L'insensé périple d'un remorqueur à voiles

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DOUARNENEZ 48°05’ N – 4°19’ W Du 26 mai au 3 juin 2009 « Finalement le radeau avait une telle touche qu’il ne manquait jamais de badauds pour s’en mettre plein la vue : un vrai rafiau de romanichels, réparé avec des bouts de ficelles … » Éric Hesselberg, Les Compagnons du Kon-Tiki J uste le temps de se réajuster, remettre promptement un peu d’ordre dans les voiles et sur le pont, ni vu ni connu faire bonne figure après la rincée du raz de Sein. On vient de nous prévenir par téléphone qu’une équipe de France 3 Bretagne, attend, caméra au poing notre entrée dans le port de Douarnenez. Il doit nous rester un soupçon d’adrénaline dans les veines. A moins que ce ne soit notre orgueil piqué de Méditerranéens ? Nous accostons sans bavure, avec un lancer de touline propre, net et efficace. Parfaitement synchronisé, l’équipage déroule calmement les aussières, et l’on s’amarre contre le quai extérieur du port de pêche. Comme quoi… y a des jours comme ça ! DOUARNENEZ Grafito du Manguier sur les murs de la cale de Douarnenez. Fait par Aude 30

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livre d'aventure polaire, maritime et culinaire

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Page 1: L'insensé périple d'un remorqueur à voiles

DOUARNENEZ48°05’ N – 4°19’ WDu 26 mai au 3 juin 2009

« Finalement le radeau avait une telle touche qu’il ne manquait jamais de badauds pour s’en mettre plein la vue : un vrai rafiau de romanichels, réparé avec des bouts de ficelles … »

Éric Hesselberg, Les Compagnons du Kon-Tiki

Juste le temps de se réajuster, remettre promptement un peu d’ordre dans les voiles et sur le pont, ni vu ni connu faire bonne figure après la rincée du raz de Sein. On vient de nous prévenir par téléphone qu’une équipe de

France 3 Bretagne, attend, caméra au poing notre entrée dans le port de Douarnenez.Il doit nous rester un soupçon d’adrénaline dans les veines. A moins que ce ne soit notre orgueil piqué de Méditerranéens ? Nous accostons sans bavure, avec un lancer de touline propre, net et efficace. Parfaitement synchronisé, l’équipage déroule calmement les aussières, et l’on s’amarre contre le quai extérieur du port de pêche. Comme quoi… y a des jours comme ça !

DOUARNENEZ

Grafito du Manguier sur les murs de la cale de Douarnenez. Fait par Aude

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La soupe corse

Tant qu’il y aura de la panzetta dans la cambuse…

Pour 8 à 10 personnes :

400 gr de panzetta

1 boite de tomate au jus

1 boite de haricots Soisson

légumes frais : 3 oignons, 4 carottes, 4 courgettes, 4 pommes de

terre, une branche de céleri, 3 gousses d’ail

1 feuille de laurier, sel, poivre

1 grosse poignée de coquillettes (facultatif)

croûtons taillés dans du gros pain et rissolés à l’huile d’olive

fromage râpé

Dans une grande cocotte faire revenir la panzetta. Ajouter les

légumes coupés en dés et le laurier. Laisser réduire à feu doux

quelques minutes. Ajouter la boite de tomates au jus, les haricots

Soisson et couvrir d’eau. Laisser mijoter 1 quart d’heure. En fin

de cuisson, on peut ajouter les coquillettes pour donner plus de

consistance à la soupe.

