L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

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Méneval, Napoléon Joseph Ernest (1849-19.. ; baron de). Baron de Méneval,... l'Impératrice Joséphine d'après les témoignages de ses principaux historiens.... (1910). 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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Méneval, Napoléon Joseph Ernest (1849-19.. ; baron de). Baron de Méneval,... l'Impératrice Joséphine d'après les témoignages de ses principaux historiens.... (1910).

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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BARON DE MÉNEVAL

Mi M s r Hi i'i.i:N ti'«>r i:s 11AIRK

L'IMPKBA.TRIGE

JOSÉPHINE

u'.vrniis u: TK-MOIUXAIÏ!;DI: M> IT.IM IIVUX nisiunn;.Ns

PARIS

CALMANN-LÉVY, ÉDITEUUS

J. HUE AUliliR, {

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L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE

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BARON DE MÉNEVAL"

MINISTREPLÉNIPOTENTIAIRE

L'IMEJmATRICE

JtfS'ËPfINE

D'APRÈSLETÉMOIGNAGEDE SESPRINCIP X HISTORIENS

PARIS

CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS

3, RUE AUDER, 3

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INTRODUCTION

Des circonstances particulières nous ont rendu

possesseur de nombreuses lettres, en grande

partie autographes adressées par la reine Hor-

tense à l'abbé Bertrand, ancien aumônier de la

fille de l'impératrice Joséphine, et premier pré-

cepteur de ses enfants. Nous sommes également

en possession de quarante-sept lettres de son fils

cadet, le futur empereur Napoléon III, adressées

au môme abbé Bertrand et qui sont toutes de la

main de ce prince 1.

Dans les lettres de la reine Hortense que nous

avons sous les yeux, il est assez souvent question

naturellement de l'impératrice Joséphine, et c'est

ce qui nous a donné l'idée de retracer, à notre

1. Ces lettres sont toutes inédites.

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II INTnODUCTT^N.

tour, les principalos phases de l'existence pleine

d'imprévu et do contrastes do la première femme

de l'empereur Napoléon I*r.

Dès la chute du régime impérial en 1815,

l'outrage et la calomnie se déversaient, cela va

sans dire, sur les principaux personnages do

la famille Bonaparte. L'impératrice Joséphine,

comme on peut aisément le supposer, no fut

pas plus épargnée que les autres. Sa réputation

devint à ce moment l'objet des attaques les plus

injustes; elle a continué de nos jours à être

traitée plus sévèrement qu'équitablement par

quelques auteurs contemporains.

La reine Hortense, vilipendée elle aussi dans

les libelles du temps, ne pouvait manquer de

prendre le parti do sa mèroetde défendre énergi-

quement une mémoire qui lui était si chère. On

conviendra qu'elle aurait eu mauvaise grâce à s'en

abstenir. L'avant-propos qu'elle a placé en tôto

de la collection des lettres do Napoléon à sa pre-

mière femme, curieuse collection qui a paru chez

Didot en 1832, contient d'assez vives critiques

contre plusieurs passages du Mémorial de Sainto-

Ilélône. Si Napoléon eût pu relire a tête roposéo

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INTRODUCTION. Ht

ce dernier ouvrage, il est probable quo ses anno-

tations, comme colles qu'il a laissées sur le livre

de Fleury de Chaboulon, eussent plus d'une fois

réformé les jugements placés dans sa bouche par

le transcripteur de ces entretiens.

Quoi qu'il en soit, nous citerons ici quelques

passages do la correspondance do la reine Hor-

tense avec l'abbé Bertrand, correspondance qui

s'échelonne de 1824 a 1836 et qui dura jusqu'au

terme de l'existence do la mère de Napoléon III.

Le 9 mars 1823 elle écrivait à son ancien aumô-

nier une longue lettre dont nous détachons le

passage suivant :

« ... J'ai lu, comme vous, tous ces ouvrages

qui viennent do paraître ; les conversations n'ont

pas lo sens commun. Comment vouloir répéter ce

que l'on a eu souvent do la peiné à bien entendre,

et ce qui est si fugitif quo lo ton, la physionomie

dit quelquefois beaucoup plus que le langage.

Si l'empereur a dit en souriant et d'un air satis-

fait : Ma femme était jalouse, il en paraissait

heureux; M. do Las Cases qui nous a répété cette

phrase, sans pouvoir fairo vivre son papier, et

sans nous peindre l'impression do celui qu'il fait

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IV INTRODUCTION.

parler, devient donc rapporteur infidèle, puis-

qu'il nous peint la malveillance, tandis que

c'était uno tondre bienveillance dont il entendait

l'expression. J'en ai pour assurance ce qu'il m'a

dit a Francfort quand je l'ai vu : « Que l'Empe-

» reur aimait votre mère, me disait-il, qu'il m'en

» parlait souvent avec plaisir! J'ai mes papiers

» remplis des éloges qu'il m'en faisait. » Vous

voyez, mon cher monsieur l'abbé, comme il s'est

abusé lui-même, car c'est son livre qui a donné

lieu au libelle dont vous avez été si courroucé

avec raison. C'était une chose nouvelle et piquante

que de dire du mal de ma mère car, pour moi,

c'était uno vieille habitude; aussi j'ai méprisé

ce qui me regardait, ce n'est pas co qui m'a

le plus touchée... »

Dans une autre lettre de la reine Hortense

adressée au même ecclésiastique, écrite à Are-

nemberg le 9 octobre 1825, se rencontre une

critique si vive et si acerbe du Mémorial et de

M. de Las Cases que nous avons hésité a la

transcrire. Cependant comme nous n'avons qua-

lité ni autorité soit pour infirmer les apprécia-

tions de la fille de Joséphine, soit pour les ratifier,

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INTRODUCTION. V

lo lecteur pensera, comme nous, que la respon-

sabilité doit en appartenir a cette seule princesse.

Voici lo passage irrité qu'elle consacre à cet

ouvrage si intéressant et si remarquable d'ailleurs

à tant do titres « ... J'ai reçu votre lettre sur

l'ouvrage de M. Dulaure; il est assez simple

qu'il ait puisé dans M. de Las Cases des détails

qu'il a dû croire vrais, et qui eût dit quo men-

songe et calomnie sur l'impératrice Joséphine

vint do là! Si jo n'étais pas si paresseuse, je

voudrais m'amuser a écrire sur le Mémorial ce

quo jo reconnaissais dicté par l'Empereur et ce

qui était du cru de M. de Las Cases. »

Pauvre reine Hortense qu'aurait-elle dit de

nos jours en lisant combien sa mère est mal-

traitée dans certains ouvrages auxquels un public

trop peu sérieux attache une importance qu'ils no

nous semblent pas devoir mériter. Nul n'est bon

jugo il est vrai dans sa propre cause, et, quoi

qu'en dise la femme du roi Louis Bonaparte, le

comte do Las Cases a pu être un plus fidèle inter-

prète dos conversations de Sainte-Hélène que

l'ancienno rcino de Hollande no parait disposée

à lo croire...

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VI INTRODUCTION.

Un peu plus 1cm, dans cette même lettre, la

princesse ajoute cette réflexion pittoresque : « Au

reste, je l'ai déjà dit, nous sommes les grandes

marionnettes qu'on fait jouer pour amuser les

passants et pour attirer de l'argent, et je serai

madame la lune ou madame le soleil selon le

caprice du charlatan... »

Ne croirait-on pas cette réflexion écrite pour

ce qui se passe aujourd'hui si souvent dans des

récits prétendus historiques?

Deux autres lettres de la reine Hortenso con-

tiennent encore des passages se rapportant à la

même idée et qui méritent peut-être d'être repro-

duits. Dans l'une d'elles, datée du 3 janvier 1834,

la mère de Napoléon III émet cet aphorisme :

« L'histoire commence 'déjà pour nous et où

va-t-on chercher ce qui me regarde? Dans des

libelles restés sans réponse depuis 1815. »

Enfin pour ne pas abuser de la patience du

lecteur nous terminerons ces citations de la reine

Hortense par un dernier paragraphe tiré d'une

lettre adressée comme les précédentes à l'abbé

Bertrand, et datée du 30 janvier 1835, une année

environ avant la mort de la reine.

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INTRODUCTION. VII

« C'est toujou/s le genre do pusillanimité que

je connais : Ne parlons pas du passé ! ne remuons

pas des cendres! dit-on, mais l'histoire, qui se

moquo des cendres et qui no vit quo du passé,

vient vous dessiner uno figure copiée dans des

libelles, et elle reste ainsi tracée à cause do la fai-

blesse et de l'ingratitude des contemporains. Je vis

loin du monde, mon cher abbé, etjenele regrette

pas. Je le vois <ï. M loin et de si haut qu'il me fait

l'effet de devenir plus petit tous les jours; du

moins celui des grandes villes où le bruit, le

mouvement, la poussière vous empêchent do

rien voir et de rien juger sainement. »

Il y a certes beaucoup de vrai dans ces

réflexions d'une philosophie amère, dues à la

plume de la pauvre reine déchue, qui n'a pu

vivre assez longtemps pour assister à l'apothéose

de son fils, l'empereur Napoléon III.

En entreprenant le récit des faits principaux

qui ont marqué l'existence de l'impératrice José-

phine, dont l'histoire a été si fidèlement racontée

par un écrivain de talent, M. Aubenas, nous

n'avons pas la prétention de renouveler ici pour

le lecteur le récit d'une foule d'incidents connus»

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VIII INTRODUCTION.

mais nous serons, croyons-nous, en mesure do

lui faire connaître plus d'un détail inédit. Grâce à

des lettres qui ont été précieusement conservées

dans notro collection d'autographes ainsi qu'à

des recherches particulières nous avons l'espoir

d'atteindre ce résultat. En résumé si l'impéra-

trice Joséphine n'a pas été à l'abri do quelques

faiblesses, elle n'a jamais été, selon nous, la

femme égoïste et perverse dont certains auteurs

ont semblé prendre à tâche de flétrir la mémoire

et le bon renom. Elle a été lo bon génie de

Napoléon qu'elle a utilement secondé dans

l'oeuvre du relèvement national, entreprise à la

suite du bouleversement de toutes choses qui

avait été le fruit d'une sanglante révolution. Les

faiblesses qu'on a pu lui reprocher ont été

d'ailleurs singulièrement amplifiées dans des

ouvrages do parti pris. Ceux qui ont lo plus mal-

traité Joséphine, ne parvenant pas à donner des

informations précises sur ses écarts de conduite,

en ont été réduits la plupart du temps à recher-

cher des accusations contre elle dans des pam-

phlets qu'ils s'abstiennent même do citer. On n'a

pu enfin trouver aucun reproche sérieux h lui

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INTRODUCTION. IX

adresser, à partir du moment où elle est montée

sur le trône avec son époux. Sa grâce, sa bonté

proverbiale, sa bienveillance pleine de douceur

et de charme lui avaient conquis tous les coeurs ;

elle n'a môme en définitivo éprouvé ni conservé

aucun sentiment de haine ou de rancune contre

ses pires ennemis. C'est un bel éloge que peu de

personnages aussi haut placés que l'impératrice

Joséphine ont mérité de la part de la postérité.

Enfin un dernier témoignage touchant de respec-

tueuse estime a été rendu à sa mémoire par le

duc de Ileichstadt lui-même. Dans une de ses

conversations avec son intime confident, M. de

Prokesch-Osten, le fils de Napoléon s'est exprimé

sur le compte de la première femme de son père

dans les tormes suivants : « Si Joséphine

avait été ma mère, mon père n'aurait pas été à

Sainte-Hélène, et moi je ne languirais pas à

Vienne1!... »

L'infortuné prince avait raison de penser

ainsi, car l'impératrice Joséphine, bien différente

1. Le duc de Reichstadt,par Henri Welschinger, d'après desnotes inédites du chevalier de Prokesch-Osten,p. 53. De Soyoet fils, éditeurs, Paris, 1007.

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X INTRODUCTION.

en cola do Marie-Louise, a été surtout une mère

incomparable. La piété filiale à toute épreuve que

ne cessèrent de lui témoigner, de son vivant et

après sa mort, son fils le prince Eugène et sa fille

la reine Hortenso a justifié le propos échappé des

lèvres du duc de Reichstadt et enregistré, à

Vienne, dans les papiers longtemps inédits de

de M. de Prokesch-Osten.

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L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE

CHAPITRE PREMIER

Naissance de Joséphine à la Martinique. — Une négresse luiprédit les plus hautes destinées. —Unede ses tantes, madamede Rcnaudin, a l'idée de faire venir Joséphine en France. —Arrivée de celte dernière et peu de temps après célébrationde son mariage avec le vicomtede Reauharnais. — Des dis-sentiments no tardent pas à se produiredans lejeune ménage.— Naissance d'Eugène de Beauharnais. — M.de Bcauharnaisse sépare de sa femme. — Premiers symptômes révolution-naires. —Naissancede sa fille Hortcnse. —Joséphine, aprèsun séjour a la Martinique, se réconcilie avec son époux.

Maric-Joseph-Rose Tascher do la Pagerio

naquit à la Martinique, dans le domaine do ses

parents, aux Trois Ilots, le 23 juin 1763. Son

père, M. Tascher, avait servi dans les troupes

formant la garnison do cette île et, pendant

la guerre d'Amérique sous Louis XVI, il avait

contribué à la défendre contre les attaques

dés vaisseaux anglais. La mère do la future

impératrice était mademoiselle do Sanois; elle

appartenait également à uno famillo créole. Le

1

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2 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

lecteur no doit pas s'attendro à ce quo'l'histoire

généalogique do ces deux familles soit reproduite

dans nos récits. M. Aubenas, l'auteur estimé

d'une biographie do l'impératrice Joséphine, a

donné sur cotto matière do nombreux et intéres-

sants détails, qu'il serait superflu do rééditer 1.

L'éducation pédagogiquo de mademoiselle de

la Pagerie, comme celle de tous les enfants do

famille créole élevés aux colonies, se ressentit

du laisser-aller et de la négligence quo les

parents y toléraient à cette lointaine époque. Si

l'instruction y laissait fortement à désirer, il n'en

était pas de même de l'éducation. Celle qu'on

est à même do recevoir dans un milieu distingué,

dans une catégorie sociale où so maintient le

culte des traditions et le respect des bonnes

manières, ne pouvait manquer do se trouver là,

comme en tout autre pays, particulièrement

soignée. Ce genre d'éducation, dont la privation

se fait toujours sentir, quand elle n'a pas été reçuo

dès l'enfance, no fit point défaut à la future

vicomtesse de Beauharnais; il devait contribuer

à faire de celle-ci la femme du monde accomplie

qu'elle est devenue par la suite.

i. Voir Vllistoirede timpêralriceJoséphine,par J. Aubenas,1850,chezAmyot,éditeur, rue do la Poix.

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L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

La jeunesse de Joséphine s'écoula paisiblement

sous le beau ciel des Antilles dont l'heureux cli-

mat ne connaît ni les hivers ni les frimas, au

milieu des esclaves noirs du domaine paternel. Sa

bonté naturelle la faisait adorer de ces pauvres

gens dont elle était la providence et dont elle

soulageait les misères et les infirmités. Une vieille

négresse, un peu sorcière, lui prédit alors, à en

croire une légende sérieusement accréditée, les

destinées les plus hautes; comme cette prédiction

s'est, par extraordinaire, pleinement réalisée

beaucoup plus tard, on peut y trouver l'origine

du penchant à la superstition que toutes les bio-

graphies de Joséphino sont d'accord pour lui attri-

buer 1.

i. « Presque reine...Plus que reine... Heine voilée... » Tellessont les prédictions faites h trois jeunes filles de la Martinique,à deux époques différentes,par des négresses diseuses de bonneaventure, prédictions toutes trois réalisées.

La première a été faite à Françoise d'Aubigné, réfugiée avecson père à la Martinique. Rien ne faisait présager le succès dela prophétie, tant que Françoise d'Aubigné demeura la femmede Scarron; mais l'on sait qu'elle devint madame de Maintenonet presquereine.

Bien incertaine de l'avenir était Joséphine Tascher de laPagerie, même lorsqu'elle était la femme du général vicomtede Beauharnais. même lorsqu'elle épousa le jeune général Bona-parte qui, pourtant, la fitplus que reine.

Quant à la troisième, qui devait régner dans l'ombre, c'étaitmademoiselle Dubuc de Rivery, contemporaine et parente deJoséphine Tascher. Elle fut enlevée en mer par des pirates

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4 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Uno dos tantes do mademoiselle de la Pagerio,

madame do Renaudin, femme de volonté ferme ot

d'imagination fertile, se mit en tôto do la fairo

venir en France et do lui préparer un mariage

avantageux, pour la tante comme pour la nièce.

Cotte paronto de Joséphine, liée depuis longtemps

avec la famille do Reauharnais, rêvait de s'en rap-

procher par des liens plus étroits, En excellentes

relations depuis plusieurs années avec le vieux

marquis do Beauharnais, ancien chef d'escadre,

madame do Renaudin avait fait sa connaissance

autrefois, pendant un des séjours de ce dernier à

la Martinique, et ne l'avait plus perdu de vuo.

Cotte habile personne résolut donc de mettre en

oeuvre toute sa finesse et tout son savoir-faire pour

assurer lo succès de ses négociations matrimo-

niales. Le marquis de Beauharnais avait un fils

fort jeune encore, le vicomte Alexandre, sur lequel

madame de Renaudin avait jeté son dévolu pour

sa nièce. Un jeune homme do dix-neuf ans subit

aisément l'influence d'une femme adroite et insi-

nuante, d'un âge presque double du sien, surtout

et transportée au sérail de Constantinopleoù elle devint sultanefavorite.

Abd-ul-Aziz,petit-fils de cette dernière, rappela en souriantcetto parenté à Napoléon III, lors du voyagedu Sultan à Parispour y visiter l'Expositionuniverselle de 1867.

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L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. S

quand cotto femme ost déjà reçue dans sa famille

paternello sur le pied do l'intimité.

Madame do Renaudin avait su fairo partager

ses vues sur sa jeune nièce par la famille Tascher

de la Pagorio. Une correspondance fort courtoise

do part et d'autre devint le prélude des négocia-

tions entamées pour, faire aboutir cette union, et

Joséphine, accompagnée do son père, s'embarqua

sur la Pomone pour arriver à Brest vers la fin de

l'année 1779. On avait voulu d'abord lui préférer

sa soeur cadette, d'un Age plus en rapport avec

celui d'Alexandre de Beauharnais; mais cette jeune

fillo ne se prêtait à quitter sa famille qu'avec répu-

gnance ; elle devait d'ailleurs, peu de temps après,

terminer sa courte existence à la Martinique.

Dès son arrivée sur le sol de la France, madame

de Renaudin s'empara de sa nièce et s'occupa

de lui faire subir uno véritable transformation.

Cette tante affectionnée, que vingt ans de séjour

dans la capitale du royaume avait rendue une

vraie parisienne, se mit en devoir de donner

à la jeune créole la science du monde et tout

ce qui manquait à une instruction forcément un

peu négligée; puis le mariage de Joséphine et

d'Alexandre de Beauharnais fut célébré le 13 dé-

cembre 1779 dans l'église de Noisy-le-Grand. Le

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6 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

mari n'avait quo dix-neuf ans ot la jouno femme

soulement soizo; M. do Beauharnais pouvait-il

posséder l'expérience suffisante et le tact néces-

saire pour bien guider collo-ci dans mainte cir-

constance délicato? La suite do ce récit fera com-

prendre au lecteur qu'Aloxandre do Beauharnais

no sut pas se montror à la hauteur de cotte tàcho

toujours difficilo ; il était véritablement trop jeune

pour qu'il en pût ôtro autroment.

Do son côté Joséphine eut bion quelques petits

torts à so reprocher si l'on on croit une lettre de

son jouno époux, adressée par celui-ci à son

ancien gouverneur M. Patricol, lettre quo nous

avons trouvée dans l'ouvrage do M. Aubenas ot

dont nous reproduisons ci-après quelques extraits ;

« En voyant madomoisolle do la Pagerie, dit-il,

j'ai cru pouvoir vivre heureux avec elle; dès aus-

sitôt j'ai formé le plan de réformer son éducation,

et do réparer par mon zèlo les quinze promières

années do sa vit qui avaient été négligées. Peu de

temps après notro union j'ai découvert en elle un

défaut de confiance qui m'a étonné, ayant pour-

tant tout fait pour lui en inspirer; cette décou^

verte, je vous l'avoue, a un peu refroidi mon zèle

pour son instruction.

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L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 7

» Au lieu do roster uno grande partie do mon

tomps à la maison, vis-à-vis d'un objot qui n'a

rion à me diro, jo sors beaucoup plus souvontquo

jo no l'avais projeté, et jo reprends uno partie de

mon ancienne vio do garçon. Ce n'est pas, je vous

prie do lo croiro, qu'il n'on coûte beaucoup à

mon coeur do renoncor au bonheur quo mo pro-

mettait l'idéo d'un bon ménage. Quoique jo me

sois beaucoup livré au monde, depuis quo je jouis

de ma liberté, jo n'ai cependant pas pordu lo

goût de l'occupation. Je suis tout prêt à préférer

le bonheur do chez moi et la paix domestique aux

plaisirs tumultueux do la société. Mais j'ai ima-

giné, en mo conduisant ainsi, que si ma femme

avait vraiment do l'amitié pour moi, elle forait

des efforts pour m'attiror à elle, et pour acquérir

les qualités que j'aime et qui sont capables de me

fixer. Eh bien! lo contraire de ce quo j'avais

voulu croire ost arrivé... »

Quand un ménage manifeste, dès le début, de

pareils symptômes de mésintelligence, le désac-

cord n'est plus qu'uno question de temps et ne

saurait manquer do s'aggraver entre dos époux

aussi mal assortis. De toutes les causes de rup-

ture du lien conjugal, l'incompatibilité d'humeur

ost sans contredit la plus sérieuse,.puisque les

Page 31: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

8 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

replâtrages les plus savants sont incapables d'en

prévenir les effets sans cesso renaissants.

Quoi qu'il en soit Joséphine, après deux ans de

mariage, mit au monde, le 3 septembre 1781,

celui qui devait jolor tant d'éclat sur lo nom do

Beauharnais et devenir par la suite le prince

Eugène, Mais cotte circonstance, qui aurait pu

rapprocher les deux époux, n'amena dans leurs

rapports qu'une amélioration bien passagère,

malgré les efforts de madame do Renaudin et do la

famille de Beauharnais pour la rendre durable et

efficace Bientôt la carrière militaire et son métier

d'officier ropriront sur Alexandre de Beauharnais

tout leur empire et Joséphine se trouva de nou-

veau délaissée par son jouno et volago époux, qui

entreprit, peu de temps après, un voyage à la

Martinique. Le marquis de Bouille s'occupait alors

en effet de réunir les éléments d'une expédition

navale aux Antilles, dans le but de s'emparer de

la Jamaïque et d'obliger ainsi les Anglais à con-

clure la paix. M. de Bouille avait agréé les offres

de service quo lui avait adressées Alexandre de

Beauharnais pour prendre part, sous les ordres

de ce valeureux officier, à la campagne qui se

préparait. Le mari de Joséphine partit en consé-

quence pour Brest en septembre 1782, laissant

Page 32: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. &

celle-ci oncointo pour la secondo fois; mais à

peino é!ait-il arrivé à la Martinique, où il fit la

connaissance des divers membres do la famille

Tascher, que la nouvelle do la signature des pré-

liminaires do la paix entre la France ot l'Angle-

terre parvint dans la colonie. Lo traité de Ver-

sailles, conclu quelques mois plus tard, restitua

aux Anglais les conquêtes faites dans les Antilles

par M. de Bouille, et rendit ainsi inutile le voyage

du vicomte Alexandre. Lo court séjour de ce der-

nier à la Martinique ne servit qu'à envenimer les

rapports, assez froids déjà, qui existaient entre

lui et la famille de Joséphine Un échange de

lettres assez aigres entre Alexandre de Beauhar-

nais et son beau-père, M. Tascher, acheva de

consommer la rupture de tout espoir de concilia-

tion entre celui-ci et son gendre.

Profondément irrité des reproches contenus

dans la correspondance de M. de la Pagerie,

Alexandre, après une traversée rapide, revint à

Paris dans un état d'exaspération porté à son plus

haut degré contre ses beaux-parents et contre sa

femme. Cotte exaspération ne tarda pas à se tra-

duire par une demando en séparation qu'intro-

duisit devant lo Parlement de Paris, contre sa

femme, l'irascible mari do l'infortunée Joséphine.

Page 33: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

10 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Pondant tout lo tomps que ce procès qui dura

près d'un an demoura en instance, la jeune

vicomtesse de Beauharnais résida presque sans

interruption à l'abbayo de Panthemont, ruo de

tironello-Saint-Gormain. En 1783 lui était née

uno fille qui devait devenir plus tard la reine

Hortenso, mère de Napoléon III. L'arrêt du

Parlement do Paris donna gain do causo à José-

phine; toute la famille do Boauharnais avait déjà

auparavant pris parti pour elle contro son mari.

Son beau-pèro, le marquis de Beauharnais, avait

loué, pour sa bolle-fille et pour lui, une maison

à Fontainebleau où Joséphine devait, plus tard,

trôner commo impératrice. Ses tantes mesdames

de Renaudin et Fanny do Beauharnais s'y instal-

lèrent à la môme époque, et tinrent compagnie

dans cette résidence à leur nièce pendant trois

ans environ.

M. Aubenas, dans sa très intéressante histoire

de la première femme de Napoléon Ier nous fait

connaître le nom des principales personnes qui

fréquentaient, à Fontainebleau, chez Joséphine et

chez les Beauharnais. Entre autres noms il men-

tionne ceux do M. de Montmorin, gouverneur do

la ville, de monsieur et de madame deChezac, des

demoiselles Ceconi, de M. Huë et de ses filles, du

Page 34: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. il

vicomto ot do la vicomtesse do Béthizy, de mon-

sieur et do madame Jamain, enfin de M. d'Acy'.

Au mois de juin 1788, Joséphine do Reauhar-

nais, toujours séparée de son mari et cédant

aux instances do son père et de sa mère, résolut

d'aller retrouver ses parents & la Martinique.

Elle alla s'embarquer au Havre avec sa fille Hor-

tenso, et faillit périr avec le navire qui les

portait, par suite d'une violente tempête qui les

accueillit à la sortie du port. Après une traversée

qui ne fut plus marquée par aucun incident

fâcheux, Joséphine put enfin débarquer dans son

île natale et y trouver une période de calme et de

repos, au milieu de sa famille et des lieux

témoins de son enfance comme de* ses premiers

jeux. Mademoiselle Cochelet, lectrice do la reine

ïlortense, se trouvant au Havre avec cette prin-

cesse en 1815, hésitant entre un embarquement

pour l'Angleterre ou pour les Antilles,-a retenu

les propos qu'elle recueillit de sa boucho au sujet

du voyage à la Martinique accompli en conv?

pagnie de sa mère en 1788. Voici ce que rap-

porte à cet égard mademoiselle Cochelet dans

ses Souvenirs :

1. Aubenas, t. I.

Page 35: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

18 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

« Un petit bàtimont partait pour les îles; nous

allâmes le visiter. « Que j'aimerais à faire un

» voyage à la Martinique, mo dit la reino.

» J'avais quatre ans quand jo vins dans ce port

» avec ma mère, qui voulait aller rovoir oncoro

» uno fois sa patrie. Nous nous embarquâmes au

» Havre, ot je mo souviens qu'un vont furieux

» pensa nous faire périr à l'embouchure mémo

» do la Seino. Jo me rappelle très bien les ter-

» reurs de ma mère, mais j'ignoro où nous

» étions logées. »

» Elle me racontait, assiso dans ce bâtiment,

ses souvenirs des îles où elle resta jusqu'à l'âge

de sept ans; elle me décrivait les lieux où était

placée l'habitation de sa grand'mère; elle n'avait

pas oublié les esclaves qui la portaient en palan-

quin, ni ces pauvres noirs quo l'Impératrice ne

voulait jamais qu'on punît. »

Cependant des symptômes inquiétants, avant-

coureurs de la révolution, se manifestaient en

France, et la répercussion s'en faisait sentir jus-

qu'aux antipodes. Les habitants, paisibles jus-

qu'alors, de la Martinique, en ressentaient eux-

mêmes le contre-coup. Le vicomte Alexandre de

Beauharnais avait été l'un des premiers à se faire

le champion des idées libérales, fort en faveur à

Page 36: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 13

Paris dopuis la terminaison do la guorre qui avait

eu pour résultat l'émancipation des États-Unis.

Le temps heureux des distractions mondaines,

des fêtes joyeuses ot des plaisirs faciles avait pris

fin. Des réflexions, des préoccupations plus

sérieuses commençaient à envahir même les plus

jeunes cerveaux. L'existence dissipée, menée

jusque-là par Alexandre de Beauharnais, n'était

plus de saison. Il le comprit et commença à

regretter la* perte de sa femme et celle d'un [inté-

rieur auquol il avait paru, pondant plusieurs

années, attacher si peu de prix. Le mari de [José-

phine, assagi par les prodromu de la crise qu'il

pressentait, s'amendait à la fin et faisait des

démarches pour obtenir le retour de sa femme et

do sa fille; l'heure d'une réconciliation durable

allait-elle enfin sonner? Joséphine le pensa, et,

malgré les instances de ses parents pour la retenir

au milieu d'eux, elle fit ses préparatifs de départ,

vers la fin do 1790, pour aller reprendre s'a place

au foyer de son époux. Après une rapide traversée

madame de Beauharnais rentra donc à Paris, dans

le courant du mois d'octobre, et reçut de son

mari et de son fils Eugène, alors âgé de dix ans,

un affectueux et cordial accueil.

Page 37: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE II

Alexandrede Beauharnais, épris des idéesnouvelles,devient un

personnage politique. — Fuite do Varennes. — Beauharnais

président de l'Assemblée Nationale — Retour d'Alexandrede Beauharnais à son métier d'offleier.— Il est nommé gêné*rai en chef de l'armée du Rhin. — 11ne'tarde pas a donnersa démission en présence des suspicions dont il est l'objet.—

Énergique attitude de Joséphine pour sauver son mari incar-céré. — Elle est & son tour arrêtée et emprisonnée, —

1794. Alexandre de Beauharnais monte sur l'échafaud le6 thermidor. — La chuto de Robespierresauve la vie de José-

phine dont la condamnation avait été prononcée,

En dépit du proverbe qui prétend que a les

absents ont toujours tort », il arrive parfois que

la séparation prolongée de deux personnes en

désaccord suffit pour les ramener à une plus juste

appréciation des choses, et à rétablir entre elles

la bonne intelligence. C'est ce qui se produisit

pour la période, bien courte d'ailleurs, du rap-

prochement de Joséphine avec son mari. Ce ne

seront plus les orages intérieurs, mais la tempête

Page 38: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 15

révolutionnaire qui biontôt va rompre, à tout

jamais, le lien qui unissait les doux époux.

Pendant l'absence de Joséphine Alexandre de

Beauharnais, épris des idées nouvelles, était de-

venu un porsonnago politique. La noblesse du

bailliage de Blois l'avait élu député aux États-

Généraux; il avait à cetto époque lo grade de

major d'infanterie. Plein d'illusions généreuses

et de confiance dans le mouvement réforma-

tour qui so dessinait, lo jeune mari de Joséphine

avait été l'un des quarante-sept membres do la

noblesse, qui, à l'issue de la séance où fut prêté

le serment du jeu do paume, votèrent la réunion

de leur ordre à celui du tiers état. Dans la

fameuse nuit du 4 août il s'était montré l'un des

plus empressés à faire le sacrifice des droits

féodaux qu'il tenait de sa naissance. Cette atti-

tude, si conforme aux aspirations de la majorité

des esprits, à la fin du xviu 9siècle, valut à M. de

Beauharnais d'abord d'être élu secrétaire de

l'Assemblée Nationale, et, un peu plus tard, d'en

devenir le Président.

Dès son retour en Franco et son arrivée à Paris,

Joséphine avait été s'installer dans un hôtel

occupé par son mari rue de l'Université en face de

la rue de Poitiers. Elle ne tarda pas à y recevoir

Page 39: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

-16 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

la nouvello do la mort do son père, survenuo,

pou de jours après qu'elle eut quitté la maison

patornello, lo 0 novembre 1790. La vicomtesse

do Beauharnais avait alors vingt-sopt ans ot

son mari tronto. Elle était dans tout l'éclat de la

jeunesso, et sos manières étaient devenues par-

faites. Le livre do M. Aubenas nous apprend

encore quelles étaient les personnes qu'elle rece-

vait dans l'intimité. C'étaient, indépendamment

de son beau-père et do ses tantes, mesdames

Fanny de Beauharnais et de Renaudin, le comte

Mathieu do Montmorency, le duc de la Roche-

foucauld, parent de son mari, le marquis de

Caulaincourt, le prince de Salm-Kirbourg et la

princesse de Hohonzollorn sa soeur. Le dévoue-

ment de ce prince de Salm, pour ramener les

enfants do Joséphine à leur mère, demeuréo à

Paris, devait par la suite, au plus fort de la

Terreur, lui coûter la vie 1.

Cependant les événements so précipitaient;

chaque jour pour ainsi dire était marqué par

quelque nouvelle alerte. Le 20 juin 1791 Paris,

en se réveillant, apprenait la fuite du malheu-

reux Louis XVI et de la famille royale qui

1. Aubenas, 1.1.

Page 40: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 17

allaient être arrêtés à Varennes. Alexandre de

Beauharnais présidait alors l'Assemblée; ce fut

dono en cette qualité qu'il eut mandat d'informer

de cet événement troublant les députés de la

France. Le compte rendu du rôle politique joué,

dans les Assemblées, par le premier mari de

Joséphine, ne saurait entrer dans le cadre de

notre récit, Nous renvoyons en conséquence les

lecteurs qui seraient curieux d'en être instruits à

l'ouvrage si intéressant et si documenté de

M. Aubenas. Nous nous bornerons à répéter seu-

lement, après lui, qu'Alexandre de Beauharnais,

comme s'accordent à le dire tous ses biographes,

fit preuve d'une dignité et d'une aptitude à

diriger une grande Assemblée qui lui ont mérité

des éloges et des applaudissements unanimes,

aussi bien de la part de ses, amis que de celle de

ses adversaires.

L'Assemblée législative avait succédé à l'As-

semblée Natipnale et l'Europe, irritée de l'avilis-

sement infligé à la royauté dans notre pays,

prenait contre lui une attitude menaçante. Le

vicomte de Beauharnais se souvint qu'il étaiV

soldat. Après avoir été désigné pour rejoindre

l'armée du nord, commandée par Luckner> il

Page 41: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

18 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

obtint ensuite le commandement d'un camp

placé sous Soissons. Bientôt après il se voyait

attaché, en qualité de maréchal de camp et de

chef d'ôtat-major, à l'armée du Rhin sous les

ordres du général do Biron.

Pendant ces préparatifs do guerre, la Révolu-

tion, poursuivant sa marche, faisait des progrès

rapides. Louis XVI et sa famille, après les humi-

liations du 20 juin 1792 étaient incarcérés au

Temple lo 10 août. Le 11 du même mois le duc

de la Rochefoucauld, ce parent d'Alexandre de

Beauharnais, était égorgé à Gisors, presque en

même temps quo le comte Charles de Rohan-

Chabot était à Paris victime des massacres de

l'Abbaye. Ce dernier était le neveu, lo condis-

ciple et l'ami d'Alexandre. Quelques semaines en

effet après lo 10 août avaient lieu les abomi-

nables massacres do septembre, la réunion do la

Convention ot la proclamation do la République.

Enfin le 21 janvier 1793 le supplice du faible et

débonnaire Louis XVI inaugurera le régime de

la Terreur et le règne de l'échafaud.

Madame de Beauharnais, pendant le cours de

cette période si fertile en horreurs, pleurait le

sort do l'infortuné monarque ot de la famille

royale, habituée qu'elle était depuis son enfance

Page 42: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 19

à aimer et à respecter ces malheureux souverains.

Elle devait se féliciter néanmoins de savoir son

mari aux frontières, loin des pourvoyeurs de la

guillotine et de la pique des sans-culottes massa-

creurs. Joséphine avait cru devoir, dans ces tra-

giques circonstances, confier momentanément

ses enfants à son amie la princesse de Hohen-

zollern-Sigmaringen, réfugiée à cette époque en

Artois; elle espérait ainsi les mettre à l'abri de

toute espèce de danger. Mais le général de Beau-

harnais, mis au courant de ce déplacement,

envoya de Strasbourg un courrier pour exiger

le prompt retour d'Hortenso et d'Eugène à Paris,

ce qui fut exécuté, mais devint si funeste au

malheureux prince de Salm-Kirbourg, ainsi que

nous l'avons dit.

Pendant ce temps le vieux marquis de Beaju-

harnais, beau-père de Joséphine, continuait à

résider tranquillement à Fontainebleau où, grâceà un certificat de civisme obtenu au mois de

février 1793, il ne fut nullement inquiété.Madame de Renaudin, fort aimée dans la ville et

toujours habile à se tirer d'affaire, lui tenait

bonne ot fîdèlo compagnie, trouvant encore les

moyons do venir en aide à sa nièce. Joséphine le

plus souvent restait à Paris, dans sa maison de

Page 43: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

20 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

la rue do l'Université, pour bien témoigner la

confiance qu'elle et son mari, devenu sur ces

entrefaites général en chef de l'armée du Rhin,

mettaient on la faction révolutionnaire, devenue

toute puissante dans cette ville si éprouvée.

C'était là certes une confiance plus simulée que

réelle et que l'événement n'a, comme on le sait,

justifiée en aucune façon! Quoi qu'il en soit José-

phine no demeurait pas inactive. Elle recueillait

et transmettait à son mari, avec le plus grand

soin, tous les renseignements qu'elle jugeait pou-

voir lui être utiles, aidée en cela par ses tantes.

Les nouvelles de l'armée du Rhin, transmises

à l'Assemblée par le général do Beauharnais, en

date du 22 juillet 1793, paraissaient d'un bon

augure ot semblaient faire présager, dans, un

avenir prochain, la levée du siège de Mayenco,

entrepris par les coalisés. On se rendra aisément

compte de la stupeur ot do la fureur du comité

de Salut public, lorsque le trop fameux Barôre,

qui en faisait partie, annonça le 28 juillet à la

Convention quo la place de Mayence avait au

contraire succombé, ayant été, disait-il, livrée à

l'ennemi, en vertu d'une infâme capitulation, le

23 du présent mois! L'armée commandée par

Beauharnais se vit, par suite de cet événement,

Page 44: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 21

dans l'obligation de rétrograder et de se replier

en bon ordre sur ses anciennes positions à Wis-

sembourg. La prise de Valenciennos vint aug-

menter, bientôt après, l'exaspération des Jaco-

bins do Paris, ot leur haine aveugle ne tarda pas

à se diriger contre tous les officiers ci-devant

nobles. Beauharnais crut alors devoir donner sa

démission du commandement do l'armée du

Rhin. Celte démission ne fut d'abord point accep-

tée, bien qu'il eût offert de servir, dans cette

même armée, sous les ordres de tel chef qu'il

plairait à la Convention de lui donner. Peu

ambitieux par nature il avait précédemment

refusé, uno fois déjà, le ministère de la guerre

où l'on avait manifesté lo désir de le voir rem-

placer l'incapable Bouchotte. Alexandre de

Beauharnais tomba malade et sa démission finit

par être forcément accoptéo. Il rejoignit aussitôt

sa femme et ses enfants, le 25 août, pour se réfu-

gier, avec eux, dans la propriété de sa famille

à la Ferté-Beauharnais, près do Blois, où il ne

tarda pas à être élu maire do sa commune.

En dépit du témoignage de confiance dont il

venait d'être l'objet do la part do ses concitoyens,

le général démissionnaire se sentait sérieusement

menacé, et vivait dans uno inquiétude porpé-

Page 45: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

22 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

tuellè, tout en cherchant à se faire illusion sur

le sort qui l'attendait. Il était à peine revenu

depuis quelques jours dans ses foyers, quand la

nouvelle de la prise de Toulon par les Anglais

motiva, le B septembre, un décret établissant

une véritable loi des suspects. Aux termes de ce

décret le Moniteur du 19 septembre déclarait en

effet suspects : les gens qui, soit par leur conduite,

soit par leurs relations, soit par leurs propos

ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la

tyrannie et du fédéralisme, et ennemis de la

liberté, ceux des ci-devant nobles, ensemble les

maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères

ou soeurs ou agents d'émigrés qui n'ont pas

constamment manifesté leur attachement à la

Révolution.

Ce décret, rendu contre 1er officiers démission-

naires ou destitués, était en réalité dirigé surtout

eontre les officiers d'origine noble qu'il s'agissait

de frapper. Lo frère aîné d'Alexandre de Beauhar-

nais était parti en émigration, double motif pour

considérer lo cadet comme suspect. De là à la

prison et à l'échafaud la distance était courte.

Joséphine le comprit et se montra parfaite dans

ces cruelles circonstances. Plaçant son espoir

dans la protection divine, elle lia son sort à

Page 46: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 23

celui do son époux avec autant de courage que

de fermeté.

Cependant, l'année 1794 allait devenir fatale

au ménage do Beauharnais que tant de motifs dési-

gnaient à la suspicion haineuse des terroristes.

Alexandre do Beauharnais, arrêté dans le cou-

rant do janvier, se voyait d'abord écrouô au

Luxembourg ainsi que plusieurs do ses compa-

gnons d'armes, quo leur trop grande confiance

dans la République ne pouvait qu'entraîner à

leur perte. Beaucoup d'entre eux, Beauharnais

un des premiers, auraient pu se dérober au

supplice en s'éloignant de la France, devenue

pour tant do bons citoyens une terre inhospita-

lière. Mais les principes du mari do Joséphine,

demeurés inflexibles à cet égard, no lui avaient

pas permis do quitter sa patrie et de suivre

l'exemple do son frère aîné.

Joséphine, malgré sa douceur native et son

indolence créole, fit prouve dans ces circonstances

d'une énorgio qu'on ne lui aurait pas soup-

çonnée. Dans plusieurs autres moments de crise,

pendant le cours do son oxistenco si mouve-

mentée on verra se rôvélor chez elle une force

de caractère dont ses contemporains seront sur-

pris. Uno àmo plus timide et moins courageuse

Page 47: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

24 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

que celle de Joséphine aurait pu se laisser émou-

voir par tant d'événements tragiques et de dan-

gers menaçants. Madame de Beauharnais, loin

de perdre la tête, no songea pas un seul instant

à la fuite. Elle était mère en même temps

qu'épouse cependant, et son mari no lui avait

guère donné de sujets particuliers d'attache-

ment. Elle sut néanmoins comprendre son devoir

dans toute son étendue, déployant la plus grando

activité pour obtenir l'élargissement do celui-ci.

« Démarches, visites, lettres, sollicitations, prières,

rapporte M. Aubenas, elle ne négligea rien, pro-

digua tout. Mais ce fut en vain. » Pendant le pre-

mier trimestre do l'année 1794, 8000 suspectsétaient enfermés dans les prisons de Paris ' !

L'attitude si courageusement imprudente de

Joséphine ne pouvait manquer do lui devenir

funeste. On l'arrêta vers le milieu d'avril pour

l'enfermer dans l'ancien couvent dos Carmes,

devenu une prison, où son mari obtint d'être

également interné, bien quo dans un quartier

séparé do celui de sa femmo. La plus grande

douleur de Joséphine fut alors do so trouver éloi-

gnée do ses enfants sans savoir ce qu'ils allaient

I. Aubenas, 1.1.

Page 48: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 2B

devenir car, à toutes les époques de sa vid, elle

fut toujours pour eux la meilleure et la plus

tendre des mères.

L'ouvrage plusieurs fois cité de M. Aubenas

donne des détails circonstanciés sur l'attitude de

Joséphine en prison. Parmi les compagnes de

prison de la future impératrice, il nomme deux

femmes d'un genre do célébrité bien différent.

L'une, la duchesse d'Aiguillon, l'autre la belle

madame Tallion, que lo lien conjugal n'unissait

pas oncoro au fameux Conventionnel. Notre-

Dame-dc-Thermidor, comme on l'a surnommée

depuis, allait puissamment contribuer, par l'amour

qu'elle avait su inspirer à Tallien, à amener la

chute do Robespierre et la fin du règne de la Ter-

reur. Comme partout où Joséphine s'est montrée

et a résidé, elle sut rallier autour d'elle, dans cette

prison dos Carmes, tous les coeurs et toutes les

sympathies. Sa bienveillance naturelle, son admi-

rable égalité de caractère, ses manières aimables

et polios lui attirèrent, en captivité comme plus

tard sur lo trôno, l'affection do tout le monde,

Ses enfants venaient la visiter quelquefois dans

sa prison, après qu'on eût tenté, vainement, on

leur nom, une démarche tendant à provoquer

l'élargissement de leur môro. M. Arnault, l'acadé-

Page 49: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

26 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

micien, raconte dans ses Souvenirs d'un sexagé-

naire, le rôlo joué par un carlin appelé Fortuné,

pour apporter à Joséphine des nouvelles du

dehors, au moyen de billets dissimulés sous le

collier du fidèle animal. Aussi ses maîtres profes-

sèrent-ils, tant qu'il vécut, un véritable culte

pour le brave chien qui leur avait été si utile.

Pendant ce temps, la guillotino fonctionnait

sans interruption, fauchant, sans se lasser, des

milliers de tètes innocentes. Alexandre de Beau-

harnais, après six mois de captivité et d'angoisse

cruelle, dut subir à son tour le sort de tant de

malheureuses victimes, ot le 6 thermidor (26 juil-

let 1794) sa tète tombait sur l'échafaud. Avant

de franchir lo redoutable passage, l'infortuné

Beauharnais avait écrit une longue lettre à sa

femme; trois jours de plus de séjour en prison

ot lo 9 thermidor l'eût sauvé l La chute do Robes-

pierro fut lo signal du salut pour un grand

nombre do prisonniers destinés au dernier sup-

plice, ot on particulier, pour Joséphine, dont

l'arrêt de mort avait été prononcé.On dit qu'uno femme du peuple apprit aux

détenus do la prison des Carmes l'exécution de

Robespierre au moyen d'une mimique expres-sive t elle aurait tout d'abord étalé sa robe sous

Page 50: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 27

les regards des prisonniers, puis aurait brandi au

bout de ses doigts une pierre, enfin, réunissant

les deux symboles, elle aurait terminé sa panto-

mime en faisant, à plusieurs reprises, le geste de

se couper le cou'....

Dès que Joséphine put se retrouver enfin libre,

elle se hâta de fuir Paris, avec ses enfants, au plus

vite, pour se réfugier à Fontainebleau, auprès de

ceux de ses parents qui étaient parvenus, comme

elle, à se soustraire à tant de dangers.

1. Aubenas, 1.1.

Page 51: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE III

i796-i797. Calomniesdont Joséphine a été la victime. — Pé-nurio dans laquolle cllo se trouva par suite de la confiscationdes biens du général de Beauharnais.— Voyagedo Joséphineet do ses enfants à Hambourg.— M.Mathiessen. — Retour& Paris. — Hortcnse de Beauharnais placée chez madameCampa — Eugène, son frère, chez lo général Ronaparto.—Relations qui s'établissent a la suite de cette visite entre José*phino et Bonaparte. — Portrait de Joséphine. -- Mariagedemadame de Beauharnaisavec lo général Bonaparte.—Pas demariage religieux. — Douzejours après, départ de Bonapartepour l'armée d'Italie. — Heureuse influence qu'exercera José-phine sur son second mari.

Los racontars plus quo fantaisistes do made-

moiselle Lcnormant aussi bien que les outrageux

mensonges du juif anglais Goldsmith, au com-

mencement du xixe siècle, ont défiguré l'histoire,

la physionomie, le caractère do l'impératrice José-

phine. Ce no peut être sur dos écrits aussi peu

dignes de fixer l'attention que le lecteur doit être

mis à même de se former une opinion sur la

personnalité vraie do la première fommo de Napo-

Page 52: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 29

léon. Aucun historien sérieux, croyons-nous, ne

s'occupera de rééditer les extravagances de ces

fables aussi impertinentes que ridicules. Deux

années vont séparer le veuvage de .Joséphine de

son second mariage avec le général Bonaparte.

Nous n'insisterons pas plus qu'il n'est nécessaire,

sur les faits et gestes de la veuve du général

de Beauharnais pendant cette courte période de

temps. ,"

/j

Les biens de ce dernier avaient été confisqués

pendant le cours de la période révolutionnaire;

Joséphine et ses enfants ainsi que tous les pa-

rents de son mari, demeurés à Fontainebleau,

se trouvaient par conséquent réduits à un état

do pauvreté voisin de l'indigence. Madame de

Beauharnais n'avait plus de secours pécuniaire à

espérer que du côté de madame de la Pagerie, sa

mère, restée dans sa propriété des Trois Ilots à la

Martinique. Mais cette malheureuse colonie ne

pouvait elle-même communiquer avec la mère

patrie que bien difficilement, éprouvée comme

elle l'était par une sorte de guerre civile et par la

conquête anglaise. Des négociants de Dunkerque,

un M. Emmery entre autres, vinrent généreuse-

ment au secours de Joséphine dans ces instants

do détresse. Liés de longue date avec la famille

Page 53: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

30 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

de la veuve du général, ils lui avancèrent les

sommes nécessaires pour subvenir à ses plus

pressants besoins, en attendant que madame de

la Pagerie pût se trouver en mesure de faire

parvenir de l'argent à sa fille et à ses petits

enfants.

En attendant l'arrivée de ces subsides, José-

phine et ses enfants eurent à passer do bien durs

moments, et madame Ducrest dans ses Mémoires

(chapitre xxxvi) ne nous a pas laissé ignorer

qu'au cours de la disette à Paris de l'année 1795,

madame de Beauharnais fut souvent heureuse de

trouver chez uno personne obligeante et riche,,

madame Dumoulin, ce que la première a appelé

elle-même son pain quotidien '.

Dans la deuxièmo quinzaine d'octobre 1798,

Joséphine et ses enfants se mirent en route pour

Hambourg, afin d'être plus aisément en commu-

nication avec la Martinique, et pour en recevoir

plus facilement des secours. Un banquier de cette

ville, M. Mathiessen, homme obligeant et ser-

viable, rendit à madamo do Beauharnais, pendant

son séjour à Hambourg, les plus grands services.

Les sommos envoyées de la Martinique par

1. MadamoDucrest, Mémoiressur VimpératriceJoséphine(Édi-tion Barba).

Page 54: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 31

madame de la Pagerie à sa fille s'élevèrent, aux

termes d'une lettre de Joséphine elle-même, au

chiffre respectable de vingt-cinq mille francs,

envois échelonnés successivement en plusieurs

fractions. C'était pour cette époque troublée une

spmme d'argent considérable.

« Ainsi, dit. encore M. Aubenas auquel il faut

toujours revenir quand on parle de l'impératrice

Joséphine, c'est à ses amis de Duiikerquo ot de

Hambourg, c'est à sa mère et non à d'autres

que, dans son honorable misèro, la courageuse

mère do famille s'est adressée. Des lettres d'elle,

authentiques, simplement, naïvement écrites nous

apprennent tout ce que nous ignorions sur cette

partie do la biographie de la première femme de

Napoléon 1. »

Dès quo Joséphine fut en mesure de ne. plus

devoir rien à personne, elle s'empressa de revenir

à Paris, dans le courant de l'annéo 1798, ot de

placer sa fille Hortenso dans le pensionnât nais-

sant, mais bientôt célèbre de madamo Campan.

Nous ne nous occuperons pas spécialement dans

nos récits, de cette femme remarquable dont

l'histoire est assez connue.

1. Aubonas, t. !.

Page 55: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

32 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

La journée du 13 vendémiaire avait à cotte

époque fondé l'importance du général Bonaparte,

et lui avait valu le commandement en chef do

l'armée de l'intérieur avec résidence à Paris. Le

fils de Joséphine, le futur princo Eugène, alors

âgé d'environ quatorze ans, vint un jour trouver

Bonaparte pour lui demander de lui faire restituer

l'ôpée de son père, le général de Beauharnais. <cCe

jeune homme, dit le rédacteur du Mémorial de

Sainte-Hélène, était Eugène de Beauharnais,

depuis vice-roi d'Italie. Napoléon, touché do la

nature de sa demande et des grâces de son âge, lui

accorda ce qu'il désirait. Eugène se mit à pleurer

en voyant l'épéo de son père. Le général en fut

touché et lui témoigna tant de bienveillance que

madame de Beauharnais se crut obligée de venir,

le lendemain, lui en faire des remerciements.

Napoléon s'empressa d'aller lui rendre sa visite.

Chacun connaît la grâce extrême de l'impératrice

Joséphine, ses manières douces et attrayantes.

La connaissance devint bientôt intime, et ils ne

tardèrent pas à se marier 1. »

Tels furent les débuts des relations qui s'éta-

blirent entre le futur empereur Napoléon et la

future impératrice, sa première femme.

1. Mémorialde Sainte-Hélène,par le comte de Las Cases.

Page 56: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 33

Le 4 novembre 1795 avait ou lieu l'introni-

sation du Directoire au Luxembourg. Bonaparte

no prévoyait guère encore sa prestigiouso des-

tinée, ot songeait très bourgooisomont à so créer,

en se mariant, un établissement convenable. Il

avait voulu d'abord épouser Désirée Clary, la

belle-soeur de son frèro aîné Joseph, jouno per-

sonne qui allait devenir un peu plus tard madame

Bornadotte et par la suite reine do Suôdo. Il avait

également pensé à so transporter à Constanti-

nople, avec la mission de réorganiser en Turquie

l'artillerie du Sultan. Sa destinée lui réservait,

comme on le sait, un avenir bien différent.

Madame de Beauharnais venait d'acquérir la

maison du célèbre Talma situéo ruo Chantereine.

La restitution d'une partie des biens confisqués au

général de Beauharnais, pendant la période persé-

cutrice de la Révolution, et des envois réguliers de

fonds, provenant do la Martinique, avaient permis

à Joséphine do reprendre un certain état de mai-

son. Elle recevait donc chez elle, avec sa bonne

grâce accoutumée, les célébrités politiques, litté-

raires et artistiques du jour, avec ce qui restait

de la bonne société de Paris. Le général Bona-

parte devint promptement un des familiers les

plus assidus du salon de madame de Beauhar-

3

Page 57: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

34 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

nais, s'y formant aux bonnos maniôros, on atten-

dant d'y puiser, uno fois marié avec Joséphine,

dos ôlémonts do popularité ot d'influenco poli-

tique.

Madame do Beauharnais avait alors trento-deux

ans ot le général vingt-six, ot voici lo portrait flat-

teur quo nous ont conservé de Josôphino les

mémoires do Constant, premier valet do chambro

de Napoléon :

« L'impôratrico Joséphine était d'uno taille

moyenne modeléo avec uno rare perfection : elle

avait dans les mouvements uno souplesse, une

légèreté qui donnaient à sa démarche quelque»

chose d'aérien, sans exclure néanmoins la ma-

jesté d'uno souveraine. Sa physionomie expres-

sive suivait toutes les impressions de son Amo,

sans jamais perdre de la douceur charmanto qui

en faisait le fond. Dans le plaisir comme dans la

douleur, elle était belle à regarder. Jamais femmo

ne justifia mieux qu'elle l'expression que les yeux

sont lo miroir de l'âme. Les siens, d'un bleu

foncé, étaient presque toujours à demi fermés

par de longues paupières, légèrement arquées, et

bordées des plus beaux cils du monde; ot, quand

ello regardait ainsi, on se sentait entraîné vers

elle par une puissanco irrésistible. Il eût été dif-

Page 58: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 35

ficilo à l'Impératrice do donner de la sévérité à

ce séduisant regard; mais elle pouvait ot savait

au besoin lo rendre imposant. Ses choveux étaient

fort beaux, longs et soyeux; lour teint, châtain

clair, so mariait admirablement à celui do sa

peau, éblouissante do finosse et de fraîcheur.

» ... Mais ce qui, plus quo tout le reste contri-

buait au charme qui émanait d'elle c'était lo son

ravissant do sa voix. Que de fois il est arrivé à

moi, comme à bien d'autres, de nous arrêter tout

à coup on entendant cette voix, uniquement pour

jouir du plaisir de l'entendre! On ne pouvait

peut-être pas diro que l'Impératrice était une belle

femme, mais sa figure toute pleine de sentiment

et de bonté, mais la grâce angôliquo répandue

sur toute sa personne, en faisait la femmo la plus

attrayante 1. »

Joséphine a dû produire sur Napoléon la même

impression quo celle dont vient do nous parler

Constant qui l'a ressentie, comme beaucoup de

contemporains, d'une façon si intense. Mais ce

fut surtout, dès le début, comme le dit très

bien M. Aubenas, par sa suprême distinction,

par cette supériorité de manières et de ton, que

i. Mémoiresde Constant,premier valet de chambre de Napo-léon.

Page 59: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

36 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Bonaparto lui reconnaissait sur lui, que madamo

do Beauharnais opéra, sans préméditation, son

oeuvre do séduction pleine do charmo 1. M. Aube-

nas n'a pas ignoré la légcndo do la liaison de

Joséphino avec Barras qui, à on croire ses par-

tisons ot sos propagateurs, aurait valu au jeune

époux do la jolio veuve le commandement de

l'armée d'Italie. Il on parlo avec une discrétion

plcino do ménogements ; mais il s'inscrit résolu-

ment en faux contre cotte supposition qui, selon

lui, ne reposerait sur aucune base sérieuse.

D'après lui co serait à Carnot, lo membre le plus

intègre du Directoire, que Bonaparte sorait rede-

vable do sa nomination do général en chef de

l'arméo d'Italio; assertion qui s'est trouvéo con-

firmée dans un passage des Mémoires qui ont

1. Mémoiresde mademoiselleGeorges,d'après le manuscrit ori-ginal, par A. Chéramy, 1908.

Visitoà Saint-Cloud; «Elle (mademoiselleRaucourt,l'actrice)était reçuo très souvent chez madame Bonaparte (femme dupremier Consul).Nousprimes la route de Saint-Cloud,et made-moiselleRaucourt fut admise à l'instant. Je vis donc cette belleet gracieuso Joséphine qui vint a nous avec le sourire qui dosuite vous attirait &elle; ses yeux si doux et si attirants! Elleétait si bonnol Elle vous mettait &l'aise, mais avec sa distinc-tion, avec cette élégante simplicité qui n'appartenait qu'à elle.Il y avait dans toute sa personne uno suavité qui vous mogné-tisait. Impossiblede ne pas se courber devant cette influencemystérieuse,ce charme si doux.On l'aimait avant de l'entendre;l'on sentait qu'elle portait bonheur. >

Page 60: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 37

été publiés sur co personnage célôbro 1. Quoi qu'il

en soit Josôphino repoussa tout d'abord l'idée

d'un second mariage dont sos enfants no so sou-

ciaiont guère ot quo mémo ils appréhendaient

vivement. Elle n'était point insensible aux soins

do plus en plus empressés dont l'entourait le

général Bonaparte, mais son coeur, loin d'être

pris, la laissait dans un état do tiédeur qu'elle

était presque tentée de se reprocher comme une

ingratitude. La famille Tascher do la Pagerio, ses

tantes mesdamos do Beauharnais et de Renaudin

encourageront Josôphino à contracter cette nou-

velle union. Son beau-père lo marquis de Beau-

harnais, lui-môme, no souleva à cet égard aucune

objection. La veuve d'Alexandre de Beauharnais

hésita quelque temps encore, se souvenant de son

premier mariago qui n'avait pas été heureux,

redoutant le caractère autoritaire et décidé du

général, plus jeune qu'elle, qui aspirait à obtonir

sa main. Enfin le 19 ventôse (9 mars 1796) la

cérémonie du mariago do Bonaparte et de José-

phine fut célébrée à Paris, à la mairie du ne arron-

dissement. Aucune église n'était encore rouverte

et les nouveaux époux so dispensèrent de faire

i. Aubenas, 1.1.

Page 61: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

38 L IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

bénir leur union par lo ministère d'un prêtre.

Malgré le malhour do cos temps révolutionnaires

cetto négligence à remplir un si impérieux devoir,

pour uno femmo appartenant à un milieu comme

colui dans lequel était née ot avait vécu Josôphino,

est fait pour surprendre désagréablement ses

admirateurs. On en est induit à conclure qu'à la

Martinique son instruction religieuse, aussi bien

quo ses études, durent être singulièrement négli-

gées, Bion d'autres femmes à sa place, plus pieu-

sement élevées que mademoiselle do la Pagerio,

n'eussent point consenti à se marier, malgré la

formeture des Eglises, par le seul ministère d'un

officier do l'état civil. Cetto faute grave, dont son

second mariago demeure entaché, devait so trou-

ver cruellement expiée plus tard, en 1809, par

cotte femme aimable, bonne et intelligente, mais

légère et trop peu sérieuse, il faut bien en conve-

nir, si l'on veut la juger sans partialité.

