle est immergée. Pour cela, elle apprendra en permanence à se réinventer dans ses undergrounds internes et externes, siège des fragilités de l’émergence créative et des nouvelles formes d’adaptation aux externalités négatives.

Les actionnaires responsables feront basculer le capitalisme traditionnel en le mettant en concurrence avec des réussites de rentabilité à long terme, et les spéculateurs à court terme deviendront des délinquants aux yeux de l’opinion publique mondiale et celle-ci, par son comportement d’investisseur responsable ou d’acheteur éclairé en réseau ou en communauté, les sanctionnera par le marché lui-même. ».

La même phrase devrait pouvoir s’appliquer aux services publics.

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De la salle

Comment peut-on apprendre à lâcher prise pour s’engager dans un processus de transformation ?

Pierre GIORGINI

Il est indispensable d’évoluer dans un environnement en danger pour que cette prise de conscience survienne. Le lâcher-prise impose de changer son rapport à la toute-puissance. Un bon manager doit être capable de questionner les réponses.

De la salle

Les changements vont très vite. Ma collectivité a interrogé les agents sur leur perception des évolutions du métier et ceux-ci répondent souvent que les organisations ne changent que très lentement. Cette situation est-elle nécessairement dommageable ?

Pierre GIORGINI

Non, car vous identifierez des champs d’innovation dans l’articulation des deux modèles. Les tensions s’exerçant entre ceux qui veulent avancer vite et ceux qui demandent plus de temps constituent une mine d’or si vous les utilisez comme une force. Nos managers sont cependant tous de bons élèves et souhaitent démontrer qu’ils ont résolu ces difficultés.

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Conférence-débat : L’impact du numérique et l’accompagnement des organisations dans leur digitalisation

Olivier CHARBONNIER Co-fondateur de D-Sides et DG du Groupe Interface

Jean-Pierre HUREAU

Nous allons nous focaliser cet après-midi sur les problématiques d’organisation. Olivier CHARBONNIER est directeur général du groupe Interface, président de Consultants sans frontières et co-fondateur du groupe de réflexion D-Sides. Ma première question sera la suivante : à quoi ressemblera le travail demain ?

Olivier CHARBONNIER

Nos organisations connaissent des turbulences depuis quelques années. Leur ADN est marqué par trois caractéristiques que sont le contrôle de l’aléa, la rationalisation et la standardisation. Ces trois volets sont malmenés par le digital alors qu’ils fondent le fonctionnement de nos organisations. Le digital n’est pas le seul facteur de cette évolution, mais il en constitue un accélérateur essentiel.

Le sujet du digital suscite fréquemment des échanges passionnés entre ses défenseurs et ses détracteurs. Je ferai en sorte de n’être ni technophobe, ni technophile pour m’attacher à comprendre l’évolution qui se produit actuellement. La comprendre constitue déjà en soit une manière de ne pas la subir.

Le digital a produit six grandes mutations dans notre relation au travail.

La première mutation réside dans l’explosion de l’information. Nous n’avions pas connu une telle rupture depuis 1454 et l’invention de l’impression. Nous nous inscrivons de plus en plus dans une société cognitive, dont l’activité principale repose sur les mécanismes de la pensée. Quels que soient nos métiers et nos

secteurs d’activités, nous passons nos journées à capter, interpréter, traiter, produire et diffuser des signes. Nous manipulons de l’information en permanence. Les problématiques de surcharge mentale et d’invasion de l’information sont nées de cette évolution et la tendance devrait se poursuivre dans les années à venir avec le développement programmé des objets connectés. La multiplication des objets connectés et le déploiement d’algorithmes et de serveurs de plus en plus puissants devraient contribuer à ce que l’information occupe une place croissante alors même que nos journées et nos cerveaux ne sont pas extensibles. Nous sommes coincés dans une forme de tension entre le rôle prégnant de l’information et le besoin de prendre du recul sur ces données.

