L’image et la pensée… · Avant-propos de Michel Serres ... Petite Poucette Michel Serres ......

L’image et la pensée

00 Prem. pages Castarède L'image 16/09/11 14:17 Page 3

Extrait de la publication

Sous la direction de

Marie-France Castarède


Préface de François Duparc

Avant-propos de Michel Serres



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Conception de la couverture :Anne Hébert

Version PDF © Éditions érès 2012

CF - ISBN PDF : 978-2-7492-3094-8

Première édition © Éditions érès 2011

33, avenue Marcel-Dassault, 31500 Toulouse, France

www.editions-eres.com


PréfaceFrançois Duparc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Avant-propos. Petite PoucetteMichel Serres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

IntroductionMarie-France Castarède, Samuel Lepastier . . . . . . . 33

AApppprroocchheess pplluurriiddiisscciipplliinnaaiirreess

L’enfant, les images, la penséeAldo Naouri. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

L’image et la violence à la télévisionBlandine Kriegel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

Le corps au risque de l’imageMichela Marzano. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

Table des matières

01 Int. Castarède L'image 16/09/11 14:18 Page 289

La pensée au risque de la vitesse cinématographiqueJulien Milly . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

Verbe et imageAlain Bentolila . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Des risques de la violence médiatique.Découvertes de la recherche nordique et internationaleCecilia von Feilitzen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

LLeess ddiifffféérreennttss ââggeess ddee llaa vviiee

Le bébé, les images et les premières enveloppes psychiquesDenis Mellier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Cultures du livre et des écrans, la cohabitation indispensableSerge Tisseron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147

L’enfant à naître et les images échographiques :une relation d’objet virtuelle ?Sylvain Missonnier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

Images et écransSamuel Lepastier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

AApppprroocchhee ppssyycchhaannaallyyttiiqquuee

Sur la métapsychologie de l’image et de la penséeBernard Brusset . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205




Réflexions d’une psychanalyste sur l’enfant dans la société occidentale aujourd’huiFlorence Guignard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

Les nouvelles évolutions de la sexualitéDominique Cupa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

ConclusionMarie-France Castarède. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275

Table des matières



François DUPARC, psychanalyste, psychiatre, membre formateurSPP et institut psychosomatique Pierre-Marty, Annecy.

L’image telle que nous la connaissons dans notre« société de l’image », du cinéma à la publicité, dela télévision aux médias modernes, de l’Internet auxjeux virtuels et au culte effréné de l’apparence cor-porelle (du « look »), est-elle une menace pour lapensée ? Sa valeur esthétique, l’enchantementqu’elle nous procure dans l’art, la simplicité sédui-sante qu’elle permet à nos communications, n’au-raient-ils pas comme contrepartie un risque derégression dans la complexité de l’humain, larichesse de notre vie psychique ? Une régression quiirait de la parole, de l’écriture et du mot à l’image

Préface

François Duparc

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1. F. Duparc, L’image sur le divan (publicité, images du psycha-nalyste), Paris, L’Harmattan, 1995.

immédiate, aux « clichés » répétitifs et sans grandecapacité à contenir l’action, jusqu’à la décharge dansdes comportements impulsifs ou pervers.

L’image, dans ce cas de figure négatif, serait alorsdu registre de l’excitation, et non du désir, de l’ad-diction, et non du lien social, au service de com-portements autocalmants pour éviter le temps dela pensée, comme celui du manque et du deuil. Ellepourrait alors flirter avec la perversion exhibi-tionniste, avec l’emprise narcissique qui fait de l’autreun objet, comme dans la pornographie ou la vio-lence sadique, ou pire encore, dans la violence ter-roriste, aveugle ou sans motif. Bien des guerresidéologiques se sont déclenchées en brandissant desimages (surhomme aryen, faucille et marteau,croix et goupillon, voile et minarets, etc.). Mais ilfaut toutefois garder à l’esprit que l’image est àdouble face : intermédiaire entre l’acte et la penséeverbale, elle est tout de même aussi une élabora-tion psychique de l’action, immobilisée dans uneforme motrice. Elle est une étape indispensable pourla traduction en images dans le langage, dans le fan-tasme et à travers les figures de style, de toute parolevivante (poésie ou rhétorique).