Quant à l'acte civil du mariage contracté par

Joséphine avec le général Bonaparte, il y fut pro-

cédé avec une irrégularité qu'excusait le laisser

aller de l'époque; la production des actes do nais-

sance ne fut pas exigée ou bien ces actes furent

examinés très superficiellement. Un des témoins

le capitaine Le Marois, né en 1776, était encore

Page 62: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 39

minour au mois do mars 1796, ce qui no lui per-

mettait pas d'intervenir dans un acte do mariage •.

<cDouze jours après cette cérémonie, dit encore

M. Aubenas, Bonaparte fit ses adieux à sa femme

pour se rondre à Nice où so trouvait l'état-major

do l'armée d'Italie, et, le 21 mars 1796, il se

mit en route, laissant lo bonheur dorriôre lui et

marchant à cetto impérissable gloire qui l'atten-

dait dans les champs du Piémont et de la Lom-

bardio 8. »

Lo mariage de Napoléon avec la vicomtesse de

Beauharnais a inspiré à un de ses compagnons

d'armes, qui le connaissait bien toutefois, et qui

n'est autre que le maréchal Marmont, la réflexion

suivante dont il convient de lui laisser la respon-

sabilité :

a Je serais tenté de croire, a-t-il dit quelque

part dans ses écrits, qu'il (Napoléon) imagina

faire, par son mariage, un plus grand pas dans

l'ordre social que lorsque, seize ans plus tard, il

partagea son lit avec la fille des Césars ! »

Il nous semble qu'il y a dans cette appréciation

du duc de Raguse une petite part de vérité et une

grosse part d'exagération. Les événements de 1814

1. Mèneval, Mémoires,I.2. Aubenas, t. I.

Page 63: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

40 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,

ont crousô un toi fossé, entre Napoléon et son

ancion aido do camp, quo les jugements portés

par ce dernier contro son ancien maitro demeu-

ront, plus quo tous autres, sujets à caution.

Lo général Bonaparte, en so dirigeant vers les

plaines do l'Italie du nord où il allait remporter,

do si complètes et do si bolles victoires, emportaitdans son coeur l'imago de Joséphine à laquello il

devait adresser les lettres brûlantes, publiées dans

la collection Didot. L'attachement do madamo

Bonaparto pour son mari, beaucoup plus calme

au début que celui do Napoléon pour elle, mit un

certain temps à s'accroître jusqu'au même diapa-son. A mesure que grandira la tendresse de José-

phine pour son jouno époux, l'amour de celui-ci

tout au contraire deviendra insensiblement par

degrés moins ardent, jusqu'au moment où il se

transformera en uno bonne et solide affection. En

attendant, Joséphine va devenir de plus en plusutile à Napoléon, surtout à l'époque où ce grand

hommo se trouvera porté au pouvoir suprême.

Bonaparte au moment de son mariage, il faut bien

le reconnaître, n'avait reçu qu'une éducation fort

sommaire. Son langage et ses manières, que la

vie des camps n'avait pu polir, no rappelaient en

aucune façon le langage et les manières des habi-

Page 64: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPERATRICE JOSÉPHINE. il

tués do l'ancion régime. Josôphino, possédant

à fond cotto scionco du mondo qui lui manque,

sora par conséquent d'un grand secours à son

mari. Ello arrondira les angles do ce .caractère

entier et impétueux, initiera celui-ci à une foule

de petits détails qui, dans la bonne compagnie,

ont uno importance bien plus considérable que no

lo supposent lo plus grand nombre de ceux qui

les ignorent.

Page 65: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE IV

Joséphine devient h Paris l'objet des égards et de la considéra*tion de tous. —La gloire acquise par son mari sur les champsdo bataille rejaillit sur elle. — Lettres du général Bonaparte àJoséphine. — Joséphine, pour répondre aux voeuxardents doson époux, se met en routo pour l'Italie. — Flatteuse récep-tion qui lui est réservée à Milan. —Elle habite le palais Ser-belloni.— Nouvelleslettres du général Bonaparte à sa femme(collection Didot). — Retour do Joséphine en Franco aprèsavoir visité Rome, Yenise et Gènes.

L'histoire a enregistré la succession d'éclatants

faits d'armes accomplis par le général Bonaparte

et les vaillantes troupes qu'il commandait au

cours de cette mémorable campagne d'Italie. Mal-

gré son projet de vivre dans la retraite, pendant

l'absence de son mari, une partie de cette gloire

rejaillissait sur Joséphine, qui était devenue à

Paris l'objet de la considération, des égards et

des félicitations do toutes les classes de la société.

Au milieu de l'enivrement de tant de succès,

Page 66: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 43

Napoléon n'oubliait pas cette femme alors adorée,

et lui adrossait des lettres passionnées et brûlantes

que plusieurs historiens ont tenu à reproduire

dans leurs livres. Il ne nous est pas possible d'en

ronouveler ici la transcription complète, car la

liste, en est véritablement trop longue. Nous nous

bornerons seulement à en citer quelques-unes en

commençant par celle du 3 floréal (24 avril 1796).

A cette date le général de l'arméb d'Italie écri-

vait à sa femme :

Carru, 5 floréal.

« Tes lettres font le plaisir de mes journées, et

mes journées heureuses ne sont pas fréquentes.

Junot porte à Paris vingt-deux drapeaux. Tu dois

revenir avec lui, entends-tu?... Malheur sans

remède, douleur sans consolation, peines conti-

nues si j'avais le malheur de le voir revenir seul,

mon adorable amie...

» Mais tu vas revenir n'est-ce pas? Tu vas être

ici à côté de moi, sur mon coeur, dans mes bras...

Prends des ailes viens, viens! Mais voyage dou-

cement. La route est longue, mauvaise, fatigante.

Si tu allais verser ou prendre mal; si la fatigue.,.

Viens vivement mon adorable amie, mais lente-

ment.

Page 67: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

44 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

» J'ai reçu uno lottre d'IIortonso. Elle ost tout

à fait aimable. Je vais lui écrire Je l'aimo bion,

et jo lui enverrai bientôt les parfums qu'ello veut

avoir. — N. B. ».

Cependant les parents commo los amis de Josô-

phino s'efforçaient de la rotenir à Paris, traitant

do folie un semblable projet do voyage quo des

apparonces do grossesse lui commandaient d'ail-

leurs d'ajourner. Moins presséo que son jeune

époux do hâter l'instant do leur réunion, Joséphine

n'envisageait pas sans appréhension los incommo-

dités et mémo les dangers d'une pareille équipée

à une époque où los moyens de transport ot les

voies do communication laissaient si fort à dési-

rer :

« S'embarquer ainsi, dès lo début, dans les

fatigues et les incertitudes d'uno grande guerre, a

dit M. Aubenas, bivouaquer même dans des villes

italiennes, faire campagne on un mot, c'était trop

demander à cette nature créole chez laquelle si

la nonchalance était une grâce, elle était aussi un

défaut. »

Il n'est pas sans intérêt, croyons-nous, de

reproduire encore quelques passages d'une très

longue lettre du 27 prairial an IV (18 juin 1796)

et datée de Tortone, adressée à Joséphine par le

Page 68: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 45

général Bonaparte. En voici les principaux

oxtraits :

a Jo t'accuse do rester à Paris ot tu y étais

malade. Pardonne-moi ma bonne amie; l'amour

que tu m'as inspiré m'a ôté la raison; jo ne la

retrouverai jamais. L'on ne guérit pas de ce mal-

là. Mos pressentiments sont si funestes que je

me bornerais à te voir, à to prosser deux heures

contre mon coeur, et mourir ensemble, Qui est-ce

qui a soin de toi? J'imagine que tu as fait appeler

Hortense. J'aime mille fois plus cette aimable

enfant depuis que je pense qu'elle peut te conso-

ler un peu. Quant à moi point de consolations,

point de ropos, point d'espoir jusqu'à ce quo j'aie

reçu le courrier quo je t'expédie, et que par une

longue lettre tu m'expliquos co quo c'est que ta

maladie, et jusqu'à quel point elle doit être

sérieuse. Si elle est dangereuse, je t'en préviens,

je pars de suite pour Paris. Mon arrivée vaincra

ta maladie. J'ai été toujours heureux. Jamais

mon sort n'a résisté à ma volonté, et aujourd'hui

je suis frappé dans ce qui me touche uniquement.

Joséphine, comment peux-tu rester tant de temps

sans m'écrire? Ta dernière lettre laconique est

du 3 du mois (22 mai 1796); encore est-elle

Page 69: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

46 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

affligeante pour moi. Je l'ai cependant toujours

dans ma poche. Ton portrait et tes lettres sont

sans cesse devant mes youx.

» Je no suis rien sans toi. Je conçois à peine

comment j'ai existé sans to connaître. Ahl José-

phine si tu eusses connu mon coeur, serais-tu

restée depuis le 29 au 16 sans partir? aurais-tu

prêté l'oroillo à dos amis perfides qui voulaient

peut-être to tenir éloignée de moi? Jo soupçonne

tout le monde; j'en veux à tout co qui t'entoure.

Je te calculais partie le b\ ot le 15' arrivée à

Milan.

» Ta maladie voilà ce qui m'occupe la nuit et le

jour. Sans appétit, sans sommeil, sans intérêt

pour l'amitié, pour la gloire, pour la patrie,

toi, ot lo reste du monde n'existo pas plus pour

moi que s'il était anéanti. Je tiens à l'honneur

puisque tu y tiens, à la victoire puisque cela te

fait plaisir, sans quoi j'aurais tout quitté pour me

rendre à tes pieds. »

Deux passages de cette lettro, si intéressante

mais si longue, valent encore la peine d'être cités :

t. Les premiers chiffresdu 20 au 10correspondentau 18maiet au 14 juin; les seconds,le Bet le 15, ou 24 mal et au 8 juin.

Page 70: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 47

« Ce qui me console quelquefois, est-il dit dans

le premier, c'est de penser qu'il dépend du sort

do te rendro malade, mais qu'il no dépend de

personne de m'obliger à to survivre ».

Dans le second qui termine la lettre Napoléon

écrit :

« Adorable femme, quel est ton ascendant! Je

suis bien malado de ta maladie. J'ai encore une

fièvre brûlante ! Ne garde pas plus do six heures

le courrier, et qu'il retourne de suite mo porter la

lettre chérie de ma souvoraine. — N. B. »

Enfin Joséphine, se déterminant à céder aux

instances si nombreuses, si pressantes et si tendres

do son époux, se mit en routo pour l'Italie dans

lo courant du mois de juin 1796. Sa santé se

trouvait à pou près complètement rétablie, et ses

onfants demeuraiont confiés par elle aux soins

maternels et intelligents do madamo Campan.

« Envoyé au-devant do madame Bonaparte

jusqu'à Turin, a dit, dans sos Mémoires, le maré-

chal Marmont, jo fus témoin des soins et des

égards qui lui furent prodigués par la Cour do

Sardaigne à son passage. Une fois à Milan, le

général Bonaparte fut très heureux, car alors il

ne vivait quo pour elle t pendant longtemps il on

Page 71: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

48 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

a été de même; jamais amour plus vrai, plus pur,

plus exclusif n'a possédé le coeur d'un homme,

et cot homme était d'un ordre si supérieur 1! »

Un pareil témoignage venant do la part du duc

do Raguse et rendant à la sincérité do l'amour do

Napoléon pour Joséphine un hommago aussi

complet, nous semble tout à fait décisif.

Reçue à Milan par son mari avec des trans-

ports de joie, Joséphine alla s'installer au palais

Serbelloni, où les hommages des principaux

chefs do l'armée française et de l'aristocratie mila-

naise lui furent prodigués. Malheureusement pour

l'amoureux général en chef, la nécessité de faire

face à nos ennemis n'allait pas tarder à lo rappeler

sur les champs do bataille, l'obligeant au bout de

quelques jours à se séparer de nouveau do l'objot

de ses plus chères affections. Bonaparte marchait

à la rencontre d'uno nouvelle armée autrichienne

commandée par Wurmsor. L'objectif du général

français, après avoir battu l'armée do son adver-

saire, était de s'emparer do l'importante place de

Mantoue.

Restée à Milan au Palais Serbelloni, Joséphine

y recevait, peu de jours après le départ de son

1.Mémoiresdu maréchalMarmonl,

Page 72: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 40

mari, uno lettre de celui-ci datée de Roverbella

6 juillet 1796. Il lui écrivait :

a J'ai battu l'ennemi. Kilmaine t'enverra la

copio do la relation. Jo suis mort do fatigue. Je to

prie de partir de suite pour to rendre à Vérone;

j'ai besoin de toi, car jo crois quo jo vais être

bien malade. Jo te donne mille baisers. Je suis

au lit. »

Cetto indisposition du jouno et glorieux

général no devait pas être gravo ni de longue

durée et Josôphino fut invitée, môme par lui, à

différor son départ pour venir lo rejoindre. De

son quartier général do Marmirolo, 18 juillet,

Bonaparte écrivait encore à sa femme t

« J'ai passé toute la nuit sous les armes.

J'aurais eu Mantouo par un coup hardi et hou-

roux, mais los eaux du lac ont promptemont

baissé, de sorto quo ma colonne, qui était

embarquéo, n'a pas pu arriver... Jo reçois uno

lettre d'Eugène, quo jo t'envoie. Jo te prie d'écrire

do ma part à ces aimables enfants, et do leur

envoyor quelques bijoux. Assure-les bion quo jo

les aime commo mes enfants. Co qui est à toi ou

à moi se confond tellement dans mon coeur,

qu'il n'y a aucune différence. Jo suis fort inquiet

do savoir commont tu to portos, co quo tu fais.

4

Page 73: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

BO L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

J'ai été dans le village do Virgilo, sur les bords

du lac, au clair do lune, ot pas un instant sans

songer à Joséphine !... »

Lo 19 juillet lo général Bonaparte annonce

à Josôphino le bombardement de Mantoue, en

s'excusant d'avoir ouvert et lu deux lettres adres-

sées à celle-ci, lettres qu'il lui renvoie. Napoléon"

qui, bien longtemps plus tard, accusait, à en

croire le Mémorial de Sainte-Hélène, sa première

femme d'être jalouse, l'était lui-même, au com-

mencement do leur union, beaucoup plus qu'elle.

Mais par la suite on pourra se rendre compte

des modifications survenues dans leur état d'Ame.

Dovenuo impératrice c'est Joséphine qui se mon-

trera jalouse, ot Napoléon au contraire qui ces-

sera do le témoigner.

Arrivé à Broscia Bonaparte so décide à y faire

venir ot à y appeler sa femme. Il lui écrit le

22 juillet de cetto ville une des si nombreuses et

si tendres lottres dont il est coutumier. Charmé

d'avoir trouvé dans la correspondance de José-

phine quelques traces do coquetterie jalouse, il

lui répond à co sujet t

« ... Je suis désespéré quo tu puisses croire,

ma bonne amie, que mon coeur puisse s'ouvrir à

d'autres qu'à toi; il t'appartient par droit de

Page 74: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 51'

conquête et cotto conquêto sera solide et éter-

nelle » Hélas qu'y a-t-il d'éternel en ce monde,

et surtout quand il s'agit d'attachements de

nature semblable, forcément destinés à ne durer;

qu'un temps relativement court! Aussi nous

associons-nous à la réflexion qu'inspire à M. Au-'

benas cette phrase de la lettre quo nous venons

do reproduire à notre tour : « Qu'aurait dit ce

coeur si épris, et tout à la généreuse fougue de

son âge enthousiaste, si on lui avait alors annoncé

qu'un jour il sacrifierait à l'impitoyable raison

d'état cette femme tant aimée ! »

Lo 28 juillet Bonaparte, que Joséphine était

venue rejoindre à Brescia, dut quitter en toute

hàto sa femme pour marcher on avant et tenter

do détruire los différents corps do l'armée de

WUrmser, qui avait commis l'imprudence do les

espacor loin les uns des autres. Bonaparte s'était

porté d'abord sur Peschiera, mais il dut biontôt

rétrograder sur Castol-Nuovo. Inquiet pour la

sûreté de Josôphino, que l'imminence d'un

sérieux engagement mettait en danger, le général

Bonaparto aurait voulu l'y soustraire, on la

faisant retourner sur ses pas. Mais les issues se

trouvant fermées et lui coupant toute retraite, il

fallut bien renoncer à toute tentative do co gonre.

Page 75: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

82 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Alors la pauvre Joséphine versa, paraît-il, dos

larmes que l'anxiété do ces périls menaçants pro-

voquait. A ce moment son époux, ému par les

pleurs qu'il lui voyait répandre, prononça ces

paroles prophétiques : « Wûrmser va payer cher

les larmes qu'il te fait verser! »

, Au lieu do so diriger vers les plaines du nord

de l'Italie pour quitter la zone dangereuse où

so livraient tant de combats, Joséphine sur les

avis de son mari, prit le chemin de l'Italie cen-

trale. Lo Mémorial raconte à ce sujet quo la

future impératrice, fut obligée do longer en voi-

ture et do très près lo siègo de Mantouo; on tira

sur elle do la place, et quelqu'un de sa suite fut

môme atteint 1. Elle parvint enfin à traverser le

Pô, et, en passant par Ferrare et Bologne, à

atteindre Lucques où le Sénat do la ville lui fit

une réception solennelle.

Pendant co temps le général Bonaparte rem-

portait do nouveaux succès ot, grâce à une série

de glorieux combats et de manoeuvres savantes,

il dispersait ou détruisait successivement les

différents corps do l'armée do Wûrmser.

Rentré vainqueur à Brescia, lo 19 août, Bona-

1. Mémorialde Sainte-Hélène.

Page 76: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 63

parte s'empressait d'écrire à sa femme qui, grâce

au triomphe de l'armée française, avait pu rega-

gner Milan. Voici sa lettre :

« J'arrive, mon adorable amie; ma première

pensée est de t'écrire. Ta santé et ton imago ne

sont pas sorties un instant de ma mémoire pen-

dant toute la route. Je ne serai tranquille que

quand j'aurai reçu des lettres de toi. J'en

attends avec impatience. Il n'est pas possible que

tu to peignes mon inquiétude Je t'ai laissée

triste, chagrine et demi-malade. Si l'amour le

plus profond et le plus tendre pouvait te rendre

heureuse, tu devrais l'être... Je suis accablé

d'affaires. Adieu ma douce Joséphine; aime moi,

porte toi bien, et pense souvent, souvent ô

moi. »

Laissant, devant Mantoue, des troupes et des

canons en nombre suffisant pour en faire le siège,

Bonaparto ne tarda guôro à rejoindre sa femme,

à Milan, pour passer auprès d'elle une quinzaine

de jours environ. Une sorte de cour so trouva

bientôt formée autour de Joséphine et de lui dans

le beau palais Serbelloni, mis par son proprié-taire à la disposition du vainqueur des Autri-

chiens. Co fut là quo Joséphine s'attacha au jeune

frèro de son mari, Louis Bonaparte, qui, de son

Page 77: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

!54 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

côté, se montra toujours envers ello beaucoup

mioux disposé que les autres membres de la

famille de Napoléon.

Conquérant de l'Italie, lo général Bonaparte y

déploya une activité et dos talents de premier

ordre. Il s'y révéla, aux regards soupçonneux et

jaloux du Directoire, chef militaire incomparable,

organisateur et administrateur sans rival. Il

fallait du génie à un si jeune homme pour faire

ainsi prévaloir ses avis et sa volonté parmi tous

ces généraux envieux de «a gloire, pour imposer

aux étrangers lo respect de son autorité et de sa

personne. Joséphine, dès ce moment, joua dans

la perfection, auprès de son époux, le rôle spécial

qui lui incombait. Son charme, son amabilité,

sa finesse native, secondés par les séductions du

meilleur savoir-vivre lui méritèrent, do la part

des Italiens do tout rang, les plus flatteuses

démonstrations de dôféronco et de sympathie.

Aussi Josôphino pouvait-elle écrire à notre vieille

connaissance sa tante, madamo de Renaudin,

devenue onfin marquise de Beauharnais, le billet

suivant :

« M. Serbelloni vous fera part, ma chère tanto,

de la manière dont j'ai été reçuo en Italie, fôtéo

partout où j'ai passé; tous les princes d'Italio me

Page 78: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. BB

donnent des fêtes, môme le grand duc de Tos-

cane, frère do l'Empereur. Eh bien! je préfère

être simple particulière en France. Je n'aime

point les honneurs de ce pays-ci...

» Si lo bonheur devait procurer la santé, je

devrais me bien porter. J'ai le mari le plus ai-

mable qu'il soit possible de rencontrer. Je n'ai

pas le temps de rien désirer. Mes, volontés sont

les siennes. Il est toute la journée en adoration

devant moi, comme si j'étais une divinité; il est

impossible d'être meilleur mari... »

Tels étaient déjà les sontimonts de Joséphine

pour son second mari. La véritable passion que

celui-ci ressentait pour elle, les soins assidus

qu'il lui rendait formaient un contraste assez

remarquable avec les dispositions qu'elle avait

rencontrées, tout au début de leur union, chez

son premier mari, Alexandre de Beauharnais.

Mais en matière d'amour, l'unisson n'existe pour

ainsi dire jamais, ot il y en a toujours un qui

aime plus que l'autre. Celui qui aimait le plus

à cette époque c'était Napoléon; plus tard ce

sera Joséphine qui souffrira, doublement de se

voir abandonner, Nous nous trouvons, pour le

moment, bien éloignés de cette période si dou-

loureuse de son existence.

Page 79: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

66 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Il no nous appartient pas de retracer ici l'histo-

rique de la mervoilleuso campagne do 1796 on

Italie, ni d'énumérer los victoires éclatantes que

le général Bonaparte y remporta. Nous nous bor-

nerons à rappeler quo lo fold-maréchal Alvinzi

ne fut pas plus heureux contre lui que Wûrmser,

et quo la défaite définitive dos armées de l'Au-

triche so trouva consommée par les victoires

d'Arcole ot do Rivoli, suivies de la prise de Man-

touo. Lo 18 avril 1797 los préliminaires de paix

étaient signés à Leobon, préliminaires quo con-

firmait ensuite lo traité do Campo-Formio. « A

cetto époque heureuse, rapporte Marmont, Napo-

léon avait un charme que personne n'a pu

méconnaître, l'un des hommes les plus faciles à

toucher par des sentiments vrais... un coeur

reconnaissant ot bienveillant, je pourrais même

dire sonsiblo, »

Entre temps Joséphine avait tenu, à Mombello,

uno sorte do cour pondant los trois mois qui pré-

cédèrent la conclusion de la paix. Les contem-

porains qui formaient son entourago sont una-

nimes à rendre hommago au charme souverain

qu'ello exerçait alors sur tous, et principalement

sur les personnages étrangers, chargés do négo-

cier avec lo général Bonaparte les conditions do

Page 80: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 57

l'accord définitif. Madamo Bonaparte visita,

avant do rentrer en Franco, los principales villes

do l'Italie. Elle fut, au cours do ses pérégrina-

tions, fêtée partout ot comblée do prévenances

et d'hommages. Veniso, Gènes, Romo mémo

reçurent dans leurs murs, à cetto époque, la

future impératrice, la future reino d'Italie.

1. « Tout ce qu'il y a d'intelligent, d'ambitieux, d'intrigantet d'enthousiaste en Italie s'y presse et s'y môle AUXadminis-trateurs et aux généraux français. Les diplomates de la Répu-bliqueviennent prendre le mot d'ordre ol quêter la faveur. Toutest aurore, tout est avenir en co palais do la fortune. » L'tfu-ropeet la Révolution,par Albert Sorel, t. Y, p. 176.

Page 81: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE V

Retour du général et de madame Bonapartea Paris. — Situa-tion exceptionnellefaite au vainqueur des armées do l'Au-triche. — Fête qui leur est donnéepar Talleyrand. — Proposdo Girardin sur Joséphine.— Goûtde celle-cipour le luxoetla toilette. — Sa prodigalité bien connue. — Hôteldo la ruedo la Victoire.— Réceptionschez Joséphine. — Projet d'ex-pédition en Egypte — Le 3 mai 1703Bonaparto part pourToulon.— Chagrin do Joséphine de ne pas suivre son marien Egypte. — Bile so rend aux eaux do Plombières.— Biley est victime d'un grave accident. — Rapports malveillantsadressés en Egypte au général Bonapartosur la conduitedosa femme. — Scènopénible entre les deux époux au retourdu général. — Elle est suivie d'uno complète réconciliation.

Do retour à Paris le général Bonaparto et sa

femmo reçurent do toutes les classes de la popu-

lation un accueil enthousiaste. Lo conseil muni-

cipal do Paris, se faisant l'interprète de la popu-

larité qui environnait le glorieux héros do la

campagno d'Italie changea lo nom do la rue

Chantereino, ou demeurait Josôphino, en celui

do rue de la Victoire Malgré la vie retirée quo

Page 82: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPERATRICE JOSEPHINE. KO

menait lo général Bonaparte pour éviter d'effa-

roucher la jalousie du Directoire, de nombreuses

fêtes so succédèrent on son honneur. Les mem-

bres de ce gouvernement ôphômôro eux-mêmes,

ainsi que los représentants du pouvoir législatif,

n'osèrent so dispenser do lui offrir, à leur tour,

des fêtes et dos banquots. Enfin l'Institut lui ouvrit

sos portes, ce qui flatta, mieux q^e toute autre

distinction, l'amour propre du jeuno général.

Talloyrand, toujours habile courtisan du soleil

levant, donna dans l'hôtel Galiffet, qui so trouvait

ruo du Bac, une fêto dont la magnificence est

demeurée légendaire. L'ancien évoque d'Autun (était devenu ministre des Relations extérieures»

Couvrant de fleurs Napoléon et Joséphine,

l'adroit personnage pressentait déjà leur gran-deur prochaine ot lour faisait une cour assidue,

assaisonnée dos flatteries les plus délicates. Napo-léon on subit plus ou moins, pondant lo cours do

sa prodigieuse carrière, uno sorte do fascination.

Joséphine au contraire conçut instinctivement,

dès lo début, do l'éloignemont pour lui, ot no se

laissa jamais prendre aux adulations intéressées

l\ de co caméléon politique.

Un dos invités do la fêto donnée par Talloyrand,

Stanislas do Girardin, a laissé, dans ses Souvenirs,

Page 83: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

60 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

une remarque faite par lui au sujet de Joséphine,

qui, si celle-ci l'avait entendu énoncer devant

elle, no lui aurait causé vraisemblablement qu'un

plaisir mitigé d'amertume... Voici la réflexion

que suggéra la vue do la femme do Napoléon à

M. do Girardin :

« Madamo Bonaparto n'est plus jolie; elle.a

près de quarante ans et los parait bien. Ello con-

serve uno taille élégante et un bon coeur qui no

vieillira jamais.. » Cortainos fommes sont cepen-

dant plus belles dans lour maturité quo dans la

jeunesse; mais pout-ôtro M. do Girardin réservait-

il aux jeunes femmos seules son admiration

oxclusivo? Dans tous les cas son témoignage ost,

commo tant d'autres, entièrement favorablo aux

qualités do coeur de l'excellente Joséphine.

C'est au cours do cetto- mémo soiréo quo la

conversation, rapportée par Arnault, s'engagea

outre Bonaparto et madame do Staël, stupéfaite

d'ontondro son interlocuteur basor, sur le nombre

do ses onfants, le mérite qu'il convenait do recon-

naître à uno femme! La célèbre fillo do Necker no

voulut pas comprendre qu'une paroillo boutade

ne pouvait avoir pour but que celui do décou-

rager ses avances. Madamo do Staël n'était pas— en tant quo typo féminin — l'idéal de l'homme

Page 84: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 61

qui prisait surtout, chez une femme, la grâce, lo

charme, la douceur et la modestie.

Joséphine a toujours aimé le luxe ot la toilette

plus qu'il n'était nécessaire. Elle ne savait pas

compter et sa prodigalité légendaire, qui lui a été

avec justice tant reprochée, so fit remarquer dès

l'origine de ses grandeurs. De Milan déjà, parait-

il, elle avait donné des ordres à Paris pour qu'on

meublât, avec tout ce qu'il y avait de mieux, la

maison do la rue Chanteroine, ou plutôt do la

ruo do la Victoire, que Talma lui avait vendue.

Il so forma bientôt dans ce charmant petit hôtel,

aujourd'hui disparu, une sorte de cénacle litté-

raire dont les principaux habitués furent au dire

d'Arnault : Bernardin do Saint-Pierro l'auteur

fameux do Paul et Virginie, lo poèto Ducis,

Legouvé et Lemercier, le musicien Méhul. le

grand peintre David, Talma, Bouilly, Collin

d'Harlevillo, Andrieux, Baour-Lormian ot Par-

coval-Grandmaison 1. Joseph Chénier, Picard,

Alexandre Duval et môme plusieurs savants fré-

quentaient également chez madame Bonaparte.

Joséphine recevait souvent à dîner tous ces per-

1. Aubenas,Histoirede l'impératriceJoséphine.

Page 85: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

62 L'IMPERATRICE JOSEPHINE.

sonnages en même temps que les généraux do

l'intimité de son mari et ses aides de camp. La

popularité du général Bonaparte était si grande

qu'il ne pouvait se montrer en public sans devenir

l'objet des ovations de la foule. Ces six mois

passés ruo do la Victoire par Joséphine, entre son

retour d'iialio ot l'expédition d'Egypte, doivent

être comptés au nombre des moments los plus

heureux de sa vie.

Bouilly, l'un des commensaux de l'hôtel de la

rue do la Victoire, a dit, dans ses Souvenirs et

récapitulations, en parlant de Joséphine : « Elle

y était entourée de tous ceux qui recherchent la

puissanco, bien qu'ils occupent les premiers

rangs de la Société. Sa grâce naturelle ot son

inépuisable bonté donnaient encore plus d'éclat

au rang élevé qu'ollo prenait dans le mondo et

semblaient offrir, chaque jour, un nouveau degré

de perfection. J'eus l'honneur d'être admis aux

réunions qui se formaient, chez elle, tous les

jeudis. Ce n'était plus co ton d'élégance et de

séduisanto galanterie que j'avais trouvé dans les

cercles de 1788. Toutefois on retrouvait dans les

réunions chez Joséphine quelques restes précieux

de ces parfaits modèles de grâce et de bon tonl. »

1. Bouilly, Souvenirset récapitulations.

Page 86: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 63

En fait de femmes on rencontrait chez celle du

général Bonaparte mesdames d'Houdetot, Caffa-

relli, Damas, Andréossy et les deux belles per-

sonnes qu'étaient madame Tallien et madame

Regnault de Saint-Jean-d'Angély ; enfin naturel-

lement la tante du premier mari de Joséphine,

madame Fanny de Beauharnais, n'y était pas l'une

des moins assidues.

Cependant l'inactivité pesait depuis trois mois

au général Bonaparte, dont lo caractère ardent et

aventureux s'accommodait mal d'une inaction

prolongée. C'est alors que lui vint dans l'esprit

le projet d'uno expédition en Êgypto. Le Direc-

toire s'y prêta de bonne grâce, car il n'était pas

fâché d'éloignor de la France, aussi longtemps

que possible, le chef militaire dont la grande

renommée inquiétait co gouvernement assis sur

des bases peu solides. Cette expédition devait être

à la fois guorriôre ot scientifique. Lo général

Bonaparto exerça luUmèmo un recrutement fort

envié parmi les généraux, les officiers, les savants,

les littérateurs et les artistes de son intimité. « Le

gouvernement, dit M. Aubenas, semblait s'être

transporté rue do la Victoire. On faisait la cam-

pagne comme uno partie de plaisir, et vers la fin,

Page 87: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

64 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

dans l'intérieur du général, on s'y prépara comme

à uno partie de famille. En effet son jeune frère

Louis demandait à partir; Eugèno avait obtenu

la même faveur, et madamo Bonaparto, mainte-

nant aguerrie, prétendait suivre son époux. Elle

y mit tant d'insistance quo le général fut obligéde paraître donner son consentement 1. »

C'est à cetto mémo époque, en avril 1798, que

Joséphine maria sa nièco mademoiselle Emilie de

Beauharnais à Lavalotte aide do camp de son

mari. Moins do vingt ans plus tard cette coura-

geuse fomme devait, grâce à son dévouement,

sauver la vie do son époux condamné à mort parles tribunaux de la Restauration.

Lo départ du général Bonaparte ot do sa suite

pour Toulon s'effectua lo 3 mai 1708, etMarmont,

qui l'accompagnait, raconte comment, à Roque-

vaire, au milieu de la nuit, un hasard providentiel

empêcha seul la berlino occupée par Napoléon et

sa femme do se briser dans un abîme. Après avoir

raconté ce fait, dans ses Mémoires, lo duc do

Raguse ajoute : « Ne somble-t-il pas voir la

main manifesto do la Providence 8? »

Arrivé à Toulon Bonaparto déclara à sa femme

1. Aubenas, t. H.2. Mémoiresdu maréchalMarmont.

Page 88: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 65

qu'il no pouvait l'emmener avec lui on Egypte.

S'il eût pris une détermination contraire, Napo-

léon so serait épargné bien des angoisses jalouses

ot bon nombre de cuisants soupçons. Pour calmer

lo chagrin quo leur séparation causait à José-

phine» son mari dut lui promettro do la faire

venir lo rejoindre, on Egypte, dans un délai do

quelques mois. Il lui conseilla en même temps de

se rendre aux eaux do Plombières, dans l'espoir

qu'elles seraient efficaces pour combattre sa stéri-

lité. Docilo à cetto recommandation madame

Bonaparto partit presque aussitôt pour Plom-

bières, accompagnée de mesdames do Crigny,

Cambis ot Denon. Ce fut en cet endroit qu'un

grave accident, la chute d'un balcon sur lequel

Joséphine ot ses compagnes étaient penchées,

faillit devenir fatal à la future impératrice. Uno

dos damos do sa suite eût la jambe cassée, et José-

phine demeura tellement meurtrie parle choc que

pondant plusieurs jours on la crut perdue. Les

soins dévoués ot intelligents de sa fille Hortense,

mandée on toute hâte auprès do sa mère, hâtèrent

heurousomont la guérison de colle-ci.

Au mois d'avril 1709 Joséphine—

pour obéir

aux recommandations de son mari —qui l'avait

b

Page 89: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

66 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

priée de faire l'acquisition d'uno maison de cam-

pagne, se décida à acheter lo petit château de la

Malmaison 1. Elle s'empressa de s'y installer ot

d'embollir, chaquo jour davantage, cetto char-

mante résidenco. De son fils Eugène ot du général

Bonaparte elle n'avait pu recevoir de nouvelles

qu'à do longs intervalles, à cause des croisières

anglaises qui donnaient la chasso aux navires

français, ot interceptaient les communications

entre la France ot l'Egypte. Aussi était-elle on

proio à de perpétuelles inquiétudes. Toujours

bonne et bienfaisante elle cherchait à faire du

bien autour d'elle, ot les premiers temps do son

séjour à la Malmaison nous on fourniront uno

nouvelle preuve. La révolution qui avait fait tant

do ravages, détruit ou dispersé tant d'oxistencos,

continuait, môme assagie, à porsécutor lo clorgé.

Elle avait sécularisé les religieuses, fermé les

couvonts, disporsô los soeurs, vendu leurs biens,

liquidé lours pensions viagères. Par un arrêté do

pluviôse (1790) lo gouvernement avait mémo

interdit aux anciennes soeurs do so réunir pour

enseigner. Une de cos soeurs, la citoyenne Damour

conçut alors l'idée d'avoir recours au crédit ot à

1. La Malmaisonfut achetée &un M.Lecoultcuxde Gantetcu160000francs.

Page 90: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 67

la protection efficaces de madame Bonaparte, qui

n'hésita pas à se faire la protectrice et la. sauve-

garde do ces anciennes Soeurs de la Croix. Une

lettre signée do Joséphine, conservée aux archives

de la Préfecture de Versailles, on fait foi. Celte

lottro ost datée du 23 juin 1700 et adressée à la

municipalité de Marly. Voici cette lettre :

j.

La Malmaison près Rueil, 5 messidor,an VU do la République.

« L'épouse du général Bonaparte aux adminis-

trateurs du canton de Marly :

» J'invoque avec confiance, citoyens admi-

nistrateurs, votre bienveillance en faveur dos

citoyennes Damour, qui s'efforceront do la méri-

ter on donnant l'exemple ot la leçon du civisme,

en môme temps que do l'entière soumission aux

lois de la République.

» Recevez les assurances do ma sincère consi-

dération.

» Signé : LAPAGERIR-BONAPARTE. »

Au cours do la période de temps qui s'écoula

pondant la mémorable campagne d'Égypto, José-

phine avait peut-être donné prise à la malveil-

Page 91: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

68 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

lanco par des allures trop libres ou par quelques

légèretés de conduite. Il est malaisé do se pro-

noncer, à cetto distance, sur les torts plus ou

moins graves reprochés à la femme do Napoléon.

En pareille matière il n'existe guère que des

présomptions, ot pour ainsi dire jamais de

preuves matérielles. Il ne nous appartient pas

do nous prononcer à ce sujet, soit pour plaider

l'innocence immaculée do la fommo du général

Bonaparte, encore moins pour l'accabler; l'affir-

mative ou la négative ne sauraient être effecti-

vement, à ce propos, que purement conjecturales.

Quoi qu'il en puisse avoir été, des rapports

malveillants, émanant de certains membres de la

famille Bonaparte ou d'anciens adversaires du

parti Beauharnais, avaient été transmis jusqu'en

Egypte au principal intéressé. Ces médisantes com-

munications, fondées ou non fondées, n'avaient

pas manqué, comme on lo croira sans peine, do

produire des ravages dans l'imagination du

général Bonaparte. Les mémoires du prince

Eugène dont il est intéressant do citer ici un pas-

sage, feront comprendre au lecteur combien les

préoccupations de Bonaparte à cet égard étaient

vives : « A cetto époque, dit le fils do Joséphine,

lo général en chef commença à avoir de grands

Page 92: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 69

sujets de chagrin, soit à cause du mécontente-

ment qui régnait dans une partie de l'armée, et

surtout parmi quelques généraux, soit à cause

des nouvelles qu'il recevait de France, où l'on

s'efforçait de troubler son bonheur domestique.

Quoique je fusse fort jeune, je lui inspirais assez

do confiance pour qu'il mo fit part de son cha-

grin. C'était ordinairement le soir qu'il me faisait

ses plaintes et ses confidences, on so promenant

à grands pas dans sa tente. J'étais le seul avec

loquel il pût librement s'épancher. Jo cherchais

à adoucir ses ressentiments; jo lo consolais de

mon mieux, et autant que pouvaient le permettre

mon âge ot lo respect qu'il m'inspirait. »

Quand il est fait allusion aux infidélités repro-

chées à tort ou à raison à Josôphino, c'est tou-

jours le nom vulgaire, insignifiant et énigmatique

do M* Charles quo l'on mot en avant, sans qu'il

soit possible aux détracteurs do madame Bona-

parte d'en désigner nominativement aucun autre.

Co personnage falot semble appartenir à la

légende plutôt qu'à la réalité; on en parlo très

souvent mais on no l'aperçoit qu'à travers une

sorte de brouillard. Co quo les pamphlétaires, les

plus intéressés à le mettro en lumière, sont par-

venus à en savoir, n'arrive môme pas à satisfaire

Page 93: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

70 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. _

la curiosité des lecteurs auxquels on a jeté son

nom on pâture, Ce personnage obscur et mal

connu passe, dans l'histoire do la première

femme de Napoléon, commo une apparition fan-

tastique aux contours vagues et indéterminés.

C'est un spectre que les ennemis de Joséphine

ont sans cesse agité devant les yeux do Napoléon,

commo les fauteurs d'anarchie, pour exciter la

fureur des multitudes, s'efforcent d'agiter lo

spectre clérical, fantôme imprécis dont il est bien

souvent question, sans qu'on puisse savoir au

juste en quoi il consiste. La personnalité do ce

M. Charles ost un X dont le voilo qui la recouvro

n'est qu'à moitié soulevé dans uno lettre adressée

par Eugène do Beauharnais à sa mère. Ce fils,

respectueux et affectionné so refuse, commo on

peut bien lo penser, à ajouter foi aux commérages

médisants colportés jusqu'aux oreilles de son

beau-pôro en Egypte, dans l'espoir d'éveiller sa

colère ot sa jalousie. Les inquiétudes irritées et

violentes procurées à Bonaparte par ces rapports

venimeux semblent bien démontrer d'ailleurs,

contrairement à une série do suppositions aussi

invraisemblables que gratuites, quo l'époux do

Joséphine n'avait en aucuno façon l'étoffe d'un

mari complaisant, disposé à fermer les yeux sur

Page 94: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 71

l'inconduite prétondue de sa femme. Tout ce que

l'histoire nous a fait connaître du caractère ot du

tempérament de Napoléon, do son vif sentiment

do l'honneur, do son intraitable fierté est effecti-

vement en contradiction formelle avec l'apathie,

l'indifférente indulgence qu'on lui attribue on

pareille matière, indulgence aussi incompréhen-

sible qu'extraordinaire do la part d'un homme

énergique et autoritaire comme l'était le futur

empereur....

Lo regard scrutateur do Napoléon surveillait

attentivement les faits et gestes do tous ceux

qui ne lui étaient pas indifférents, uno police

activo ot d'un zèlo souvent exagéré le tenait sans

cesse au courant des moindres détails. Sa jalou-

sie, dès lo début do son union avec Joséphine, se

maintenait continuellement en éveil; comment

n'aurait-il rien soupçonné de ce que tout le

monde autour de lui pouvait, à ce quo l'on a

prétondu, constater? Comment et pour quelle

raison aurait-il soutenu contre l'envie et l'animo-

sitô de toute la famille Bonaparte, uno femme

d'uno inconduito notoire, plus âgée que lui, et

qui l'aurait rendu ridicule.... Pourquoi l'aurait-il

fait asseoir sur son trôno et l'aurait-il couronnée

de ses propres mains alors qu'il lui eût été si

Page 95: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

72 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

facile do s'en séparer? En vérité, on dépit des

sophismes los plus ingénieux, une pareille invrai-

semblance demeure inadmissible; on peut juger

diversement Napoléon, mais il nous paraît impos-

sible de faire de lui un Georges Dandin !

«

Bonaparte, revenu d'Egypte, no fit son ontréo

à Paris quo lo 16 octobre 1709. Les mémoires du

temps parlent tous d'une scène conjugale fort

pénible qui eut pour théâtre, lors do son rotour,

l'hôtel do la ruo do la Victoire. M. do Saint-

Amand, dans un dos livres qu'il a consacrés à

l'impératrice Josôphino, décrit à cet égard l'inci-

dent dramatique dont la réunion des doux époux

aurait été suivie. Bonaparto s'était enfermé dans

sa chambro ot Joséphine, absente au moment de

l'arrivée do son mari, s'efforçait on vain, par sos

supplications, do so faire ouvrir la porte. La

malhourouso fomme aurait ainsi passé uno partio

do la nuit à se désolor on mémo temps qu'elle

frappait sans relàcho à cotte porto toujours obsti-

nément fermée. Son époux demeurant sourd à

ses lamentations, Joséphine eût l'idéo d'appoler

ses enfants qui joignirent leurs prièros aux

siennes. Après uno longuo et pénible attento et

do dramatiques pourparlers, cetto maudite porte

Page 96: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 73

finit enfin par s'ouvrir, et le général Bonaparte,

pardonnant des torts imaginaires ou réels em-

brassa la pauvre Joséphine ot lui rendit son

affection.

Trois semaines après l'arrivée du vainqueur

de la bataille des Pyramides, le 18 brumaire ren-

dait Bonaparte maître de la Franco et premier

magistrat do la République. /

On peut so rendre compte qu'au cours do son

existonco si agitée, Joséphine ait eu bien des

luttes à soutenir; d'abord contre la famille

Bonaparte, jalouso de son crédit, puis contre

uno foule d'autres adversaires qui, prenant texte

do sa stérilité, ne cessaient do prétondre quo,

si Napoléon n'avait pas d'enfants, l'avenir et la

sécurité de l'Etat seraient compromis. Bien des

femmes, plus jeunes ot plus jolies qu'elle, exci-

tèrent plus d'uno fois ses inquiétudos et sa jalou-

sie. M. do Saint-Amand a donc raison de dire

qu'à tout prendre il fallut à Josôphino beaucoup

d'adresso, de prudence et do finesse pour être

parvenue à résister aussi longtemps à tant de

manoeuvres tontôos pour ébranler sa situation.

« Ëllo gagnera la partio on 1804, dit l'auteur

précité, quand ello sera couronnée commo impé-

ratrice par la main do son époux; ello la perdra

Page 97: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

74 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

en 1809, mais on conservant, môme après lo

divorce, son titro et son rang. » On peut ajouter

a co qui précède, quo rarement souveraine déchue

aura été traitée avec do plus grands égards et un

plus grand respect que l'impératrico Joséphine.

Page 98: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE VI

i799-l800. Heureux caractère de Joséphine. Sa douceur inalté-rable, sa bonté. — Ello professeen tout©occasion pour Napo-léon le dévouement lo plus absolu. —Après le coup d'État du18brumaire, le général Bonaparte nommé premier consul. —Résidence au Luxembourg d'abord, bientôt après aux Tuile-ries. —Détails sur l'intérieur du palais consulaire. —MadamedeMontesson. —Perfectionaccomplieavec laquelle Joséphineremplit le rôle de compagne du chef de l'État. — Formationd'une sorte de petite cour. — Les dépenses inconsidérées de

Joséphine, source de reproches de la part de Ronaparte. —

Détails donnés par M. Aubenas et par madame d'Abrantèssur l'élégance suprême de Joséphine et ses trois toilettes.

Joséphine avait donc été, comme on l'a vu, sur

le point d'être abandonnée par son second mari

aussi bien que par le premier. Elle sutso montrer,

dans cette circonstance critique, si bonne, si

adroite et si séduisante qu'elle triompha de toutes

les embûches qui lui avaient été tendues. Elle

professait en toute occasion pour Napoléon, le

dévouement, la soumission la complaisance, la

plus absolue. Aussi ce dernier, malgré quelques

Page 99: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

76 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

accrocs à la fidélité conjugale continua-t-il tou-

jours à l'aimer tendrement. La première femmo

do Napoléon, sans ôtro régulièrement bollo, avait

un charme indicible Ello possédait cetto grâco,

plus bollo encore quo la beauté, dont tous ses

contemporains ont subi l'empire. Egale do carac-

tère, douéo d'un tact parfait, toujours bienveil-

lante et foncièrement bonne, Josôphino aurait dû

désarmer ceux-là mémo quo leur intérêt poussait

à lui rendre do mauvais services. Napoléon avait

rendu à Joséphine, après l'orage quo nous avons

rapporté, affection et confianco entières. Désormais

l'union se rétablit complète et durable f :tro les

deux époux jusqu'au jour de leur divorce, ivorco

que des motifs politiques rendirent seuls nécessaire.

Aussitôt après lo coup d'Etat du 18 brumaire, lo

général Bonaparte prit lo titre de Premier Consul

do la République, et alla s'installer avec sa femmo

au petit Luxembourg. « Là, dit M. Aubenas, com-

mencent pour Joséphine ces hommages publics

qui no la quitteront plus jusqu'à sa mort. » Au

Luxembourg on reprend pour parler ai:, femmes

le mot naguère aboli de Madame; un peu plus

tard, aux Tuileries, on so servira pour annoncer

Joséphine de cette locution interjective : Madame,

femme du Premier Consul!

Page 100: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 77

La constitution do l'an VIII avait été promul-

guée. Lo Premier Consul recevait un traitemont

do 500 000 francs; lo deuxième et lo troisième

consuls, Cambacérès et Lebrun, loOOOO francs

chacun. Pou do temps après, en févrior 1800, le

Premier Consul so rendit en grand apparat au

Palais des Tuileries où il allait dorénavant résider.

A son arrivée il passa en revue l'armée do Paris,

rovuo à laquelle Josôphino assistait à uno fonôtro

du Palais; ello était fort on beauté co jour-là,

d'après co quo rapporte dans ses Mémoires ma-

damo d'Abrantès. Napoléon s'établit dans les

appartements occupés autrefois par la famille

royale; Joséphine et ses enfants au-dessous do

lui, au rez-de-chaussée du Palais. La duchesse

d'Abrantès a décrit en ces termes l'ameublement

du salon do famille du Premier Consul et do José-

phine : « Le grand salon do réception était tendu on

quinze-seize jaune. Les meubles meublants étaient

en gourgouran, les franges en soie et les bois

on acajou. Il n'y avait d'or nulle part; les autres

pièces n'avaient pas plus de richesse dans leur

décoration; tout était frais et élégant,mais voilà

tout. Au reste les appartements de madame Bona-

parte n'étaient destinés que pour les réunions par-

ticulières et les visites qu'elle recevait le matin ;

Page 101: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

78 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

les grandes réceptions avaient liou on haut 1. »

Habituéo de longue dato, depuis toujours peut-

on dire, à la moilleuro compagnie, Josôphino,

maîtresse do maison incomparable, connaissait à

merveille la convenance do langage qui ménago

tous los intérêts, tous les amours-propres. Ello

savait égalomont n'en froissor, ni n'en décourager

aucun. Dès cotte époquo un certain nombre do nota-

bilités do l'ancien régime, et entro autres lo prince

de Poix, fréquentaient chez la femmo du Premier

Consul. Joséphine, dont le coeur no fut jamais

ingrat, avait conservé uno grando reconnaissance

à madamo Tallien qui avait puissamment con-

tribué à lui sauver la vie, ainsi qu'à bien d'autres

de ses compagnes de captivité, en provoquant

la chute de Robespierre. Malheureusement le

Premier Consul nourrissait contre Notre-Dame-de-

Thermidor des préventions tellement enracinées

qu'il ne voulut jamais permettro à sa femmo de

la recevoir aux Tuileries. Joséphine était obligée

de ne voir madame Tallien qu'en cachette.

Peu à peu, à mesure que le Premier Consul

prenait insensiblement des allures de souverain,

il se rendait mieux compte de l'opportunité de

1. Mémoiresde la duchessed'Abrantte.

Page 102: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 79

s'ontourer do plus de cérémonial et do plus

d'apparat. Toute espèce do pouvoir autoritaire

rossent lo besoin do s'ôtayor d'uno sorte do cour.

L'ancienne société, en partio dispersée par la

tourmente révolutionnaire, n'était pas encore

ralliée ou boudait lo régime nouveau. Aux récep-

tions du Premier Consul ot do madamo Bona-

parte, c'était surtout d'abord l'élément militaire

qui dominait tout naturellement. Il s'y mêlait

quelques financiers, plusieurs hommes do lettres,

quelques débris assez rares do l'ancien régime,

sans parler du corps diplomatique étranger, en

nombre forcément restreint, puisque la Répu-

blique française demeurait brouilléo avec la moi-

tié des souverains do l'Europe. Ce corps diplo-

matique so composait alors des ministres de

Prusse, d'Espagno, de Suède, de Danemark, de

Bade et do Hesse-Cassel, enfin de ceux des répu-

bliques, filles ou soeurs do celle qui vonait de s'éta-

blir en France, c'est-à-dire des petites républiques

Cisalpine, Batave, Helvétique et Ligurienne.

S'aidant des utiles conseils de madame de Mon-

tesson épouse morganatique du duc d'Orléans,

grand-père du roi Louis-Philippe, le ménage

consulaire s'appliqua— dès sa prise de possession

des Tuileries — à la tâche de former la nouvelle

Page 103: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

80 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

cour. Madamo do Montesson, femmo do beaucoup

d'esprit et du meilleur ton, possédait uno expé-

rience consommée dans toutes ces matières mon-

daines, oxpérienco qu'ello mit avec uno entièro

bonne grâce au service du Premier Consul ot do

madamo Bonaparto. Ceux-ci l'en récompenseront

par les égards et les attentions dont ils no cessèrent

do l'entourer. Napoléon rendit notamment à

madame do Montesson uno très grosso pension

quo la Révolution lui avait fait perdre. Cette

veuve du duc d'Orléans possédait à Romainville,

uno très belle et très luxueuse résidence.

Il fallait du tact et do l'habileté pour obtenir un

heureux résultat du mélange de tant d'éléments

disparates, pour ménager l'amour-propro des

uns, sans froisser la susceptibilité des autres.

Pour cette oeuvre d'amalgame, comme lo disait

plus tard lui-même Napoléon à Sainte-Hélène» lo

concours de Joséphine lui rendit les plus grands

services. Lo Mémorial s'exprime à ce sujet dans

ces termes : « La circonstance de mon mariage

avec madame Je Beauharnais disait l'Empereur à

son confident m'a mis en point do contact avec

tout un parti qui m'était nécessaire pour con-

courir à mon système de fusion. »

Joséphine en effet s'employa do tout son pou-

Page 104: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 81

voir à seconder les vuos do son époux. Personne

mieux qu'elle n'aurait pu remplir le rôle qui lui

était assigné, rôlo politique et mondain tout

cisomblo, conformo à ses goûts, à ses aptitudes

it à tout son passé. Fino, gracieuse ot bonno, ello

était douée de toutos los qualités quo bion des

souveraines auraient pu lui envier, aussi vit-ello

bientôt ses efforts couronnés du plus grand succès.

Devenue impératrice elle est restée pour le

peuple : la bonne Joséphine, et c'est avec raison

quo lui a été décernée cetto appellation; car,

affable et généreuse envers tous, elle a ou au

plus haut degré la passion d'obliger et do faire du

bien. « Si jo gagno des batailles, disait Napoléon

à Josôphino, c'est toi qui gagnes les coeurs! »

Dès avant l'année 1802 la maison du Premier

Consul et do Joséphine se trouvait établie sur le

pied d'une petite cour encore modeste à la

vérité, mais qui fut en quelque sorte l'embryon

de la Cour plus tard si fastueuse et si brillante de

l'Empereur. Un témoin oculaire de la période

consulaire nous la décrit dans ces termes * :

« Le Premier Consul n'avait plus do table

l.Méneval, Mémoires,1.1,p. 132et 133(Dentu, éditeur, 1894).6

Page 105: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

82 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

commune; il dînait avec madamo Bonaparto et

avec quelques membres do sa famille. Les mercre-

dis qui étaient jours de conseil, il retonait à dîner

les consuls ot les ministres 1. Il déjeunait seul.

» Il y avait un gouverneur du Palais qui était

le général Duroc. Ce général avait dans ses attri-

butions l'ordonnance des dépenses, la polico ot la

surveillance du palais. Il tenait tablo pour les

officiers et dames de service ot pour les aides de

camp. La maison militaire so composait alors de

quatre généraux commandant la garde des con-

suls : les généraux Lannes, Bessiôres, Davout et

Soult; do huit aides de camp : les colonels

Lo Marois, Caffarelli, Lauriston, Caulaincourt,

Savary, Rapp, Fontanelli, officier italien, et le

capitaine Lebrun, fils du troisième consul. Il y

avait quatre préfets du palais : MM. de Luçay,

Rémusat, Didelot et Cramayel ; ot quatre dames :

mesdames de Luçay, Talhouët, Rémusat et Lau-

riston. Un des généraux de la garde était de

service chaque semaine chez le Premier Consul,

ainsi qu'un aide de camp et un préfet du palais.

» Les préfets du palais étaient chargés du

1.Leshuit ministres en exercice eu dé: ut du Consulat étaient :Talleyrand, Fouché, Gaudin, Berthier, Decrès, Chaptal, Abrial,Barbé-Marbois,plus tard vinrent Régnier et Portalis.

Page 106: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 83

service intérieur, du règlement de l'étiquette et de

la surveillance dos théâtres. Los dames étaient

chargées d'accompagner madame Bonaparte; les

présentations des femmes des ambassadeurs

étrangers et autres étaient faites par elles. Une

damo était de service chaquo semaine auprès de

madame Bonaparte. Dans les cérémonies ou dans

les circonstances extraordinaires les dames et les

préfets du palais étaient tous présents.

» Le général de la gardo do servjce tenait table

pour les officiers qui étaient de garde au palais.

» Il y avait ainsi déjà à c<tte époque, dans la mai-

son du Premier Consul, les éléments d'une cour. »

A l'oxception de ces modifications d'étiquette,

changements nécessités par l'accroissement de

puissance et d'honneur décerné à la magistrature

qu'il exerçait, la vie intime de Napoléon d emeura à

peu près la môme. Entre dix heures et onze heures

du soir, Joséphine causant encore ou jouant aux

cartes, on venait l'avertir que le Premier Consul

était couché. Elle congédiait alors son entourage

et allait rejoindre son mari. Quand Joséphine trou-

vait celui-ci éveillé, elle s'asseyait sur le pied de

son lit et commençait uno lecture. Comme elle

lisait fort bien, il éprouvait du plaisir à l'écouter.

« A la Malmaison, dit encore le secrétaire

Page 107: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

84 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

intimo do Napoléon, lo Premier Consul passait

dans lo parc les moments qui n'étaion* pas

employés dans lo cabinet, et là encoro son temps

n'était pas perdu.

Joséphine disposait du sien commo elle l'on-

tondait. Ello recevait, pondant la journée, de

nombreuses visites; elle déjeunait avec quelques

amies et avec des connaissances anciennes et

nouvelles. Ello no possédait pas de talents d'agrô-

mont, ello no dessinait pas, ello n'était pas musi-

cienne. Il y avait dans son appartement une

harpe, sur laquelle elle jouait par désoeuvrement,

et toujours le même air. Elle travaillait à des

ouvrages de tapisserie, en se faisant aider par ses

dames et par celles qui venaient la voir. Elle avait

ainsi fait le meuble du salon de la Malmaison.

Cetto vio occupée plaisait à Napoléon *. »

Ce qui plut beaucoup moins par la suite à

l'époux de la bonne impératrice Joséphine fut sa

constante prodigalité. Pour elle les mots économe

et économie étaient des termes vides de sens.

D'après la Biographie Michaud, Joséphine aurait

eu, à un certain moment, 1200 000 francs de dettes

dont elle n'aurait osé avouer à Napoléon que la

1. Méneval,Mémoires,1.1.

Page 108: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 85

moitié seulement. Il est parlé dans lo môme

ouvrage de trente-huit chapeaux neufs achetés dans

un seul mois! Cetto profusion irréfléchie rondait

lo désordre permanent dans la maison de la pre-

mière femmo do l'Empereur, ot lui attirait do la

part do Napoléon, ami de l'ordre et de l'économie,

do continuels reproches assurément justifiés 1.

a Joséphine, a dit dans ses Mémoires madame

Ducrest, voulait quo tout le monde fût heureux

là où ello passait. Toute espèce de malheur et

de souffrance/sans distinction de parti, trouvait

toujours accès auprès d'elle. Son inépuisable

charité jointe à ses goûts de dépense avait pour

résultat d'obérer continuellement son budget. Les

émigrés notamment lui durent leur radiation,

leurs biens restitués, des pensions, des secours.

Josôphino no savait rien refuser aux solliciteurs. »

Parlant de la femme du Premier Consul, après

leur installation aux Tuileries, M. Aubenas dit

1. Napoléonn'avait jamais, à aucune époque, pu s'accoutu-mer aux dépensesexagérées de Joséphine ni à la facilitéaveclaquelle elle contractait des dettes. Joséphine avait eu long-temps Bourrienne comme complice pour les lui dissimuler,mais une dette non avouéen'en existait pas moins, et d'ailleurstoute tentative trouvait Joséphine incorrigible. Elle ne savaitrésister ni à un châle, ni à une parure, ni à un tableau, ni àune pièce d'orfèvrerie. Ce gaspillage n'avait pas de limites,malgré ies reproches et les observations de Napoléon.(Savine,Les Jours de la Malmaison.)

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86 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

encore : « Elle y plaisait souverainement, parce

qu'on sentait qu'elle aimait à plaire, et elle le

désirait non par calcul, mais par nature. Dans

ses relation- elle mettait plus de bienveillance

qu'elle n'en exigeait. L'ingratitude ne la décou-

rageait point. Les sourdes jalousies, les petites

noirceurs, que lui valut sa grandeur croissante,

ne la troublèrent ni ne l'aigrirent. Toute sa vie

elle ne lutta que par un redoublement d'affabilité

et do douceur : en un mot ello fut imperturba-

blement bonne. Ce fut son arme contre ses

ennemis, son charme pour ses amis, son pouvoir

sur son époux. Nulle femme ne possédait, en

outre, au même degré, le talent de recevoir et de

dire à chacun, sans fadeur, ce qui pouvait lui

agréer le mieux. Habile à marquer les degrés de

sa position, on voit son ton se relever avec elle;

mais ce ne sont que des nuances dans le même

fond de gracieuse bienveillance, car, si elle ne

fut jamais au-dessous de son rang, ello se montra

constamm •* an-dessus de sa fortune, qu'elle

portait avec aisai» -s et simplicitéf ».

