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  • LA RUSSIEINQUITANTE DE

    POUTINE

    Aprs prs de quinze ans d'un pouvoir de plus enplus personnel et autoritaire, retour sur leparcours et les mthodes du nouveau Tsar.Un livre numrique reprenant les meilleursreportages et analyses de nos spcialistes.

  • Table des matires Couverture La Russie inquitante de Poutine Table des matires A la recherche du pre patrie Aux ordres Le dur qui dure HISTOIRE D'UNE PRISE DE POUVOIR La Tchtchnie, rampe de lancement Une mise au pas implacable du contre-pouvoir Anna Politkovskaia, la vrit assassine UNE FAUSSE SORTIE Medvedev, prsident sans vrai pouvoir Claque lectorale surprise pour le parti du chef Quand la Russie se mutine contre Poutine La machine Poutine met de lhuile dans ses truquages Un prsident, cest un bon manager VERROUILLER ET RPRIMER Pussy Riot, les chattes qui chatouillent la Russie

  • Mordovie, la privation tout bout de camp Zara, huit ans dans les camps de Poutine Les ONG russes dans le collimateur de Poutine En Russie, direction rtrograde Un bon business de Russie et Paris ferme les yeux Kasparov: La peur est la dernire ligne de dfense du

    rgime La tactique de l'indulgence

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  • A la recherche du prepatrie

    ANALYSE. Pour l'opinion russe, Poutine a surestaurer l'orgueil national et amliorer lequotidien. Son autoritarisme affole les occidentauxet l'conomie stagne mais rien ne semble branlerson pouvoir.

    Par Hlne DESPIC-POPOVIC

    (Texte indit)

    A son arrive au pouvoir, d'abord comme Premier ministreen 1999, puis comme prsident en 2000, Vladimir Poutinetait un inconnu. Aujourd'hui, quinze ans et trois mandatsplus tard, la Russie ne connait plus que lui. Qu'il pilote unavion de chasse, pose cheval torse nu, commande un sous-marin, chasse l'ours ou le tigre, pche un brochet de 20kg,terrasse un adversaire au judo, ou joue du piano, Poutines'est bti une image de surhomme, viril et sportif, etd'homme accompli, un idal dont le but est de persuader lesRusses que la patrie est dans de bonnes mains.

  • Adoub par son prdcesseur, Boris Eltsine, Poutine sedevait de faire oublier le ct sombre et gris qu'voquait sonpass d'espion du KGB dans cette Allemagne de l'est d'avantla chute du Mur. Il fut servi par les circonstances. Bonnombre de Russes s'taient sentis ridiculiss par un Eltsinevieillissant, trbuchant sa descente d'avion commel'ivrogne cardiaque qu'il tait devenu. Ils s'taient crustromps par un dirigeant finalement jug mou de n'avoirpas pu - ou pas su - faire entendre la voix de la Russie contrel'Otan au Kosovo et d'avoir cd devant les indpendantistesen Tchtchnie.

    Poutine sera donc l'anti-Eltsine. Le concurrent et non l'amides occidentaux, de Bagdad Damas, en passant par Tbilissiou Kiev, le champion de la puissance russe. Une phrase asuffi pour en faire aux yeux des hommes un nouveau hrosrusse : J'irai buter les Tchtchnes jusque dans les chi-ottes. Aux femmes, il offre un profil rotis. Devient l'objetd'une nouvelle chanson de geste la gloire de l'hommeidal: Je veux un mec comme Poutine/ Un qui est plein deforce/ Un qui ne boirait pas/ Un comme Poutine qui ne meferait pas de peine/ Un comme Poutine qui ne s'enfuiraitpas/ Je l'ai vu hier aux infos/ Il disait que la paix est notre porte/ Avec un mec comme lui/ On est bien chez soiet chez les amis... Poutine s'est contre toute videncedfendu d'inciter un nouveau culte de la personnalit.Mais il aime qu'on l'aime. Et surtout il n'aime pas qu'on nel'aime pas. Les premiers s'en tre rendus compte sont les

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  • marionnettistes des Koukly, une mission de la chaine NTVsur le modle des Guignols franais, suspendue en 2000aprs avoir prsent Poutine comme un nain.

    Nez morveux. La Russie de Eltsine tait un pays ouvert.On y trouvait toujours un conseiller du prsident prt vousexpliquer sa stratgie, qu'elle soit politique ou conomique.Celle de Poutine est ferme. En 2008, un journal qui avaiteu l'audace de prter au prsident une liaison avec une gym-naste a mme d mettre la cl sous la porte. Poutine avait l'poque rfut ces rumeurs en mettant en garde ceux quis'ingrent dans la vie des autres avec leur nez morveux etleurs fantasmes rotiques. Il annoncera lui-mme son di-vorce cinq ans plus tard. Histoire de bien faire comprendrequ'il est le seul matre de son image.

