L'infinité divine dans l'Antiquité et au Moyen Âge

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Dialogue http://journals.cambridge.org/DIA Additional services for Dialogue: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here L'infinité divine dans l'Antiquité et au Moyen Âge Antoine Côté Dialogue / Volume 34 / Issue 01 / December 1995, pp 119 138 DOI: 10.1017/S0012217300049349, Published online: 13 April 2010 Link to this article: http://journals.cambridge.org/ abstract_S0012217300049349 How to cite this article: Antoine Côté (1995). L'infinité divine dans l'Antiquité et au Moyen Âge. Dialogue, 34, pp 119138 doi:10.1017/S0012217300049349 Request Permissions : Click here Downloaded from http://journals.cambridge.org/DIA, IP address: 150.135.135.70 on 24 May 2013

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L'infinité divine dans l'Antiquité et au Moyen Âge

Antoine Côté

Dialogue / Volume 34 / Issue 01 / December 1995, pp 119 ­ 138DOI: 10.1017/S0012217300049349, Published online: 13 April 2010

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L'infinite divine dans l'Antiquiteet au Moyen Age*

ANTOINE C 6 T £ Universite d'Ottawa

Vers la fin des annees cinquante, un jeune erudit jesuite publia un articleintitule «Are Apeiria and Aoristia Synonyms?))1 qui allait etre le premierd'une longue s6rie de travaux portant sur une problematique a laquelle ils'attaquait en v6ritable pionnier: la doctrine de l'infinitd divine dansl'Antiquite et au Moyen Age. Certes, les historiens s'etaient deja interes-ses quelque peu a cette question, mais ils l'avaient fait sans une conscienceclaire de sa complexit6. Force etait done de reprendre la problematique anouveaux frais. C'est ce que fit Leo Sweeney, qui publiera, sur une carrierede plus de trente-cinq ans, une quantite impressionnante d'articles etu-diant les conditions de Emergence de l'infinite divine au Moyen Age,ainsi que la conception de l'infini chez les grandes figures de l'Antiquiteet du christianisme medieval. Ce sont ces articles, dont certains ont faitl'objet de profonds remaniements, et auxquels viennent s'ajouter deuxtravaux inedits, qu'a reunis l'editeur Peter Lang dans un ouvrage de presde six cents pages, dont il faut bien dire qu'il constitue une maniere d'ev6-nement dans le monde des etudes anciennes et medievales.

Avant de passer a une appreciation circonstanciee de l'oeuvre de Swee-ney, il sera utile d'indiquer en termes tres generaux quelle a ete la contri-bution de ce dernier a notre connaissance de l'infini divin. Son premiergrand merite est d'avoir su identifier les principaux auteurs de la traditionphilosophique grecque et latine ayant reflechi sur cette question (Platon,Aristote, Plotin, Proclus, Jean Damascene, Thomas d'Aquin, saint Bona-venture), et d'avoir reuni et soumis a une analyse tres poussee les passages

* Leo Sweeney, S.J., Divine Infinity in Greek and Medieval Thought, New York,Peter Lang, 1992, XX, 576 p. Toutes les references figurant entre parentheses dansle corps du texte renvoient a cet ouvrage.

Dialogue XXXIV (1995), 119-37© 1995 Canadian Philosophical Association /Association canadienne de philosophic

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cl£s concernant l'infini chez ces auteurs. Ces analyses, qui n'ont pas recueillitous les suffrages — mais c'est de bonne guerre — ont eu le benefice demontrer le caractere simplificateur pour ne pas dire simpliste de la compre-hension de la doctrine ancienne et medievale de l'infini chez les historiensde la pens6e du XDC siecle et du debut du XXe, ainsi que d'avoir mis enlumiere la complexity de revolution doctrinale du concept d'infini: la ouTon disait cavalierement que le Dieu de saint Augustin, du Pseudo-Denysl'Ar6opagite ou de Thomas d'Aquin etait infini, et ou Ton pensait que cha-cun de ces auteurs avait en vue le «meme» infini, nous savons maintenant,grace aux penetrantes ex6geses du P. Sweeney, que les choses sont pluscompliquees qu'il n'y parait, qu'une revolution conceptuelle a 6t6 n6ces-saire pour que Ton connive Dieu comme infini, et que, contrairement aThomas d'Aquin par exemple, ni Augustin, ni Pierre Lombard, pour neciter que ces deux auteurs, ne se situent dans un contexte doctrinal ou cetterevolution est acquise. S'agissant du Moyen Age, nous connaissons dansleurs tres grandes lignes, grace a Sweeney, certaines des principals etapesqui ont conduit a l'emergence de l'infini dans la theologie «naturelle» auxme siecle; emergence, disons-nous, car, et ce sont la deux autres decou-vertes dont nous sommes redevables a notre historien, d'une part, l'infinin'a pas toujours constitue aux yeux des theologiens medievaux un conceptou un attribut divin meritant un interet particulier — notamment au xile

siecle (c/ chap. 15, «Divine Infinity: 1150-1250»)—et, d'autre part, il s'esttrouve, dans les annees quarante du xme siecle, des penseurs pour nier quel'essence divine put etre qualifiee d'infinie (cf. chap. 16, « Medieval Oppo-nents of Divine Infinity»). L'affirmation de l'infinite divine chez Thomasd'Aquin et d'autres grands theologiens des Xllle et XIV siecles a done 6t6precedee d'une periode de tatonnements et d'hesitations doctrinales —marquee par la formulation d'hypotheses theologiques aussi hardiesqu'ephemeres (celle de la non-finitude de Dieu, par exemple, ou celle, a for-tiori, de la finitude de l'essence divine) —, circonstance historique brillam-ment mise en lumiere par notre historien, et qui cadre evidemment tres malavec l'image traditionnelle, heritee du xixe siecle, d'un Moyen Age unifor-mement acquis au principe de l'infinite divine.

L'influence exercee par Leo Sweeney sur les historiens modernes a 6t6considerable. De nombreux chercheurs, armes des categories elaboreespar lui, et avant tout de la distinction entre l'infini par denominationintrinseque et l'infini par denomination extrinseque sur laquelle nousnous etendrons en detail plus loin, se sont attaches a etudier le problemede l'infini chez Hilaire de Poitiers, Albert le Grand, Bonaventure, Henride Gand et Duns Scot. Cette continuation du « programme de recherche »amorce par Sweeney constitue la preuve irrefutable du caractere f6condsinon durable de son ceuvre.

Divine Infinity est divise en trois parties. La premiere est consacree al'infini pendant les periodes antique et hellenistique (douze chapitres); la

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seconde, a la periode medievale (huit chapitres). La derniere est coraposeede trois chapitres, dont un constitue un utile historique de la question de1'infini d'Anaximandre a Cantor, cependant que les deux autres exami-nent, a la lumiere des chapitres precedents, les doctrines de 1'infini divinchez deux auteurs «grecs» (Jean de Damas et Gregoire de Nysse).

Sur les vingt-trois chapitres de ce livre, seuls deux n'ont jamais faitl'objet d'une publication. II s'agit du chapitre 20 (uSumma de bono[Codex vaticanus latinus 4305]: An Anonymous Amalgam of Alexanderof Hales, Aquinas and Bonaventure») et du chapitre 21, consacre a Gre-goire de Nysse («Gregory of Nyssa on God as Infinite Being») dont il seraquestion plus loin. Outre ces deux inedits, les lecteurs auront le plaisir detrouver dans cet ouvrage tous les articles classiques associ6s au nom deLeo Sweeney relativement a la question de Tinfinite divine.

II est evidemment impossible dans le cadre de cette etude d'abordertous les points d'interet d'un livre aussi riche et dense. Aussi nous borne-rons-nous, dans un premier temps, a tenter de preciser la nature exacte duprojet historiographique de Leo Sweeney, pour ensuite examiner rapide-ment les resultats positifs auxquels Terudit est arrive. Enfin, nous exami-nerons quelques-unes des difficultes soulevees par certaines analysesprecises, en nous limitant a Plotin et a Gregoire de Nysse.