Dans le même second volume de son histoire

de l'impératrice Joséphine, M. Aubenas nous

1. Aubenas, t. H. p. 117, 118.

Page 110: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JObÉPHINE. 87

fournit d'autres renseignements intéressants sur

l'intérieur du ménage consulairo :

« Lo Premier Consul donnait à sa femmo tous

les instants que no lui prônaient point les

affaires; souvent mémo, avant lo dîner il des-

cendait à sa toiletto, touchant à tout, brouillant

tout et la taquinant amoureusement sur la pose

de ses coiffures et le choix de ses robes, où certes

Joséphine n'avait rien à apprendre de lui. »

« Madamo Bonaparte qui possédait, dans une

rare penection l'art de se bien mettre, ajoute ma-

dame d'Abrantès, on parlant, dans ses Mémoires,

de ces premiers temps, donnait l'exemple de la

plus extrême élégance... Sa toilette était une des

parties do sa vie bien autrement importante que

celles qui regardaient le soin do son existence.

Elle n'aurait pas vécu si, le matin, le travail des

trois toilettes n'avait pas été fait. Au reste, il n'y a

rien à dire sur cette occupation dans une personne

qui est assise auprès de la suprême puissance 1. »

L'exemple de Joséphine était suivi, et cet élan

profitait au commerce et aux manufactures dont le

Premier Consul essayait de relever la prospérité.

1. Madamed'Abrantès, Mémoires.

Page 111: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE VII

i80M802. Paix de Lunéville, après les batailles de Marengoet deHohenlinden, signée le 7 février 1801.— Missionde madamede Guicheauprès de Joséphine et du Premier Consul. — In-succès do la séduisante ambassadrice des princes Bourbons.—Machineinfernale. — Émotioncruelle de Joséphine. —Uneère de pacificationgénérale semble s'ouvrir après le traité deLunéville. — Les beaux jours de la Malmaison; comédies etdivertissements auxquels prennent part Bonaparte et José*phine. — Partialité do cette dernière pour Fouché. — Unoaccusation portée dans le Mémorialcontre Joséphineest réduiteà néant par un témoignage tiré des Mémoiresdo Thibaudeau.— Louis Bonaparte; son mariage avec llorlcnse do Beauhar-nais. — Paix d'Amiens, au mois de mai 1802.— Naissancedufils atné do Louis Bonaparte. — Signature du Concordat.

Tous les détails précédents quo nous avons

cru devoir rapporter, sur l'organisation do la

cour consulaire et sur la manière do vivre do

Joséphine, nous ont fait négliger de relater,

dans leurs grandes lignes, les principaux événe-

ments qui ont marqué la période do temps qui

s'est écoulée entre l'élévation du Premier Consul et

Page 112: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 89

l'année 1802. La guerre contre l'Autriche n'avait

effectivement pas tardé à absorber toute l'atten-

tion et toute la vigilance du général Bonaparte.

Les préliminaires d'une paix avantageuse pour

l'Autriche, signés à Paris le 28 juillet 1800»

n'ayant pas été ratifiés par l'empereur d'Alle-

magne, les hostilités avaient recommencé entre

la Franco et l'Autriche. La victoire demeura cette

fois encore fidèle à nos drapeaux ot lo gain de la

bataille de Hohenlinden par Moreau, après celle

de Marengo gagnée par l'armée d'Italie, décida

le cabinet de Vienne à traiter. Des conférences

pour la paix s'ouvrirent, à Lunéville, entre

Joseph Bonaparte représentant du gouvernement

français et le comte Cobenzl plénipotentiaire

d'Autriche, et le 9 février 1801 avait lieu la signa-

ture du traité de paix définitif.

Pendant l'interruption momentanée de ces

négociations, la duchesse de Guiche, mandataire

du comto d'Artois et du parti royaliste, était

arrivée à Paris. Cette jolie personne était chargée

d'une mission de séduction auprès de Joséphine

avec laquelle ello avait aisément trouvé des

tenants et aboutissants. Madamo de Guiche fut

invitée à déjeuner à la Malmaison, circonstance

qu'elle jugea des plus favorables pour sonder

Page 113: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

00 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

les dispositions des propriétaires du château.

La séduisante ambassadrice déploya toutes ses

grâces pour plaider auprès de ses hôtes la cause

des princes do la maison de Bourbon, en laissant

entendre à ses auditeurs quo la reconnaissance

des frères du roi Louis XVI serait éclatanto,

digne en un mot du héros qui en deviendrait

l'objet. Joséphine, dont les attaches avaient

toujours été royalistes, nourrissait peut-être, au

fond de son coeur, des dispositions favorables à

une semblable combinaison 1; mais il n'en fut

pas de même de la part du Premier Consul, qui

s'empressa de faire transmettre, le soir mémo, à

la duchesse l'ordre do quitter le territoire fran-

çais.

Le parti royaliste, toujours rempli d'illusions,

avait compté sur le concours du général Bona-

parte pour rétablir la monarchie au profit de la

maison do Bourbon. Sa déception ne pouvait

manquer d'être cruelle devant les refus nets et

catégoriques exprimes par le Premier Consul de

se prêter à servir la cause de la restauration do

l'ancien régime. L'échec essuyé par ses émis-

1. « Machère amie, aurait dit Napoléon& sa femme, tu esune bien bonne femme, mais tu manques de sens... Va, laisse-moi faire, tu auras, ainsi que les tiens, mieux que ce que l'ont'offrel »

Page 114: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 91

saires out par conséquent pour effet d'exaspérer

los chefs les plus exaltés de ce parti, et do les

inciter à so livrer à des tentatives criminelles.

Ce qu'on n'avait pu obtenir par la douceur, on

allait tenter de l'accomplir par des procédés

violents. Lo 3 nivôso, veillo de Noël 1800, l'Opéra

devait donner une représentation de la Création,

oratorio d'Haydn, où l'on savait, que la famille

du Premier Consul avait décidé do se rendre. Le

général Bonaparte, accompagnée de Lebrun, de

Lannes et de Bessiôres, était parti dans une pre-

mière voiture; madame Bonaparte, Hortense et

madame Murât, escortées de Rapp, devaient le

suivre sans retard. Un hasard providentiel, dont

les mémoires de Rapp ont fait mention, retarda

le départ de Joséphine, de telle sorte quo la

terrible explosion de la machine infernale de la

rue Saint-Nicaise se produisit exactement après

le passage do la voiture du Consul, et peu d'ins-

tants avant l'arrivée de l'équipage qui portait sa

femme, sa soeur et sa belle-fille. Quinze morts

et 80 blessés furent les victimes de cet affreux

attentat, qui ébranla et mutila toutes les maisons

du voisinage. La famille consulaire, échappée

par miracle à la mort qu'on lui destinait, s'était

trouvée bientôt réunie saine et sauve dans la

Page 115: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

92 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

salle du spectacle. Il faut écouter madame d'A-

brantès qui relate, dans sos Mémoires, l'impres-

sion que lui causa dans ce moment dramatique,

l'apparition du chef de l'état et de sa famille :

« Je regardais pendant ce temps, dit-elle, dans

la loge du Premier Consul. Il était calme et

paraissait seulement ému toutes les fois que le

mouvement (des spectateurs) lui apportait quel-

ques paroles fortement expressives, relativement

à ce qui venait de so passer. Madame Bonaparte

n'était pas aussi maîtresse d'elle-même. Sa figure

était bouleversée; son attitude même, toujours

si gracieuse, n'était pas la sienne. Elle semblait

frissonner sous son châle, comme sous un abri ;

et, dans le fait, c'était ce châle qui avait été la

cause de son salut personnel. Elle pleurait;

quelque effort qu'elle fit pour retenir ses larmes,

on les voyait le long de ses joues pâles, et, lors-

qu'elle regardait lo Premier Consul, elle frisson-

nait de nouveau. Sa fille était aussi fort trou-

blée. Quant à madame Murot, lo caractère do la

famille paraissait en elle ; elle fut parfaitement

maîtresse d'elle-même dans toute cetto cruelle

soirée. »

Joséphine demeura longtemps sous lo coup de

la terreur qu'elle avait éprouvée, aussi bien pour

Page 116: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 93

ello quo pour les siens, et faisant allusion à toutes

les tentatives qui, depuis six mois, empoison-

naient sa vie : a Est-ce vivre, s'écriait-elle, que de

tromblor sans cesse! » On attribua d'abord aux

terroristes la responsabilité de ce criminel atten-

tat, mais il fallut bien reconnaître que Fouché

avait raison d'en accuser le parti royaliste.

L'année 1801 vit la paix se rétablir non seule-

ment à Lunéville avec l'Autriche, comme nous

l'avons rapporté, mais encore avec Naples, la

Bavière, lo Portugal, la Turquie et enfin la

Russie. Le traité de paix avec l'Angleterre ne

devait être signé que dans les premiers mois de

l'année suivante, mais celui qui intervint entre

la Franco et les États-Unis d'Amérique le pré-

céda do près d'une année. Cette époque a marqué

l'apogée do la période consulaire, si glorieuse

pour lo général Bonaparte.

Les beaux jours de la Malmaison, dont tant

d'auteurs ont, dans leurs Mémoires, vanté le

charme et l'agrément, brillèrent surtout, dans

cette année 1801, du plus vif éclat. Dans la

journée l'entourage du Premier Consul et Napo-

léon lui-même faisaient des parties de barres.

Le soir Joséphine so mettait au trio-trac, jeu

Page 117: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

94 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

qu'ello affectionnait et où elle excellait, paraît-il,

y jouant bien ot très vite. Un petit théâtre, pou-

vant contenir environ deux cents spectateurs, réu-

nissait le soir les aides do camp et los habitués de

la petite cour consulaire. Eugène de Beauharnais

se distinguait, assurc-t-oit, dans les rôles de valet.

Sa soeur Hortense et lui étaient les acteurs en

vedette; après eux venaient Bourrienne, Lau-

riston, Denon, enfin plusieurs dames et officiers

de la maison du Premier Consul. Michot, excel-

lent comédien, sociétaire du. Théâtre-Français,

dirigeait le spectacle et présidait aux répétitions.

Napoléon assistait régulièrement aux représen-

tations, qui consistaient en petites comédies de

genre, et s'y amusait réellement. Il se plaisait

à louer ou à critiquer.le jeu des acteurs. Ses

observations très souvent laudatives, toujours

piquantes, témoignaient de l'intérêt qu'il prônait

à ces spectacles. Il y avait, lo dimanche, do

petits bals où il se laissait aller au plaisir do la

danse; cetto vie patriarcale avait de l'attrait pour

lui 1.

Il a été parlé plus haut de Fouché, ministre de

la police, à propos de l'attentat de la rue Saint-

1. Méneval,Mémoires,1.1.

Page 118: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. Q$

Nicaiso ; si Napoléon avait du penchant pour la

personne et les manières flatteuses de Talloy-

rand, Joséphine témoignait au contraire, pour le

futur duc d'Otrante, une préférence très marquée.

Elle lui accordait, sur l'ancien évêque, le prix

de la franchise, singulier mot, dit M. Aubenas,

pour désigner des rangs dans ce concours de

la duplicité. Enfin Joséphine croyait de bonne

foi, et avait fini par faire croire à Napoléon, que

les services de Fouchô, co dangereux malfaiteur

politique, étaient indispensables à leur sécurité,

et qu'il ne fallait dans tous les cas, à aucun

prix, l'avoir pour ennemi. Malgré les motifs

légitimes et nombreux qu'eut plus d'une fois

l'Empereur de se plaindre de ce méprisable per-

sonnage, Joséphine contribua toujours, autant

que la chose lui fut possible, à le faire rentrer

en grâco auprès de son époux. On sait de quelle

façon Fouché, par la suite, l'en récompensa! Dans

le courant de l'année 1807, croyons-nous, Fouché

osera prendre effectivement, et sans y avoir été

nullement autorisé, l'initiativo de parler bruta-

lement à l'Impératrice de la convenance d'un

divorce! En se permettant cette impertinente in-

cartade, lo fameux duc d'Otrante croyait entrer

dans les vues secrètes de Napoléon qu'il poussait

Page 119: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

96 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

à prendre cette grave détermination, dans le but

do le flatter, à une époque où l'Empereur n'y

était encore aucunement disposé.

Le lecteur se souviendra peut-être de l'indigna-

tion avec laquelle la reine Hortense, dans un pas-

sage d'une des lettres qu'elle adressait à l'abbé

Bertrand, so plaint d'une accusation jugée par

elle calomnieuse, portée contre sa mèro dans le

Mémorial de Sainte-Hélène 1. On trouve dans les

Mémoires de Thibaudeau l'explication de l'irrita-

tion bien justifiée de la fille de Joséphine. L'édi-

teur des mémoires précités fait observer dans

une note, à l'appui do ce qui vient d'être dit, que

Thibaudeau, dans ses véridiques récits, a mis à

néant une allégation relative à la première femme

de Napoléon reproduite par M. do Las Cases. Le

confident de l'Empereur à Sainte-Hélène fait effec-

tivement dire à celui-ci que lorsque Joséphine dut

renoncer à l'espoir de donner un fils à Napoléon,

ello mit plus d'uno fois son mari sur la voie d'une

grande supercherie politique ; en un mot qu'elle

lui proposa de feindre une grossesse et d'adopter

tel enfant qu'il voudrait lui présenter. Or Thi-

baudeau, parlant d'uno des dernières conversa-

1. Voir l'introduction, p. m et iv.

Page 120: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 97

tions qu'il eut avec Joséphine s'exprime à co pro-

pos textuellement dans ces termes :

« Soyez sûr, me dit-elle, qu'ils n'ont pas

renoncé à leur projet d'hérédité et quo cola arrivera

un peu plus tôt, un pou plus taru. Ils veulent que

Bonaparte ait un enfant de qui que co soit. Ils

voudraient ensuite me lo faire adopter, parce

qu'ils sentent bien que Bonaparte se ferait tort s'il

renvoyait une femme qui s'est associée à lui dans

un temps où il n'avait aucune puissance, et avec

la fille de laquello il va marier son frère. Mais

jamais, jo le leur ai déclaré, je ne mo prêterai à

uno pareille infamie... »

Ils, c'était le clan de la famille Bonaparte, tou-

jours jaloux dos Beauharnais, que les frères et

les soeurs du Premier Consul n'aimaient guère;

c'étaient les Fouché, les Talleyrand et tous les

intrigants qui espéraient tirer honneurs ou profits

d'un nouveau mariage du maître. Joséphine fait

preuve d'équité ot do perspicacité en ne rendant

pas son époux responsable entièrement de ces

pensées do divorce; elle savait à merveille com-

bien Napoléon y était incité par certaip<5çrspn«>

nages influents de son entourage. /^*

Lo jeune beau-frôro de Joséphine/hpiiië Bona-

parte, avait toujours montré pour ceuê^ci, 'comme

Page 121: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

98 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

nous l'avons vu, de la sympathie et des égards.

La femme du Premier Consul, sensible à ces bons

procédés, avait du penchant pour Louis, car ello

n'était pas gâtée par le resto do la famille. Elle

crut donc bien faire dans son intérêt, comme dans

celui de sa fille Hortenso, en entreprenant de.

marier mademoiselle de Beauharnais au frèro de

Napoléon. Joséphine y parvint après quelques

résistances do la part des deux futurs conjoints,

qui avaient on quelque sorte lo pressentiment de

contracter uno union mal assortie. Le mariage fut

célébré dans les premiers jours de l'année 1802,

et lo cardinal Caprara, qui se trouvait à Paris,

donna aux deux époux, sur leur demande, la

bénédiction nuptiale dans le salon de l'hôtel de la

rue do la Victoire qu'ils allaient occuper, car les

églises n'étaient point rouvertes encore. Dans le

courant de la même année lo 18 thermidor

(6 août) le général Bonaparte était proclamé

Consul à vie.

Joséphine, comme le sait à présent lo lecteur,

appréhendait l'avonir et, peu ambitieuse do sa

nature, redoutait tant de grandeurs pour son

mari. Les Bonaparto au contraire, insatiables

d'honneurs et de dignités, auraient voulu voir

leur chef gravir plus rapidement encore les écho-

Page 122: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 99

Ions du pouvoir suprême. On no parlait aux Tui-

leries et dans les cercles officiels que d'hérédité,

de dynastie, pour mieux fortifier le gouverne-

ment du général Bonaparte. D'après ce que

raconte encore Thibaudeau, Joséphine, lui faisant

ses confidences, aurait dit :

<cJe n'approuve pas tous les projets qu'on

médite; je l'ai dit à Bonaparte. Il m'écoute avec

assez d'attention; mais les flatteurs le font bien- I

tôt changer d'opinion. Los nouvelles concessions

qu'on lui fera augmenteront le nombre de ses

ennemis. Les généraux crient qu'ils ne se sont

pas battus contre les Bourbons pour leur substi-

tuer la famille Bonaparte. Je no regrette point de

n'avoir pas d'enfants de mon mari, car je tremble-

rais sur leur sort. Je resterai attachée à la desti-

née de Bonaparte, quelque périlleuse qu'elle soit,

et tant qu'il aura pour moi les égards et l'amitié

qu'il m'a toujours témoignés. Mais le jour où il

changera, je me retirerai des Tuileries. Je n'ignore

pas qu'on le pousse à s'éloigner de moi. Lucien

donne les plus mauvais conseils à son frère. »

Au mois de mai 1802 la paix d'Amiens fut

signée avec l'Angleterre ot célébréo avec solen-

nité. Après tant de convulsions, de guerres et

de traverses, la France jouissait enfin d'un vrai

Page 123: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

100 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

repos et d'une prospérité renaissante. Cetto pé-

riode do calme et de recueillement ne devait pas

malheureusement durer bien longtemps. Après

un nouveau séjour à Plombières, Joséphine alla

rejoindre son époux qui, au commencement de

l'automne, prit possession de l'ancienne résidence,

royale do Saint-Cloud. Napoléon y transporta le

gouvernement et fit annoncer par Duroc que tous

les dimanches il y aurait, au château de Saint-

Cloud, uno grande audience précédée de la messe,

à laquelle on ferait plaisir au Premier Consul

d'assister 1.

Joséphine cependant no négligea jamais la

Malmaison, ce premier asile de sa seconde jeu-

nesse et de son bonheur. Tous ses soins tendirent

constamment à l'embellir et à en faire le plus

charmant ot lo plus agréable séjour. Le rétablis-

sement do la paix avec l'Angleterre avait permis

à Joséphine d'ouvrir des relations avec quelques

botanistes ot avec les principaux pépiniéristes de

Londres. Elle recevait, par cette voie, des plantes

et des arbustes rares ou nouveaux dont ello enri-

chissait ses collections*. « Elle me donnait à tra-

1. Thibaudeau, Mémoires.2. Mémoiresde mademoiselleGeorge,d'après le manuscrit ori-

ginal, par M. P.-A. Ghéramy, (008. Les (leurs et Joséphine :• Joséphineaimait beaucouples (leurs. MademoiselleRaucourt

Page 124: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. iOi-

duire, a dit dans ses Mémoires le second secrétaire,

de Napoléon, des lettres écrites en langue anglaise

qui lui étaient adressées à cette occasion. José-

phine, à la Malmaison, visitait régulièrement ses

belles serres dont elle s'occupait beaucoup 1. » Là

elle se sentait bien chez elle, et n'était plus assom-

brie par le triste souvenir de l'infortunée reine

Marie-Antoinette.

Au mois d'octobre 1802 madame Louis Bona-

parte mit au mondo un fils, ce qui ravit le coeur

de la bonne Joséphine et fit grand plaisir à Napo-

léon. A la fin de ce môme mois d'octobre le Pre-

mier Consul et sa femme entreprirent un voyage,

en Normandie où ils reçurent, particulièrement à

Rouen et à Evreux, l'accueil le plus chaleureux.

Aussi Joséphine pouvait-elle écrire do la première;

do ces villes à sa fille :

« Le courrier part, je n'ai que le temps de

t'ombrasser ainsi que ton mari ot mon petit-fils de

en était très amateur. Elles faisaient des échanges... A unvoyagoque fit Joséphine, elle s'arrêta à la Chapelle, (résidencedo mademoiselleRaucourt); elle vint visiter la serre et emportades plantes. Ce petit détail est pour bien établir l'intimité deJoséphine avec mademoiselleRaucourt,et 1a familiarité qui fai-sait qu'elle l'appelait Fanny. •

1. Ménoval,Mémoires,1.1.

Page 125: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

102 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

tout mon coeur. Nous nous portons tous bien. La

joie est générale à Rouen, tous les habitants sont

sous les fenêtres de Bonaparto depuis son arrivée,

et veulent à chaque instant le voir. Ils ne savent

de quel nom le nommer : cela tient vraimont du

délire. Je t'envoie une chanson que l'on chante

dans les rues. J'ai reçu ta lettre ; elle m'a fait grand

plaisir. Adieu; on me demande ma lettre. Bona-

parto et Eugène t'ombrassent, et ta mère t'aime

do tout son coeur.

» JOSÉPHINE 1, »

Ainsi se termina paisiblement pour la mère

d'Eugène et d'Hortenso l'année 1802, année mar-

quée par un grand événemont religieux, le

Concordat, qui réconcilia la nation française avec

l'Église.

1. CollectionDidot,t. II, p. 224.

Page 126: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE VIII

Rupturo de la paix d'Amiens en 1803.— Appréhensions mani-festées par Joséphine de l'élévation toujours croissante de son •

mari et d'elle-mômo. — Elle n'eut jamais beaucoup d'ambi-tion. — Yoyago du ménage consulaire dans les provincesbelges. — Lettro de Joséphino h sa fille Hortense. — Complotde Georges Cadoudal. — Camp de Boulogne; immenses pré-paratifs do descento en Angleterre. — Deux lettres de la cor-

respondance particulière de Joséphine. — Condamnation desprincipaux fauteurs du complot de Georges et de leurs com-

plices. — Arrestation et oxéculion du duc d'Ënghien. —

Chagrin et regrets de Joséphine &co sujet. — Témoignagedu prince Eugène a propos de ce cruel événement.

L'année 1803 vit s'effectuer la rupture de la

paix d'Amiens dont l'Angleterre n'avait pas

récolté les avantages qu'elle en attendait, Cotte

trèvo éphémère, dans la lutte sans merci engagéo

entre la France ot ses éternels rivaux, eut modifié

peut-être entièrement la destinée de Napoléon,

si la tendance pacifique du gouvernement bri-

tannique avait pu lui assurer un caractère sin-

cère et durable. Tout le génie du maître de la

Page 127: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

104 L IMPÉRATRICE JOSEPHINE,

Franco se tourna dès co momont vers la guorre,

ot il no songea plus désormais qu'à rondro à notro

onnemio héréditairo lo mal qu'ollo a toujours fait

à la soulo rivalo qu'elle redoutait en Europe,

avant 1870 et la chuto du second Ëmpiro.

Joséphine, attristéo do la tournuro des événo-.

ments, était parti© pour Plombières. C'est do cotto

localité qu'ollo écrivait a sa fillo :

a Jo suis touto chagrine, ma chère Hortonso;

jo suis séparée do toi, et mon coeur est aussi

malade que touto ma personne, Jo sons quo je

n'étais pas néo pour tant do grandeur, et que jo

serais plus heureuse dans la retraite, environnée

des objets de mes affections...' »

Le Premier Consul entreprit ensuite avec José-

phine un voyage dans les provinces du Nord ot

dans les départements bolges. L'accueil qui leur y

fut réservé surpassa, en fait d'enthousiasme, les

ovations du voyage de Normandie. Joséphine,

dans une disposition d'esprit moins heurouso

que précédemment, écrivait de Lille à sa fillo

lo9 juillet 1803»;

« J'ai eu l'attontion, ma chère Hortense, de te

faire écrire par ton frère ot par ces dames pour te

1. Àubcnas, t. II, collection Didot.2. Ibidem.

Page 128: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 1Û&

donnordes nouvelles do Bonaparto et des miennes.

Depuis mon départ do Paris, j'ai été constamment

occupéo à recovoir dos compliments. Tu mo con-

nais, tu jugoras d'après cola si jo no préférerais

pas une vio plus tranquillo!... »

Après avoir passé par Bruxelles, Liège, Namur

ot Sedan, lo Premier Consul revint à Paris, puis

do là ù Saint-Cloud, méditant déjà dans sa tôte ot

préparant, dès son retour, une expédition navale

contro l'Angleterre par l'organisation du célèbro

camp do Boulogne.

L'Angloterro, d'abord méprisante, finit pars'in-

quiétor do ces immenses préparatifs. Elle eut

alors recours à la ressource des complots, tristes

moyens que la morale réprouve et dont M. Thiers

a parlé avec l'autorité qui lui appartient.

Joséphine écrivait à ce propos à sa fille uno

lettre qui témoigne des inquiétudes qui assié-

geaient son esprit, ot quo nous jugeons intéres-

sant de reproduire à notre tour :

« Il s'est passé bien des choses depuis ton départ»

disait-elle. L'homme 1qu'on devait fusiller, ot qui

a demandé sa grâce, a révélé des choses impor-

tantes : il y avait à Paris [quatre-vingts chouans

1. Quérel.

Page 129: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

106 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

déterminés à assassinor Bonaparte. Savary est

parti avant-hior, avoc cinquanto gendarmos, pour

aller prendre Georges et dix-sept autres indi-

vidus, qui no sont pas bion éloignés do Paris.

Imagine-toi quo Georges ost à Paris ot aux envi-

rons depuis lo mois d'août ; vraiment cela fait

frémir! Lorsque tu arriveras, jo to donnerai tous

les détails de cet horrible complot. On a déjà

arrêté bien du monde. No dis rion do cola à por-

sonno; j'en excopte ton mari 1. »

En attendant l'arrestation de la plupart des

affidés do ce complot qui no tarda guère à être

opérée, et qui eut pour résultat l'exécution do

plusieurs d'entro eux, il no nous parait pas

superflu do revenir au camp de Boulogne. Bion

no fut plus sérieux, plus génialement ni plus

minutieusement combiné quo cotte gigantesque

entreprise contre les îles britanniques : « Trois

heures do mor, disait Napoléon, ot quelques jours

do marche nous séparent de Londres; j'y condui-

rai 150 000 vétérans et c'est sur les ruines do

l'oligarchie anglais© que nous conquerrons la

paix du monde et la liberté des mers ! »

« Cet appareil formidable, placé en faco do

1. CollectionDidot, dans Aubenos.

Page 130: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 107

l'Angleterre, a dit M. de Colbert dans sos Tradi-

tions et souvenirs 1, la forçait a concentrer son

attention sur un seul point, ot l'Europe continen-

tale, vu l'état do guorre, n'avait rien à dire contre

ces immenses armements. Bonaparte se trouvait

ainsi prêt a toutes les éventualités.

» Ce matériel préparé était épars sur toutes

les côtes depuis Cherbourg jusqu'au Toxel; il fal-

lait le réunir sur lo point d'où l'on pouvait passer

le plus facilement en Angleterre, ot cette réunion

ne pouvait s'opérer qu'en présence des croiseurs

anglais. Cette difficulté fut cependant surmontée :

la flottille répondit à ce qu'on on attendait; l'armée

tout entière put y trouver place, et lorsqu'on en

eût pris l'habitude, l'embarquement et lo débar-

quement se faisaient avec ordre et avec une sin-

gulière rapidité. La première partie du problème

semblait résolue. »

Si cette audacieuse et grandiose combinaison

échoua ce no fut point à cause de l'impossibilité

matérielle de son exécution, mais par l'insuffi-

sance du malheureux amiral Villeneuve.

Bien que se mêlant peu de politique, ot moins

encore de ce qui concernait la guerre et ses prô-

1. Trois volumes par lo marquis de Golbert-Gliabanais,V. Havard, éditeur.

Page 131: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

108 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

paratifs, Joséphino no se désintéressait pas dos

Vicissitudos subies par lo grand dossoin do son.

mari. Pondant un dos fréquents séjours do Napo-

léon au camp do Boulogne, alors qu'ollo était

allée do son côté faire encoro uno saison d'eaux

a Plombières, Joséphine écrivait au secrétaire

intime do son époux' les deux billots suivants :

< Plombières,lo 19 thermidor (an XII).

» Jo suis très sensible, mon cher Menevalle

(sic), à l'attontion que vous avez euo de me

donner des détails sur l'arrivôo do l'Empereur à

Boulogno. Votre note m'a fait le plus grand plai-

sir. Continuoz à m'en envoyer do môme le plus

souvent qu'il sera possible; vous no pouvez rien

fairo qui puisse m'ôtre plus agréable et je les

attendrai avec bien de l'impatience.

» JOSÉPHINE. »

« Plombières, lo 20 thermidor.

» Je prends trop d'intérêt, mon cher Menneval

(sic), aux nouvelles quo vous me donnoz, pourno pas vous engager de nouveau a les continuer

avec le même soin. Jo compte sur vous pour être

i. Lettres de l'impératrice Joséphine a M. de Méneval (iné-dites).

Page 132: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 109

oxactomont informée do la santé do l'Empereur»

ot avoir lo plus de détails possible sur tout ce

qui se prépare. On parlo toujours beaucoup do

descente, je mo flatte quo ces bruits ne sont pas

fondés1,., cependant, no mo cachez rien, et soyez

sûr qu'en diminuant mes inquiôtudos, vos notes

me feront ici presque autant de bion que les

eaux.

» JOSÉPHINE. »

Il a été fait précédemment allusion au complot

formé contre les jours du Premier Consul, com-

plot que Fouchô avait contribué à éventer et qui

avait heureusement avorté avant sa mise a exécu-

tion. Cadoudal et plusieurs de ses complices

payèrent de leur vie le criminelx projet qu'ils

avaient conçu. Le général Moreau fut exilé en

Amérique, mais beaucoup de conjurés durent

leur grâce aux instances de Joséphine, entre

autres les frères Polignac. M. de Biviôre et

d'autres encore, furent redevables de leur salut

soit aux Murât, soit à d'autres membres de la

famillo Bonaparte, On avait appris aux Tuileries

1. Curieuse réflexion de la part de l'Impératrice; elle sembleInspirée par la crainte quo Joséphine avait conçue, dès son en-fance à la Martinique, des tentatives fréquentes dirigées contreles Antilles françaises par les vaisseaux anglais.

Page 133: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

110 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

quo los personnages impliqués dans co complot

devaient attendre, pour agir, l'arrivée d'un prince;

mais quoi pouvait ôtro ce prince? Aucun nom

n'avait été prononcé...

« On se ferait difficilement une idée, a dit dans

sos Mémoires, le secrétaire intime de Napoléon,

dos anxiétés, dos agitations, dos douloureuses

insomnies quivinront assaillir lo Premier Consul,

et dont jo fus témoin pendant lo mois do janvier

1804, où des trames ignorées s'ourdissaient autour

de lui sans qu'il pût les atteindre, où il sentait le

sol trembler sous ses pieds, où l'air qu'il respirait

semblait lui apporter les indices d'un danger

inconnu. Son âme n'en fut point abattue 1. »

La contention d'esprit continuelle qu'il subis-

sait no pouvait manquer cependant de troubler lo

calme et la sérénité do Napoléon. Il était devenu

sombre, agité, menaçant, et M. Thiers, dans son

ouvrage sur le Consulat et l'Empire, lui prête

avec beaucoup de vraisemblance le langage sui-

vant : « Les Bourbons croient qu'on peut verser

mon sang comme celui des plus vils animaux.

Mon sang, cependant, vaut bien le leur; je vais

leur rendre la terreur qu'ils veulent m'inspiror.

1. Méneval,Mémoires,t. I, p. 264 et suivantes.

Page 134: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 111

Je pardonno a Moroau sa faiblosso et l'ontratno-

ment d'uno sotto jalousio, mais jo forai impi-

toyablement fusiller le premier do ces princes

qui tombera sous ma main; je leur apprendrai

à quoi homme ils ont affaire » Hélas! ajouto

M. Aubenas, pour réaliser cotto sanglante menace,

il commit la faute d'étondro la main au-delà des

frontières, ot d'y saisir un prince qui, malgré de

déplorables apparences, n'était évidemment pas

celui qu'attendaient les conjurés!

L'arrestation et l'exécution do l'infortuné duo

d'Enghion sont des faits trop connus pour qu'il

nous paraisse nécessaire d'on retracer les tristes

péripéties. Nous no nous étendrons pas davan-

tage sur la très lourdo part do responsabilité qui

incombe, dans ce cruol événement, à Talleyrand

ot à Fouchô, ces deux perfides conseillers do

Napoléon. Nous parlerons seulement de la vive

ot poignante impression que produisit sur José-

phine la fin lamentable et imméritée du dernier

des Condés. Aussi Bourrienne attribuo-t-il a la

femme de Napoléon, quoique temps après, ce

propos vraisemblable : « Ce titre d'impératrice ne

m'éblouit pas! » Puis faisant allusion à la mort

du duc : « J'augure mal do tout cola pour lui,

pour mes enfants ot pour moi. Les misérables

Page 135: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

112 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

doivent ôtro contents! Voyez où ils l'ont poussé!

Cette mort ompoisonno ma vie. »

Joséphine, dont le coeur sonsiblo ot bon avait

horreur de touto espèce do violence, fut profon-

dément affectée par cette tragique et funeste

catastrophe. Ello lo fut d'autant plus qu'elle avait,

toujours conservé pour l'ancionno famille royalo

les sentimonts d'attachement et do respect qui

lui avaient été inculqués à cet égard dès l'en-

fance.

On a prétendu, dit M. Aubenas ', quo madame

Bonaparte s'était jetée aux genoux do son mari

pour lui demander la grâce du duo d'Enghien

ot quo cotte grAce lui avait été refusée, a Non

seulement ce fait est faux, ajouto lo duc de

Rovigo, dans ses Mémoires, mais il est hors do

toute vraisemblance. » Joséphine avait seulement

des appréhensions, ello pleurait et, depuis la

nouvello de l'arrestation du prince, ne cessait

d'interroger son mari, craignant sans y croire

encore que sa perte ne fût résolue. Le Premier

Consul se dérobait à ces questions importunes

et* aux larmes de sa femme, dont il redoutait

l'effet sur lui-même. « Un malentendu ou un

1. Aubenas, t. Il, p. 228-230.

Page 136: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 113

crime, dit encore M. Aubonas, rondiront vaines

los dispositions à la clémence qui agitaient l'Ame

du mari de Joséphine ot, lo lendemain do l'oxô-

oution, il vint lui-môme annoncer a sa fomme,

avec un air qui trahissait son émotion, que le

duc d'Enghien avait cessé de vivre. Madame

Bonaparte n'apprit donc la condamnation qu'en

mémo temps quo la mort du malheureux prince;

ello n'eut, par conséquent, ni l'occasion, ni la

possibilité de solliciter une grâce après laquelle

(sos premières instances l'indiquent suffisamment)

ello se fût à coup sûr acharnée et qu'ello eût,

selon toute probabilité, emportée'. »

Il est avéré toutefois, d'après les témoignages

do divers contemporains do Joséphine, qu'elle

accueillit cotte horrible nouvelle par une explo-

sion de larmes et de reproches; d'après M. Aube-

nas, on l'entendit plus d'une fois, dans cette

lugubre matinée, s'écrier avec un accent parti du

coeur : <cMais qui donc a pu lui donner un sem-

blable conseil? Ah! que no l'ai-je su à temps....

J'aurais détourné ce malheur! » Ce déplorable

événement constitue effectivement une page que

l'on voudrait pouvoir effacer do la glorieuse

histoire de Napoléon.

1. Aubenas, t, II, p. 228-230.

Page 137: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

lit L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Nous terminerons ce qu'il reste a dire sur co

péniblo sujet en empruntant oncoro doux cita-

tions tirées des Mémoires du princo Eugène

d'abord, de ceux de Méneval onsuito, citations

qui ont trait a la malheureuso affaire du duc

d'Enghien :

« Sans entrer dans les vuos do haute politique'

qui peuvent expliquer un acte aussi dôplorablo,

a dit lo princo Eugène, jo mo bornerai à dire

qu'allant à la Malmaison le lendemain, j'appris

tout à la fois l'arrestation, le jugement et l'exé-

cution du prince. Ma mère était tout en larmes

ot adressait les plus vifs reproches au Premier

Consul, qui l'écoutait en silence. Elle lui dit que

c'était uno action atroce, dont il ne pourrait

jamais se laver; qu'il avait cédé aux perfides

conseils de ses propres ennemis, enchantés do

pouvoir ternir l'histoire de sa vie par une page

si horrible. Le Premier Consul se retira dans son

cabinet, et peu d'instants après arriva Caulain-*

court qui revenait de Strasbourg. Il fut étonné

de la douleur de ma mère, qui se hâta de lui en

apprendre lo sujet. A cette fatale nouvelle, Cau-

laincourt so frappa le front et s'arracha les che-

veux en s'écriant : « Ah! pourquoi faut-il quo

« j'aie été mêlé à cette funeste expédition! » Vingt

Page 138: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. H$

ans se sont écoulés dopuis lors, ot jo mo souvionB

très bien quo plusieurs dos personnes, qui cher-

chent aujourd'hui à se lavor d'y avoir pris part,

s'en vantaient alors comme d'une fort belle chose,

et approuvaient hautoment cet acto. Pour moi,

j'en fus très peiné, à cause du respect ot do l'atta-

chement quo jo portais au Premier Consul; il

me parut quo sa gloire en.était flétrie. Quelques

jours après, ma môro mo dit qu'elle avait été

assez heureuse pour faire parvenir à une dame

que le prince affectionnait, son chien et quelques

effets qui lui avaient appartenu 1. »

Voici le récit de l'autre témoin oculaire :

« L'aspect de la Malmaison fut triste ce jour-là.

Je me souviens encore du silence qui régna, le

soir, dans le salon de madame Bonaparte. Le

Premier Consul se tenait le dos appuyé à la che-

minée, pendant que M. de Fontanos lui faisait je

ne sais quelle lecture. Madame Bonaparte était

assise h l'extrémité d'un canapé, avec l'air

mélancolique et les yeux humides; les personnes

du service, alors très peu nombreuses, s'étaient

retirées "dans la galerie voisine, et s'entretenaient

à voix basse du sujet de conversation qui absor-

i. Mémoireset correspondanceduprinceEugène,t, I, p. 90.

Page 139: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

116 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

bait tous les autres. Quelques personnes vinrent

do Paris, mais, frappées de l'aspect lugubre du

salon, elles s'arrêtèrent à la porte. Le Premier

Consul, sombre ot pensif, en écoutant attentive-

ment la lecture de M. de Fontanes, no paraissait

pas s'apercevoir de leur présence. Lo ministre des

finances resta pendant un quart d'heure à la

même place, sans quo personne lui adressât la

parole. No voulant pas so retirer comme il était

venu, il s'approcha du Premier Consul et lui

demanda s'il avait dos ordres à lui donner; le

Consul lui répondit par un geste négatif 1. »

I. Méneval,Mémoires,1.1.

Page 140: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE IX

ÎSO'/.Proclamation do l'Empire — Lo Sénat so rend en corps&Saint-Cloudpour y saluer le nouvel empereur ot la nouvelleimpératrice. — Discours de Gambacérès. — Organisation dela cour et des grandes charges. — Quelque temps avant locouronnement, graves dissentiments dans la famille impé-riale. — Joséphine sur le point d'être sacrifiée &la jalousiedé certains membres de la famille Bonaparte. — Arrivée dupape Pie VII à Paris. — Triomphe do Joséphine, mariagereligieux secret, cérémonie imposante du sacre et du couron*nement.

L'Empire était dans l'air. Depuis longtemps on

parlait aux Tuileries, comme dans Paris, de la

nécessité do fortifier l'ordre établi en rendant lo

pouvoir du Premier Consul héréditaire. Uno fois,

l'hérédité sanctionnée par une nouvelle consti-

tution monarchique, les attentats et les complots,

disait-on, ne seraient plus susceptibles d'entraîner,

même s'ils réussissaient, des conséquences aussi

graves. Déjà dans l'entourage du chef de l'Etat

on parlait aussi sourdement do la nécessité d'un

Page 141: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

1H8 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

divorce —Joséphino no pouvant plus espérer do

donner à son mari le fils quo celui-ci aurait si vive-

ment désiré. Los soeurs do Napoléon, son frère

Lucien surtout, poussaient lo Premier Consul à

cotte détermination. Fouchô aussi bien que Tal-

loyrand se mêlaient à ces intrigues, suivant les

dispositions qu'ils croyaient deviner chez Napo-

léon lui-même. Joséphine, dépourvue do grando

ambition, no souhaitait nullement do ceindre le

diadème, qu'une prédiction faite a la Martinique

Kii avait promis cependant. On assuro qu'elle

aurait dit n sa fillo : et Nous montons à une

hauteur d'où la chute sera terrible! » Hortense

partageait ces appréhensions. La mère comme la

fille d'ailleurs avaient des sentiments royalistes;

s'emparer do la couronne des anciens rois et la

placer sur une autre tôto leur paraissait un acte

d'usurpation.

Bourdonne prétond qu'il assista un jour a une

petite scène intime, ontro Joséphine ot Napoléon,

dans lo cabinet consulaire. Joséphino, venant

s'asseoir sur les genoux do son mari, lui aurait

dit : « Jo t'en prie, Bonaparte, no te fais pas roi...

c'est co vilain Lucien qui to pousse; no l'écouto

pas! » A quoi lo Premier Consul aurait répondu :

« Tu es folio ma pauvre Joséphino; co sont tes

Page 142: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

*L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 119

vieilles douairières, c'est ta La Rochefoucauld

qui to font tous ces contes-là, laisse-moi donc

tranquille ! »

Lo Consulat à vio, que Joséphine n'avait déjà

vu proclamer qu'avec anxiété, no semblait avoir

été quo lo préliminaire de la prise do possession

du trône. La famille et l'entourage du Premier

Consul pronaiont un vif intérêt à cet important

changement. Dans lo salon do service il avait été

lo sujet d'abord d'apartés, puis do conversations

générales; des voeux presque unanimes appelaient

l'hérédité. Joséphino suivait l'entraînement qui

se manifestait do toutes parts, malgré ses répu-

gnances du début. Ello n'exprimait qu'aux per-

sonnes do sa confidence intime les inquiétudes

quo lui présageait l'élévation do son époux à la

puissanco souveraine. Lo Sénat avait donné

l'éveil dans une adresse présentée au Premior

Consul, doux mois auparavant, ot cet exemplo

avait été suivi par les autres Corps do l'Etat. Les

complots, les machinations dos princes et des

émigrés sur nos frontières fixèrent, à cet égard,

bien des irrésolutions 1.

Lo Tribunat prit l'initiative dans cette quos-

t. Méneval, 1.1.

Page 143: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

120 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

tion ot lo Conseil d'État fut consulté. Lo voeu émis

par lo Tribunal, auquel se réunirent les membres

du corps législatif, alors présents à Paris pondant

la vacanco do cotto Assemblée, fut porté au Sénat.

Lo 18 mai un sénatus-consulte fut rendu qui

conférait à Napoléon Bonaparte la dignité impé-

riale héréditaire, et le vote populaire confirma

celui des grands corps de l'Etat.

Lo Sénat en corps so rendit à Saint-Cloud,

pour y porter au nouvel empereur lo sénatus-

consulte qui lui attribuait la couronne impériale.

Le cortège sénatorial alla présenter ensuite à la

nouvelle impératrice ses félicitations. L'Archi-

chancelior Cambacérôs qui présidait la haute

Assemblôo prit alors la parole et, s'adressant à

Joséphine, lui dit :

« Madame, il reste au Sénat un devoir bien

doux à remplir, celui d'offrir à Votre Majesté

Impériale l'hommage de son respect et l'expres-

sion de la gratitude des Français. Oui madame,

la renommée publie le bien quo vous no cessez dp

faire. Elle dit quo, toujours am «siblo aux malheu-

reux, vous n'usez do voire crédit auprès du chef

do l'Etat que pour soulager leur infortune, et

qu'au plaisir d'obliger Votre Majesté ajoute cette

délicatesse aimablo qui rend la reconnaissance

Page 144: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 121

plus douco et lo bienfait plus précieux. Cette dis-

position présage que lo nom do l'impératrice José-

phine sera lo signal do la consolation et de l'espé-

rance; et comme les vertus de Napoléon serviront

toujours d'exemple à ses successeurs, pour leur

apprendre l'art de gouverner les nations, la

mémoire vivante de votre bonté apprendra à leurs

augustes compagnes quo le soin de sécher les

larmes est lo mo^en le plus sur do régner sur les

coeurs. Lo Sénat so félicite de saluer lo premier

Votre Majesté Impériale et celui qui a l'honneur

d'èlre son organo oso espérer quo vous daignerez lo

compter au nombro de vos plus fidèles serviteurs. »

La cour no tarda pas à êtro organisée et les

grandes charges pourvues do leurs titulaires.

Madame do la Rochefoucauld devint dame dJhon-

neur do l'Impératrice. L'Emperour visita do nou-

veau lo camp do Boulogne pendant quo l'Impé-

ratrice séjournait à Aix-la-Chapelle ot y recevait

les plus grands honneurs. Do nouveaux hom-

mages attendaient à Mayenco lo puissant Souve-

rain do la Franco ot l'Impératrice. Enfin lo couplo

impérial rentra au mois d'octobre à Saint-Cloud

pour so préparer à recevoir dignement lo Saint-

Père, attendu à Paris pour y célébror lo sacre du

nouveau Charlemagno.

Page 145: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

122 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

Au cours des quelques semaines qui précédèrent

lo couronnement, Joséphine faillit, à un certain

moment, se voir sacrifiée aux rancunes jalouses

de la famille Bonaparte. Do graves dissentiments

éclatèrent en effet au sein do cette famille. Les

soeurs de Napoléon, toujours envieuses de l'èlé-*

vation des Beauhamais, tentèrent à cet instant

des efforts désespérés pour empêcher Joséphine

do ceindre lo diadème et pour la séparer do son

mari. Pour se défendre Joséphine aurait porté

contre la belle Pauline Borghôse une accusation

directe dont Napoléon, qu'elle visait également,

se serait montré justement indigné. Il déclara à

Joséphine qu'il allait so séparer d'elle, que tôt ou

tard il lo faudrait et quo mieux valait s'y rési-

gner tout de suite. Il fit en mémo temps appeler

Eugène et Hortenso, ses deux enfants adoptifs,

auxquels il notifia cette résolution. Exploitant

habilement les propos maladroits échappés de

la boucho do Joséphine, dans un mouvement do

colère contre ses calomniateurs, ceux-ci purent

espérer à un certain moment qu'ils allaient

obtenir gain do cause. Mais Joséphino et ses

enfants, par leur attitude digno et attristée, fini-

rent par triompher do toutes ces manoeuvres.

Bref Napoléon, repoussant dos conseils et des

Page 146: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 123

insinuations dont lo but était transparent, serra

sa fommo dans ses bras et déclara sa volonté de

la voir couronner à ses côtés do la main du véné-

rable Pio VIL

Le Papo, parti de Rome le 2 novembre, fit

son entrée à Paris le 25 du même mois vers

midi. L'Impératrice Joséphine reçut Sa Sainteté

le même jour, on grande pompe, sur lo seuil du

péristyle des Tuileries. M. Aubenas rapporte quo

le Saint-Pôro fut attendri du pieux et tondre res-

pect quo lui témoigna l'Impératrice. Dès co pre-

mier instant —ajoute-t-il

— le pape conçut pour

elle un paternel intérêt dont il lui donna bientôt

dos marques.

Lo lecteur a vu qu'à l'époque du mariage de

'Joséphine avec lo général Bonaparte, en 1796,

la célébration d'un mariage religieux avait été

malheureusement négligée. L'Impératrice, qui en

avait toujours conservé lo remords secrot, crut

donc avec raison lo moment venu do réparer uno

errour aussi grave. Ello s'en ouvrit confidentiel-

lement au Saint-Père qui s'en montra grande-

ment scandalisé ot qui insista vivement auprès de

Napoléon pour faire cesser, avant lo couronne-

ment, uno situation aussi condamnable ot aussi

irrégulièro au point do vuo de l'Eglise. Lo Papo,

Page 147: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

124 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

on lo comprend, demeurait inflexible sur co point,

dont il faisait la condition sine quà non du Sacre.

Napoléon, qui avait su écarter l'idée du divorce

comme prématurée, entendait cependant no pas

enchaîner l'avenir à cet égard. Il avait en quelque

sorte lo vague pressentiment quo telle ou telle

circonstance pourrait remire, plus tard, cette

pénible éventualité nécessaire. Le nouveau César

so montra en conséquence vivement contrarié do

la démarche do Joséphine auprès de Pio VII, et

la lui reprocha vertement. Peut-être so trouvait-il

également humilié d'un tel aveu, et blessé de ce

fait, dans son orgueil, devant le père commun

des fidèles... Joséphino au contraire éprouva la

plus grande consolation du succès de sa démarche,

et la nuit même qui précéda lo couronnement vit

son union avec Napoléon recevoir la consécration

religieuse. Lo cardinal Fesch officia aux Tuileries,

dans lo plus grand secret, et bénit devant Talley-

rand ot Borthier lo mariage do Napoléon ot do

Joséphine, dont lo visage gardait encore lo len-

demain les traces do son émotion.

Si Joséphine attachait du prix à l'élévation et

aux grandeurs, qu'ollo n'avait jamais ambition-

nées, c'était surtout à cause de ses enfants qui

étaient la raison d'être même de sa vio.

Page 148: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 128

M. Aubenas nous a retracé le costume et les

parures revêtus, le jour du Sacre, par l'impéra-

trice Joséphine. En voici la description :

« L'Impératrice avait revêtu uno magnifique

robe traînante de brocart d'argent, semée d'abeilles

d'or, ornée par devant des plus riches feuillages

brodés on or, ot do plus, garnie au bas d'une

largo frange et d'une crépine do mémo; les

épaules seules étaient découvertes; de longues

manches à broderies d'or ot dont lo haut était

enrichi do diamants, enserraient les bras et cou-

vraient la moitié de la main. Il fallait à Joséphine

tout son art ot une grâce indélébile pour no rien

perdre do son élégante dignité avec ce vêtement

façonné dans lo goût do l'époque, sans ampleur

ot sans taille et, de plus, rehaussé do la fraiso

des Médicis, en dentelle lamée d'or, qui lui avait

été imposée afin d'assortir par quelque détail

historique sa toiletto au costume renaissance de

Napoléon. Un ruban d'or, enrichi do trente-neuf

pierres roses, attachait sous son sein cette robo

tunique. Son goût pour les parures antiques so

trahissait par les précieuses pierres gravées qui

composaient ses bracelets, ses boucles d'oreilles

et son collier. Enfin sa belle ot riche chevelure

était enserrée ot retenue par un superbe diadème,

Page 149: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

126 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

ceuvro do M. Marguerite, qui avait aussi fourni la

couronne quo l'Impératrico allait recevoir à

Notre-Dame, où, comme Napoléon, elle devait

compléter sa toilette, on attachant sur ses épaules,

par uno torsade d'or et uno agrafe en diamants, le

manteau impérial*. »

Continuons d'emprunter au même autour

quelques autres détails sur l'Impératrice :

« Lo cardinal Cambacôrès attendait à la porto

l'Impératrice, pour lui offrir l'eau bénite et la

complimenter. Après quelques mots seulement,

ello prit place sous un dais porté par les cha-

noines du chapitre métropolitain, ot elle con-

tinua sa marche vers lo sanctuaire, accompagnée

par son introducteur. Sa tète était déjà ornée

1. Aubenas, t. II, p. 277.Mémoiresde mademoiselleGeorge,d'après lo manuscrit ori-

ginal, par M. P.-A.Chéramy, 1008.LoJour du saçro : « L'Empe-reur calme, souriant, mais l'impératrice Joséphino était mer-veilleuse, toujours un goût parfait dans sa toilette; mats elletoujours noble, toujours le regard bienveillant qui vous atti-rait vers clic. Elle était sous ses habits la plus simple et laplus ravissante. Lo diadème était porté sans qu'il pût luiparaître lourd. Elle saluait son peuple avec tant de bonté etd'encouragement quo toutes les sympathies lui appartenaient.Ello était imposante pourtant; mais son sourire vous attirait helle, et l'on serait arrivé sous son regard sans crainte, persuadéqu'elle no vous repousserait pas. Ah! c'est qu'elle était bienbonne cette adorable femme! Les grandeurs no l'avaient paschangée : c'était une femme d'esprit et de coeur.Quel malheurpour la France et l'Empereur que ce divorceI »

Page 150: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 127

d'un diadème formé de quatre rangées de perles

de la plus belle eau, entrelacées par un feuillage

on diamants, qui réunissait sur son front quatre

magnifiques diamants. Son long manteau en

velours rouge, semé d'abeilles d'or et entièrement

doublé d'hermine, était porté par les princesses

Joseph, Louis, Élisa, Pauline ot Caroline, égale-

ment en manteau de cour ot couvertes do parures

étincelantcs. Venaient ensuite, on un seul groupe,

la dame d'honneur, la dame d'atours et les dames

du Palais. »

Pour en finir avec cette prestigieuse cérémonie

du Sacro et en retracer un tableau fidèle au

lecteur, il nous paraît indispensable d'avoir

recours aux récits des témoins oculaires de cette

journée mémorable. Madame d'Abrantôs l'a si

éloquemment racontée, quo nous no pouvons

quo reproduire in extenso le passage qui la con-

cerne :

et Lorsqu'il fut temps pour ello (Joséphine) de

paraître activement dans lo grand drame, nous

dit la femme do Junot, l'Impératrice descendit

du trône et s'avança vers l'autel ou l'attendait

l'Empereur, suivie de ses dames du Palais et do

tout son service d'honneur et ayant son manteau

porté par la princesse Caroline, la princesse

Page 151: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

128 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Julie, la princesse Elisa ot la princesse Louis.

Uno dos beautés remarquables de l'impératrice

Joséphine, c'était non soulemont l'éiégance de

sa taillo, mais lo port de sa tête, la façon gra-

cieuse et noble tout à la fois dont elle la tournait

ot dont ello marchait. J'ai eu l'honneur d'être

présentée à beaucoup de vraies princesses,

comme on lo disait dans le faubourg Saint-Ger-

main, ot je dois dire, en toute vérité de con-

science, que jamais jo n'en ai vues qui m'impo-

sassent davantage que Joséphine. C'était de

l'élégance et de la majesté; aussi, une fois qu'elle

avait après elle son manteau do Cour, il no fallait

plus chercher la femme du monde peu arrêtée

dans ses vouloirs; elle était convenable do tous

points, et jamais reine ne sut mieux trôner sans

l'avoir appris. Je vis tout co quo jo viens de dire

dans les yeux do Napoléon. Il jouissait on regar-

dant l'Impératrice s'avancer vers lui; ot, lors-

qu'elle s'agonouilla, lorsque les larmes qu'ollo no

pouvait retenir roulèrent sur ses mains jointes,

qu'elle élevait bien plus vers lui que vers Dieu,

dans ce moment où Napoléon était pour elle sa

véritable providence, alors il y eut, entre ces

deux êtres, une do ces minutes fugitives, uniques

dans toute une vie et qui comblent lo vide de

Page 152: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 129

bien des années. L'Empereur mit uno gràco par-

faito à la moindre des actions qu'il devait accom-

plir pour la cérémonie. Mais ce fut surtout

lorsqu'il s'agit de couronner l'Impératrice. Cette

action devait être accomplie par l'Empereur qui,

après avoir reçu la petite couronne fermée et

surmontée de la croix qu'il fallait placer sur la

tête do Joséphine, devait la poser sur sa propre

tète, puis la remettre sur celle de l'impératrice.

Il mit à ces deux mouvements une lenteur gra-

cieuse qui était remarquable. Mais lorsqu'il on

fut au moment do couronner enfin celle qui était

pour lui, selon un préjugé, son étoile heureuse, il

fut coquet pour ello, si je puis dire co mot. Il

arrangea cetto petite couronne, qui surmontait

lo diadème en diamants, la plaçait, la déplaçait,

la remettait encore ; il semblait qu'il voulût lui

promettre quo cotte couronne lui serait douce et

légère!... Ces différentes nuances ne purent être

saisies par les personnes qui étaient loin do

l'autel.

» Sans doute le fait fut raconté parce qued'autres yeux quo les miens l'ont vu comme j'ai

pu lo voir; mais pou cependant ont été placéscomme jo l'étais; et cetto position m'a révélé

bien des choses pondant ces heures merveilleuses,0

Page 153: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

130 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

rojotéos maintenant, par beaucoup do gens dans

les temps do féorio'. »

Après la cérémonie solennelle ot prolongée du

Sacro un héraut s'avança sur lo bord do l'estrado

et s'écria, selon l'ancien usago : « Le très glorieux

et très auguste Empereur Napoléon, Empereur

dos Français, est couronné et intronisé. Vive

l'Empereur! » Les acclamations retentissantes de

l'assistance répondiront à ce cri, et des salves

d'artillorio annoncèrent en mémo temps la pro-

clamation de Napoléon ot de Joséphine.

« A sept heures enfin, dit M. Aubenas, le cor-

tège impérial rentra aux Tuileries. L'Empereur

avait hâte de retourner à son simple uniforme de

colonel des chasseurs de sa garde. Joséphine sou-

pirait aussi après le repos; mais elle rentrait

radieuse dans ce palais d'où on avait voulu la

chassor, non parce qu'elle y rapportait, sur sa

tête, la couronne prédite à son enfanco, mais

parce qu'elle se croyait alors liée d'une manière

indissoluble à l'homme qu'elle aimait par-dessus

tout 2. »

1. Mémoiresdela duchessed'Ayantes, t. VII, p. 260.2. Aubenas,t. II.

Page 154: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE X

Félicitations et hommages dont Joséphine devient l'objet. —Honneurs décernés à.son fils Eugène. — Portrait de celui-ci.— Nouvellecoalition. —1805.Napoléonso met en campagne.— Ses lettres &Joséphine. — Capitulation d'Ulm. — Lettrede Joséphine a sa fille. — Nouvelleslettres de Napoléon.—Désirqu'avait toujours Joséphine d'accompagner son mari etde ne pas se séparer de lui. —Arrivéede Napoléona Yienne,— Voyogede Joséphino à Munich. — Victoired'Austerlitz.

Des dons, des félicitations, des démonstrations

d'attachement de toute naturo furent prodigués à

Joséphine, à la suite de son couronnement, et le

conseil municipal do Paris, lui offrit une magni-

fique toilette en or. Son lie natale, la Martinique,

fit éclater également, dans cette circonstance, des

sentiments de joie et d'orgueil, motivés par l'ac-

croissement de grandeur obtenu par une de ses

filles. Madame de la Pagerie, mère de la nouvelle

impératrice, reçut en même temps, à Fort-de-

France, sa part des honneurs et des ovations dont

Joséphine devenait l'objet.

Page 155: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

132 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

L'annéo 1805, l'uno dos plus glorieuses do la

carrière do Napoléon, avait bion commoncô pour

le fils do Joséphine. Pourvu déjà précédemment

du grade de colonel général, il so voyait— à

peine en route pour Milan où l'Empereur lui avait

donné rondoz-vous — nommé princo do l'Empire

et archichancelior d'État. Cotte prouve d'affection

toucha profondément le coeur de Joséphine, mais

ne modifia en aucune façon la simplicité modesto

et calmo du princo Eugène, une des plus nobles

figures du commencement du xix* siècle. Madame

d'Abrantès a tracé du fils do Joséphine, dans sa

première jeunesse, le portrait suivant :

« Eugène promettait d'ôtro co qu'il fut, un

charmant ot aimable garçon. Toute sa personne

offrait un ensemble d'élégance d'autant plus

attrayant qu'il y joignait une chose qui se trouve

rarement avec ello, c'était do la franchise, et de

la gaieté dans toutes ses façons. Il était rieur

comme un enfant, mais jamais son hilarité n'eût

été provoquée par une chose de mauvais goût.

Il était aimable, gracieux, fort poli sans être

obséquieux, et moqueur sans être impertinent,

talent perdu. Il jouait très bien la comédie, chan-

tait à ravir, dansait comme avait dansé son père,

et était enfin un fort agréable jeunt» homme. »

Page 156: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 133

Eugèno avait un attrait exclusif pour lo métier

dos armes et il avait auparavant refusé un jour,

pour co motif, la place de grand chambellan que

son beau-père avait voulu lui offrir.

L'Empereur et l'Impératrice s'étaient mis en

route de leur côté pour l'Italie au commence-

ment d'avril, se dirigeant sur Milan où Napoléon

allait ceindre la couronne de fer des anciens rois

Lombards. A son titre d'empereur il allait joindre

celui de roi d'Italie, et confier, le 7 juin 1805,

les fonctions de vice-roi à son beau-fils. Cette

faveur insigne, accordée à un membre de la

famille de Beauharnais, dut paraître amère à ceux

des membres de la famille Bonaparte qui les

détestaient; mais ello combla de joie la bonne

Joséphine, fière de voir apprécier son fils à sa

haute et juste valeur.