    S'il est convenu de dire que Poutine a mis du baume aucoeur de l'orgueil russe, rconcili vieux communistes etno-libraux autour de symboles comme l'hymne sovitiqueavec un texte dpoussir de ses rfrences idologiques, ilfaut aussi dire qu'il a mis du beurre dans les pinards deMonsieur Tout-le-Monde. A l'poque de Boris Eltsine,salaires et retraites taient verss trs irrgulirement. AvecPoutine, cela change, mme si pensions et traitementsrestent bas.

    L'expulsion dguise, puis l'arrestation d'oligarques re-prsentatifs de la priode Eltsine, Vladimir Goussinski, Bor-is Berezovski, en exil ds 2000, puis Mikhal Khodorkovski,

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  • arrt en 2003 puis envoy en prison o il restera dix ans,sont cependant perus tort comme un tournant vers plusd'galit. Il faudra des mois pour que l'opinion comprenneque les proches de Poutine sont leur tour autoriss s'enrichir. Grce un ptrole plus de cent dollars (contre13 l'poque Eltsine), la fortune des milliardaires russes estdcuple en dix ans. Poutine lui-mme, dnoncent d'anciensproches, serait devenu immensment riche.

    L'argent du ptrole et du gaz, une arme redoutable auxmains du monarque qui fera chanter l'Europe, et plierl'Ukraine, ne servira malheureusement pas un dveloppe-ment durable du pays. La modernisation tarde toujours. Etle rouble baisse, entran dans sa chute par le ralentisse-ment de la croissance (1,4% prvus pour 2013 contre 3,4%en 2012 et 4,3% en 2011) d'une conomie gangrene par lacorruption. C'est elle que le parti de Poutine, Russie Unie,devra d'tre surnomm le parti des escrocs et des voleurslors des lgislatives contestes de dcembre 2011.

    Sur le plan de l'idologie, Poutine ne renouera pas avec lessoviets. Il leur substitue une sorte de paternalismeautoritaire qui s'appuie sur l'orthodoxie d'une part et le rejetde tout ce qui vient de l'tranger de l'autre. L'avant-gard-isme artistique est de nouveau rprouv, comme le montrela condamnation deux ans de prison de deux jeunesfemmes appartenant au groupe Pussy Riot, qui avaient oschanter une prire anti-Poutine dans la grande cathdrale

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  • orthodoxe de Moscou. L'homosexualit est perue commeun mode de vie import, tranger aux coutumes locales. Etles ONG des droits de l'homme, y compris les plus presti-gieuses, qui ont consacr leur existence recenser lescrimes du stalinisme et les errements de la politiquecaucasienne du nouveau pouvoir, sont pries de se faire en-registrer comme agents de l'tranger.

    A l'tranger, l'essentiel est d'affirmer la puissance russe.Poutine a russi, la faveur de la crise syrienne, ramenerla Russie sur l'chiquier international, d'o elle avait tpratiquement exclue depuis l'intervention amricaine enIrak, et l'enchanement des printemps arabes. Dans ce qu'ilconsidre comme sa zone d'influence, son trangerproche, autrefois sovitique, il a russi empcher sesvoisins de se rapprocher de l'Otan, quitte faire une guerrecomme en Gorgie en 2008.

    Mais mme la puissance de l'Union Sovitique s'tait rvletre un colosse aux pieds d'argile. Alors, chaque fois qu'unattentat rveille dans la douleur une ville endormie deRussie, il n'est pas inutile de se demander si la pacificationdu Caucase russe, ralise ds l'arrive de Poutine, par uneguerre impitoyable en Tchtchnie, n'est pas finalementqu'un trompe-l'oeil.

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  • Aux ordres

    EDITORIAL. Il ne fait pas bon sopposer VladimirPoutine. Prsident pour la troisime fois, lanciencolonel du KGB, qui ne supporte aucunecontestation de son pouvoir absolu, gouvernedsormais par le contrle et la rpression.

    Par Franois SERGENT

    (Paru le 19 juillet 2013)

    Condamn cinq ans de colonie pnitentiaire, AlexeNavalny, le principal opposant au prsident russe, ne pourrase prsenter ni la mairie de Moscou ni la prochaineprsidentielle.

    Les Pussy Riot coupables de stre ri du tsar sont dans descamps de travail ; Khodorkovski, oligarque devenu critiqueimpitoyable du rgime, survit en Sibrie sous le coup decondamnations aussi injustes que rptes. Dautres, journ-alistes, activistes, militants des droits de lhomme,ont t tus par les hommes de main du rgime ou trans-forms en lgumes. Les ONG considres comme desagents de ltranger par une loi ad hoc sont plombes.

  • Dans la Russie de Poutine, la justice comme la police, lesmdias comme la Douma, sont aux ordres du Kremlincomme aux bonnes heures de lUnion sovitique. La Russienest pas un Etat de droit.