Dans un ouvrage déjà ancien 1, je me proposais demettre « l’image sur le divan », pour en atténuer latoxicité sur le psychisme. Traiter l’invasion polluante

L’image et la pensée8


2. F. Duparc, Le mal des idéologies, Paris, PUF, coll. « Le fil rouge »,2004 ; « De l’image à l’idéologie », dans M. Gagnebin (sous ladirection de), Les images limites, Seyssel, Éd. Champ Vallon,2008, p. 132.

ou traumatique de la publicité en la considérantcomme un rêve collectif, et tenter d’interpréter lescauchemars offerts par les images publicitaires répé-titives, ou les contre-publicités plus angoissantes queséductrices, tel était mon projet un peu fou(entamé à la fin de mes études médicales, avant deme diriger vers l’analyse). J’ai étendu à partir de làma réflexion sur les idéologies, pensées simplistesse réduisant à des images, des slogans 2. C’est sansdoute la raison qui m’a valu la proposition de rédi-ger la préface de ce livre, consacré à ces questionspassionnantes. C’est le moins que nous puissionsfaire, de nous les poser, ces questions, nous quisommes des partisans des « sciences humaines »,une aspiration si nécessaire pour humaniser notreépoque de crises et de malaises – engendrés par lavision simpliste qu’ont les sciences positivistes, leséconomistes, les politiques et les médias, quant auxbesoins de l’homme.

Dans ce livre, chacun des auteurs, répondant audésir de Marie-France Castarède de donner leurpoint de vue sur les risques inhérents à l’image, jouesa propre partition, dans une tonalité qui lui est spé-cifique. La diversité des approches, loin d’être dis-cordante, contribue à la richesse de l’ensemble, et

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garantit un minimum de neutralité sur un sujet quiprête à un contre-transfert aussi idéologique que lesujet lui-même, d’autant que l’« Universitaire » pour-rait à juste titre être taxé d’un reste d’a priori quasireligieux à l’égard de la puissance trompeuse desimages.

Le pédiatre d’expérience qu’est Aldo Naouri(proche de la psychanalyse), évoquant les effets délé-tères de la saturation en images, souligne que l’in-gurgitation passive d’images « tue le temps »,surtout chez l’enfant qui dispose de moins en moinssouvent d’un entourage familial suffisamment dis-ponible et uni, et qui se voit confié à une télévision-nounou, ou se réfugie dans des jeux d’image quimarginalisent le rôle de l’éducation scolaire et desadultes. Le fait que la temporalité soit ainsi abra-sée sous le registre de l’instant me paraît, en effet,un des problèmes majeurs de la séduction parl’image. Certes, celle-ci constitue un contenant pourl’émotion, ou l’action, mais à condition qu’elle per-mette à l’enfant de se constituer des images men-tales reliées à des fantasmes, des jeux de rôlescomplexes, et non un remplissage addictif par desschèmes primaires, sensori-moteurs.

Le spécialiste du cinéma, Julien Milly, abonde luiaussi dans ce sens, affirmant que la vitesse abolitle sens, et efface les limites, le cadre et la subjecti-vité. Le cinéma classique incarné par les films deBergman ou de Lars von Trier, n’est pas fait qued’images : il mime le déroulement psychique. Etmême s’il utilise la vitesse des images pour figurer




l’errance, les trous de la pensée et le torrent des émo-tions, il garde tout de même l’objectif d’inciter à trou-ver un sens, au cœur de la dérive. À l’inverse, lesimages violentes ou pornographiques, couplées àla vitesse du déroulement des images, produisentune attaque de la pensée, une « dis-location » dusens.

Deux philosophes s’intéresseront ensuite à l’aspectéthique et au rôle pervers des images violentes oupornographiques à la télévision et dans les autresmédias.