1. Le projet sweeneyenS'il fallait resumer le plus simplement possible ce projet, on pourrait direque celui-ci consiste a chercher a partir de quel moment, ou, de maniereplus generale, chez quels auteurs Tinfini est concu comme une perfectionou un attribut qui se predique par denomination intrinseque de l'essencedivine. Car Sweeney ne s'interesse pas a «n'importe quel» infini divin. Sestravaux l'ont conduit a en distinguer deux types : 1'infini par denomina-tion intrinseque (IDI) et 1'infini par denomination extrinseque (IDE)2.On parle d'IDI lorsque le concept d'infini qualifie l'essence meme deDieu, a l'exclusion de tout rapport de Dieu a autre chose que lui; aToppose, on parle d'IDE, lorsque le terme «infini» ne designe l'essencede Dieu que sous Tangle de son rapport a quelque chose d'autre que lui,par exemple : le temps, l'espace, les effets de Dieu. Ainsi, certains auteursecrivent: «Dieu est infini», mais, lorsqu'ils explicitent leur pensee, ilapparait que Dieu est infini pour eux en ce sens tres precis qu'il n'est paslimite par le temps ou l'espace. Pour d'autres auteurs, l'infinite de Dieune designe que la capacite de celui-ci a realiser un nombre infini d'effetsou a n'etre pas «compris» par l'intellect humain ou angelique. Ici encore,1'infini se predique de Dieu par denomination extrinseque dans la mesureou Dieu est uniquement envisage, dans le premier cas, sous Tangle de seseffets, dans le second, sous Tangle de la connaissance que d'autres etrespeuvent avoir de lui. Mais, pour Sweeney, si Ton peut parler de progresen metaphysique, il n'y a eu progres, sur le terrain de Tinfini, que lorsque

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les theologiens ont eprouve la necessite de concevoir Dieu comme IDI.Si pratiquement tous les philosophes depuis Aristote ont concu la divi-nite comme IDE — c'est-a-dire soit en tant que capable de produire deseffets en nombre infini, soit comme soustrait a toute limitation exerceepar le temps, l'espace, etc., soit encore tout cela ensemble —, beaucoupplus rares sont ceux qui ont attribue a Dieu la deuxieme forme d'infinite,c'est-a-dire 1'IDI. «Qui, et dans quelles circonstances doctrinales, aconcu Dieu comme infini par denomination intrinseque?» : on peut dire,au prix d'une 16gere simplification, que toutes les 6tudes que Ton trouverarSunies dans Divine Infinity ont 6t6 r6alis6es en vue de rdpondre a cetteunique question.

Plutot que d'exposer en detail les arguments de notre philosophe enfaveur de l'attribution de 1'IDI a tel ou tel auteur, nous avons pris le parti,pour faire court, de classer tous les auteurs principaux etudies par luidans un tableau a cinq colonnes, les chiffres entre parentheses renvoyantaux chapitres ou la doctrine de Pinfini de l'auteur en question est analyseedans Divine Infinity.

infini par deno-mination intrin-seque

Grfgoire deNysse?(21)

Augustin? (17)

Jean de Damas(22)

Albert leGrand? (16)

RichardFishacre(18)

Alexandra deHales?

Bonaventure?(19)

Thomasd'Aquin (19)

Duns Scot? (23)

infini par deno-mination extrin-seque

Plotin (2,9,10)

Proclus

Philon

Augustin

Pseudo-Denys

Jean de Damas

Pierre Lombard(17)

Albert le Grand

Gerardd'Abbeville

Hugues deSaint-Cher

Hugues deSaint-Victor

Dieu n'est pasinfini

Albert le Grand

Dieu est fini

Guerric deSaint-Quentin(19,20)

la question del'infiniti ou dela finitude deDieu n'a pasd'importance

Platon (6,7)

Aristote (8)

Abelard

Robert deMelun

£tienneLangton

Pierre dePoitiers

Hugues deSaint-Cher

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Ce tableau merite quelques explications. Tout d'abord, certains nomsfigurent dans plusieurs colonnes. C'est le cas d'Albert, present dans lescolonnes 1, 2 et 3. La raison en est que chacune des positions decrites dansces colonnes est defendue par Albert a differents moments de sa carriere etmeme, parfois, dans la meme ceuvre. Ainsi, si certains passages de son Com-mentaire aux Sentences l'apparentent aux partisans de TIDE, d'autres,issus de la Summa par exemple, le rapprochent incontestablement des pro-moteurs de l'infinite divine par denomination intrinseque3. Hugues deSaint-Cher aussi est pr6sent dans deux colonnes, les colonnes 2 et 5; c'estque Hugues parle tres peu de l'infini mais, dans la mesure ou il en parle,c'est toujours comme d'un IDE. De meme, le nom de saint Augustin figuredans deux colonnes, il est toutefois suivi d'un point d'interrogation dans lacolonne 1, comme le sont egalement les noms d'Albert, de Gregoire, etc.Par cette marque de ponctuation nous avons voulu indiquer que les auteursaux noms desquels elle est accolee n'auraient pas selon Sweeney defendude maniere constante la doctrine de 1'IDI. Plus precisement, le pointd'interrogation signifie, soit que l'auteur en question soutient parfois ladoctrine de 1'IDI, parfois celle de TIDE (c'est le cas d'Albert le Grand et deGregoire de Nysse), soit que 1'IDI n'a ete qu'entrevu par ledit auteur sansque celui-ci l'ait explicite ou qu'il en ait compris le rententissement pour latheologie (c'est le cas de saint Augustin ou de Jean de Damas), soit encoreque l'infini est confondu avec un autre attribut (selon Sweeney, ce serait lecas de Bonaventure qui aurait confondu «infinite» et «immensit6»). Desorte que, en definitive, seuls Thomas d'Aquin et Richard Fishacreauraient, d'apres Leo Sweeney, systematiquement et «correctement»defendu la these de 1'IDI. Les autres auteurs, ant6rieurs a Thomas, et figu-rant dans le meme colonne que lui, n'ont pas ete aussi constants dans l'affir-mation de cette doctrine. Et parmi les auteurs qui n'ont adherequ'episodiquement ou incidemment a 1'IDI, seul Gregoire de Nysse semblel'avoir fait d'une facon consideree comme legitime par Sweeney4.

On aura remarque que les colonnes 3 et 4 n'ont chacune qu'un repre-sentant. Sans doute pourrait-on en trouver plus qu'un pour la colonne 3.En revanche, selon Sweeney, le seul auteur medieval connu qui ait oseaffirmer que l'essence de Dieu etait finie est Guerric de Saint-Quentin5.Ajoutons que les deux positions (l'essence de Dieu n'est pas infinie;l'essence de Dieu est finie) ne sont pas identiques, puisque l'essence deDieu peut n'etre ni finie ni infinie.