    Vladimir Poutine est pourtant reu par Franois Hollandecomme un chef dEtat respectable. Il participe au G8 ctdes dmocraties occidentales dont il ne partage ni lesvaleurs ni les intrts. La Russie dfend et arme Damas etThran. Il est plus que temps que lEurope et la Francetraitent Poutine pour ce quil est. Un dictateur.

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  • Vladimir Poutine, ledur qui dure

    BIOGRAPHIE. Lex-agent du KBG, lu prsident en2000, tient toujours le pays treize ans aprs, sanslombre dun rival et avec une brutalit assume.

    Par Hlne DESPIC-POPOVIC et VronikaDORMAN

    (Paru le 9 novembre 2013)

    Ce nest pas un joueur dchecs, mais un judoka de hautniveau, qui sait tirer parti de la force de ses adversaires pourles dsquilibrer et les envoyer au tapis. Vladimir Poutinetait lempcheur de tourner en rond, il est devenu cesderniers mois, la faveur de la guerre civile syrienne, lesauveur du monde - mme sil nest pas ncessairementcelui des Syriens de toutes confessions qui continuent mourir chaque jour. Et pourtant cest toujours le mme,lhomme qui jure comme un charretier et aime montrer sesmuscles (au sens propre comme au figur), qui a cras laTchtchnie, envahi la Gorgie, et se sert du ptrole pourmettre au pas ses voisins et dstabiliser lEurope.

  • Sil regrette la disparition de lUnion sovitique - la plusgrande catastrophe du sicle dernier -, ce nest pas pourdes raisons idologiques. Ce qui lui manque, cest le mondebipolaire, celui o Kennedy et Khrouchtchev sapo-strophaient lONU, celui o Reagan et Brejnev relanaientla course aux armements, et non lordre unipolaire ou multi-polaire o Eltsine approuvait les choix de la diplomatieamricaine. Car la Russie quon respecte, cest la Russiequon craint, pas celle qui se couche, croit-on encore Moscou.

    Un espion, un patriote

    Dune certaine manire, Vladimir Poutine est un produitmarketing de llite russe. Celle qui a survcu (politique-ment et conomiquement) leffondrement de lURSS ; qui,en ce milieu des annes 1990, na pas ou peu voyag, et setrouve encore mal dsovitise. Le premier prsident decette Russie, Boris Eltsine, est rlu en 1996, mais il doit.Il a fait la paix avec les Tchtchnes, laiss faire les Occiden-taux dans les Balkans, et abandonn les pays baltes lOtan.Il lui faut un successeur, pensent les faucons. La rechercheprendra plusieurs mois. Cest l quentrent en jeu les polittechnolog, variante russe du spin doctor anglo-saxon. Desfoules de journalistes, dhommes politiques et de soci-ologues ont dfil au Kremlin au cours de cette priode, se

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  • rappelle en 2003 dans la revue Politique internationaleGleb Pavlovski, le plus connu de ces faiseurs dimage. Petit petit, nous avons vu merger le profil souhait par lapopulation : un homme jeune, sportif, en bonne sant, avecun pass militaire, y compris au sein de larme ou des ser-vices secrets sovitiques. Bref, un "super-espion"hroque.

    Dans nos socits occidentales, lexception de JamesBond, un espion nest jamais un personnage positif. EnRussie, surtout cette poque, cest un patriote. MaisPoutine nest pas un super-espion. Son palmars dagent duKGB est plutt mdiocre : ce diplm de droit de Saint-Ptersbourg, sa ville natale, na eu que de modestes attribu-tions pendant ses annes de rsident Dresde, de 1985 1990, malgr le titre ronflant de directeur de la Maison delamiti germano-sovitique. Il a lintelligence, son retour,de se tenir lcart des putschistes qui veulent restaurerlURSS. Il se lie avec Anatoli Sobtchak, son ancien profes-seur de droit devenu maire de Saint-Ptersbourg. Il le sauvemme en organisant son dpart du pays face des accusa-tions de malversations, et gagne une rputation de loyaut toute preuve.

    Pendant son mandat dadjoint aux affaires internationales la mairie de Saint-Ptersbourg, Poutine, ayant quitt les ser-vices secrets (pour autant quon puisse quitter le KGB),rvle des talents aux antipodes de limage dhomme intgre

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  • que ses partisans tenteront plus tard de forger. Il contrleles flux dargent et troque des matires premires russescontre des produits alimentaires allemands lesquels nat-teindront pas leur destinataire, raconte la journaliste MashaGessen dans Poutine, lhomme sans visage. Pour elle, cestla preuve quil souffre dj du dsir compulsif de sempa-rer des biens des autres. Un travers qui sera au fondementdu conflit, en 2003, avec loligarque Mikhal Khodorkovski,patron du gant ptrolier Ioukos, toujours en prison aprsavoir t dpouill de son empire conomique.

