Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

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1 Présidente d’Honneur : Doris Bensimon לייזL.d.J. Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 119 janvier-février 2013 le numéro 2,50€ http://www.liberte-du-judaisme.fr Editorial Le semestre qui vient de se terminer a eu de quoi satisfaire une association à vocation culturelle telle que "Liberté du Judaïsme". Colloques spécialisés, et expositions thématiques se sont succédés à un rythme qu'il a parfois été difficile de suivre. Nous essayons, dans la mesure de nos moyens, de suivre ce foisonnement d'activités. Vous trouverez dans la présente Lettre quelques comptes-rendus et réflexions à la suite de certaines de ces manifestations qui concernent les milieux juifs, et plus largement le monde de l'immigration. Lorsque l'on voit le bouillonnement actuel autour de l'Histoire et des Cultures juives, dont nous sommes peu ou prou les héritiers, on ne peut que faire sienne cette phrase de Levinas sur "L'étrange bonheur d'être juif". Étrange bonheur, car les événements au Moyen Orient et leurs métastases en France mêlent à ce bonheur une sourde inquiétude. Inquiétude qui, bien entendu, se reflète également au sein de notre association comme en témoigne la controverse autour d'un livre récent sur Islamisme et Islam que nous persistons à ne pas confondre. Pour l'année qui s'ouvre, souhaitons nous que ce bonheur soit de moins en moins étrange. Le Bureau La Lettre de LdJ. Janvier février 2013 Rédaction et administration 13 rue du Cambodge 75020 Paris Directrice de la publication: Simone Simon Comité de Rédaction : Flora Novodorsqui, Danièle Weill-Wolf, Michel Mohn, Simone Simon, Isidore Jacubowiez, Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584 Les Juifs du Touat Notre amie Fabienne Dahan a été voir l'exposition au MAHJ sur les Juifs d'Algérie. Intriguée par un des panneaux elle a voulu en savoir plus: La région du Touat : Ayant longtemps appartenue au Maroc, la région du Touat est aujourd’hui une province du Sahara algérien. Le Touat, quadrilatère enfermé entre des régions désertiques (voir plan ci-dessous), est situé au sud de Tlemcen et longe la frontière-est marocaine. Il comprend trois grandes régions : le Gourara des Zénètes berbères, le sud-est des pasteurs et le Touat proprement dit, sur l’axe nord-sud, le long de l’oued Messaoud avec son chapelet d’oasis (capitale Adrar) résultant d’une eau très abondante. Le nom donné à la région provient de "zénète" et de "tit" : source, en référence à l’abondance de l’eau dans cette région. Celui de l’ancienne capitale commerciale, Tamentit, provient également de "amen" : eau et de "tit ": source, ce qui confirme le rôle crucial de l’eau dans cette région. Qui étaient ces Juifs du Touat ? Si leurs origines font l’objet de différentes hypothèses, il est acquis que les premières populations juives arrivant sur le sol africain étaient essentiellement constituées d’exilés fuyant les persécutions et d’esclaves. Leur présence daterait, selon certains, du XIIe, pour d’autres, du VIIIe avant notre ère, avec une grande migration juive vers l’Afrique de l’Ouest, consécutive à la destruction du royaume d’Israël. Elle aurait été

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Les Juifs du Touat Tel-Aviv Comment se fait-il que nous restions juifs sans croyance ni pratique religieuse ? Les Fêtes Juives et nous... L'antisémitisme à gauche

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Présidente d’Honneur : Doris Bensimon לייז

L.d.J. Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 119 janvier-février 2013 le numéro 2,50€

http://www.liberte-du-judaisme.fr

Editorial Le semestre qui vient de se terminer a eu de quoi satisfaire une association à vocation culturelle telle que

"Liberté du Judaïsme". Colloques spécialisés, et

expositions thématiques se sont succédés à un rythme qu'il a parfois été difficile de suivre.

Nous essayons, dans la mesure de nos moyens, de

suivre ce foisonnement d'activités. Vous trouverez dans

la présente Lettre quelques comptes-rendus et réflexions à la suite de certaines de ces manifestations

qui concernent les milieux juifs, et plus largement le

monde de l'immigration.

Lorsque l'on voit le bouillonnement actuel autour de

l'Histoire et des Cultures juives, dont nous sommes peu ou prou les héritiers, on ne peut que faire sienne cette

phrase de Levinas sur "L'étrange bonheur d'être juif".

Étrange bonheur, car les événements au Moyen Orient

et leurs métastases en France mêlent à ce bonheur une sourde inquiétude. Inquiétude qui, bien entendu, se

reflète également au sein de notre association comme

en témoigne la controverse autour d'un livre récent sur Islamisme et Islam que nous persistons à ne pas

confondre.

Pour l'année qui s'ouvre, souhaitons nous que ce bonheur soit de moins en moins étrange.

Le Bureau

La Lettre de LdJ. Janvier – février 2013

Rédaction et administration

13 rue du Cambodge 75020 Paris

Directrice de la publication: Simone Simon

Comité de Rédaction :

Flora Novodorsqui, Danièle Weill-Wolf, Michel Mohn, Simone Simon, Isidore Jacubowiez,

Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris

Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584

Les Juifs du Touat

Notre amie Fabienne Dahan a été voir l'exposition au MAHJ sur les Juifs d'Algérie. Intriguée par un des

panneaux elle a voulu en savoir plus:

La région du Touat : Ayant longtemps appartenue au Maroc, la région du Touat est aujourd’hui une province du Sahara algérien.

Le Touat, quadrilatère enfermé entre des régions

désertiques (voir plan ci-dessous), est situé au sud de Tlemcen et longe la frontière-est marocaine.

Il comprend trois grandes régions : le Gourara des

Zénètes berbères, le sud-est des pasteurs et le Touat

proprement dit, sur l’axe nord-sud, le long de l’oued Messaoud avec son chapelet d’oasis (capitale Adrar)

résultant d’une eau très abondante.

Le nom donné à la région provient de "zénète" et de

"tit" : source, en référence à l’abondance de l’eau dans cette région. Celui de l’ancienne capitale commerciale,

Tamentit, provient également de "amen" : eau et de

"tit ": source, ce qui confirme le rôle crucial de l’eau dans cette région.

Qui étaient ces Juifs du Touat ? Si leurs origines font l’objet de différentes hypothèses,

il est acquis que les premières populations juives

arrivant sur le sol africain étaient essentiellement constituées d’exilés fuyant les persécutions et

d’esclaves.

Leur présence daterait, selon certains, du XIIe, pour d’autres, du VIIIe avant notre ère, avec une grande

migration juive vers l’Afrique de l’Ouest, consécutive

à la destruction du royaume d’Israël. Elle aurait été

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suivie par d’autres de plus en plus importantes,

notamment en -586, après la destruction du Temple de Salomon. Plus sûrement, car les sources archéologiques

l’attestent, les Juifs captifs ont été déportés en -320 vers

l’Afrique, l’Egypte, la Cyrénaïque. Après la chute de

Carthage en - 146, des populations juives se sont installées dans les villes et les ports d’Afrique du Nord.

Lors de la destruction du Second Temple en 70, autre

date déterminante, de nombreux Juifs esclaves ont été vendus par les Romains sur les côtes d’Afrique du

Nord.

Au cours des premiers siècles de notre ère, des populations juives se sont réfugiées auprès des Berbères

des montagnes ou du désert de Libye et de Cyrénaïque

et se sont unies à eux, contre les Romains.

Inversement, de nombreux Berbères se sont judaïsés, surtout en Tripolitaine, dans les Aurès et les ksour du

Sahara.

C’est ainsi qu’entre le IIe et le Xe siècle des vagues migratoires juives sont venues peupler les régions du

Mzab, du Touat, du Tafilalet, du Dra’ et du Sous. Elles

ont apporté leur savoir-faire, notamment dans le creusement de "fogaguir" (sing.,foggara), système

d’irrigation original. La richesse en eaux souterraines a

pu ainsi être canalisée sur le modèle mésopotamien,

empêchant l’évaporation de l’eau dans le désert, au moyen de puits régulièrement espacés.

Elles ont été rejointes par d’autres populations juives

venues de Mésopotamie (VIe), d’Arabie, puis d’Espagne (VIIe), sans doute attirées par cette région

désertique éloignée de tout, qui les protégeait, ainsi que

par l’abondance de l’eau. Développant les cultures,

l’artisanat et un commerce d’échanges, les Juifs, aux origines diverses, ont prédominé particulièrement sur la

région du Touat, considérée alors comme un modèle de

prospérité, jusqu’à devenir l’Empire Juif du Touat. Cet "Empire sans Empereur" était constitué de

plusieurs villes fédérées établies dans les oasis et

palmeraies, elles-mêmes créées par les grands nomades Zénètes (de "zenatiya" : langue en berbère), qui ont

introduit, entre les IVe et Ve siècles, le chameau et le

palmier et ouvert le commerce caravanier transsaharien.

En 901, puis surtout en 984, une première arrivée en

masse de la tribu musulmane de Guedoua est suivie de

plusieurs vagues de milliers d’immigrants Arabo-musulmans du Maghreb, d’Egypte, d’Arabie, d’Irak.