Cette classification peut etonner, en particulier les colonnes 1 et 2. Plotinne dit-il pas que l'Un, de par sa nature meme, est infini?6 Gregoire de Nysseet Jean Damascene ne s'expriment-ils pas de meme a propos de Dieu?7

Bref, ces auteurs ne connaissent-ils pas 1'IDI? Pourquoi Sweeney refuse-t-il alors de les classer avec les partisans a part entiere de 1'IDI? Autre pointsurprenant: Thomas d'Aquin semble etre le seul grand auteur a figurersans reserves dans la colonne 1. Sweeney ne pense certes pas que l'Aquinate

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soit le seul philosophe du Moyen Age a avoir adhere a 1'IDI, puisqu'il con-cede que Henri de Gand, Siger de Brabant et d'autres en ont fait autant(Divine Infinity, p. 337); observons neanmoins, d'abord, que Thomas serait,selon Sweeney, le premier, en Occident, a avoir formul6 de maniere claireet rigoureuse le principe de la doctrine de 1'IDI, et, ensuite, que Thomasd'Aquin est, dans l'ordre chronologique, le dernier auteur du Moyen Ageetudid en detail par Sweeney, comme si la question de savoir si des penseursplus tardifs que Thomas avaient eux aussi connu 1'IDI n'avait pas d'inteiet.En realite, Divine Infinity montre clairement que la doctrine de l'infinitedivine de Thomas d'Aquin jouit d'un prestige incomparable aux yeux deSweeney, qu'elle represente une sorte d'aboutissement dans l'ordre de lareflexion metaphysique sur l'infini, aboutissement vers lequel tendraientconfusement les analyses de Gregoire, de Jean Damascene, de Bonaven-ture, d'Albert et de tant d'autres. II serait fastidieux d'enumdrer tous lespassages ou cette preference pour l'infini thomiste est indiquee. Celle-ciserait du reste parfaitement legitime s'il s'avSrait que, de fait, la doctrinethomiste exprimait mieux le caractere intrinseque de l'infini que celle deHenri de Gand, de Bonaventure ou de Duns Scot. Autrement dit, elle seraitlegitime si elle s'imposait au terme d'une confrontation entre les doctrinesde l'infini de ces differents auteurs. Malheureusement, la lecture de DivineInfinity autorise nettement la preemption que la preference affichee pourThomas par Sweeney resulte moins d'une analyse comparative detaillee del'infini chez les auteurs precites qu'elle n'est l'expression d'un parti pris sys-tematique en faveur de la metaphysique thomiste, parti pris qui se traduitdans certains cas par un refus de lire attentivement des auteurs plus tardifsque Thomas qui ont approfondi et radicalise la reflexion de ce dernier surla question de l'infini (les noms de Henri de Gand, Richard de Middleton,Duns Scot viennent a l'esprit), et, dans d'autres cas, par une reticence,depourvue de fondement textuel, a admettre comme theoriciens a partentiere de l'infini des auteurs anterieurs a Thomas dont tout indique — etpartant les textes! — qu'ils attacherent a cette doctrine une importanceconsiderable et qu'ils la concurent meme sous les especes d'un IDI.

Car la question peut se poser de savoir s'il y a plusieurs facons igalementligitimes de concevoir Dieu comme IDI, au sens ou il y a plusieurs typesde denominations extrinseques (puisque Dieu est aussi infini qu'il y ad'etres qui ne sont pas lui). Dans la negative, dire que plusieurs auteurs ontsoutenu la these de l'infinite divine par denomination intrinseque, revien-drait a dire qu'ils l'ont tous fait au moyen des memes concepts ou seriesde concepts. Dans l'affirmative, dire qu'il y a plusieurs facons de concevoirDieu comme IDI, ce serait reconnaitre que des auteurs differents, tout enadmettant que l'infinite s'applique bien i Dieu meme en son essence, puis-sent legitimement theoriser 1'IDI au moyen de concepts differents. Telleque la comprend Sweeney, la decouverte thomasienne consiste a avoir vuque, dans l'ordre de l'essence, non seulement l'acte, mais aussi la puissance

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expriment une limitation, et que, des lors, dire de Dieu qu'il est infini, c'estdire qu'il n'est limite, ni sous Tangle de la puissance, ni sous celui de l'acte.Faire la mime ddcouverte que Thomas impliquerait done, soit que Tonthematise l'attribut de l'infini divin a l'aide des memes concepts queThomas (les concepts d'acte et de puissance), soit qu'on aboutisse aumeme resultat que lui (e'est-a-dire a l'affirmation de l'IDI) par d'autresmoyens terminologiques et conceptuels. Pour Sweeney, il ne fait aucundoute que concevoir Dieu comme IDI d'une maniere legitime c'est le faireen utilisant les mimes concepts que PAquinate : «Pour qu'un theologienconcoive l'infini comme une perfection de l'etre divin lui-meme, il fautqu'il mette la determination en rapport non seulement avec la forme etl'acte, mais aussi avec la puissance et la matiere» (p. 220; les ital. sont denous). Le probleme est qu'une conception aussi restrictive de ce qui con-stitue un IDI de bon aloi exclut d'embl6e tous les auteurs appartenant ades traditions philosophiques qui, tout en connaissant les concepts aristo-teliciens d'acte et de puissance, n'y attachent pas necessairement la memeimportance dans leur reflexion que Thomas d'Aquin, et ne peuvent, deslors, dans le seul sens admis par Sweeney, th6matiser Pinfmite divine.Ainsi, il n'y aurait qu'un seul IDI d'apres l'erudit americain8. Cette con-ception, restrictive a l'exces, de ce qui constitue un IDI de bon aloi, a pourcorollaire une reticence a admettre dans la colonne 1 du tableau desauteurs qui ont pourtant dit que Dieu etait infini en son essence meme. Ensomme, le projet de Sweeney ne serait pas tant de savoir qui a concul'essence divine comme IDI que de savoir qui l'a fait dans les mimes termesque Thomas d'Aquin. Helas, si une telle approche methodologique est denature a plaire aux thomistes (ou plutot a certains d'entre eux), elle lais-sera insatisfaits tous ceux qui veulent savoir — et l'auteur de ces lignes enest — quels auteurs ont preconise l'IDI, quels que soient les moyens con-ceptuels mis en ceuvre. C'est en tout cas a la lumiere de cette interrogationelargie du probleme de l'infini que nous allons examiner, dans les pages quisuivent, en nous fondant sur les travaux realises par Sweeney, les reflexionsde deux auteurs a qui celui-ci a refuse d'attribuer une connaissance del'IDI: Plotin et Gregoire de Nysse. Autrement formule, le probleme est lesuivant: etant admis que ni Plotin ni Gregoire ne concoivent l'infini deDieu exactement dans les memes termes que Thomas d'Aquin, les analysesde Sweeney nous permettent-elles egalement de conclure que ni Plotin niGregoire de Nysse ne concoivent Dieu, ou l'Un, comme IDI tout court?

2. Les « reticences » de Sweeney2.1. Le cas de PlotinTrois chapitres sont consacres a Plotin dans Divine Infinity dont deuxportent uniquement sur la question de l'infini (soit les chap. 9 et 10). Leplus important des deux (le chap. 9) avait initialement fait l'objet d'unepublication en deux parties dans la revue Gregorianum9. Sweeney, dans un

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article de quarante pages, y presentait pour la premiere fois son interpre-tation de l'infini chez Plotin. Cet article suscita de la part d'un autre eru-dit j6suite, W. Norris Clarke, une replique tres critique a laquelle Sweeneyrelorqua sechement dans un travail publie dans le meme Gregorianum10,avant de se ranger aux vues de son confrere dans un ultime travail consa-cre a la question11. II sera utile pour notre propos de dire quelques motsde chacun de ces travaux (dans leur forme originale) dans l'ordre de leurparution. Nous commencerons par l'article de 1957 de Sweeney.