    Cest pour administrer les biens du Kremlin que le discret etloyal Poutine est appel en 1996 Moscou. Nomm chef duFSB (le nouveau nom du KGB) en 1998, puis chef du Conseilnational de scurit lanne suivante, il utilise ses donsmanuvriers pour tirer Eltsine des griffes de la justice. Enchange de limmunit totale, Eltsine nomme PoutinePremier ministre et le dsigne comme son successeur.Poutine se sert des attentats non lucids (attribus desmanipulations des services secrets) qui ont dtruit plusieursimmeubles de Moscou en septembre 1999 pour relancer lamachine de guerre en Tchtchnie. Soutenu par lappareil, ilest lu prsident en mars 2000.

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  • La dmocrature

    Ds les premiers mois, il rduit les indpendantistestchtchnes, pure les mdias, met au pas les oligarques dis-sidents, recentralise le pays, rhabilite certains symboles delUnion sovitique. Et place ses hommes tous les niveaux.A la fin de son premier mandat, en 2004, selon les donnesde la spcialiste des lites russes, Olga Krychtanovskaa,25% des membres de llite politique sont issus du KGB oudes structures de force (intrieur, arme ou parquet), contre13% avant son arrive. A la fin de son second mandat, en2008, ce pourcentage passe 42%. Les dirigeants estimentvivre dans une dmocratie dirige, leurs adversaires, eux,dnoncent une dmocrature.

    Au dbut des annes 2000, les opinions se mobilisent peu peu contre les rgimes similaires dans les pays voisins ; cestla rvolution des roses en Gorgie, puis la rvolution orangeen Ukraine. Dans ces mouvements, Poutine ne voit que lamain de Washington. Son discours anti-occidental, desimple propagande pour sattirer les voix des nostalgiquesde la grandeur de lempire, se fait plus muscl. Mais,soucieux de continuer tre reu par les grands de cemonde, il vite de franchir le pas qui aurait fait de luiformellement un dictateur : il ne rforme pas la Constitutionpour briguer un troisime mandat, et quitte son poste ennommant son successeur et dauphin, le jeune Premier

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  • ministre Dmitri Medvedev. La Russie quil lui laisse a beau-coup chang : elle traverse un nouvel ge dor, celui duptrole cher.

    Le 8 mai 2008, Poutine est nomm Premier ministre. Dem-ble, se pose la question de la rpartition des rles. Les m-dias comme les politologues saccordent : lex-prsident asimplement chang dadresse. Les fonctionnaires sontdsorients : lequel des deux portraits faut-il dsormais ac-crocher dans leur bureau ? Rapidement, le Premier ministrepousse le prsident au second plan, en plaant (ou en lais-sant placer) ses hommes tous les postes cls, sans per-mettre Medvedev de sentourer dune quipe bien lui.Durant quatre ans, Poutine continuera recevoir, en Russiecomme ltranger, les honneurs rservs habituellementau rsident du Kremlin. Il ne suspendra pas ses pratiquesprsidentielles : runions de travail avec les principaux min-istres, rencontres avec les chefs dEtat, confrences depresse gantes et lignes directes avec la population. Apremire vue, la Russie sest installe dans unetandemocratie ; en ralit, Poutine en est rest le patron.Les vraies dcisions en Russie sont prises par M. Poutine.Le prsident Medvedev joue un rle important, mais je naipas limpression que cest lui qui a le dernier mot dans laprise de dcision, commente le politologue amricain Zbig-niew Brzezinski, au moment du redmarrage des rela-tions entre Moscou et Washington, en 2009.

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  • Pendant sa prsidence, Medvedev a adopt un nouveau stylede gouvernance, plus courtois, consensuel et sophistiqu.Selon le politologue Stanislav Belkovski, Poutine est jalouxdu succs du prsident auprs de lintelligentsia librale etde lestablishment occidental. Les conversations intermin-ables sur un dgel social et politique en Russie rendent foule chef du gouvernement, crit lexpert en 2009. Medve-dev, lui, serait irrit par les manires brutales de son Premi-er ministre, qui sapent les efforts du Kremlin paratrecivilis. De son ct, Poutine ne se gne pas pour transgress-er les limites imposes sa fonction en se mlant des af-faires trangres, une prrogative exclusivement prsidenti-elle. Les dboires rels ou fantasms du tandem fontmiroiter un instant une comptition possible entre les deuxleaders pour le poste de prsident. Mais tout a dj t d-cid : en 2012, Medvedev prendra la tte du parti Russieunie et du gouvernement, Poutine le gouvernail du pays.