Au cours de ces premières vagues migratoires,

l’équilibre du Touat se maintient entre les communautés, loin de l’agitation du Maghreb où les

Juifs sont obligés de vivre sous le statut de dhimmi. Au

Touat, la Communauté juive accueille tous ceux qui

sont désireux de s’enrichir, et les musulmans favorisent ainsi dans cette région le commerce entre l’Afrique du

Maghreb et l’Afrique Noire (sel,"meleh" en hébreu,

d’où vient le mot " mellah", acheté à prix d’or sans jeu de mot ; le cuivre plus important que l’or, servant de

monnaie et permettant d’acheter des esclaves dont le

thème nécessiterait un article spécifique; bijoux, ivoire)

Le Touat connaît un véritable âge d’or. A partir du

XIIIe siècle, le royaume juif du Touat, sa capitale Tamentit et ses escales de Bouda et Tsabit figurent sur

les cartes majorquines.

Disparition des Juifs du Touat : Progressivement, la région s’installe dans l’insécurité.

Elle ne peut plus subvenir aux vagues continues

d’immigration qui vont provoquer un déséquilibre démographique. Au XIe siècle, il n’y a plus assez

d’eau pour les cultures et la région cherche à accroître

son importation. Mais celle-ci est rendue difficile par la

grande insécurité et le pillage sur les pistes caravanières, obligeant les Juifs à se regrouper et à

abandonner des villes où ils étaient installés depuis

plusieurs siècles. Il s’ensuit une période de désorganisation. Les Juifs

touatiens subissent une accumulation de calamités au

siècle suivant : des razzias et des rançons, à proportion

de l’invasion croissante de tribus arabo-musulmanes, auxquelles s’ajoutent des invasions de sauterelles

causant des famines terribles et meurtrières, comme

celle de 1376. Le fossé entre les communautés juives, les autres

communautés autochtones et les communautés

musulmanes se creuse davantage, les Arabo-musulmans augmentant en nombre. Les Juifs, qui avaient la

prépondérance sur cette région, sont devenus

minoritaires dans les Oasis et ont perdu le commerce

caravanier à la fin du XIVe. Ils doivent se replier dans l’insécurité et la précarité, dans un quartier de Tamentit.

Un équilibre définitivement rompu : L’équilibre est définitivement rompu à la fin du XVe siècle avec l’arrivée d’Abd El Krim Al Meghili, grand

érudit, vouant une haine non moins grande envers ceux

qu’il considère ennemis de l’Islam. A son arrivée en 1479, il s’installe à Tamentit. Il y

soumet les Juifs touatiens et les chrétiens au statut de

dhimmi. Ce statut accroît l’insécurité déjà fortement

présente, du fait de l’interdiction de posséder des armes. L’Affaire dite "des synagogues" scelle définitivement

les relations entre Communautés et met fin à l’aventure

exceptionnelle des Juifs dans cette région en 1492, année tristement célèbre de l’autre côté de la

Méditerranée, chez les Juifs ibériques. La demande de

construction d’une nouvelle synagogue à Tamentit (la première synagogue date de 570) divise les ulémas.

Présentée comme une infidélité insultante envers Allah,

elle devient le prétexte déclencheur de la destruction

des synagogues du Touat et du massacre des Juifs. Ce massacre met fin, de façon certaine, aux influences

judaïques, importantes et longues de plusieurs siècles,

dans tout le Sahara Occidental.

La prospérité du Touat décline à partir de la fin du

XVe siècle. Même si ce déclin n’est pas directement lié

à la disparition des Juifs dans la région, elle en est

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néanmoins une des causes, ajoutées à l’insécurité et à

l’économie en chute, du fait du nombre important de guerres tribales visant la conquête des places

commerciales. Dans un même temps, la pénétration

européenne, surtout portugaise, à la fin du XVe siècle,

convoitant les richesses, permet un transport plus sûr des marchandises par voie maritime. Cette région ne

sera plus un lieu d’échanges et d’intercession avec

l’Afrique Noire et deviendra une tâche blanche sur la carte, avec de nombreux villages abandonnés,

jusqu’aux premières explorations de la fin du XIXe et

de la pénétration européenne.

Diaspora des Juifs touatiens après 1492 :

Nous ne savons presque rien sur ces populations juives

(chiffre, densité, etc.) du temps de leur prospérité. Le nombre des Juifs massacrés au Touat en 1492 n’est pas

davantage connu. Les survivants se sont dispersés sous

trois formes principales. Un premier groupe est resté sur place et a accepté

l’islamisation. Les Juifs ainsi restés sont appelés des

Mohadjriyim (ou transfuges, convertis), qu’il faut

plutôt prononcer Mohagrin (abaissés, humiliés), ce qui correspondait plus à leur situation.

Un deuxième groupe a rejoint les communautés juives

du Tafilalet où des "piyyoutim" composés en l’honneur de rabbins de Tamentit ont été retrouvés et témoignent

d’un trajet, après le massacre, vers le Tafilalet

marocain. D’autres ont rejoint les communautés du Dra’ et du Mzab, où des tombes de descendants de

Tamentit ont également été retrouvées.

Un troisième groupe a rejoint le sud des Touareg ou le

Soudan. Vers la Mauritanie, ils ont introduit la construction de puits profonds et ont apporté leur

savoir-faire à la population. Certains ont rejoint les

Gao, où ils ont été protégés et ont fait prospérer la région. D’autres ont rejoint les Banou-Israël vivant

depuis longtemps aux abords du Niger, près de

Tombouctou, mais tous y seront massacrés en 1496. D’autres encore se sont réfugiés auprès de groupements

au Sahara ou au Sahel, tels que les Daggatoun, une tribu

de Juifs nomades originaire de Tamentit, ayant vécu et

vivant toujours dans le Sahara parmi les Touareg qui les tolèrent tout en les méprisant, les maintenant dans un

statut inférieur tout en reconnaissant leur savoir-faire.

Diverses autres tribus du Sahara sont reconnues comme ayant des origines judaïques : les Daw Sahak-Ida

Oushaq, les Igdalen (les hommes aux cheveux tressés),

les Enaden (de inad ; au singulier : end " autre " ;

signifiant " ceux qu’on ne nomme pas"), caste fermée elle-aussi méprisée.

Il est admis par ailleurs que beaucoup de Juifs ont été

assimilés par les Noirs d’Afrique.

Aujourd’hui : Il n’existe plus au Touat de vestiges de nécropoles ou de synagogues. Une première épitaphe hébraïque datée

de 1329 a été découverte à l’oasis de Bouda. Des

pierres tombales ont été retrouvées, alors qu’elles

étaient réutilisées comme matériau de construction, notamment pour des puits. Une immense dalle

recouverte d’inscriptions hébraïques, datée de 79,

servait à des lavandières pour leur linge. Une lettre

datée de 1235, faisant état d'échanges caravaniers via Touat, a été retrouvée dans la Ghenizah du Caire.

Les patronymes sont d’autant plus importants qu’ils

témoignent, presque seuls, d’une histoire juive et d’un lien bien ténu de transmission avec cette région.

De nombreux patronymes du Maghreb doivent leur

origine à la localisation des différentes communautés. Ils étaient souvent portés, et le restent encore de nos

jours, aussi bien par des musulmans que par des juifs.

Le nom Touati, avec ses diverses variantes (Tovati,

Ettouati, Touitou) provient de la région du Touat ; celui de Gourari provient du Gourara ; celui de Znati, avec

ses variantes (Eznati, Aznati, Zenati) fait référence à

l’ethnie Zénète. Les noms de Tamishti, Amar, Drai, Teboul (Abitbol),

Benitah, Chékroun, Bénichou, parmi d’autres,

proviennent également de la région touatienne.

Les Juifs du Touat ainsi que leur massacre sont

longtemps restés peu connus. Jacob Oliel a tenté de les

sortir de l’oubli, de les réhabiliter en faisant connaître leur extraordinaire épopée.

Tous mes remerciements à M. Jacob OLIEL auteur du livre

Les Juifs au Sahara, une présence millénaire (éd. Elysée, Québec,

2011) qui a accepté, après lecture, de m'apporter ses éclairages.

Né à Béchar dans le Sahara occidental, Jacob Oliel, enseignant chercheur indépendant, est un grand spécialiste du désert. Ses longues années de recherches sur le terrain en Afrique du Nord ont abouti à plusieurs ouvrages. Elles lui ont permis de se découvrir des ancêtres caravaniers, ainsi que de faire, en 1991, un voyage au Touat avec Théodore Monod, son ami de trente ans, qui avait rédigé

la préface de ses deux premiers livres. Ses dernières parutions sont, outre le livre cité plus haut : Les camps de Vichy, Maghreb-Sahara 1939-1944, éd. Du Lys, Montréal, 2005 et Mardochée, éd. Elysée, Québec, 2010.

Compléments :

1) La plupart des renseignements concernant les Juifs de cette région a été fournie par les chroniqueurs touatiens musulmans, témoignant de la présence de rabbins érudits et d’une école d’hébraïsants.

2) Des Responsa (réponses données par des jurisconsultes sur des questions de droit religieux ou privé, posées par des communautés éloignées) des rabbins d’Alger ont ainsi permis de confirmer avec certitude qu’il existait un foyer religieux Juif, reconnu comme une Communauté, dans la région du Touat. Ces Responsa informent également sur la situation de plus en plus précaire des Juifs et sur leur insécurité croissante: leurs enfants peuvent être enlevés, emmenés très loin et vendus comme esclaves.