Selon Sweeney, le concept d'innni (apeiria et aoristia) est principalementpredique, dans les Enneades, de l'Un, du Nous, de l'ame, du mal, de lamatiere intelligible et materielle. Ce concept se pr6dique de ces termes poursignifier que ceux-ci designent des non-etres ou, plutot, des non-etants12.L'etantite se caracterisant par la determination, est infini, en m6taphysi-que plotinienne, tout ce qui est depourvu de determination. Cette absencede determination peut survenir dans deux cas : lorsque l'etre envisage est«au-dessus» de l'etant et, done, du determine, comme e'est le cas de l'Unpar exemple, ou bien lorsqu'il est en-dessous de lui, ce qui est le cas du mal.Le mal et la matiere sont ainsi innnis ou indetermines en raison de leurmanque de limite, manque qui connote en eux une imperfection, alors quel'Un, situe a l'autre extremite de l'echelle de la realite, echappe lui aussi ala determination issue de la forme, sans toutefois que cette absencen'entraine en lui un amoindrissement de perfection. Bien au contraire,l'Un est parfait a raison de l'absence de limitation formelle. La differenceentre l'Un et l'etant est done parallele a celle qui oppose respectivementl'infini (de perfection) au fini. C'est ce qui ressort de ce passage decisif :

(1) [...] car tout vient de [l'Un] parce qu'il n'est lui-meme contenu en aucuneforme; en effet il est seulement un; c'est l'lntelligence qui est tout ce qu'il y adans les etres. C'est pourquoi l'Un n'est aucune des choses qui sont en l'lntel-ligence; mais de lui viennent toutes les choses. Et c'est pourquoi ces choses sontdes essences [oixriai], car chacune d'elles a une limite et comme une forme[mpwxai yap TJSTI Kai otov nop<t>fiv eKaatov &X&]', l'etre ne peut appartenir al'illimite [ev dopioTq>]; l'etre doit 6tre fixe dans une limite [opep] determinee etdans un etat stable; cet etat stable, pour les intelligibles, c'est la definition et laforme [opionoi; Koti uop^], d'ou ils tirent aussi leur realite13.

A ce passage celebre viennent s'en ajouter d'autres qui permettent de cer-ner de plus pres la nature de l'Un :

(2) II est done necessaire que l'Un soit sans forme [dvei5eov]. Etant sans forme,il n'est pas essence [owe o«oia], car l'essence doit etre un individu, done unetre determine [copio|ievov]. Or il n'est pas possible de saisir l'Un comme unindividu; car il ne serait plus le principe, mais l'individu meme que vous6nonceriez14.

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(3) Si, d'autre part, l'etre engendre contient toutes les choses, par laquelle d'entredies designeriez-vous l'Un? Puisqu'il n'est aucune d'entre elles, on peut direseulement qu'il est au-dela. Or ces choses, ce sont les etres et l'Stre; il est doneau-dela de I'itre. Dire qu'il est au-dela de I'Stre, ce n'est point dire qu'il est ceciou cela [... ] e'est affirmer seulement qu'il n'est pas ceci ou cela15.

Ajoutons encore un dernier texte :

(4) Que dira-t-on, alors, quand on s'dleve la-bas, jusqu'a celui qui est superieur al'etre, et qu'on le contemple? Dira-t-on, en voyant qu'il possede la proprieted'etre de telle maniere: il lui est arrive par accident d'etre ainsi qu'il est? Nonpas : ni la maniere dont il est ni aucune maniere d'etre ne lui arrivent par acci-dent [... ] Mais ne disons meme pas : il est ainsi, car ce serait le delimiter etdire qu'il est telle chose. Celui qui le voit ne peut mSme pas dire : il est ainsi,pas plus d'ailleurs que : il n'est pas ainsi: ce serait dire qu'il est un des etresauxquels s'applique le mot ainsi; or il est autre que toutes les choses dont ondit: elles sont ainsi. Ayant contemple son indetermination, Ton peut enumerertous les etres qui sont apres lui, et dire qu'il n'est pas un seul de ces etres [...]".

Voici une premiere conclusion prudente concernant la nature de l'Unbasee sur les quatre textes que nous venons de reproduire :

a) L'indetermination de l'Un vient de ce que celui-ci est situe hors del'etant, au-dessus de l'etant, de la forme, de l'essence, de la determi-nation, et qu'il est, a ce titre, different de tous les etants.

Peut-on etre plus pr6cis? Apres tout, Plotin indique bien que l'Un est sansforme, qu'il n'est ni une essence ni un etre determine (texte 2). Ne peut-on en deduire, en sachant par ailleurs (texte 3) que l'Un n'est aucune deschoses qu'il (pre)contient, que :

b) L'Un est «en lui-meme» depourvu de determination et de limite?

II est curieux de constater que si Sweeney accepte la premiere conclusion,il refuse la seconde. En d'autres mots, selon lui, rien dans les textes citesplus haut ne permet d'affirmer que l'Un est «en lui-meme» sans limite; ilest possible que l'Un soit a la fois fini — «en lui-meme» — et infini, dansla mesure ou il est au-dela du monde des essences et de la determination.Cedons la parole a Sweeney:

II est manifeste qu'une telle predication [a savoir la predication de l'infini de l'Un]n'implique pas necessairement que l'Un est infini dans sa nature meme, elle nefait, ainsi que l'auteur [= Plotin] le laisse entendre, que delimiter le domaine [del'Un] (p. 188).

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En decrivant l'Un comme infini, nous ne faisons, en definitive, qu'affirmer qu'ilse situe au-dela des realties appartenant au monde intelligible et sensible, sansd'aucune facon, attribuer necessairement l'infini a l'Un lui-meme (p. 189).

Essayons de comprendre ce surprenant commentaire. Car la questionse pose aussitot de savoir comment l'Un peut etre infini sans l'etre danssa nature meme. On aura compris que, pour Sweeney, l'Un n'est infinidans les Enniades que par denomination extrinseque, c'est-a-dire, enl'occurrence, qu'il n'est infini que parce qu'il ne possede pas la determi-nation des 6tants (qu'il n'est pas), ce qui, selon Sweeney toujours, laisseintacte la question de savoir si l'Un possede lui-meme une determination :« Limite et determination peuvent etre enracinees dans la nature meme dela chose, ainsi que [Plotin] le montre clairement lorsqu'il applique lememe type d'infinite relative au nombre intelligible» (p. 208).

Rien n'est moins «clair» pourtant que l'application supposee de Plotinde P« infinite relative» au nombre intelligible, comme le montre le texteallegue par Sweeney, texte qui constitue, il vaut la peine de le souligner, leseul passage que notre histonen a pu trouver dans le corpus plotinien al'appui de son interpretation. Voici ce texte :

(5) 1 Quoi qu'il en soit, le nombre, dans le monde intelligible, est determine2 [copiotai]; et c'est nous qui concevons un nombre plus grand que celui qui3 nous est propose, et l'infini existe de la sorte, parce que nous comptons. Dans4 l'intelligible en revanche, on ne peut pas concevoir un nombre plus grand que5 celui qui a ete concu; car le nombre existe deja, et il ne lui a jamais manque de6 nombre, il ne lui en manquera jamais, qui puisse lui etre ajoute. Mais, la-haut7 egalement, le nombre pourrait etre infini [aneipoq], parce qu'il n'est pas mesure;8 par quoi le serait-il en effet? Ce qu'il est, il Test tout entier, car il est un, en un9 seul temps, et done un tout qui n'est pas embrasse par une limite, mais il est par

10 lui-meme ce qu'il est; car, de facon generate, nul d'entre les etres ne subit de11 limite, mais ce qui est limite et mesure, c'est ce qui est empeche de courir vers12 l'infinite et a besoin de mesure, tandis que les etres intelligibles sont tous des13 mesures et, partant, tous beaux17.

II nous est done demande sur la foi de ce seul passage de croire, contrai-rement a ce que Plotin suggere ailleurs — sans il est vrai l'enoncer avectoute la nettete desirable —, que l'Un est infini, tout en pouvant lui-memeposs6der une limite interne. Le texte que nous venons de citer impose-t-ilseulement cette lecture?18 C'est a cette question qu'il nous faut d'abordr6pondre avant de passer a une critique plus globale de Interpretationsweeneyenne de l'infini plotinien.