Face à cette situation, nous faisons en sorte de créer des interfaces plus intuitives pour simplifier l’accès à l’information. Parmi celles-ci, citons les interfaces orales, telles que le système SIRI d’Apple, les interfaces gestuelles, comme le logiciel Kinect de Microsoft, et les interfaces basées sur les casques ondes cérébrales. Ce dernier dispositif, actuellement vendu à 99 euros, permet de faire léviter un avatar à l’écran par les seules ondes du cerveau. Il est essentiellement utilisé par les paraplégiques à ce jour.

Cette évolution nous amène à nous demander si nous devons continuer d’ajouter de l’information et comment nous pouvons gérer cette charge dans le monde du travail.

La deuxième mutation correspond à la confusion des temps, des lieux et des situations. Les premières personnes dotées d’un Blackberry ont rapidement réalisé que cet appareil, destiné à des privilégiés, constituait en réalité un « fil à la patte ». L’explosion des smartphones a contribué à ce phénomène : la distinction entre la journée et le soir est moins marquée et les salariés travaillent parfois le soir pour prendre de l’avance sur leur journée du lendemain. La confusion des espaces se retrouve dans le fait que les espaces de travail ressemblent de plus à plus à votre salon. Google a créé des Google bus pour que les salariés puissent être connectés et travailler pendant leur temps de trajet. La confusion des situations résulte quant à elle du fait que nous effectuons le travail du guichetier ou de

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l’agent SNCF lorsque nous procédons nous-mêmes à un virement à un achat de billet de train en ligne.

La troisième mutation concerne le lieu de travail, qui évolue d’un lieu de contrainte à un lieu de ressources. Le modèle actuel implique de se lever tôt, de prendre les transports en commun et de travailler dans un espace ouvert, bruyant, ou dans un bureau cloisonné. Les salariés se demandent parfois s’ils n’auraient pas pu accomplir en 4 heures le travail qu’ils ont fait en 8 heures. Les générations futures comprendront de moins en moins pourquoi elles ne peuvent pas travailler chez elles, avec un ordinateur portable, une webcam et une bonne connexion. La présidente de Yahoo a pourtant demandé en 2013 à ses collaborateurs de revenir travailler dans les locaux de l’entreprise. Cette pratique a pu être considérée comme régressive de la part d’une start-up. Il s’avère cependant que les salariés qui travaillent chez eux perdent en dynamique collective et en engagement. Ils développent une position de mercenaire. Il est donc devenu essentiel de faire des lieux de travail des espaces apprenants, voire capacitants, et de les rendre plus conviviaux sans opter pour une approche gadget telle que celle de Google Lausanne, qui a installé un toboggan reliant ses bureaux à sa cantine. Il faut prendre le temps de se réinterroger sur le travail qu’accomplissent les salariés dans un espace et sur l’usage qu’ils souhaitent faire de celui-ci.

La quatrième mutation consiste à créer une mise en scène de soi et du travail. Une grande banque a fait appel à des designers afin de rendre visible le travail de chacun au sein de l’agence. Le fait que nous travaillions tous devant un écran peut créer des conflits de territoire, un manque de dialogue et des doutes existentiels face à une activité de plus en plus liquide. Matthew Crawford, dans son livre « L’éloge du carburateur », raconte comment il a été amené à s’interroger sur l’utilité des synthèses qu’il rédigeait ; ses doutes l’ont conduit à abandonner son poste pour ouvrir un atelier de mécanique. Il a désormais plus de certitudes sur l’utilité concrète de son travail lorsque ses clients repartent sur leur moto réparée. Cette question de la mise en scène du travail aboutit à se demander comment nous matérialisons notre travail.

Internet a été utilisé pour chercher des informations, puis pour se mettre en scène en postant des photographies de soi. Les internautes étaient initialement maladroits et publiaient des images qu’ils n’auraient pas dû rendre publiques. Les agences de rating, qui ne sont que peu connues en France, sont apparues pour noter notre niveau d’influence sur internet en fonction de notre nombre d’amis sur les réseaux sociaux ou du nombre de blogs que nous tenons.