Servir avec croûtons et fromage râpé.n C.Z.H

Les plus intrépides sont récompensés par une magistrale dégustation gastronomique de produits corses : terrine de sanglier, saucisse, tapenade, caviar d’aubergine, de poivron, de tomates séchées, tomme de brebis, olives, muscat, Cap corse, bière à la châtaigne. Et l’on remet ça les jours suivants avec une présentation du Réseau EcoNav, dont les membres du bureau qui siège à Douarnenez sont venus à bord pour une rencontre-débat. Il s’agit en effet de promouvoir une navigation plus écologique auprès de tous les usagers de la mer, de la plaisance aux bateaux de pêche et de travail. Ce qui nécessite avant tout de communiquer au plus grand nombre ce qu’il est possible de faire et de fédérer les actions.Hervé La Prairie, président du Réseau Econav, nous fournit six panneaux solaires en provenance des Phares et Balises. Belle occasion de recyclage dans la mesure où ceux-ci, ne pouvant supporter le moindre risque de panne, sont régulièrement remplacés par du matériel neuf. Une équipe de Météo France vient nous installer une station Minos qui enverra en continu et en temps réel la pression barométrique, la température de l’air et notre position. Un bateau traversant l’Arctique constitue une aubaine pour recueillir de précieuses indications météorologiques. Ces indications étant également retransmises sur notre site internet, cela permettra de pouvoir suivre notre aventure en direct sur une petite carte. Les réjouissances s’enchaînent ! Après les petits fours et apéritifs, ce sont les joies des échafaudages, karchers, brosses, rouleaux et autres pinceaux. Le rendez-vous avec le chantier de carénage a été pris depuis plusieurs mois : refaire une beauté au Manguier auquel nous offrons des dessous roses grâce à une peinture sous marine innovante prévue pour être beaucoup moins toxique que les autres et tout aussi efficace. Le temps est au beau fixe et les bras nombreux, pas moins de dix paires,

Mais revenons à la caméra, affairée à filmer le meilleur profil du Manguier. Il s’agit d’un journaliste

qui enquête sur la question de l’énergie à bord des bateaux de travail, venu à Douarn faire

un reportage sur P’tit Mousse, un petit bateau de pêche dont le propriétaire a installé trois génois montés sur enrouleur à son étrave dans le but d’économiser du carburant. Averti de l’arrivée du Manguier, le journaliste souhaite le rattacher à cette mouvance d’initiatives mises en œuvre sur le terrain, basées sur le recyclage, et dont l’objectif est de réduire la consommation de gasoil.Quelques mois plus tard, un intéressant documentaire verra le jour intitulé : « Matière grise pour bateau vert ».Technique, bureaucratique, logistique, médiatique, notre escale à Douarnenez, ultime étape française est prévue de longue date. Autant dire du pain sur la planche.

Dans un premier temps, il faut régler la question de l’accès à bord.

Nous sommes en période de grandes marées et, toutes les six heures, le Manguier

fait le yoyo le long de ses aussières sur une amplitude d’environ 5 m. Derechef, en haut,

en bas, en bas, en haut. L’échelle d’accès au quai est rouillée, visqueuse, hérissée de moules acérées.

Pour des questions de sécurité nous devons annuler la visite d’une classe de l’école primaire. Pas moyen

de trouver une place plus accessible entre les trois ports de la ville. Curieux que de tels détails échappent aux Bretons

côtoyant la marée à longueur d’année… Ça passe tôt le matin avec les classes de maternelles. Des ribambelles de poupons, joues rouges et nez coulant, galopent dans les coursives, se relaient derrière la grande barre à roue de la timonerie, crayonnent des maisons voyageuses sur les tables du carré, écoutent distraitement tout en lorgnant la casquette galonnée du capitaine et l’occasion de s’agripper à la cordelette de la cloche du pont. L’après midi il faut ruser avec l’annexe et faire la navette pour ne pas compromettre la revue de presse et accueillir les médias.

DOUARNENEZ

Dessin : Cécile

Ci-dessus : Tristan et sa caméra.

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Les bassins à garum de Douarnenez Au cours de l’opération de grand carénage du Manguier, nous avons pu trouver quelques moments de détente et aller visiter les environs proches.Lors d’une promenade dans l’est de la ville, en suivant un fort agréable sentier longeant le bord de mer sur une falaise boisée, nous découvrons un site antique original, les Plomarc’h, une série de bassins contigus construits en petit appareil et qui vont se révéler comme étant des cuves destinées à la préparation du garum. Ce que je pensais comme une préparation exclusivement méditerranéenne se trouvait également en Bretagne. Le garum était un produit obtenu à base de poissons et plus particulièrement de clupéidés comme la sardine dont les entrailles étaient mises à macérer. On y ajoutait des herbes et des épices de manière à obtenir un condiment destiné à agrémenter et relever les saveurs culinaires de l’époque. Cette préparation était largement répandue dans le bassin méditerranéen mais, comme on le sait, les goûts et modes de la civilisation latine se sont élargis au-delà des limites de la mare nostrum.Ce qui était également intéressant c’est de retrouver ici à Douarnenez, capitale de la sardine en boîte, cette antique tradition de conservation des poissons. Aujourd’hui, si le garum n’est pratiquement plus employé dans la cuisine européenne, il l’est toujours dans celle d’Asie et connu sous le nom nuoc mam.n

Ph. R.

s’affairent trois jours

durant sur les 130 m2 d’acier de la

coque. Du renfort tous azimuts, avec même, pour le plus

grand bonheur d’Agathe, la visite tant attendue de Grand-père et Grand-mère.