Remarquons tout d'abord que Plotin, dans le passage 4 ci-dessus,emploie deux mots de racines differentes pour d6signer respectivementl'idee de limite et celle d'infini: 6pi£<o au parfait passif et l'adjectifa7teipo<;. A cette difference lexicale correspond, en l'occurrence19, une dif-

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ference semantique aisement dechiffrable dans le contexte des chapitres16 et 17 de la sixieme Enneade : le nombre intelligible, quelle qu'en soitexactement la nature, est «determine» (ropiotai) en ce sens qu'il est lenombre qu'il est, alors que l'« operation de la pensee» qui consiste a ajou-ter indefiniment 1'unite a une serie de nombres n'engendre, precisement,qu'un indefini, concept que traduirait dans notre texte le mot a7teipo<;.Plotin explique ensuite (lig. 3-6) que, dans Pordre de l'intelligible, l'inde-fini cede la place a un infini realise : ce qui paratt impossible pour un intel-lect humain (la completude d'une serie numerique infinie) est la-bas(eicei) une realite constitute, puisque «tout nombre y est deja». Or cetterealite constitue un nombre dttermint, en ce sens que le nombre intelligi-ble «est le nombre qu'il est» et non un autre.

Sweeney considere que l'afnrmation a la ligne 1 de la determination dunombre intelligible et de son infinite conduit a admettre, du moins a titrede possibility theorique, la coexistence en un meme etre— l'Un parexemple — d'une finitude «interne» et d'une infinite «externe». 'OpiC,<adesignerait la finitude «interne», et arceipoi; l'infinite «externe». Maiscette lecture ne s'impose nullement. La determination du nombre intelli-gible dont il est question a la ligne 1 n'est pas a entendre au sens d'unelimitation, c'est-a-dire d'un manque, mais bien comme l'affirmation de laspecificit6 du nombre intelligible, qui est l'etre qu'il est, caracterisationqui evoque celle que Plotin reserve par ailleurs a l'Un : «I1 faut au con-traire que le principe soit superieur a toutes les choses qui sont apres Lui.En consequence il est quelque chose de defini [cbpiauevov xi]» (Enneades,VI, 8, 9, lig. 9-10)20. L'infini s'accommode done fort bien d'une determi-nation, a condition de bien comprendre que celle-ci n'est pas de naturelimitative. C'est ce que verront plus tard des penseurs comme saint Albertle Grand et surtout Thomas d'Aquin. Ce dernier, que meme Sweeney nesaurait soupconner de concevoir l'essence de Dieu comme douee d'unelimitation interne, n'hesite pas a admettre que, tout en etant infini, Dieudoive etre affecte d'une certaine determination :

Le mot« determine» se prend en deux acceptions: d'abord sous la raison de limi-tation, ensuite dans le sens de distinction. L'essence divine n'est pas determineedans le premier sens, mais bien dans le second, car la forme n'est limitee que sielle recue par un recepteur auquel est proportionnee une certaine matiere. Orl'essence divine ne resulte pas de la reception d'un etre dans un autre [... ] Ensorte que l'essence divine se distingue de toutes choses par cela meme qu'elle n'estpas recue en un autre21.

On trouve un argument similaire chez saint Albert, qui met en rapport ladetermination avec l'indivision, c'est-a-dire avec l'Un transcendantal:

Si Ton ne concevait pas Dieu comme un etre determine, rien ne pourrait etre ni6de lui pas plus que de l'etre au sens absolu; au contraire, ce serait lui qui serait

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predique dc toute autre chose. Or, du fait qu'il n'est pas determine par autre chosemais bien par lui-meme (puisqu'en lui ce qu'iX est et ce par quoi il est sont identi-ques), il ne s'ensuit pas qu'il ait une limite ou qu'il soit fini ou compris par autrechose22.

Comme l'a bien compris le Colonais, dire de \a «deite» qu'elle n'est pasdeterminee reviendrait a confondre celle-ci avec l'etant absolu: avecl'indetermine. Loin done que l'mnnite eventuelle d'un etre interdisel'attribution a ce meme etre d'une determination, celle-ci apparait commenecessaire : e'est la determination — non limitative — qui fait de chaqueetre l'etre qu'il est.

On comprend done que Plotin puisse affirmer d'abord que le nombre intel-ligible est d6termin6 (©piorav) et, ensuite, quelques lignes plus loin, qu'il estinfini. II n'y a la nulle contradiction, nul besoin de distinguer entre une fin«interne* (la determination de la ligne 1) et un infini externe (1'absence de«limite ou le nombre soit renferm6» 6voqu6e a la ligne 9). On peut memeaffirmer sans paradoxe que ce qui fait que le nombre intelligible est un horis-menon est pr6cis6ment son infinit6, puisque, r6p6tons-le, le nombre intelligi-ble est «par lui-me"me ce qu'il est» (lig. 9-10).

Certes, tout n'est pas clair dans le texte 5; cependant, comme le montrel'analyse qui precede, il est possible de donner a ce texte un sens a la foisplausible et different de celui propose par Leo Sweeney dont l'interpreta-tion, si contraire a l'esprit de l'henologie plotinienne, nous parait devoiretre rejetee, tant et aussi longtemps que des raisons decisives voire con-traignantes n'auront pas ete invoquees a son appui.

Revenons aux textes 1, 2, 3 et 4 cites plus haut. La teneur en est-ellecompatible avec Pinterpretation de Sweeney selon laquelle l'Un seraitdoue d'une limite interne? Remarquons, tout d'abord, d'un point de vuestrictement formel et syntaxique, que ces passages mettent en jeu deuxtypes de remarques concernant l'Un. Ceux ou Plotin s'attache, comme ledit Sweeney, a «situer» l'Un dans l'echelle de la realite, et d'autres ou Plo-tin s'emploie a dire «ce que l'Un est et ce qu'il n'est pas». Or, pour pou-voir adopter I'interpr6tation de Sweeney, il faudrait, au minimum,demontrer que, dans l'esprit de Plotin, des propositions du type : «l'Unest sans essence» ou «l'Un n'est pas un individu» signifient en realite :«L'Un est hors l'ordre des etres» et «l'Un est hors l'ordre des individus».Et pour prouver qu'il en est bien ainsi dans l'esprit de Plotin, il faudraittrouver des textes qui le disent explicitement. Or Sweeney n'effectuejamais cette demonstration, n'allegue jamais ces textes, pour la bonne rai-son qu'ils n'existent pas23.

Mais on peut montrer qu'il y a des raisons decisives, tirees des doctrinesmemes de Plotin, qui interdisent le type d'interpretation preconise parnotre auteur. Tout d'abord, le texte 3 stipule que posseder une essence,une forme ou une limite est le propre des etants. Or il est clair que deux

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etants ne peuvent poss6der exactement la meme forme ou limite (sansquoi ils seraient identiques), meme si tous les 6tants ont la propriete deposseder une limite, alors que seul l'Un possede celle d'etre infini. Ainsi,a la multiplicite possible des etants finis s'oppose l'unicite de l'infini, ainsique 1'admettent Plotin et Sweeney. Or dans l'hypothese de ce dernier,l'attribution de l'infini a l'Un aurait pour seul but de nier que l'Un pos-sede la limite appartenant a un etant quelconque, ce qui n'exclut pas qu'ilen possede une lui-meme. Mais dans ce cas, la difference de l'Un par rap-port aux etants serait exactement du meme type que la difference existantentre deux etants quelconques. Or, a ce compte, chaque etre susceptiblede poss6der une limite (c'est-a-dire, dans l'hypothese de Sweeney, lesetants et l'Un) serait du meme coup infini, puisque chacun d'entre euxpossederait une limite (la sienne), ou une forme ou une essence, diff6rentede celle de tous les autres, ce qui l'«ecarterait» du meme coup de l'ensem-ble de tous les etants qu'il n'est pas, bref : il y aurait autant d'infinis qu'ily a d'etres, circonstance evidemment incompatible avec l'hypothese del'unicite de l'infini.