Cependant l'Autriche, mécontente et inquiète

do la mainmise de Napoléon sur l'Italie comme

de l'accroissement formidable de la puissance

française, ne restait pas insensible aux excitations

de l'Angleterre. Cette dernière puissance, inquiète ,

elle aussi des immenses préparatifs du camp de

Boulogne dirigés contre elle, s'efforçait d'y

opposer une diversion efficace en ameutant,

Page 157: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

134 L'IMP^KATRICE JOSÉPHINE.

contre lo nouveau souverain de la France, los

puissancos du continent. Napoléon, abandonnant

à regrot cotte gigantesque entreprise, so vit

bientôt dans l'obligation do faire face à do nou-

veaux dangers, Co n'était plus cette fois à l'Au-

triche soûle mais à l'Autriche appuyée par la

Russie qu'il allait avoir affaire. Nous n'avons ni

l'intention, ni la prôtontion de raconter cetto

immortelle campagne, dont différents auteurs ont

parlé avec uno compôtenco qui no nous appar-

tient pas, campagne qui so termina par le coup

de foudre d'Austerlitz.

Lo rôle do Joséphine, forcément offacô pendant

cetto période do guerre et de victoires, ne fournit

pas la matière do grands développements. Ello so

borne à obéir aux recommandations quo son

époux lui adresse dans une série d'affectueux

mais courts billets. Il lui écrivait de Mannheim

le 2 octobre le petit mot suivant :

« Jo suis encore ici, en bonne santé. Jo pars

pour Stuttgard où je serai co soir. Les grandes

manoeuvros commencent. L'armée de Wurtem-

berg et de Bàde so réunit à la mienne. Je suis en

bonne position et je t'aime.

» NAPOLÉON. »

Page 158: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 135

Après dix ans de mariage il no faut plus

évidemment s'attendre à des lottros brûlantes

comme colles do la promièro campagne d'Italie.

On no manquera pas d'obsorver, toutefois",

combien, malgré dos orages passagers, l'attache-

ment do Napoléon pour sa fommo est redevenu

solide ot sans arrière-pensée. La fin do co billot :

a et je l'aime » est plus significatif à cet égard quo

do longues phrases.

Lo 4 octobro l'Empereur écrit à Joséphine do

Louisbourg, résidence d'été de l'électeur do Wur-

temberg, qu'il créa roi un peu plus tard :

« Jo suis à Louisbourg. Il n'y a encore rien do

nouveau. Touto mon arméo marcho. Le temps

est superbe. Ma réunion avec les Bavarois est

faite. Je mo porte bien. J'espère avoir, dans peu

de jours, quelque chose d'intéressant à te

mander. Porte-toi bien, et crois à tous mes sen-

timents. Il y a ici une très belle cour, uno nou-

velle mariée fort belle, et, en tout, des gens fort

aimables; mémo notre Électrice, qui paraît fort

bonne, quoique fille du roi d'Angluterre. »

La fillo du souverain du Wurtemberg devait

épouser par la suite Jérôme Bonaparte, plus

tard roi de Westphalie, le plus jeune des frères

Page 159: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

136 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

de Napoléon, et grand-père, comme on lo sait,

des princes Victor ot Louis Bonaparto.

Lo lendemain 5 octobre l'Empereur écrivait do

nouveau à Joséphine les lignes suivantes :

<c Jo pars à l'instant pour continuer ma

marche. Tu seras, mon amie, cinq ou six jours

sans avoir do mes nouvelles; no t'on inquiète pas,

cela tient aux opérations qui vont avoir lieu.

Tout va bien, ot comme je le pouvais espérer.

J'ai assisté ici à une noce du fils do l'Électeur

avec uno nièce du roi de Prusse. Jo désiro donner

une corbeille de trente-six à quarante mille francs

à la jeune princesse. Fais la faire, et envoie la

par un de mes chambellans à la nouvelle mariée,

lorsque ces chambellans viendront mo rejoindre.

Il faut que ce soit fait sur-le-champ, Adieu mon

amie je t'aime et je t'embrasse. »

Certes les cadeaux de ce genre, choisis par

Joséphine, ne pouvaient manquor d'être d'un

goût parfait; ils devaient donc, vraisemblable-

ment, procurer une réelle satisfaction à celles qui

les recevaient.

Cinq ou six jours plus tard, nouvelle lettre à

l'Impératrice :

« J'ai couché aujourd'hui chez l'ancien Électeur

de Trêves, qui est fort bien logé. Depuis huit

Page 160: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 137

jours je cours. Des succès assez notables ont

commencé la campagne. Jo me porte fort bien»

quoiqu'il pleuve presque tous les jours. Los évé-

nements so suivent avec rapidité. J'ai onvoyô en

Franco quatre mille prisonniers, huit drapeaux,

et j'ai quatorze pièces de canon à l'ennemi. Adieu

mon amio jo t'ombrasse. »

La fortune sourit à Napoléon, car la capitula-

tion d'Ulm ost proche. Aussi l'Empereur écrit-il

bientôt :

a Mon armée est entrée à Munich. L'ennemi,

est au-delà do l'Inn d'un côté; l'autre armée de

soixante mille hommes, je la tiens bloquée sur

l'Iller, entre Ulm et Memmingen. L'ennemi est

battu, a perdu la tête et tout m'annonce la plus

heureuse campagne, la plus courte et la plus bril-

lante qui ait été faito. Je pars dans une heure pour

Burgau sur l'Iller. Je me porte bien; le temps

est cependant affreux. Je change d'habit deux fois

par jour tant il pleut. Jo t'aime et t'embrasse. »

Après sept jours do silence employés à tourner

et à enfermer dans Ulm le général Mack et sou

armée, Napoléon a eu la satisfaction de voir se

confirmer ses prévisions optimistes et il l'annonce

à Joséphine en ces termes :

a J'ai été ma bonne Joséphine plus fatigué qu'il

Page 161: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

138 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

no lo fallait; uno somaino entière ot, toutos les

journées, l'eau sur lo corps ot les pieds froids

m'ont fait un pou de mal ; mais la journée d'au-

jourd'hui où je no suis pas sorti m'a reposé. J'ai

rempli mon dessoin; j'ai détruit l'armée autri-

chienne par do simples marches; j'ai fait

soixanto millo prisonniers, pris cent vingt pièces

de canon, plus de quatre-vingt-dix drapeaux ot

plus do trente généraux. Je vais mo porter sur les

Russes; ils sont perdus. Jo suis content do mon

armée. Jo n'ai perdu que quinzo conts hommes,

dont les deux tiers faiblement blessés. Adieu ma

Joséphino; mille choses aimables partout. Lo

princo Charles vient couvrir Vienne. Je pense quo

Massôna doit êtro à cetto heure à Vionno. Dès

l'instant quo jo serai tranquille pour l'Italie, je ferai

battre Eugène. Mille choses aimables à Hortense. »

Un peu plus tard Napoléon écrit d'Ulm môme

à Joséphine :

« Je me porte assez bien, ma bonne amie ; jo

pars à l'instant pour Augsbourg, J'ai fait mottro

bas les armes ici à trente-trois mille hommes. J'ai

de soixante à soixante-dix millo prisonniers, plus

de quatre-ving-dix drapeaux et de deux conts

pièces de canon. Jamais catastrophe pareille

dans les annales militaires! Porte-toi bien. Je

Page 162: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 139

suis un peu harassé. Lo temps est beau députa

trois jours. La promièro colonne do prisonniers

filo aujourd'hui sur la Franco. Chaque colonno est

do six millo hommes. »

Joséphine, pondant co temps, s'était rapprochée,

autant quo possible, du théâtre des événements.

Ello était allôo en attendro l'issuo à Strasbourg,

et écrivait à son tour, de cotte ville, à sa fillo Hor-

tonso uno lettro rassurante, datée du 22 octobre :

« J'avais promis, ma chère Hortense, au prince

Joseph, qui m'a écrit uno lettre très aimable, de

lui envoyer un courrier aux premières nouvelles

que je recevrais. J'ai été hier à mémo do remplir

ma promesse. M. de Thiars m'a écrit, par ordre

de l'Empereur, tous les détails do nos succès, et

jo les ai aussitôt fait passer au prince Joseph, en

le priant de t'en faire part, ainsi qu'à ton mari.

Les événements heureux so succèdent, et aujour-

d'hui j'ai reçu une lettro do l'Empereur. Jo te

l'envoie, et je suis bien sûre qu'ollo te fera le môme

plaisir qu'à moi. Jo te recommande de me la gar-

der pour.me la remettre à mon retour. Toutes les

personnes de la Maison de l'Empereur se portent

bien. Il n'y a pas eu un seul général de blessé, et

tu peux le dire à toutes les dames dont les maris

sont à l'armée. Jeudi on chantera un Te Deum,

Page 163: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

140 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

et je donnerai, le môme jour, uno fête aux

dames de Strasbourg, Adieu, ma chère Hortense,

je t'aime de tout mon coeur et jo t'embrasse de

môme. Millo amitiés à ton mari; j'embrasse tes

enfants. »

Sur cos entrefaites l'omporeur Napoléon était

arrivé à Munich où il put prendre quelque repos,

mais où il reçut la nouvelle des inquiétudes de

Joséphine, toujours anxieuse ot préoccupée des

dangers que couraient les siens. Aussi Napoléon

lui écrit-il une lettre un peu moins brève que les

précédentes, datée du 27 octobre :

a J'ai reçu par Le Marois ta lettre. J'ai vu avec

peino que tu t'étais trop inquiétée. L'on m'a

donné des détails qui m'ont prouvé toute la ten-

dresse que tu me portes; mais il faut plus de force

et de confiance. J'avais d'ailleurs prévenu que je

serais six jours sans t'écrire.

» J'attends demain l'Électeur. A midi je pars

pour confirmer mon mouvement sur l'Inn. Ma

santé est assez bonne. Il ne faut pas penser à pas-

ser le Rhin avant quinze ou vingt jours. Il faut

être gaie, t'amuser, et espérer qu'avant la fin du

mois nous nous verrons. —- Jo m'avance contre

l'armée russe : dans quelques jours j'aurai passé

l'Inn.

Page 164: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. Hl

» Adieu ma bonne amie. Mille choses aimables

à Hortense, à Eugène ot aux deux Napoléon 1.

Garde la corbeille quelque temps encore.

» J'ai donné hier aux dames de cette Cour un

concert. Le maître de chapelle est un homme de

mérite. J'ai chassé à une faisandorio do l'Électeur.

Tu vois que je ne suis pas si fatigué. M. de Tal-

loyrand est arrivé. »

Outre les inquiétudes que ne pouvaient man-

quer de causer à Joséphine les événements do la

guerre où ello avait à craindre tantôt pour son

fils, tantôt pour son époux, et quelquefois pour

les deux en même temps, la femme de Napoléon

redoutait les dangers do l'absence. Ce n'était plus

l'Empereur qui laissait percer, à cette époque,

des mouvements de jalousie; les rôles avaient

changé et c'est Joséphine qui en était arrivée à

ne plus cacher la sienne. L'Impératrice compre-

nait les inconvénients résultant pour elle de toute

espèce de séparation, môme passagère. Aussi

quand Napoléon s'éloignait d'elle, aurait-elle tou-

jours voulu le suivre ou l'accompagner. Alors ni

fatigues, ni privations ne la rebutaient. Dans les

rapides et fréquents voyages qu'entreprenait

1. Les deux fils de Louis Bonaparte et d'Hortense.

Page 165: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

142 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

l'Emporour, Joséphine employait l'importunité, la

ruse mémo pour le suivre. On en trouvo le tômoi-

gnago dans lo Mémorial :

« Montais-je en voiture au milieu de la nuit,

disait Napoléon, à ma grande surprise j'y trouvais

Joséphino établie, bien qu'elle ne dût pas être du

voyago... et, la plupart du temps, il fallait que

je cédasse ! »

Dans toutes ses lettres à l'Empereur, pendant

le cours de cette campagne, l'Impératrico deman-

dait à venir le rejoindre. Napoléon ne s'en sou-

dait guère, éludant toute réponse positive à ces

questions, « J'aurais bien désiré to voir, écrit-il

à Joséphine, mais ne compte pas que jo t'appolle,

à moins qu'il n'y ait un armistice ou des quar-

tiers d'hiver. Adieu mon amio; mille baisers. »

Poursuivant les Russes réunis aux débris des

forces autrichiennes qui cherchent à couvrir

Vienne contre les efforts de la Grande Arméo,

Napoléon écrit un peu plus tard à l'Impéra-

trice :

« Je suis à Lintz; le temps est beau, Nous

sommes à vingt-huit lieues de Vienne. Les Rus-

ses ne tiennent pas. Ils sont en grande retraite.

La maison d'Autriche est fort embarrassée. A

Vienne on évacue tous les bagages de la Cour. Il

Page 166: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 143

est probable quo d'ici à cinq ou six jours il y

aura du nouveau. Jo désire bion te revoir. Ma

santé est bonne. Je t'ombrasse. »

Enfin le 13 novembre Napoléon est à Vienne,

d'où il écrit à l'Impératrice pour lui annoncer

cetto grande nouvelle comme uno chose très sim-

ple ot très naturelle; on no trouve, dans cette

lettro, aucun© trace d'infatuation ni de lôgitimo

orgueil. L'équilibre do ses facultés est encore

parfait, et Napoléon n'est, à co moment, aucune-

ment atteint du vertige de sa propre gloire. Trois

jours après l'entrée de l'armée française à Vienne, .

l'Empereur mande à Joséphino son désir do la voir

se transporter à Munich où ello trouvera, en

attendant l'instant do leur réunion, un beau

palais et uno bonne réception. Nous croyons

devoir transcrire ici cotto lettre du 16 novembre,

qui nous parait caractéristique :

Vienne, 25 brumaire an XIV.

« J'écris à M. d'IIarvillo pour quo tu partes et

que tu te rendes à Bade, de là à Stuttgard et de

là à Munich. Tu donnneras, à Stuttgard, la cor-

beille à la princesse Paul. Il suffit qu'il y ait pour

quinze ou vingt mille francs; le reste sera pour

faire des présents, à Munich, aux filles de l'Élec-

Page 167: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

144 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

teur de Bavière. Porte de quoi faire des présents

aux dames et aux officiers qui seront de service

près do toi. Sois honnête, mais reçois tous les

hommages : l'on te doit tout, et tu ne dois rien

quo par honnêteté.

» L'Èlectrice do Wurtemberg est la fillo,du roi

d'Angleterre : c'est une bonne femme, tu dote

la bien traiter, mais cependant sans affecta-

tion,

» Jo serai bien aiso do te voir, du moment que

mos affaires mo le permettront. Jo pars pour mon

avant-garde. Il fait un temps affreux : il neigo

beaucoup; du reste mos affaires vont bien. Adieu

ma bonne amie.

» NAPOLÉON. »

Dans toutes les résidences des petits souve-

rains allemands qu'ollo dut traverser, les qualités

attachantes do Joséphino, sa graciouso aménité,

son tact ot sa bienveillance innée lui concilieront

tous les suffrages. Ello paraissait créée ot mise au

monde pour jouer, dans la plus grando perfection,

lo rôle élevé qui lui avait été destiné. Pon-

dant tout son voyage l'Impératrice so vit corn,

blêo d'hommages et d'adulations; l'éclatante

fortuno do son époux ot la crainte qu'il inspi-

Page 168: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 14lT

rait y contribuaient à la vérité pour une large

part.

Le 2 décembre, anniversaire du couronnement

de Napoléon ot do Joséphine, l'Empereur rem-

portait sur l'armée austro-russe la célèbre ot déci-

sive victoire d'Austorlitz.

Page 169: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XI

Séjour do l'impératrice Joséphine a Munich.— Loltresdo Napo-léon a celle-ci.— Paix do Presbourg. — Napoléon i Munich.— Mariagedu prince Eugène aveo la fille du roi do Bavière.— Satisfactiondo Joséphine. — Sa lettre à sa fillo Ilortensoix ce sujet. — Mariago do Stéphanie do Bcauharnais avec leprince do Bade. — Les frères do l'empereur Napoléon créésrois. —Nouvellelettre de l'Impératrice asa fille.— 1S06.Cam-pagne do Prusse.— Correspondancesdiverses cnlre Joséphine,son mari, sa fille, etc. —Désirde l'Impératrice d'aller a Berlin.

L'impératrice Joséphino était, sur ces entre-

faites, arrivée à Munich où l'Electeur do Bavière

Maximilien-Joseph, avait lieu do so féliciter main-

tenant do n'avoir pas pris parti contre Napoléon.

Cette détermination n'avait été prise par lo sou-

verain bavarois qu'après do longues et cruelles

hésitations. 11 faut oncoro citor quelques lettres

adressées par Napoléon à Joséphino, car elles

empruntent à la date à laquelle elles ont été

écrites un intérêt tout particulier. La premièro

est datée d'Austerlitz 3 décembro 1808.

« Jo t'ai expédié Lebrun du champ do bataille.

Page 170: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. <47

J'ai battu l'armée, russe et autrichienne comman-

dée par les doux Empereurs. Jo mo suis un peu

fatigué; j'ai bivouaqué huit jours en plein air par

des nuits assoz fraîches. Jo couche co soir dans le

château du Princo de Kaunitz, où jo vais dormir

deux ou trois heures. L'armée russe est non seu-

lement battue mais détruite. Jo t'ombrasse. »

Autre lettre d'Austerlitz.

5 décembre.

« J'ai conclu uno trôvo. Les Russes s'en vont.

La bataille d'Austerlitz est la plus belle do toutes

celles que j'ai données : quarante-cinq drapeaux,

plus do cent cinquante pièces do canon, les éten-

dards de la gardo dô Russie, vingt généraux,

trente millo prisonniers, plus do vingt millo tués,

spectacle horrible !

» L'empereur Alexandre est au désespoir et

s'en va en Russie. J'ai vu hier à mon bivouac

l'empereur d'Allemagne; nous causâmes deux

heures ; nous sommosconvonusdo faire vite la paix.

» Lo temps n'est pas encore très mauvais.

Voilà onfin lo repos rendu au Continent; il faut

ospêrer qu'il va l'ôtro au monde, les Anglais ne

sauraient nous faire front. Jo verrai avec bien du

plaisir lo moment qui mo rapprochera do toi.

Page 171: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

148 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Adieu ma bonne amie, je me porto assez bien et

suis fort désireux do t'embrasser. »

Autre lettro du 7 décembre, d'Austerlitz.

« J'ai conclu un armistice; avant huit jours la

paix sora faite. Jo désiro apprendre quo tu es

arrivée à Munich en bonne santé. Les Russes s'en

vont. Ils ont fait une perto immense : plus do

vingt mille morts et trente mille pris. Leur arméo

est réduite des trois quarts. Buxhowdon, leur

général en chef, est tué. J'ai trois mille blessés et

sept ou huit cents morts.

» J'ai un peu mal aux yeux ; c'est uno maladie

courante et très peu do chose. Adieu mon amie,

jo désiro bion to revoir. »

Pendant lo cours des négociations pour la

conclusion do la paix do Prcsbourg, Joséphino était

restée assez longtemps sans donner do ses nou-

velles à l'Empereur; aussi celui-ci lui écrivait-il :

« Il y a fort longtemps que jo n'ai pas reçu do

tes nouvelles; los belles fêtes do Bade, do Stutt-

gard ot do Munich font-elles oublier les pauvres

soldats qui vivent couverts de bouo, do pluio et

do sang? Jo vais partir sous peu pour Vienne.

L'on travaille à conclure la paix. Los Russes sont

partis, ot fuient loin d'ici ; ils s'en retournent en

Russio bion battus et fort humiliés. Jo désiro bion

Page 172: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 149

me retrouver près do toi. Adieu, mon amie, mon

mal d'yeux est guéri. »

Napoléon, voyant que Joséphino ne lui répond

pas, prend le parti do lui écrire, sur un ton iro-

nique la lettre suivante :

« Grande Impératrice! Pas uno lettre do vous

depuis votre départ de Strasbourg... Vous avez

passé à Bade» à Stuttgard, à Munich, sans nous

écrire un mot ; ce n'est pas bien aimable, ni bien

tondro! Jo suis toujours à Brûnn. Les Russc3 sont

partis : j'ai uno trêve. Dans peu do jours jo verrai

co quo jo deviendrai. Daignez, du haut do vos

grandeurs, vous occuper un peu do vos esclaves.

» NAPOLÉON. »

Joséphine, depuis qu'ello avait suivi son époux

sur les champs do bataille do l'Italie, avait pris

l'habitude do l'accompagner partout. Ello aurait

mémo désiré, on s'en souviendra peut-être, tra-

verser avec lui la Méditerranée pour so rondro on

Egypte. Après les victoires éclatantes do cotte

courte et glorieuse campagne, son voeu le plus

cher eût été d'aller rotrouvor l'Empereur à Vienne.

A une lettre do l'Impératrice, sollicitant l'autori-

sation de so mettre en routo pour la capitale do

l'Autriche, Napoléon répondait t

Page 173: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

180 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

a Jo reçois ta lettro du 25 ; j'approndsavecpeino

quo tu es souffrante; co n'ost pas là uno bonne

disposition pour faire cent liouos dans cetto saison.

Jo no sais ce que jo forai, jo déponds des événe-

ments; jo n'ai pas do volonté, j'attends tout de

leur issue. Reste à Munich, amuse-toi : cela n'est

pas difficilo lorsqu'on a tant do porsonnes aussi

aimablos et dans un si beau pays. Jo suis, moi,

assez occupé. Dans quelques jours jo serai dé-

cidé. Adieu, mon amio, millo choses aimables ot

tendres. — N. »

Lo 20 décembre 1805 la paix do Presbourg

était signéo ot Napoléon, lo lendemain, partait

pour Munich.

C'est à Munich, où lo princo Eugène arrivait lo

10 janvier 1800 mandé par l'empereur Napoléon,

qu'allait so forgor le premier anneau destiné à

relier la nouvelle dynastie impériale aux an-

ciennes familles souveraines do l'Europe. Lo mari

do Joséphino avait en offot jeté les yeux sur la

princesse Auguste, fillo do Maximilion do Bavière,

devenu roi, pour en faire la' fommo do son fils

d'adoption. Napoléon laissait en mémo temps

espérer aux intéressés quo la couronne du

royaume d'Italie, qu'il avait créé, appartiendrait

un jour, après lui, au princo Eugèno et à sa des-

Page 174: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 151

condanco. On peut imaginer la reconnaissance et

lo bonhour que dut éprouver Joséphine, en

voyant do si hautes faveurs accordées à son fils

cher,!. Nul d'aillours n'aurait pu s'en montror plus

digno quo celui qui était appelé, sans avoir rion

sollicité, à on bénéficier d'une manière si flatteuse.

Aussi Joséphine annonçait-elle à sa fillo Hor-

tenso la nouvelle de co mariage on cos termes :

Munich,7 janvier 1800.

« Jo no veux pas perdre un ornent, ma chère

Hortonse, pour t'approndre quo lo mariage

d'Eugôno avec la princesse Auguste, fille do l'Élec-

teur de Bavière, vient d'être définitivement arrêté.

Tu sentiras, comme moi, tout le prix de cotto nou-

velle prouve d'attachement que l'Empereur donne

à ton frère. Rion au mondo no pouvait ôtro plus

agréable pour moi quo cetto alliance. La jeune

princesse réunit, à une lîguro charmante, toutes

les qualités qui rendent uno fommo intéressante

ot aimablo. »

Napoléon no tardait pas do son côté à écrire à

sa belle-soeur et bollo-fille :

« Ma fillo, Eugèno arrive demain, et so mario

sous quatre jours. J'aurais été fort aiso quo vous

eussiez assisté à son mariage; à présent il n'est

Page 175: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

152 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

plus temps. La princesse Auguste est grande,

belle, et pleine de bonnes qualités, et vous aurez,

en tout, uno soeur digne de vous. Mille baisers à

M. Napoléon. »

Peu de jours après le prince Eugène et la nou-

velle mariée partaient pour Milan où ils devaient

résider, pendant que Napoléon et Joséphine

faisaient leurs préparatifs de départ et quittaient

Munich pour arriver à Paris le 26 janvier. Napo-

léon avait franchi rapidement les degrés qui con-

duisent à la toute-puissance. Il aurait voulu

trouver, dans sa famille, un lot de jeunes prin*

cesses dont il eût facilité l'union avec des princes

étrangers, dans lo but de resserrer les noeuds de

son alliance avec les maisons souveraines de

différents États. Ne trouvant pas dans la famille

Bonaparte ce qui lui était nécessaire à cet égard,

l'Empereur dut songer à rechercher des compen-

sations dans la famillo do Joséphine, et peu do

temps après il mariait mademoiselle Stéphanie do

Beauharnais avec lo princo héréditaire de Bade.

Le marquis François do Beauharnais, beau-frère

de Joséphine ot lo comte Claude, son cousin ger-

main, se voyaient en mémo temps, ot personnel-

lement, l'objet des faveurs et de la munificonco

du nouveau monarquo français.

Page 176: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 1B3

A la môme époque Napoléon faisait de son

frère Louis un roi de Hollande, pendant que le

princo Joseph Bonaparte devenait, par la mémo

volonté toute puissante, roi de Naples. Un

royaume de Wostphalie ne devait pas tarder, par

la suite, à être créé en faveur de Jérôme, lo plus

jeune des frèros do Napoléon, aussitôt après

qu'il eut épousé la princesse Catherine de

Wurtemberg.

Tout en étant flattée de voir ses enfants si bien

pourvus, l'excellente mère qu'était fimpératrico

Joséphino domourait tristement affectée du départ

prochain de sa fille pour la Hollande. La mésin-

telligence qui régnait entre Louis Bonaparte ot sa

femme était également pour Joséphine un vif

sujet do peine; ello regrettait amèrement d'avoir

tant insisté, quatre ans auparavant, pour faire

contracter à cette fille, tendrement aimée, uno si

malheureuse union.

Le 18 juillet 1806, l'Impératrice, navrée do

l'absonce do la reine Hortenso et do lour sépara-

tion, lui écrivait i

« Depuis ton départ j'ai toujours été souffrante,

tristo et malheureuse; j'ai même été obligée de

garder lo lit, ayant ou quelques accès de fièvre.

La maladio a tout à fait disparu, mais lo chagrin

Page 177: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

1&4 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

mo reste. Comment n'en pas avoir d'ôtro séparée

d'une fille comme toi, tendre, douce ot aimable,

qui faisait lo charme do ma vie?... Comment va

ton mari?... Mes petits enfants sont-ils bien por-

tants? Mon Dieu! quo jo suis triste de ne plus

les voir quelquefois! Et ta santé, ma chèro

Hortense ost-ollo bonne? Si jamais tu étais malado,

fais-le moi dire ; je mo rendrais tout do suito près

de ma bion-aiméo fillo... Adieu, ma chèro Hor-

tonse, ma tondre fille; pense souvent à ta mère,

ot persuade-toi bion qu'il n'y a pas do fillo plus

chério que toi. »

Cependant la Prusso, mécontente des agrandis-

sements considérables ot successifs do la puissance

française, prêtait uno oreille de plus en plus com-

plaisante aux excitations do l'Angleterre ot de la

Russie. Cette dernière puissance brûlait du désir

do venger les humiliations do sa sanglante défaite

à Austorlitz. La création des royaumes fondés —

au nord comme au sud do l'Europe— on faveur

des frères do Napoléon, exaspérait les ressenti*

monts des gouvernements russe et prussien, Ceux-

ci estimeront donc qu'il fallait à tout prix arrètor

l'essor do l'envahissante prépondérance do l'em-

porour des Français. L'éclatante victoire qu'il

Page 178: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 15&

avait remportée à Austerlitz avait seule empêché

la Prusse de se déclarer plus tôt contre Napoléon.

La reino Louise et les personnages de la cour du

roi Frédéric-Guillaume, l'imagination exaltée

par les souvenirs glorieux du grand Frédéric,

poussaient avec ardeur le monarque prussien à

déclarer la guerre à la France. Un ultimatum

arrogant, adressé lo 1er octobre au cabinet des

Tuileries par lo représentant do la Prusse, M. do

Knobelsdorf, vint rendre inévitable uno guerre

quo Napoléon eût préféré no pas entreprendre ou

tout au moins pouvoir ajourner.

Avant de quitter Paris, pour aller so mettre à

la tèto do son armée, l'Empereur avait autorisé

Joséphino à so transporter à Mayence, pour se

trouver plus près du théâtre des événements. Il lui

avait on même temps proscrit d'y tenir sa cour et de

fairo venir auprès d'elle la reino Hortense. Aussi

l'Impératrice, écrivant à cette dernière, lui disait ;

a Toutes tes lettres, ma chèro Hortense, sont

charmantes, ot tu es bien aimable de m'en

envoyer souvont. J'ai aussi dos nouvelles d'Eu»

gène et do sa femmo ; jo vois qu'ils sont heureux,

ot jo lo suis beaucoup moi-même, surtout on co

moment, car j'irai avec l'Empereur ot jo fais mes

apprêts do voyage. Jo t'assure que cette nouvelle

Page 179: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

156 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

guerre, si elle doit avoir lieu, ne me donne aucune

crainte; mais plus je serai près de l'Empereur,

moins j'en aurai, et je sens que je ne vivrais pas

si je restais ici. Un autre sujet de joie pour moi

est do to revoir à Mayence. L'Empereur me charge

do to diro qu'il vient do donner une armée de quatre-

vingt millo hommes au roi de Hollande, et quo son

commandement s'étendra tout près de Mayence. Il

pense que tu viendras rester avec moi à Mayenco :

juge, ma chère Hortense, si c'est là une nouvelle

agréable pour une mère qui t'aime aussi tendre-

ment. Chaque jour nous recevrons des nouvelles

do l'Empereur et de ton mari; nous nous on

réjouirons ensemble. Lo Grand-Duc de Borg m'a

parlé do toi et de tes enfants; embrasse-les pour

moi jusqu'à co quo jo puisse les embrasser moi-

même, ainsi que ma chère fille, et j'espère que ce

sera bientôt. Millo amitiés bien tendres au roi '. »

I. Lettre de l'impératrice Joséphino à Méneval,secrétaire del'ttmpereur : Je suis sensible,moncher Menneval(sic),a l'atten-tion que vousavezde mo donner des nouvellesdo l'Empereur etje vous demando la mémo exactitude pour tout lo temps de la

campagne. J'attends vos bulletins avec bien do l'impatience;parlez-moi de l'Empereur, do sa santé, de ses occupations; cosont là les nouvellesque Je lirai toujoursles premières, et parle prix que J'y mets, vous pourrez juger do tout le plaisir quevous me ferez.Adieumon cher Monnevalle (sic),vous connaisseztous mes sentiments pour vous. »

» JOSéPlMNB.»

Mayence,11 octobre 1800.

Page 180: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 157

Napoléon venait d'entrer on campagne et pres-

sait la marche de ses corps d'arméo dans le but

d'écraser la Prusse avant l'arrivéo des forces do

l'empereur de Russie. Il écrit à Joséphino do

Géra, lo 13 octobre, uno lettro qui laisse présager

ses futurs ot éclatants succès •

« Jo suis aujourd'hui à Géra, ma bonne amie;

mes affaires vont fort bien, et tout commo jo

pouvais l'espérer. Avec l'aide do Diou, en peu do

jours, cela aura pris un caractère bien terrible, jo

crois, pour lo pauvre roi de Prusse, quo jo plains

personnellement parce qu'il est bon. La reine est

à Erfurt avec le roi. Si ello veut voir une bataille,

ello aura ce cruel plaisir. Jo mo porte à merveille;

j'ai déjà engraissé depuis mon départ; cependant

jo fais do ma personne vingt ot vingt-cinq lieues

par jour, à cheval, en voiture, de toutes les

manières. Je me couche à huit heures et jo suis

levé à minuit; jo songo quelquefois que tu n'es

pas oncoro couchée. Tout à toi. *>

Lo lendemain 14 octobro 1800 les prévisions

do l'Emporour recevaient uno éclatanto confirma-

tion, car l'arméo prussienne était anéantie à la

célèbre bataille d'Iéna. Du champ do bataille

mémo, Napoléon rendait compto à Joséphine, en

date du 15 octobre, de sa nouvelle victoire :

Page 181: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

158 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

« Mon amio, j'ai fait de belles manoeuvres

contre les Prussiens. J'ai remporté hier uno

grande victoire. Ils étaient cent cinquanto mille

hommes; j'ai fait vingt mille prisonniers, pris

cent pièces de canon ot dos drapeaux. J'étais en

présenco ot près du roi; j'ai manqué do le prendre

ainsi quo la reino. Jo bivouaquo depuis doux

jours. Jo me porto à merveille. Adieu mon amie,

porto toi bien et aimo moi. »

Lo 25 octobre Napoléon faisait son entrée à

Berlin.

Joséphine, pendant co temps, tenait sa cour à

Mayence, entourée do la reino Hortense ot des

deux enfants de cello-ci ainsi quo do la grand©

duchesse Stéphanie do Bado, néo Beauharnais.

Ello s'occupait, avec sa bienveillance coutumière,

d'adoucir la situation des officiers prisonniers ot

do secourir les pauvres blessés. Dans des bulle-

tins datés des champs do bataille Napoléon— no

prenant aucun soin do modérer ses expressions— avait parlé do la reino do Prusso dans des

termes fort durs, la comparant à Armido mettant,

dans sa folio, lo fou à son propre palais. Joséphine,

dont la douceur pleine do bonté était la principale

qualité* avait reproché à son époux ce langage

Page 182: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 159

discourtois, et co dernier y avait répondu—

sachant lui être agréable—

par le récit do la

grAco qu'il avait accordée à madame do Hatzfeld

venue solliciter, auprès do l'Empereur, le salut de

son mari condamné à mort. Cetto circonstance,

qui est toute à l'honneur do Napoléon, est relatée

dans la lettro si connue qu'il écrivit alors à José-

phino et qui so termine par ces mots : a Tu vois

donc que j'aime les femmes bonnes, naïves et

douces ; mais c'est quo celles-là seules te ressem-

blent... »

Malgré lo bonheur qu'éprouvait toujours José-

phino à so trouver réunio à sa fillo bion aimée,

l'éloignoment prolongé do Napoléon, la grande

distance qui le séparait d'elle commençaient à

l'inquiéter ot à lui peser. En 1805, l'année précé-

dente, on a pu remarquer qu'ello avait vivement

souhaité pouvoir rcjoindro l'Empereur à Vienne,

désir qui no fut pas encouragé par celui-ci. Main-

tenant c'est à Berlin qu'ollo formait, auprès do

Napoléon, lo voeu do so rendre. L'Impératrice

adressait en conséquence, dans cetto intention, à

Ménoval, lo secrétaire do l'Empereur, la lettre

qui suit :

Page 183: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

160 L'IMPERATRICE JOSEPHINE.

Mayence,le 26 novembre 1800.

« J'ai reçu avec plaisir, mon cher Mennevalle

(sic), les nouvelles que vous me donnez de l'Empe-

reur, mais je suis surprise qu'il se plaigne de no

pas recevoir de mes lettres, car je lui ai écrit au

moins trois fois par semaine, et je n'ai rien reçu

de lui depuis le 10. Mais je suis heureuse de

savoir que sa santé est bonne et qu'il ne se déplait

pas trop à Berlin. Jo voudrais bien pouvoir en

dire autant do Mayence. L'air même n'y est pas

très bon ot va devenir encore plus mauvais, car

on nous annonce quatre cents Prussiens malades

do la dissenterie (sic).

» Vous me ferez plaisir de rappeler à l'Empe-

reur qu'il a uno réponse à mo faire au sujet du

voyago qu'il mo propose do faire à Berlin. Adieu

mon cher Mennevalle (sic), continuez do mo

donner des nouvelles ot recevez l'assurance de

mes sentiments.

» JOSÉPHINE. »

Ingénieuse à trouver des prétextes pour obtenir

ce qui lui tient à coeur, Joséphine affecte dans

cetto lettro d'avoir reçu — à propos do son

projet do voyago à Berlin — un encouragement

Page 184: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 161

do la part do Napoléon. Elle ne s'aperçoit même

pas qu'elle y demande à son mari de répondre à

une proposition dont l'initiative, à en croire les

expressions de la lettre précitée, appartenait à ce

dernier! Il est plus que probable que l'Empereur

n'eut jamais à cette époque une intention sem-

blable à celle que lui prête Joséphine, car — la

campagne de Prusse terminée — la guerre se

continua avec la Russie, obligeant Napoléon et

son armée à poursuivre leur marcho jusqu'au

coeur de la Pologne.

Page 185: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XII

Chagrin do Joséphino do sa longuo séparation d'avec l'Empe-reur. — Lettres do Napoléon pour la raisonner. — Jalousiedo Joséphino soupçonnant l'admiration do Napoléonpour lesbelles dames de Varsovie.— Premièrescraintes relatives a lapossibilité d'un divorce. — Rôle de Fouchô; son portrait.— Mort du fils atnô de la reine Hortense. —1807.Chagrinde Joséphine et de sa fille. — Portrait d'ilortcnse de Beau-harnais. — Victoires d'Eylau et de Friedland. — Entre-vue et paix de Tilsitt. — Retour do Napoléon.— Maisonde l'Impératrice. — Incartade do Fouchô; il se permet,sans mandat, d'engager l'Impératrice à se prêter h undivorce. —Napoléonà Milan. — 11adopte lo princo Eugène,nommé vice-roi, comme son successeur éventuel au tronod'Italie.

En dépit des objurgations quo lui adressait

l'Empereur pour la dissuader do venir lo rejoindre

on Prusso ot en Pologne, Joséphine no so lassait

pas d'insister auprès de son époux pour obtenir

do lui une autorisation qu'elle sollicitait comme

uno faveur. Son désappointemont so transformait

avec lo temps en un chagrin véritable, et, dans

Page 186: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 163

plusieurs des lettres qu'il lui adressait, Napoléon

s'efforce en vain de la raisonner. Il no nous est

pas possible do reproduire ici la correspondance

tout entiôro de l'Empereur avec Joséphine, cor-

respondance contenue dans la collection Didot

et à laquelle nous avons déjà fait de nombreux

emprunts. Nous nous bornerons à transcrire,

ci-après, la lottro suivante, datée de la fin de

janvier 1807, peu de jours avant la sanglante

victoire d'Eylau :

« Mon amie, ta lettre du 20 janvier m'a fait

delà peine; ello est trop tristo. Voilà le mal de

n'être pas un peu dévote 1 Tu me dis que ton

bonheur fait ta gloire : cela n'est pas généreux;

il faut dire : le bonheur des autres fait ma gloire ;

cela n'est pas conjugal; il faut dire : le bonheur

de mon mari fait ma gloire; cola n'est pas mater-

nel; il faudrait dire : lo bonheur de mes enfants

fait ma gloire; or, comme les peuples, ton mari,

tes enfants ne peuvent être heureux qu'avec un

peu do gloire, il ne faut pas tant en faire fil

Joséphino, votre coeur est excellent et votre rai-

son faible; vous sentez à mervoille, mais vous

raisonnez moins bien. Voilà assez de querelle; je

veux que tu sois gaie, contente do ton sort, et

que tu obéisses, non en grondant et en pleurant»

Page 187: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

164 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

mais do gaieté do coeur, ot avec un pou do bonheur.

Adieu, mon amie; je pars cetto nuit pour par-

courir mes avant-postes. »

Los deux époux no parlaient déjà plus lo mémo

langage. Napoléon no semble, dans cetto lettro,

no se préoccuper quo do sa gloire. Joséphine dut

trouver, au contraire, quo co mot revenait trop

souvent sous la plume do son mari; s'inquiétant

et. s'affiigeant do voir cet infatigablo grand

homme tenter sans relàcho et trop imprudem-

ment la fortune. Los deux femmes do Napoléon

auraient préféré, l'une et l'autre, uno oxistonco

paisible et exempte d'orages aux terribles préoc-

cupations quo no cessaient do leur occasionner

les aventures pourtant si glorieuses do leur

époux !

Avant do rentrer à Paris, lo 31 janvier 1807,

pour obéir aux prescriptions do l'Empereur, José-

phine s'était rendue à Francfort, avec la reino

Hortense et la grando duchesse do Bade, où elles

reçurent, do la part du prince-primat, un accueil

digne de leur rang. Ce fut pendant cotto cam-

pagno do Pologne, qui so termina par les deux

victoires d'Eylau et de Friedland, quo la jalousie

de Joséphine so trouva miso on éveil, non sans

motif sérieux, par do perfides indiscrétions.

Page 188: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 165

Entre temps, l'Empereur était revenu à Varsovie.

« Il y passa tout le mois de janvier 1807, a dit

dans ses Mémoires lo secrétaire du portefeuille

impérial 1. Pendant quo cetto halto procurait du

repos à l'arméo, Napoléon donnait dos fôtos et

des concerts aux dames polonaises. Il ne demeura

pas insensiblo aux charmes do l'une d'elles, dont

la tendrosso et lo dévouement ne se sont pas

démentis aux jours du malheur. » Les inquié-

tudes manifestées par Joséphine, dont il a été

fait mention tout à l'heure, pas plus que ses pres-

sentiments, no l'avaient, cetto fois, induite on

erreur.... Ello écrivait à son mari des lettres

désolées, déclarant qu'ollo aimait mieux mourir

que do supporter, plus longtemps, uno séparation

qui menaçait do s'éterniser.

Il convient d'ajouter qu'il so mêlait, aux

soupçons jaloux de Joséphine, des préoccupa-

tions d'un ordre infiniment plus grave. Les bruits

d'un divorce possible de l'Empereur avaient

recommencé à courir. Fouchô, co dangereux

protégé do la première femme do Napoléon, so

faisait un peu partout le propagateur do ces

rumeurs, qu'il cherchait à accréditer, pour so

1. Mèneval, Mémoirespour servir à l'histoire de Napoléonïet(chez Dentu), t. II, p. 80.

Page 189: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

166 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

donner un rôle important. L'esprit de ruse et

d'intrigue de co personnage, son ingratitude

légendaire, l'empêchaient de se préoccuper do ce

qu'il y avait d'odieux à jouor un pareil rôle

vis-à-vis de sa bienfaitrice. Et un peu plus tard,

dans la seconde moitié do 1807, pendant l'un

des séjours de la cour à Fontainebleau, l'ambas-

sadeur Motternich pourra écrire à Vienne, à pro-

pos do l'impératrice Joséphine :

« J'ai eu l'honneur d'entretenir Votre Excel-

lence 1, dans plusiours do mes précédents rapports,

des bruits depuis longtemps répandus du pro-

chain divorce do l'Empereur. Après avoir circulé

sourdement, ils forment, depuis près do deux

mois, lo sujet do discussions publiques et géné-

rales. Il en est de ces bruits comme do tous ceux

qui ne sont pas détruits dans leur germo; ils

portent sur un fond do vérité, et seraient étouffés

très vite s'ils n'étaient directement tolérés 8. »

Qui pouvait accréditer de pareilles rumeurs, à

Paris, auprès du corps diplomatique étranger?

Talloyrand peut-être ; Fouchô certainement. Il est

intéressant d'observer quo les deux personnages

1. Le comte Stadion, ministre des affaires étrangères d'Au-riche.2. Saint-Amand, LesFemmesdes Tuileries.

Page 190: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 167

do ce temps les plus célèbres par leurs ruses,

leur esprit d'intrigue ot leurs trahisons, étaient

doux anciens membres du clergé, parjures à leurs

serments vis-à-vis do Dieu et de son Église. Lo

portrait de l'un do ces hommes funestes, tà José-

phine autant qu'à Napoléon, trouve donc ici tout

naturellement sa place.

Au physique, Fouché était d'une taille assez éle-

vée, mais d'une maigreur presque étique. Il avait

le teint livide, les yeux éraillôs, petits ot perçants

sous des sourcils d'un roux blafard. On retrou-

vait dans l'ensemble do ses traits beaucoup de

la physionomie de Marat, uno coupe do visago

pareille, avec un regard moins ardent 1. Fouchô

subordonna toute sa vie ses opinions, ses senti-

ments et ses affections, s'il fut jamais capable

d'en avoir de réelles, à son intérêt particulier. Il

n'avait ni principes, ni croyances, marchant vers

le but de son ambition avec la souplesse et la dis-

simulation d'un félin. Il possédait l'art do cir-

convenir si parfaitement ceux qu'il so proposait

d'abuser, qu'il semblait pénétrer jusqu'au fond

do leur pensée la plus secrète.

Lo pouvoir!..! telle était l'idée fixe de Fouchô.

t. Écrit d'après les notesd'un contemporaindu duc d'Otrante.

Page 191: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

168 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE-,

Pour en être investi ot pour lo conserver, quen'aurait-il pas sacrifié? N'ayant jamais aimé per-

sonne, n'étant attaché à qui quo ce soit, aucun

scrupule no lo retenait, aucun obstacle ne lo rebu-

tait. Pour garder dans l'Etat uno place prépondé-

rante, il .se 3erait volontiers résigné à perdre sans

retour ses agents les plus dévoués ou ceux qui

avaient la naïveté de so croire ses meilleurs amis.

Intrigant sans foi ni scrupules, Foiiché voulait

être de tout, se mêler do tout, pénétrer co-qu'on

lui cachait, prendre ses précautions contre les

hommes au pouvoir, accusant confidentiellement,

dans ses entretiens avec ceux contre lesquels il

avait lui-même provoqué des rigueurs, le chef

de l'Etat d'en être l'éditeur responsable. Voulant

tout savoir, tout mener, tout prévoir, bas avec

l'Empereur et no lo heurtant jamais, co person-

nage fécond en ressources avait soin de so ména-

ger des garanties pour l'avenir, lorsqu'il exécu-

tait un ordre du souverain. Mentour, impudent,

avec un air de franchise ot d'indépendance, il

recherchait des créatures et des partisans jusque

parmi les ennemis du gouvernement dont il se

prétendait le meilleur soutien. Insolent dans lo

succès, Fouchô se dispensait mémo d'observer les

convenances élémentaires vis-à-vis du malheur.

Page 192: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 169

Après la deuxième abdication de Napoléon, par.

exomplo, il entrait dans le cabinet do l'Empereur,

le chapeau sur la tête,, en qualité do président du

gouvernement provisoire. Il déclarait à co princo

qu'il avait donné pour instruction aux commis-

saires désignés par les Chambres do tout accep-

ter sauf les Bourbons, alors qu'il négociait au

contraire avec Wellington pour favoriser leur

retour.

Le portrait du duc d'Otranto serait incomplet

si l'on négligeait d'y ajouter encore quelques

traits caractéristiques :

Sans trahir ouvertement les différents pouvoirs

qu'il a servis, Fouché so mettait en mesure avec

l'avenir en désertant, lo premier, la cause do.

ceux qu'il voyait disposés à s'abandonner eux-

mêmes. Sans autres vues politiques que son inté-

rêt personnel, sans prévoyance sagace des événe-

ments du lendemain, il était la plupart du temps

aveuglé par son égoïsmc. Sa perfidie naturello

n'avait même pas l'excuso d'êtro provoquée par

la rancune ou lo désir de la vengeance/ puisqu'il

n'aimait ni no haïssait on réalité personne. Un

besoin perpétuel d'intrigue était le mobile princi-

pal do toutes ses actions, parce qu'il était mécon-

tent do tous ceux qu'il servait, trouvant qu'on ne

Page 193: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

170 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

lui accordait jamais ni assez de pouvoir ni assez

d'argent.

Révolutionnaire féroce au début, mais ensuite

affamé de titres et d'honneurs, Fouchô flattait le

faubourg Saint-Germain et finissait par épouser

une demoiselle de Casteîlane, voulant faire oublier

qu'il avait, autrefois, fait mitrailler les partisansde l'aristocratie par centaines, dans le but de se

rendre agréabh au Comité de Salut Public.

Malgré son habile tant vantée, il no laissait pas

de s'embarrasser . uvent lui-même dans ses

propres pièges. Infatué de ses talents et do son

propre mérite, co régicide crut qu'il dominerait

Louis XVIII, et quo ce prince accepterait, sans

arrière-pensée, les services intéressés quo lo duc

d'Otrante avait la prétention do lui faire agréer.

Mais Fouchô so vit bientôt inliiger, par le succes-

seur do Napoléon, qu'il avait trahi en faveur des

frères de Louis XVI, lo plus cnrol châtiment do

ses infamies. Lo nouveau souverain do la Franco

se luUa d'envoyer en effet, co dangereux intrigant

on qualité do ministre do Franco à Dresde, auprès

du roi Frédéric-Auguste, qui no voulut u êmo pas

recevoir l'homme qui avait été l'un des bourreaux

do la famille royale en 93. lleléguô d'abord à

Prague, abandonné par tous les partis qu'il avait

Page 194: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 171

successivement dupés et trahis, Fouchô est mort

en exil de rage et do dépit en 1820.

Tandis que la guerre contre les Busses so

poursuivait avec une lenteur relative, quelques

semaines avant la décisive victoire de Friedland,

un grand malheur vint frapper lo coeur, si tendro

pour les siens, do l'impératrice Joséphino, et

anéantir la malheureuse reine Hortense. Co fut la

mort du princo royal do Hollande, frère alnô de

Napoléon III, mort survenue lo 5 mai 1807. La

douleur do Joséphino fut arrière, celle de la reino

Hortense déchirante. Toujours remplie do solli-

citude, la première se hâta de so rendre au châ-

teau do Laeken pour y attendre sa malheureuse

fillo, à laquelle elle prodigua les plus tendres

soins et les plus utiles consolations. Napoléon

lui-même, occupé do la campagne qu'il poursui-

vait sur los frontières de la llussie, prit à son

tour uno vivo part au chagrin do Joséphine et des

parents do son jeune neveu. Les lettres de sa

correspondance en portent d'ailleurs le témoi-

gnage. On supposait àNapoléonl'intention défaire

de co jeune prince son héritier présomptif, car il

avait du plaisir à lo faire venir en sa présence et

s'amusait assez souvent à prendre part à ses jeux.

La reine Hortense demeura longtemps incon-

Page 195: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

172 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

solable do la mort do son fils chéri ; mais, puisque

le nom de la fille do Joséphino revient sous notre

plumo, il n'est pas sans intérêt do placer, sous les

yeux du lecteur, le portrait qu'a tracé d'elle ma-

dame d'Abrantès dans les Mémoires qu'ollo nous

a laissés :

« Elle (Hortense) était gaie, douce, parfaite-

ment bonne, d'un esprit fin qui réunissait cotte

gaieté douce avec assez do malice pour ôtro fort

piquant et rendre sa conversation désirable; pos-

sédant des talents qui n'avaient nul besoin d'être

vantés pour être connus. Sa charmante manière

do dessiner, l'harmonie de ses chants improvisés,

son talent remarquable pour jouer la comédie,

une instruction soignée, voilà co qui se trouvait

dans Hortense de Beauharnais en 1800, à l'époquede mon mariage. Alors elle était uno charmante

jeune fille; depuis elle est devenue uno des plus

aimables princesses de l'Europe. »

La mort cruelle du petit-fils de l'impératrice

Joséphine réconcilia momentanément ses affligés

parents. Ils se rendirent ensemble en automne,

aux eaux dans les Pyrénées et, au mois d'avril

de l'année suivante (1808), la reine Hortense don-

nera le jour à son troisième fils, le futur empe-

reur, Napoléon III.

Page 196: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 173

La victoire de Friedland (U juin 1807) aprè*

colles d'Iéna, d'Auerstaedt et d'Eylau avait enlîn

décidé l'empereur Alexandre et lo roi do Prusso

à signor la paix, ot, lo 19, Napoléon envoyait à

l'impératrice Joséphino lo joune Louis Taschcr,

cousin do celle-ci, pour la lui annoncer :

« Mon amie, écrivait Napoléon, jo viens do

voir l'empereur Alexandre; j'ai été fort content

de lui : c'est un fort beau, bon et jeune empereur;

il a de l'esprit plus qu'on no pense communé-

ment. Il vient loger en ville à Tilsitt demain. »

Malgré les bruits de divorce qui circulent tou-

jours on pourra encore observer dans une lettre

do Napoléon à Joséphine, en date du 18 juillet,

après la signature de la paix, que l'Impératrice

n'a pas perdu sa place dans le coeur de son mari :

« Mon amie, lui mande-t-il, je suis arrivé hier

à cinq heures du soir à Dresde, fort bien portant,

quoique jo sois resté cent heures en voiture sans

sortir. Je suis ici chez le roi de Saxo dont je suis

fort content. Jo suis donc rapproché de toi de

plus de moitié du chemin. Il se peut qu'une de

ces belles nuits, jo tombe à Saint-Cloud comme

un jaloux; jo t'en préviens. Adieu mon amie,

j'aurai grand plaisir à te voir. Tout à toi.

» NAPOLÉON. »

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171 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Il somblo avéré cependant qu'à Tilsitt, à la

suito do sos entretient intimes avec l'empereur

do Russie, l'idéo d'un divorco éventuel dut tra-

verser plus d'uno fois l'esprit do Napoléon. Ayant

complètement abandonné, depuis les événements

do 1806, lo rôvo qu'il avait caressé d'uno ontonto

étroito avec la Prusse, l'Empereur, séduit par les

grâces d'Alexandre, nourrissait l'espoir d'y substi-

tuer uno alliance intime ot durable avec la Hussio.

11 avait compté sans son hôte, dont les manières

enveloppantes lui avaient donné le change, mais

qui ne mettait pas, dans les témoignages do

sa cordialité, uno sincérité semblable à celle do

Napoléon.

L'Empereur, auréolé d'uno nouvelle gloire,

rentra à Paris lo 28 juillet au milieu des accla-

mations des foules enthousiastes. L'année 1807

marque le point culminant do la grandeur de

l'Empire. Dès les premiers temps de son retour

Napoléon so préoccupa de mettre la dernière main

à l'organisation de la cour impériale. Nous nous

occuperons spécialement du service d'honneur

do la maison do l'impératrice Joséphine qui, dit

M. Aubenas, fut ainsi composé : premier aumô-

nier : M. Ferdinand de Rohan, ancien archevêque

do Cambrai; dame d'honneur, madame Chastulé

Page 198: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 175

do la Rochefoucauld; damo d'atours, madamo

do Lavalotto; damos du Palais : mesdames do

Rômusat, do Luçay, do Talhouët, do Lauriston,

maréchale Noy, d'Arberg, maréchale Lannes,

Duchàtol, Walsh-Serrant, do Colbert, Savary,

Octave et Philippe de Ségur, do Turenno, Mon-

talivet, do Rouillé, do Vaux, Marescot, de Peron,

Solar, Lascaris-Vintimiglia, do Rrignole, do Gen-

tille, do Canisy, do Chovreuse, Maret, Victor do

Mortemart, et Montmorency-Matignon. Huit

chambellans furent attachés au servico de l'Impé-

ratrice. Le général Nansouty remplissait les fonc-

tions de premier chambellan; los autres étaient

MM. de Reaumont, Hector d'Aubusson, La Feuil-

lade, do Galard-Réarn, do Saint-Simon-Courte-

mer, do Grave, do Montesquiou et du Manoir.

M. d'Harvillo, sénateur, fut nommé chevalier

d'honneur; le général Ordener, premier écuyer;

les colonels Fouler et Corbineau écuyers.

Au mois de septembre do la mémo année, l'Em-

pereur, et l'Impératrice se transportèrent à Fon-

tainebleau, où ils firent un séjour de trois mois

dans co palais embelli par les soins de Napoléon,

qui y tint une cour brillante. Le corps diploma-

tique et des étrangers de marque y furent admis et

des fêtes somptueuses données, pour célébrer lo

Page 199: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

176 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

mariage du nouveau roi do Westphalio avec la

princesse Catherino do Wurtemborg.

C'est ici quo doit trouver placo lo récit do l'in-

cartado de Fouché, dont on se souviendra peut-

être qu'il a déjà été fait mention. Lo directeur

des postes sous lo premier Empire, M. de Lava-

letto, mari d'une nièce do Joséphine, a rapporté;

dans ses Mémoires, l'incident dont Fouchô fut

le pernicieux promoteur. L'ancien directeur des

postes raconte comment, un jour, l'impératrice

Joséphino l'ayant fait appeler, il trouva celle-ci

fort abattue, le visage altéré, et qu'elle lui fit

part de la conversation qu'elle venait d'avoir avec

le duc d'Otrante. Ce dernier aurait abordé l'Impé-

ratrice en lui disant qu'il était devenu nécessaire

qu'elle donnât à la France et à l'Empereur un

grand témoignage de dévouement. Puis, s'expli-

quant plus clairement, il laissa entendre à José-

phine que l'Empereur avait à toute force besoin

d'obtenir un héritier de son sang; qu'au bout de

dix années de mariage l'Impératrice no pouvait

plus conserver l'espoir de lui en donner, et que

celle-ci était par conséquent devenue le seul

obstacle à la consolidation du trône de son époux.

Fouché ajouta ensuite que cette situation impo-

sait à l'Impératrice la nécessité d'accomplir un

Page 200: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 177

grand sacrifice. Il savait, disait-il, combien serait

cruel pour Joséphine un pareil acte d'abnéga-

tion, mais connaissait assez l'élévation de senti-

ments dont elle était douée pour être porsuadué

qu'elle saurait s'y résigner, « L'Empereur, pour-

suivit-il, ne consommera pas lui-mêmo ce sacri-

fice; jo connais son attachement pour vous. Soyez

plus grande qu'il n'est grand, et donnez ce dernier

gage do votre dévouement à la patrie et à l'Empe-

reur; l'histoire vous en tiendra compte, et votre

place y sera marquée au-dessus des femmes les

plus illustres qui ont occupé le trône de France. »

L'Impératrice demeura, paraît-il, si déconcertée,

d'après son propre témoignage, de cette inqua-

lifiable ouverture, qu'elle ne sut répondre à son

interlocuteur quo par des paroles décousues et

vagues, a Conseillez-moi donc, aurait-elle dit à

Lavalette, vous qui m'êtes attaché comme parent

et comme homme dévoué. N'est-il pas évident que

Fouchô est envoyé par l'Empereur et que mon

sort est décidé? Hélas! descendre du trône est

peu de chose pour moi; qui sait plus que moi

combien j'y ai répandu do larmes? Mais perdre

en même temps l'homme à qui j'ai consacré mes

plus chères affections, le sacrifice est au-dessus

de mes forces ! »

12

Page 201: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

178 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

Méneval, le secrétaire intime do l'Empereur, a

laissé de son côté, dans ses Mémoires, uno note

qui so réfère au même incident 1.

« Dès la fin de 1807, nous dit-il, Fouchô avait

essayé de sonder l'opinion publique sur une

éventualité de divorce, et il avait jeté en avant

l'idéo d'uno alliance de Napoléon avec la grande

duchesse Catherine de Russie. Il savait quo l'Em-

pereur avait de la répugnance à séparer son sort

do celui d'une femme aimanto et dévouée. Il

voulut so donner le mérite do lui forcer la

main, ot parla à des sénateurs du divorce comme

d'un projet arrêté, enfin il se présenta à José-

phine comme un intermédiaire officieux. L'Im-

pératrice, atterrée do cette ouverture, croyant

Fouché envoyé par l'Empereur, répondit avec une

résignation douloureuse qu'aucun sacrifice ne lui

coûterait pour obéir à son époux. Napoléon, qui

ignorait ces menées, trouva un jour Joséphine

en pleurs et en obtint l'aveu de la démarche quo

Fouché s'était permiso auprès d'elle. Outré de

tant d'audace, il fit venir le ministre et le traita

comme il méritait de l'être; il lui aurait même,

à l'instant, retiré le portefeuille de la police s'il

1.Mémoirespour servirà Vhistoirede NapoléonI" (chez Dentu),t. II, note de la page 284.

Page 202: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 179

eut eu, en ce moment, quelqu'un sous la main.

Fouché fit agir Murât et les frèros de l'Empereur

qui calmèrent son ressentiment. » Fouché, devait

beaucoup à Joséphine, a dit avec raison M. Au-

benas. Il usa, dans cetto circonstanco, do cotte

ingratitude intrépide qui est le propre des ambi-

tieux, qui veulent à tout prix arriver ou so main-

tenir, race facile à la trahison, que les bienfaits

ne gagnent point, car quoi que ce soit qu'ils

obtiennent, c'est toujours peu pour leurs insa-

tiables désirs. Le ministre de la police avait fait

parler une opinion factice. On no demandait

nulle part, du moins à cette date, le divorce de

l'Empereur. L'impératrice Joséphine était plus

quo jamais populaire.

Le divorce n'était pas encore arrêté dans l'es-

prit do Napoléon qui n'eut voulu, sous aucun

prétexte, infliger à l'infortunée Joséphine une

douleur prématurée, mais au contraire eut

désiré lui épargner la menace, toujours sus-

pendue sur sa tête, d'une séparation éventuelle.

Après cette nouvelle alerte, Joséphine retrouva

donc, en partie du moins, son calme et sa sécu-

rité ; mais un nouveau deuil devait la frapper à

la fin de 1807. Sa mère, madame de la Pagerie,

qu'elle avait vainement tenté d'attirer en France

Page 203: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

180 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

auprès d'elle, était morte longtemps avant que

l'avis do son décès put êtro transmis à l'Impé-

ratrice, dont Napoléon avait voulu ménager la

la sensibilité.