L’utilisation de Google Glasses pose également des difficultés, puisque leurs propriétaires peuvent prendre des photographies des personnes qu’ils croisent à leur insu, puis utiliser un logiciel de reconnaissance faciale pour les identifier et un logiciel spécifique pour compiler les données les concernant sur internet. L’identité numérique occupera donc un poids croissant dans nos vies, et les salariés risquent de ne pas vouloir y renoncer pendant leur temps de travail. A contrario, les employeurs pourront utiliser ces données dans le domaine du travail, en proposant à leurs salariés les services d’un consultant en e-réputation lorsqu’ils apparaissent sur des photographies en ligne pouvant nuire à leur image et à celle de l’entreprise.

La cinquième mutation correspond à l’imbrication entre le réel et le virtuel. La première approche consistait à ironiser sur les no life qui préféraient chatter sur internet plutôt que de rencontrer des personnes, mais nous avons pu constater que les communautés virtuelles étaient capables d’organiser des événements d’ampleur dans la « vraie vie » tels qu’un apéritif géant au champ de Mars.

La sixième mutation renvoie à la transformation profonde de nos relations. Nous avons inventé un alphabet numérique se traduisant par des émoticônes, par des abréviations en constante évolution ou par des codes tacites, tels que le délai de réponse à un sms ou à un courriel.

Antonio Casilli relatait l’histoire d’un professeur de Cambridge qui souffre d’une déformation de ses oreilles à mesure qu’il vieillit. Cette maladie était très handicapante pour rencontrer des femmes. Le professeur a expliqué que le développement d’internet a fortement modifié sa vie dans ce domaine. Lorsqu’il passait par des agences de

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rencontres, les femmes étaient séduites par son profil mais ne gardaient pas contact après leur rendez-vous. Quand il a utilisé les plateformes de rencontres sur internet, il a dû identifier le bon moment pour communiquer sur sa maladie auprès des femmes qu’il contactait. Ce nouvel alphabet doit être appris progressivement. De la même manière, il ne vous aura pas échappé qu’il est préférable de ne pas faire de blague par courriel car nous ne savons pas dans quel état d’esprit sera notre interlocuteur lorsqu’il le recevra.

Les chercheurs estimaient en 2011 que nous sommes dérangés toutes les 7 minutes ; il m’apparaît que ce chiffre atteint plutôt 3 à 4 minutes aujourd'hui. Nous recevons des SMS qui suscitent systématiquement des réactions, créant une forme de surcharge émotionnelle et d’addiction à nos écrans.

Nous devons rester modestes dans la recherche de solutions face à ces six mutations car celles-ci ne font que débuter. Les problématiques des robots humanoïdes, des imprimantes 3D, du Big Data et de la prédictivité posent de nombreuses questions. Le monde des GAFA semble libéral, hyper agile, élitiste et prêt à faire sécession avec le reste des Etats-Unis parce qu’il rencontre le succès ; il s’oppose à un monde plus lent, qui revendique le partage, la gratuité et l’accès libre à la connaissance. Nous devons comprendre ce phénomène pour être capable d’orienter ce que vivront les prochaines générations dans leur relation au travail comme dans leurs relations en général.

Jean-Pierre HUREAU

Il me semble très compliqué d’être manager dans un monde connaissant autant de mutations.

Olivier CHARBONNIER

Quatre mots clés me semblent caractériser l’évolution du management : il s’agit des termes de coopération, de connexion, de régulation et de subjectivation. Nous aurons toujours besoin d’une personne pour coordonner les tâches ou pour travailler ensemble. Les logiques de coopération évoluent au travers des « 24 heures » ou des

« 48 heures ». Ces temps de rencontre permettent de réunir des personnes ne se connaissant pas pendant un temps limité afin d’accélérer un projet. J’ai ainsi assisté aux travaux d’un groupe de 32 jeunes ayant su développer 9 prototypes de jeux vidéo artistiques en 48 heures. La notion de connexion renvoie quant à elle au fait que nos métiers doivent s’ouvrir aux autres métiers. Les consultants et les menuisiers n’ont pas la même culture, mais la création de valeur résulte de ces rencontres. La subjectivation implique en dernier lieu de gérer les singularités. L’activité des managers sera transformée par ces évolutions.