Certains passages, il est vrai, semblent aller dans le sens de la lecturepreconisde par Sweeney. Ainsi dans le texte 3 ci-dessus, Plotin ecrit que«l'Un est au-dela de l'etre. Dire qu'il est au-dela de l'etre, ce n'est pointdire qu'il est ceci ou cela [... ] c'est affirmer seulement qu'il n'est pas ceciou cela». Ce passage laisse entendre que l'Un est au-dela des etres parcequ'il« n'est pas ceci ou cela», autrement dit, parce qu'il n'est pas cet etant-ci ou cet etant-la. Mais dans le texte 4, Plotin a soin d'apporter a ces pro-pos la precision suivante :« [ . . . ] celui qui le voit ne peut meme pas direil est ainsi, pas plus d'ailleurs que : il n'est pas ainsi; ce serait dire qu'il estun des etres auxquels s'applique le mot ainsi; or il est autre que toutes leschoses dont on dit: elles sont ainsi». Ce que met en lumiere ce texte c'estla necessite de concevoir l'Un comme different des etants, pris non indi-viduellement comme le veut Sweeney, mais collectivement: l'Un ne diffirepas de Pierre ou de la matiire, il differe de I'ordre ou s'inscrivent Pierre etla matiere.

Ainsi, ou bien l'Un est veritablement situ6 au-dela des etants et alors,seul parmi tous les etres, il ne possede pas de limite; ou bien il est indivi-duellement autre que tous les etants, et alors il possede une limite, diffe-rente certes de celle des autres— ce qui, justement, en fait un etreindividuellement different —, mais qui le place du meme coup dans lememe ordre que les 6tants, auquel cas il n'est pas au-dela des etants. Telleest l'alternative a laquelle se trouve confronte le commentateur. En choi-sissant la premiere branche de cette alternative, Sweeney adopte un pointde vue qui contredit l'hypothese de transcendance ou de l'unicite de l'Un.

Nous avons dit que peu apres la parution des premiers articles de Swee-ney sur l'infini chez Plotin, un autre erudit jesuite, W. Norris Clarke, avaitpublie une serie de travaux dans lesquels il s'en prenait vigoureusement a

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l'interprelation de son confrere. Apparemment ebranle par ces critiques,Sweeney finit par reconnaitre publiquement le caractere errone de soninterpretation24. Or, fait curieux, cette retractation est introuvable dans laversion remaniee de «Another Interpretation of Enneads, VI, 7, 32» queSweeney nous presente dans Divine Infinity] Simple oubli motive par lesouci d'eliminer toute surcharge du texte? Que non. Temoin ces explica-tions de Sweeney dans la preface :

[... ] avant d'etudier Gregoire, j'avais acquis la conviction [... ] que si Dieu etaitC0119U cotnme infini a la maniere des neoplatoniciens, [c'est-a-dire] comme trans-cendant l'etre, la forme et l'acte, neanmoins il ne pouvait etre envisage commeitreinfini, meme s'il pouvait etre decrit comme apeiros ou aoristos sous Tangle de lapuissance, c'est-a-dire par denomination extrinseque (p. xiii-xiv).

De toute evidence, cette citation met en cause tous les neoplatoniciens.Sweeney a done oublie sa «retractation» de 1961. Loin d'attenuer sespositions primitives relativement a l'infini extrinseque, notre historiensemble plus persuade que jamais que Plotin et les auteurs de la traditionneoplatonicienne de maniere generate, ne possedait aucune conception del'IDI. Or, aucun element nouveau, aucun texte ne vient justifier cette nou-velle volte-face. II importe done de faire valoir, a nouveau, contre l'inter-pretation sweeneyenne de 1957 et sa reprise de 1992 : 1) que Plotin ecritbien que Tun est infini; 2) qu'il ne dit jamais ni ne suggere que l'Un pos-sede intrinsece une limite; 3) que l'imputation a Plotin de cette theseentrainerait la conclusion que l'Un n'est pas au-dela des etres mais seule-ment «different» d'eux, attribut que possede le plus modeste des etres; etenfin 4) que la theologie negative n'aurait plus aucun sens si les attributsnies des etants appartenaient aussi a l'Un.

Passons a Gregoire.

2.2. Gregoire de NysseNous avons evoque plus haut le fait que la question qui dominait l'hori-zon de recherche de Sweeney «quels sont les auteurs qui ont professel'infinite divine par denomination intrinseque?» devait en fait se traduire :«qui a concu l'infinitd divine a la manfere de Thomas d'Aquin, c'est-a-diredans les termes memes de Thomas d'Aquin? » A cela, avouons-le, il existeune exception notable, mais rdcente, dans les travaux de Sweeney : Gr6-goire de Nysse.

Sweeney distingue deux demonstrations de l'innnite divine chezGregoire25: l'une se trouve dans le Contra Eunomium, livre 2, l'autre dansla Vie de Mo't'se. L'interessant ici est que Sweeney reconnait a Gr6goire lemerite d'avoir mis en place, du moins dans le Contra Eunomium, une doc-trine de l'infinite divine differente de celle de Thomas d'Aquin mais«complementaire» de celle-ci. Differente, car elle ne suppose pas une

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mStaphysique aristot61icienne de l'acte et de la puissance; complemen-taire, dans la mesure ou elle met en oeuvre, a l'aide d'un appareil concep-tuel original, une conception de l'essence de Dieu comme infinie pardenomination intrinseque. II semblerait done, dans ce cas precis, que Swee-ney admette une exception au postulat selon lequel il n'y aurait qu'un seulIDI (celui de Thomas d'Aquin). Nous n'insisterons pas ici sur cette pre-miere preuve, celle du Contra Eunomium, mais passerons directement a laseconde demonstration, qualifiee par notre historien de «moins techniquemais tout aussi efficace» (p. xviii).

L'infini dont il est question ici n'est plus, selon Sweeney du moins, uninfini intrinseque (celui de Thomas ou celui du Contra Eunomium), e'estun IDE. Or cette affirmation ne laisse pas d'apparaitre problematique deslors qu'on considere que GrSgoire ecrit, dans l'enonce de sa deuxiemedemonstration, que «le divin selon sa propre nature est infini» (KOTOI TT|Veavrou <|>t)cnv, dopioxov)26. Nous voila done en presence une fois encored'un texte qui dit le contraire de Interpretation que Sweeney en degage.Voici le passage au complet:

Le divin selon sa propre nature est infini, n'etant circonscrit par aucune limite. Sien effet on lui attribuait quelque borne, il serait de toute necessite, avec la limite,de considerer aussi ce qui est au-dela d'elle. Car ce qui est limite aboutit forcementa quelque chose. Ainsi l'air est la limite des choses qui sont sur la terre, et l'eau lalimite des choses qui sont dans l'eau; et done, le poisson est de toutes part (pic)environne par l'eau, l'oiseau par l'air, si bien que le poisson est entierement limitetout autour par l'eau qui l'enveloppe et le recoit, et de meme l'oiseau par l'airdont il est entoure. Ainsi il est necessaire, si le divin est concu comme limite, qu'ilsoit environne par une realite heterogene. Que le contenant en effet soit plusgrand que le contenu, la logique en temoigne. Mais tout le monde est d'accordpour dire que la divinite est la beaute essentielle. Or ce qui est d'autre nature quele beau est forcement quelque chose d'autre que le beau. Ce qui est hors de labeaute est compris dans la categorie du mal. Mais il a ete etabli que le contenantest plus grand que ce contenu. II est done necessaire que ceux qui pensent que lebeau est limite, accordent aussi qu'il est environne par le mal. Mais tout ce quiest contenu etant moindre que ce qui contient, il s'ensuivrait que le plus fortl'emporte. Done celui qui enserre le beau dans quelque limite le soumet a la deno-mination de son contraire. Mais cela est absurde27.