Qui dit bras qui brossent, dit bouche à nourrir : côté intendance, la cantine s’organise. Le soir, au pied du Manguier, les bidons rangés sous la quille, on éloigne les moustiques avec des grillades de sardines fraîches. Celles de l’énorme caisse déposée discrètement sur le pont au petit matin par le chalutier d’à côté …A sec, sur le terre-plein de l’aire de carénage, le Manguier surmonté de ses mâts culmine à plus de 25 m au-dessus du niveau de la mer ! Le grand pavois bigarré de nos partenaires claque au vent. Ces mâts de chapiteau, cette coque rouge rutilante, cette échelle qui serpente dans les airs, ça y est j’y suis, c’est le Mango Circus ! Mais non c’est des Corses qui partent pour le Pôle Nord. Bizarre, on nous avait certifié que cette peinture ne contenait pas de solvants… Trêve d’hallucination, il y a encore pas mal de détails à traiter sur la liste rouge des incontournables avant de reprendre la mer. A commencer par ce satané moteur d’annexe complètement caractériel, le tout récent bug de l’ordinateur contenant les cartes marines informatiques ou le refrain de l’anémomètre. Le radar, de marque norvégienne, attendra quant

à lui sa terre natale pour être réparé… Puis la pharmacie de bord

supervisée par Claire à compléter.

Les formulaires pour les demandes de visas russes, les assurances et attestations de tout l’équipage à fournir. Les bouteilles de gaz à remplir, chaque pays ayant ses habitudes, il est en général impossible de se ravitailler ailleurs que dans son pays d’origine. Le courrier qui nous rattrape. Un peu de comptabilité aussi. Encore et toujours les courses, des grosses, celles qui nécessitent une voiture pour le transport, plusieurs chariots remplis à ras bord et monopolisent une journée entière. Lorsque l’on revient le soir, le bateau est à nouveau…en bas. On fait la chaîne, à bout de bouts, par dizaines de kilos, les vivres s’amoncellent sur le pont. Tiens, y avait longtemps ! Et puis c’est arrangé finalement, nous embarquons Tristan auquel incombe la tâche de filmer l’épopée du Manguier. S’ajoute alors, même réduit, un minimum de matériel vidéo, audio et le paquetage de l’homme de l’art. Tristan deviendra avant tout l’homme à la caméra, une figure inédite à bord, à l’attribut greffé sur l’épaule dans le prolongement de l’œil droit mais qui à ses heures se révèlera aussi l’homme à l’accordéon et l’homme à la canne à pêche.Douze à bord, les couchettes du Manguier sont combles, les cales à nouveau pleines, il est temps de partir. Nous avons droit à une visite éclair d’Eric qui, de passage en France entre sa participation à divers festivals et son retour au Spitzberg, ne dispose que de quelques heures. Il fera parvenir les passeports de sa petite famille - nécessaires pour l’apposition des visas russes - à notre relais parisien, Brigitte, Mangonaute de la première heure, qui met sa toute récente retraite à notre disposition pour effectuer ces ô combien ingrates démarches administratives. Eric en profite aussi pour nous faire part de la grossesse de France (trois mois). Comme prévu, nous nous retrouverons en Norvège à Tromsö, dans deux mois. A mesure qu’approche l’heure du départ, s’intensifient les visites spontanées de tout ordre : badauds, amis, curieux, famille. Tous sont munis d’un petit présent à boire en mer. « Vous choisirez l’occasion ». Le 3 juin, tôt le matin, le port de Rosmeur, orienté plein Est, est doré de soleil. C’est toujours le même frisson, arpenter une dernière fois la ville engourdie et faire le plein de pain frais. Humer l’air et le vent, sachant que dans quelques heures, nous reprenons la mer.n

C.Z.H

DOUARNENEZ

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Ci-contre :

Les pavillons des partenaires.

L’école de Douarnenez à bord

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Carénage

Dessin : Aude

Ci contre: Aude, Cé-cile et Joce au pinceau

Ci-dessus : l’hélice fraîchement poncée, Cécile, Gérard, Judith, et Sarah aux pinceaux, Philippe à la ponceuse.

Ci-dessous: L’équipage fier d’avoir terminé.