3) Les Oasis Sahariennes ont toujours été l’objet de convoitises. Elles ont été connues notamment par : - Antonio Malfante qui y a séjourné en 1447 ; - Léon l’Africain arrivé à Touat en 1506, il a révélé le désastre de 1492 de la communauté Juive vieille de treize siècles. -Les chroniqueurs lors des conquêtes et la mise à jour vers 1900, d'un recueil de nombreux documents de la région du Touat.

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Voyages

Vienne et la reconnaissance de l’extermination

des Juifs Vienne abritait au début du siècle une des plus grandes

communautés juives d’Europe. 11% de la population était

d’origine juive. Que reste-il dans la capitale autrichienne de

cette communauté ? Au mois d’août dernier 2012, visitant la ville, j’ai cherché à le savoir.

Les Juifs se sont installés à Vienne en 1190. Après que

plusieurs pogroms les eurent expulsés successivement en

1421 et 1669, l’Acte de tolérance, promu en 1782, par

l’empereur Joseph II, leur reconnaît un certain nombre de

droits. La constitution de 1848 leur accorde un statut de plein

droit et en 1852 la communauté juive de Vienne est

constituée officiellement. Cette communauté en pleine

expansion suscite très rapidement bien des jalousies.

En 1890, l’antisémite notoire, Karl Lueger, devient maire de

Vienne et en dépit de la protection de l’empereur, un

antisémitisme politique prend naissance, antisémitisme

qu’Hitler(1) reprendra et poursuivra.

En 1938, après

l’annexion de

l’Autriche par

Hitler (l’Anchluss),

40 synagogues sont

brûlées pendant la

Nuit de Cristal, la

population juive est massacrée.

120 000 d’entre eux

réussissent à émigrer,

65 000 périssent dans les camps d’extermination. Au nombre

de 200 000 avant 1938, les Juifs ne sont plus que 1500 à la

fin de la guerre.

Après 1945, aucune incitation n’est faite aux Juifs de revenir

à Vienne. On en devine la raison : les Autrichiens ne

souhaitaient pas redonner aux Juifs les postes qu’ils

occupaient avant la guerre et pas davantage leur rendre appartements et biens qu’ils s’étaient appropriés. Ils

préfèrent se considérer eux aussi comme les premières

victimes des crimes du National Socialisme et refusent de

reconnaître l’adhésion de la majorité du peuple autrichien au

Führer et à sa politique d’extermination. L’Holocauste n’est

ni expressément mentionné, ni enseigné à l’école dont le

programme s’arrête à la première guerre mondiale.

Les monuments de mémoire

Plusieurs monuments de mémoire témoignent à Vienne de

cette attitude et de ces réticences. Réalisé en 1968 et situé

place Morzinplarz, sur le site de l’ancien Hôtel Métropole où

la Gestapo interrogeait et torturait, un monument est dédié

aux victimes de la Gestapo. Une très petite étoile jaune

signale que les Juifs figuraient parmi ces victimes.

A côté du musée de l’Albertina, en centre ville, se trouve le

Monument contre la Guerre et le Fascisme, édifié en 1988.

Ce monument a fait l’objet de nombreuses controverses car il

représente des Juifs nettoyant les trottoirs et les rues devant la

population : des scènes qui se sont effectivement produites en

1938.

A la suite de ces attaques et à l’initiative de Simon

Wiesenthal, qui a perdu toute sa famille dans les camps, un

monument, dédié aux victimes de la Shoah, a été construit en 2000 sur la Judensplatz. Il représente, en référence aux

Juifs " le peuple du Livre", une bibliothèque avec

l’inscription des principaux lieux d’extermination. Sur la

même place, un petit musée, ouvert en 2010, retrace, à partir

de fouilles archéologiques de la plus ancienne synagogue, la

vie des Juifs au Moyen Age.

Non loin de là se trouvent les Archives de Résistance et de

la Déportation, ouvertes en 1968, qui montrent clairement

l’adhésion de la population à la prise du pouvoir par Hitler et

à l’antisémitisme. La réalité de l’extermination est évidente

par l’existence d’archives nominatives des victimes.

Ouvert en 2011, un nouveau musée juif se tient dans le

palais Eskeles, en centre ville, rue Dorothergzass. D’une

belle architecture intérieure, il montre une des plus grandes

collections d’objets personnels liturgiques juifs appartenant à

Max Berger qui a vu périr toute sa famille. L’unique

synagogue, rue Seitensttengasse, épargnée par le pogrom de

1938, parce que non visible extérieurement, peut se visiter

sur rendez-vous.

A la suite de l’indignation suscitée par un attentat néo-nazi, en 1965, contre un Juif communiste et survivant, les

Autrichiens ont commencé à changer d’attitude. Les Juifs ont

pu revenir à nouveau dans leur ville natale, rejoints en 1956

par les Juifs hongrois et, par la suite, ceux des Républiques

de l’ex URSS.

Comme l’écrit Michel Haupl, actuel maire de Vienne, dans

un guide bien documenté (2), les Juifs, pour la plupart

assimilés, constituaient avant la guerre l’intelligentsia

viennoise. Ils ont, reconnaît-il, grandement contribué au

développement de la ville. Parmi les plus illustres on peut

citer Fanny Von Arnstein qui tenait des salons littéraires en

1812, le banquier Salomon Rothschild, Théodore Herzl, le fondateur des idées du sionisme dès 1878, le psychanalyste

Sigmund Freud qui a fui Vienne en 1938 dont on peut visiter

la maison avec le fameux divan, l’architecte Adolf Loos, les

écrivains Stephan Zweig, Arthur Schnitzler, Joseph Roth,

Robert Musil, les musiciens Arnold Schönberg, Gustav

Malher, le metteur en scène Billy Wilder…

Regroupant actuellement plus de 7000 personnes, la

communauté est bien structurée, avec un président élu, Ariel

Muzicant, pour les affaires politiques et administratives,

tandis que les questions religieuses relèvent de la compétence du grand rabbin Paul Chaim Eisenberg.

Des services sociaux, tels que le "Jewish Welcome Service

Vienna", "l’Esra Center for Psychosocial", ont en charge

l’aide matérielle et le soutien psychologique à la population

juive. De nombreuses écoles et associations culturelles

témoignent de la vigueur de la communauté.

Signes inquiétants, cependant, aux élections de 1999, Jorg

Haïder, fondateur du parti d’extrême droite, le FPO obtient

26,9 % aux élections et entre au gouvernement de Wolgang

Schussel pour constituer une grande coalition qui échoue rapidement. A la suite de dissensions internes, Jorg Haïder,

fonde un nouveau parti d’extrême droite, le BZO.

Vienne 1941 (Document Maison de

la Conférence de Wannsee - Berlin)

Page 5: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

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Aux dernières élections de 2008, le SPO, social démocrate,

obtient 29,31%, le BZO, Alliance pour l’avenir de l’Autriche

10,7%, le FPO, Parti Autrichien de la Liberté 17,5%., l’OVP,

Parti Populaire Autrichien 26%, les Verts 10,4%. Les

prochaines élections auront lieu en 2013

Si l’on compare les monuments et les musées dédiés à

l’extermination à Vienne de ceux, exemplaires, existant à

Berlin, il est évident que l’Autriche n’en est qu’au début d’un

réel travail de mémoire (3).

Monique Duché-Benoun

1) Hitler, né à Vienne, voulait devenir peintre. Refusé plusieurs fois par l’Académie des Beaux Arts, il a voué une profonde haine envers les institutions universitaires et académiques où pourtant les Juifs n’étaient pas majoritaires

2) Le guide de la municipalité "Jewish Vienna-Heritage and

Mission", distribué au musée juif. Un livre en anglais de Robert Schindel, "Jewish Vienna", Editions Mandelbaum Verlag, constitue également une précieuse source d’information. Deux visites spécifiques, indiquées par l’Office de Tourisme, ont lieu

chaque semaine sur le thème "Juifs de Vienne".

3) A noter également l’institution depuis 1995 d‘un fonds national d’indemnisation pour les victimes du national-socialisme. Une somme de 5087 euros est attribuée aux victimes persécutées par le régime national-socialiste en guise de geste moral.

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Israël, impressions de voyage

Je suis restée à Tel Aviv, seule, pour découvrir cette ville. Je

ne la connaissais pas, si ce n’est l’aéroport, et mes

impressions vont peut-être sembler bien candides.

Je me serais crue dans une ville européenne avec des

quartiers très branchés et une population très cosmopolite.

J’avais une chambre dans un hôtel auberge de jeunesse à

deux pas de la plage et j’y ai rencontré surtout des amoureux

d’Israël. Ce point de vue changeait beaucoup de ce que je

pouvais entendre en France. A part les Juifs français et ceux qui ont fait un voyage religieux dans ce pays, de la part de

beaucoup de Français, je n'ai entendu que des critiques de ce

pays. Quelquefois, on n’ose à peine dire que l’on a fait un

voyage en Israël. J’étais donc contente de me trouver au

milieu de touristes curieux et sans ostracisme vis-à-vis

d’Israël.