De la salle

On attend parfois trop du manager. On voudrait en faire un super héros sans les super pouvoirs. Je souhaiterais également connaître votre position sur le nombre trop élevé de courriels que nous pouvons recevoir. Il m’apparaît que nous plaçons tous ces courriels sur un même niveau, qu’ils soient urgents ou bénins.

Olivier CHARBONNIER

Les salariés voudraient évoluer et les dirigeants ont un discours engageant, mais les managers ne souhaitent pas évoluer tant qu’il ne leur est pas garanti que l’Entreprise assumera les risques qu’ils prendront. Nous pouvons comprendre que les dirigeants ne leur donnent pas une telle marge de manœuvre au regard des enjeux financiers et humains, mais de nouvelles manières de travailler devraient pouvoir être expérimentées sur des périmètres réduits. Nous mettons en place ces initiatives auprès d’équipes de 20 à 500 salariés avec l’espoir qu’elles se viralisent.

Votre question sur le nombre de courriels renvoie à la problématique de la surcharge cognitive. Notre cerveau peut recevoir cinq informations (à plus ou moins deux) par tranche de 40 secondes. Nous faisons donc en sorte d’identifier des solutions au cas par cas avec les entreprises pour réguler le flot de courriels.

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De la salle

Je suis surprise que la réponse au nombre excessif de courriels passe généralement par des outils. Il me semble que le sujet devrait être adressé collectivement, en menant une réflexion sur la manière dont nous collaborons.

Olivier CHARBONNIER

Je suis d’accord. Nous dépensons beaucoup d’énergie à classer nos courriels alors que nous ne les lirons plus. Il s’agit de la survivance d’un monde dans lequel l’information était rare.

Je souhaite évoquer avec vous une expérimentation visant à intégrer une entreprise dans son quartier. L’ouverture d’une société sur son écosystème local et son jumelage avec une communauté d’agglomération contribuent à mon sens à créer des relais de croissance et à repenser nos relations.

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Table ronde : Management et intelligence collective : le rôle et la posture des dirigeants

Pascale BLANCHET, Directrice du management de SNCF Réseau - Ingénierie Dominique CHRISTIAN, Philosophe, peintre français de tradition chinoise, consultant et auteur de « Quel rôle de leader dans un contexte incertain ? » Régis LEBRUN, Directeur Développement RH d’Humanis – Groupe de protection sociale Georges WAYMEL, Ville de Cergy

Jean-Pierre HUREAU

Régis LEBRUN, vous êtes directeur du développement RH au sein du groupe Humanis. Vous avez entrepris des démarches d’intelligence collective depuis deux ans. Quels progrès avez-vous accomplis et quelles ont été les difficultés rencontrées ?

Régis LEBRUN

Notre nouveau directeur, arrivé il y a trois ans, a dû œuvrer pour la consolidation du groupe. Nous avons mis en place des réseaux apprenants en ce sens car il nous apparaissait que l’intelligence collective permettait de mobiliser un nombre d’acteurs plus important et plus diversifié dans leur vision. Nous avons travaillé sur le point d’arrivée à un an attendu avec le dirigeant et avec son CODIR, puis nous l’avons partagé avec 80 collaborateurs. Ce travail a été accompli sur deux ans afin que chaque acteur soit porteur de la vision collective.

L’intelligence collective implique d’identifier en réseau le chemin permettant d’atteindre les objectifs que nous avons définis dans une logique apprenante. Ce travail, qui peut durer un an, comporte une phase de dialogue, un temps d’exploration interne et externe, et une période d’expérimentation. Une communauté

a été créée dans notre intranet pour constituer un outil au service du réseau.