Selon l'explication que nous donne Sweeney de ce passage, celui-cin'aurait pour seule fonction que de nous permettre de concevoir Dieucomme un etre qui transcende l'espace et le temps, et qui, par la meme,echappe a toute limitation d'ordre temporel ou spatial, bref de concevoirDieu comme IDE. Le terme «infini» en tant qu'il s'applique a Dieu / l'Unne qualifie pas l'essence meme de Dieu / l'Un mais son rapport a autrechose. Pourtant, rep6tons-le, Gregoire ecrit bien que «le divin selon sa

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propre nature est infini». En realite, selon notre historien, la raison pourlaquelle on ne saurait assimiler Pinfini dont parle Gr6goire dans le textecite de la Vie de Moise a un IDI, est que cet infini est fonde sur le rapportcontenant / contenu et non, comme c'est le cas dans les infinis de «bonaloi», sur les couples puissance/acte (Thomas d'Aquin) ou participant/participe (Gregoire au Contra Eunomium). En effet, chaque membre deces deux derniers couples designe un «composant interne» {intrinsic cons-tituent) d'un e"tre quelconque, alors que le contenant designe quelquechose d'ext6rieur au contenu. Dire qu'un Stre est affranchi de toute limi-tation interne, c'est dire qu'il est IDI dans sa nature meme, alors que leconcevoir comme infini par absence de contenant ne revient qu'a ecarterde lui une limitation externe.

On peut done ramener l'interpretation de Vinfini gregorien raise enavant par Sweeney a deux theses : 1) L'infinite de Dieu dans la Vie deMoise decrit en realite la transcendance divine par rapport au temps, al'espace et a la connaissance mais non l'essence interne de Dieu. 2) Le cou-ple contenant / contenu applique a l'essence de Dieu ne peut pas aboutira faire concevoir Dieu comme un IDI, puisque le contenant designe autrechose que Dieu et non un composant possible de l'essence divine.

Que penser de ces deux theses? A propos de la deuxieme, nous nous limi-terons a une remarque. Selon Sweeney, la puissance et l'acte sont des com-posants internes des etres. C'est-a-dire que dans tout etre fini la matiere estlimitee par la forme qui l'actualise et la determine, tout comme la forme estlimitee dans sa perfection par la matiere qui la «contracte »(saint Thomas).Dire de Dieu qu'il est infini, c'est done l'affranchir d'une double limitationinterne. A Poppose, concevoir Dieu comme infini a l'aide du couplecontenant / contenu, revient seulement a exclure qu'il soit limite par un etreheterogene. A cela, on r6pondra qu'il y a peut-etre en effet une differenceentre les trois couples de concepts, mais que, precisement, pour Gregoire,Dieu est infini par absence de contenant; il est pur contenu, ou, plutot,aucun contenant ne pouvant, mktaphoriquement, circonscrire l'essencedivine, l'opposition contenant / contenu cesse de jouer, chaque membreetant correlatif de l'autre. Dieu est done pure Beaute, pure perfection, etc.

Venons-en a la premiere des deux theses de l'interpretation swee-neyenne. Une premiere remarque s'impose : jamais dans les passages dela Vie de Moise allegues par Sweeney, Gregoire ne parle d'espace ou detemps. Laissons cependant le benefice du doute a Sweeney: peut-etreGregoire laisse-t-il entendre a mots couverts que l'infinite de Dieu est enrealite transcendante par rapport aux effets, a l'espace et au temps.Reportons-nous au texte de la Vie de Moise reproduit ci-dessus.

Gregoire y explique que Dieu n'est circonscrit par rien, car etre circons-crit, c'est etre limits par quelque chose d'autre. Aussitot, il introduit deuxexemples : un poisson est circonscrit par l'eau qui l'environne et danslaquelle il se meut; un oiseau est circonscrit par l'air dans lequel il se

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deplace. Or Dieu, etant incirconscrit, ne peut se trouver dans la memesituation mutatis mutandis que l'oiseau ou le poisson, c'est-a-dire qu'il nesaurait se trouver dans la situation d'un etre qui est englobe et done«domin6» par un autre etre.

A ce stade, la question se pose de savoir ce que Gregoire veut direlorsqu'il laisse entendre que Dieu ne saurait etre circonscrit. Est-ce qu'ilveut dire que Dieu ne saurait etre circonscrit par l'espace? Le couplecontenant / contenu ne s'applique-t-il qu'a l'espace et au temps? L'analo-gie du poisson et de l'oiseau pourrait le laisser supposer, puisque l'eau etl'air relevent tous deux de l'ordre de l'etendue. Or que dit la suite du textede la Vie de Mo'isel Gregoire explique que si on concevait Dieu commeun etre limite, il serait necessaire de le considerer comme contenu par unerealite heterogene; et supposer que Dieu puisse etre contenu par une rea-lite heterogene si on le concoit, comme le fait Gregoire, comme Beauteessentielle, ce serait le concevoir comme limite par autre chose que leBeau, quelque chose d'exterieur au Beau. Pour Gregoire, cette autrechose ne peut guere etre que le mal. Or, en vertu de l'asymetrie du principed'inclusion (selon lequel le contenant est toujours plus grand que le con-tenu), il faudrait que le mal «enveloppe» le Beau — et non vice versa —,ce qui aurait pour consequence que le beau ne serait plus beau mais mal.Ceci etant faux, il s'ensuit que Dieu est pure beaute essentielle, non cir-conscrit par quoi que ce soit.

L'important ici est que Gregoire a choisi en guise d'« instantiation » ducouple contenu / contenant le couple beaute /mal qui n'a evidemmentrien a voir avec l'espace ou le temps, ni, partant, avec la matiere, souspeine autrement de faire de Gregoire un materialiste integral. II est donemanifeste que le couple contenant / contenu, dans l'esprit de Gregoire,peut servir, non seulement a decrire des rapports d'inclusion spatiale outemporelle, mais aussi, metaphoiiquement, des rapports de «contigui"te»ou d'inclusion entre des etres ou des realites immateriels. Pour Gregoire,le rapport d'inclusion du contenu dans le contenant represente une verited'ordre logique qui reste vraie quelle que soit la valeur des termes qui sou-tiennent ce rapport. Que viennent done faire les references au temps et al'espace dans les analyses de Sweeney? En fait, celui-ci ne demontrejamais le rapport ou la pertinence de ces termes a la demonstration de laVie de Mo'ise, il se contente d'en faire un postulat de son interpretation.

Mais pourquoi ne pas penser, comme le texte de Gregoire nous invitesi clairement a le faire, que Dieu est infini parce que rien ne le contient,parce qu'il n'est limite par aucune realite heterogene, et non pas seulementparce qu'il n'est pas limite par le temps ou l'espace ou la comprehensiondes hommes? Pourquoi tant de reticences a admettre le Gregoire de la Viede Mo'ise ou Plotin dans le cercle — deja tres ferme — des theoriciens dePinfinite divine? Ce sont la, notons-le, des questions qui pourraient toutaussi bien s'appliquer a des auteurs comme Bonaventure, Albert le

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136 Dialogue

Grand, Alexandre de Hales et d'autres encore dont il nous a ete impossi-ble de parler dans la prSsente etude. Mais les motivations profondes, pen-sons-nous, sont les memes dans chaque cas : les reticences sweeneyennessont commandees par sa conception — preconcue — de ce qui constitueune theorie de l'infinite divine acceptable; elles s'expliquent par un partipris en faveur d'un « certain »infini, parti pris dont pratiquement toute lametaphysique «occidentale» ferait les frais, et dont Thomas d'Aquinserait, avec deux ou trois notables exceptions, le grand b6n6ficiaire. Cettevision des choses doit etre rejet6e. Ce n'est pas le plus mince merite denotre auteur que d'avoir fourni aux historiens les categories permettantde d6passer (ou de montrer la necessite de ddpasser) sa propre reconstruc-tion de l'histoire de I'infinit6 divine.

Notes

1 Dans The Modern Schoolman, vol. 33 (1956), p. 270-279.2 Ces sigles seront utilises, soit comme complements de maniere, soit en tant

qu'expressions nominates. Exemple : «Dieu est concu comme IDI» ou «Proclusne connait pas l'IDE».