Tel Aviv est une ville trépidante et zen en même temps. On

y voit très peu de religieux. .Je me sentais en pleine sécurité

au centre ville et j’avais une très grande sensation de liberté

beaucoup plus qu’en France. Une ville sans policier ! Même pas de police aux carrefours malgré une circulation

automobile très forte à certaines heures. Pour un français,

c’est inimaginable ! Peut-être sont- ils là incognitos ! Je ne

sais pas vraiment parler hébreu mais on se débrouille fort

bien sans cette langue. Le russe semblerait devenir la 3°

langue d’Israël avec l’arabe et l’hébreu. Mais, j’ai été très

étonnée qu’on y respecte le shabbat presque comme à

Jérusalem car on m’avait dit que les laïques fuyaient

Jérusalem pendant le shabbat ! Il ne faut jamais écouter les

rumeurs ! A Jérusalem, j’ai vu ouverte une boîte de nuit le

vendredi soir et nous avons trouvé un restaurant ouvert pas

loin du King David. La deuxième semaine, j’ai rejoint le groupe avec lequel je

devais voyager. Notre voyage était un voyage de contacts

avec des associations qui œuvrent pour la paix. Je peux dire

qu’il y en a énormément en Israël. Chaque fois que j’y suis

allée, j’en ai rencontré. Il est dommage qu’on n’en parle pas

dans les reportages sur Israël.

Nous avons dormi à Neve Shalom, un petit village où il y a

des écoles bilingues, arabe et hébreu, où des Arabes

israéliens et des Juifs choisissent d’habiter .On y travaille à la cohabitation entre Arabes et Juifs et au respect des deux

peuples. Certes seule une petite élite peut en faire partie car

l’école est privée et payante.

Nous sommes ensuite allés à Jaffa au Centre pour la Paix

fondé par Shimon Peres après l’assassinat de Rabin ! Là

aussi, on travaille à des échanges entre Palestiniens et

Israéliens : on forme en Israël des médecins palestiniens à

des médecines de pointe. On organise des activités entre enfants juifs et arabes de Jaffa.

On a encore visité Givat Aviva, une Université judéo-arabe qui donne des cours d’arabe entre autre chose et

où se trouve une bibliothèque qui a comme archive

l’ensemble des journaux palestiniens avant 1948. C’est

là, que la personne qui nous a accueillis nous a montré que cette fameuse ligne verte dont on parle, n’est qu’une

ligne de cessez le feu élaborée par un Anglais de manière

incohérente et elle nous a emmenés dans un village arabe que

la ligne verte coupe en deux. Il y a un check point privatisé

qui permet d’aller d'un côté et de l’autre, ce qui occasionne

une perte de temps importante pour ceux qui doivent le

passer. Quant au mur, nous l’avons longé. Il ne fait qu’une vingtaine de kilomètres. Le reste n’est qu’une clôture de

sécurité.

Enfin nous sommes allés à Ramallah. C’était la fête de

l’AÏD. Nous n’avons pas été contrôlés. Ramallah est une ville

qui ressemble à toutes les capitales des pays voisins. Une

bourgeoisie y est installée, assez riche au vu des habitations

modernes et luxueuses dans le quartier de la moukatta et

ailleurs. Les magasins ouverts regorgent de victuailles et de

produits et les enseignes de multinationales comme Pizza

Hut, Starbuck, Sony décorent le paysage urbain ! Une

circulation incessante. Moi qui suis allée à Damas et à Amman, je n’ai pas vu de différences entre Ramallah et ces

villes "libres" de toute occupation étrangère. Nous sommes

allées dans un café très branché où la personne qui nous a

servis parlait le français car elle avait fait un séjour d’étude à

Nantes.

Ce voyage a permis à beaucoup d’entre nous de remettre en

question certaines idées toutes faites sur la région. Certes, il

faut que les palestiniens aient leur pays et qu’Israël vive en

sécurité dans des frontières reconnues mais il ne faut pas

raconter n’importe quoi sur la Cisjordanie ! Les médias

français désinforment sur la région par omission et parti pris.

Simone Bismuth

Bureau de L.d.J. Simone Simon Présidente Maryse Sicsu Vice-Présidente

Jean Ferrette Secrétaire général Brigitte Thiéblin Secrétaire adjointe

Noémie Fischer Trésorière Flora Novodorsqui Trésorière adjointe

Contact L. d. J.: 01 47 66 42 63 ou secretariat2@ liberte-du-judaisme.fr

Site internet : www.liberte-du-judaisme.fr

Page 6: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

6

Lu , Vu , entendu

Mame loshn

Ses locuteurs l'appellent "mame loshn", la langue de maman.

Avec ses inflexions et l'adjonction de suffixes qui

rapproche les choses en allongeant les mots, elle semble être

faîte pour la tendresse. (1)

Née sur les bords du Rhin, il y a un millier d'années, elle a

traversé l'Europe d'ouest en est, ramassant au passage des

mots de rencontre et des façons de parler. Traversant les

frontières, elle était devenue une langue européenne et plus

tard une langue mondiale. A la sortie de la seconde guerre mondiale, il n'était pas rare pour un voyageur de passer de

pays en pays en parlant dans tous la même langue, le

Yiddish.

C'était pour les Juifs de l'Europe de l'est la langue de

l'intimité, au contraire de l'hébreu, la langue de papa, que

seuls les hommes, qui, petits garçons, avaient été au héder,(2)

connaissaient un tant soit peu. Cette langue maternelle

parlée, avant la dernière guerre, par plus de 10 millions de

personnes, a été gazée dans les camps. Ce qui en restait a

sombré avec les départs du Yiddishland vers l'Occident et les

Amériques. Les enfants de ceux qui parlaient cette langue dans les villes et villages où ils formaient d'importantes

minorités l'ont abandonnée pour les puissantes langues

environnantes, l'anglais, le français ou l'espagnol, pendant

que l'hébreu, sortait de sa sphère religieuse pour devenir, en

Israël, la langue nationale.

C'est cette langue, que d'aucuns considèrent en état de

mort clinique, qui a tenu colloque au Palais de l'Unesco à

Paris les 12 et 13 novembre (3) car si certains la trouvent bien

malade, d'autres ont décidé de la maintenir en vie et ils sont

venus d'Australie et de Pologne, des Etats-Unis et d'Israël, de

Grande-Bretagne et de France pour apporter leurs solutions, à un public attentionné de plus de 400 personnes.

D'abord, et en premier lieu, sauver les trésors qui ont été

écrits dans cette langue. Les sauver par la traduction, et il y a

urgence, car pour traduire il faut des traducteurs, mais aussi

conserver et c'est le gigantesque travail de numérisation qui

se fait dans différents cénacles. Ensuite il faut transmettre,

d'abord aux enfants et les exemples qui ont été cités sur ce

qui se fait à New York, à Melbourne ou à Varsovie, même si

ce ne sont que gouttes d'eau dans un océan de besoins,

montrent que les idées ne manquent pas. Et puis il y a les arts, ceux qui sont véhiculés par la langue :

le théâtre et les chansons ; la multiplication des groupes qui

reprennent et enrichissent la musique klezmer, les théâtres

qui continuent à jouer des pièces en yiddish avec, souvent,

des acteurs dont ce n'est pas la langue. Et puis, surtout, il y a

la détermination de ceux qui veulent de toute leur force croire

que l'on peut faire revivre une langue, comme cela s'est

produit pour l'hébreu, car comme l'avait chanté Jacques Brel

en français et comme nous l'a chanté en yiddish Mendy

Cahan venu d'Israël : "On a vu souvent rejaillir le feu de

l'ancien volcan qu'on croyait trop vieux".

I.J. 1. Il est courant en yiddish d'allonger les mots pour rendre la chose plus proche : Ex. : bébé, bébélè;. kindé kindelé..

2. Ecole élémentaire où on apprenait à lire l'hébreu de la Thora

3. "Permanence du yiddish" organisé par le B'nai Brith et la Maison de la Culture Yiddish

Juifs de Pologne ou Juifs en Pologne ? C'est d'entrée que cette question s'est posée lors des tables

rondes qui se sont tenues au Couvent des Bernardins dans

le cadre de l'exposition préparée par l'AFPCJ (1) qui a été

présentée en ce même et prestigieux lieu entre le 11 et le 26

octobre 2012 (2).

Il existe un tel contentieux entre Juifs et Polonais qu'il est

parfois difficile d'imaginer que ces deux peuples ont vécu

côte à côte et assez souvent en bonne harmonie durant presque un millénaire.

Harmonie voulue par l'aristocratie et par? la royauté élective

polonaise qui bien sûr y trouvèrent leur intérêt et qui

légiférèrent en ce sens dès 1264 par l'Edit de Kalisz. Cet

Edit renouvelé régulièrement jusqu'en 1750 disparut avec le

Royaume de Pologne dépecé par ses trop puissants voisins ;

il plaçait la population juive sous la protection royale et

définissait son statut. Statut qui alla jusqu'à octroyer une

autonomie de gestion pour les Quatre Pays, le Vaad, qui en

1596 devint l'organe représentatif des Juifs, mais aussi le

collecteur d'impôts, sur l'ensemble du territoire contrôlé des souverains de Pologne (3).

A cette époque il y avait un peu plus de 500.000 Juifs en

Pologne ; ils étaient plus de 3 millions en 1939 à la veille

de la guerre. Après le cataclysme nazi, il en restait environ

250.000 dont 200.000 étaient revenus d'URSS où ils avaient

fui devant l'invasion allemande.