Il existe une question de posture autour du dirigeant et du manager. Quelle acceptation le manager a-t-il de la participation des collaborateurs au réseau ? Les salariés sont très favorables à ces initiatives car ils peuvent partager leurs idées avec d’autres acteurs de manière transverse. Les groupes sont constitués de façon à favoriser les confrontations de points de vue.

Nous avons mis en place un comité d’influence, différent d’un comité de pilotage projet, qui a la charge d’influer sur le cheminement du groupe de travail sans pour autant le diriger. Cette posture de coaching n’est pas naturelle pour certains managers, qui sont habitués à analyser, synthétiser, décider et assumer leur choix. Cette démarche d’intelligence collective permet de déterminer l’accompagnement devant être proposé aux managers et le positionnement que les dirigeants peuvent adopter sur ces initiatives.

Jean-Pierre HUREAU

Pascale BLANCHET est membre du CODIR de SNCF Réseau. Il m’apparaît que vous travaillez sur le changement de posture d’un point de vue collectif.

Pascale BLANCHET

Nous nous inscrivons dans une démarche apprenante et tâtonnante. Apprendre en marchant constitue une première révolution pour nos ingénieurs, qui sont formatés pour simplifier des sujets très complexes. Ceux-ci doivent apprendre à travailler autrement.

Notre Direction constitue en priorité une unité de production dans laquelle il existe cinq à sept niveaux hiérarchiques. Il est donc difficile de donner du sens lorsqu’on s’adresse aux opérateurs. Le Comité de Direction partage la conviction que l’activité va très vite, ne permettant plus de suivre le modèle classique de prise de décision par le CODIR et de passage par l’ensemble de la ligne hiérarchique avant application par les opérateurs sur le terrain.. Des communautés métiers ont donc été mises en place pour révolutionner les lignes hiérarchiques.

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Notre projet stratégique est co-construit par le Comité de Direction et par des collaborateurs managers et non managers pour une période de cinq ans. Il nous faut nous assurer que le nombre d’indicateurs n’est pas excessif. Des séances de travail sont donc organisées afin de déterminer comment nous pouvons mettre en place un projet stratégique sans reporting. Certains managers n’adhèrent pas à cette réflexion au motif qu’ils ont besoin d’indicateurs pour travailler. J’accompagne le Comité de Direction pour qu’il apprenne à poser des questions de suivi, d’intérêt et de mesure du progrès de manière qualitative et quantitative.

Jean-Pierre HUREAU

Marie-Claude SIVAGNANAM a identifié trois raisons de renforcer le fonctionnement collectif, à savoir les contraintes financières croissantes, la complexité toujours accrue de la gouvernance, et l’interpénétration des politiques publiques.

Georges WAYMEL

Une commune de 60 000 habitants est principalement une entreprise de services. Les observations d’Olivier CHARBONNIER ne s’appliquent qu’à certaines catégories de personnel ; les agents qui nettoient les classes ou accueillent les parents dans les crèches ne sont pas concernés par le nombre de courriels reçus puisqu’ils ne disposent pas d’ordinateur. Nous devons faire avancer deux populations très distinctes dans un même temps dans le cadre d’un projet collectif, dans un contexte de tension budgétaire et d’interpénétration des politiques publiques. Il nous faut identifier des solutions permettant de faire mieux pour un coût équivalent, voire moindre, en faisant en sorte que cette démarche soit acceptée par toute la chaîne de décision. Nous souhaitons adopter une posture globale, initiée par la direction générale et insufflée à l’ensemble de la chaîne.

Il nous faut cependant agir progressivement. Les agents de terrain sont invités à s’exprimer et à être force de proposition alors qu’ils n’en ont pas l’habitude, et les managers, qui ont pour pratique de décider et ordonner, doivent désormais créer les

conditions permettant ces échanges. Il a été très compliqué de décloisonner la réflexion. Nous pourrons faire un bilan de ce premier temps d’échange mais nous en ignorons à ce jour les effets.