3 On peut noter des differences, meme a l'interieur d'une meme oeuvre. En fait,ainsi que Kovach l'a magistralement demontre, Albert n'est pas moins convaincuque Thomas de la necessite de qualifier Dieu d'etre infini par denominationintrinseque. Voir F. Kovach,«Infinity of Divine Essence and Power in the Worksof St. Albert the Great», dans Albert der Grofie. Seine Zeit, sein Werk, seineWirkung (Miscellanea Mediaevalia, vol. 14), Berlin et New York, Walter deGruyter, 1981, p. 24-40.

4 Voir, ci-dessous, nos analyses consacrees a Interpretation sweeneyenne del'infini chez Gr6goire.

5 Nous nous permettons de renvoyer a nos articles «Guerric de Saint-Quentin etle probleme de l'infinite divine », a paraitre fans Les philosophies morales etpoli-tiques au Moyen Age, Actes du Neuvieme Congres international de Philosophicmedievale (Ottawa, 17-22 aofit 1992), ainsi que «Guerric de Saint-Quentin etl'infinite de l'essence divine», dans un prochain numero des Recherches de theo-logie ancienne et midiivale.

6 Enneades, V, 5,11, lig. 1-4. Sauf indications contraires, le texte et les traductionsde Plotin sont ceux d'E. Brehier (Plotin, Paris, Les Belles Lettres, 1954). Les tresrares differences entre l'edition Brehier et celle de Henry et Schwytzer (PlotiniOpera, Paris et Bruxelles, Desclee de Brouwer, 1973), sont signalees en notes.

7 Pour Gregoire, voir ci-dessous, p. 132 et suivantes; pour Jean de Damas, cf. lefameux passage du Defide orthodoxa, I, chap. 9 (Patrologia gratca, 94, 836B).

8 Armand Maurer a deja critique ce postulat et ce, croyons-nous, avec raison. Cf.Armand Maurer, «The Role of Infinity in the Thought of Francis ofMeyronnes», Mediaeval Studies, vol. 33 (1971), p. 207, n. 24, repris dans Beingand Knowing: Studies in Thomas Aquinas and Late Medieval Philosophers,Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1990, p. 339, n. 24.

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L'infiniti divine 137

9 «Infinity in Plotinus», dans Gregorianum, vol. 38 (1957), p. 515-535 et 713-732(= Divine Infinity, p. 167-222).

10 W. Norris Clarke, «Infinity in Plotinus : A Reply», Gregorianum, vol. 40 (1959),p. 75-98 et L. Sweeney, «Plotinus Revisited», Gregorianum, vol. 40 (1959),p. 327-331.

11 «Another Interpretation of Enneads, VI, 7,32», The Modern Schoolman, vol. 38(1961), p. 289-304, surtout p. 302, n. 34.

12 Dans tout ce qui suit, nous reserverons le mot «etant» pour designer ce quePlotin appelle 6v, et nous utiliserons le terme «etre» comme «transcendantal»pour designer indifferemment l'Un (qui n'est pas etant) et les etants.

13 Enniades, V, 1, 7, lig. 19-26.14 Ibid., V, 5, 6, lig. 4-8.15 Ibid.,\, 5, 6,\ig. 8-13.16 Ibid., VI, 8, 9, lig. 34-42. Pour une autre traduction de ce passage ainsi que, de

maniere generate, toute YEnniade VI, 8 on consultera Georges Leroux, Plotin.Traiti sur la liberte et la volonti de l'Un, Enniade VI, 8 (39), introduction, tra-duction et commentaire, Paris, Vrin, 1990. En l'occurrence, la traduction de Bre-hier nous parait mieux saisir la teneur philosophique du passage de Plotin.

17 Enniades, VI, 6, 18, lig. 1-12. Traduction de J. Bertier, L. Brisson, A. Charles,J. Pepin, H.-D. Saffrey, A.-Ph. Segonds, Plotin. Traiti sur les nombres (EnniadeVI6 [34]), Paris, Vrin, 1980. Nous substituons, a ligne 1, le mot «determine»au «limite» des traducteurs.

18 «Impose-t-il» plutot que «autorise-t-il» ecrivons-nous, caril faut que l'interpre-tation sweeneyenne de ce passage soit contraignante pour s'imposer face auxnombreux textes qui disent que l'Un est infini.

19 «En l'occurrence» ecrivons-nous, car il faut avouer que la terminologie ploti-nienne est tres fluctuante.

20 Traduction de G. Leroux.21 Quastiones quodlibetales, VII, quest. 1, art. I, ad I (ed. Spiazzi).22 Super Dionysium de divinis nominibus, chap. 1, n. 36, ed. P. Simon {Opera omnia,

Editio Coloniensis, t. 37, fasc. 1), Miinster, Aschendorff, 1972, p. 20.23 On peut d'ores et deja dire qu'il y en a un qui affirme le contraire : «I1 (= l'Un)

possede l'infinite, parce qu'il n'est pas multiple, et parce qu'il n'y a rien pour lelimiter. II n'est ni mesurable ni denombrable, parce qu'il est Un. II n'a done delimite, ni en autre chose ni en lui-meme» (Enniades, V, 5,11, lig. 1-4). On ne sau-rait etre plus clair.

24 Voir, outre l'article cite a la note 11, «John Damascene and Divine Infinity»,The New Scholasticism, vol. 35 (1961), p. 106, n. 85.

25 Les principaux passages consacres a Gregoire se trouvent dans la preface (p. xva xviii) et au chapitre 21 («Gregory of Nyssa on God as Infinite Being»).

26 Grdgoire de Nysse, Contemplation sur la vie de Moise, trad. Jean Danielou(Sources chretiennes, vol. 1), p. 143 (= Patrologia graca, 44,404B).

27 Ibid., p. 143-144 (= Patrologia graca, 44,404B).

Page 21: L'infinité divine dans l'Antiquité et au Moyen Âge

PHILOSOPHERRevue de 1'enseignement de la philosophic au Quebec

Numero 16, 1994, 300 pagesISSN 0827-1887 ISBN 2-9802484-3-6

Le difi ithique dans un contexte social et culturel en mutation, par Guy RocherDe la croyance morale a la parole ithique, par Georges A. LegaultL'enseignement de V ithique comme activiti deformation morale, par Luc Begintthique et enseignement, par Andr6 CarrierRiflexions sur l'enseignement de I'ithique, par Claude ParisEnseigner Fithique selon leparadigme du «moi moralement relii», par S. M MullettPeut-on parler de thiories en ithique!, par Lukas K. SosoeRationtdisme et ithique naturalisie, par Andrew QuinnLa construction du champ de Vithique en environnement, par Andre' Beauchamptthique et ithiques oppliquies, par Marie-Helene ParizeauLa bioithique : dune revolution a I'autre, par Marcel J. MelanconLa bioithique, une interface entre thiorie et pratique!, par Bruno LeclercChemins et impasses de Vithique a Yhopital, par Jean-Francois MalherbePour un enseignement relativiste de V ithique, par Jean-Francois MartineauNotes sur le relativisme et le monisme en ithique, par Daniel M. WeinstockRelativisme ithique et rationaliti, par Michel PaquetteLe difi pidagogique du relativisme en ithique, par David DaviesL'humanitaire entre V ithique et la politique, par Jean-Marie TherrienEn deqa de la souveraineti, par Joseph PestieauLa philosophie politique et la formation du citoyen, par Wayne NormanL'enseignement de la philosophie et la citoyenneti, par Jean BaillargeonProtreptique et dialectique, par Georges LerouxL'enseignement de Vhistoire de I'ithique, par Dominique LeydetEnseigner Vithique par Vhistoire, par Louise MarcilL'ithique aujourd"hui : entre fondation et application, par Alain Renaut

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