    Une drive liberticide

    Sur fond dune contestation sans prcdent, quil ignore os-tensiblement ou insulte ouvertement, Poutine est donc rluen mars 2012 pour un troisime mandat. De retour auKremlin, ce pragmatique tendance conservatrice(selon sa propre description) resserre les vis en promul-guant une srie de lois considres comme liberticides par

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  • lopposition, et diriges sans ambages contre la socit civilequi a os le dfier. Mme si sa cote de popularit nest plusce quelle tait (83% en juin 2008), le chef de lEtat reste ap-prci par une grande partie des Russes (63%, un chiffrestable depuis sa rlection), selon les sondages du centreLevada. Et ce, malgr des mesures qui scandalisent de plusen plus lopinion internationale, comme la condamnationdisproportionne des punkettes de Pussy Riot, la non moinsexcessive rponse la liste Magnitski (liste noire de re-sponsables russes pour leur rle prsum dans la mort enprison du juriste Sergue Magnitski, publie par Washing-ton) interdisant aux parents amricains dadopter des en-fants russes, et, plus rcemment, une loi interdisant la pro-pagande de lhomosexualit, qui fait des gays les nouveauxboucs missaires du systme Poutine.

    Le prsident russe naime recevoir de leons de personne.Au-del du populisme certain de sa rhtorique anti-amri-caine, il entretient un rapport compliqu avec les Etats-Unis, cet ternel rival qui refuse de le prendre au srieux.Poutine martle que lAmrique na rien apprendre laRussie, et, chaque fois quil ne sait pas quoi rpondre une question drangeante (droits de lhomme, criseconomique, corruption), il se dfend ainsi : Regardez lesEtats-Unis, ce nest pas mieux. Barack Obama aurait tbien inspir de ne pas chercher querelle Poutine lorsquecelui-ci a dcid daccueillir Edward Snowden sur le ter-ritoire russe. Priv de passeport par Washington, rfugi

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  • Moscou, le jeune homme, qui a rvl ltendue de la sur-veillance amricaine des tlphones et dInternet, a donnau prsident russe loccasion de donner son rival une leonde dmocratie. La crise syrienne lui a permis dy ajouterquelques cours sur le droit international. Et les JO de Sotchide couronner le tout. Lessentiel pour Poutine est davoirrussi devenir, pour Obama, le seul partenaire qui compte.

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  • HISTOIRE D'UNEPRISE DE POUVOIR

  • La Tchtchnie, rampede lancement

    TACTIQUE. Nomm Premier ministre par unprsident Eltsine affaibli, Vladimir Poutine estalors inconnu des foules. La guerre en Tchtchnieet le climat de panique Moscou aprs une sried'attentats, vont se rvler un moyen depropulsion hors pair.

    Par Vronique SOUL

    (Paru le 29 septembre 1999)

    Notre but est de protger les citoyens russes des terror-istes: le Premier ministre Vladimir Poutine a rsum hierainsi l'objectif de l'offensive russe en Tchtchnie. Maiscette nouvelle guerre pourrait bien tre aussi et surtout unepice matresse dans la stratgie du Kremlin pour perptuerson pouvoir. De l'avis des experts, les bombardements mas-sifs ne sont pas le moyen le plus efficace pour liquider lesterroristes, en l'occurrence le chef de guerre tchtchneChamil Bassaev et le commandant Khattab accuss d'trederrire la rcente vague d'attentats. Les deux hommes et

  • leurs partisans peuvent toujours se rfugier dans desbunkers ou dans les montagnes.

    Scnarios. Au-del de la Tchtchnie, l'objectif du Kremlinpourrait tre li son obsession actuelle: viter la drouteannonce aux lgislatives de dcembre et l'arrive au Krem-lin d'un homme dangereux lors de la prsidentielle dejuin 2000. Depuis des semaines, la presse regorge de scn-arios chafauds par les conseillers prsidentiels pour blo-quer la route aux ennemis du Kremlin en tte desquels lemaire de Moscou, Iouri Loujkov, et l'ex-Premier ministreEvgueni Primakov et pour assurer la victoire de l'un dessiens.

    Boris Eltsine a dj nomm son successeur, le Premier min-istre Vladimir Poutine, tout droit sorti du KGB puis du FSB.Mais le poulain prsidentiel, inconnu lors de sa nominationet trs peu charismatique, a besoin d'une victoire pour es-prer figurer srieusement dans la course. Or, il ne peutcompter sur aucun succs, et surtout pas sur la croissanceconomique, souligne le quotidien Segodnia. D'o l'intrtdu Kremlin gagner cette guerre.

    Judoka. Depuis la mi-septembre, l'annonce d'un cordonsanitaire autour de la Tchtchnie et le dbut des raidsmassifs , on semble assister un scnario huil. Eltsine estpratiquent absent de la scne publique. Il faut dire que lamoindre de ses apparitions relance son impopularit.Poutine est omniprsent. Avec sa dmarche de judoka - il

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  • pratique les arts martiaux -, son ton cassant et belliqueux, ilpromet chaque jour d'anantir les bandits, jusqu'au derni-er et o qu'ils se trouvent. Emport par son temprament,le Premier ministre a mme lch qu'il faudrait les buterjusque dans les chiottes. Puis ils s'est excus de cet excsde langage. Mais les Russes n'ont pas t rebuts. Un sond-age diffus dimanche montre une nette hausse de popular-it: Poutine, crdit jusqu'ici d' peine 2% des intentions devote, en recueillerait aujourd'hui 7%.