En novembre l'Empereur alla visiter son

royaume d'Italie, mais sans emmener avec lui

l'Impératrice qui aurait bien voulu l'y accom-

pagner. Ce fut au cours do co voyage que Napo-

léon, voulant donner à Joséphino et à ses enfants

uno preuve manifeste de son affection, adopta

solennellement lo prince Eugène pour son suc-

cesseur à la couronne d'Italie. Enfin, au mois de

janvier 1808 l'Empereur, toujours désireux de

donner des gages de bienveillant intérêt à la

famille de sa femme, favorisera le mariage d'une

nièce de Joséphine, mademoiselle Stéphanie

Tascher, avec le prince d'Arenberg, colonel d'un

régiment français.

Page 204: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XIII

1808. L'attention de Napoléon attirée sur les événements d'Es-pagne. — Entrevue de Rayonne et séjour à Marrac. — L'im-pératrice Joséphine obtient l'autorisation d'y accompagnerl'Empereur. — La reine Marie-Louised'Espagne. — Retour àSaint-Cloudpour le 15août. —Entrevue d'Erfurt. —Campagnede Napoléon en Espagne. — Lettres de Napoléonà Joséphine.— L'Autriche adopte une attitude hostile. — Préparatifs deguerre de l'Empereur. — Joséphine &Strasbourg. — Légèreblessure de Napoléon à Ratisbonno. — Lettres & Joséphinepour la rassurer (collectionDidot).— Rôle du prince Eugène.—Nouvelleslettres de l'Empereur à l'Impératrice. — Victoirede Wagrara. — Armistice suivi de la conclusion de la paix.-• Tentative d'assassinat sur Napoléon.—Nouvelles penséesde divorce.

Trois mois de repos dans l'existence agitée et

démesurément active à laquelle était accoutumé

l'empereur Napoléon lui faisaient paraître le

temps bien long. Malheureusement pour lui, dès

le début de l'année 1808, les événements qui se

déroulaient en Espagne ne tardèrent pas à fixer,

sur ce pays, toute son attention. Le faible roi

Charles IV et la reine sa femme, instruments

Page 205: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

182 L IMPERATRICE JOSEPHINE,

dociles aux mains du trop fameux Godoï, princo

do la Paix, avaient soulevé contro eux lo senti-

ment populairo espagnol. L'héritier du trôno, le

princo Ferdinand, adversaire déclaré de Godoï,

s'était placé à la têto des mécontents, et les plus

fâcheuses dissensions divisaient la famille royale.

L'Empereur, qui rêvait de remplacer, sur tous les

trônes, les Rourbons par des mombres de sa

propre famille, crût trouver dans la situation de

l'Espagne un prétexte favorable pour intervenir

dans ces démêlés. Il eut le tort do prendre le

parti du plus faible, c'est-à-dire du vieux souve-

rain de l'Espagne, car, s'il eût pris celui de Ferdi-

nand, il est probable qu'il aurait rallié autour de

lui tous les Espagnols. Il est à supposer que le

caractère hypocrite et bas de Ferdinand empêcha

Napoléon — dès qu'il eut jugé ce prince— de se

prononcer en faveur de sa cause. Si la nature

avait pu douer Ferdinand d'un ensemble de qua-

lités entièrement contraires à celles qu'il possé-

dait, de grands malheurs auraient sans doute été

épargnés à la France comme à l'Espagne...

Quoiqu'il en soit l'Empereur prit la résolution,

qui allait lui devenir si fatale, de s'immiscer dans

les affaires de la Péninsule, et donna l'ordre, à

Murât, placé à la tête d'une nombreuse armée,

Page 206: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPÉRATRICE JOSEPHINE. 183

do franchir les Pyrénées. Le 2 avril Napoléon,

accompagné do l'Impératrice, partit lui-môme

pour Rayonne, ville frontière où il avait donné

rendez-vous aux princes espagnols. L'Empereur

so sépara de Joséphine, à Rordeaux, où il laissa

cetto princesso, n'ayant pas eu primitivement lo

projet de la faire assister aux conférences de

Rayonno 1. Arrivé le 15 dans cetto ville, Napo-léon s'occupa immédiatement de faire aménager

lo château do Marrac où il voulait recevoir la

famillo royale d'Espagne, et dont l'impératrice

Joséphine allait être chargée de faire les hon-

neurs au roi Charles IV et à la reine.

C'est à Rordeaux, dans le courant de ce mois

d'avril 1808, que Joséphine reçut la nouvelle de

la naissance du troisième fils de la reine Hor-

tense, le futur Napoléon III, né le 8 avril 1808 à

Paris. L'Impératrice, ravie do cet heureux événe-

1. Un lettre de Ménovalà sa femme en date du 5 avril 1808est à citer à ce propos : Bordeaux.« Je compte que nous passe-rons ici deux jours et que nous continuerons notre chemin surBaronne. L'Impératrice doit venir ici dans trois ou quatrejours. Elle devait d'abord rester à Paris et elle en était bienchagrine. Elle avait chargé M. Deschamps (son secrétaire) det'allcr chercher mardi, qui est aujourd'hui, et de t'amenerpasser la journée avec elle, à Malmaison, où elle devait êtreseule. Mais, au moment de monter en voiture, l'Empereur aconsenti à ce qu'elle vint à Rordeaux. Tu te figures sa joie.Elle était plus heureuse que toi!... »

Page 207: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

184 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

ment, écrivait de Rordeaux à sa fille Hortense le

25 avril :

a Je reçois, ma chèro Hortense, uno lettre de

J'Emporour qui m'annonce qu'il avait appris que

tu étais accouchée d'un garçon et qu'il en avait

éprouvé uno très grande joio. L'Empereur me

mande, on mémo temps, do venir le retrouver à

Rayonne ; tu juges, ma chèro fille, que c'est un

grand bonheur pour moi de ne pas quitter l'Em-

pereur; aussi je pars demain de grand matin. »

Le contentement de Napoléon et de Joséphine

eût été bien plus grand, a dit justement M. Aube-

nas, s'ils avaient pu prévoir que cet enfant était

destiné à relever, un jour, la dynastie impériale.

Le séjour de la Cour à Rayonne et à Marrac se

prolongea pendant trois mois. Le roi Charles IV

et la reino, précédés par leur fils ainô lo prince

Ferdinand, étaient arrivés à Rayonne le 30 avril,

suivis de différents hauts personnages espagnols

et de leur cher ami et favori Godoï. On y avait

préparé aux vieux souverains une magnifique

réception. L'effet que durent produire sur l'élé-

gante cour do l'Empereur et de l'Impératrice,

leurs équipages et leurs modes surannés, fut pro-

bablement celui d'un assez haut comique. L'on

conçoit assez bien, par conséquent, le. propos

Page 208: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 185

tenu en 1814 par l'archiduc Jean à l'impératrice

Marie-Louise à Vienne, lorsque, faisant allusion

au roi Charles, à sa femme et à Godoï, réfugiés à

cette époque à Vérone, le prince autrichien assu-

rait qu'il allait contempler, dans cot'o dernière

ville, une ménagerie très célèbre!

L'impératrice Joséphino employa toutes ses

grâces et tous ses moyens de séduction à consoler

la mère du prince Ferdinand, et à adoucir —

autant qu'il dépendait d'ello — l'amertume du

sort réservé à ces vieux souverains. Elle fit sur-

tout la conquête de la vieille reine, à laquelle elle

no cessa pas de témoigner les égards les plus

touchants. Joséphine sut aussi intéresser et dis-

traire cette princesse en lui donnant des leçons de

toilette française. Elle lui procura les bons offices

de son célèbre coiffeur, Du pi an, ce qui enchanta

la reine espagnole, dont la tournure d'esprit pué-

rile s'accommodait à merveille de semblables

occupations et so repaissait de frivolités.

Nous ne saurions entreprendre ici la tâche de

raconter les péripéties du mélodrame de Rayonne

qui ne concerne que très indirectement José-

phino, et qui se termina, comme on le sait, par

la prise de possession éphémère du trône de

Philippe II par le roi Joseph Bonaparte. Le

Page 209: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

186 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

transfert en France des princes de la dynastie

espagnole des Rourbons on fut la conséquonce

immédiate La veille do la fête de Napoléon, le

14 août, l'Empereur et l'Impératrice rentraient à

Saint-Cloud. Ils y revenaient l'un et l'autre dans

des dispositions moins riantes qu'au moment de

leur départ pour Rayonne : Napoléon fort irritô

de la désastreuse affaire de Raylen, dont il avait

appris la nouvelle en chemin, —Joséphine péni-

blement affectée de l'occupation de Rome par

les troupes françaises et de l'attitude regrettable

adoptée par son époux vis-à-vis du vénérable

Pie VII.

Jusqu'à co jour aucun sombre nuago n'était

venu obscurcir l'étoile de Napoléon. A partir de

cette fin d'année 1808 les étapes glorieuses qu'il

lui reste à parcourir seront mêlées de revers et

de peines secrètes. Il regrettera plus tard, à Sainte-

Hélène, les fautes commises, la guerre d'Espagne,

la persécution infligée au Pape, enfin d'avoir

abandonné Joséphine. Avant l'entrevue d'Erfurt

qui so préparait pour lo mois d'octobre, il n'avait

jamais été sérieusement question do cet abandon.

A Erfurt au contraire les idées de divorce, qui

traversaient parfois l'esprit do Napoléon et y

Page 210: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 187

reparaissaient comme un leit-moliv, prirent une

consistance beaucoup plus sérieuse. Napoléon

avait voulu sondor les dispositions d'Alexandre

avant de s'engager à fond dans l'entreprise péril-

leuse dont la couronne d'Espagne allait devenir

l'objet. A Erfurt une grande intimité présidait

aux relations du souverain de la France avec

l'autocrate russe, « Ce redoublement d'intimité,

dit M. Aubenas, était loin de sourire à l'impéra-

trice Joséphine, car on voulait y voir, et elle le

savait, l'ayant-coureur d'une union entre l'Empe-

reur et une princesse russe. M. de Ménoval

affirme, en effet, que l'empereur Alexandre offrit

à Erfurt à s-n puissant allié, la main de la prin-

cesse Anne, sa soeur, et que celui-ci se borna à

écouter la proposition sans faire de réponse posi-

tive. Évidemment, ot cette grandeur d'Erfurt y

poussait, la pensée d'un divorce cheminait dan

son esprit, mais il n'était point encore décidé à

l'accomplir 1. »

Napoléon, en quittant Erfurt, no fit pour ainsi

dire que traverser Paris pour se rendre aussitôt

en Espagne ot faire peu de temps après son entrée

à Madrid. Soit pressentiment, soit conscience du

1. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. H, p. 434.

Page 211: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

188 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

danger quo courait l'Empereur dans cette aven-

ture incertaine, Joséphine l'avait vu partir avec

chagrin. Contrairement à sa réserve habituelle,

quand il s'agissait d'opérations de guerre, l'Impé-

ratrice aurait supplié cette fois son époux de

mettre un terme à ses entreprises guerrières indé-

finiment renouvelées. Elle avait perdu sa confiance

du début dans l'invincibilité du vainqueur de

l'Europe et redoutait l'avenir. Les puissances

ennemies de l'empire français, et domptées

momentanément, n'allaient-elles pas profiter de

son absence à l'extrémité du Continent et de ses

embarras en Espagne pour tenter de venger leurs

précédentes défaites?

La correspondance de Joséphine avec son mari

contenait probablement les traces do ces appréhen-

sions, car lo 9 janvier 1809 Napoléon lui écrit :

ce Moustache 1m'apporte une lettre de toi du

31 décembre, Jo vois, mon amie, que tu es triste

et quo tu as do l'inquiétude très noiro. L'Autriche

ne me fera pas la guerre. Si ello me la fait, j'ai

cent cinquanto millo hommes en Allemagne et

autant sur lo Rhin, et quatre cent mille Allemands

pour lui répondre. La Russie ne se séparera pas

1. Nomd'un courrier do l'Empereur.

Page 212: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 189

de moi. On est fou à Paris. Tout marche bien.

Je serai à Paris aussitôt que je le croirai utile.

Je te conseille de prendre garde aux revenants.

Un beau jour à deux heures du matin... Mais

adieu, mon amie, je me porte bien ot je suis tout

à toi. »

Les pressentiments comme les craintes de l'im-

pératrice Joséphine ne l'avaient pourtant pas

trompée. L'Autriche faisait de nouveaux prépa-

ratifs de guerre et multipliait ses armements.

Rientôt cette puissance lèvera le masque et

envahira la Ravière, provoquant ainsi la célèbre

campagne do 1809.

Napoléon, avisé de cetto attitude hostile ot des

mauvais dessoins de sa vieille ennemie, rentra

précipitamment à Paris lo 23 janvier, ot, au bout

do deux mois, avait terminé ses préparatifs de

guerre. Il partit vers le milieu du mois d'avril

pour rejoindre son quartier général en Allemagne,

laissant à Strasbourg l'Impératrice qu'il avait

emmenée avec lui.

Joséphino so morfondait à Strasbourg pendant

cetto campagne ot sentait redoubler ses alarmes.

Le 7 mai elle écrivait de cette ville au secrétaire

de l'Empereur :

« Jo regrette, mon cher Mennevol (sic), do

Page 213: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

190 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

n'avoir pu voui témoigner plus tôt combien je

suis sensible à votre attention à me donner sou-

vent des nouvelles de l'Empereur. Je dois à votre

exactitude le peu de calme que j'éprouve. Il y a

cependant plusieurs jours que je n'ai pas reçu

aucune lettre du quartier général...

s Adieu, mon cher Menneval (sic), recevez

l'assurance de l'attachement que je vous porte.

» JOSÉPHINE. »

L'Impératrice avait été inquiète et effrayée du

bruit qu'on avait répandu relativement à la

blessure reçue par Napoléon au siège de Ratis-

bonno.

Pour la rassurer ce dernier lui adressait le

billot suivant en date du 6 mai :

« Mon amie, j'ai reçu ta lettre. La balle qui

m'a touché ne m'a pas blessé; elle a à peine rasé

le tendon d'Achille. Ma santé est fort bonne; tu

as tort de t'inquiéter. Mes affaires vont bien. Tout

à toi. »

Après la prise de Vienne et l'arrivée de-l'armée

du prince Eugène sur le Danube, Napoléon ren-

dait compte a Joséphine, par une lettre en date

du 27 mai dos événemonts militaires :

« Je t'expédie un page pour t'apprendre qu'Eu-

Page 214: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 191

gène m'a rejoint avec toute son armée ; qu'il a

rempli parfaitement le but que je lui avais

demandé; qu'il a presque entièrement détruit

l'armée ennemie qui était devant lui. Je t'envoie

ma proclamation à l'armée d'Italie qui te fera com-

prendre tout cela. Je me porte fort bien. Tout à toi,

» P.-S. — Tu peux faire imprimer cette pro-

clamation à Strasbourg, et la faire traduire en

français et en allemand, pour qu'on la répande

dans toute l'Allemagne. Remets au page qui va à

Paris une copie de la proclamation. »

Lo 31 mai l'Empereur annonce à l'Impératrice

la mort du maréchal Lannes, tué à Essling, en

ces termes :

«... La perte du duc de Montebello, qui est

mort ce matin, m'a fort affligé. Ainsi tout finit!..,

Adieu, mon amie. Si tu peux contribuer à con-

soler la pauvre maréchale, fais-le. Tout à toi. »

L'Impératrico à ce moment, Je préparait à

quitter Strasbourg pour aller faire une saison

d'eaux à Plombières et, le 7 juin, ello écrivait au

secrétaire de l'Empereur la lettre qui suit :

Strasbourg, le 7 juin 1809.

« Je mo propose, mon cher Méneval, de partir

pour Plombières lundi 12 de co mois. Je serai,

Page 215: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

192 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

pendant mon séjour aux eaux, encore plus loin

des nouvelles qu'ici. Je compte sur votre exacti-

tude ordinaire pour ne me laisser rien ignorer

de ce qui m'intéresse. Vous pouvez continuer

d'adresser vos lettres à Strasbourg, le directeur

de la poste me les fera parvenir à Plombières.

Votre femme se propose aussi do prendre lés

mêmes eaux, ce qui me fait grand plaisir, car elle

est fort aimable. Adieu, mon cher Méneval,

recevez l'assurance des sentiments que vous me

connaissez pour vous.» JOSÉPHINE. »

Le fils de Joséphine, placé par Napoléon à la

tête de l'armée destinée à opérer en Italie, se dis-

tinguait particulièrement au cours de cette cam-

pagne. Il pénétrait bientôt jusqu'en Hongrie où

il remportait sur les Autrichiens de grands succès.

Sa mère avait le droit d'en être fière et recevait

à ce propos de l'Empereur les lignes suivantes :

« Je t'expédie un page pour t'annoncer que

le 14 (juin) anniversaire de Marengo, Eugène a

gagné une bataille contre l'archiduc Jean et

l'archiduc Palatin à Raab en Hongrie ; qu'il leur

a pris trois mille hommes, plusieurs pièces de

canon, quatre drapeaux, et les a poursuivis fort

loin sur le chemin de Rude. »

Page 216: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 193

Trois semaines plus tard Napoléon terminait

encore par une victoire décisive, celle de Wagram,

cette guerre que le cabinet de Vionne avait pro-

voquée. Le 7 juillet à cinq heures du matin, il

annonçait ce grand fait d'armes à l'Impératrice :

« Je t'expédie un page pour te donner la bonne

nouvelle de la victoire d'Ebersdorf que j'ai rem-

portée lo 5, et de celle de Wagram que j'ai rem-

portée le 6. L'armée ennemie fujt en désordre et

tout marche selon mes voeux. Eugène se porte

fort bien. Le prince Aldobrandini est blessé, mais

légèrement. Ressières a eu un boulet qui lui a

touché lo gras de la cuisse; la blessure est très

légère. Lasallo a été tué. Mes pertes sont assez

fortes mais la victoire est décisive et complète.

Nous avons plus de cent pièces de canon, douze

drapeaux, beaucoup de prisonniers. Je suis brûlé

par le soleil. Adieu mon amie, je t'embrasse.

Rien des choses à Hortense. »

Le 9 juillet, à deux heures du matin, Napoléon

complète ces renseignements par un billet fort

court :

« Tout va ici selon mes désirs, mon amie. Mes

ennemis sont défaits, battus, tout à fait en

déroute. Ils étaient très nombreux, je les ai

écrasés. »

13

Page 217: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

194 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

A la suite d'un armistice conclu le 13 juillet,

les négociations entamées pour la conclusion do

la paix se prolongèrent pondant uno période

d'environ trois mois, quo Napoléon passa à

Schonbrunn ou à Vienne.

Pendant co temps l'impératrico Joséphine, triste

et préoccupée, comme en 1807, vivait retirée à

la Malmaison depuis son retour de Strasbourg et

do Plombières 1. Les nouvelles qui lui parve-

naient do Vienne n'étaient guère de nature à la

tranquilliser. La tentative de meurtre dirigée con-

tre Napoléon, par un étudiant allemand du nom

de Staaps, l'avait vivement émotionnée. Voici co

qu'a raconté, dans ses Mémoires, à propos do

cetto tentative, Méneval lo secrétaire de l'Empe-

reur :

« Il est très probable quo la signature de la paix

fut hâtée par un événement qui produisit sur

Napoléon uno'vivo impression, quoiqu'il affectât

do no pas la laisser paraître. Un jour d'octobre, à

1.Dansune lettre, datée du 28septembre 1809,Méneval,écri-vant do Schônhrunn à sa femme, s'étonno d'un bruit quocelle-ci a entendu répéter chez l'impératrice Joséphine, bruitdont elle avait précédemmentrenvoyé l'écho a son rm.ri.D'aprèsce qu'on racontait, dans l'entourage de l'Impératrice, le princeEugène devait so voir proclamer roi de Pologne, et Joséphine,paralt-il, no semblait pas éloignée d'y croire. Ce bruit ne repe*sait sur aucun fondementsérieux.

Page 218: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 195

Schonbrunn, pendant que les troupes défilaient

devant lui à la parade de midi, un jeune homme

chercha à s'approcher de l'Empereur. Cet individu

tenait dans une main un papier qu'on prit pour

une pétition. On lui dit de la remettre à l'aide de

camp de service qui était le général Rapp, mais

il répondit qu'il voulait parler à Napoléon; tou-

jours repoussé, il revenait toujours à la charge.

Cette insistance parut suspecte; son air décidé

quoique calme, l'expression de ses yeux, sa main

droite, qu'il tenait enfermée dans son sein, frap-

pèrent le général Rapp, qui le fit arrêter et conduire

au château. Tout cela se fit sans qu'on s'en aper-

çût. On sut bientôt qu'on avait trouvé, sur ce

jeune homme, qui était un étudiant do l'université

d'Erfurt, nommé Staaps, âgé seulement de dix-

huit ans, un grand couteau de cuisine. Interrogé

sur l'usage qu'il voulait faire de ce couteau, il ne

cacha point son dessein do tuer Napoléon 1. »

Les dangers de toute sorte qui menaçaient les

jours de l'Empereur ramenaient naturellement

les esprits aux idées do divorce. Napoléon ne

l'ignorait pas et se préoccupait de son côté de la

nécessité de chercher, au moyen d'un nouveau

1. Méneval, Mémoirespour servir à Vhistnirede Napoléon/*',t. H, p. 250.

Page 219: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

196 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

mariage, à consolider l'empire qu'il avait fondé.

Il ne voulait pas que sa succession devînt, le cas

échéant — comme celle d'Alexandre le Grand —

le signal de l'écroulement de ce majestueux édi-

fice, et, dans ce but, il croyait indispensable d'obte-

nir, au moyen d'une union nouvelle, un héritier

do son sang.

Aussitôt après la signature du traité de paix

avec l'Autriche, l'Empereur, avant de rentrer en

France, passa par Munich d'où il adressa à José-

phine ce billet laconique :

« Mon amie, je pars dans une heure. Je serai

arrivé à Fontainebleau du 26 au 27 ; tu peux t'y

rendre avec quelques dames.

» NAPOLÉON. »

L'Empereur rentra le 26 octobre à neuf heures

du matin à Fontainebleau et, n'y trouvant pas

Joséphine qui n'avait pas supposé son retour si

rapide, il prit prétexte de son absence pour en

témoigner de l'humeur.

Page 220: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XIV

1800. Préliminaires du divorce. — Cambacérôs consulté s'ymontre contraire. —Angoisseset perplexités de Joséphino. —Entretien de Napoléonavec Lavalelte. —Lejeudi 30 novembreNapoléonlaisse échapper des paroles fatales devant Joséphine.— Détails dans les Mémoiresde Bausset.

L'Histoire du Consulat et de l'Empire par

M. Thiers est intéressante à consulter sur cette

question du divorce, qui a fixé rétention de tant

d'historiens. Ce remarquable ouvrage peut servir

do guide pour en retracer les péripéties, car on

ne saurait les passer sous silence, quoiqu'elles

soient bien connues, si l'on songe à la place

importante quo tient la période du divorce dans

l'histoire do l'impératrice Joséphine.

Napoléon était, comme on a pu le voir, arrivé

à Fontainebleau le 26 octobre, avant tout le

monde, avant sa maison, avant l'Impératrice,

avant ses ministres. Seul l'archichancelier Cam-

Page 221: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

198 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

bacérès, avec lequel l'Empereur avait désiré s'en-

tretenir, se trouvait au Palais, dès l'aurore, avant

l'arrivée du Souverain. Celui-ci entama aussitôt,

avec son conseiller le plus écouté, une longue

conversation qui eut pour objet tous les sujets

intéressants du moment. Ils en vinrent enfin à

aborder la question du divorce. Napoléon aimait

véritablement Joséphine et il lui en coûtait beau-

coup de se séparer d'elle. La pensée de consolider

un trône, qu'il sentait parfois chanceler sous son

poids, était devenue chez lui une obsession. Il

fallait maintenant à tout prix, au mari de José-

phine, un héritier incontesté pour mettre fin à

toutes les rivalités, à toutes les intrigues, à tous

les bouleversements que l'éventualité de sa mort

serait susceptible de provoquer. L'Empereur ren-

dit à cette occasion pleine et entière justice à la

loyauté du Prince Eugène, à ses qualités, à sa

modestie et à son dévouement sans bornes. Il vou-

lait attendre l'arrivée du vice-roi, Cambacérès

ayant décliné toute mission de ce genre, pour

préparer Joséphine au déchirement pénible d'une

séparation devenue nécessaire. Jusque là Napo-

léon entendait que. personne n'y fit la moindre

allusion devant l'Impératrice; à cet égard le secret

le plus absolu devait être scrupuleusement gardé.

Page 222: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 199

Cambacérès, sincèrement attaché à Joséphine,

apprit avec regret cette grave détermination. Le

vieux conseiller de Napoléon comprenait à mer-

veille qu'en se séparant de celle-ci l'Empereur

allait rompre avec tout son passé. Il se disait que

Napoléon, au lieu de rester le prince populaire,

héritier et défenseur des idées saines et des prin-

cipes sensés de la Révolution, mécontenterait,

par son divorce, tout un personnel de fonction-

naires militaires ou administratifs, qui envisa-

geraient avec peu d'enthousiasme la prochaine

résurrection d'un pouvoir souverain purement

aristocratique.

Rien que le prince Cambacérès ait consigné

dans ses écrits qu'au cours de cet entretien Napo-

léon parut surtout préoccupé de sa grandeur, et

qu'il somblait en quelque sorte se promener au

milieu de sa gloire, l'archichancelier osa néan-

moins formuler quelques représentations destinées

à combattre, dans l'esprit de son maître, l'oppor-

tunité d'un divorce. Joséphine, selon lui, était

populaire, et les chefs militaires, surtout, étaient

attachés par une longue habitude à la femme de

leur général, accoutumée depuis longtemps à leur

rendre bien des services. Tous ceux qui s'appro-

chaient d'elle avaient appris à apprécier, en

Page 223: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

200 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

mainte circonstance, sa bienveillance ot son

extrêmo bonté. C'était d'autre part se rapprocher

plus qu'il ne fallait peut-ôtro do l'ancien régime

que do rechercher uno nouvello union avec uno

princesse née sur les marches des trônes d'Alle-

magne ot même de Russie. Le choix qui serait'

fait dans la famille do l'un ou do l'autro souve-

rain do ces grands États, deviendrait, pour celui

dont Napoléon paraîtrait dédaigner l'alliance, un

sujot de mécontentement, voire môme de rancune.

Tels étaient ou durent être les arguments opposés

par Cambacérès à la convenance d'un divorce;

mais le siège de Napoléon était fait et il ne voulut

pas s'en préoccuper.

Joséphine s'attendait depuis longtemps, comme

on a pu l'observer, à la cruelle éprouve qui lui

était réservée ; mais, malgré les poignantes inquié-

tudes quo cette menace, suspendue sur sa tête,

lui avait fait éprouver à différentes reprises, elle

se flattait toutefois de l'espoir do la voir indéfini-

ment ajournée et peut-être même do l'éviter. On

a généralement toujours une tendance à croire ce

que l'on désire !

Les perplexités comme les angoisses de l'Impé-

ratrice avaient cependant redoublé. Ello pressen-

tait, avec ce sens particulièrement fin et délié

Page 224: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 201

que possèdent les natures féminines, que l'heure

décisive était proche et son sort près d'être fixé,

avant qu'aucune parole véritablement inquiétante

eût été prononcée. Sa fille Hortenso, partageant

son anxiété, était accourue auprès do sa mère pour

la réconforter; comme Joséphine, ello appréhen-

dait, sans vouloir encore y croire, la catastrophe

dont celle-ci pouvait dovonir la victime.

Le 14 novembro Napoléon rovenait de Fon-

tainebleau à Paris où il faisait son entrée à cheval.

Sa résolution de se séparer de Joséphine était

irrévocablement priso. Il n'attendait plus que

l'arrivée du prince Eugène pour tout lui avouer;

mais il entendait entourer l'acte du divorce des

formes les plus affectueuses ot les plus honorables

pour l'impératrice Joséphine. Comme l'a dit

M. Thiers il no voulait rien do co qui eût pu res-

sembler à une répudiation, et n'admettait qu'une

simple dissolution du lien conjugal fondôo sur le

consentement mutuel, consentement fondé lui-

même sur l'intérêt de l'Empiro 1.

« Quand de retour à Fontainebleau à la fin de

1809, a dit dans ses Mémoires le secrétaire intime

de l'Empereur, Napoléon se fut décidé à aborder

1. Thiers, Histoiredu Consulatet de l'Empire,

Page 225: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

202 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

cette grave quostion (du divorce), il laissa soup-

çonner à l'Impératrice la séparation qu'il médi-

tait, pou de semaines avant le temps où ce sacri-

fice si pénible devait étro consommé, mais sans

s'expliquer clairement, et plutôt par dos indices

qui donnaient à réfléchir à celle-ci quo par des

paroles explicitos. Cet homme, que beaucoup de

gens ont longtemps regardé comme impitoyable,

redoutait le spectacle des larmes et do l'affliction

qui avaient au contraire sur lui un empire pres-

que irrésistible. Je l'ai vu souvent, après quelques

scènes do jalousio causées par l'affection toujours

inquiète de Joséphine, être troublé au point qu'il

restait dos heures entières, à demi-couchô sur la

causeuse de son cabinet, livré à une émotion silen-

cieuse et sans pouvoir se remettre au travail 1, »

L'Impératrice n'était arrivée à Fontainebleau,

comme le sait le lecteur, que quelques heures

après son époux. « Ce retard, raconte le préfet du

palais Rausset, occasionna uno petite scène de

reproche de la part de Napoléon; » Mais l'Impéra-

trice, ajoute M, Aubenas, so montra si heureuse

de le revoir que celui-ci redevint affectuoux pour

elle, sans pouvoir ou vouloir plutôt dissimuler la

1. Méneval,Mémoires,t. H, p. 284.

Page 226: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 203

préoccupation de son esprit. L'impératrice José-

phine, dès ce premier instant, éprouva un serre-

ment do coeur qui lui fut un pressentiment du

danger qui 'a menaçait. Pendant los premiers

jours de leur vio commune, à Fontainebleau,

d'autres symptômes vinrent alarmer sa ten-

dresse 1. »

« Une froideur inaccoutumée, (dit dans ses

Mémoires le secrétaire intime de Napoléon qui

connaissait los projets de son maître) l'interrup-

tion des communications qui jusque là étaient

restées ouvertes entre leurs appartements; la

rareté et la brièveté des moments que lui accor-

dait l'Empereur ; quelques orages passagers, sus-

cités par les plus légers prétextes, qui troublaient

ce ménage ordinairement si paisible; l'arrivée

successive des souverains alliés dont elle cher-

chait à interpréter la présence : tout cela causait

à l'impératrico Joséphine les plus vives alarmes.

L'excès de sa préoccupation la ramenait sans

cesse à moi. Je n'avais que des réponses évasives

à lui donner, Mon rôle devenait embarrassant,

et, pour échapper à ses questions, j'étais obligé

de l'éviter, Mais cette persévérance à me sous-

i. Aubenas, 1.1, p. 4SI.

Page 227: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

204 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

traire à co quo j'ose appeler ses obsossioris, lui

paraissait plus significative quo des paroles. Son

anxiété était portéo à son comble. Elle n'osait

aborder co sujet brûlant quand ello pouvait rete-

nir un moment l'Empereur, de peur qu'un fatal

arrêt ne vînt à tomber de sa bouche. Cet état était

trop violent pour durer longtemps ; il avait jeté,

dans leurs rapports journaliers, uno contrainte

qui était pour tous deux un supplice 1. »

Cetto pénible situation ne pouvait effective-

ment so prolonger trop longtemps, et Napoléon

laissora échapper les paroles fatales qui y met-

tront terme avant le commencement de décem-

bre 1809.

« Peujdo jours avant, raconte M. de Lavaletto,

l'Empereur m'avait fait appeler. Il désirait qu'un

ami de l'Impératrice pût rendre moins amer le

breuvage qui allait lui être présenté; sa pensée so

fixa sur moi : « La nation a tant fait pour moi, mo

dit-il, quo je lui dois le sacrifice de ma plus chère

affection. Eugène n'est pas assez jeune pour que

je puisse lo maintenir comme mon successeur : Je

ne suis pas assez vieux pour ne pas espérer

d'avoir des enfants, et cependant je ne peux en

1. Méneval, Mémoires,t. II, p. 287. •

Page 228: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 205

espérer d'elle; le repos de la France exigo quo je

mo choisisse une nouvelle compagne. Depuis plu-

sieurs mois l'Impératrice vit dans les tourments

de l'incertitude. Tout est terminé pour une nou-

velle union. Vous êtes lo mari do sa nièce; elle

vous honore de son estime, voulez-vous vous

charger de lui annoncer cette triste nouvelle, et

de la préparer à sa nouvelle destinée'? »

Pas plus que Cambacérès, Lavalette ne voulut

se charger de cette mission pénible entre toutes;

il ajoute toutefois quo l'Empereur ne lui en sut

pas mauvais gré. Uno autre personne, dont

l'ancien aido de camp de Napoléon s'abstient de

mentionner lo nom, aurait été invitée par l'Em-

pereur à lui rendre ce désagréable service; mais

nous sommes fondé à penser qu'il convient de

voir là une hypothèse plutôt qu'un fait certain.

Le jour fatal arriva enfin et ce fut, assure

M. Aubenas, le jeudi 30 novembre 1809. Voici

ce que raconte à cet égard le secrétaire intime de

Napoléon :

« Enfin l'Empereur n'y put tenir davantage et,

un soir, après un repas des plus tristes et des

plus silencieux, il rompit la glace. » D'après la

1. Lavalette, Mémoires,t. II, p. 44.

Page 229: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

206 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Biographie Michaud, ouvrage historique d'une

réelle valeur et admirablement documenté, lo

dialogue entre Napoléon ot Joséphine se serait

ainsi passé, après quo l'Emporeur eut congédié

toutes les porsonnes présentes : « Joséphine, ma

bonne Joséphine, tu sais si je t'ai aimée ! C'est à

toi, à toi soûle que j'ai dû les seuls instants do

bonheur que j'ai goûtés dans ce monde... José-

phino, ma destinée est plus forte quo ma volonté.

Mes affections les plus chères doivent se taire

devant l'intérêt do la France. —N'en dites pas

plus, eus-je la force de lui répondre, je m'y

attendais, jo vous comprends, mais le coup n'en

est pas moins mortel. — Je n'en pus dire davan-

tage, aurait raconté Joséphino. Je no sais ce qui

se passa on moi... jo crois que je proférai dos cris.

Jo crus ma raison à jamais perdue; jo demeurai

sans connaissance et, quand jo revins à moi je

mo trouvai dans ma chambre 1. » Napoléon dut

transporter jusque là la malheureuse Joséphine,

avec l'aido du préfet du palais Rausset et de

l'huissier, gardien du portefeuille. Ému jus-

qu'aux larmes Napoléon laissa, paraît-il, échapper

quelques paroles pour justifier la nécessité de ce

1. BiographieMichaud.

Page 230: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 207

fatal divorce devenu un devoir rigoureux, indis-

pensable. Ces paroles furent saisies ot recueillies

par Rausset, qui était présent et qui joua, sans

s'y étro attendu, un rôlo actif dans cette scène.

Il nous a paru intéressant d'emprunter aux

Mémoires de ce dernier lo récit circonstancié et

complot de cette dramatique soirée :

« LL. MM. se mirent à table Joséphine portait

un grand chapeau blanc, noué sous lo menton,

et qui cachait une partie de son visage. Je crus

cependant m'aporcevoir qu'elle avait versé des

larmes ot qu'elle les retenait encore avec peine.

Ello me présenta l'image de la douleur et du

désespoir. Lo silence le plus profond régna pen-

dant ce dîner : ils ne touchèrent que pour la

forme aux mets qui leur furent présentés. Les

seuls mots qui furent prononcés furent ceux que

m'adressa Napoléon : Quel temps fait-il? En les

prononçant il se lova de table. Joséphine suivit

lentement. Lo café fut présenté, et Napoléon prit

lui-même sa tasse, que tenait le page de service,

en faisant signe qu'il voulait être seul. Je sortis

bien vite, mais inquiet, tourmenté et livré à mes

tristes pensées. Jo m'assis dans le salon de ser-

vice, qui d'ordinairo servait de salle à manger

pour LL. MM., sur un fauteuil, à côté de la

Page 231: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

208 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

porto du salon do l'Empereur; j'observais machi-

nalement los employés qui enlevaient les objets

qui ii at servi au dîner de LL. MM...,

lorsque u-u. 1 sjoup j'entends partir du salon de

l'Empereur tùs cris violents poussés par l'impé-

ratrice Joséphine... L'huissier de la chambre,

pensant qu'elle se trouvait mal, fut au moment

d'ouvrir la porte; je l'en empêchai, on lui obser-

vant quo l'Empereur appellerait du secours, s'il

lo jugeait convenable. J'étais debout, près de la

porte, lorsque Napoléon l'ouvrit lui-même et,

m'aporcovant, me dit vivement ; Entrez Dausset

et fermez laporte. J'entre dans le salon et j'aper-

çois l'Impératrice étendue sur le tapis, poussant

des cris et des plaintes déchirantes. Non je n'y

survivrai point, disait l'infortunée. Napoléon me

dit : Êtes-vous assez fort pour enlever Joséphine et

la porter chez elle, par l'escalier intérieur qui com-

munique à son appartement, afin de lui faire

donner les soins et les secours que son état exige?

J'obéis et je soulevai cette princesse que je

croyais atteinte d'une attaque de nerfs. Avec

l'aide de Napoléon je l'enlevai dans mes bras, et

lui-même prenant un flambeau sur la table,

m'éclaira et ouvrit la porte du salon, qui, par un

couloir obscur, conduisait au petit escalier dont il

Page 232: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 209

m'avait parlé. Parvenu à la première marche de

cot oscalior, j'observai à Napoléon qu'il était trop

étroit pour qu'il me fût possible de descendre

sans danger de tomber.., Il appela de suite le

gardien du portefeuille, qui jour et nuit était

placé à l'une des portes do son cabinet, qui avait

son ontréo sur lo palier de ce petit escalier.

Napoléon lui remit le flambeau dont nous avions

peu do besoin, puisque ces passages étaient déjà

éclairés. Il ordonna à ce gardien do passer

devant, prit lui-même les deux jambes do José-

phine pour m'aider à descendre avec plus do

ménagement. Mais je vis lo moment où, embar-

rassé par mon épée, nous allions tous tomber;

heureusement nous descendîmes sans accident,

et déposâmes co précieux fardeau sur uno otto-

mane, dans la chambre à coucher. L'Empereur se

porta de suite au cordon des sonnettes, et fit venir

les femmes de l'Impératrice. Lorsque, dans lo

salon d'en haut j'enlevai l'Impératrice, elle cessa

de se plaindre ; je crus qu'elle se trouvait mal,

mais dans le moment où jo m'embarrassai dans

mon épée au milieu du petit escalier dont j'ai

déjà parlé, je fus obligé de la serrer davantage,

pour éviter une chute qui aurait étô funeste aux

acteurs de cette scène douloureuse, parce que nos

14

Page 233: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

210 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

positions n'étaient pas la suito d'un arrangement

calculé à loisir. Jo tenais l'Impôratrico dans mos

bras qui ontourai nt sa taillo, son dos était

appuyé sur ma poitrino, ot sa têto était penchée

sur mon épaule droite. Lorsqu'elle sentit les

efforts que jo faisais pour m'empêcher do tomber,

elle mo dit tout bas : Vous me serrez trop fort. Je

vis alors que jo n'avais rien à craindre pour sa

santé, et qu'ollo n'avait pas perdu connaissance

un seul instant. Pendant touto cotte scène, jo

n'avais étô occupé quo do Joséphino dont l'état

m'affligeait; jo n'avais pu observer Napoléon;

mais lorsque les femmes de l'Impératrice furent

arrivées auprès d'elle, Napoléon passa dans un

petit salon qui précédait la chambre à coucher;

jo lo suivis. Son agitation, son inquiétude étaient

oxtrêmes. Dans lo troublo qu'il éprouvait, il

m'apprit la cause do tout ce qui venait do se

passer, et me dit ces mots : L'intérêt de la France

et de ma dynastie a fait violence à mon coeur... le

divorce est devenu un devoir rigoureux pour moi...

je suis d'autant plus affligé de là scène que vient

de faire Joséphine... que depuisitrois jours elle a

dxXsavoir par Hortense... la malheureuse obliga-

tion qui me condamne à me séparer d'elle... Je la

plains de toute mon âme, je lui croyais plus de

Page 234: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 211

caractère... et je n'étais pas préparé aux éclats de

sa douleur... En offet l'émotion qu'il éprouvait

le forçait à mettro un long intervalle à ohaque

phrase qu'il prononçait pour respirer. Les mots

s'échappaient avec poino et sans suite; sa voix

était émuo, oppressée, ot dos larmes mouillaient

sos youx... Il fallait réellement qu'il fût hors de

lui pour mo donner tant de détails, à moi, placé

si loin de ses conseils et de sa confiance... Touto

cette scène ne dura pas plus de sept à huit

minutes'.., »

La reino Hortense, si dévouée à sa mère, ne

tarda pas à accourir auprès d'elle et à lui pro-

diguer ses plus tendros consolations,. Elles

mêleront leurs larmes, et, pou à peu, l'infortunée

Joséphino retrouva, dans une certaine mesure,

uno sorte do calmo ot de résignation. Napoléon

lui-même ne pouvant supporter le spectacle des

pleurs do Joséphine, la comblait à son tour

des attentions et des soins les plus affectueux.

1. Bausset, Mémoiresanecdotiquessur l'intérieur du Palaisimpérial,l. I, p. 370-371-372.

Page 235: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XV

Lettre du prince Eugène à Napoléon. — Arrivée de plusieurssouverains a Paris. — Banquet aux Tuileries. — Dernièroapparition de Joséphine en public. — Arrivée du princeEugène à Paris. — Conversation de Napoléon avec son fils

adoptif. — Lettre de Joséphine à Napoléon (BiographieMichaud). — Réponse de l'Empereur. — M. do Narbonne. —

Cassation du lien religieux entre Joséphine et Napoléon.—

Alliance russe ou autrichienne. — Joséphine favorise le ma"

riage autrichien.

Joséphine, devenue un peu plus calme, les

jours suivants, soutenue par l'admirable ten-

dresse de sa fille et par les affectueux égards

dont Napoléon, maintenant, l'entourait, attendait

néanmoins l'arrivée de son fils Eugène avec

impatience. Ce prince, averti par les soins de

l'Empereur de la pénible mission qu'il aurait à

remplir auprès de sa mère, avait adressé à Napo-

léon la lettre que nous reproduisons ci-après :

« Ma mère et moi nous devons, en cetto cir-

constance, donner au mondo un grand exemple

Page 236: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 313

de courage ot de résignation. Je le donnerai, c'est

tout co quo jo puis vous dire et assurément tout

ce quo vous pouvez oxiger de moi. Fils respec-

tueux et sujet soumis, je n'oublierai jamais que

vous êtes mon Empereur et mon père. »

Plus calmo et plus maître de lui que sa soeur

Hortense, qui n'avait pas hésité, après la scène

du 30 novombro, à reprocher à Napoléon son

ingratitude, le prince Eugène demeurait cepen-

dant profondément affecté par ces événements.

Tant qu'il n'était pas arrivé, tant qu'une ombre

d'espoir restait à Joséphine de se voir épargner

le calice qu'on lui présentait, elle espérait encore

pouvoir l'éviter. Au milieu des plaintes que

lui arrachait son chagrin on l'entendait parfois

s'écrier, paraît-il :

<cII m'est impossible de me laisser égorger

ainsi sans faire de tentative pour me soustraire à

ce sort cruel 1»

Quand le prince Eugène arriva do Milan à

Paris le 9 décembre, le bruit de ce qui venait de

se passer aux Tuileries s'était déjà répandu dans

le public. Dans une conversation avec l'Empe-

reur, Joséphine lui aurait déclaré qu'elle ne

regrettait pas le trône, car elle avait toujours

Page 237: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

214 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

regretté d'y être montée, mais que son seul cha-

grin était do so séparer de l'Empereur. Celui-ci,

prenant la parole, aurait répondu : « Ne cherche

pas à m'émouvoir, jo t'aime toujours. La poli-

tique n'a pas de coeur, elle n'a que de la tèto. Je te

donnerai cinq millions par an, ot une souveraineté

dont Rome sera lo chef-lieu ' ! » Chose curieuse à

observer, toujours Rome revient à l'esprit do

Napoléon quand il s'agit pour lui do donner un

gage éclatant de tendresse à uno personne parti-

culièrement chèro à ses yeux. Plus tard c'est son

fils qu'il proclamera roi do Romo. Mais comme

demain, comme l'avenir qui n'appartient qu'au

Mattro do l'univers, ainsi quo l'a si bien dit

Victor Hugo dans sos beaux vers, Romo no doit

être à personne si co n'est au successeur de

Pierre. En tout cas, Joséphino no so souciait

d'aucune principauté, do celle-là moins encore

quo de touto autre ; ello no voulait à aucun prix

quitter la Franco.

Plusieurs souverains étaient venus à Paris

pour lo célébration do l'anniversaire do la céré-

monie du couronnement. On eût dit quo Napo-

léon voulait quo des têtes couronnées sanction-

i. BiographieMichaud.

Page 238: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 215

liassent, par leur présence, l'acto solennel du

divorce. Il y eut aux Tuileries, le 3 décembre,

avant l'arrivée du prince Eugène, un banquet do

gala. Girardin, dans ses Souvenirs, a peint de la

façon suivante, la contenance des doux époux.

« L'Empereur en grand costume, chapeau à la

Henri IV toujours sur la tête, l'air soucieux,

mangeant plus qu'à l'ordinaire. L'Impératrice,

richement parée, beaucoup d'éclat-, gruco aux

pinceaux d'Isabey, l'air triste. » Constant, dans

ses Mémoires, ajoute quo dans cetto soiréo le

visage do Joséphino paraissait plus souffrant

encore que lo matin. Lo lendemain, 4 décembre,

Joséphino fit une nouvelle apparition en public

et pour la dernière fois remplit son rôle d'Impé-

ratrice à uno fôto donnée en l'honneur de

LL. MM., par le comte Frochot, préfet do la

Seine à l'Hôtel do Ville. Madamo d'Abrantès qui

assistait à cetto fôto, a décrit dans sos Mémoires,

avec éloquonco, l'effet quo produisit sur les

assistants cetto suprême apparition do l'impéra-

trice Joséphine î

« Nous montâmes dans la salle du Trône,

raconte madame d'Abrantès, où nous étions à

poino assises, que lo tambour battit aux champs,

ot rimpératrico arriva. Jamais jo no l'oublierai,

Page 239: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

210 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

dans ce costume qu'ollo portait si admirablement.

Jamais sa physionomie, toujours si douce ot co

jour-là enveloppée d'un crêpe do tristesse, ne mo

sortira do la ponséo avec cetto expression. Lors-

qu'elle s'approcha de co trôno sur lequel ello

allait s'asseoir, à la vue du public do la grande

ville, peut-être pour la dernière fois, alors ses.

jambes faibliront ot ses yeux so remplirent do

larmes. Jo les cherchais ces yeux... j'aurais voulu

tomber à ses pieds pour lui dire combien jo

souffrais. Elle mo comprit et me jeta lo plus

douloureux regard quo sos yeux aient donné

peut-être depuis quo cetto couronne, maintenant

dépouillée do ses roses, avait étô placée sur sa

tôto. Il disait bion des douleurs co regard, il

dévoilait bien des peines.... Elle devait so sontir

mourir; et pourtant ello souriait. 0 tortures d'uno

couronne! »

Lo princo Eugène, comme nous l'avons dit,

arriva à Paris lo 9 décembre. Sa soeur, la reine

Hortense, était partio à sa rencontre. Laissons

donc la parole à la fillo si aiméo do Joséphino :

« Jo le rencontrai à Nemours, dit-elle, et là je

lui appris quo lo divorce de l'Empereur vonait

d'ôtro décidé; sacrifice immenso quo ma mère

faisait au bonheur do la Franco ot do son époux.

Page 240: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 217

Ses onfants, animés du même sentiment, durent

l'imiter et, avec lo mémo désintéressement, ils

renonceront, mon frèro au trôno d'Italie, qui lui

était assuré si l'Empereur Savait pas d'enfants,

ot moi à celui do France, dont mos fils étaient

alors les seuls héritiers 1. »

Rizarro caprico do la destinée, ce no sera pas

ce fils, tant désiré, que Napoléon obtiendra

on 1811, qui sera lo successeur do son père;

mais, moins d'un demi-siècle plus tard, le petit-

fils de Joséphine ceindra le diadème impérial ! La

Providence so plut ainsi à rendre nuls les résultats

du divorce

A l'arrivée du prince Eugène auprès do sa

mèro, celle-ci lui fit connaître combien lo divorce

était prochain. Dès qu'il fut en présence do

Napoléon, lo fils do Joséphino lui dit : « Sire,

permottez quo je vous quitte....— Comment?

— Oui, Sire, lo fils de celle qui n'est plus impé-

ratrice no peut demeurer vico-roi; je suivrai ma

mèro dans sa retraite. — Tu veux mo quitter,

Eugène?... toit ah!... ne sais-tu pas combien sont

impérieuses les raisons qui me forcent à prendre

un tel parti?... Et si jo l'obtiens ce fils, objet de

1. Fragments extraits des mémoires inédits do madame laduchessede Saint Lcu {Mémoiresde tous).

Page 241: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

218 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

mes plus chers désirs, ce fils qui m'est nécessaire,

qui me remplacera auprès de lui quand jo serai

absent? Qui lui servira do pèro si jo mours? Qui

l'ôlèvera? Qui fera un homme do lui? » Napoléon

avait les larmes aux yeux en prononçant ces

paroles'.

Trois jours avant, lo G décembre, Joséphino..

si l'on en croit la Biographie Michaud, avait écrit

à Napoléon une lettre qui so terminait ainsi :

<tAh mon ami ! quo vous avez tort do faire ce

quo vous faites! Pourquoi no songez-vous, pa3

aussi, dans cet avenir qui vous occupe tant, aiix

douceurs d'uno société intimo avec une personne

qui est do votre rang, do votro Age, qui sait res-

pecter vos goûts, vos habitudes, et qui appartient

par ello et par sos enfants à votro famille, qui a

su vivre en paix avec votre mèro ot vos soeurs,

d^nit qui vous pouvez parler du passé sans

n^î»ruri\s, qui vous ontond au moindre mot?

liv.u>v/-vous ces avantages avec uno femme

étrangère aux vôtres, qu'ollo a déjà peut-être

appris à juger avec dédain; qui no voudra voir

en vous que l'empereur Napoléon et point le

général Bonaparte» qui, ignorant los particula-

1. BiographieMichaud.

Page 242: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 219

rites de votro vie, sera toujours uno étrangère

pour vous?— Tout, jusqu'à son accent, vous pri-

vera du cbarme de la vie intime. Vous garderez

vos souvenirs sans oser les lui confier, ot co ne

sera pas sans honte que vous prononcerez tel

mot dont le sens ne lui sera quo désagréable.... »

Cambacérès, resté lo fidèle confident do José-

phino, après sa disgrâce, avait été chargé de

porter cotto lettre à Napoléon. Çolui-ci, avec uno

expression do véritable chagrin se serait écriô :

« Joséphino m'écrit... Ah mon Diou pourquoi

faire? Ma résolution est prise; jo la rends malheu-

reuse, jo lo sais, mais qu'elle sache quo je mo

suis immolé avant ello. » Après lecture do la lettre

de sa première fommo; l'Empereur aurait ajouté :

« Dites à Joséphino quo jo lui répondrai; quo

jo la regarde comme la plur excellente dos

femmes; elle vaut mieux quo moi, jo vous

l'attcsto; c'est uno créature angôliquo. Lo cou-

rage quo jo mots à l'abandonner mo surprend,

mais il lo faut, vous on sentez la nécessité...

Tâchez do la lui faire comprendre. »

Uno heure après l'ancienne souveraine rece-

vait do Napoléon uno lettro où l'accent do la

sensibilité vraie n'empêchait pas lo ton do la

franchise de dominer; il y disait :

Page 243: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

220 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

« .... Je no me remarie pas pour moi; je

cherche à maintenir ce que j'ai fondé. Ton

fils no peut me succéder au détriment do mes

noveux, et la France voudrait-elle do ceux-ci

pour ses maîtres?... Qu'arriverait-il à ma mort?

Des déchirements affreux, le partage do la suc-

cession d'Alexandre, la guerre civile... Je sais

que tu vaux mieux que tu ne lo sais toi-même;

je t'apprécie à ta valeur... Tu es sans reproche,

et jo serais sans excuse si je n'étais l'Empereur

en même temps que ton mari. Tâche de te

résigner, envisage notre divorco du côté hono-

•rable, associe-toi à cet acte do mon abnégation;

sois, on me quittant, la première mèrf do mon

peuple1... »

Cetto lettre, où Napoléon rond un si éclatant

hommage aux qualités de sa première femme,

devrait donner à réfléchir aux détracteurs do

cetto princesse. Ces mots : tu es sans reproche,

que l'Empereur adresse à Joséphine, nous sem-

blent de nature à détruiro bien des médisances

ot bien des calomnies portées contre la mémoire

de cotte dernière, à moins d'admettre que Napo-

léon so soit résigné à ôtro lo plus aveugle ou le

plus complaisant des maris I

1. BiographieMichaud.

Page 244: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 221

Cambacérès, lo confident si intime des deux

époux, continua presque seul, jusqu'à la fin, à

déconseiller lo divorce, Joséphine disait qu'elle

avait beaucoup d'estime pour lui parce qu'il ne

l'avait jamais flattée, et qu'il lui avait toujours

dit la vérité. La première femme de Napoléon

n'aimait pas les flatteurs; elle n'avait donc aucun

goût pour Talleyrand, toujours obséquieux devant

lo pouvoir. L'impératrice Joséphino était franche

ot aimait la franchise. Elle ne devint la dupo de

Fouché que parce qu'il savait masquer sa four-

borio sous les apparences d'une franchiso bru-

tale.

D'après la Biographie Michaud, qui renferme

do si curieuses particularités sur les rapports de

Napoléon avec Joséphine et ses enfants pendant

la période du divorce, M. do Narbonne en aurait

étô l'un des principaux partisans. Il y aurait

môme contribué, dans la mesure do ses moyens,

bion qu'il ait dû, à l'origino, la fuvour do Napo-

léon à la protection ot à la recommandation do

Joséphino. Peut-être fut-il lo personnage auquel

a fait allusion M. do Lavalette et quo l'Empereur

aurait chargé, devant lo refus de co dernier, do

la désagréable mission de préparer l'Impératrice

au terrible coup qui allait la frapper?... Quoi

Page 245: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

222 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

qu'il on soit Cambacérès reçut mandat do l'Em-

pereur de s'occuper, auprès do l'autorité ecclé-

siastique compétente, do la dissolution du lion

religieux. On so souviendra sans doute de la

bénédiction nuptiale qui avait été donnée clan-

destinement à Napoléon et à Joséphine par lo

cardinal Fosch, la veille du couronnement. Les

principaux arguments employés en faveur do

l'annulation de cet acte étaient le consentement

non réel do l'Empereur et l'absence du curé de la

paroisse. Gràco à ces deux causes do nullité,

Cambacérès parvint à obtenir do l'officialité

diocésaine, après de laborieuses négociations, la

dissolution du mariage religieux. Quant au lien

civil, rien ne fut plus aisé à dissoudre, le divorce

étant admis par la législation do cetto époque. Lo

Pape n'eut donc pas à intervenir, co qui était

heureux pour Napoléon, brouillé alors, comme

on le sait, avec le Saint-Siègo*.

Cependant des négociations avaient été enta-

mées, par voie diplomatique, avec la cour do

Russie, pour savoir si l'empereur do Russie so

i. Il faut lire dans un volume de M. Henri WolsclilngcrIntitulé leDivorccdeNapol>fon(i%$Q),l'intéressant et circonstanciérécit do toutes les péripéties très curieuses i|ui ont précédé ladissolutiondu lien religieux prononcé par l'orflcialitédo Paris.La placo nous manque ici malheureusement pour les reproduire.

Page 246: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 223

trouvait toujours dans des disposition* aussi

favorables qu'à Erfurt pour accordor à .Napoléon

la main do la grande-duchesse Anne, sa soeur.

Ces négociations, ayant traîné en longueur,

avaient lassé la patienco du souverain do la

Franco, qui so retourna du côté do l'Autriche

dont los bonnes tendances étaient manifestes. Lo

fameux ministro Mettomich venait d'arriver à

une situation prépondérante ot avait pris sur son

maître, François II, le plus irrésistible ascendant.

Mottornich, devenu premier ministro à la place

de M. do Stadion, et familiarisé depuis son séjour

à Paris, en qualité d'ambassadeur, avec tous les

personnages do la cour des Tuilerios, avait lo

secret désir de supplanter la diplomatie russo

dans la sympathie do Napoléon, et d'inaugurer

son ministèro par lo mariage do celui-ci avec une

archiduchesso d'Autriche L'ambassadeur do

cette puissance, Schwarzonborg, informé des

dispositions do sa cour, lo désirait non moins

vivement. Lo travail souterrain des agents do

l'Autriche ne devait pas demeurer stérile. « Dans

la famille impériale, a dit M. Thiers, la famille

Reauharnais tout entière inclinait pour l'Au-

triche, ot, sur uno question qui n'aurait jamais

dû provoquer de sa part aucun avis, elle so

Page 247: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

224 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

hâtait d'en avoir un et de l'exprimer avec une

ôtrango vivacité. Son motif vrai c'était le désir

d'une paix durable en Italie et en Ravièro, co

qui pour le princo Eugèno ot son beau-pèro

était d'un fort grand intérêt. Rien quo le princo

Eugèno no fut pas destiné à régner en Italie, si

Napoléon avait un héritier direct, il était appelé

à gouverner ce royaume, on qualité do vice-roi,

pendant la vie de Napoléon, c'est-à-diro pendant

vingt ou trente ans (on supposait alors cette

durée à son règno et à sa vie), ot il souhaitait

que ce royaume no fût pas, comme dans la

dernière guerre, exposé à voir les Autrichiens à

Vérone. Joséphine, qui so dédommageait do sa

chute par son ardeur à servir les intérêts do ses

enfants, avait fait à co sujet los plus indiscrètes

ouvertures à madame do Metternich qui n'avait

pas quitté Paris'; » Joséphine, aussitôt après

que le divorce eut étô décidé, avait demandé à

Napoléon, pour son fils, la couronne d'Italie,

demande quo lo prince Eugèno avait prié sa

mèro de no pas renouveler auprès de l'Empe-

reur; le Vice-Roi no voulait pas paraître, en effet,

recevoir uno indemnité pour prix do l'infortuno

1. Thiers, Histoiredu Consulatet de l'Empire,t. XI, p. 305-360,

Page 248: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 228

de l'impératrice Joséphine. Cotte dernière, une

fois son sacrifice accompli, n'avait, comme l'a

dit M. Aubenas, a plus pensé qu'à la situation

de ses enfants, et ce rang, ces honneurs, dont

ello faisait bon marché pour elle-même, lui

paraissaient une perte douloureuse quand elle

considérait los siens ».

Co fut peut-être dans lo but do servir les

intérêts du princo Eugène ot do sa famille que

Joséphine, après son divorce, crut devoir favo-

riser, autant qu'il dépendait d'elle, lo mariage de

l'Empereur avec une princossoautrichienne. Nous

avons trouvé la trace do son intervention, en

faveur d'uno alliance avec l'Autriche, dans un

passage du livre de M. Thiers que nous avons

reproduit plus haut. M. do Saint-Amand, dans

son ouvrage intitulé : Les dernières années de Vim-

pératrice Joséphine, a mis on lumiôro co curieux

épisode : la premièro femme do Napoléon active-

ment mêlée aux tentatives matrimoniales des-

tinées à fixer le choix de celui-ci sur une nou-

velle femme!

Mettomich, plein d'ardeur, à cetto époque, pour

so faire lo promoteur et lo champion zélé de

l'union do l'empereur Napoléon avec une archi-

15

Page 249: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

226 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

duchesse, cherchait do tous côtés, à la cour ot

dans Paris, des auxiliaires influents capables de

seconder utilement ses vues. Avoir l'impératrice

Joséphine et ses enfants pour alliés, dans uno

conjoncture aussi délicate, constituait en effet,

pour ce ministro, uno surprenante bonne, fortune.

Motternich entretenait avec sa femme, demeurée,

comme on l'a vu, à Paris, une correspondance

fort active. D'après M. do Saint-Amand deux

obstacles préoccupèrent' tout d'abord lo ministre

autrichien. Le premier, lo plus insurmontable,

celui do la religion, semblait no plus exister de-

puis la cassation du mariage religieux do Napo-

léon. L'autre, relatif au consentement à obtenir

de l'archiduchesse Marie-Louise ne paraissait

guère sérieux aux yeux du cabinet do Vienne.