Blandine Kriegel a présidé une mission gouverne-mentale en 2002, afin d’évaluer l’influence de la vio-lence à la télévision. Elle en a retiré l’idée que lepouvoir cathartique de l’image, connu dès lethéâtre antique et formulé par Aristote, ne tenait quepar son lien avec la parole, l’épilogue final et lamorale réaffirmée, comme cela a pu être évoqué parBettelheim pour les contes de fées. Mais le cinémaet les images contemporaines ont perdu cetteattache, dès les années 1970 et les nouveaux wes-terns de Tarantino, nous dit-elle : la violenceaveugle, sans règle ni dénouement moral, l’emportedésormais. La violence se répand sans autreslimites que celles de recommandations éducativesgénérales peu suivies d’effets, au nom d’une libertésans réels garde-fous. La pauvreté, assimilée déma-gogiquement à une excuse pour toutes les violences,permet de s’affranchir de la prise en compte des des-tins individuels. Or la force sans la règle estdéshumanisante, nous rappelle-t-elle.

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Michela Marzano se focalise davantage sur la por-nographie, et son glissement progressif vers la vio-lence. Elle relève, elle aussi, l’évolution des imagespornographiques, données à imaginer chez Sade,mais montrées dans des films de plus en plus crusdepuis les années 1970. Depuis les années 1990,les images sont accessibles à tous par Internet, lesdispositifs de contrôles étant peu opérants pour lesjeunes. Le sexe est ainsi devenu un rapport mar-chand, où la multiplication des partenaires, l’uti-lisation du corps comme une chose, laconsommation rapide et quasi technique favorisentune domination de l’emprise et de la cruauté surles égards envers l’objet. On a ainsi l’impressiond’une régression de l’hystérie (le règne de la pul-sion) vers l’addiction.

Loin d’être uniquement française, cette préoccupationconcernant la violence médiatisée est partagée parles chercheurs universitaires du Nord de l’Europe,représentés ici par Cecilia von Feilitzen. La recherchequ’elle présente est orientée vers le risque de l’imi-tation de la violence du cinéma, de la télévision etdes jeux numériques par les jeunes enfants.Toutefois, la réponse de l’enquête est beaucoup plusnuancée qu’on ne pourrait le croire : la violenceaccrue des enfants et des jeunes ne provient que pour5 à 10 % de façon évidente de la violence imagéedes médias. L’influence des proches (la famille, l’école,nos pairs) est beaucoup plus importante, et ceux quisont les plus fragiles quant à l’effet traumatique desimages (par la peur ou l’imitation) sont ceux qui ont




un environnement défavorisé. Cela étant, la violencepourrait augmenter à la faveur de l’accoutumance,notamment celle produite par les jeux extrêmes, avecune recherche de stimulants de plus en plus forts,comme dans la toxicomanie.

Cette étude permet d’aborder le travail d’AlainBentolila, linguiste, avec une plus grande acuité quantà la discussion concernant la nocivité des images,sans se limiter à une vision trop univoque. Selon lui,le langage est un équilibre fragile entre l’aspectconventionnel et la création intime, au même titrequ’une bonne compréhension du langage d’autrui.L’image, elle, réduit considérablement le champ del’imagination par rapport au texte, ce qui se mani-feste dans l’adaptation cinématographique d’unroman. Les images, même symboliques, ont besoind’être interprétées par le langage. Quant au virtuel,non seulement il aplatit la distance de réflexion, maisil supprime aussi le temps, qu’il remplace par du pré-sent. Si j’ai bien compris la « vision » de ce sujet parle linguiste, sa position m’est tout de même appa-rue un peu partisane, à l’extrême opposé desadeptes idéologiques de l’image. Ainsi, dans marecherche sur la publicité, j’avais pu repérer une« rhétorique des images » proche des mécanismesde figuration du rêve chez Freud, qui indiquait untravail de pensée certes primitif, mais tout demême précieux, pour la représentation de l’affect enparticulier.

Pour creuser au-delà de l’apparence des images – au-delà du mur de la caverne de Platon – nous dispo-

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sons ensuite des contributions d’auteurs appartenantau champ de la psychanalyse, centrés sur le déve-loppement psychique de l’enfant et la pratique del’analyse. Non que l’analyse soit un continent noir,ni une chambre noire ; elle nous renseigne plutôtsur les différents niveaux psychiques de la repré-sentation, depuis l’imitation motrice de la percep-tion, jusqu’aux figures du langage qui imaginent lesfantasmes à travers les associations que les motsnouent entre eux. Ainsi, le représentant image appa-raît pour beaucoup de psychanalystes comme unespace plus ou moins transitionnel entre motricitéet langage, dont seule la fixation fétichique fait unindice pathogène.