    Dot d'un conseiller en image charg de lui donner unestature prsidentielle, Poutine semble donc percer, grce la Tchtchnie. Rassurant l'gard d'une population trau-matise par les attentats et intraitable face aux bandits, ilest devenu le Premier ministre sans peur et sans re-proches, crit le journal Izvestia, qui ajoute: Il a re-marquablement senti l'humeur de l'opinion, qui attend unhomme fort avec une rhtorique dure.

    L'quipe Poutine a aussi manifestement travaill sa commu-nication. Le Premier ministre promet qu' la diffrence duconflit de 1994-1996, ce sera une guerre propre, sans vic-times inconsidres ct russe. A la tlvision, les militairesfont des rapports rappelant ceux de l'Otan au Kosovo. Ilsmontrent des photos satellites de cibles stratgiques, desschmas avec les btiments touchs par les frappes, etc.D'un ct, on ne parle plus gure des scandales quiclaboussent la Famille (le clan prsidentiel).

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  • D'un autre ct, la classe politique ne peut qu'approuver ladmonstration de force. Une bonne partie de l'oppositionavait dnonc les accords de paix de Khassaviourt, mar-quant la dfaite russe en aot 1996. L'opinion a aussi tprpare. Officiellement, on combat des terroristes sansvisage ni nationalit. En ralit, tous dsignent du doigtles Tchtchnes. Rsultat: les Russes sont largement con-vaincus de la culpabilit tchtchne et de la justesse de lapunition militaire.

    Un rgime fantoche. Simultanment, les stratges duKremlin poursuivent l'offensive politique. Aprs le coup durde l'alliance Loujkov-Primakov, ils se retrouvaient sansforce politique crdible. Une nouveau bloc form par unetrentaine de gouverneurs vient de se crer, emmen par leministre des Situations d'urgence, un favori d'Eltsine. Cescalculs politiques n'excluent toutefois pas des vises sur laTchtchnie elle-mme. Particulirement chez les militaires,impatients de laver l'humiliation de 1996. Selon les Izvestia,les durs militent pour une intervention terrestre etl'installation d'un rgime fantoche Grozny. Les modrsse contenteraient de liquider Bassaev et ses pairs.Poutine serait du ct des durs mais il tudierait les ar-guments constructifs des modrs.

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  • Une mise au pasimplacable ducontre-pouvoir

    PRMICES. A l'issue de son premier mandat, lamthode Poutine est pose: assaut contre Ioukos,mainmise sur les mdias, conflit tchtchne... Leprsident n'agit qu'en force, et sans que l'Ouest neragisse.

    Par Vronique SOUL

    (Paru le 5 juillet 2004)

    Combien d'oligarques emprisonns, de mdias musels,d'lections truques et combien de guerres faudra-t-il en-core pour que l'Occident ralise que Vladimir Poutine ne faitque lui jeter de la poudre aux yeux? Concomitants cesdernires semaines, le dpeage de Ioukos et l'extension dela guerre de Tchtchnie la Rpublique voisined'Ingouchie montrent plus que jamais la ralit du rgimede Vladimir Poutine: celle d'un rgime qui entretient uneguerre dvastatrice dans le Caucase et supprime, un un,

  • tous les contre-pouvoirs mdias critiques, opposition poli-tique ou oligarques trop insolents.

    La raction de l'Occident, Etats-Unis et Union europennepour une fois confondus? De timides appels ne pas men-acer le climat des investissements en Russie ou chercherune solution politique en Tchtchnie.

    Rideau de propagande. Je vous assure, la Russie est entrain de faire des avances formidables en matire dedmocratie, tanait un ministre franais en visite Mo-scou il y a quelques mois, alors que l'assaut contre Ioukostait dj lanc et Mikhal Khodorkovski derrire les barr-eaux. En fait d'avances, Vladimir Poutine en est sontroisime oligarque qu'il dpouille de ses biens pour causede trop grande libert de ton son gard.

    A son arrive au pouvoir en 2000, le prsident russe a com-menc par s'en prendre Vladimir Goussinski et BorisBerezovski, qui avaient pour principal tort de contrler deschanes de tlvision critiques: moins tenaces queKhodorkovski, ils ont assez vite accept de cder leurs tl-visions et de s'exiler. On comprend maintenant pourquoiPoutine avait commenc par eux, soupire le politologueAlexe Makarkine. Il s'agissait de mettre les tlvisions aupas pour qu'ensuite l'Etat puisse imposer sa version desfaits.