On conçoit effectivement qu'avec l'idéo qu'il se

faisait de son omnipotence à la Cour d'Autriche,

Motternich so flattât do surmonter aisément cette

petite difficulté. Il était d'ailleurs cortain do l'as-

sentiment empressé de son souverain à un projet

do mariago ardemment désiré par lo gouverne-

ment autrichien, mariago dont l'empereur Fran-

çois ainsi quo son principal ministro comptaient

bion retirer avantages ot profits.

Un troisièmo obstacle restait à vaincre, ot

Page 250: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 227

colui-là était lo plus dangereux : c'était lo pen-

chant do Napoléon et do plusieurs do ses con-

seillers pour l'alliance russe. Là so trouvait on

effet l'influence rivale sur laquelle Motternich —

aidé par l'impératrice Joséphine (!)— s'efforçait à

tout prix de remporter la victoire.

Page 251: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XVI

Cérémoniodu divorce. — Discoursdes deux époux au momentde leur séparation. — Paroles qui échappent à Joséphine. —Abattementde Napoléonen rentrant dons soncabinet.—Scènedéchirante entre lui et Joséphinodans la soirée.—L'Empereurva séjourner ù Trianon. —Joséphine quitte les Tuileriespourn'y plus rentrer. — Dernier et public hommage du Sénat àJoséphine. —Napoléonva visiter celle-ci à la Malmaison.—

Napoléonécrit à Joséphino des lettres fréquentes.— Craintesde cette princessede so voir obligéedo s'éloigner de France.— Napoléonla rassure.

Ce fut le 15 décembre 1809 qu'eut lieu aux

Tuileries, la cérémonie do la prononciation

publique du divorce, une des journées les plus

pénibles do l'existence de l'impératrice Joséphino.

L'archichancelier Cambacérès se transporta au

Palais, accompagné du comte Regnault do Saint-

Jean d'Angély, pour y remplir les fonctions

d'officier d'état civil de la famille impériale.

Etaient présents : l'Empereur, l'impératrice José-

phine, madame Mère, le roi et la reine de Hol-

Page 252: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 239

lande, lo roi ot la roino do Wostphalie, le roi ot

la roino do Nnplos, lo Princo Vice-Roi ot la prin-

cesse Paulino Horghôso. Voici comment M. Aube-

nas, l'historien lo plus documenté do Joséphine,

raconte cotte ômouvanto cérémonie :

Napoléon, debout, la main dans la main de

l'Impératrice, ces doux mains qui allaient se

disjoindre, lut le discours suivant plein de dignité

et do tendresse, d'une voix dont l'émotion se

trahissait par les efforts pour mieux l'assurer.

« Mon cousin le princo archichancelier, je

vous ai expédié une lettre closo en date de ce

jour, pour vous ordonner de vous rendre dans

mon cabinet, afin de vous faire connaître la réso-

lution quo moi et l'Impératrice, ma chôre épouse,

nous avons prise. J'ai été bien aise quo les rois

reines, princesses, mes frères et soeurs, beau-frère

et belles-soeurs, ma belle-fille et mon beau-fils,

devenu mon fils d'adoption, ainsi que ma mère,

fussent présents à ce que j'avais a vous faire

connaître.

» La politique de ma monarchie, l'intérêt et le

besoin do mes peuples, qui ont constamment

guidé toutes mes actions, veulent qu'après moi

je laisse à des enfants héritiers de mon amour

pour mes peuples, ce trône où la Providence m'a

Page 253: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

230 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,

placé. Cependant, dopuis plusieurs années, j'ai

pordu l'espôranco d'avoir des onfants do mon

mariage avec ma bion-aiméo épouse, l'impératrice

Joséphine; c'est co qui mo porto a sacrifier les

plus doucos affections do mon coeur, a n'écouter

quo lo bien de l'Etat, ot h vouloir la dissolution

de notre mariage.

» Parvenu à l'Age do quarante ans, je puis

concevoir l'espérance do vivro assez pour élovor

dans mon esprit ot dans ma ponséo les enfants

qu'il plaira a la Providence do mo donner. Dieu

sait combien une parcillo résolution a coûté à

mon coeur; mais il n'est aucun sacrifice qui soit

au-dessus do mon courage lorsqu'il m'est dé-

montré qu'il est utile au bien de la Franco.

» J'ai le besoin d'ajouter quo, loin d'avoir

jamais eu à mo plaindre, je n'ai eu au contraire

qu'à mo louer de l'attachement et do la tendresse

do ma bien-aimée épouso. Ello a embelli quinzo

ans do ma vie; lo souvenir en restera toujours

gravé dans mon coeur, Ello a été couronnée de

ma main; je veux qu'elle conserve lo rang et lo

titro d'impératrice, mais surtout qu'olld no douto

jamais de mes sentiments, ot qu'elle me tienne

toujours pour son meilleur et son plus chor

ami. »

Page 254: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 231

Lorsqu'on jetant sur sa compagne un rogard

attendri, il fut arrivé a l'endroit où (1 rappelait

poétiquement lo bonheur quo Josôphino lui avait

donné pendant ces quinze années écoulées (plus

tard il devait diro los plus heureuse? do sa vio),

des larmes vinrent aux yeux do Napoléon, et c'est

en proie à un troublo profond qu'il termina sa

lecture.

Ce fut au tour de Joséphine. Elle commença a

lire la déclaration qui lui avait été préparée :

« Avec la permission do notre auguste époux,

dit-elle, je dois déclarer, que no conservant aucun

espoir d'avoir des enfants qui puissent satisfaire

les besoins de sa politiquo et l'intérêt de la France,

je me plais à lui donner la plus grande preuve

d'attachement et de dévouement qui ait jamais été

donnée sur la terre... »

Ces paroles avaient été difficilement prononcées

par l'infortunée Joséphine, dont l'émotion croissait

à mesure qu'ollo avançait dans la lecture du dis-

cours qu'on lui avait préparé. Elle ne put en

achever la moitié, sans éclater en sanglots, et

Cambacérès nous a fait connattro qu'au milieu dé

ses pleurs on l'entendit dire : « Vous voyez une

femme bien malheureuse... Je perds tout le repos

de ma vie. Je mourrai bientôt. Ce divorce me tue...

Page 255: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

232 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

Que Von fasse ce qu'on voudratje me soumettrai a

tout 1. »

Incapablo do continuer sa lecture la malheu-

reuse princesse tondit lo papier au comte Hogaault

de Saint-Jean-d'Angély, qui lut le reste du dis-

cours à sa place sans parvenir a dissimuler sa

propre émotion ;

« Jo tiens tout do ses bontés; c'est sa main qui

m'a couronnéo, et du haut de ce trône, jo n'ai

reçu quo dos témoignages d'affection et d'amour

du peuple français.

» Je crois reconnaître tous ces sentiments on

consentant à la dissolution d'un mariage qui

désormais est un obstacle au bien de la France,

qui la prive du bonheur d'être un jour gou-

vernée par les descendants d'un grand homme,

si évidemment suscité par la Providence pour

effacer les maux d'une terrible révolution, et réta-

blir l'autel, le trône et l'ordre social. Mais la dis^

solution de mon mariage ne changera rien aux

sentiments de mon coeur; l'Empereur aura tou-

jours en moi sa meilleure amie. Je sais combien

cot acte, commandé par la politique et par de si

grands intérêts, a froissé son coeur; mais l'un et

1, BiographieMichaud.

Page 256: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 233

l'autro nous sommes glorioux du sacrifico que

nous faisons au bien do la patrie 1. »

Lo princo Eugène ot la roino Hortense firent

preuve, dans ces circonstances, d'une noblesse de

sentiments et d'une dignité au-dessus de tout

éloge; leur dévouement fut admirable. Ils sou-

tinrent le courage do leur mère, et surent allier,

avec la tendresse qu'ils luiportaient,

ce qu'ils

devaient à leur père adoptif ',

La douloureuse cérémonie du divorce avait pris

fin et Joséphine, accabléo do tristesse, était redes-

conduo dans ses appartements, « L'Empereur, dit

son secrétaire intime, rentra dans son cabinet,

triste et silencieux; il se laissa tomber sur la

causeuse, où il s'asseyait habituellement, dans un

état d'abattement complet. Il y resta quelques

moments, la tête appuyée sur sa main, et, quand

il se leva, sa figure était bouleversée. Les ordres

pour son départ à Trianon avaient été donnés

d'avance. Quand on vint annoncer que les voi-

1, Tandis quo s'accomplissait cette mémorable cérémonie,uno horrible tempête éclata sur Paris. Des torrents de pluie,d'effroyables coups de vent portèrent l'épouvante dans' les

esprits; on eût dit quo le ciel voulait manifester sa réprobationde l'acte qui détruisait le bonheur de Joséphine. — A Milan,résidence habituelle de son fils le Vice-Roi, le même phéno-mène se produisit au même jour et à la mémo heure.

2. Méneval, Mémoires,t. 11.

Page 257: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

234 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,

turos étaiont prêtes, Napoléon prit son chapeau et

me dit : Mônoval, venez avec moi. Jo lo suivis

par lo petit escalior tournant qui, de son cabinet,

communiquait avec l'appartemont do l'Impéra-trice. Cetto princosso était seule et paraissait livrée

aux plus douloureuses réflexions. Au bruit que

nous fîmes en entrant, elle se leva vivement et se

jota en sanglotant au cou do l'Empereur, qui la

serra sur sa poitrine en l'embrassant a plusieurs

reprises; mais, dans l'excès de son émotion, elle

s'était évanouie Jo m'omprossai do sonner pour

appeler du secours. L'Empereur, voulant éviter

le renouvellement du spectaclo d'une douleur

qu'il n'était pas on son pouvoir do calmer, déposa

l'Impératrice dans mes bras, dès qu'il vit qu'elle

commençait a reprendre ses esprits, me recom-

manda de ne pas la quitter, et se retira rapide-

ment par les salons du rez-de-chaussée, à la porte

desquels sa voituro l'attendait. Joséphine s'aperçut

aussitôt de la disparition do l'Empereur. Les

femmes qui étaient entrées la déposèrent sur un

canapé où elles lui donnèrent les premiers soins.

Dans son trouble ello m'avait pris les mains en

me recommandant vivement de dire a l'Empereur

do ne pas l'oublier, et de l'assurer d'un attache-

mont qui survivrait a tout événement. Elle me

Page 258: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 235

fit promottro do lui donner do ses nouvelles a mon

arrivéo a Trianon, ot do veiller a ce qu'il lui

écrivît. Elle avait do la peine à mo laisser partir,

comme si mon ôloignement allait rompro le

dernier lion par lequel ello tenait encore à Napo-léon. Jo la quittai, ému d'une douleur si vraio ot

d'un attachement si sincère; j'en fus profondé-

mont attristé pendant toute ma route, et jo ne

pouvais m'ompècher do déplorer les exigences

rigoureuses d'une politique, qui brisait violem-

ment les liens de cette affection éprouvée, pour

imposer une autre unioa n'offrant que des chances

incertaines.

» Arrivé a Trianon, jo nendis compte à l'Empe-

reur de co qui s'était passe après son départ ot jo

m'acquittai des commission < dont j'étais chargé.

Encore sous l'impression des scènes delajournée,

Napoléon s'étendit sur les qualités do Joséphine,

et sur la sincérité dos sentimei -a qu'elle lui por-

tait. Il la regardait comme une mie dévouée et a

toujours conservé d'elle un soutenir très affec-

tueux; une lettro alla — dès le :oir mémo —

consoler sa solitude. Apprenant car ceux qui

allaient la voir a la Malmaison quY*^ était triste

et qu'elle pleurait souvent, il lui éci 'it de nou-

veau pour se plaindre tendrement de s<m manque

Page 259: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

230 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

de courage, et lui diro touto la peino qu'il on

ressentait 1. »

L'impératrice Joséphine accompagnée do sa

fille, no tarda guôro a se mettre en routo pour la

Malmaison, co séjour rempli do souvenirs atta-

chants pour elle, ot sortit des Tuileries, ce palais

fatal a tant do tètes couronnées, où ello no devait

plus jamais retourner.

Lo Sénat rendit un dernier et public hommage

A Joséphine en votant lo projet d'adresse qu'on

va lire ;

« V. M. I. et R. vient de faire a la France lo

plus grand des sacrifices : l'histoiro en conser-

vera un éternel souvenir.

» L'auguste épouse du plus grand des monar-

ques, ne pouvait pas s'associer à sa gloiro

immortelle par un dévouement plus héroïque.

» Depuis longtemps, Madame, le peuple fran-

çais révère vos vertus; il chérit cette bonté tou-

chante qui inspire toutes vos paroles, comme

elle dirige toutes vos actions, il admirera votro

dévouement sublime ; il décernera à jamais a

V. M. I. ot R, un hommage de reconnaissance,,

do respect et d'amour. ».

1. Méneval, Mémoires,t. II, p. 203-294.

Page 260: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 237

Joséphine,— comme l'a dit M. Aubenas —

sut descendre du trôno, mais ello n'en tomba pas.

Napoléon lui donna en toute propriété la Mal-

maison ot le château do Navarro, près d'Evreux,

plus un revenu annuel do trois millions. Do plus

lo palais do l'Elysée fut affecté a sa résidence

quand il lui conviendrait do venir habiter Paris.

D'après lo mémo auteur, l'Empereur vint faire

une visite a l'Impératrice lo lendemain de leur

séparation et se promena longtemps seul avec

ello dans les jardins do la Malmaison. L'un et

l'autre regardaient avec émotion tous ces lieux

qui leur rappelaient leur vie passée, dont ils

étaient aujourd'hui séparés par un abime. En

arrivant et en quittant Joséphine, Napoléon lui

serra amicalement la main, toutefois sans l'em-

brasser, ce qui fut un coup douloureux pour

elle : il avait cessé d'être son époux et n'était

plus que son ami. Mais il lui témoigna tant

d'amitié qu'il la laissa plus calme qu'il ne l'avait

trouvée. A peine rentré a Trianon, il sentit le

besoin de lui écrire pour relever son courage, La

lettre est datée de huit heures du soir; elle est

tendre et rappelle les meilleurs temps de leur

union : <t Mon amie, jo t'ai trouvée aujourd'hui

plus faible quo tu ne devais être. Tu as montré

Page 261: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

238 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

du courage, il faut quo tu en trouves pour te

soutenir; il no faut pas to laisser aller a une

funeste mélancolie; il faut to trouver contente, et

surtout soigner ta santé qui m'est si précieuse.

Si tu m'es attachée ot si tu m'aimes, tu dois te

comporter avec forcî> et te placer houreuso. Tu

no peux pas mettra en doute ma constante et

tendre amitié, et tu connaîtrais bien mal tous

les sentimonts que je to porte, si tu supposais

que jo puis être heureux si tu n'es pas heureuse,

et content si tu no te tranquillises. Adieu mon

amie; dors bien; songe quo jo le veux.

» NAPOLÉON.»

M. Aubonas dit encore que chaque jour pen-

dant le mois qui suivit la déclaration du divorce,

une visite do Napoléon ou une lettre de lui vint

consoler l'impératrico Joséphine. 11 ajoute qu'il

fallut à celle-ci plus longtemps pour reprondre

ses esprits si profondément ébranlés par cette

rude secousse. En voyant cette continuation do la

tendresse impériale, tous ceux des courtisans qui

no se règlent que sur les sentiments du maître

affluèrent, paraît-il, à la Malmaison. Il faut

rendre cependant justice à un grand nombre de

visiteurs qui venaient là, mus par des motifs plus

Page 262: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE, 230

désintéressés ot plus honorablos. a On tenait a

donner a l'impératrice Joséphine uno marque

d'affection qui, chez la plupart était uno marquo

do gratitudo, ot, dans les premiers temps où la

présonco d'uno impératrice nouvollo n'imposait

point encore do gôno, tout co qu'il y avait do

considérable dans l'Etat se fit un devoir d'ap-

porter ses hommages a la Malmaison. Joséphine

était sensiblo à ces démonstrations; mais ello

n'attendait do consolation quo des preuves du

souvenir do l'Empereur'. »

NapJiJon, loin do négliger Joséphine, venait

souve',c la visiter, s'occupait avec sollicitude,

comme en font foi les lettres qu'il lui adressait',

de sa santé, dos moyens do la distraire, enfin de

subvenir au bon entretien et au luxe de la

maison do cotte princesse. Il s'efforçait aussi de

lui donner de bons conseils et de la consoler de

son chagrin persistant. Il lui écrivait un soir :

« Je reçois ta lettre mon amie, Savary me dit

que tu pleures toujours; cela n'est pas bien.

J'espèro que tu auras pu te promener aujour-

d'hui. Jo t'ai envoyé do ma chasse. Jo viendrai

to voir lorsque tu me diras que tu es raison-

1. Aubcnas, Histoirede VimpératriceJoséphine,t. II p, 483-484,2. Vingt-troislettres deNapoléona Joséphine (collectionDidot).

Page 263: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

210 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

nablo et quo ton courage prend lo dessus. Adiou

mon amie, jo suis tristo aussi aujourd'hui; j'ai

besoin de te savoir satisfaite et d'approndre quo

tu prends de l'aplomb. Dors bien. »

Un autro jour do décembre, Napoléon envoie

à Joséphine co court billet :

Trianon, mardi.

a Je mo suis couché hier après que tu as été

partie, mon amie. Je vais à Paris. Je désire to

savoir gaie. Jo viendrai te voir dans la semaine.

J'ai reçu tes lettres que je vais lire en voi-

ture. »

Le lundi 25 décembre, avant de quitter Trianon,

l'Empereur voulut réunir à sa table, pour diner,

l'Impératrice et sa fillo Hortense. Co repas fut

triste et silencieux, ot l'émotion do Joséphino

gagna Napoléon lui-même.

a Les affaires ramenèrent l'Empereur a Paris ;

a dit, dans ses Mémoires, son secrétaire intime,

il s'étonna do la solitude du palais que n'animait

plus la présence do l'impératrice Joséphine. La

vie domestique a laquelle il était accoutumé lui

manqua souvent, et co vido ne fut pas toujours

rempli par les soins du gouvernement- quo multi-

Page 264: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 241

pliaient son activité croissante ot une prévoyancea laquelle rien n'échappait '. »

Le lendemain du triste dîner de Trianon, le

26 décembre, Napoléon écrivait en effet a la

pauvre Joséphine ;

« J'ai été fort ennuyé de revoir les Tuileries;

ce grand palais m'a paru vide, et je m'y suis

trouvé isolé. » Quatre jours après : « Je suis

triste de ne pas te voir ; à demain », lui mande-

t-il. Et, un pou plus tard, Joséphine, lui témoi-

gnant le regret de lui voir espacer ses visites,

l'Empereur lui répond :

« Jo désiro fort aller à la Malmaison, mais il

faut que tu sois forte et tranquille, le page de ce

matin dit qu'il t'a vue pleurer. Je vais dîner tout

seul. Adieu, mon amie; ne doute jamais de mes

sentiments pour toi; tu serais injuste et mau-

vaise. »

Mais tout l'heureux passé, que rappelait à

l'impératrice Joséphine le séjour do la Malmaison,

ne faisait que raviver dans son âme de doulou-

reuses pensées et de cruelles comparaisons. Elle

ne parvenait guère en conséquence a prendre

son parti de l'irréparable sacrifice, qu'elle avait.

1. Méneval,Mémoires,t. II, p. 205.

16

Page 265: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

242 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

consommé tout d'abord avec tant do dignité et

do résignation.

Aussi l'Empereur lui écrivait-il le 17 jan-

vier 1810 : « Mon amio, d'Audenarde que je t'ai

envoyé ce matin me dit quo tu n'as plus de

courage depuis que tu es a Malmaison. Ce lieu

est cependant tout plein do nos sentiments qui ne

peuvent et no doivent jamais changer, du moins

do mon côté. J'ai bien envie de te voir, mais il

faut que jo sois sûr quo tu es forte et non faible.

Je lo suis aussi un peu et cela me fait un mal

affreux. Adieu Joséphino; bonne nuit. Si tu

doutais do moi tu serais bien ingrato. »

Joséphino, alarmée peut-être des bruits col-

portés dans son entourage qui lui faisaient

craindre qu'on pût songer a l'éloigner do France,

avait écrit a l'Empereur pour être autorisée par

lui à venir résider à Paris. Napoléon répond

aussitôt le 30 janvier pour mottre terme ît des

appréhensions injustifiées : « Je to saurai avec

plaisir a l'Elysée, ot fort heureux do to voir plus

souvent, car tu sais combien jo t'aime. » Et lo

lendemain, dans une nouvelle lettre, il déve-

loppe plus explicitement sa ponsée :

« J'apprends que tu t'affliges, lui dit-il, cela

n'est pas bien. Tu es sans confiance en moi, et

Page 266: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 243

tous les bruits que l'on répand te frappent; co

n'est pas me connaître, Joséphine. Je t'en veux,

et si je n'apprends que tu es gaie et contente, j'irai

te gronder bien fort. »

Une autre lettre de Napoléon à Joséphine, peu

do jours après celle que nous venons de trans-

crire, vint encore rassurer l'épouse délaissée :

« J'ai dit à Eugène, écrivait-il, que tu aimais

plutôt à écouter les bavards d'une grande ville

que ce que je te disais; qu'il no faut pas per-

mettre que l'on te fasse des contes en l'air pour

t'affliger. J'ai fait transporter tes effets & l'Elysée.

Tu viendras incessamment à Paris; mais sois

tranquille et contente, et aie confiance entièro en

moi. »

Au moment prochain où la nouvelle impéra-

trice arrivera en France, Joséphine comprendra,

avec son tact ordinaire, la convenance de s'éloi-

gnor; mais elle ne veut a aucun prix laisser croire

que son éloignement n'est pas volontaire. Enfin,

après quelques semaines passées à Paris, José-

phino se décidera d'elle-même à partir, en avril,

pour son château de Navarre.

Page 267: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XVII

i8W. Joséphino part pour lo château de Navarre.— Bruits qu'oncolporte auprès d'elle sur Napoléon et sa nouvelle épouseMarie-Louise.— Portrait do celte dernière. — Lettre cérémo-nieuse de Joséphine 6 l'Empereur. — Réponsede celui-ci. —Nouvelle lettre remplie d'effusion que lui adresse Joséphino.— Napoléon veut qu'on continue û rendro a sa premièrefemme les mêmes hommages. — Lettres do Joséphino a lareine Horlense. —Elle va faire un voyagea Genèveet prendreles eaux d'AIx en Savoie. — Détails sur son séjour. — Tou-jours sa crainte d'être éloignée par ordre de France et sa peurd'étro oubliée do l'Empereur.

Le château do Navarre longtemps inhabité,

était dans un état de délabrement assez inconfor-

table pour une personne, telle quo Joséphine,

accoutumée a tous les raffinements des installa-

tions luxueuses et bien aménagées qu'elle avait

occupées depuis tant d'années. Elle eut alors la

pensée d'aller faire, à Plombières ou a Aix on

Savoie, une saison d'eaux assez prolongée. Mais

auparavant, tourmentée d'inquiétudes renais-

Page 268: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 24S

santés, toujours poursuivie de l'idée que, pour

complaire a l'impératrice Marie-Louise, l'Empe-

reur se verrait peut-être invité à provoquer l'éloi-

gnementde sa première femme, calle-ci devenait

la proie de mille suppositions affligeantes. Toutes

sortes de commentaires indiscrets d'autre part

revenaient aux oreilles de la malheureuse José-

phine, jusque dans son triste château de Navarre,

pour y colporter des récits plus ou moins fan-

taisistes relatifs aux douceurs de la lune de miel

impériale. Ello les recueillait toutefois aveo une

avide et pénible curiosité, mais sans vouloir se

résigner a perdre, en dépit de ses souffrances

jalouses, la place qu'elle entendait conserver

dans le coeur et dans le souvenir de Napoléon.

Nous ignorons si la lettre suivante, adressée

par Méneval, (le secrétaire de l'Empereur) & sa

femme, le 28 mars 1810, avait été communiquée

à l'impératrice Joséphine. Cette lettre, comme le

lecteur le verra, rendait compte de l'arrivée de

Marie-Louise à Gompiègne en ces termes :

a Elle (Marie-Louise) a été reçue dans le palais

par une trentaine de jeunes personnes de la ville,

dont l'une lui a fait un compliment en lui pré-

sentant des fleurs. Le temps était affreux et il

était si tard qu'il n'y a pas eu d'entrée. Cette

Page 269: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

246 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

petite fête a été bien peu de chose. L'Impéra-

trice s'est retirée immédiatement chez ello, a soupe

avec l'Empereur ot la reine de Naples et s'est cou-

chée sans voir personne. Elle était un peu fati-

guée, ayant fait quarante-cinq lieues hier. Je l'ai

trouvée pour mon compte une fort belle femme.

Elle a les traits un peu gros, mais, quoique sa

figuro ne soit pas bien régulière, l'ensemble en

est trèf agréable. Il y a un mélange do candeur

et do noblesse répandu dans toute sa personne.

Ello est grande et d'une taillo superbe, a une

belle peau et beaucoup de fraîcheur. C'est on

tout une fort belle personne, et, quand ello aura

passé quelques mois, ello sera la plus belle

femme de la cour pour la tournuro ot lo maintien.

Elle n'a pas été trop embarrassée on entrant et

en recevant tous ces compliments. Elle était

seulement un peu émue, mais n'avait rien de

gaucho. Elle parait avoir beaucoup do tact et

d'esprit. Ses lettres à l'Empereur sont char-

mantes; ello lui écrivait tous les jours et d'assez

longues lettres fort bion tournées. Jo crois que

c'est la femme qui convient a l'Empereur. Il parais-

sait bion heureux de lui donner la main '. »

1, Lettre adressée par son mari a ia baronne de Mèneval,(Inédite).

Page 270: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSEPHINE. 247

Si l'impôratrico Joséphine a eu connaissance

de la lettre que nous venons de transcrire, les

dernières lignes surtout n'auront pu manquer de

lui procurer uno bien mélancolique impression...

Le prince Eugène avait demandé à l'Empereur,

au nom de sa mère, s'il ne voyait pas d'objection

à ce que colle-ci revint a la Malmaison, en atten-

dant l'achèvement des travaux d'ombollissement

ot do réparation ordonnés par Joséphine à

Navarre. Napoléon, n'y ayant mis aucun obsta-

cle, avait chargé son beau-fils d'en informer la

principalo intéressée. Joséphine, soulagée d'une

grande préoccupation, Compressa do faire par-

venir à l'Empereur la lettre qu'on va lire ;

Navarre, lo 10avril 1810.

« Sire,

» Je reçois, par mon fils, l'assurance que

V. M, consonta mon retour h la Malmaison, et

qu'Ello veut bion m'accordor les avances quo jo

lui ai demandées pour rendre habitable le château

de Navarre. Cotte double faveur, Siro, dissipo on

grando partie les inquiétudes et môme les craintes

que lo long silence de V. M. m'avait inspirées.

J'avais peur d'être entièrement bannie de son

Page 271: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

248 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

souvenir; je vois que je ne le suis pas. Je suis

donc aujourd'hui moins malheureuse, et même

aussi heureuse qu'il m'est désormais possible de

l'être.

» J'irai à la fin du mois & Malmaison, puisque

V. M. n'y voit aucun obstacle. Mais je dois vous

le dire, Sire, je n'aurais pas si tôt profité de la

liberté que Y. M. me laisse à cet égard, si la

maison do Navarro n'exigeait pas pour ma santé,

et pour celle des personnes de ma maison, des

réparations qui sont urgentes. Mon projet est de

demeurer & Malmaison fort peu de temps; je

m'en éloignerai bientôt pour aller aux eaux.

Mais, pendant que je serai à Malmaison, V. M.

peut être sùro que j'y vivrai comme si j'étais à

mille lieues de Paris. J'ai fait un grand sacrifice,

Sire, et chaque jour je sens davantage toute son

étendue. Cependant ce sacrifico sera co qu'il doit

être; il sera entier de ma part. V. M. no sera

troublée dans son bonheur par aucune expres-

sion de mes regrets.

» Jo ferai sans cesse dos voeux pour que

V. M. soit heureuse, pout-ôtre môme en ferai-je

pour la revoir; mais quo V. M, en soit con-

vaincue, je respecterai toujours sa nouvelle situa-

tion, jo la respecterai en silence; confiante dans

Page 272: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 249

les sentiments qu'EUe me portait autrefois, je

n'en provoquerai aucune preuve nouvelle; j'at-

tendrai tout de sa justice et de son coeur.

» Je me borne & lui demander une grâce, c'est

qu'EUe daigne chercher elle-même un moyen do

convaincre quelquefois et moi-même et ceux qui

m'entourent, que j'ai toujours une petite place

dans son souvenir, et une grande place dans son

estime et dans son amitié. Co moyen, quel qu'il

soit, adoucira mes peines, sans pouvoir, ce me

semble, compromettre,— ce qui importe, avant

tout, — lo bonheur de V. M.

» JOSÉPHINE. »

Réponse de VEmpereur.

Gomplègne,le 21 avril 1810.

« Mon amie, je reçois ta lettre du 10 avril ; elle

est d'un mauvais style. Jo suis toujours le même;

mes pareils no changent jamais. Je ne sais ce

qu'Eugène a pu te dire. Je no t'ai pas écrit parce

que tu ne Tas pas fait, et que j'ai désiré tout co

qui peut t'être agréable.

» Je Vois avec plaisir que tu ailles a Malmaison

et que tu sois contente; moi je lo serai do recevoir

Page 273: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

2o0 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

do tes nouvelles et de te donner des miennes. Je

n'en dis pas davantage jusqu'à ce que tu aies

comparé cette lettre à la tienne, et, après cola, je

te laisse juge qui est meilleur et plus ami do toi

ou de moi. Adieu mon amie; porte toi bien et

sois juste pour toi et pour moi.

» NAPOLÉON. »

Joséphine, dont la mélancolie était profonde,

éprouva au reçu de la lettre précédente, comme il

est aisé de s'en convaincre, un indicible soulage-

ment; car elle s'empressa d'en accuser réception

& son auteur en ces termes :

« Mille, mille tendres remerciements de no

m'avoir pas oubliée. Mon fils vient de m'apporter

ta lettre. Avec quelle ardeur jo l'ai luol ot cepen-

dant j'y ai mis bien du temps, car il n'y a pas un

mot qui no m'ait fait pleurer; mais ces larmes

étaient bien douces! J'ai rotrouvé mon coeur tout

entier et tel qu'il sera toujours; il y a des senti-

ments qui sont la vie même et qui no peuvent

finir qu'avec elle.

» Jo serais au désespoir que ma lettre du 10 t'eût

déplu. Je ne m'en rappelle pas entièrement les

expressions, mais je sais quel sentimont bien

Page 274: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 251

pénible l'avait dictée, c'était le chagrin de n'avoir

pas do tes nouvelles. Je t'avais écrit a mon départ

de Malmaison, et, depuis, combien do fois j'aurais

voulu t'écrirel Mais jo sentais les raisons de ton

silence et je craignais d'être importune par une

lettre. La tienne a été un baume pour moi. Sois

heureux, sois le autant que tu le mérites; c'est

mon coeur tout entier qui te parle. Tu viens aussi

de mo donner ma part de bonheur, et une part

bien vivemont sentie ; rion no peut valoir pour

moi une marque de ton souvonir.

» Adieu mon ami; je te remercie aussi tendre-

ment que je t'aimerai toujours.

» JOSÉPHINE. »

Dès les premiers jours de mai l'impératrice

Joséphino revint à la Malmaison pendant quo

l'Empereur et sa nouvolle épouse visitaient les

départements du nord de l'Empire. Ello tenait,

dans sa résidonco do prédilection, uno cour où

l'étiquette était obsorvéo comme aux Tuileries.

L'Empereur avait voulu qu'elle continuât à rece-

voir les personnes do la Cour, les grands digni-

taires, les ministres et les principales autorités;

c'était même lui plaire quo de fréquenter la Mal-

maison.

Page 275: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

282 L'IMPÉRATRICE J08ÉPHINE.

Pendant son voyage dans les provinces du Nord

Napoléon écrivait a Joséphine : « Je désire bien

te voir. Si tu es &Malmaison a la fin du mois, je

viendrai to voir... Ne doute jamais de mes senti-

ments pour toi; ils dureront autant que moi; tu

serais fort injuste si tu en doutais. »

L'Empereur lui tint parole, dit M. Aubenas,

mais en s'entourant d'un mystère inusité, pour

ménager sa nouvelle épouse. Joséphine raconte

elle-même cette visite a la reine Hortenso, qui

avait suivi son mari en Hollande :

« J'ai ou hier (13 juin) un jour de bonheur;

l'Empereur est venu me voir. Sa présence m'a

rendue heureuse, quoiqu'elle ait renouvelé mes

peines. Ces émotions sont de celles que l'on vou-

drait éprouver souvent. Tout le temps qu'il est

resté aveo moi, j'ai eu assez de courage pour

retenir des larmes quo jo sentais prêtes à couler;

mais après qu'il a été parti, je n'ai pu les retenir

et jo mo suis trouvé bien malheureuse. Il a été

pour moi bon et nimablo comme à son ordinaire,

et j'espère qu'il aura lu dans mon coeur toute la

tendresse et tout lo dévouement dont je suis péné-

trée pour lui ', »

i. Aubenas, t. H, p. 513.

Page 276: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 253

Pour distraire Joséphino de sa mélancolie,

Napoléon l'engagea à se rendre aux eaux, et elle

partit à la fin de juillet pour Aixen Savoie. Après

la saison des eaux, ello désira visiter la Suisse

qu'elle ne connaissait pas; mais, arrivée à Genève,

des avis officieux venus de Paris lui firent craindre

que l'Empereur no voulût l'éloigner do la France.

Elle.chargea sa fille, la reine Hortense, de s'en

expliquer confidentiellement /avec lui. L'Empe-

reur, qui n'avait point du tout cette pensée et qui

ne voulait quo procurer à Joséphine dos distrac-

tions, s'empressa do lui écrire pour la rassurer.

Il l'encouragea à aller voir lo Vice-Hoi à Milan,

mais il lui laissa le choix entre ce voyage ou son

retour à Navarre, voulant qu'elle restAt maltresse

de ce qui lui conviendrait lo mieux. Joséphine,

sous l'impression do la crainte qui lui avait été

inspirée, renonça & son voyago de Suisse et se

hâta de revenir à Navarre, où ello passa lo reste

de l'année 1810 et la plus grande partie do

l'annéo 1811. Co ne fut qu'en 1812 qu'elle se

rendit a Milan pour assister aux couches de sa

belle-fille 1.

Dans uno do ses lettres à sa fille Hortense»

1. Méneval, t. II, p. 302,Mémoires(Dentu, éditeur, 1S04).

Page 277: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

254 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Joséphine disait & celle-ci : « Si l'Empereur te

demandait de mes nouvelles, dis lui quo ma seule

occupation est de penser à lui. » Ces sentiments

d'attachement vrai persévéreront, jusqu'à la fin

de ses jours, chez la première femme de Napoléon,

bien différente en cela de la seconde !

Après avoir pris les eaux d'Aix en Savoie,

Joséphine eut le désir de visiter Genèvo où elle

séjourna pendant quelque temps. Ello voyageait

sous lo nom de comtesse d'Arberg qui était celui

do sa dame d'honneur. Son fils le prince Eugène

et sa belle-fille, venus de Milan pour passer quel-

ques jours avec l'Impératrice, l'accompagnaient.

Joséphine habitait l'hôtel d'Angleterre aux

Sécherons, village situé près de Genève sur les

bords du lac. L'Impératrice voyageait avec la

simplicité d'une particulière. Les personnes qui

eurent à cette époque l'occasion de l'approcher,

au cours de ce petit voyage, lui trouvèrent bien

meilleur visage qu'à la Malmaison. « Elle avait

pris do l'embonpoint, assure dans ses Mémoires

mademoiselle Ducrest, sans que sa taille perdit de

son extrême perfection ; son teint était moins brun

et plus reposé, et le charme inexprimable de

ses manières, le son touchant de sa voix fai-

Page 278: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 255

saiont toujours d'elle la femme la plus sédui-

sante1.»

L'Impératrice détrônée recevait de toutes parts,

et sans distinction de partis, l'accueil le plus sym-

pathique. On lui témoignait les égards les plus

respectueux, et Joséphine demeurait profondé-

ment touchée de la façon dont elle était reçue

partout où elle passait. « Cela me rend d'autant

plus heureuse, disait-elle, que les Français aiment

surtout la jeunesse et la beauté, et que depuis

longtemps je n'ai plus, hélas ! ni l'une ni l'autre... »

Il y eut à Genève, le 12 août, pendant le séjour

de l'impératrice Joséphine, une fête sur le lao,

dont de nombreuses embarcations, pavoisées de

la manière la plus riche et la plus élégante, sil-

lonnèrent les eaux bleues. Des orchestres de musi-

ciens, disséminés sur des petits navires, répan-

daient des flots d'harmonie dans les airs; enfin,

quand la nuit fut venue, un magnifique feu d'arti-

fico termina les réjouissances de cette belle jour-

née. Mademoiselle Ducrest raconte également

qu'on avait orné uno barque destinée à l'Impéra-

trice. Les autres embarcations se pressaient autour

de la sienne ; mais, quand on voulut les faire éloi-

1. Q. Ducrest, Mémoiressur l'impératrice Joséphine(éditionBarba).

Page 279: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

256 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

gner, S. M. ordonna au contraire qu'on les lais-

sât approcher. « Je suis bien aise, âurait-ollo dit

que l'on voie à quel point je suis enthousiaste de

tout ce qui m'entoure, et combien je suis heureuse :

de la manière dont je suis reçue. Il est si conso- !

lant d'être aimée. »

On se répétait ses paroles, et les oris de'Vive !

l'Impératrice! vive le Vice-RoiI retentissaient j

autour du bateau qui portait Joséphine.

La société genevoise avait subi le charme de

son affabilité. Ceux qui avaient eu la faculté de

l'aborder et de s'entretenir avec elle ne tarissaient

pas d'éloges sur sa suprême distinction, ot l'éten-

due des connaissances qu'elle avait acquises depuis

qu'elle était devenue la femme de Napoléon. Elle

disait elle-même, paraît-il, que pour devenir digne

d'être la compagne d'un héros, elle s'était attachée

à s'instruire et surtout à perfectionner ses connais-

sances artistiques. Dans tous les cas le charme de

sa conversation surprit d'agréable façon, pendant

son séjour à Genève, plus d'un personnage

renommé comme bon jugo en pareille matière.

Les pauvres n'y furent, pas plus qu'ailleurs,

oubliés par Joséphine. Au milieu du tumulte des

fêtes aussi bien qu'au soin do sa retraite au château

de Navarre, la part des malheureux était toujours

Page 280: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 257

assurée par l'inépuisable charité qui distinguait

partout la « bonne Impératrice* ».

Cependant Joséphine, ne recevant pas assez

promptement, & Genève, la réponse de la reino

Ilortense, chargée par elle de sonder les disposi-

tions de Napoléon à propos de ses projets de retour

chez elle, avait fini par s'inquiéter assez vivement

de ce silence. Son imagination s'exaltant lui ins-

pirait, & cet égard, les appréhensions les plus

fâcheuses, et le 12 octobre elle écrivait & sa fille :

« Un courrier de M. le duc de Cadore, qui

retourne en Franco, vient mo demander mes com-

missions. Jo profite de cette occasion, ma chère

Ilortense, pour te témoigner toute ma douleur.

Pas un mot de toi depuis vingt jours que tu es

séparée de moi. Que veut dire ton silence?

J'avoue que je me perds dans mes conjectures,

1. Lors du passage au mois d'octobre de l'impératrice José-

phino a, Lausanne, M. de Oudè dans son intéressant ouvrage :les Bonaparteen Suisse, raconte que madame de StaCl fit unedémarche pour être admise près de Joséphine. Mais colle-cl

malgré son désir do voir cette femme, aussi spirituelle quecélèbre, n'osa pas la recevoir dans la crainte de déplaire &

l'Empereur. « Je connais trop madame do Staël dit-elle n sa lec-trice mademoiselleAvrlllon pour risquer une pareille entrevue.Dans le premierouvrage qu'elle publiera, elle ne manquerait pasdo rapporter notro entretien et ello me ferait dire des choses

auxquellesJe n'ai jamais songé. •

Joséphine fit a la mémo époque l'acquisition du château de

Prégny près du lac de Genève.17

Page 281: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

258 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

et que je ne sais plus que penser. Toi seule, ma

chère fille, dois me tirer de l'incertitude affreuse

dans laquelle je vis. Si d'ici à trois jours je ne

reçois pas de lettres qui m'annoncent ce quo je

dois faire... je mo rendrai à la Malmaison, au

moins là jo serai en France; et, si tout le monde

m'abandonne, j'y vivrai seule, avec la conscience

d'avoir sacrifié mon bonheur pour faire celui des

autres. »

Heureusement, dit M. Aubenas, elle reçut, dès

le lendemain, uno lettre de la reine, lui faisant

connaître que l'Empereur la laissait entièremenf

libre de faire ce qui lui conviendrait le mieux, do

rester en Suisse, d'aller en Italie ou de revenir à

Navarre, sans même faire d'exception pour la

Malmaison 1. L'affection ancienne l'avait emporté

sur toutes les considérations, et en voyant la peine

que l'idée seule d'un éloignemont causait à José-

phino, Napoléon ne so sentit pas lo courage do

donner à sa nouvelle épouse cette satisfaction au

fond très désirée. En écrivant à sa mère, la reine

Ilortense lui avait transmis, sur la continuation

1. « Ce fut un beau jour pour nous et surtout pour l'Impô»ratrice, dit 'mademoiselleAvrilton, quo le jour ou nous vîmesentrer, dans la cour do Séchcron, le courrier porteur de lapermission d'aller passer.l'hiver &Navarre.Touto la maison futen liesse et les préparatifs de départ furent bientôt terminés. »

Page 282: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 259,

des sentiments de l'Empereur, toutes les assu-

rances qui lui étaient si nécessaires : « Tout ce

que tu me.dis, lui répond-elle, de l'intérêt que

me porto toujours l'Empereur, me fait plaisir. J'ai

fait pour lui le plus grand des sacrifices, les affec-

tions do mon coeur; je suis sûre qu'il ne

m'oubliera pas, s'il se dit quelquefois qu'une

autre n'aurait jamais eu le courage de se sacrifier

à ce point... Je t'avoue que s'il fallait m'éloigner.

de France plus d'un mois je mourrais de cha-

grin. »

Bientôt après l'impératrice Joséphine reçut de

Napoléon lui-même la confirmation de ce que lui

avait mandé la reine, toutefois il lui conseillait

pour plus tard, et à titre de distraction, un voyage

en Italie, auprès de son fils ot de sa belle-fille.

Mais il lui laissait une parfaito liberté :

« Je te conseillerais d'aller à Navarre tout de

suite, lui écrivait-il, si je ne craignais que tu ne

t'y ennuyasses. Mon opinion est que tu ne peux

être l'hiver convenablement qu'à Milan ou à

Navarre ; après cola j'approuve tout ce que tu

feras, car jo ne veux te gêner en rien. Adieu,

mon amie, sois contente ot ne te monte pas la

tète; no douto jamais de mes sentiments. » Dans

cette lettre, ajoute M. Aubenas, l'Empereur lui

Page 283: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

260 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

confirme la grossesse de l'Impératrice, dont on

parlait jusqu'en Suisse, et sur laquelle, pour le

mettre à l'aise, Joséphine lui avait écrit la pre-

mière. À la réception de la lettré de l'Empereur,

Joséphine se décida à partir immédiatement pourNavarre. « Là, du moins, dit-elle à sa fille, je

serai en France. S'il n'avait été question que de

passer un ou deux mois en Italie, avec mon cher

Eugène, j'aurais fait volontiers ce voyage; mais

m'éloigner de France pendant six mois, cela

inquiéterait tout ce qui m'est attaché, et c'est

au-dessus de mes forces. Tu me trouveras bien

changée, ma chère fille, j'ai perdu tout lo bon

effet des eaux. Depuis un mois j'ai maigri consi-

dérablement, et je sens que j'ai besoin de repos,

et surtout quo l'Empereur ne m'oublie pas*. »

i. Aubenas,Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II.

Page 284: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XVIII

18H. Travaux exécutés par Joséphine &Navarre. — Existencequ'elle y mène. — M. l'abbé de Saint-Albin. — Monseigneurllourlior évèquo d'Èvrcux. — Luxo royal. — Jeux et lectureslo soir. — Promenades en voiture en grand apparat. — Lesconversations à Navarre rapportées a l'Empereur. —Le princeEugène a Navarre. — Personnel do la cour de Joséphine. —Le jour de l'an et l'Impératrice. — La reine Ilortense chezsa mère. — La naissance du roi do Rome est annoncée aJoséphine. — Lettres de l'Empereur à celle-ci. —•Libéralitéde l'impératrice pour lo porteur du message.

Au mois de novembre 1810 Joséphine était

de retour à Navarre. Elle y avait fait exécuter

d'immenses travaux et rendu à ce séjour son

ancienne splendeur. Les Mémoires de madame

Ducrest nous apprennent que Joséphine, se gar-

dant bien d'y apporter aucune innovation de

mauvais goût, y fit faire des plantations, dessécher

des marais et bâtir des communs. Elle put donner

de cette sorte, aux gens du pays, assez d'occupa-tion pour faire disparaître la misère, qui régnait

Page 285: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

262 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

dans la contrée avant que l'Impératrice ne vint

s'y installer. Les routes de la belle forêt d'Évreux,

impraticables jusqu'à son arrivée à Navarre,

devinrent, par ses soins, entre ru très améliora-

tions, de larges et agréables avenues. Tout en un

mot changea de face dès que S. M. eut été

rendue propriétaire de l'ancien domaine des

princes de Bouillon.

A Navarre, Joséphine était entourée des hom-

mages des habitants d'Évreux qu'elle accueillait

avec sa bonne grâce habituelle. Plusieurs proprié-

taires des environs tenaient à honneur de venir

lui faire leur cour. Madame Ducrest cite, entre

autres, l'abbé de Saint-Albin fils naturel, disait-

on, de M. le duc d'Orléans. S. M. assure l'auteur

des Mémoires précités, aimait à causer, avec

l'abbé de Saint-Albin, de madame la duchesse

d'Orléans et de sa fille auxquelles elle portait le

plus vif intérêt. Joséphine s'informait dé l'exacti-

tude du paiement de la pension que le gouverne-

ment impérial accordait à ces infortunées prin-

cesses; enfin, lorsqu'il en était besoin, elle écri-

vait à qui de droit dans le but de hâter l'envoi des

arrérages de leur pension. C'est par de tels

moyens que Joséphine se fit généralement aimer

et ce sont beaucoup de traits pareils à celui-ci qui

Page 286: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 263

la feront citer à l'avenir comme le modèle des

souveraines. Jamais l'esprit de parti ne l'empêcha

de soulager le malheur, et tous les Français

avaient droit, disait-elle, à ses bienfaits. L'Impé-

ratrice ne voulait reconnaître parmi ceux-ci

des adversaires, qu'après avoir épuisé tous les

moyens dont elle disposait pour leur être utile.

L'existence menée par l'impératrice Joséphine

à Navarre, où elle résida pendant les derniers mois

de 1810 et une grande partie de l'année 1811,

était celle d'une véritable souveraine. La com-

tesse d'Arberg, succédant à madame de la Roche-

foucauld, avait été placée par Napoléon, en qua-

lité do dame d'honneur, auprès de l'ancienne

impératrice. L'Empereur, en donnant à madame

d'Arberg ce poste de confiance honorable, savait

que ce choix offrirait de précieux avantages à

Joséphine. La nouvelle dame d'honneur était

effectivement une femme de tète et de coeur, aussi

dévouée à la personne de l'Impératrice qu'à la

surveillance des intérêts matériels de celte prin-

cesse. Madame d'Arberg établit en conséquence

un ordre parfait dans la maison de Sa Majesté

et prévint ainsi le gaspillage et le désordre dont

Joséphine était malheureusement la victime trop

Page 287: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

264 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

insouciante. Pondant les séjours do l'Impératrice

à Navarre, le jour de sa fête était solennellement

célébré à Évreux, dont l'évôquo monseigneur

.Bourlier, était lo commensal assidu de l'illustre i

châtelaine. Lo bon évêque faisait souvent avec ;

Joséphine sa partie do tric-trac ; c'était un vieil- !

lard aimable, façonné aux bonnes manières, et dont ;lo commerce agréable était apprécié do tous les !

habitants do Navarre. Los pauvres de l'évèquebéné-

ficiaiont largement, somble-t-il, des visites fré-

quentes qu'il rendait à l'Impératrice, car il paraît

positif qu'il recevait annuellement, do ses mains,

cent mille francs pour ses oeuvres charitables.

Le dimanche, la messe était dite, à Navarre,

dans la chapello du château par monseigneurde Barrai, archevêque do Tours, et premier

aumô,nier de l'impératrice Joséphine. Malgré les

réformes opérées par la comtesse d'Arberg pour

empêcher— dans la mesure du possiblo

1 — les

abus de se produire dans la maison de la première

i. Pendant le séjour a Navarre, l'Empereur écrivait a madamed'Arbergpour lui recommanderl'ordre et la régularité : «Songez• que celte maison est nouvellement instituée. L'impératrice» Joséphine n'avait aucune detto, il y a sept mois. Donnezà» ses affaires, Madame, le coup d'oeil d'une amie en laquelle• elle et mot avons toute confiance. » (Duchcsso d'Abrantès,SalonsdeParis, V. 204).

Page 288: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 265

femme de Napoléon, les visiteurs y admiraient

encore une véritable magnificence et un luxe

princier.

Madame Ducrest, qui fut à certains moments

l'hôte de Joséphine à Navarre, donne quelques

détails intéressants sur le train de maison de

celle-ci :

« L'Impératrice, dit-elle, avait derrière elle, à

table, deux valets de chambre, un coureur

basque, un chasseur ot un premier maître d'hôtel.

Lo service se faisait ordinairement en vaisselle

plate; seulement, au dessert, les assiettes étaient

en porcelaine sur lesquelles étaient représentés

des fruits ot des fleurs. Les jours do grande céré-

monie apparaissait un magnifique service de

Sèvres que l'Empereur avait donné depuis le

divorce; lo surtout en or avait été offert par la

ville de Paris le jour du sacre, ainsi qu'une toi-

lette et uno table à thé que S. M. avait con-

servées à la Mal maison. Elle nommait les deux

personnes qui devaient être près d'elle; le Vice-

Roi ot la roino do Hollande, quand ils y étaient,

faisaient de même, ainsi quo madame d'Arberg;

ensuite chacun se plaçait comme il l'entendait.

» Lo déjeuner durait environ trois quarts

d'heure; on rentrait ensuito dans la galerie sor-

Page 289: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

266 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

vant de salon. L'Impératrice travaillait à un beau

meuble de tapisserie, les dames à différents

ouvrages, les hommes dessinaient, et un cham-

bellan de service lisait tout haut les romans, les

voyages et mémoires qui paraissaient. C'est là quq

j'entendis la lecture do l'Itinéraire do Chateau-j

briand; il intéressa si généralement qu'on le relut

une seconde fois quelque temps après. !

» Quand il faisait beau, on allait se promener

en voiture; à deux heures des calèches, attelées

de quatre chevaux à la Daumont, nous condui-

saient dans la belle forètd'Évroux ou aux environs.

S. M. nommait toujours madame d'Arberg, une

dame du Palais et une étrangère pour la suivre,

Le reste de la maison s'arrangeait dans les doux

autres voitures. L'écuyer de service en uniforme

se tenait à cheval à la portière de droito de l'Im-

pératrice, un officier de cuirassiers à l'autre, ot un

piquet de cette arme suivait la calèche.

» L'Impératrice, ennuyée de l'étiquette qui

forçait ces messieurs d'endosser leurs uniformes,

dès qu'elle sortait de l'enceinte du parc, crut

pouvoir la supprimer. Elle permit à l'écuyer et

au chambellan de service de la suivre en frac, et

ordonna quo l'escorte ne sortit que les jours de

cérémonie. L'Empereur fut, je ne sais comment,

Page 290: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 267

instruit de cette décision; il écrivit de suite à

madame la comtesse d'Arberg une lettre assez

sèche, dans laquelle il disait qu'il fallait qu'on se

souvînt que l'Impératrice avait été sacrée, que tout

devait se passer loin des Tuileries comme si elle

y était encore, qu'il avait oublié les pages dans la

formation de sa maison et qu'il allait en nommer

douze (co qu'il fit peu de temps après), qu'il défen-

dait le frac et que de le souffrir était manquer essen-

tiellement à ce que l'on devaità S. M. Il fallut bien

reprendre le grand uniforme, l'épéo et le chapeau

à plumet, ce qui contraria fort ces Messieurs. »

Quand la duchesse de Montebello, parlant de

Napoléon, le désignait sous le nom de M. VÊti-

quette, il faut reconnaître que ce surnom était

mérité!

Après le dîner l'Impératrice jouait au piquet, au

tric-tracou au casino. Elle désignait elle-même ses

partenaires, sans intéresser la partie quand elle

jouait avec des étrangers; à trois francs la ficho si

o'était aveo des personnes de son entourage habi-

tuel. Au tric-trac, comme il a été dit, monseigneur

Bourlier faisait souvent la partie de l'Impératrice.

« A onze heures, dit encore madame Ducrest,

on passait dans un petit salon où était dressée

une table à thé. Après cette collation les étrangers

Page 291: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

268 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

se retiraient; l'Impératrice restait encore une

heure à faire des patiences et à causer avec nous.

C'est dans ces entretiens qu'on pouvait le mieux

juger de l'étendue do son esprit et de la bonté do

son coeur; elle se livrait entièrement. Quelquefois

elle s'arrêtait tout à coup au milieu d'une narra-

tion intéressante, en nous disant quo tout de

qu'elle nous contait serait répété à l'Empereur;

co qui, comme on doit le penser, lui était fort

désagréable. Il savait en effet, mot pour mot

tout co qui s'était dit dans cette intimité 1. »

Parmi les propos prêtés à Joséphine par

madame Ducrest, il en est un qui mérite d'être

rapporté et que l'Impératrice ne dut pas craindre

de voir répéter à Napoléon :

En montant sur le trône elle avait beaucoup

réfléchi disait-elle aux moyens d'être digne de

cette haute fortune, craignant de faire blâmer

l'Empereur si elle ne remplissait pas dignement

sa mission. « Je voulus sincèrement faire bénir

son règne, ajouta-t-elle, et jo fis mes efforts pour

m'oublier et ne songer qu'aux autres. »

Le divorce avait produit généralement dans le

t. Madame Ducrest, Mémoiressur l'impératriceJoséphine.

Page 292: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 269

public une très mauvaise impression. La bienfai-

sance et l'affabilité sont en effet les deux qualités

qu'apprécie le mieux la multitude, et celles qui

rendent populaires les souverains.

C'était l'arrivée du prince Eugène à Navarre

qui apportait surtout l'animation et la gaieté dans

la résidence quelque peu isolée de sa mère. « Les

hommes de la société, au dire de madame Ducrest,

étaient sûrs de voir redoubler l'intérêt de la con-

versation par le récit de faits curieux et de détails

pleins de vérités des batailles glorieuses aux-

quelles il avait pris une part active. Les femmes se

réjouissaient de jolies parties organisées par lui

pour leur plaire, avec une galanterie chevaleresque»

et de la réception d'une foule de petits présents

faits avec une grâce qui on doublait la valeur. »

Ainsi se pR.ssti.it le temps à Navarre. Il y avait

pour l'amusement de la jeunesse qui entourait

l'Impératrice de petites loteries, des petits bals ou

plutôt de petites sauteries organisées par Joséphine

ou par le personnel de sa petite cour. Cette cour

se composait, sans compter le premier aumônier

et la dame d'honneur, de neuf dames du Palais,

mesdames de Ilémusat, Walsh-Serrant, Colbert,

Octave de Ségur, de Turenne, ^'Audenarde, de

Viel-Castel, de Lastic, Watier Saint-Alphonse,

Page 293: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

270 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

auxquollos fut adjointe mademoiselle do Mackau.

Il y avait un chevalier d'honneur, M. de Beau-

mont; quatre chambellans : MM. de Turpin-Crissô,

do Viel-Castel, de Montholonetde Lastic; un pre-

mier écuyer : M. de Monaco; MM. de Chaumont-

Quitry, d'Andlau ot de Pourtalôs, écuyers; uno

lectrice, madame Gazzani. Le secrétaire des com-

mandements do l'Impératrice était M. Deschamps.

Lo premier jour do l'année 1811 amena dans

le chûteau de Navarre uno animation et une agi-

tation tout à fait inusitéos. Toute la maison do

l'Impératrico, personnel de sa Cour ot domesticité

se trouvèrent réunis dans la salle des gardes pour

lui présenter leurs hommages et leurs voeux. On

lui offrit des bouquets et des félicitations, et José-

phino, avec sa bonne grAce accoutumée, distribua

de bonnes paroles etdesétrennes à tout le monde.

Dans l'après-midi les autorités de la ville

d'Evreux ot du département vinrent complimenter

l'Impératrice et lui débitèrent Uf-s harangues. Les

fonctionnaires civils avaient endossé leur grand

costume et les officiers revêtu leur grande tenue.

Le plus grand bonheur de Joséphine était

d'avoir auprès d'elle ses deux enfants. Le prince

Eugène— comme on l'a vu — mettait par sa

gaieté et son entrain tous les habitants de Navarre

Page 294: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 271

on liesse. Il était bon musicien, chantait agréa-

blement, organisait des parties do plaisir. On

allait sous sa direction pécher dans les étangs;

quand il pleuvait on jouait au billard. Lo prince

Eugène adorait sa mère, et no parlait de l'époque

du divorce de l'Impératrice que comme du mo-

ment lo plus affreux de sa vie. La reine Ilortense,

qui avait éprouvé de nombreux chagrins, était

d'un naturel moins gai que son frère. Son état de

santé n'était pas non plus des plus florissants. Elle

était la compagne dévouée, la consolatrice et le

meilleur soutien de sa mère. « Quand la reine Hor-

tenso ne souffrait pas, dit madame Ducrest, elle

consentait à chanter ses romances; ses préférée»

étaient Grisélidis et Partant pour la Syrie. Elle

voulut bien me donner des avis pour les dire. Sa

voix, sans avoir d'étendue, plaisait, et elle mettait

une grande expression aux paroles. Je l'ai moins

vue que le Vice-Roi ; elle restait beaucoup dans son.

appartement, suivait un traitement assez rigoureux

et se couchait de bonne heure. Elle ne pouvait

enfreindre son régime sans de vives douleurs;

elle venait donc près de sa mère pour se reposer '. »

Cependant le moment où la naissance do

1. Mémoiresde madame Ducrest.

Page 295: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

272 L'IMPERATRICE JOSEPHINE.

l'héritier de l'Empereur allait comblor tous ses

voeux, n'était plus éloigné. Quelques jours avant

co grand événement, Napoléon avait écrit à José-

phine : « J'espère avoir un garçon. Je to lo ferai

savoir aussitôt. » La bonne impôratrico Joséphine,

uno fois son cruel sacrifice accompli, prenait le

plus vif intérêt aux nouvelles qu'on lui faisait

parvenir, et souhaitait vivement la réalisation des

désirs de celui dont ello avait partagé si longtemps

la destinée orageuse.

Le 20 mars 1811, au milieu d'un grand dinor,

que le maire d'Évreux offrait aux personnes do la

maison de l'Impératrice et aux hôtes principaux

de cette princesse, un employé de la Préfecture

entra dans la salle du festin, apportant à l'amphy-

trion une lettre officielle. Cet homme avait la

figure rayonnante, rapporte madame Ducrest, et

du seuil de la porte criait : le roi de Rome est né!