Il semble essentiel de convaincre les agents de terrain que leur avis sera pris en compte et influera sur notre action. Nous avons ainsi constitué des groupes de travail chargés de se prononcer sur les cahiers des charges lors des commandes d’équipements de travail, et nous avons prévu une phase d’essayage de ces vêtements. A cette occasion, un agent a pu souligner qu’il serait utile de proposer des vêtements de travail jusqu’à la taille 52. Nous avons également organisé hier une réunion d’une heure et demie avec les ATSEM et les agents d’entretien et de restauration pour déterminer à qui il appartenait de placer les chaises sur les tables en fin de journée.

Dominique CHRISTIAN

Le sujet des vols d’étourneaux évoqué ce matin constituait déjà un sujet de réflexion pour Pline l’ancien, qui considérait ceux-ci comme l’un des deux faits marquants de sa vie avec l’éruption de l’Etna ayant détruit Pompéi. Ces vols sont régis par deux règles que sont le sens du mouvement général et le sens de la distance par rapport à autres oiseaux.

Le sens doit-il être donné par une autorité ou produit par la communauté ? Vous avez déjà échangé sur ce sujet aujourd'hui et je ne souhaite pas m’engager à nouveau dans ce débat. Le sens renvoie cependant à la problématique du récit : ce qui fait sens est ce que je peux construire comme un récit. Affirmer que quelque chose ne fait pas sens ou n’a pas de sens induit que nous ne sommes pas capables de l’intégrer dans une structure narrative.

Les étourneaux nous démontrent cependant que le sens ne suffit pas. Il faut également tenir compte du rapport aux autres.

Le sens et la posture sont les deux composantes de l’identité. Celle-ci se définit en effet par un équilibre entre l’appartenance et le singulier. Nous avons un nom et un prénom dans notre culture, qui constituent respectivement la marque de notre appartenance et de notre singularité. Un

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manager doit-il privilégier l’équilibre et la réussite de son équipe ou l’intérêt plus collectif de l’entreprise ? Vous noterez que les Chinois n’ont pas un prénom et un nom mais un nom et un post-nom. Ceux-ci mettent en avant leur appartenance avant de se singulariser. Les Français qui vont au restaurant sont des convives : ils se rendent ensemble au restaurant mais mangent chacun leur propre plat. Les Chinois sont choqués par un tel comportement, eux qui commandent collectivement et partagent leur nourriture.

Il existe une composante anxiogène dans le fait de ne plus savoir comment articuler l’intérêt commun ou individuel. Un mode de sécurisation s’esquisse en ce moment, correspondant au déploiement des forces de l’ordre, mais j’estime qu’il doit exister des modes plus pacifiques.

De la salle

Nous évoquions avant-hier les cercles de qualité, hier le management participatif et aujourd'hui l’intelligence collective. De quoi parlerons-nous demain ?

De la salle

Vos témoignages me semblent relever du bon sens plus que du sens.

De la salle

Il existe un risque majeur consistant à utiliser de nouveaux outils sans modifier sa propre façon de faire. Comment est-il possible de sécuriser les dirigeants et les managers pour que les initiatives ne restent pas au stade de l’expérimentation ?

De la salle

Les vols d’étourneaux ont été évoqués plusieurs fois depuis ce matin. Nous apprenons dans les cours de danse à être attentifs aux autres pour ne pas nous percuter. Il ne s’agit donc pas de se mettre d’accord sur les déplacements mais de faire preuve d’attention et d’intuition.

De la salle

L’usage du terme « manager » constitue pour moi un non-sens. Le manager renvoie au manège, et donc au dressage.

Georges WAYMEL

Le rôle d’animateur de l’intelligence collective est devenu important, mais il n’est toujours pas essentiel dans nos organisations. La réalité du travail d’un manager consiste pour 70 % à faire respecter le cadre et à 30 % à faire vivre l’intelligence collective. J’ignore si la proportion sera un jour inversée.