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  • De ce point de vue, le chef de l'Etat a parfaitement russi: ceque les tlspectateurs russes peuvent voir ces dernierstemps de l'assaut contre Ioukos ou du conflit enTchtchnie, c'est un Prsident qui, tous les jours, d'unevoix ferme mais suave, dlivre ses consignes, assure qu'il nefait que prserver la Russie du terrorisme internationalou appelle les entrepreneurs respecter leur devoir so-cial. A l'abri de ce rideau de propagande, Vladimir Poutinemne une tout autre politique: il confisque les biens des ol-igarques qui lui dplaisent pour les renationaliser ou lesconfier des proches, et poursuit la guerre dans le Caucase,o, chaque jour, les forces russes abattent, enlvent ettorturent.

    Que les Russes ne protestent pas, on peut le comprendre fa-cilement: ils sont pratiquement privs aujourd'hui de mdi-as critiques et les fortunes des oligarques se sont faites dansdes conditions galement scandaleuses dans les annes1990. Mme les hommes d'affaires qui auraient logique-ment d soutenir Khodorkovski sont aujourd'hui terrifis,observe le politologue Andre Piontkovski. Voyez l'ovationqu'ils ont faite Poutine en novembre dernier. Cela faisaitpenser la faon dont les communistes applaudissaientStaline en 1934... avant qu'ils ne soient tous fusills.

    Beaucoup plus choquante est en revanche l'attitude desEtats-Unis ou de l'Union europenne, qui ont laiss tomberMikhal Khodorkovski, pourtant le plus libral et

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  • occidentalis des hommes d'affaires russes. Ministres ouchefs d'Etat qui se sont succd Moscou ces derniers mois,sans mme plus mentionner l'affaire Ioukos, prfrentfeindre de voir en Vladimir Poutine l'homme dont ils rventpour la Russie : un homme poigne qui remettrait le pays,brutalement quand il le faut, sur le bon chemin del'conomie de march. La croissance russe, qui pourrait en-core dpasser les 7 % cette anne, est l, suffisamment im-pressionnante pour apaiser les derniers restes de mauvaiseconscience, mme si tout le monde sait qu'elle est en grandepartie due aux prix record du baril de ptrole.

    L'Occident ne s'y trompe pas, observe le politologue AlexeMakarkine. Il se satisfait du pouvoir en place en Russieparce qu'il craint qu'une alternative ne soit pire : ultrana-tionaliste et antioccidentale. Du point de vue de l'Ouest,Poutine peut faire ce qu'il veut dans son pays, tant qu'il semontre conciliant sur la scne internationale. Ainsi, il n'apas trop protest la rcente extension de l'Otan et il a per-mis la rsolution pacifique de la crise d'Adjarie, en Gor-gie. Juste avant de resserrer l'tau sur Khodorkovski,Vladimir Poutine a donn un nouveau gage d'amiti Ge-orge W. Bush, en dclarant que ses services avaient prvenules Etats-Unis que l'Irak prparait des actes terroristes.Pour Bush, a a chang la donne l'approche des lec-tions, observe Andre Piontkovski. Quant l'Europe, elles'intresse surtout au gaz et au ptrole russe. Elle voit en

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  • Poutine celui qui peut devenir un tsar mondial de l'nergieen cas de dsordre en Arabie Saoudite.

    Tranquille domicile et tranquille dans le monde, VladimirPoutine et les siens peuvent continuer. En France, jusquedans l'entourage de Jacques Chirac, on assurait, rcemmentencore: Vous peignez les choses beaucoup trop en noir.Poutine est un dmocrate.

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  • Anna Politkovskaia, lavrit assassine

    ASSASSINAT. Connue pour ses reportages sur laTchtchnie, la journaliste russe est tue devantchez elle. Elle s'apprtait publier des articles surla torture et n'avait eu de cesse de dnoncer lesmensonges du rgime Poutine sur ce conflit.

    Par Lorraine MILLOT

    (Paru le 9 octobre 2006)

    Les mots peuvent sauver des vies, disait la journalisteAnna Politkovskaa dans l'une de ses ultimes interviews laradio russe Echo de Moscou, l'un des derniers grands mdi-as russes o une certaine libert d'expression est encorepossible. Pour cette conviction, pour ses livres et ses articleso elle dnonait les crimes commis en Tchtchnie, cher-chait les coupables et rendait la parole aux victimes, AnnaPolitkovskaa aura finalement donn sa vie elle-mme.

    La journaliste russe, clbre dans le monde entier pour sesenqutes sur les exactions en Tchtchnie, la corruption etles mensonges du rgime Poutine, a t abattue, samedi

  • soir, dans l'ascenseur de son immeuble au centre de Mo-scou, par un tueur qui l'attendait alors qu'elle rentrait de sescourses. Elle tait depuis longtemps menace et s'tait vuproposer plusieurs fois l'accueil en Europe. Mais elle avaitchoisi de rester en Russie, pour continuer faire savoir lavrit et sauver des vies. Le parquet russe a aussitt re-connu que l'assassinat est de toute vidence li ses activ-its professionnelles et a ouvert une enqute pourmeurtre avec prmditation. Age de 48 ans, la journal-iste tait mre, divorce, de deux enfants.