« Jo ne puis rendre l'effet de ces paroles, ajoute-

telle. Tous les convives, se levant précipitam-

ment, s'approchèrent du porteur do cette grande

nouvelle, le questionnant tous à la fois sur

cet événement, sur l'effet qu'il a produit à

Paris. »

Nous continuerons à puiser d'autres détails ori-

ginaux dans l'ouvrage de madame Ducrest, car

Page 296: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 271

ces particularités jettent uno réelle lumière sur le.

vrai caractôro do l'impératrice Joséphino. Aussitôt

après avoir appris l'importante nouvelle do la

naissance du jeune prince, les invités du maire

d'Évreux s'étaient empressés do revenir à Navarre,

« A peine étions nous entrés dans le salon, dit

madame Ducrest, quo S. M. nous demanda si on

avait quelques détails : « Jo rogretto d'être si loin

» de Paris, disait-elle à tout instant, à Malmaison

» j'aurais des nouvellos si promptes! Je suis biea

» satisfaite de voir que le sacrifice si pénible que

» j'ai fait à la France a été utile et que son avenir

» est fixé. Que l'Empereur doit être heureux ! Une

» seule chose m'attriste, c'est de n'avoir pas appris

» son bonheur par lui. Au reste il a tant d'ordres

» à donner, de félicitations à recevoir!... »

Le princo Eugène arriva lo lendemain à Navarre

et raconta aux hôtes de sa mèro les péripéties,

bien connues aujourd'hui, auxquelles donna lieu

la naissance du roi de Rome, « Assurément, ajoute

encore madame Ducrest, le prince Eugène n'eut

pas fait un tel récit, prouvant si bien l'amour de

Napoléon pour Marie-Louise, devant Joséphine,

s'il n'avait su que c'était franchement qu'elle avait

sacrifié son existence aux besoins de l'Etat, et

qu'elle désirait de même un héritier au trône dont

18

Page 297: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

274 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

ello était descendue avec un extrême déchiromont

do coeur, puisqu'elle se séparait do l'homme

qu'ollo chérissait, mais sans lo moindre regrot

d'ambition. C'est co dont plusieurs écrivains ont

semblé douter, ot c'est co qu'il importo do recti-

fier,, puisquo c'est rendre à S. M. un nouveau

droit aux regrets. Les hommes qui ont écrit qu'elle

rogrottait l'Empereur plus quo le mari no pou-

vaient connaître tout ce qui se passe dans lo coeur

d'une femme; ils n'avaient jamais approché colle

qu'ils jugeaient si mal. Il faut donc leur par-

donner leur erreur, qu'il m'est bien doux de

relever 1. »

A peine arrivé en présence do Joséphine, le

prince Eugène, paraît-il, lui aurait fait part du

message dont l'Empereur l'avait chargé pour

•"îîle-ci, au moment où il prenait congé de lui :

« Vous allez voir votre mère, Eugène; dites-lui

quo je suis sûr qu'elle se réjouira, plus quo toute

autre, do mon bonheur. Je lui aurais déjà écrit,

si jo n'avais été absorbé par lo plaisir de regarder

mon fils. Je ne m'arrache d'auprès de lui que

pour des devoirs indispensables. Ce soir j'acquit-

terai lé plus doux do tous, j'écrirai à Joséphine. »

1. MadameDucrest, Mémoiressur l'impératriceJoséphine.

Page 298: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 275

En effet à onze heures, au moment où l'Impé-

ratrice et son entourage allaient prendre lo thé,

un grand mouvement so produisit dans los anti-

chambres; les portos do la sallo s'ouvrirent avec

fracas ot les doux battants do celle de la galerio

où se tenait Sa Majesté furent poussés précipi-

tamment par l'huissier qui cria : « Do la part de

l'Empereur ! » L'Impératrice et le Vice-Roi so por-

tèrent aussitôt au-devant d'un jeune page, d'une

agréable figuro, mais qui paraissait harassé de

fatigue. C'était, dit madame Ducrost, M. de Saint-

Ililairo quo Joséphino reconnut, bien qu'il y eût

deux ans qu'elle ne l'eût vu. Pour lui donner lo

temps de se remettre, ello lui adressa plusieurs

questions avec cet air gracieux qu'elle mettait à

tout. Le page do l'Empereur était porteur d'une

lettre datée du 22 mars, où Napoléon, après avoir

annoncé à sa première femme la naissance de son

fils, lui disait : a Mon fils est gros et très bien

portant. Il a ma poitrine, ma bouche et mes yeux.

J'espère qu'il remplira sa destinée. Je suis toujours

très content d'Eugène; il no m'a jamais donné

aucun chagrin. » L'Empereur, dit M. Aubenas,

saisissait ainsi, avec une délicatesse qui touche,

le moment où il faisait connaître à Joséphino un

événement, qui devait réveiller d'anciens regrets,

Page 299: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

276 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

pour dôlivror à son fils Eugène un do ces certifi-

cats qui restent comme la devise d'une bello viel.

L'Impératrice, sortie du salon avec son fils pour

prendre connaissance do la lettre do l'Empereur,

y rentra uno domi-houro après. Ello avait les

yeux fort rouges ot lo Vice-Roi semblait fort ému.

Lorsque M. do Saint-IIilairo, au moment do

repartir, vint prendre les ordres do S. M. « Voilà

pour l'Empereur ot pour vous », lui dit-ello, en

lui romottant sa réponse, et un petit écrin do

maroquin rouge contenant uno épingle do

diamants de la valeur de 5000 francs. Joséphino

l'avait fait faire pour l'annonce d'une fille, et en

destinait une do 12000 francs pour l'annonce

d'un garçon. Mais le Vice-Roi lui fit observer que

ce présent était trop considérable ; que l'on croirait

qu'elle voulait quo l'on pai' U de sa munificence,

qu'ainsi il valait mieux réduire sa générosité,

afin do no faire que juste co qu'il fallait*.

1. Aubenas, t. II, p. 524-525.2. Mémoiresde madame Ducrest(édition Barba).

Page 300: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XIX

/S/2. Retour de Joséphine à la Malmaison.— La chambre auxreliques.—Magnificencedes appartements du rez-de-chaussée.—Cambncérèset Masséna fréquentent la Malmaison.—Récitcirconstancié d'une des visites de Napoléon à Joséphine. —Grande satisfaction que l'Impératrice en éprouve.—Déjeuneret dîner à la Malmaison. — M. de Bausset. — MadamedeMontcsquiouamène le roi de Rome auprès de Joséphine àBagatelle. — Émotion de cette dernière. — La campagne deRussie décidée. — Séjour de Napoléonet de Marie-LouiseàDresde. — Joséphine se rend à Milanauprès de sa belle-fille.— Inquiétudes mortelles de l'impératrice Joséphine pendantla retraite de Russie. — Le prince Eugène chargé de ramenerles débris de l'armée. — Fidélité et dévouementde Joséphineet de sesenfants pour l'Empereur. — Deuxlettres de Napoléonà sa première femme pendant l'été de 1813(collectionDidot).— 11lui reproche ses dépenses excessives.

•Après avoir prolongé son séjour au château de

Navarre pendant quelques mois encore, José-

phine résolut de se transporter à la Malmaison.

Elle avait toujours manifesté pour cette résidence

une prédilection très marquée. L'Impératrice y

était d'abord plus près de Paris, moins isolée.

Page 301: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

278 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

plus rapprochée onfin dos nouvelles des Tuileries,

dont il lui était, on lo comprendra, difficilo do so

désintéresser. Los moillours souvenirs do son

oxistenco étaient là, ot c'est en grande partie de

cos souvenirs d'un passé plus heureux quo lo

présont qu'ello vivait. Joséphino s'y trouvait plus

a portéo do recevoir les visites do ses àncionms

relations, ot ello avait du plaisir à revoir, plus

fréquemment, un certain nombre do ses familiers

dont la conversation lui était agréable.

« L'Impératrice ayant conservé pour l'Empereur

un attachement qui tenait du culte, rapporte

madame Ducrest, n'avait point permis quo l'on

dérangeât une chaiso du logemont occupé par

lui; et, au lieu do l'habiter, elle avait préféré être

fort mal logée au premier. Tout était resté exac-

tement dans lo même état que lorsque l'Empereur

avait quitté son cabinet : un livre d'histoire posé

sur son bureau, marqué à la page où il s'était

arrêté — la plume dont il so servait conservait

l'encre qui, une minute plus tard, pouvait dicter

des lois à l'Europe— une mappemonde, sur

laquelle il montrait aux confidents de ses projets

les pays qu'il voulait conquérir, portait les

marques de quelques mouvements d'impatience,

occasionnés peut-être par uno légère contradic-

Page 302: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 279

tion. Joséphine seule s'était chargée du soin

dY>ter la poussière qui souillait co qu'ello appelait

ses reliques, ot rarement ello donnait la permis-

sion d'entrer dans co sanctuaire.

» Lo lit romain do Napoléon était sans rideaux,

dos armes suspendues aux murailles, ot quelques

pièces do l'habillement d'un homme ôparses sur

les meubles. Il semblait qu'il fût prêt à entrer

dans cette chambre d'où il s'était banni pour

toujours.

» Le rez-de-chaussée, d'une extrême magnifi-

cence, contenait uno foule do tables de mosaïque

de Florence, de pendules en lapis et on agathe,

des bronzes d'un travail précieux et des porce-

laines do Sèvres données par l'Empereur. Le

meuble du salon était en tapisserie, c'était l'ou-

vrage de l'Impératrice : le fond en soie blanche

et le double J enlacé en roses pompons; quand il

y avait peu de monde on le couvrait de housses

de gros de Naples gris. L'appartement de José-

phine était d'une simplicité extrême, drapé de

mousseline blanche. Il est vrai que la toilette d'or

offerte par la Ville était comme le cachet de la

personne qui l'habitait; rien n'eût été digne de

rivaliser avec la richesse de ce meuble, aussi

était-il là tout à fait isolé. Plusieurs fois S. M.

Page 303: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

280 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

voulut l'envoyer à la Vice-Reine; le prince Eugène

s'y opposa devant moi. C'était un don porsonnol

qu'elle avait reçu à l'époque du Sacre. Lors du

divorce, Napoléon la lui envoya, ainsi quo le

déjeuner d'or ot plusieurs autres choses d'une

grande valeur qu ello avait négligé d'emporter 1. »

Au nombre des principaux personnages de

l'État qui fréquentaient le salon do Joséphino,

H convient do citer d'abord l'archichancelier

Cambacérès, qui s'était toujours montré l'adver-

saire convaincu du divorce; puis le maréchal

Masséna. Le prince d'Essling avait môme acheté

et fait réparer l'aile encore existante de l'ancien

château de Richelieu à Rueil, voisin comme on le

sait do la Malmaison. La reine Ilortense venait

de Paris faire do fréquents séjours auprès de sa

mère, et lui amenait, pour des semaines entières,

ses deux jeunes enfants que leur grand'mère ché-

rissait*. Enfin surtout les visites assez fréquentes

que venait lui rendre Napoléon mettaient un

baume consolateur dans le coeur aimant et jamais

consolé de Joséphine.

Madame Ducrest nous a conservé, dans ses

écrits, le compte rendu d'une de ces visites,

1. MadameDucrest, Mémoires.2. Le cadet est devenu l'Empereur NapoléonIII.

Page 304: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 281

toujours si désirées et si impatiemment attendues

par l'Impératrice. Un jour quo l'Empereur était

arrivé on surpriso à la Malmaison, tout lo château

fut mis en émoi et l'Impératrice en ressentit un

plaisir extrême : « Par une délicatesse digno d'elle,

ello reçut S. M. dans lo jardin. Ils s'assirent tous

deux sur un banc circulaire, qui était placé

devant les fenêtres du salon, autour d'un beau

tulipier, à uno assez grande distance pour qu'il

fût impossible d'entendre un mot de cette conver-

sation, qui dut être si intéressante. Toutes ces

dames, cachées derrière les rideaux des croisées,

tâchaient de deviner, sur l'expressive physio-

nomie do Joséphine et par les gestes de Napoléon,

de quels sujets ils s'occupaient. Deux heures

s'écoulèrent ainsi ; enfin l'Empereur prit la main

de l'Impératrice, la baisa et monta dans sa calèche

qui était devant la porte du parc. Joséphine

l'accompagna— et, à son air heureux le reste de

la journée, il fut facile de penser qu'elle était

satisfaite do tout ce qui lui avait été dit. Elle

répéta plusieurs fois quo jamais elle n'avait vu

l'Empereur plus aimable, et qu'elle éprouvait un

vif regret de ne pouvoir rien faire pour cet

heureux de la terre, (terme dont elle se servit).

Quelques mois plus tard cette épithète ne conve-

Page 305: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

282 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

nait plus à Napoléon!.... lo bonheur l'avait trahi,

sa gloire seule lui restait1!... »

A la Malmaison l'ôtiquotto était aussi rigou-

reusement observée qu'à Navarre. Dès neuf

heures il fallait être en tenue habillée ot descendre

au salon où so rendaient avec empressement—

pour faire leur cour à Joséphino— dos séna-

teurs, des conseillers d'état ot autres personnages

dos maisons do l'Empereur, do l'impératrice

Marie-Louise ou des autres princes et princosses

de la famille impériale. Tous les hommes étaient

en uniforme et avec lo costume de leur charge.

Les chambellans et les écuyers do l'impératrice

Joséphine suivaient, à plus forto raison, cet

exemple. Madame Ducrest ajoute encore d'autres

détails à ceux qui précèdent : « Lo déjeuner, dit-

elle, était servi comme à Navarre. Il y avait

ordinairement dix ou douze étrangers invités

d'avance ou retenus après la visite qu'ils faisaient

tout exprès de grand matin. En sortant do table,

on rentrait dans le salon; l'Impératrice causait

une heure environ, en se promenant dans la

galerie. »

A l'heure du dîner douze ou quinze invités

i. MadameDucrest,Mémoires.

Page 306: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPÉRATRICE JOSEPHINE. 283

venaient également s'asseoir, d'ordinaire, à la

table do l'Impératrice. En sortant do table José-

phino so mettait au jeu ; lo reste de la société

faisait do la musiquo dans la galerie ou jouait au

billard. Il venait régulièrement beaucoup do

mondo de Paris; à onze heures on servait le thé,

des glaces et dos gâteaux, et à minuit Sa Majesté

se retirait dans ses appartements.

M. do Rausset, étant vonu, parait-il, présenter

ses hommages à l'Impératrice à la Malmaison,

fut, au dire do madame Ducrest, assez froidement

accueilli par Joséphine. Celle-ci trouvait sans

douto cette visite un peu tardive, car elle était,

depuis plus de trois semaines, de retour dans co

petit château, M. de Rausset aurait — au cours do

la conversation — eu la maladresse de dire que

l'Empereur lui avait demandé s'il y était venu.

« C'est probablement cette question, observa-

l'Impôratrice, d'un air sérieux, qui m'a valu

l'avantage de vous voir. » Joséphino ne l'engagea

on conséquence ni à déjeuner ni à dîner, pour un

des jours suivants, comme elle avait ordinaire-

ment coutume de le faire'.

L'impératrice Joséphine avait sollicité comme

1. Mémoiresde madame Ducrest sur Joséphine.

Page 307: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

284 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

une faveur que l'Empereur permît qu'on lui

amenât le roi de Rome. Napoléon le promettait,

mais redoutait pour elle l'émotion que l'aspect de

cet enfant devait lui causer. Il se rendit cependant

aux instances qu'elle lui fit et madame de

Montesquiou conduisit le jeune prince à Baga-

telle, petite maison de plaisance du Bois de

Boulogne. Ceci eut lieu à l'insu de l'impératrice

Marie-Louise, qui était animée d'un sentiment de

jalousie fondé sur la crainte de l'ascendant que

pouvait conserver, sur l'esprit de son époux, une

femme dont il avait été si épris. L'excellente

princesse ne put retenir ses larmes à la vue d'un

enfant qui lui rappelait de douloureux souvenirs,

ot la privation d'un bonheur que le Ciel lui avait

refusé; elle l'embrassa avec transport. Elle

paraissait se complaire dans l'illusion produite

par la pensée qu'elle prodiguait ses caresses à son

propre enfant. Elle no cessait d'admirer sa force

et sa grâce et ne pouvait s'en détacher; aussi les

moments pendant lesquels elle le tint sur ses

genoux lui semblèrent-ils bien courts 1. Cette

entrevue eut lieu, croyons-nous, en 1812, un peu

avant le départ de l'Empereur pour la campagne

de Russie.

1. Méneval, Mémoires,t. II, p. 463-466(Dentu, éditeur, 1804).

Page 308: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 285

Au mois ùe mai 1812, la guerre entre la Franco

et la Russie étant devenue imminente, l'Empe-

reur, accompagné de l'impératrice Marie-Louise,

se mit en route pour Dresde le 9 mai. Napoléon

y tint une cour brillante avant de commencer les

hostilités contre l'empereur Alexandre, résolu-

tion qu'il n'avait prise qu'à contre-coeur et devant

laquelle il avait hésité longtemps. L'époque du

séjour do l'empereur Napoléon à Dresde, en cette

année 1812, marque l'apogéo de sa puissance. Il

y parut aux côtés des souverains de l'Autriche,

du roi do Prusse et des différents princes de la

confédération du Rhin, commo l'Agamemnon

des rois. Marie-Louise, heureuse de se retrouver

au milieu de sa famille, y fut également accueillie

avec les plus grands témoignages d'affection et

même do déférence. Après le départ de Napoléon

pour aller prendre le commandement de la

Grande Armée, Marie-Louise fit au mois de juin à

Prague, en même temps quo son père et sa belle-

mère, l'empereur et l'impératrice d'Autriche, un

voyage triomphal où tous les honneurs et toutes

les prévenances lui furent prodiguées. L'étoilo de

Napoléon brillait encore de tout son éclat et tous

les souverains du centre de l'Europe s'inclinaient

devant sa toute-puissance. Marie-Louiso partit

Page 309: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

286 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

enfin do Prague le 1er juillet; son père l'empereur

François la reconduisit jusqu'à Carlsbad, et le 18

elle était do retour à Saint-Cloud. Presque à la

même date l'impératrice Joséphino quittait la

Malmaison pour se rendre à Milan, où elle allait

consoler sa belle-fille de l'absence du prince

Eugène parti pour rejoindre l'Empereur ot son

armée. Ello se proposait d'assister aux couches de

la Vice-Reine et de lui tenir compagnie pendant

quelque temps. On eût pu croire que les deux

femmes de Napoléon s'étaient entendues pour ne

pas se retrouver ensemble dans le voisinage l'une

de l'autre!

11 n'existe malheureusement que bien peu de

données sur ï.^s occupations de l'impératrice José-

phine au cours des années 1812 et 1813, et le

genre de vie mené par cette princesse, pendantcette période troublée de la carrière de Napoléon,no renferme — en co qui la concerne — rien de

bien saillant. Les premiers désastres éprouvés

par nos armées, dans la fatale campagno do

Russie, causèrent à celle —qui était à la fois la

mèro du princo Eugèno et la première femme de

Napoléon— do mortelles angoisses. Joséphino,

en cette cruelle fin d'année 1812, souffrait à la

fois, des désastres do la patrie, des malheurs de

Page 310: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 287t

l'Empereur, et des périls auxquels était exposé

son fifs, dont elle demeurait souvent sans

nouvelles, mêlé comme Tétait le Vice-Roi aux

douloureuses péripéties de cette lutte se poursui-

vant aux extrémités de l'Europe. La belle con-

duite du fils de Joséphino no se démentit pas un

instant. Il demeura constamment le plus loyal ot

le plus dévoué des lieutenants de l'Empereur, son

beau-père. Vainement nos ennemis lui firent-ils

proposer de le reconnaître pour roi' d'Italie, s'il

consentait à abandonner la cause de Napoléon;

le prince Eugène repoussa du pied des insinua-

tions qu'il considérait, à juste titre, comme

déshonorantes. Et dans uno lettre à sa femme,

fille, on s'en souviendra, du roi de Bavière, il lui

mandait avec indignation : « Dans quel temps

vivons-nous (faisant allusion aux propositions

dont il vient d'être parlé), et comme on dégrado

l'éclat du trône on exigeant, pour y monter,

lâcheté, ingratitude et trahison. Va, je ne serai

jamais roi! »

La publication du vingt-neuvième bulletin où

Napoléon no déguisait rien de nos désastres, dans

la funeste campagne de Russie, vint encore

accroître les alarmes et lo chagrin do Joséphine.

On était arrivé à la moitié de décembre 1812, et

Page 311: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

288 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

lo 18, très tard, dans la soirée, Napoléon, vaincu

par les éléments, rentrait lui-même aux Tuileries,

après avoir rapidement traversé toute l'Europe

centrale. Sur ces entrefaites le roi Murât avait de

son côté abandonné le commandement des restes

de la Grande Armée que lui avait confié l'Em-

pereur. Celui-ci, informé du départ do son beau-

frère qui retournait dans son royaume de Naples,

désigna le prince Eugène pour le remplacer à là

tète des glorieux débris de cotte malheureuse et

vaillante armée. Le Moniteur du 27 janvier 1813

apprit en ces termes le départ du roi de Naples

pour ses Etats : « Le roi do Naples, étant indis-

posé, a quitté le commandement de l'armée qu'il

a remis entre les mains du Vice-Roi. Ce dernier

a plus l'habitude des grandes administrations;

il a la confiance de l'Empereur. » Toujours

les missions difficiles qui exigent du zèle et du

dévouement, poussés jusqu'à leurs dernières

limites, sont confiées par l'Empereur au fils de

Joséphine. Sa première femme et les enfants de

celle-ci sont demeurés, jusqu'à la fin, dans les

jours du malheur, les amis les plus sûrs, les plus

fidèles et les plus dévoués de Napoléon. Ce sera

leur impérissable titre do gloire aux regards do

la postérité, car jamais leur intérêt personnel

Page 312: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 289

n'est parvenu à faire taire, dans leur conscience,

la voix austère et impérieuse du devoir.

Napoléon passa les trois premiers mois de

l'année 1813 à réorganiser à Paris des forces

redoutables pour tenir tête aux armées de la

coalition, enhardie par nos revers de 1812.

Nous ignorons s'il vit fréquemment Joséphine,

pendant cette période si occupée et sipréocç^i*^

panto de son existence. Joséphine, rentrée à la

Malmaison, suivait dan3 tous les cas, avec une

anxiété.facile à deviner, les préparatifs de cette

lutte inégale et sans merci. Au mois d'avril

Napoléon était reparti pour se mettre à la tête

de sa nouvelle armée, qu'il avait, pour ainsi

dire, fait sortir de terre, après avoir conféré la

régence à Marie-Louise. Du milieu des camps sa

sollicitude no perdait pas de vue les intérêts de.

Joséphine. Ayant appris que celle-ci ne s'était

pas corrigée de son humeur dépensière et de

son penchant à la prodigalité, il adressait à sa

première femme deux lettres qui ont été publiées

dans la collection Didot.

Napoléon écrivait à Joséphine le 23 août 1813 :

« Mets de l'ordre dans tes affaires; ne dépense

que 1500 000 francs, et mets de côté tous les

ans autant ; cela te fera une réserve do 18000000

10

Page 313: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

290 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

en dix ans pour tes petits enfants; il est doux

de pouvoir leur donner quelque chose et de leur

et PI utile. Au lieu de cela on mo dit que tu as

d H dettes; cela serait bien vilain. Occupe-toi do

tes affaires et ne donne pas à qui en vent

prendre. Si tu veux me plaire, fais que jo sache

que tu as un gros trésor. Juge combien j'aurais

mauvaise opinion do toi, si je te savais endettée

avec 3 000 000 do revenu. 1 » !

Cette lettre, seule expression de mécontente-

ment de la part do l'Empereur depuis le divorce,

produisit chez Joséphine, dit M. Aubenas, un

bien plus grand effet que les gronderies

anciennes. Elle en eut un chagrin qui la rendit

malade. Dès le lendemain Napoléon s'empressa

de mettre le baumo sur la blessure, et lui

envoya par un page la lettre suivante :

Vendredi matin 1813.

« J'envoie savoir comment tu te portes,••»"

Ilortense m'a dit quo tu étais au lit hier. J'ai été

fâché contre toi pour tes dettes ; jo no veux pas

1.Napoléonfinissaittoujourspar payer lesdettesde Joséphine:« Kilo ne doit plus compter sur moi, se bornait-il à dire. Jesuis mortel, et plus qu'un autre! » Et cependant Joséphinorêvait de construire &la Malmaisonun vrai château. (Savîne.)

Page 314: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 291

que tu en aies; au contraire j'espère que tu

mettras un million de côté tous les ans, pourdonner à tes petites filles lorsqu'elles se marie-

ront.

» Toutefois ne doute jamais do mon amitié

pour toi et ne te fais aucun chagrin là-dessus.

» Adieu mon amie; annonce-moi que tu es

bien portante. On dit que tu engraisses comme

une bonne fermière de Normandie.

» NAPOLÉON. »

Vaines recommandations; Joséphine ne se

corrigea point, et sa succession fut loin d'offrir

ces millions dont la gratifie si généreusement le

docteur O'Meara 1.

1. Aubenas, Histoirede CimpératriceJoséphine,t. II.

Page 315: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XX

i813-18tb. Gampagnô de France. — Joséphine en proie auxplus cruelles angoisses. — Le prince Eugène défend vaillam-ment le royaume d'Italie contre l'invasion autrichienne. —Lettre de Napoléon au roi Joseph. — Lettre de Joséphine àson fils le prince Eugène. — Les alliés approchant de ParisJoséphine épouvantéese sauve à Navarre à la fin de mars. —Détailssur cettefuite.—Sombresméditationsde l'Impératrice.—Une lettre de Napoléonne la quitte pas. — En apprenantles événementsde Fontainebleauet l'abdicationde l'Empereur,Joséphine se trouve mal. —Parolesqu'elle prononceen repre-nant ses sens. —Les souverainsalliés désireuxde voir l'Impé-ratrice revenir à la Malmnison.—Messagedu duc de Bassanoapporté par M. de Maussion pour informer Joséphine del'abdication de l'Empereur. — L'Impératrice interroge avecanxiété le porteur du message.—Accablementde Joséphine;retour à la Melmaison.— Le prince Eugène y arrive &la find'avril.

Les événements survenus dans le cours de

l'année 1813 ont marqué et accentué le déclin de

la fortune de l'empereur Napoléon. Après les

brillants succès de Lutzen et de Rautzen, suivis

do l'importante victoire do Dresde, commencera

la série des malheurs do l'Empire. Le désastre

Page 316: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSÉPHINE. 293

de Leipzig, en précipitant la retraite de l'armée

française, provoqua rapidement en effet, la défec-

tion successive de la Bavière, du Wurtemberg

et de tous les États confédérés du Rhin. En

dépit do la stérile victoire de Hanau, les armées

des coalisés ne tardèrent pas à pénétrer en France.

C'est alors que Napoléon, retrouvant dans l'adver-

sité tous les talents du général Ronaparte, tint en

échec, pendant trois mois, les forces combinées

do l'Europe entière avec les débris de la Grande

Armée. L'immortelle campagne de 1814 allait

mettre le sceau à la gloire du grand capitaine,

sans parvenir néanmoins à prévenir sa chute.

Joséphine, cependant, demeurée sans nouvelles

do l'Empereur pendant plusieurs jours, se trou-

vait en proie aux plus terribles inquiétudes.

Voyant les progrès des alliés, dans leur marche

sur Paris, s'accentuer, la première femme de

Napoléon redoutait les pires malheurs. Elle inter-

rogeait à la Malmaison, avec une anxiété crois-

sante, les rares visiteurs qui arrivaient de Paris.

Elle leur adressait des questions sans suite, tant

son Ame était bouleversée, avec des yeux conti-

nuellement baignés de larmes.

Le prince Eugène était resté en Italie où il

défendait, pied à pied, le royaume dont il était le

Page 317: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

294 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

vice-roi contre les armées de l'Autriche. Après la

perte de la bataille de la Rothière, Napoléon, crai-

gnant de voir arriver l'ennemi devant les murs

de Paris, avait écrit de Nogent au roi Joseph, lej

8 février la lettre suivante :

« Mon frère, faites remettre cette lettre, en.mains

propres, à l'impératrice Joséphine. Je lui écris pour i

qu'elle écrive à Eugène. Vous lui direz qu'elle vous!

envoie sa lettre que vous ferez partir par estafette. ;

» Votre affectionné frère

» NAPOLÉON.»

Sans perdre un instant l'impératrice Joséphine

s'inspirant des désirs et des recommandations que

lui transmettait celui qui avait été si longtemps

son époux, so hâtait de mander à son fils, le Vice-

Roi :

Malmaison,0 février.

« Ne perds pas un instant, mon cher Eugène:

quels que soient les obstacles, redouble d'efforts

pour remplir l'ordre que l'Empereur t'a donné.

Il vient de m'écrire à ce sujet. Son intention est

que tu te portos sur les Alpes, en laissant dans

Mantoue et les places d'Italie, seulement les

troupes d'Italie. Sa lettre finit par ces mots : « La

Page 318: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 295

Ï> France avant tout; la France a nesoin de tous

» ses enfants! »

» Viens donc, mon chor fils, accours ; jamais ton

zèle n'aura mieux servi l'Empereur. Je puis t'assu-

rer que chaque instant est précieux.

» Je sais que ta femme se disposait à quitter

Milan ; dis-moi si je puis lui être utile? Adieu,

mon cher Eugène, je n'ai quq le temps de t'embras-

ser et de to répéter d'arriver bien vite.

» JOSÉPHINE. »

Ces lettres étaient relatives à l'ordre donné au

prince Eugène de marcher avec son arméo sur

Genève, pour se réunir au maréchal Augereau. Si

les événements ultérieurs, notamment ce qui se

passait à Naples, n'eussent pas porté l'Empereur

à renoncer à ce mouvement, ses conséquences

pouvaient être des plus importantes 1.

Lorsqu'un peu plus tard Joséphine eut connais-

sance, dit madame Ducrest, des préparatifs de

départ que faisaient son beau-frère Joseph et l'im-

pératrice Marie-Louise pour Rlois, où il avait été

décidé, dans le dernier conseil, quo la Régence

devait être établie, elle no douta pas un instant

1. Méneval,Mémoires,t. III, p. 191.

Page 319: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

296 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

que de nouvelles catastrophes ne menaçassent

Paris. Elle résolut de fuir au plus vite; mais trou-

blée mortellement par la crainte d'être livrée aux

ennemis de Napoléon, elle flottait incertaine sur

la retraite qu'elle devait choisir. Enfin elle se

décida à prendre le chemin de Navarre. .

« Le 29 mars, après avoir donné l'ordre aux

gens de sa maison de tout préparer pour se rendre

à ce château, elle partit en toute hâte à huit heu-

res du matin par un temps froid et pluvieux.

» Joséphine quitta sa demeure chérie de la Mal-

maison dans un tel état de désespoir, que tous

ceux qui l'environnaient eurent toutes les peines

du monde à calmer ses craintes; déjà elle avait

entendu ces cris d'alarme : Voici les Cosaques.!

En effet leur arrivée dans un village était toujours

suivie de sa ruine et de la désolation do ses mal-

heureux habitants.

» A dix lieues de la Malmaison, l'essieu de la

voiture do S. M. se rompit au milieu de la grande

route; il fallut absolument s'arrêter. Tandis que

l'on réparait sa berlino, Joséphine aperçut de loin

un détachement de hussards, qu'elle prit pour

une colonne de Prussiens. S'imaginant que ces

soldats étaient envoyés pour suivre ses pas, elle

s'effraya à tel point qu'elle se mit à fuir à travers

Page 320: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 297

champs, croyant qu'on voulait l'enlever do force;

mais un de ses valets de pied, l'Espérance, qui

avait reconnu, dans cette petite troupe, l'uniforme

du troisième régiment de hussards, courut après

elle ot l'atteignit à une distance de trois cents pas,

livrée à toutes les angoisses du désespoir et la tête

presque égarée. On continua cependant le voyage

sans aucune fâcheuse rencontre

» Quelles durent être les tristes et douloureuses

réflexions qui l'agitèrent en franchissant le seuil

d'un château où elle croyait avoir tout à craindre.

« Hélas! dit-elle, à madame de Rémusat, qui était

» assise à côté d'elle, Ronaparto ignore sans

» doute ce qui se passe aux portes de Paris; s'il

» le sait, son âme doit être dans un cruel état. »

» Ses dames remarquèrent qu'une fois arrivée

à Navarre, elle recherchait la solitude, et s'enfer-

mait souvent seule pour relire des lettres soigneu-

sement enfermées dans son grand nécessaire de

voyage. Une de ces lettres ne la quittait pas, et

lorsqu'elle avait cessé de la lire et de la regarder

attentivement, elle la cachait dans son sein '. »

C'était le dernier billet que l'Empereur lui avait

écrit de Rrienne, dans lequel il lui disait :

i. Madame Ducrest, Mémoires.

Page 321: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

298 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

«... En revoyant ces lieux où j'ai passé ma pro-

miôro enfance et comparant l'état paisible où

j'étais alors aux agitations et aux angoisses que

j'éprouve aujourd'hui, je me suis dit bien des

fois : j'ai cherché dans plusieurs combats à ren-

contrer la mort; je no puis plus la redouter; e,lle

serait aujourd'hui un bienfait pour moi... mais

je voudrais revoir une seule fois Joséphine! »

Mais Napoléon no la reverra jamais!

Continuons d'emprunter aux Mémoires de

madame Ducrest des détails sur la situation do

l'impératrice Joséphine, qui ne pourront man-

quer d'intéresser le lecteur.

« Si le bruit de l'approche des troupes alliées

avait pénétré à la Malmaison, il ne retentit pas

moins dans l'enceinte du château de Navarre, où

tout le monde gémissait sur les désastres survenus

à Napoléon. Cependant tout espoir n'avait point

abandonné Joséphino; elle comptait sur la bra-

voure et les talents du duc de Raguse, à qui la

défense de Paris avait été confiée. La situation de

S. M. devenait à tout moment de plus en plus

fâcheuse; elle ignorait ce qu'elle avait à craindre

ou à espérer. Lés personnes qui l'avaient suivie ne

purent enfin lui cacher que la capitale avait cédé,

que les trois monarques étrangers y avaient fait

Page 322: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 299

leur entrée ot que Napoléon s'était retiré à

Fontainebleau.

» En apprenant la terrible catastrophe qui

venait do décider de la fortune à venir de l'Empe-

reur, Joséphine so trouva mal, un morne silence

régna autour d'elle; toutes ses dames, pâles et

consternées, semblaient succomber d'abattement

et de douleur. Peu à peu revenant à elle et repre-

nant ses forces: a Ce n'est pas ici que jo dois rester,

» s'écria Joséphino, c'est auprès de l'Empereur

» que ma présence est nécessaire; je dois remplir

» ce qui était le devoir de Marie-Louise plus que

» le mien; l'Empereur est seul, abandonné... eh

» bien... je lui resterai. Je ne savais êtreséparéode

» lui que lorsqu'il était heureux. Maintenant je suis

» sûre qu'il m'attend. » Et des pleurs s'échappèrent

de ses yeux et vinrent soulager son âme, abîmée

par tant de souvenirs ot de chagrins amers 1. »

On ne peut ici s'empêcher d'ouvrir une paren-

thèse pour comparer l'attitude, aux heures de

l'adversité, de la première femme de Napoléon,

avec celle qu'a observée, dans de pareilles cir-

constances, l'impératrice Marie-Louise. C'est un

abime qui sépare des caractères si opposés, et

1. MadameDucrest, Mémoires.

Page 323: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

300 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

l'on a pu dire avec raison que o'est Marie-Louise

qui a vengé Joséphine!

« Pondant le court séjour quo cette dernière fit

à Navarre, dit madame Ducrest, elle écrivit beau-

coup sans prendre aucune espèce do délassement;

elle faisait ordinairement doux promenades par

jour dans le parc; le matin ello était toujours

seule, et l'aprôs-diner accompagnée d'uno do ses

dames. La conversation roulait habituellement

sur la situation politiquo do la France, et sur

Napoléon dont elle so plaisait à raconter des

anecdotes qu'elle seule connaissait; mais, à la fin

do sa promenade elle paraissait accablée sous le

poids d'une douleur concentrée, et finissait tou-

jours par ces mots prononcés avec un soupir :

« Ah! s'il m'avait écoutée! »

» Quelques jours après son arrivée à Navarre,'elle reçut uno invitation de se rendre aux voeux

que les souverains alliés manifestaient do la voir

à la Malmaison. Ces marques d'uno considération

si méritée l'émurent jusqu'aux larmes : ello

hésita cependant à partir, persuadée que la pre-

mière épouse de Napoléon devait désormais rester

invisible à tous les yeux. Do hautes et puissantes

considérations, celles de l'intérêt ot de la conser-

vation de sa famille, la firent quitter sa retraite

Page 324: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 301

pour revonir faire los honneurs de la Malmai-

son 1. » Ello espérait encore arriver à servir peut-

être d'autres intérêts qui lui étaient également

chors, ceux do l'empereur Napoléon!

Lo 2 avril la reine Ilortense, froidement

accueillie à Rlois par l'impératrice Marie-Louise,

était revenue auprès de sa mère qu'elle no devait

plus quitttor, tant quo Joséphine vivrait. Ilortense

avait eu un instant la pensée d'aller s'établir à la

Martinique; mais l'impératrico Joséphine, qui

avait eu connaissance de co projet, exigea de sa

fille la promesso formelle de ne pas la quitter,

sous peine d'abréger sa vie 1.

Ce fut pendant ces quolques journées doulou-

reuses passées à Navarre, avant son retour à la

Malmaison, que l'impératrice Joséphine apprit

les événements de Fontainebleau, et l'abdication

définitive de l'Empereur. Depuis plusieurs jours,

les routes étant interceptées, Joséphine et Ilor-

tense ne recevaient plus de nouvelles directes de

Paris, do Fontainebleau ou de Blois. Toute sorte

de bruits contradictoires circulaient autour de

Navarre, sans qu'il fût possible aux deux prin-

1. Aubenas t. II, p. 547.

Page 325: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

302 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

cosses d'en vérifier l'authentioité. Joséphino

demeurait donc en proio à tous los tourments de

l'incertitude, lorsqu'une nuit un auditeur au

Conseil d'Etat, M. de Maussion, porteur d'un mes-

sage important, pénétra jusqu'auprès de l'Impé-

ratrice. C'était le duc de Bassano qui venait

d'envoyer cet émissaire à Joséphino pour lui fairo

parvenir les détails quo colle-ci attendait avec uno

si fôbrilo impatience. L'écho do la tentative

d'empoisonnement do Napoléon à Fontainebleau

était sans doute parvenu jusqu'à Navarre, car la

première parole de l'Impératrice au porteur du

message fut : a Dites-moi que l'Empereur vit...

Répétez-le moi! ». Jamais l'infortunée n'avait tant

souffert depuis son divorce, qu'en apprenant cette

succession de désastres :

« Elle (Joséphine) jeta un manteau sur ses

épaules, et entraînant M. de Maussion, pendant

que celui-ci lui parlait et lui faisait connaître, en

quelques paroles, le projet d'abdication de l'Empe-

reur, et le dessein de l'envoyer à l'île d'Elbe, ello

courut réveiller la Reine : « Ah ! Hortense,,

s'écria-t-elle, se jetant en larmes sur son lit, co

pauvre Napoléon qu'on envoie à l'île d'Elbe ! Le

voilà donc malheureux!... Sans sa femme j'irais

m'enfermer avec lui ! » Tout son coeur se révol-

Page 326: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 303

tait à la vuo do cette.grande chuto de celui qui,

dans l'infortune, redevenait son époux.

» M. de Maussion donna alors à l'Impératrice

et à sa fille les détails de tout ce qui les intéres-

sait : los tentatives de Napoléon pour reprendre

Paris, et la défection du duc do Raguse, et l'aban-

don du plus grand nombre des serviteurs, et

l'honorable fidélité de quelques-uns, ot lo retour

des Rourbons, ot la nécessité où Napoléon so

trouvait d'abdiquer, et los desseins do la coalition

à son égard. Joséphine ne pensait qu'au malheur

do l'Empereur. Connaissant son âme et sachant

ce qu'il devait souffrir, ello se désolait à la pensée

du sort qui lui était réservé, et enviait à Marie-

Louise le droit qu'elle avait de s'exiler avec

lui 1. »

Il est bien connu aujourd'hui de tout le monde

que co droit l'oublieuso Marie-Louiso ne le reven-

diqua jamais! Ello supposait l'empereur Napo-

léon, à l'île d'Elbe, aussi résigné et satisfait de

son sort, qu'elle l'était elle-même de son côté à

Vionne... Il n'y avaitpas.de place, dans le coeur

dévoué do Joséphine, pour l'indifférent égoïsme

dont la seconde femme de Napoléon a donné tant

i. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II, p. 541-512

Page 327: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

304 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

de preuves, ot l'on n'a pas rendu suffisamment

ju'îice à l'attachement profond quo lui conservait

la première, a On s'est souvent obstiné à le nier,

dit avec raison madame Ducrest, en répétant

aveo assurance qu'elle n'aimait quo la souveraine

puissance où il l'avait élevée. Ceux qui tiennent

ces discours n'approchaient probablement jamais

de S. M. Jo l'ai toujours vue pénétrée de recon-

naissance pour Napoléon, ot prête à lui prouver

son tondre attachement par tous les sacrifices qui

eussent dépendu d'elle. J'ai l'intime conviction

que, si elle eût vécu, rien n'eût pu la retenir en

France, sachant Napoléon malheureux. Elle ne

se consolait de ne pas lo voir qu'en sachant que

tout lui réussissait. Joséphine, admirée, estimée

parles souverains alliés, eût obtenu la permission

qu'une autre ne sut pas demander. Les qualités

éminentes de la première femme de l'Empereur

eussent embelli le rocher de l'exil, et du moins

la grande âme du héros ne se fût pas exhalée

sans quoique douceur 1. »

Tandis que l'Empereur se dirigeait vers le lieu

do son oxil, l'impératrice Joséphine, cédant aux

voeux de tous ses amis, était revenue à la Mal-

i. MadameDucrest, Mémoiressur Joséphine.

Page 328: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 305

maison. Elle était plus révoltéo encore que poinéo

du débordement d'outrages dont Napoléon, dopuis

qu'il était vaincu ot proscrit, so voyait l'objot.

Joséphino était indignée de toutes les plates

accusations, des misérables calomnies quo diri-

geaient contre le lion aujourd'hui enchaîné, non

seulement ses adversaires, mais encore ceux-là

même qui— au temps de sa, puissance

— l'avaient

le plus encensé. Mademoiselle Avrillon, ua lectrice,

a décrit les souffrances morales do la malheureuse

princesse en ces termes :

« J'ai assisté au spectacle des insomnies de

l'impératrice Joséphine et de ses rêves terribles.

J ^i vu S. M. passer des journées entières dans

des méditations sinistres. Je sais co que j'ai vu

et entendu et, pour moi, c'est le chagrin qui l'a

tuée. » Nous croyons, pour notre part, au bien

fondé d'une semblable impression produite sur

une personne mêlée comme l'était mademoi-

selle Avrillon à l'intimité de la souveraine déchue.

On conçoit aisément en conséquence le dégoût

de la vie, manifesté à plusieurs reprises, par

l'impératrice Joséphine, si l'on songe surtout à

l'accablement qu'apportait, dans cette âme d'une

sensibilité si exquise, l'accumulation de tant de

tortures morales!

20

Page 329: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

306 L'iMl'ÉRATRICE JOSÉPHINE.

L'arrivée du prince Eugène à la Malmaison,

dans lo courant d'avril, fit une heureuse diversion

aux cuisants chagrins qui dévoraient le coeur do

Joséphino. Elle avait toujours été fière à justo !

titro do ce fils, modèle do dévouement et de

loyauté chevaleresque. Jusqu'au dernier moment !

il avait, en Italie, tenu tête aux Autrichiens et

valeureusement rempli tout son devoir. L'abdi- i

cation de l'Empereur l'avait trouvé les armes à la :

main, ot co n'est qu'après en avoir vu confirmer

la nouvelle qu'il s'était décidé à venir rejoindre

sa mère. Eugène s'était démis aussitôt de ses

attributions de vice-roi d'Italie, après avoir

sauvegardé, par une convention, les intérêts

de l'armée française, qu'il avait longtemps et

glorieusement commandée. La postérité pourra'

reconnaître, dans le prince Eugène, un digne

émule de Rayard, le chevalier sans peur et sans

reproche. Quant à l'histoire, elle appréciera,

croyons-nous,— comme ello a mérité de l'être

— la noble conduite du fils de Joséphine pendant

la période do sa trop courte existence.

Page 330: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XXI

L'empereur de Russie à Paris fait demander à l'impératriceJoséphine de le recevoir à la Malmaison.— Le prince mani-feste le plus grand désir d'être utilo h Joséphine et a sesenfants. — Répugnance de la reine Hortenseà être redevabled'un service à celui qui a le plus contribué aux malheurs dela France et de Napoléon.— Joséphine moins réservée vis-a-vis du monarque russe; elle ne pense qu'au sort futur do sesenfants. — Craintes de Joséphine d'être expulsée de Francepar le gouvernementdu roi LouisXVIII.— Conseilde l'empe-reur Alexandre. — Joséphine au château de Saint-Leu chezsa fille au milieu de mai. — A son retour à la Malmaisonellese sent plus triste et souffrante.— Anxiétésqui l'assiègent au

sujet de l'avenir de ses enfants et du sort de Napoléon.— Samaladie s'aggrave. — Sollicitudedu souverain russe enversla malade. — Visites fréquentes du czar, du roi de Prusse etde plusieurs grands-ducs. — Le 25 mai la maladie fait de

grands progrès. — Douceur et résignation de Joséphine. —

Elle meurt entre les bras du prince Eugène le 20 mai, jour dela Pentecôte, après avoir été administrée par l'abbé Bertrand.— Il lui est fait de pompeuses funérailles, — Témoignagefavorable à Joséphine tiré des souvenirs de M. de Reisct.

L'empereur de Russie, qui était entré dans

Paris à la tète des armées alliées, le 31 mars,

était descendu à l'hôtel Talleyrand, de la rue

Page 331: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

308 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Saint-Florentin, avec son ministre Nesselrode

qui l'y avait précédé. Aussitôt que ce prince eut

cessé d'être absorbé par les affaires auxquelles

donnaient lieu les intrigues de toute espèce dont

il était environné, Àl fit prier l'impératrice José-

phine de vouloir bien le recevoir. Alexandre dési-

rait apporter lui-même à la première femme de

Napoléon les assurances de son respect, et de;

l'intérêt protecteur qu'il entendait témoigner à!

cette princesse aussi bien qu'à ses enfants. L'em-

pereur de Russie —depuis son arrivée à Paris

— avait entretenu, à plusieurs reprises, les amis

de Joséphine et de la reine Ilortense, le duc de

Yicence entre autres, de son intention bien arrêtée

de se rendre utile aux membres de la famille

de Reauharnais 1.

La situation de Joséphine et de ses enfants

était particulièrement délicate vis-à-vis de celui

que les circonstances venaient de rendre le plus

irréconciliable ennemi de Napoléon. Alexandre,

toutefois, n'avait pas toujours été l'ennemi déclaré

de l'Empereur, envers lequel il avait manifesté

1. Quant &l'empereur d'Autriche, le prince de Coboi/rgauraitdit à Joséphine, au dire de madame de Souza, que François IIserait venu la voir s'il n'avait craint que sa visite ne lui déplût.

Pourquoi donc? répondit Joséphine, ce n'est pas moi qu'il adétrônée c'est sa fille!... >

Page 332: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 309

— avant l'expédition de Russie — dos dispo-

sitions en apparence bien opposées. La reine

Hortense, animée d'un sentiment de juste fierté,

n'avait tout d'abord pas voulu consentir à rien

devoir à la sollicitude de ce souverain. José-

phine, dont l'intérêt de ses enfants était à présent

devenu la principale préoccupation, sentait au

contraire diminuer ses préventions contre le puis-

sant autocrate russe. Celui-ci avait d'ailleurs fini

par déclarer à l'Impératrice qu'avec ou sans son

agrément il voulait absolument s'occuper du sort

do ses enfants, et Joséphine, touchée de ces

bonnes promesses, lui en témoigna pour sa part

quelque reconnaissance.

Dès qu'il eut appris le retour en France du

prince Eugène, l'empereur Alexandre vint le voir

à la Malmaison et lui renouvela ses offres de ser-

vice. Il s'agissait d'obtenir, au profit de l'anoien

vice-roi d'Italie, l'établissement souverain que

Napoléon avait stipulé en sa faveur par un article

spécial, inséré dans le traité du 11 avril 1814,

signé de tous les souverains de l'Europe. La

bonne volonté d'Alexandre, malheureusement

pour le prince Eugène, ne parvint pas à triom-

pher de la force d'inertie et du mauvais vouloir

que rencontra, de la part des principales puis-

Page 333: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

310 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE,

sances du continent, l'accomplissement des

clauses de ce traité.

Effrayée do l'idée quo lo gouvernement do

Louis XVIII pourrait l'obliger à quitter la

Franco, Joséphine avait conçu la pensée de

s'adrosser directement au roi et de lui demander

sa protection. A l'issue d'un dînera laMalm'aison

auquel l'empereur de Russie avait été convié, ce

prince, qui était au courant des perplexités de

Joséphine à ce sujet, aurait dit à l'Impératrice :

« Regardez-moi, Madame, pour vous ainsi que

pour vos enfants, comme un autre Alexandre

pour la famille de Darius. » Alexandre se serait

en môme temps montré fort opposé au projet

qu'avait un instant formé Joséphine d'écrire au

roi Louis XVIII, pour se mettre sous sa protec-

tion. « Cette lettre, croyez-moi, vous serait

reprochée et deviendrait votre opprobre, aurait-il

dit; — le czar de Russie saura protéger vous et

les vôtres 1. »'

Le 15 mai, d'après M, Aubenas, l'Impératrice

alla passer deux jours au château de Saint-Leu,

chez la reine Hortense. L'empereur de Russie

s'y rendit également, et accompagna les deux

1. BiographieMichaud.

Page 334: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 3ii

princesses à uno promenade dans les bois do

Montmorency. Au retour Joséphino se sentit mal

à son aise ot fatiguée. Elle rentra dans son appar-

tement, pendant quo sa fille se promonait dans

les jardins avec ses invités. Mademoiselle Co-

cholet, lectrice do la reine Hortonse, l'avait suivie.

En entrant dans sa chambro, l'Impératrice se

laissa —paraît-il

— tomber sur une chaise longue,

avec tous les signes d'un douloureux abattement.

« Mademoiselle Cochelet, dit l'Impératrice,

après un instant, jo ne puis vaincre une tristesse

affreuse qui s'empare de moi; je fais tous mes

efforts pour la cacher à mes enfants, mais j'en

souffre davantage. Jo commence à perdre cou-

rage. L'empereur de Russie est certainement

rempli d'égards et d'affection pour nous, mais,

tout cela ce sont des paroles. Que décide-t-il pour

mon fils, ma fille ot ses enfants? N'est-il pas en

position de vouloir quelque chose pour eux?

Savez-vous ce qui arrivera lorsqu'il sera parti?

On ne fera rien de ce qu'on lui promettra; je

verrai mes enfants malheureux, et je ne puis

supporter cette idée, elle me fait un mal affreux.

Je souffre déjà assez du sort de l'empereur Napo-

léon, qui se trouve déchu de tant de grandeurs,

relégué dans une île loin de la France, qui l'aban-

Page 335: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

3i2 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

donne; faut-il encore voir mes enfants errants,

sans fortune! Je sens que cette idée me tue. »

La lectrice de la reine Hortense, cherchant à

calmer et à rassurer l'Impératrice, lui parla du

véritable intérêt quo portait au prince Eugène et

à sa soeur le monarque russe, malgré les difficultés

qu'avait mises la reine à lui devoir des obliga-

tions : « Oui, sans contredit, répondit Joséphine,

il a pour nous des soins qu'on était loin d'at-

tendre, mais malgré toutes ces démonstrations, je

no vois rien de positif. Vous êtes liée avec mon-

sieur do Nesselrode, sachez de lui s'il y a lieu

d'espérer. Est-ce l'Autriche qui s'opposo au sort

de mon fils. Cela ne peut-être. Sont-ce les Rour-

bons? Ils m'ont pourtant assez d'obligations pour

les reconnaître dans mes enfants. N'ai-je pas été

assez bonne pour tous les malheureux de leur

parti? Certes je n'imaginais pas qu'ils rentre-

raient jamais en France; mais il m'était doux

d'être utile à leurs amis : c'étaient des Français

qui avaient souffert — c'étaient do mes anciennes

connaissances, et la position do ces princes, quo

j'avais vus jounes, mo touchait. Enfin n'ai-je pas

demandé vingt fois à Ronaparto do fairo rentrer

la duchesse d'Orléans, la duchesse de Rourbon?

C'est par moi qu'il a secouru leur détresse, qu'il

Page 336: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 313

leur a accordé une pension qu'elles recevaient

en pays étrangers. Je ne doute pas qu'elles ne

viennent me voir celles-là, et je suis étonnée

de n'avoir encore reçu la visite que do monsieur

de Rivière; car monsieur de Polignac me doit

bien la vie, et il n'a pas paru à la Malmaison '. »

A d'autres moments, lorsque certaines paroles

ou certains indices plus rassurants lui avaient

donné plus d'espoi." do voir assurer au prince

Eugène et à la reine Hortense un avenir conforme

à ses voeux, Joséphino reportant sur Napoléon

toute sa sollicitude, déclarait : « Quoiqueje ne sois

plus sa femme, je partirai demain pour aller le

rejoindre, si je ne craignais de lui causer quelque

désagrément avec cette compagne qu'il m'a pré-

férée. C'est surtout dans ce moment, où il est

presque généralement abandonné, qu'il me serait

doux d'ôtro auprès de lui pour l'aider à supporter

l'ennui du séjour de l'Ile d'Elbe, et pour prendre

la moitié do ses chagrins. Jamais je ne gémis

autant d'un divorce dont je fus toujours affli-

gée*. »

Malgré los soins des médecins do l'Impératrice,

la santé do celle-ci ne so remettait pas; elle

1. Aubenas,Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II, p. 551-552.2. MadameDucrest, Mémoires.

Page 337: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

314 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

éprouvait au contraire un malaise universel, et

demeurait on proio à une évident© prostration.

Le prince Eugène et la roino Ilortense s'inquié-

taient à bon droit do ces manifestations mor-

bides que—

pour no pas los effrayer— la

malade cherchait à dissimuler.

« Le lundi 23 mai, raconte M. Aubenas, le roi

de Prusse vint avec ses doux jeunes fils faire uno

visite à la Malmaison et y rosta à dinor. L'impé-

ratrice Joséphino qui, depuis quolques jours,

paraissait visiblement souffrante, réussit tellement

à prendre sur ello, pour faire à ses hôtes les hon-

neurs do sa résidence, qu'on la crut entièrement

rétablie. Le lendemain (tous ces princes étaient

jaloux de lui rendre hommage) elle fut cncoro

obligée do recevoir les deux grands-Ducs de

Russie, Nicolas ot Michel. Dans le jour ceux-

ci allèrent visiter les environs avec lo princo

Eugène 1. » Pondant co tomps Joséphine était

rentrée dans sa chambre, épuisée do l'effort qu'ello

avait fait, ot no reparut plus au dîner, priant sa

fille do la remplacer auprès do ses hôtes princiersa.

1. Aubenas, t. H, p. 553.2. Il est a remarquer que, pendant les deux derniers mois do

son existence en 1814,trois jeunes futurs empereurs se trou-vaient souvent réunis, autour de Joséphine, a la MalmaUon.C'était par rang d'âge t te grand-DucNicolas,qui devait ceindre

Page 338: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 318

et Lo 24, poursuit M. Aubenas, mademoiselle

Cochelet s'empressa de venir demander des nou-

velles do l'Impératrice. Elle la trouva fondant

en larmes ot tenant à la main un journal qu'elle

lui tendit, ot Ma fille lit-elle ce journal? lui

» demanda-t-elle ; tâchez qu'elle ne lo voie pas.

» Lisez l'article qu'on mot sur le cercueil de son

» pauvre enfant 1. Cela est-il croyable? Voyez

» dans quels termes méprisants on dit qu'il doit

» être ôté do l'église Notre-Dame pour être

» transporté dans un cimetière ordinaire. On ose

» toucher aux tombeaux 1 C'est comme du temps

» do la révolution. Ah! qui m'eût dit que cela

» me viendrait do gens que j'ai tant obligés! »

Cette émotion —ajouto M. Aubenas — n'était

pas faite pour diminuer la mélancolie qui, chaque

jour, la minait davantage. Ello s'étendit encore

sur son chagrin de no pas voir fixer la position

de ses enfants ot sur ses craintes à cet égard*. »

un jour la couronne impériale, et contre lequel la France etl'Angleterre entreprirent la guerre do Crimée; puis le princeGuillaume, l'un des fils du roi de Prusse, devenu empereuraprès nos désastres de 1870; enfin le petit-fils môme de José-phine, le futur Napoléon III, heureux d'abord dans la guerrecontre la Russie, malheureux et détrôné, le 4 septembre 1870,&l'issue de la funeste lutte contre l'Allemagne.

1. Le prince royal de Hollande; llls atné de la reine Hortense,mort en 1807du croup.

2, Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. Il, p. 854.

Page 339: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

316 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Le lendemain 25 mai l'empereur Alexandre,

étant venu rendre visite à Joséphine et la trouvant

fort changée, lui proposa do lui envoyer son

propre médecin. Ce docteur, questionné par la

reine Hortense, après avoir examiné la malade,

ne lui cacha pas qu'il trouvait l'Impératrice

sérieusement atteinte, et donna lo conseil de la

couvrir do vésicatoires. Le prince Eugène et la

reino Hortense, qui adoraient leur mère et ne

croyaient pas son état aussi grave, demeurèrent

consternés du diagnostic du médecin russe. Les

meilleurs médecins de Paris furent aussitôt

mandés auprès do l'Impératrice, et après une con-

sultation avec lo doctour Horeau, médecin ordi-

naire de cette princesse, reconnurent les symp-

tômes d'une angine d'un caractère très pernicieux.

L'Impératrice s'était plainte quelques jours aupa-

ravant do souffrir de la gorge, mais son entourage

aussi bien qu'elle-même avait cru à une simple

grippe, quo Joséphino avait négligé do soigner.

Plus tard on fit mémo courir dans le public des

bruits absurdes d'empoisonnement! Qui donc

aurait pu vouloir attenter aux jours de la bonne

Impératrice, et qui pouvait avoir un intérêt à la

fairo disparattro? Poser la. question, c'est nous

semble-t-il la résoudre.

Page 340: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 317

Le 28 mai il y eut dans l'état de l'auguste

malade une légère et trompeuse amélioration,

mais cette amélioration passagère ne fut pas de

longue durée. « Cette femme angélique, rapporte

madame Ducrest, craignant toujours d'affliger

ceux qu'elle aimait, ne se plaignait point, prenait

tous les remèdes ordonnés, et, par des regards

doux et tendres, cherchait à rassurer toutes les

personnes qui l'entouraient. » Ce jour-là l'empe-

reur do Russie devait venir dîner à la Malmaison,

mais la reino Hortense, justement alarmée de

l'état dans lequel elle voyait sa mère, se décida à

envoyer prier l'empereur Alexandre do vouloir

bien remettre sa visite à un peu plus tard. Mais,

au moment où le courrier allait partir, lo Czar

arrivait lui-môme à la Malmaison, bien avant

l'heuro fixéo pour le dîner auquel il devait prendre

part. Il fut alors convenu qu'on cacherait à l'im-

pératrice Joséphino laprésenco d'Alexandre, pour

no pas agiter la malade, et qu'on lui dirait quo la

visite du souverain russe était remise à un autre

jour. La reino Hortense dîna avec l'Emperour, et

s'oxeusant d'agir avec lui sans cérémonie, laissa

Alexandre seul avec lo prince Eugène pour

retourner auprès do sa mère. Madame d'Arberg

veilla cotto nuit du 28 au 29 mai dans la chambre

Page 341: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

318 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

de Joséphine qui ne paraissait pas souffrir, mais

se réveillait souvent, parlant à voix basse avec

elle-même ot répétant par intervalles ces mots :

« Bonaparte!, .l'île d'Elbe!...Marie-Louise!... '»

Le 20, jour de la Pentecôte, la reine Hortense,

tout à fait effrayée do voir sa mèro en proie à une

sorte do délire, alla chercher son frère, assez

souffrant lui-même depuis quelques jours et qui

ne put sortir de son lit qu'avec peine. Les deux

enfants de Joséphino pénétrèrent ensemble dans

la chambre de leur mère et remarquèrent avec

effroi l'altération profonde qu'avaient subie les

traits do colle-ci. « En apercevant ses enfants —

dit M. Aubenas — les yeux do l'Impératrice se

rempliront do larmes; elle leur tendit les bras

sans pouvoir se soulever et pouvant à peine parler,

car sa langue s'embarrassait. » Après l'avoir em-

brassée tous deux avec tendresse, le prince Eugène

resta seul au chovot de sa mèro; la reine Hortense,

no parvenant plus à maîtriser son chagrin, avait

dû sortir do la chambre pour donner libre cours

à sa douleur. Co fut co fils si dévoué et si tendre-

ment aimé de Joséphino, qui prépara et détermina

sa mèro —après avoir pris l'avis dos médecins

1. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine.