Las! Le calvaire n'était pas terminé, la soif d'antisémitisme

n'avait pas été complètement assouvie et de pogroms en

assassinats individuels on dénombra environ 1500 morts

entre 1945 et 1947, du fait cette fois de Polonais. Les Juifs

survivants quittèrent la Pologne. Il en resta une cinquantaine de mille.

En 1956, la Pologne entre en révolte contre le gouvernement

communiste imposé par les Soviétiques. Pour détourner

l'orage, les Juifs sont montrés du doigt par les autorités et leur

situation devient pour le moins inconfortable, une trentaine

de mille s'exile à leur tour.

Enfin en 1968, la vague de manifestations qui déferle sur

l'Europe n'épargne pas la Pologne, Le gouvernement ressort

une arme bien rodée, l'antisémitisme sous couvert de

l'antisionisme dans le cadre de la guerre des Six-jours qui a opposé Israël et les Pays Arabes. Ce qui reste de Juifs quitte

le pays, y compris ceux qui y étaient retournés dans le but d'y

construire le Socialisme.

A cette longue litanie, il faut mettre dans l'autre plateau de

la balance les Polonais qui firent ce qu'ils purent pour sauver

des Juifs. Tout d'abord, l'organisation de sauvetage Zegota,

soutenue par le Gouvernement Polonais de Londres qui

réussit à mettre à l'abri environ 30.000 Juifs, puis les actions

individuelles comme celle que nous avons pu voir tout

récemment au cinéma dans les égouts de Lwow (4) , et il n'est pas anodin que 5800 Polonais aient été honorés par la

Médaille des Justes, car si en France contrevenir aux lois du

Grand Reich était très souvent passible de la déportation, en

Pologne c'était l'exécution immédiate. Dans ce même plateau

de la balance, il faut mettre, et les Polonais ne manquent pas

de le rappeler, que deux millions de Polonais ont disparus

pendant la guerre.

Page 7: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

7

Et maintenant? Maintenant, soixante dix ans après l'extermination, certains

Polonais commencent à se retourner sur leur passé, et dans ce

passé il y a ce vide béant. Alors on essaye de combler ce

vide et les exemples de cette bonne volonté ne manquent pas

; depuis les cérémonies qui ont marqué l'anniversaire de la

liquidation du Ghetto de Lodz jusqu'à la construction en

plein Varsovie, face au monument en souvenir de la révolte

du Ghetto, d'un Musée sur L'Histoire des Juifs de Pologne

qui devrait être inauguré en octobre 2013.

Mais le plus marquant, peut-être, n'est-il pas que

l'intervenante polonaise au colloque "Permanence du

yiddish" (5) ait titré son intervention "L'engouement pour l'étude du Yiddish en Pologne" ?

I.J.

1. Association franco-polonaise pour la culture juive

2. "Mille ans des Juifs en Pologne", avec l'appui de l'Institut

Polonais de Paris

3. Henri Minczeles "Une Histoire des Juifs de Pologne"

Editions de la Découverte 2006

4. "Sous la ville" un film d'Agnieszka Holland.

5. Voir l'article page précédente.

Lu , Vu , entendu

De trois expositions à Paris et en Banlieue…

La Cité nationale de l’histoire de l’immigration (ex

Musée des Colonies, ex Musée de la France d’ Outre-mer )

présente à Paris, dans le très beau Palais de la Porte Dorée

construit dans le style Art déco à l’occasion de l’exposition

coloniale, une intéressante

exposition sur les Algériens en

France pendant la guerre

d’Algérie ; cinquante ans après la fin de cette guerre, elle "propose

d’aborder les diverses réalités de

vie des migrants algériens à

travers les questions de vie

sociale, de l’accueil fait à

l’immigration et de la solidarité envers leur engagement

politique et syndical"

Des photos, des articles de journaux, des livres, des œuvres

d’art, des objets et des films nous transportent à cette époque

difficile où la rivalité politique entre les mouvements

nationalistes se traduit par des attentats, où la répression contre les militants algériens est féroce et culmine avec la

manifestation du 17 octobre 1961 à Paris par la police du

préfet Papon, où les travailleurs algériens vivent souvent dans

des bidonvilles comme ceux de Nanterre ou Gennevilliers.

Un téléfilm de l’émission "Cinq colonnes à la une" est

projeté à l'entrée de l’expo montrant les conditions de vie

sordides des familles dans le bidonville de Gennevilliers. Par

ailleurs La torture est évoquée par le livre d’Henri Alleg et le

procès des tortionnaires de Djamila Boupacha (un téléfilm

récent revient sur cet épisode).

De beaux et émouvants tableaux de Lorjou, Khadda,

Lapoujade, Fougeron, Matta entre autres et des romans engagés de Kateb Yacine, Mohamed Dib…sont exposés à

côté d’articles plus ou moins censurés de l’Express, de

l’Observateur ou de Témoignage chrétien sur la répression en

France ou les "événements d’Algérie". L’aide directe

apportée par quelques intellectuels français au FLN –en

particulier le réseau Jeanson- est montrée à travers

documents et photos d’époque mais les manifestations en

faveur de la paix des syndicats étudiants et ouvriers sont très

peu mises en valeur ; l’action de l’OAS est soulignée ainsi

que les manifestations de joie de la communauté algérienne

en France lors de l’indépendance. Tous ces documents d’archives anciennes ou récentes

(archives de la Préfecture de police, archives algériennes,

films et photos de familles) rassemblés par Benjamin Stora et

Linda Amiri, commissaires de l’expo, permettent d’avoir

une connaissance apaisée de cette période ; mais, souligne

Benjamin Stora, "l’Algérie rêvée n’est pas celle qui se bâtit

après 1962".

Une autre exposition s’est tenue à la Mairie du 5ème

arrondissement : photos de l’immigration et de

l’intégration des Juifs en France de 1880 à 1948.

Cette petite expo très intéressante présentait en octobre dernier, grâce à

de nombreuses photos de

l’Association de la Mémoire Juive

de Paris, un panorama de la vie

juive parisienne. On y retrouvait les

activités des Juifs polonais et

allemands, leurs engagements

politiques et syndicaux, les loisirs et

les sports pratiqués par plusieurs

associations sportives ; étaient

représentées la période des rafles et de la déportation suivies du sauvetage des enfants dans les

maisons de la C.C.E. (1) par exemple.

Une belle et émouvante expo, un parcours de mémoire, un

patrimoine exceptionnel qui permettent de prendre la mesure

de la richesse de cette diaspora ashkénaze venant de

l’Europe de l’est, fuyant pogromes et misère et se retrouvant

provisoirement " heureux comme Dieu en France" ; histoires

familiales se mêlant à la grande histoire…

Enfin à l’Ecomusée de Fresnes, non loin de la sinistre prison

où furent enfermés des résistants et des militants du FLN, se

tient une exposition sur les Pieds-noirs en Algérie de 1830 à 1962 et leur installation après cette date en région parisienne.

Photos, graphiques, cartes, commentaires illustrent ces deux

périodes de manière pédagogique ; des films accompagnaient

cette expo, dont "Algérie mes fantômes", de J.P. Lledo,

auteur dont nous parlons par ailleurs, ainsi qu’un concert de

musique ladino et une conférence sur " Camus et l’Algérie."

Toute la partie relative à la vie des Européens et des Juifs en

Algérie incluant les persécutions antisémites est bien

présentée et utile pour les jeunes de maintenant et des

anciens ayant vécu cette période. Les difficultés liées à l’exil

de 1962 sont expliquées simplement et sans manichéisme, ce qui permet d’éliminer nombre de stéréotypes.

Dans ce petit musée du Val de Marne installé dans une

ancienne ferme restaurée et aménagée pour différentes

activités, cette exposition donne une image équilibrée de

l’histoire des Pieds-noirs et complète celle des Algériens en

France de la Cité de l’histoire de l’immigration.

Michel Mohn

1) Commission Centrale de l'Enfance, organisme créé par l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide pour prendre en charge les enfants après la catastrophe. Certains de ces enfants sont actuellement membres de l'AACEE, association que nous retrouvons au sein du Rajel

Page 8: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

8

Lu , Vu , entendu

Chaïm Soutine (I893-1943) au Musée de l'Orangerie

Cette exposition présente 70 toiles de Soutine. Elle a été

une surprise pour moi car elle propose, de façon très

complète, un parcours à travers différents thèmes : le portrait,

le paysage et la nature morte (bœufs écorchés, lapins

suspendus à un crochet, ...). Ce dernier genre, bien que les

auteurs de l'exposition fassent allusion à Chardin, est particulièrement malmené. Il ne s'agit pas de compositions

complexes destinées à décorer un intérieur. Soutine travaille

avec l'idée de série. Les carcasses de bœufs écorchés répétées

de toile en toile, les lapins suspendus à un crochet au centre

du tableau tête en bas, semblent exprimer la violence de la

mort infligée (les yeux du lapin expriment l'étonnement).

Quel que soit le genre abordé, l'originalité de Soutine réside

dans la frontalité, l'absence de décor ou d'espace, bref, dans

la présentation de l'être ou de l'objet qui nous regarde. A cela

s'ajoute la violence des contrastes colorés et les déformations.

Ainsi, dans "le sacristain", le blanc du vêtement émerge dans une petite tache de lumière immergée dans l'ombre du noir.