Pour Denis Mellier, le développement du bébé inclutl’image plus tôt qu’on ne le pensait jusqu’à présent,mais la conscience réflexive d’être en présenced’images est plus problématique, et fait s’interrogersur la construction de sa subjectivité. La télévision,la publicité et les ordinateurs l’imprègnent de plusen plus tôt, parfois même le visent en première ligne.De plus, la vision néolibérale fait de lui un être tou-jours plus seul, plus dépendant de sa familleréduite et des projections parentales le concernant(bébé parfait, bébé autonome), sans tiers ni réseauxd’étayage suffisants dans la société. En cas de per-turbation de ses « enveloppes psychiques » (au sensde D. Anzieu), des agrippements et des identifica-tions adhésives peuvent se produire, notamment auximages séductrices de son environnement. Onpeut craindre donc pour le développement subjectif




des enfants exposés de plus en plus tôt aux séduc-tions de l’image, sans possibilités de jeu ni de déli-mitation des espaces psychiques. Ayant travaillé surla parenté entre les noyaux autistiques et les toxico-manies, je ne peux qu’approuver cette mise en garde.

Serge Tisseron, dont on connaît l’intérêt déjàancien pour la « culture des écrans », est lui plusnuancé. Les hommes, nous dit-il, sont toujoursambivalents concernant l’image ; tantôt ils valori-sent la liberté qu’elle offre d’explorer le monde etses propres aptitudes, tantôt ils redoutent une pri-son virtuelle dont on ne pourrait sortir. En ce quiconcerne les jeux, par exemple, il en différencie deuxsortes : ceux qui favorisent l’interaction sensori-motrice, au service de la régression, et ceux qui per-mettent des interactions narratives, au service del’exploration de soi-même au milieu des autres. Seull’excès de jeux du premier type peut perturber ledéveloppement psychique de l’enfant. Il y a aussiune question d’âge, et de limites à mettre pour per-mettre un équilibre temporel entre l’aspect mater-nel – la régression pour fuir la douleur et lestraumatismes –, et l’aspect paternel, davantagereprésenté par la narration ou par l’écrit. Mais il peuttrouver une fonction thérapeutique à certains jeuxou films, à condition que les psychothérapeutesapprennent à s’en servir pour accompagner l’enfant,notamment lorsque les parents sont dépassés.

Pour Samuel Lepastier, la civilisation de l’imageserait-elle une nouvelle forme de la culture fondéesur la transmission orale ? Il analyse longuement le

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film Inception qui a rencontré un très large succèset montre comment les images aujourd’hui cher-chent à toucher le narcissisme du spectateur,tiraillé entre les deux pôles de l’excitation et de ladépression. Les mythes se font et se défont au hasarddes identifications brèves et illusoires à des hérosaussi fascinants qu’inconsistants. Dans ces processus,la pensée secondarisée fait cruellement défaut.

Tout autre est la contribution de Sylvain Missonnierqui aborde un domaine nouveau, celui de la péri-natalité. Dans cette perspective, la ROV (relation d’ob-jet virtuelle) exprime une potentialité en puissancequi vise à l’actualisation. Ainsi, entre les parents etl’embryon-fœtus, se développe une relation d’ob-jet virtuelle. L’anticipation d’un bébé éveille chez lecouple parental un processus dynamique et adap-tatif. Un exemple clinique, celui de Léa, 17 ans, offreune illustration saisissante de son propos.

Avec Bernard Brusset, nous abordons la questiondes conséquences que le psychanalyste perçoit quantau rôle de l’image dans le développement des ado-lescents et des adultes. La qualité des représenta-tions dont le sujet dispose (dans une perspectivemétapsychologique) est un enjeu essentiel pour faireface à l’excitation. Dans une cure analytique, nousretraçons les liens psychiques qui se sont noués entrenos perceptions, nos souvenirs anciens ou récents(dont les images d’un film ou d’une publicité), lesimages du rêve et les associations verbales qu’ellessuscitent. Normalement, les logiques hallucinatoires,puis les logiques primaires et secondaires des




représentations, constituent une médiation pro-tectrice entre l’acte impulsif et l’activité de pensée,un espace transitionnel. Les échecs de cette activitétransitionnelle du voir, au service de la curiosité,de la créativité et de la sublimation, favorisent descomportements addictifs, un fétichisme anorexiquedu corps, ou des angoisses d’effondrement conte-nues par des perversions exhibitionnistes ouvoyeuristes.