Page 342: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 310

— à recevoir les secours do la religion. On avait

envoyé chercher, à Rueil, le curé de la paroisse

qu'on no trouva pas au presbytère, et ce fut l'abbé

Bertrand, ce vieil et fidèle ami de Joséphine et do

ses enfants, qui remplit la mission d'administrer

à l'Impératrice les derniers sacrements. A la vuo

du visage entièrement décomposé de sa mère,

dans ces derniers instants, la reine Hortense

s'était évanouie: on dut l'emporter sans connais-

sance dans sa chambre. Ce fut en présence du

soûl prince Eugène que l'Impératrice expira peu

de temps après avoir reçu les bénédictions de

l'Eglise. « Après quelques efforts — ajoute

M. Aubenas — elle expira, consolation dernière,

entre les bras de son fils bien-aimô!. »

La désolation éprouvée par tous les serviteurs,

grands et petits, de la Malmaison, à la mort de

l'impératrice Joséphino, so répandit avec la funeste

nouvelle à Hueil et dans tous les lieux d'alentour

où elle était aimée comme une providence et une

mère. ocDepuis le jour fatal de la mort de l'Impé-

ratrice jusqu'au 2 juin que devaitavoirlieu l'enter-

rement, dit madame Ducrest, plus do vingt mille

personnes revirent Joséphine pour la dernière

fois. »

1. Aubenas, t. H, p. 550.

Page 343: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

320 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

Le 2 juin, à midi, les funérailles eurent lieu,

avec la plus grande pompe, dans la modeste et

petite église du village de Rueil, paroisse de la

Malmaison. |.

Les coins du drap mortuaire étaient portés par lo

grand-duc do Bade, époux de la princesse Sté4

phanie, par le marquis de Beauharnais, bcau-r

frère de l'Impératrice, le comte Tascher, sori

cousin germain, et le comte de Beauharnais, pôrô

de la princesse de Bade. Les deux jeunes enfants

de la reine Hortense menaient le deuil. Venaient

ensuite à pied, à la tête du convoi, précédant lo

personnel de la maison do l'Impératrice, lo géné-

ral Sackon, représentant l'empereur Russie, et

l'adjudant général du roi do Prusse remplaçant

son souverain, en même temps qu'un grand

nombre de princes étrangers, do maréchaux,

de généraux et d'officiers français. L'empereur

Aloxandro avait tout d'abord annoncé son inten-

tion d'assister en personne aux obsèques; mais,

apprenant que l'état de santé du princo Eugèno

ne permettrait pas à co dernier do les présider, le

Czar s'était abstenu. Les bannières dos diffé-

rentes confréries de la paroisse de Rueil, ot vingt

jeunes filles vêtues de blanc, chantant des can-

tiques, faisaient partie du cortègo, dont la haie

Page 344: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L IMPERATRICE JOSEPHINE. 321

était formée par des hussards russes et des

gardes nationaux. Deux mille pauvres de tout âge

fermaient la marche.

Le corps de Joséphine, placé dans un cercueil

de plomb, renfermé dans une caisse de bois, fut

ensuite déposé provisoirement dans une partie du

cimetière où se trouvaient les corps des cent

trois personnes qui avaient été écrasées dans la

rue Royale en revenant du feu d'artifice tiré sur

la place Louis XV, à l'occasion du mariage de

Louis XVI avec Marie-Antoinette 1.

Monseigneur de Barrai, archevêque de Tours

et premier aumônier de l'Impératrice, avait pré-

sidé la cérémonie funèbre, assisté des évoques

d'Évreux et de Versailles. Ce prélat avait aussi,

après l'évangile, prononcé d'une façon sobro mais

touchante l'oraison funèbre de la première femme

de Napoléon.

En 1824 la reine Hortense et son frère, ayant

acheté une des chapelles de l'église de Rueil,

obtinrent enfin, non sans difficulté, l'autorisation

d'y ériger, sur son tombeau, un monument qu'on

y voit encore.

Voici les réflexions qu'inspirait en 1814 A

1. MadamoDucrest, Mémoiressur l'impératriceJoséphine.21

Page 345: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

322 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

M. le général de Reiset la nouvelle de la mort

presque subite de l'impératrice Joséphine :

« II n'y a qu'une voix — écrivait dans ses Sou-

venirs cet officier générai—

pour regretter cette {

femme charmante, bonne entre toutes, dont la vie-

entière s'est passée à rendre service. Lorsqu'elle;

était toute-puissante, elle n'a jamais usé de son!

influence quo pour fairole bien et je ne crois pasj

que l'excellente créature ait jamais eu un ennemi. »|

Et plus loin :

« Le chagrin de voir détrôné et exilé Napoléon

qu'elle chérissait toujours, les inquiétudes qu'elle

avait pour la position de ses enfants, depuis le

renversement do l'Empire, tout cela l'avait pro-

fondément déprimée. »

Enfin nous terminerons la citation de ces

Souvenirs par un paragraphe où lo vicomte de

Reiset résume l'impression générale produite par

la mort do Joséphino sur ses contemporains :

« Tout Paris a été profondément impressionné

par la mort de l'Impératrice; il y a longtemps

qu'on no l'appelait quo la bonne Joséphine, et elle

avait rendu tant doservicos que les regrets qu'elle

inspire sont unanimes, sans distinction do partis 1. »

1. Souvenirsdu vicomtede Beisel,3 volumes.

Page 346: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

CHAPITRE XXII

Les deux femmes de Napoléonlui ont manqué dans son exil.— Joséphine, si elle eût vécu, aurait certainement cherchéà le rejoindre à Sainte-Hélène et i adoucir sa captivité. —

Citation do paroles attribuées au cardinal Fesch sur la

catastrophe qui a terminé le règne de l'Empereur. — Récitd'une visite de Napoléon à la Malmaison&son retour de l'Iled'Elbe.—Jugements portés sur Joséphine par Bausset,Rovigoet Méni""t, _ Critiques dont la mémoire de l'Impératrice aété l'objet. —Malgré ces ombres légères dans le portrait decetteprincesse,Joséphine demeurera dans l'histoire une figuresouveraine digne de la popularité qui reste attachée à son

Il est assez frappant de remarquer que la mort

de l'impératrice Joséphine est précisément sur-

venue, d'une façon inopinée, à l'époque la plus

critiquo de l'épopée napoléonienne. Il semble-

rait quo la Providence, quand il lui a plu de para-

lyser le prodigieux instrument de ses impéné-

trables desseins, ait eu l'intention de rendre plus

complète l'immolation de Napoléon, ce Promé-

Page 347: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

324 L IMPERATRICE JOSEPHINE.

thée moderne. La mystérieuse Puissance qui gou-

verne lo monde n'a pas voulu permettre en effet

que, sur le rocher de l'exil, aucune consola-

tion vînt adoucir les souffrances et les derniers

moments de l'Empereur. La première femme du

grand homme — colle qui lui était sisincèrej-

ment et si profondément attachée — aurait vrai-

semblablement obtenu des souverains étrangers

l'autorisation d'aller consoler ses chagrins jà

Sainte-Hélène, si la mort n'était venue subite-

ment la frapper. C'était cependant cette épouse

dévouée que l'Empereur avait délaissée pour

assurer, croyait-il, l'accomplissement de ses am-

bitieuses vues dynastiques! Sa seconde femme,

l'impératrice Marie-Louise, sur les sentiments de

laquelle il avait cru pouvoir compter, oubliait au

contraire Napoléon malheureux, se séparait de

lui, lui refusait toute espèce d'assistance, tout

témoignage de souvenir ou même d'intérêt.

Certes elle devait être éclatante, ici-bas, l'expia-

tion des fautes qu'avait pu commettre, au cours

do sa carrière orageuse, l'extraordinaire génie

dont la prodigieuse histoire exaltera de géné-

ration en génération l'imagination des peu-

ples I

. Aussi, dans un entretien qui nous a été con-

Page 348: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 32*

serve 1, le cardinal Fesch a pu dire en parlant

de Napoléon son neveu :

« Dieu ne l'a pas brisé. L'Écriture parle ici

clairement. Quand Dieu veut perdre un homme,

il l'écrase sur la place et il le jetto au feu; mais

lui, il ne l'a pas écrasé sous son pied, il ne l'a pas

jeté au fou... Il l'a humilié, ot c'est la voio du

salut, c'en est la preuve... Celui que Dieu humilie

^st sauvé, car l'humiliation c'est l'expiation et

le signe de la miséricorde! »

En 1815 — un an environ après la mort de

Joséphine—

Napoléon, do retour en France

pendant les Cent-Jours, vint faire un pèlerinage à

la Malmaison avant de partir pour sa dernière

campagno qui allait se terminer à Waterloo. La

reine Hortense, toujours fidèle à la fortune

impériale, se trouvait là pour lo recevoir.

« L'Empereur, dit M. Aubenas, arriva accom-

pagné do MM. Mole et Denon, ot du colonel

Labédoyèro. A son entrée dans lo vostibule du

château il parut ému. Il voulut tout revoir. Il se

promena pendant une heure avec sa belle-fille,

dans lo jardin, dans lo parc, dans la serre,

1. Sentimentsde Napoléonsur le christianismepar le chevalierde Beauternc.

Page 349: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

326 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

l'entretenant de celle dont lo souvenir remplissait

ce séjour créé par ses soins. A chaque instant il

lui semblait qu'elle allait apparaître au détour

d'une allée. Le déjeuner fut silencioux. Après,

l'Empereur parcourut lentement la galerie, regar-

dant avec un plaisir triste et doux, ces tableaux,

ces objets d'art si choyés. Il témoigna ensuite le

désir de visiter la chambre où Joséphine était

morte. La reine s'apprêtait à monter avec lui,

mais il'lui fit signe de la main de rester, et

s'achemina seul vers cet appartement bien connu.

Il y passa quelques instants auprès du lit où la

femme —qu'il avait tant aimée — avait expiré en

pensant à lui, et il redescendit en proie à une

émotion qu'il ne cherchait plus à cacher 1. »

« L'Empereur, a écrit M. de Las Cases, dans le

Mémorial — disait qu'il avait été fort occupé dans

sa vie de deux femmes très différentes : l'une était

l'art et les grâces, l'autre l'innocence et la simple

nature, et chacune avait bien son prix, s On

pourrait ajouter à ce qui précède que la première

était remplie de coeur et le dévouement personnifié,

tandis que l'innocence tant vantéo de la seconde

ne fut que passagère et que, dans ce caractère

1. Aubenas, Histoirede l'impératriceJoséphine,t. II, p. 561-562.

Page 350: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 327

ingrat, ce ne fut jamais le dévouement, mais

l'égoïsme qui prévalut.

M. do Bausset, dans ses Mémoires, après avoir*

dit de Joséphine qu'il était impossible d'avoir plus

de grâces dans les manières et dans le maintion

ajoute encore : « Ses yeux ot.son regard étaient

enchanteurs, son sourire plein de charme; l'en-

semble de ses traits ot sa voix étaient d'une

douceur extrême; sa taillo était noble, souple et

parfaite ; — le goût lo plus pur et l'érôganco la

mieux entendue présidaient à sa toilette, ot la

faisaient paraître beaucoup plus jeune qu'elle ne

l'était en effet. Mais tous ces brillants avantages

n'étaient rien auprès de la bonté de son coeur.

Son esprit était aimable et gai; jamais elle ne

blessa l'amour-propre de personne, et jamais elle

n'eut que des choses agréables à dire; son carac-

tère fut toujours égal et sans humeur. Dévouée

à Napoléon, elle lui communiquait, sans qu'il

s'en aperçût, sa douceur et sa bienveillance, et

lui donnait, en riant, des conseils qui lui ont

été plus d'une fois utiles. Au risque de me

répéter, je dirai que, toujours prête à obliger,

elle fit connaître à Napoléon le prix de l'indul-

gence et de la bonté, et que je ne connais

personne qui puisse dire qu'elle ait refusé un

Page 351: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

328 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

bienfait ou des secours dans tout ce qui pouvait

dépendre d'ello. Aussi les bénédictions ot les

voeux la suivirent dans son naufrage, ot plus tard

les hautes puissances do l'Europe s'ompressôrent,

par leurs hommages, de s'unir aux sentiments de

touto la nation. Plus qu'aucune femme quo j'aie

connue, ello avait ce goût do la société qui, en

général, a tant do charmes pour les femmes

aussi heureusoment partagées. La nature lui

avait donné des sentiments toujours vrais, tou-

jours bons. Peu de femmos ont eu au même

degré ce sentiment délicat qui les porte à s'oublier

elles-mêmes pour no s'occuper que de l'objet qui

leur est cher; cette patience, ce courage vrai,

cette tranquillité dans l'excès du malheur; cetto

noblesse de la bienfaisance qui répugne à toute

ostentation; ces recherches fines et ingénieuses

dans la manière de présenter le bienfait; cette

suite, cette constance, j'oserai dire, dans la

volonté d'obliger; enfin celte sensibilité qui no lui

faisait ambitionner d'autre prix que le retour des

sentiments qu'elle méritait d'obtenir 1, »

a L'impératrice Joséphine, a dit de son côté lo

duc de Rovigo, descendit du rang suprême avec

1. Mémoiresanecdoliquessur l'intérieur du palais impérial,parL. G.-F.de Bausset, t. I, p. 375.

Page 352: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 329

beaucoup do résignation, en disant qu'elle était

dédommagée do la porto des honneurs par la con-

solation d'avoir obéi à la volonté do l'Empereur.

Ello quitta la Cour, mais les coeurs ne la quittè-

rent point; on l'avait toujours aimée parce que

jamais personne ne fut si bonne. Sa prévenance

envers tout lo monde fut la même, étant impéra-

trice qu'elle l'avait été auparavant; elle donnait

avec profusion et avec tant de bonne grâce, qu'on

aurait cru être impoli quo do ne pas accepter : on

ne pouvait entrer chez elle sans en revenir

comblé. Ello n'a jamais nui à personne dans le

temps do sa puissance; ses ennemis eux-mêmes

en ont été protégés; il n'y a presque pas eu un

jour do sa vie où elle n'ait demandé quelque

grAco pour quelqu'un que souvent elle ne

connaissait pas, mais qu'elle savait mériter son

intérêt; elle a établi un grand nombre de familles

et, dans ses dernières années, elle était entourée

d'uno peuplade d'enfants, dont les mères avaient

été mariées et dotées par ses bontés. La méchan-

ceté lui reprochait un peu de prodigalité dans ses

dépenses; faut-il l'en blâmer? On n'a pas mis le

môme soin à compter les éducations qu'elle

payait pour des enfants de parents indigents ; on

n'a point parlé des aumônes qu'elle faisait porter

Page 353: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

330 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

à domicile. Toute sa journée se dépensait à

s'occuper des autres, et fort peu d'elle. Tout le

monde la regretta pour l'Empereur, parco qu'on

savait qu'elle ne lui disait jamais que du bion de

presque tout ce qui lo servait. Elle fut même utilo

à M. Fouché qui avait voulu, on quelque sorte,

se rendre l'instrument de son divorce un "an plus

tôt 1. »

M. de Méneval s'exprime à son tour sur lo

compte de l'Impératrice en ces termes : ocJosé-

phine avait en elle un attrait irrésistible; elle

n'était pas régulièrement belle, mais ello avait la

grâce plus belle encore que la beauté, comme l'a

dit notre bon La Fontaine. Elle avait le mol aban-

don et la gracieuse négligence des créoles. Son

humeur était toujours égale; elle était douce et

bonne, affable et indulgente avec tout le monde,

sans acception de personnes. Elle n'avait ni un

esprit supérieur, ni beaucoup d'instruction, mais

son exquise politesse, son grand usage du monde

et de la cour et de leurs innocents artifices lui

faisaient toujours trouver, à commandement, ce

qu'il y avait de mieux à dire et à faire.

» L'Empereur l'avait beaucoup aimée et conser-

1. Rovigo,Mémoires,t. IV, p. 257.

Page 354: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 331

vait pour elle un sentiment d'affection qu'avaient

fortifié l'habitude et ses attachantes qualités. On

eût dit qu'elle était née pour le rôle que lui avait

imposé l'élévation du rang où ello était montée

aveo lui. Associée à sa fortune, elle l'avait admi-

rablement secondé par l'ascendant de sa grâce,

de sa douceur et de sa bonté; elle avait épousé sa

gloire autant que sa personne. Quoique entière-

ment étrangère à la politique et aux affaires du

gouvernement, elle avait concilié à Napoléon,

autant qu'il était en son pouvoir, la faveur des

partis. Elle aimait le luxe et la dépense, plus

peut-être que n'aurait dû le permettre son humeur

bienfaisante; car cette prodigalité la mettait

souvent dans l'impuissance de satisfaire ses goûts

charitables, quoique, dans plusieurs circons-

tances, Napoléon ait généreusement réparé les

suites de sa trop grande facilité. Elle mettait,

dans sa manière d'obliger ou de reconnaître un

service, un charme et une délicatesse qui lui

gagnaient les coeurs. Elle montra, dans son

malheur, une résignation qui ne se démentit

point; ce qui aggravait le poids de sa peine, c'était

l'inflexible nécessité de se séparer de l'Empereur,

mais elle ne fut jamais négligée par lui'. »

1. Méneval,Mémoires,t. II, p. 289-200.

Page 355: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

332 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

La plus grande partie des contemporains de

l'impératrice Joséphino ont été unanimes, on le

voit, à lui décerner des éloges mérités. Ces

éloges ont été cependant mêlés de quelques critU

quos. Ses dépenses excessives et lo cadre luxueux

dans lequel elle ne pouvait se passer de vivre ont

donné prise à ses détracteurs. On lui a également

reproché d'êtro banale dans sa manière d'obliger;

mais ce reproche cesse d'être, mérité si l'onj

considère qu'elle a beaucoup plus favorisé les

humbles, qu'enrichi los courtisans do sa puissance.

Joséphine a été de plus accusée do s'être adonnéo

à des pratiques superstitieuses autant que

puériles. Cette disposition de son esprit n'était,

dans tous los cas, de nature à nuire à personne,

et puis elle était femme, et la prophétie dont

mademoiselle de la Pagerie avait été l'objet à la

Martinique, pouvait contribuer, on en con-

viendra, à fortifier, chez elle, un pareil penchant.

On a pu voir d'ailleurs des esprits supérieurs,

dominés eux-mêmes par une imagination trop

vive, n'être pas à l'abri de ce petit travers. Il ne

devrait être permis d'altérer la ressemblance des

personnages dont on écrit l'histoire que tout au

plus pour les embellir, et non pour prêter des

torts graves et imaginaires aux êtres qui ne sont

Page 356: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 333

plus! Dans les ouvrages prétendus historiques,

c'est presque toujours le contraire qui se produit;

on y cherche à dissimuler le bien et à augmenter

le mal. Un auteur dont la plume est une arme

frappe des cadavres, sans calculer qu'il ajoute aux

justes regrets des familles par ses mauvais propos;

H vaudrait mieux à la rigueur ne se montrer

injuste que pour les vivants, qui du moins ont le

moyen de faire cesser le mensonge dont on

pourrait les rendre victimes. Joséphine ne fut

peut-être pas toujours une hermine, mais elle ne

fut jamais non plus la créature dégradée qu'on

nous a trop souvent dépeinte.

Si Joséphine avait été réellement le gracieux

monstre d'hypocrisie qu'on nous a décrit dans

plusieurs ouvrages, sans en fournir d'ailleurs

aucun témoignage probant, comment se fait-il

qu'elle ait si admirablement élevé ses enfants?

Car c'est bien elle seule qui les a formés, leur père

étant mort guillotiné à une époque ou ils étaient

encore en bas âge. Comment se fait-il qu'Eugène

et Hortense aient puisé, dans les enseignements

de leur mère, un tact aussi parfait, une telle

dignité, une semblable élévation de sentiments,

qualités de premier ordre, et que bien peu de

membres de la famille, Bonaparte ont paru pos-

Page 357: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

334 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

séder à un degré aussi éminent? Comment

expliquor le culte que les enfants de Joséphine

ont toujours conservé pour leur mère, de son

vivant aussi bien qu'après l'avoir perdue, si

l'hypothèso qui consiste à nous représenter colle-

ci comme uno des natures les plus égoïstes et les

plus perfides était véridique? Beugnot qui a

connu Joséphino et l'a souvent fréquentée,'

Beugnot que l'on s'accorde généralement à con-

sidérer comme un esprit perspicace, a jugé sin-

cère la première femme de Napoléon. La thèse

contraire qui consiste à faire de Joséphine un

être profondément faux et immoral n'a été sou-

tenue quo par quelques-uns de nos contempo-

rains, dont les assertions à cet égard ne sauraient

en aucun cas, suivant nous, posséder la valeur

du témoignage d'un mémorialiste autorisé ayant

vécu près de Joséphine. Les écrits de tous ceux

qui ont connu ot approché cette princesse sont en

effet unanimes pour nous la représenter, comme

le lecteur a pu s'en rendre compte, soûs un jour

absolument opposé à ces critiques. Tous sont

d'accord pour la déclarer foncièrement bonne,

charitable sans ostentation, dépourvue de ran-

cune et même d'aigreur vis-à-vis de ceux qui cher*

chaient à lui nuire, alors qu'il eût été si facile à

Page 358: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE. 335

l'Impératrico d'en tirer vengeance. Que Joséphine

ait été souvent banale, dans les manifestations do

sa bienveillance coutumiôre, nous n'y contre-

dirons pas, car le métier de souverain exige,

plus quo tout autre, un certain déploiement de

paroles obligeantes et de banalités gracieuses.

Qu'elle ait été futile, dépensière, trop peu sérieuse

dans quelques circonstances graves, c'est encore

un fait malheureusement avéré ; mais qu'elle

n'ait jamais véritablement aimé ni ses enfants, ni

Napoléon son mari et son bienfaiteur, c'est là une

accusation contre laquelle protestent les conti-

nuelles preuves de dévouement qu'elle leur a

données, l'histoire en un mot de toute sa vie.

Bonne parente, plus excellente amie, Joséphine

n'a été ni fausse ni égoïste. Ce qui prouve qu'elle

n'était pas fausse c'est l'antipathie instinctive.

qu'elle éprouvait pour des caractères tels que

celui de Talleyrand; elle aimait la franchise, et

elle a contribué de la sorte à faire de son fils, le

prince Eugène, le plus droit et le plus loyal des .

personnages du premier Empire. La mère de la

reine Hortense n'a nullement, croyons-nous,

mérité, dans les grandes circonstances de sa vie,

la réputation de duplicité dont quelques auteurs

ont voulu de nos jours la flétrir. Elle s'est au

Page 359: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

336 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

contraire montrée ferme et sincère dans ses

affections aux jours do prospérité comme aux

heures de l'épreuve et do l'adversité. Sa tendresse

infinie pour ses enfants ne s'est jamais démentie,

et ses préoccupations, jusqu'à son dernier soupir,

ne se rapportaient qu'à ce fils et à cette fille

chéris si exclusivement par elle. La relation des

derniers moments de l'existence do Joséphine

offre le témoignage éclatant de sa tendresse

maternelle; ce n'est pas à sa propre destinée

qu'elle voulait songer, dans le cours des der-

nières semaines qui ont précédé sa mort, mais ce

fut uniquement à l'avenir si gravement com-

promis de ses enfants bien aimés.

Malgré tous les reproches mérités ou immé-

rités qu'on a pu lui faire, Joséphine, dans le

souvenir du peuple, restera l'une des souveraines

les plus aimées do l'histoire de France.. Elle fut

le bon génie de Napoléon, car cette force avait

besoin d'être tempérée par cette douceur. En

.dépit des efforts des iconoclastes qui ont tenté

de mutiler les traits de la gracieuse créole, José-

phine restera la bonne Impératrice pour ceux qui

placent, au-dessus de toutes les qualités, celles

qui viennent du coeur : là mansuétude, la bien-

veillance et la bonté.

Page 360: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

APPENDICE

En 1824 la reine Hortense et le prince Eugène

achetèrent une des chapelles de l'église de Rueil

et ils y firent élever le tombeau de leur mère. Ce

monument de marbre blanc veiné, exécuté par

Gilet et Dubuc, d'après les dessins de l'archi-

tecte Bertrand, consiste en une voûte à plein

cintre, ornée de rosaces, et supportée par quatre

colonnes d'ordro ionique, élevées sur un pié-

destal de deux mètres de hauteur. Les colonnes

sont hautes de quatre mètres et l'archivolte de

trois mètres, Le corps de l'impératrice est déposé

dans le massif du socle. Il est renfermé dans trois

cercueils, l'un de plomb, le second d'acajou et

le troisième de chêne.

Le socle porto l'inscription suivante, gravée

en creux et dorée :

A JOSÉPHINE

' EUGÈNE ET HORTENSE

1825.

22

Page 361: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

338 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

Uno statue on marbre de Carraro, ouvrago de

Cartellier, représente Joséphino en costume de

cour. Elle est agenouillée sur un carreau près

d'un prie-Dieu beaucoup trop petit. Cette statue,

d'après lo témoignage de ceux qui ont connu

l'Impôratrico est d'une ressemblance parfaite...

Dans l'ancienne chapelle des seigneurs do

Buzonval, et dans un caveau construit sous cette

chapelle reposent les restes de la reine Hortensç,

morte le 5 octobre 1837 à son château d'Arenem-

borg sur les bords du lac de Constance, et amenéo

à Rueil par le comte Tascher de la Pagerie, son

oncle à la modo do Bretagne, le 19 novembre

do la même année.

Lo tombeau élevé par l'empereur Napoléon III

à sa mère a été terminée en 1857. Il porte l'ins-

cription :

À LA REINE HORTENSE

SON FILS

NAPOLÉON III

Nous terminerons la reproduction des pièces

annexes par la copie d'extraits de deux lettres

adressées à sa femme par le baron de Méneval,

secrétaire des commandements de l'impératrice

Marie-Louise. Ces lettros sont datées de Schon-

Page 362: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE; 339

brunn ot relatives à la mort de l'impératrice

Joséphine, dont la nouvelle était parvenue ' à

Vienne

Première lettre.

Schônbrunn, 10juin 1814.

« J'ai appris hier la triste,nouvelle de la mort

de cotte excellente impératrice Joséphine. Je n'ai

pu m'empêcher d'en témoigner mon vif regret

même à S. M. qui n'a aucun motif delà regretter,

mais qui cependant s'est montrée sensible à une

fin si prompte et si prématurée. Ce que tu

ajoutes de la maladie du prince Eugène, qui

aurait gagné le mal de sa mère en la soignant,

m'a serré le coeur. En vérité il ne manque plus

à co digne prince que d'être victime de sa piété

filiale, pour être lo modèle accompli do toutes

les vertus. »

Deuxième lettre.

Schônbrunn, 15 juin 1814.

« Tout co que tu me dis de cette parfaite impé-

ratrice Joséphine est bien d'accord avec ce que

j'on pense. Quelle destinée que celle de tout ce

qui a appartenu à l'Empereur! On est tellement

Page 363: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

349 L'IMPÉRATRICE JOSÉPHINE.

étourdi, par le spectacle qu'on a sous les yeux,

qu'on ne fait point attention à la suite qu'il y a

dans tous ces événements. Sans vouloir philo-

sopher, on ne peut s'empêcher d^tvoip4iimagi-nation fortement saisie et effraY^e^èuf^i'avaàk.j »

Page 364: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

- TABLE

INTRODUCTION '. |

CHAPITHB I

Naissancede Joséphine à la Martinique. — Une négresselui prédit les plus hautes destinées. — Une de ses tentes,madame de Renaudin, a l'idée de faire venir Joséphineen France. — Arrivée de cette dernière et peu de tempsaprès, célébration de son mariage avec le vicomte deBeauharnais. — Des dissentiments ne tardent pas à soproduire dans le jeune ménage. — Naissance d'Eugènede Beauharnais. — M. de Beauharnais se sépare de safemme. — Premiers symptômes révolutionnaires. —

Naissance de sa fille Hortense. — Joséphine, après un

séjour a la Martinique, so réconcilie avec son époux. • t

CHAPITRE! II

Atexandre de Beauharnais, épris des idées nouvelles,.devient un personnage politique. — Fuite de Varennes.— Beauharnais président de l'Assemblée Nationale. —

Retour d'Alexandre de Beauharnais à son métier d'offi-cier. — Il est nommé général en chef de l'armée duRhin, — 11 ne tarde pas a donner sa démission en

Page 365: L´Impératrice Joséphine - Baron de Méneval 1898

342 TABLE.

présence des suspicions dont il est l'objet. — Énergiquenllitudo de Joséphine pour sauver son mari incarcéré.Kilo est a son tour arrêtée et emprisonnée. — I79'i.Alexandre de Beauharnais monte sur l'échafaud le0 thermidor. — La chute de Robespierre sauve la viede Joséphine dont la condamnation avait été prononcée. 14

CHAPITRE III !

iJOG-1797.CalomniesdonfcJoséphine a été la victime, -r IPénuriedans laquelle ellese trouva par suite de la confis- jcation des biens du général de Beauharnais. — Voyage jde Joséphino et de ses enfants &Hambourg. — M. Ma- ;thiessen. — Retour &Paris. — Hortense de Bcauhornals [placée chez madame Campan. — Eugène, son frère, \

. chez,Iq général,Bonaparte. —Relations,qqi s'établissent ;'u la Buitode cette vislto entre Joséphine et Bonaparte.— Portrait de Joséphine. — Mariage de madame doBeauharnais avec le général Bonaparte. — Pas demariage religieux. — Douze jours après, départ doBonaparte pour Tannée d'Italie. — Heureuse influencoqu'exercera Joséphine sur son second mari 28

CHAPITRE IV

Joséphine devient à Paris l'objet des égards et de la con-sidération de tous. — La gloire acquise par son marisur les champs do bataille rejaillit sur elle. — Lettresdu général Bonaparte a Joséphine. — Joséphine, pourrépondre aux voeuxardents do son époux, so met en

1 route pour l'Italie. — Flfttteuso réception qui lui estréservée à Milan. — Elle habite le palais Scrbeljoni. •—Nouvcltcslettres du général Bonaparte a sa femme (col-lection Didot).— Retour de Joséphine en France aprèsavoir visité Rome,Venise et Gènes , . 42

CHAPITRE V

Retour du général et de madamo Bonaparte & Paris. —Situation exceptionnelle faite au vainqueur des armées

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TABLE. 343

do l'Aulrichp. —Féto qui leurest donnée par Tallcyrand.— Propos de Girardin sur Joséphine. — Goût de celle-ci pour le luxe et la toilette. — Sa prodigalité bienconnue. — Hôtel de la rue do la Victoire. — Réceptionschez Joséphine. — Projet d'expédition en Egypte. —•Lo3 mai 1703Bonaparte part pour Toulon. — Chagrin de

. Joséphine do ne pas suivre son mari en Egypte. — Elleso rend aux eaux de Plombières. — Elle y est victimed'un grave accident. — Rapports malveillants adressésen Egypte au général Bonaparte sur la conduite de safemme. — Scène pénible entre les deux époux au retourdu général.—Elle est suivie d'une complèteréconciliation. 58

CHAPITRE VI

{700-1800.Heureux caractère do Joséphine. — Sa douceurinaltérable, sa bonté. — Elle professe en toute occasionpour Napoléonlo dévouement lo plus absolu. —Après lecoupd'Ktatdu 18brumaire, lo général Bonapartenommépremier consul. — Résidence au Luxembourg d'abord,bientôt après aux Tuileries. — Détails sur l'intérieur du

palais consulaire. —Madame deMontesson.— Perfectionoccomplio avec laquelle Joséphine remplit le rôle de

compagne du chef do l'État. — Formation d'une sortedo petite cour. — Les dépenses inconsidérées doJoséphine, source do reproches do la part de Bona-

parte. — Détails donnés par M. Aubenas et par madamed'Abrantès sur l'élégance suprême de Joséphine et sestrois toilettes 73

CHAPITRE VII

tSOMm. Paix do Lunéviltc, après tes batailles do

Marengoet de Hohenlindcn, signée ie 7 février 1801.—Mission de madame de Gulchc auprès de Joséphino etdu Premier Consul. — Insuccès de la séduisante ambas-sadrice des princes Bourbons. — Machine infernale. —Emotioncruelle de Joséphine. — Une ère de pacificationgénérale semble s'ouvrir après le traité de Lunéviltc. —Les beaux jours do la Malmaison; comédies et divertis-sements auxquels prennent part Bonaparte et Joséphine.

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344 TABLE.

— Partialité do cette dernièro pour Fouchô. — Unoaccusation portée dans le Mémorialcontro Joséphino estréduite à néant par un témoignage tiré des Mémoiresdo Thibaudeau. — Louis Bonaparte; son mariage avecHortense de Beauharnais. — Paix d'Amiens, ou mois demai 1802.— Naissance du fils atné de Louis Bonaparte.— Signature du Concordat 88

CHAPITRE VIII.\

Rupture do la paix d'Amiens en 1803.— Appréhensions \manifestées par Joséphine de l'élévation toujours crois-sante de son mari et d'elle-même. — Elle n'eut jamais (beaucoup d'ambition. — Voyage du ménage consulaire jdans les provinces belges. — Lettre de Joséphine à sa ifille Hortense. — Complot do Georges Cadoudal. —

Camp do Boulogne; Immenses préparatifs do descenteen Angleterre.—Deux lettres de la correspondanceparti-culière de Joséphino. — Condamnation des principauxfauteurs du complot do Georges et de leurs complices.— Arrestation et exécution du duo d'Enghlen. — Cha-grin et regrets de Joséphine à ce sujet. — Témoignagedu prince Eugène à propos de co cruel événement ... 103

CHAPITRE IX

4504.Proclamation do l'Empire. — Le Sénat se rend encorps à Saint-Cloud pour y saluer le nouvel empereur etla nouvelle impératrice. — Discours de Cambacérès.—

Organisation de la cour et des grandes charges. —

Quelque temps avant le couronnement, graves dissenti-ments dans la famille impériale. — Joséphine sur lo

point d'être sacrifiée à la jalousto de certains membresdo la famille Bonaparte. — Arrivée du pape Pie VU àParis. — Triomphe de Joséphine, mariage religieuxsecret, cérémonieimposantedu sacre et du couronnement. 117

CHAPITRE X

Félicitations et hommages dont Joséphine devient l'objet.—Honneurs décernés à son fils Eugène. — Portrait de

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TABLE. 345

celui-ci. — Nouvelle coalition. — 1805.Napoléon se meten campagne. — Ses lettres a Joséphine. — Capitulationd'UIm. — Lettre de Joséphino a, sa fille. — Nouvelleslettres de Napoléon. — Désir qu'avait toujours Joséphined'accompagner son mari et de ne pas se séparer de lui.— Arrivée de Napoléon à Vienne. — Voyage de José-

phine à Munich. — Victoire d'Austerllt* 131

CHAPITRE XI

Séjour de l'Impératrice Joséphine à Munich. — Lettres deNapoléon&celle-ci. — Paix de Presbourg. — Napoléon àMunich. — Mariage du Princo Eugène avec la fille durot de Bavière. — Satisfaction de Joséphine. — Sa lettreà sa fille Hortense à ce sujet, r- Mariage de Stéphaniede Beauharnais avec le princo de Bade. — Les frères del'empereur Napoléon créés rois. —Nouvelle lettre del'Impératrice a sa fille. — 1806. Campagne de Prusse.— Correspondances diverses entre Joséphine, Bonmari,sa fille, etc. — Désir de l'Impératrice d'aller à Berlin. 140

CHAPITRE XII

Chagrin de Joséphine de sa longue séparation d'aveol'Empereur. — Lettres de Napoléon pour la raisonner.— Jalousie de Joséphine soupçonnant l'admiration deNapoléon pour les belles dames de Varsovie. — Pre-mières craintes relatives à la possibilité d'un divorce.— RôledeFouché; son portrait. —Mort du fils atnè dela reine Hortense. — i807. Chagrin de Joséphine et desa (Rie. — Portrait d'Hortense de Beauharnais. — Vic-toires d'Eylau et do Friedland. — Entrevue et paix doTilsitt. — Retour de Napoléon — Maison de l'Impéra-trlco. —Incartade de Fouché\ il se permet, sans mandat,d'engager l'Impératrice à se prêter a un divorce. —

Napoléonà Milan.—Il adopte le prince Eugène, nommévice-roi,comme sonsuccesseur éventuel au trône d'Italie. 162

CHAPITRE XIII

{808.L'attention de Napoléon attirée sur les événements

d'Espagne. — Entrevue de Boyonnoet séjour à Marrao.— L'impératrice Joséphino obtient l'autorisation d'y

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346- TADLE.

accompagner l'Empereur. — La reine Marie-Louise

d'Espagne.— Retour a Saint-Cloud pour lo 15 août. —

Entrevue d'Erfurt. — Campagne do Napoléon en

Espagne. —Lettres de Napoléon à Joséphine. — L'Au-triche adopte une attitude hostile. — Préparatifs do

guerre de l'Empereur. — Joséphine à Strasbourg. —i Légère blessure do.Napoléona Ratisbonne. — Lettres à

Joséphine pour la rassurer (collection Didot).—Rôle du

prince Eugène. — Nouvelles lettres de l'Empereur à

i'impératrice. —Victoiredo Wagram. — Armistice suivido la conclusion de la paix. — Tentative d'assassinatsur Napoléon.— Nouvellespensées de divorce ....'. 181

CHAPITRÉ XIV

{809. Préliminaires du divorce. — Cambacérès consultés'y montre contraire — Angoisses et perplexités doJoséphine. — Entretien do Napoléonavec Lavalettc. —Lo jeudi 30 novembre Napoléon laisse échapper desparoles fatales devant Joséphine. — Détails dans lesMémoiresde Bausset 107

CHAPITRE XV

Lettre du prince Eugène & Napoléon. — Arrivée de plu-sieurs souverains a Paris. — Banquet aux Tuileries. —Dernièro apparition de Joséphino en public. — Arrivéedu princo Eugène à Paris. — Conversation de Napoléonavec son fils adoptlf. — Lettre de Joséphine a Napoléon(BiographieMtchaud). — Réponse de l'Empereur. —M. do Narbonnc. — Cassation du lien religieux entreJoséphinoet Napoléon,—Alliance russe ouautrichienne.—Joséphine favorise lo mariago autrichien . ..... 212

CHAPITRE XVI

Cérémonie du divorce. — Discours des deux époux aumoment de leur séparation. — Paroles qui échappent aJoséphine. — Abattement de Napoléon en rentrant dansson cabinet. — Scène déchirante entre lui et Joséphine

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TABLE. 347

dans la soirée. —L'Empereur va séjourner a Trianon.— Joséphino quitte les Tuileries pour n'y plus rentrer.— Dernier et public hommage du Sénat a Joséphine.— Napoléon va visiter celle-ci & la Malmaison. —

Napoléon écrit û Joséphine des lettres fréquentes. —Craintes do cette princesso de so voir obligéede s'éloi-gner de France. —Napoléon la rassure 223

CHAPITRE XVII

{810.Joséphinopart pour le château do Navarre. — Bruitsqu'on colportoauprès d'elle sur Napoléonet sa nouvelleépouse Marie-Louise.— Portrait do cette dernière. —Lettre cérémonieuse do Joséphine a l'Empereur. —

Réponsede celui-ci.—Nouvellelettre remplie d'effusionquo lui adresse Joséphino. — Napoléonveut qu'on con-tinue a rendre usa premierofemmelesmêmeshommages.—Lettresde Joséphinea la reine Hortense.—Elle va faireun voyageà Genèveet prendro les eaux d'Aixen Savoie.— Détails sur son séjour. — Toujours sa crainte d'êtreéloignée, par ordre, do France et sa peur d'ètro oubliéede l'Empereur 244

CHAPITRE XVIII

1811. Travaux exécutés par Joséphino a Navarre. —Existencequ'elle y mène. — M. l'abbé de Saint-Albin.— Monseigneur Bpurller évoque d'Évreux. — Luxe

royal. — Jeux et lectures lo soir. — Promenadesen voi-ture en grand apparat. — Les conversations&Navarrerapportées à l'Empereur. — Lo princo Eugène aNavarre. — Personnel do la cour*de Joséphine. — Lo

jour de l'an et l'Impératrice. — La reine Hortensechezsa mère. — La naissance du roi do Rome est annoncéeù Joséphine. — Lettres de l'Empereur a celle-ci. —

Libéralité de l'Impératrice pour le porteur du message. 201

CHAPITRE XIX

/S/2. Retourdo Joséphine a la Malmaison.— La chambroaux reliques. — Magnificencedes appartements du rez-de-chaussée. — Cambacérèset Masséna fréquentent la

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348 TABLE.

Malmaison. — Récit circonstancié d'une des visites deNapoléon à Joséphine. — Grande satisfaction quel'Impératrice en éprouve.— Déjeuner et dtner à la Mal-maison. — M. de Bousset. — Madame de Montesquiouamène le roi de Rome auprès de Joséphine à Bagatelle.— Émotion de celte dernière. — La campagne deRussie décidée.—Séjour do Napoléonet deMarie-Louise ;à Dresde. — Joséphino se rend à Milan auprès de sa jhelle-fllle. — Inquiétudes mortelles de l'ImpératriceJoséphine pendant la retraite de Russie. — Le princeEugène chargé de ramener les débris de l'armée, r- |Fidélité et dévouement de Joséphine et de ses enfants |pour l'Empereur. — Deux lettres de Napoléon à sapremière femme pendant l'été de 1813(collectionDidot). t— 11lui repro e ses dépenses excessives 277 j

CHAPITRE XX

M3-1814. Campagne de France. — Joséphine en proieaux plus cruelles angoisses. — Le prince Eugène défendvaillamment le royaume d'Italie contre l'invasion autri-chienne. — Lettre de Napoléon ou roi Joseph. — Lettrede Joséphine à son fils lo prince Eugène. — Les alliésapprochant de Paris, Joséphine épouvantée se sauve &Navarro à la fin de mars. — Détails sur cette fuite. —Sombres méditations de l'Impératrice. — Uno lettre doNapoléon ne la quitte pas. — En apprenant les événe-ments de Fontainebleau et l'abdication de l'Empereur,Joséphine se trouve mal. — Paroles qu'elle prononce enreprenant ses sens. — Les souverains alliés désireuxde voir l'Impératrice revenir à la Malmaison. — Mes-

sage du duo de Bassano apporté par M. de Maussionpour informer Joséphine de l'abdication do l'Empereur.— L'Impératrice interroge avec anxiété le porteur du

message. —Accablementde Joséphine t retour &la Mal-maison. — Le prince Eugène y arrive à la fin d'avril. 202

CHAPITRE XXI

L'empereur do Russie à Paris fait demander a l'impéra-trice Joséphine do le recevoir & la Malmaison. — Leprince manifeste lo plus grand désir à'èlro utile &José-

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TABLE. 349

phine et à ses enfants. — Répugnance de la reine Hor-tense à être redevable d'un service a celui qui a le pluscontribué aux malheurs de la France et de Napoléon.—

Joséphine moins réservée vis-à-vis du monarque russe;elle ne pense qu'au sort futur de ses enfants. —Craintesde Joséphine d'être expulsée de France par le gouver-nement du roi Louis XVIll. — Conseil de l'empereurAlexandre. — Joséphine au château de Saint-Leu chezsa fille au milieu de mai. — A son retour à la Mal-maison elle se sent plus triste et souffrante. —Anxiétésqui l'assiègent au sujet de l'avenir de ses enfants et dusort de Napoléon.—Sa maladie s'aggrave. —Sollicitudedu souverain russe envers la malade.— Visitesfréquentesdu czar, du roi do Prusse et de plusieurs grands-ducs. —Le 25 mai la maladie fait de grands progrès. — Douceuret résignation doJoséphine. — Elle meurt entre les brasdu prince Eugèno lo 20 mai, Jour de la Pentecôte, aprèsavoir été administrée par l'abbé Bertrand. — Il lui estfait de pompeuses funérailles. — Témoignage favorableà Joséphine tiré des souvenirs de M. de Reiset. .... 307

CHAPITRE XXII

Les deux femmes do Napoléon lui ont manqué dans sonexil. — Joséphine, si elle eût vécu, aurait certainementcherché a le rejoindre a Sainte-Hélène et a adoucir sacaptivité. — Citation de paroles attribuées au cardinalFesch sur la catastrophe qui & terminé le règne de

l'Empereur, — Récit d'une visite de Napoléon a la Mal-maison à son retour de l'Ile d'Elbe. —Jugements portéssur Joséphine par Bausset, Rovigo et Méneval. — Cri-

tiques dont la mêmoiro-de l'Impératrlco o ^^J^WT?*^Malgréces ombres légères dans le portrait dir^Wprin-, /Xcesse, Joséphine demeurera dans l'hlstolrOv$he figure oA,>souveraine digne de la popularité qui rdsta?attachée ,à. -£son nom . . J r. . 1 ;. .M 323ji

ApPBNDtCB V*. ' ' ' • ' '33^

1013-10.—Coulommters.Imp.PAULBRODARD.— 10-10.

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INTRODUCTIONCHAPITRE I Naissance de Joséphine à la Martinique. - Une négresse lui prédit les plus hautes destinées. - Une de ses tantes, madame de Renaudin, à l'idée de faire venir Joséphineen France. - Arrivée de cette dernière et peu de temps après, célébration de son mariage avec le vicomte de Beauharnais. - Des dissentiments ne tardent pas à seproduire dans le jeune ménage. - Naissance d'Eugène de Beauharnais. - M. de Beauharnais se sépare de sa femme. - Premiers symptômes révolutionnaires. - Naissancede sa fille Hortense. - Joséphine, après un séjour à la Martinique, se réconcilie avec son épouxCHAPITRE II Alexandre de Beauharnais, épris des idées nouvelles, devient un personnage politique. - Fuite de Varennes. - Beauharnais président de l'Assemblée Nationale. - Retourd'Alexandre de Beauharnais à son métier d'officier. - Il est nommé général en chef de l'armée du Rhin. - Il ne tarde pas à donner sa démission en présence des suspicionsdont il est l'objet. - Energique attitude de Joséphine pour sauver son mari incarcéré. Elle est à son tour arrêtée et emprisonnée. - 1794. Alexandre de Beauharnais montesur l'échafaud le 6 thermidor. - La chute de Robespierre sauve la vie de Joséphine dont la condamnation avait été prononcéeCHAPITRE III 1796-1797. Calomnies dont Joséphine a été la victime. - Pénurie dans laquelle elle se trouva par suite de la confiscation des biens du général de Beauharnais. - Voyage deJoséphine et de ses enfants à Hambourg. - M. Mathiessen. - Retour à Paris. - Hortense de Beauharnais placée chez madame Campan. - Eugène, son frère, chez legénéral Bonaparte. - Relations qui s'établissent à la suite de cette visite entre Joséphine et Bonaparte. - Portrait de Joséphine. - Mariage de madame de Beauharnais avecle général Bonaparte. - Pas de mariage religieux. - Douze jours après, départ de Bonaparte pour l'armée d'Italie. - Heureuse influence qu'exercera Joséphine sur sonsecond mariCHAPITRE IV Joséphine devient à Paris l'objet des égards et de la considération de tous. - La gloire acquise par son mari sur les champs de bataille rejaillit sur elle. - Lettres du généralBonaparte à Joséphine. - Joséphine, pour répondre aux voeux ardents de son époux, se met en route pour l'Italie. - Flatteuse réception qui lui est réservée à Milan. - Ellehabite le palais Serbelloni. - Nouvelles lettres du général Bonaparte à sa femme (collection Didot). - Retour de Joséphine en France après avoir visité Rome, Venise etGènesCHAPITRE V Retour du général et de madame Bonaparte à Paris. - Situation exceptionnelle faite au vainqueur des armées de l'Autriche. - Fête qui leur est donnée par Talleyrand. -Propos de Girardin sur Joséphine. - Goût de celle-ci pour le luxe et la toilette. - Sa prodigalité bien connue. - Hôtel de la rue de la Victoire. - Réceptions chez Joséphine. -Projet d'expédition en Egypte. - Le 3 mai 1798 Bonaparte part pour Toulon. - Chagrin de Joséphine de ne pas suivre son mari en Egypte. - Elle se rend aux eaux dePlombières. - Elle y est victime d'un grave accident. - Rapports malveillants adressés en Egypte au général Bonaparte sur la conduite de sa femme. - Scène pénible entreles deux époux au retour du général. - Elle est suivie d'une complète réconciliationCHAPITRE VI 1799-1800. Heureux caractère de Joséphine. - Sa douceur inaltérable, sa bonté. - Elle professe en toute occasion pour Napoléon le dévouement le plus absolu. - Après lecoup d'Etat du 18 brumaire, le général Bonaparte nommé premier consul. - Résidence au Luxembourg d'abord, bientôt après aux Tuileries. - Détails sur l'intérieur du palaisconsulaire. - Madame de Montesson. - Perfection accomplie avec laquelle Joséphine remplit le rôle de compagne du chef de l'Etat. - Formation d'une sorte de petite cour. -Les dépenses inconsidérées de Joséphine, source de reproches de la part de Bonaparte. - Détails donnés par M. Aubenas et par madame d'Abrantès sur l'élégancesuprême de Joséphine et ses trois toilettesCHAPITRE VII 1801-1802. Paix de Lunéville, après les batailles de Marengo et de Hohenlinden, signée le 7 février 1801. - Mission de madame de Guiche auprès de Joséphine et duPremier Consul. - Insuccès de la séduisante ambassadrice des princes Bourbons. - Machine infernale. - Emotion cruelle de Joséphine. - Une ère de pacification généralesemble s'ouvrir après le traité de Lunéville. - Les beaux jours de la Malmaison; comédies et divertissements auxquels prennent part Bonaparte et Joséphine. - Partialité decette dernière pour Fouché. - Une accusation portée dans le Mémorial contre Joséphine est réduite à néant par un témoignage tiré des Mémoires de Thibaudeau. - LouisBonaparte; son mariage avec Hortense de Beauharnais. - Paix d'Amiens, au mois de mai 1802. - Naissance du fils ainé de Louis Bonaparte. - Signature du ConcordatCHAPITRE VIII. Rupture de la paix d'Amiens en 1803. - Appréhensions manifestées par Joséphine de l'élévation toujours croissante de son mari et d'elle-même. - Elle n'eut jamaisbeaucoup d'ambition. - Voyage du ménage consulaire dans les provinces belges. - Lettre de Joséphine à sa fille Hortense. - Complot de Georges Cadoudal. - Camp deBoulogne; immenses préparatifs de descente en Angleterre. - Deux lettres de la correspondance particulière de Joséphine. - Condamnation des principaux fauteurs ducomplot de Georges et de leurs complices. - Arrestation et exécution du duc d'Enghien. - Chagrin et regrets de Joséphine à ce sujet. - Témoignage du prince Eugène àpropos de ce cruel événementCHAPITRE IX 1804. Proclamation de l'Empire. - Le Sénat se rend en corps à Saint-Cloud pour y saluer le nouvel empereur et la nouvelle impératrice. - Discours de Cambacérès. -Organisation de la cour et des grandes charges. - Quelque temps avant le couronnement, graves dissentiments dans la famille impériale. - Joséphine sur le point d'êtresacrifiée à la jalousie de certains membres de la famille Bonaparte. - Arrivée du pape Pie VII à Paris. - Triomphe de Joséphine, mariage religieux secret, cérémonieimposante du sacre et du couronnement.CHAPITRE X Félicitations et hommages dont Joséphine devient l'objet. - Honneurs décernés à son fils Eugène. - Portrait de celui-ci. - Nouvelle coalition. - 1805. Napoléon se met encampagne. - Ses lettres à Joséphine. - Capitulation d'Ulm. - Lettre de Joséphine à sa fille. - Nouvelles lettres de Napoléon. - Désir qu'avait toujours Joséphined'accompagner son mari et de ne pas se séparer de lui. - Arrivée de Napoléon à Vienne. - Voyage de Joséphine à Munich. - Victoire d'AusterlitzCHAPITRE XI Séjour de l'Impératrice Joséphine à Munich. - Lettres de Napoléon à celle-ci. - Paix de Presbourg. - Napoléon à Munich. - Mariage du Prince Eugène avec la fille du roi deBavière. - Satisfaction de Joséphine. - Sa lettre à sa fille Hortense à ce sujet. - Mariage de Stéphanie de Beauharnais avec le prince de Bade. - Les frères de l'empereurNapoléon créés rois. - Nouvelle lettre de l'Impératrice à sa fille. - 1806. Campagne de Prusse. - Correspondances diverses entre Joséphine, son mari, sa fille, etc. - Désirde l'Impératrice d'aller à Berlin.CHAPITRE XII Chagrin de Joséphine de sa longue séparation d'avec l'Empereur. - Lettres de Napoléon pour la raisonner. - Jalousie de Joséphine soupçonnant l'admiration de Napoléonpour les belles dames de Varsovie. - Premières craintes relatives à la possibilité d'un divorce. - Rôle de Fouché; son portrait. - Mort du fils ainé de la reine Hortense. - 1807.Chagrin de Joséphine et de sa fille. - Portrait d'Hortense de Beauharnais. - Victoires d'Eylau et de Friedlaud. - Entrevue et paix de Tilsitt. - Retour de Napoléon. - Maison del'Impératrice. - Incartade de Fouché; il se permet, sans mandat, d'engager l'Impératrice à se prêter à un divorce. - Napoléon à Milan. - Il adopte le prince Eugène, nommévice-roi, comme son successeur éventuel au trône d'Italie.CHAPITRE XIII 1808. L'attention de Napoléon attirée sur les événements d'Espagne. - Entrevue de Bayonne et séjour à Marrac. - L'impératrice Joséphine obtient l'autorisation d'yaccompagner l'Empereur. - La reine Marie-Louise d'Espagne. - Retour à Saint-Cloud pour le 15 août. - Entrevue d'Erfurt. - Campagne de Napoléon en Espagne. - Lettresde Napoléon à Joséphine. - L'Autriche adopte une attitude hostile. - Préparatifs de guerre de l'Empereur. - Joséphine à Strasbourg. - Légère blessure de Napoléon àRatisbonne. - Lettres à Joséphine pour la rassurer (collection Didot). - Rôle du prince Eugène. - Nouvelles lettres de l'Empereur à l'Impératrice. - Victoire de Wagram. -Armistice suivi de la conclusion de la paix. - Tentative d'assassinat sur Napoléon. - Nouvelles pensées de divorceCHAPITRE XIV 1809. Préliminaires du divorce. - Cambacérès consulté s'y montre contraire. - Angoisses et perplexités de Joséphine. - Entretien de Napoléon avec Lavalette. - Le jeudi 30novembre Napoléon laisse échapper des paroles fatales devant Joséphine. - Détails dans les Mémoires de BaussetCHAPITRE XV Lettre du prince Eugène à Napoléon. - Arrivée de plusieurs souverains à Paris. - Banquet aux Tuileries. - Dernière apparition de Joséphine en public. - Arrivée du princeEugène à Paris. - Conversation de Napoléon avec son fils adoptif. - Lettre de Joséphine à Napoléon (Biographie Michaud). - Réponse de l'Empereur. - M. de Narbonne. -Cassation du lien religieux entre Joséphine et Napoléon. - Alliance russe ou autrichienne. - Joséphine favorise le mariage autrichienCHAPITRE XVI Cérémonie du divorce. - Discours des deux époux au moment de leur séparation. - Paroles qui échappent à Joséphine. - Abattement de Napoléon en rentrant dans soncabinet. - Scène déchirante entre lui et Joséphine dans la soirée. - L'Empereur va séjourner à Trianon. - Joséphine quitte les Tuileries pour n'y plus rentrer. - Dernier etpublic hommage du Sénat à Joséphine. - Napoléon va visiter celle-ci à la Malmaison. - Napoléon écrit à Joséphine des lettres fréquentes. - Craintes de cette princesse dese voir obligée de s'éloigner de France. - Napoléon la rassureCHAPITRE XVII 1810. Joséphine part pour le château de Navarre. - Bruits qu'on colporte auprès d'elle sur Napoléon et sa nouvelle épouse Marie-Louise. - Portrait de cette dernière. -Lettre cérémonieuse de Joséphine à l'Empereur. - Réponse de celui-ci. - Nouvelle lettre remplie d'effusion que lui adresse Joséphine. - Napoléon veut qu'on continue àrendre à sa première femme les mêmes hommages. - Lettres de Joséphine à la reine Hortense. - Elle va faire un voyage à Genève et prendre les eaux d'Aix en Savoie. -Détails sur son séjour. - Toujours sa crainte d'être éloignée, par ordre, de France et sa peur d'être oubliée de l'EmpereurCHAPITRE XVIII 1811. Travaux exécutés par Joséphine à Navarre. - Existence qu'elle y même. - M. l'abbé de Saint-Albin. - Monseigneur Bourlier évêque d'Evreux. - Luxe royal. - Jeux et

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lectures le soir. - Promenades en voiture en grand apparat. - Les conversations à Navarre rapportées à l'Empereur. - Le prince Eugène à Navarre. - Personnel de la courde Joséphine. - Le jour de l'an et l'Impératrice. - La reine Hortense chez sa mère. - La naissance du roi de Rome est annoncée à Joséphine. - Lettres de l'Empereur à celle-ci. - Libéralité de l'Impératrice pour le porteur du message.CHAPITRE XIX 1812, Retour de Joséphine à la Malmaison. - La chambre aux reliques. - Magnificence des appartements du rezde-chaussée. - Cambacérès et Masséna fréquentent laMalmaison. - Récit circonstancié d'une des visites de Napoléon à Joséphine. - Grande satisfaction que l'Impératrice en éprouve. - Déjeuner et diner à la Malmaison. - M. deBausset. - Madame de Montesquiou amène le roi de Rome auprès de Joséphine à Bagatelle. - Emotion de cette dernière. - La campagne de Russie décidée. - Séjour deNapoléon et de Marie-Louise à Dresde. - Joséphine se rend à Milan auprès de sa belle-fille. - Inquiétudes mortelles de l'Impératrice Joséphine pendant la retraite deRussie. - Le prince Eugène chargé de ramener les débris de l'armée. - Fidélité et dévouement de Joséphine et de ses enfants pour l'Empereur. - Deux lettres de Napoléonà sa première femme pendant l'été de 1813 (collection Didot). - Il lui repro e ses dépenses excessivesCHAPITRE XX 1813-1814. Campagne de France. - Joséphine en proie aux plus cruelles angoisses. - Le prince Eugène défend vaillamment le royaume d'Italie contre l'invasionautrichienne. - Lettre de Napoléon au roi Joseph. - Lettre de Joséphine à son fils le prince Eugène. - Les alliés approchant de Paris, Joséphine épouvantée se sauve àNavarre à la fin de mars. - Détails sur cette fuite. - Sombres méditations de l'Impératrice. - Une lettre de Napoléon ne la quitte pas. - En apprenant les événements deFontainebleau et l'abdication de l'Empereur, Joséphine se trouve mal. - Paroles qu'elle prononce en reprenant ses sens. - Les souverains alliés désireux de voirl'Impératrice revenir à la Malmaison. - Message du duc de Bassano apporté par M. de Maussion pour informer Joséphine de l'abdication de l'Empereur. - L'impératriceinterroge avec anxiété le porteur du message. - Accablement de Joséphine; retour à la Malmaison. - Le prince Eugène y arrive à la fin d'avril.CHAPITRE XXI L'empereur de Russie à Paris fait demander à l'impératrice Joséphine de le recevoir à la Malmaison. - Le prince manifeste le plus grand désir d'être utile à Joséphine et àses enfants. - Répugnance de la reine Hortense à être redevable d'un service à celui qui a le plus contribué aux malheurs de la France et de Napoléon. - Joséphine moinsréservée vis-à-vis du monarque russe; elle ne pense qu'au sort futur de ses enfants. - Craintes de Joséphine d'être expulsée de France par le gouvernement du roi LouisXVIII. - Conseil de l'empereur Alexandre. - Joséphine au château de Saint-Leu chez sa fille au milieu de mai. - A son retour à la Malmaison elle se sent plus triste etsouffrante. - Anxiétés qui l'assiègent au sujet de l'avenir de ses enfants et du sort de Napoléon. - Sa maladie s'aggrave. - Sollicitude du souverain russe envers la malade. -Visites fréquentes du czar, du roi de Prusse et de plusieurs grands-ducs. - Le 25 mai la maladie fait de grands progrès. - Douceur et résignation de Joséphine. - Elle meurtentre les bras du prince Eugène le 20 mai, jour de la Pentecôte, après avoir été administrée par l'abbé Bertrand. - Il lui est fait de pompeuses funérailles. - Témoignagefavorable à Joséphine tiré des souvenirs de M. de ReisetCHAPITRE XXII Les deux femmes de Napoléon lui ont manqué dans son exil. - Joséphine, si elle eût vécu, aurait certainement cherché à le rejoindre à Sainte-Hélène et à adoucir sacaptivité. - Citation de paroles attribuées au cardinal Fesch sur la catastrophe qui à terminé le règne de l'Empereur. - Récit d'une visite de Napoléon à la Malmaison à sonretour de l'Ile d'Elbe. - Jugements portés sur Joséphine par Bausset, Rovigo et Méneval. - Critiques dont la mémoire de l'Impératrice a été l'objet. - Malgré ces ombreslégères dans le portrait de cette princesse, Joséphine demeurera dans l'histoire une figure souveraine digne de la popularité qui reste attachée à son nom APPENDICE