Quant aux paysages, ils sont eux aussi soumis à une

déformation telle qu'ils deviennent des blocs de peinture,

couleurs, gestes.

En 1939 (à la fin de sa vie), les paysages seront eux-mêmes

associés à des événements naturels : le vent devient sensible

à travers les gestes du peintre. "Retour de l'école sous

l'orage", tableau lui aussi peint à la même date, présente

deux enfants cheminant sur une

route dans un paysage.

On pourra remarquer que les

humains et le paysage sont traités à égalité. A mon avis, ce tableau

influencera Francis Bacon à ses

débuts dans sa conception de

l'humain-inhumain.

Au total, on ressort de cette

exposition avec une curieuse

impression : celle du rouge qui

malmène et nous agresse et qui

rappelle quelque part la couleur

du sang comme si Soutine avait

éclaboussé toutes ses toiles d'une douleur déjà là et qu'on peut retrouver, présente à l'état brut,

dans sa série des bœufs écorchés.

Françoise Bein

Lu , Vu , entendu

De El Alamein à l'opération Torch

El Alamein, juillet 1942, aux confins de la Lybie et de l'Egypte, pointe extrême de l'avancée de l'Afrika Korps

allemand vers le Moyen Orient en juillet 1942

Opération Torch : Débarquement des Américains à Alger

8 novembre 1942.

Le Colloque qui s'est tenu les 6, 7 et 8 novembre 2012 au

Mémorial de la Shoah à Paris était consacré à la situation des Juifs d'Afrique du Nord à ce tournant de l'histoire, et à ses

suites. Il est bien évident qu'il n'est pas question de rendre

compte ici de l'intégralité de ces journées qui ont réuni des

historiens venus d'Allemagne, des Etats-Unis, d'Israël,

d'Italie, du Maroc et de France. Nous nous contenterons,

parce que c'est moins connu, de rapporter ce qui a été dit sur

la situation en Libye et en Palestine.

En Libye, colonie Italienne, il y avait en 1939 un peu plus de 50 000 Juifs. Si les lois raciales mussoliniennes furent

appliquées mollement, il n'en reste pas moins que des camps

d'internement furent ouverts, des Juifs francophones remis

aux autorités vichystes de Tunisie et des Juifs Libyens

déportés dans un camp en Italie et, de là, envoyés à Bergen-

Belsen. Mais le plus effrayant est sans doute qu'en

novembre 1945, malgré la présence de l'armée britannique,

un pogrom fut organisé contre la communauté juive par

des agitateurs arabes. Il y eut 130 morts.

Un second pogrom eut lieu en juin 1948 moins d'un mois

après la déclaration d'indépendance de l'Etat d'Israël. Il n'y

eut "que" 14 morts. Ces deux pogroms déclenchèrent le départ des Juifs de Libye, vers l'Italie et vers Israël,

clandestinement au début, du fait de l'interdiction faite aux

immigrants d'entrer dans la Palestine sous mandat

Britannique (1) (2)

C'est de la Palestine sous mandat que nous a parlé un autre

intervenant. Devant l'avancée des Allemands, les Anglais,

occupés par ailleurs à réprimer une insurrection arabe en

Irak, prirent contact avec le Yichouv (4) pour organiser en

commun la défense de la Palestine. Un plan fut établi pour

défendre absolument un réduit territorial autour du Mont Carmel. Ce plan "Massada of the North" comportait la

poursuite éventuelle de la résistance par une guérilla dans la

région montagneuse. C'est à cette occasion que fut créé le

Palmach, formé de jeunes Juifs qui reçurent une formation

militaire des Britanniques. Le danger était d'autant plus

sérieux que la Syrie était alors sous mandat français, que les

militaires français qui s'y trouvaient avaient prêté allégeance

au gouvernement de Vichy et que celui-ci avait autorisé les

Allemands à utiliser les aérodromes du territoire syrien.

Après la dernière bataille d'El Alamein en novembre 1942

et le décrochement des troupes de Rommel le danger

s'éloigna. L'historien israélien (3) se demande aujourd'hui, s'il y avait

un réel danger… Il pense que non et s'appuie sur le fait que

l'Afrika Korps ne comptait que 4 divisions, c'est-à-dire

beaucoup moins que le nombre de divisions engagées devant

Stalingrad. Il pense également qu'Hitler était bien plus

motivé par une victoire en Russie qu'au Moyen Orient.

C'est certainement vrai. Il n'empêche qu'Hitler intima l'ordre,

en novembre 1942, à Rommel de ne pas décrocher devant El

Alamein et que le fonctionnement des nazis n'était pas

forcément militairement rationnel.

Il suffit de se souvenir qu'au milieu de l'année 1944, alors que les armées allemandes reculaient sur tous les fronts, les

nazis se donnèrent les moyens d'exterminer 400 000 Juifs

hongrois. Dans la guerre spécifique que les nazis menèrent

contre les Juifs, au sein de la guerre qu'ils menaient contre les

Alliés, mettre la main sur les 500 000 Juifs du Yichouv

devait être, pour ces fous dangereux, des plus attractifs.

I.J.

1. Costantino Di Sante. Institut Historique de Marques, Italie

2. Antonelle Tiburzi de l'Association Nationale des anciens

déportés politiques, Italie

3. Daniel Uziel, Yad Vashem Israél.

4. La communauté juive de Palestine avant la création d'Israël.

Page 9: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

9

Lecture & Controverse

Un ouvrage (1) a suscité dans les réunions de L.d.J, un

débat animé. Elie Garbarz, un des fondateurs de L.d.J a

porté un avis élogieux. Nicole Abravanel, historienne, un

jugement très critique. Plutôt que de présenter des points de vue antithétiques, nous choisissons de les rapprocher dans un

même article.

--------------------------------------------

L’auteur est Algérien de mère juive et de père pied-noir. Il

a refusé d’émigrer. Il rêvait d’une Algérie démocratique et

multiethnique. Il a été membre du parti communiste algérien.

Il a réalisé plusieurs films et documentaires. Puis, sous

menace d’assassinat par les islamistes, il est venu en France.

Connaissant bien, et pour cause, le monde arabo-musulman, le sien, il a réfuté dès le départ l’enthousiasme dominant la

plupart de nos commentateurs, sur les révolutions arabes.

Ainsi, il avait prévu, presque seul, le pourcentage électoral

d’Enahda en Tunisie. il décortique l’idéologie, l’histoire et

les techniques d’encadrement des frères musulmans, puis

nous assène des faits, encore des faits… et se voit contraint

de prévoir un avenir sombre, lui optimiste de nature. Ce livre,

publié cette année, a été écrit en majorité avant décembre

2011.

Par le style parfois, par le fond, loin du "politiquement

"correct’, c’est un livre dérangeant. Elie Garbarz

Ce livre n’est pas "un livre dérangeant", il est d’abord,

principalement, un livre partisan.

On ne peut que souscrire à la définition de l’islamisme

formulée comme "Le projet politique de modeler la société

suivant les seules règles d'une charria qui évacuerait totalement le droit positif européen" (p. 86).

A la page suivante (p. 87), on lit lors d’un rapprochement

éclair avec l’histoire des Juifs d’Algérie que " La puissance

coloniale n’a pu imposer d’office la nationalité française par

un décret de nationalité collective [comme elle l’a fait avec

le décret Crémieux], ce qui aurait été considéré comme un

acte de guerre à l’Islam". Les " indigènes", les musulmans

acquérant le statut de citoyens français dans la République

une et indivisible ? Les colonisateurs en auraient-ils eu

l’intention en 1870 après la proclamation de la République ?

Les institutions islamiques le pouvoir de s’y opposer ?

Les faits sont décontextualisés. Islam et islamisme constamment confondus de façon à promouvoir un monde

arabo-musulman intemporel (non pas au plan ses pratiques

comme les islamistes y prétendent en voulant imposer un

orthopraxisme originaire imaginaire mais symétriquement, au

plan de sa conception même du politique) et un islam maître absolu du jeu. Selon une méthode, hélas, souvent mise

en pratique à l’encontre du judaïsme, l’ouvrage fourmille d’amalgames de façon à construire un ennemi

global. L’islam-islamisme amalgamé devient l'ennemi et

le seul autre… et sa victoire est inscrite inexorablement dans

le temps, La dernière phrase de l’ouvrage parle pour le sens

que l’auteur lui donne :

"Le printemps s'arrête. Cela se rafraîchit. Il vaut mieux te couvrir, femme" (p. 326).

Disparu(e)s les femmes, les jeunes, les artistes, les

universitaires, comme de façon très actuelle le doyen de

l’université de la Manouba à Tunis, qui refusent

l’islamisation de leur société… L’avenir serait écrit d’avance

et il ne sera pas beau à vivre.

Nicole Abravanel

Nous voulons cependant dire que l’un comme l’autre nous

nous sommes associés à des protestations en soutien au

mouvement démocratique en Tunisie. Serait-ce parce qu’un

des principes fondateurs de la conception du temps dans le

judaïsme, qu’il soit teinté de plus ou moins d’optimisme ou

de pessimisme, reste l’espérance ?

Nicole Abravanel & Elie Garbarz

1) "Révolution démocratique dans le monde arabe, Ah ! si c’était vrai …" Jean-Pierre Lledo Armand Colin, Paris, 2012

Lu , Vu , Entendu

Comment se fait-il que nous restions juifs sans

croyance ni pratique religieuse ?