Pour Florence Guignard, le développement des tech-niques de communication et les changements quiont fragilisé les structures familiales, l’éducation etl’autorité, ont relégué le développement de la viepsychique à une place secondaire. La relation d’in-timité s’est délitée au profit de la « mentalité degroupe » (Bion) et du virtuel. Les échanges desmondes virtuels avec des autres autrefois inacces-sibles, sont soumis à des règles escamotant la dif-férence des sexes et des générations qui forme la basede l’Œdipe. Celui-ci est aujourd’hui menacé,comme la psychanalyse qui doit se remettre en ques-tion pour y faire face. La connaissance et la per-formance sont valorisées aux dépens des émotionset de la pensée ; la perception prime sur la repré-sentation, d’où une augmentation des clivages et despathologies des limites (soi/autre, pensée/agir).L’impact du virtuel sur l’enfant immature, commel’infantile omniprésent des adultes, a abrasé l’espace-temps de latence intermédiaire entre la formationd’un désir et sa satisfaction. L’espace virtuel n’est pastransitionnel, car il a peu de liens avec l’objet mater-

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nel. Du coup, l’inhibition et la transformation despulsions, considérées plutôt comme des tares quecomme des valeurs reconnues, laissent la place àdes syndromes d’hyperactivité de plus en plus pré-coces, et la période de latence de 6 à 12 ans disparaîtchez l’enfant. La solution par l’action, le jeu addic-tif et l’hyperexcitation sexuelle précoce évacuent lesaffects et leurs transformations.

Dominique Cupa complète l’approche de FlorenceGuignard en spécifiant son propos autour des nou-velles évolutions de la sexualité. L’excitation géné-ralisée, suscitée notamment par les médias, empêchela période de latence de se structurer chez l’enfant,amenant son développement sexuel à se marchan-diser, sans plus tenir compte de la différence dessexes et des générations, effaçant, par là-même, ladimension humaine et psychologique de la sexua-lité. Elle montre très bien comment la sexualité par-ticipative actuelle conduit à l’exhibition de l’intimitéet de la jouissance. Les psychopathologies d’au-jourd’hui reflètent ces dérives.




Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit,au moins faut-il le connaître.

Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège,au lycée, à l’université ?

I

Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n’a jamaisvu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, lamajorité des humains, sur la planète, s’occupaientde labourage et de pâturage ; en 2010, la France,comme les pays analogues au nôtre, ne compteplus qu’un pour cent de paysans. Sans doute faut-il voir là une des plus immenses ruptures de l’his-

Avant-proposPetite Poucette

par Michel Serres,de l’Académie française



toire, depuis le néolithique. Jadis référée aux pra-tiques géorgiques, la culture change.

Celle ou celui que je vous présente ne vit plus encompagnie des vivants, n’habite plus la mêmeTerre, n’a donc plus le même rapport au monde.Il ou elle ne voit que la nature arcadienne desvacances, du loisir ou du tourisme.

Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pourplus de la moitié, hantaient les champs. Mais il estdevenu sensible aux questions d’environnement.Prudent, il polluera moins que nous autres,adultes inconscients et narcissiques.

Il n’a plus le même monde physique et vital, ni lemême monde en nombre, la démographie ayantsoudain bondi vers sept milliards d’humains.

Son espérance de vie est, au moins, de quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière-grands-parents s’étaient juré fidélité pour à peineune décennie. Qu’il et elle envisagent de vivreensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine,ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs. Ilsn’ont plus la même vie, ne vivent plus les mêmesâges, ne connaissent plus le même mariage ni lamême transmission de biens.

Depuis soixante ans, intervalle unique dans notrehistoire, il et elle n’ont jamais connu de guerre, nibientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants.Bénéficiant des progrès de la médecine et, en phar-macie, des antalgiques et anesthésiques, ils ont




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