Je confirme que nos initiatives sur l’intelligence collective relèvent du bon sens. Elles ne vont cependant pas toujours de soi. La posture des dirigeants évoluera lorsque nous démontrerons que ces démarches produisent des résultats équivalents à ceux des anciens processus de décision.

Pascale BLANCHET

Il existe certainement un effet de mode dans l’usage du terme « intelligence collective ». Les différents noms utilisés n’ont cependant que peu d’impact sur le travail que nous menons depuis douze ans. Notre groupe ahiérarchique mène une réflexion sur les fonctionnements collectifs et sur le vivre-ensemble au travail. Il nous apprend à prendre soin du collectif. Notre groupe est régi par trois principes : que voulons-nous réussir, que pouvons-nous expérimenter, et comment pouvons-nous diffuser auprès des autres ?

Régis LEBRUN

Le nom donné à la méthodologie n’est pas essentiel. L’engagement principal réside dans la volonté de rechercher des acteurs générant un conflit d’idées afin d’identifier de nouvelles solutions.

Dominique CHRISTIAN

La notion de digital ne fait pas sens en Asie car elle aboutit à distinguer l’âme et le corps.

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Cette notion inventée au 17ème siècle est très spécifique à notre culture.

Il existe trois types de savoirs : le savoir technique, qui permet de contrôler le monde, le savoir relationnel, qui me permet de me situer par rapport aux autres, et le savoir émancipatoire, qui me permet de m’interroger moi-même. Un dispositif ne permettant pas à chacun de s’interroger sur ses convictions est sans doute obsolète.

La logique de Care consiste à déterminer comment il est possible d’accompagner une personne sans la mettre en position basse. Je suis persuadé que cette solution se développera dans les entreprises.

La notion de manager renvoie effectivement au dressage des chevaux, mais vous noterez que le cheval n’est pas domestiqué mais apprivoisé. Le dresseur doit accompagner le cheval dans son mouvement, sans le meurtrir.

De la salle

J’ai des doutes sur la capacité de l’individu à faire évoluer des systèmes très lourds. Le système se débarrassera de moi si je ne consacre qu’une heure à mes 200 courriels. Il nous est parfois simplement demandé d’arbitrer un powerpoint qui nous a été remis.

Je m’interroge également sur la manière dont nous pouvons accompagner les managers afin qu’ils aient le bon niveau d’écoute.

Pascale BLANCHET

Un groupe de réflexion s’est réuni ce matin pour la quatrième fois autour de la problématique de l’accompagnement des managers en situation difficile. Ces populations ont besoin d’être guidées.

Le groupe relais en charge du vivre-ensemble effectue au début de chaque séance un bilan intérieur silencieux sur les efforts qu’il nous reste à accomplir.

Régis LEBRUN

Un point de friction a porté sur la part de l’opérationnel dans le réseau. Des initiatives

ont été menées chez Humanis pour simplifier les échanges, visant notamment à adresser des versions « quick and dirty » des documents.

Georges WAYMEL

Les managers étaient habitués à être des relais de consignes et à diriger des opérateurs. Les nouvelles générations ne sont pas mieux armées face à leur nouveau rôle et nous devons leur proposer un accompagnement personnalisé.

Pantin, le 25 novembre 2015 23

Conclusion

Jean-Pierre HUREAU

Cette journée constituera un succès si elle a contribué à ébranler vos certitudes.

Dominique CHRISTIAN

La volonté d’atteindre certains indicateurs peut faire oublier la réalité de la pratique. L’intelligence collective implique de nouer d’autres types de relations pour fonctionner. Je crois en l’intelligence collective et je ne

comprends pas réellement ce que pourrait être l’intelligence individuelle, puisque l’intelligence implique le langage.

Jean-Pierre HUREAU

J’intervenais hier auprès d’un CODIR. Le directeur général soulignait que la réunion constituait le premier temps consacré à la réflexion depuis deux ans ; il distinguait le fait de penser et de réfléchir.

Je vous remercie pour votre participation.