Pas loin de quatre-vingts personnes se sont précipitées au

MAHJ le dimanche 7 octobre en espérant trouver une

réponse à cette lancinante question. Ils n'ont pas été déçus,

mais ils sont tout de même repartis sans la réponse.

Simon Diner, scientifique et non croyant, a sans doute

trouvé sinon la réponse, du moins une réponse pour lui-

même. Enfant durant la guerre il a vu son père, venu de

Kichinev, déporté et ne pas revenir. Il a vu des gens l'aider

et, chose qui mérite d'être souligné c'est l'entreprise dans laquelle travaillait son père qui l'a fait passer en zone non-

occupée et qui a continué à servir à sa mère, durant toute la

guerre, le salaire du père (1).

Après la guerre, vivant dans un milieu communiste, il a

l'occasion de se rendre en Roumanie, du temps d'Anna

Pauker (2) et il se forge, alors, l'idée qu'être juif c'est être

communiste et sans doute un peu vice-versa.

Puis, peu à peu, au hasard des rencontres, il s'aperçoit que

l'on peut être juif sans être communiste, que l'on peut être

juif et croyant et plus tard, à l'aide de Raymond Aron, que

l'on peut être juif sans être sioniste. C'est dans l'Histoire et la Culture juives qu'il va trouver les réponses aux questions

qu'il se pose.

Une première rencontre est celle de Benjamin Fondane ou

plutôt de son œuvre. Fondane, français d'origine roumaine,

arrêté en 1944, refusa de sortir de Drancy sans sa sœur. Il

mourut à Auschwitz (3). Une autre rencontre fut celle d'un

photographe, Jean Besancenot, qui lors de la guerre du Rif

avait photographié des familles de Juifs marocains, ce qui lui

a fait découvrir que l'on pouvait aussi être juif sans être

ashkénaze. La vie l'ayant conduit, ensuite, du côté de la Provence, il découvrit en la personne de Rabbi Levi ben

Gershom, dit Gersonide, (4) que l'on pouvait être juif et

universel. Le rôle et le nombre des Juifs dans les sciences

questionnent S. Diner et il pense avoir trouvé une partie de la

réponse dans le livre d'Amos Funkestein, "Théologie et

Imagination scientifique".

A 77 ans Simon Diner n'est toujours pas croyant et il est

toujours juif. Sans doute fait-il sienne la phrase de Levinas

qu'il nous a citée sur "L'étrange bonheur d'être juif ".

I.J. Voir les notes : Page suivante

Page 10: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

10

1. Il s'agit des Peintures Duco et cela mérite d'être relevé.

2. Ministre des Affaires Etrangères, puis vice-premier ministre

du gouvernement communiste de Roumanie, elle est démise de

ces fonctions en 1952 puis arrêtée en 1953 dans le cadre de la

campagne antisémite qui déferle sur les "démocraties populaires". Elle est libérée en 1953 après la mort de Staline.

3. Nous avons publié dans la lettre 116 le poème de Benjamin

Fondane que Simon Diner a lu au cours de son exposé. Ce

poème a été écrit en 1942 mais contrairement à ce que nous

avions indiqué dans la présentation de ce poème, Fondane a été

déporté et assassiné en 1944. Il a donc écrit ce poème avant

d'avoir connu dans sa chair la réalité du massacre.

4. Gersonide, né en 1288 à Bagnols-sur-Cèze vécut à cheval sur le 13ème et le

14ème siècle il fut tout à la fois

commentateur de la Bible,

mathématicien, astronome, philosophe,

médecin et l'un des propagateurs des

écrits d'Averroès qui fit connaître via le

monde arabe la philosophie d'Aristote. Il

proposa le "Bâton de Jacob" pour

mesurer la distance angulaire entre eux

étoiles.

L'Assemblée générale de "Liberté du Judaïsme" s'est tenue le 14 novembre 2012 au 13 rue du Cambodge.

Le Rapport moral et le Rapport financier ont été adoptés à

l'unanimité des présents et représentés. Les activités de l'Association ont été très soutenues au cours

de l'année écoulée avec 9 conférences de haute qualité, 6

parutions de la "Lettre de LdJ", la création d'un nouveau

Site internet "Liberte-du-judaisme.fr" et la participation

aux activités du Rajel.

Le Conseil d'Administration a été reconduit dans son

intégralité à l'exception de Nicole Abravanel qui a souhaité

se retirer ; cheville ouvrière et organisatrice du cycle de

conférences, elle a été très chaleureusement remerciée.

Au Bureau, le poste de Secrétaire Général est occupé par

Jean Ferrette, élu ce jour au conseil d’administration et nous

lui souhaitons la bienvenue.

Cercle de Lecture Nous étions une dizaine dimanche 11 novembre autour de

Mané et Victor les deux héros du livre de Robert Menasse

"Chassés de l'enfer". Deux héros que cinq siècles séparent

et qu'un ténu lien familial réunit. Le

premier qui dû fuir le Portugal de

l'Inquisition est devenu un personnage

historique à Amsterdam sous le nom de

Manassé ben Israël, le second traîne

son mal de vivre dans la Vienne de

l'après-guerre, mal dénazifiée. Un

livre qui a eu une diffusion réduite en France, mais qui mérite le détour.

Manassé ben Israël

vu par Rembrandt

De l'étranger

Deux nouvelles qui ne manquent pas d'intérêt :

D'Espagne Le gouvernement espagnol a annoncé que tout sépharade

pourra maintenant bénéficier du droit à la nationalité

espagnole. Jusqu'à maintenant, et depuis 1982 seulement, ce

droit s'appliquait uniquement aux Sépharades résidant en

Espagne depuis au moins 2 ans. D'après des estimations 250

000 personnes environ parleraient encore le judéo-espagnol.

De Russie Moscou a inauguré le 8 novembre, en présence de Shimon Pérès, son

grand musée juif. Jusqu'à cette date,

le seul musée juif de la ville avait

été mis en place grâce à une

initiative privé. Petit, certes, mais

intéressant. On pouvait y voir des

documents qu'il n'était pas facile de

trouver ailleurs.

Ci-contre : un affiche antisémite qui

date de 1952:

"Le complot des Blouses

Blanches" ______________________________

Les Fêtes Juives et nous…

Aucun groupe humain ne peut perdurer sans

références culturelles communes. Ces références,

partagées entre contemporains, renvoient aussi à

l’histoire du groupe ; la célébration de fêtes, occasion de sociabilité, familiale ou élargie, met également ses

membres en communication symbolique avec les

générations passées.

Quelle que soit son option à l’égard de la croyance

religieuse, tout Juif doit tout à la fois pouvoir se

réclamer de son appartenance à la judéité et exercer son "droit d’inventaire", c’est-à-dire être libre de prendre la

distanciation critique qu’il estime pertinente vis-à-vis

des récits et des pratiques traditionnelles du groupe. Les fêtes juives font partie de l’héritage commun aux

croyants et aux incroyants qui sont habilités à

"s’approprier" celles qui sont à leurs yeux les plus "signifiantes" en les célébrant à leur manière.

Roselyne Richter

Pensez à régler votre cotisation ou votre abonnement à la Lettre de L.D.J, pour l'année 5773 (Septembre 2012

à août 2013). Si vous le pouvez, faites un don à L.D.J.

Il peut être déductible de vos impôts. Un certificat

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Envoyez vos chèques à notre trésorière :

Noémie Fischer 119 bis rue d'Avron 75020 Paris

Page 11: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

11

Echos des conférences de LDJ

Mardi 23 octobre 2012

Joëlle Allouche-Benayoun

Généalogie Juive Notre amie Joëlle (1) est venue avec quelques membres de son

équipe nous présenter le Cercle de Généalogie Juive dont

elle est la vice-présidente.

Ce cercle, fondé en 1984,

comporte aujourd'hui plus de 600

adhérents répartis entre Paris et

quelques villes de province. Son objectif : aider ceux qui désirent

retrouver les traces de leurs aïeux

à le faire.

Elle nous a montré tout à la fois

la complexité du travail de

recherche de documents écrits

significatifs et la passion qu'il

peut y avoir à le faire. Car la

généalogie ne consiste pas

uniquement à reconstituer un arbre familial, mais par la force

des choses elle est dans l'obligation de mettre son nez dans l'histoire, la géographie et les évolutions sociologiques du

pays et de la région où se sont passées ces histoires

familiales.

La recherche de ses ancêtres n'est pas une opération de tout

repos. Si l'existence d'un registre d'état civil laïque est

obligatoire depuis 1792 dans la France métropolitaine et

depuis 1830 en Algérie, remonter plus haut est plus délicat et

les obstacles ne manquent pas. Le nom de famille n'est

finalement pas une très vieille coutume et en France il a fallu

attendre 1808 pour qu'un décret de Napoléon impose aux

Juifs d'en adopter un. La même chose avait été faite en 1806

dans l'empire tsariste mais dans la pratique il fallut attendre 1822 pour que la chose entre dans les mœurs. Par contre c'est

dès 1797 qu'on imposa aux Juifs de l'Empire Austro-hongrois

des noms à consonance germanique. En Alsace on peut se

référer aux recensements qui ont eu lieu en 1784 puis en

185I. Mais la recherche ne se borne pas aux documents

officiels, elle peut passer par des documents familiaux :

"Ketoubah", invitation à un mariage, information sur un

décès, etc…

Bref, un beau terrain d'activité pour ceux qui veulent

remonter à leurs sources. Et ils sont nombreux, si on en juge

par les 800 participants au dernier Congrès International de Généalogie qui s'est tenu à Paris en juillet dernier.

Isidore Jacubowiez.

1. Une étude très complète de Joëlle Allouche-Benayoun sur les

Juifs d'Algérie figure sur notre Site internet "liberte-du-

judaisme.fr". Un condensé en a été publié dans la Lettre de LdJ

n° 115

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Notes sur "L'antisémitisme à gauche"

1) Avec la thèse de L. Soloweitschik à l'Université Libre de Bruxelles. 2) Un des groupes socialisants emmené par Jean Allemane. 3) Les grands procès dans les "démocraties populaires" qui ont très souvent mis en cause des militants d'origine juive {Slansky, Arthur London (Pour ce dernier voir le film de Costa Gravas : "l'Aveu" où

Yves Montand tient le rôle de Arthur London)}.

Mercredi 28 novembre 2012

Jean Ferrette, sociologue, chercheur au laboratoire

" Cultures et sociétés en Europe " de l’Université de

Strasbourg, " La mauvaise conscience : 200 ans

d’antisémitisme de gauche ? "

On a joué à "guichet fermé"

mercredi 28 dans le local de LdJ

où Jean a traité de l'antisémitisme

à gauche. D''entrée il a indiqué

qu'il s'exprime "en tant que témoin

ayant eu recours aux historiens" ; il parle depuis sa pratique de

chercheur en sociologie d’une

" question-vive", dont on sait

qu’elle soulève les passions car

" l’orateur qui se fait le véhicule de l’état de la recherche est

nécessairement suspect de servir l’un ou l’autre camp". Il

énonce ensuite les cas d’antisémitisme de gauche auxquels il

a été lui, militant dans plusieurs organisations d'extrême

gauche, personnellement confronté.

L'antisémitisme à gauche est au départ principalement dû à l'assimilation des Juifs aux banques et essentiellement aux

Rothschild. Il a fallu attendre 1898 pour que les socialistes de

l'époque prennent conscience qu'il y avait aussi des

prolétaires juifs. (1). C'est dans ce contexte qu'éclate l'affaire

Dreyfus. Jusqu'à la publication du "J'accuse" de Zola, les

mouvements socialistes restent indifférents et à l'écart de

l'Affaire. C'est peu à peu sous l'action des milieux

anarchistes (Bernard Lazare) et Allemanistes (2) que

plusieurs groupes socialistes rejoignent le camp des

Dreyfusards.

Entre les deux guerres on assiste à un reflux de

l'antisémitisme qui ne reprendra de la voix qu'à partir des années 1936 porté, cette fois, par les pacifistes, qui sous-

entendent que ce sont les Juifs qui poussent à la guerre contre

Hitler. Nombre de ces pacifistes se joindront à Vichy par la

suite.

A la sortie de la guerre on va trouver l'antisémitisme à

gauche au sein du le Parti communiste français qui calque

son attitude sur l'Union soviétique. C'est l'époque des procès

dans les "démocraties populaires" (3) qui culmine en 1952

avec le complot dit des "blouses blanches" et de la

dénonciation du "cosmopolitisme"…des Juifs

Pour l'extrême gauche c'est à la fin de la guerre d'Algérie que ressurgit, au grand jour, l'antisémitisme à gauche. Il prend

deux formes : Le négationnisme où sont impliqués des ex-

hommes de gauche (Paul Rassinier) et l'antisionisme qui

pour certains ne se distingue pas de l'antisémitisme, la

victoire israélienne de 1967 faisant des Juifs un "peuple fier,

sûr de lui-même et dominateur ", et transformant, du même

coup, les Palestiniens en nouveaux prolétaires…

Après avoir traité de l’islamo-gauchisme, Jean Ferrette

s’interroge : existe-t-il un antisémitisme à gauche, ou de

gauche ? Il est indéniable que l’antisémitisme se situe

principalement à l’extrême-droite même si toutes les

composantes de la gauche ont tenu dans l’espace et dans le temps, des propos antisémites sous des formes différentes. Et

il attire l’attention sur ce qu’il appelle l’antisémitisme "en

creux " : celui qui ne dénonce pas les Juifs mais

s’accommode bien de l’antisémitisme des autres.

Danièle Weill-Wolf

Page 12: Liberté du Judaisme 119 janvier fevrier 2013

12

Activités de LDJ Conférences Mercredi 12 septembre 2012 L'année a commencé avec la projection du film "Pologne

aller-retour" qui a suivi un voyage organisé par l'UEJF à

Auschwitz avec pour la première fois une délégation de

Tsiganes de France. Cette projection a été suivie d'une

discussion avec la réalisatrice : Anna Pitoun.

Mercredi 3 octobre 2012 Gérard Haddad : Psychiatre, Psychanalyste "La nécessité

de l'autre" avec présentation de son dernier livre :

"Lumière des astres éteints" - La psychanalyse face aux

camps" (Grasset).

Mardi 23 octobre 2012

Joëlle Allouche-Benayoun Vice-Présidente du Cercle de

généalogie juive. Rédactrice en chef de Généalogie Juive.

"Activités, actualités et mise en perspective de la

généalogie juive" Mercredi 28 novembre 2012

Jean Ferrette: Sociologue, Chercheur au Laboratoire "Cultures et Sociétés en Europe de l'Université de

Strasbourg" "La mauvaise conscience : 200 ans

d'antisémitisme de gauche ?"

Mercredi 19 décembre 2012

Martine de Koninck, comédienne et Dominique Renaud,

historien, du Collectif Fusion : "Les banlieues et nous. Dix

ans d'actions éducatives en banlieues populaires"

Mercredi 16 janvier 2013

Albert-Armand Maarek, Historien : "Itinéraire de la

famille Smadja en Tunisie: exemple d'une émancipation

sur trois générations aux XIXe & XXe siècles"

Mercredi 13 février 2013

Bernard Sadon : " Jacques Lazarus, itinéraires d'un Juif

français de notre temps".

Mercredi 20 mars 2013

(en attente)

Mardi 16 avril 2013

Jean-Charles Szurek " Les combats de Marek Edelman"

Mercredi 15 mai 2013

Andrée Lerousseau

"C'est toi que j'écris -" : Tiqqoun et la restitution du "tu"

dans l'œuvre poétique de Nelly Sachs.

Mercredi 12 juin 2013

Henri Minczeles " Le mouvement ouvrier juif"

Attention : en 2013 Les conférences débuteront à 19 heures. (accueil dès 18h30)

Elles sont suivies d'un débat et se tiennent au

13 rue du Cambodge Paris 20ème

Sur notre Site : "liberte-du-judaisme.fr" vous

pouvez lire le texte complet de la conférence de Jean Ferrette dont vous trouverez un compte rendu succinct page 11, ainsi

que des divers documents concernant Hanouka.

Cercle de Lecture

Programme du Cercle de Lecture LdJ Les prochaines rencontres autour d'un livre auront lieu : Le dimanche 20 janvier 2103 :

"Chansons pour la fille du boucher" de Peter Manseau Editions Christian Bourgois

Le dimanche 3 mars 2103

"L'invention de la Solitude " de Paul Auster

Acte Sud 1982 – Traduit de l'américain

Notifiez votre participation au 01 46 55 73 83

Et ailleurs

Au cinéma de l'Entrepôt 7 rue Francis de Pressensé Paris 14ème L'Amitié Judéo-Musulmane de France (AJMF) présente le 15 janvier 2013 à 20 heures un film de Kamal Hashkar :

"Tinghir-Jérusalem, les échos du mellah "

Allez voir ce film car LdJ recevra Kamal Haskar qui nous

parlera de son film courant mars 2013

Au Mémorial de la Shoah

"La spoliation économique des Juifs en France" La politique de Vichy et les rouages de son administration. A partir du 15 janvier 2013

Au MAHJ

"Juifs d'Algérie" Une exposition sur la présence juive en Algérie.

Jusqu'au 27 janvier 2013

Cité Nationale de l'Histoire de l'immigration. 293 avenue Daumesnil 75012 Paris

Vies d'exil. 1954-1962 :

"Des Algériens en France pendant la Guerre d'Algérie." (voir page 7) Jusqu'au 19 mai 2013

A l'Ecomusée du Val de Bièvre 41 rue Maurice Ténine Fresnes 94

" Pieds-Noirs ici, la tête ailleurs" Une exposition sur le retour des Européens et des Juifs d'Algérie (voir page 7) Jusqu'au 20 janvier 2013

Au Musée de l'Orangerie Place de la Concorde à Paris

"L'ordre du Chaos" Une exposition sur Chaïm Soutine.

Peintre juif de l'Ecole de Paris qui mourût en 1943 sous

l'occupation allemande

(voir page 8) Jusqu'au 21 janvier 2013

A la Bibliothèque Nationale 5, rue Vivienne, Paris IIe

"Les Rothschild en France au XIXe siècle"

Une exposition sur une famille qui a fait fantasmer les antisémites du monde entier …et les autres

Jusqu'au 10 février 2013