    Deux pistes. Le bihebdomadaire Novaa Gazeta, pour le-quel Anna Politkovskaa travaillait depuis 1999, avanaithier deux pistes principales pouvant tre l'origine de cetassassinat : une vengeance de Ramzan Kadyrov,l'homme fort mis en place par Moscou en Tchtchnie, dontla journaliste dnonait sans cesse les crimes ; ou au con-traire une machination de ceux qui veulent que l'onsouponne l'actuel Premier ministre tchtchne, qui vientde fter ses 30 ans et pourrait bientt prtendre au poste deprsident de Tchtchnie. Ce week-end encore, la journal-iste prparait un article sur les tortures commises par leshommes de Kadyrov, ont confi ses collgues de NovaaGazeta, qui voulaient publier aujourd'hui les photos et t-moignages qu'elle avait recueillis.

    Quelques centaines de proches et compagnons de pensed'Anna Politkovskaa se sont rassembls, hier midi, place

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  • Pouchkine, dans le centre de Moscou, pour un hommagespontan, l'occasion d'une manifestation d'abord prvuecontre la politique antigorgienne de Poutine. Nous ai-mons Anna, rsumait hier, refoulant les larmes, Tatiana,une grand-mre de 64 ans venue avec un tout simple bou-quet. La chasse aux Gorgiens comme l'assassinat denotre journaliste, c'est la mme politique criminelle dePoutine, dit-elle. Mais que pouvait-on attendre de ces typesdu KGB ? On sait depuis assez longtemps que ce sont descriminels.

    Chasse. Des manifestants s'taient coll sur la poitrine destoiles jaunes ou des tiquettes dclarant Je suis Gorgi-en, pour dnoncer la traque xnophobe lance la se-maine dernire par le Kremlin. Ce que notre rgime faitavec les Gorgiens ou avec Anna Politkovskaa, c'est ce quel'Allemagne d'Hitler a fait avec les Juifs. La Russie n'estpas en train de revenir 1937 [la terreur stalinienne, ndlr]mais 1933 [le dbut du nazisme], prvenait un de cesmanifestants. Mme l'assassinat de la plus clbre (l'tranger) journaliste russe n'a gure fait descendre dans larue que la foule habituelle et maigrichonne de l'oppositionlibrale en Russie. La raison n'est mme pas que les gensont peur de manifester, c'est plutt que tout a leur est galou mme qu'ils trouvent trs bien que l'on fasse la chasseaux "Noirs" [les Gorgiens et autres trangers basans,ndlr], notait une participante. Peut-tre la Russie n'a-t-ellefinalement que le rgime qu'elle mrite.

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  • Plusieurs dizaines de journalistes ont t tus, ces derniresannes, en Russie, sans que gnralement les auteurs descrimes soient identifis. La victime la plus clbrejusqu'alors avait t Paul Khlebnikov, le rdacteur en chefdu magazine Forbes en Russie, assassin en 2004. Sonmeurtre n'est toujours pas lucid.

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  • UNE FAUSSE SORTIE

  • Medvedev, prsidentsans vrai pouvoir

    PORTRAIT. Les Occidentaux veulent voir en lui unealternative l'autoritaire Poutine. Mais le chef delEtat russe, lu en 2008 parce que la constitutioninterdit Poutine de briguer un troisime mandatconscutif, dispose dune marge de manuvretroite face son prdcesseur. Le Premierministre s'en cache peine: dans les faits, il dirige.

    Par Hlne DESPIC-POPOVIC

    (Paru le 2 mars 2010)

    Qui est donc cet homme pour lequel la France droule letapis rouge, faisant fi des violations des droits de lhomme etdes conflits dans le Caucase? On connat limage de cyber-prsident de Dmitri Medvedev, qui communique via blog etpodcast: cest celui qui rclame la modernisation du pays ouune rforme de la justice. On le connat moins dans son rlede chef des armes, celui qui, au dbut du mois dernier, aproclam une doctrine militaire qui considre lOtan commele principal danger extrieur pour la Russie. Le chef dune

  • arme qui viole le pacte quil a sign en 2008 avec NicolasSarkozy sur le retrait des forces russes de Gorgie.

    Air martial. Deux ans aprs son lection la tte de lEtatrusse, lancien dauphin de Vladimir Poutine, son mentordevenu son Premier ministre, semble stre mieux couldans ses habits prsidentiels. Il a laiss tomber sa petite sa-coche dlve affair et a appris poser, lair martial. Et lablague qui avait fait rire tout Moscou lors de son arrive aupouvoir semble dj appartenir au pass : PourquoiPoutine a-t-il choisi Medvedev pour lui succder ? - Parcequil na trouv personne dautre qui mesurait5 centimtres de moins que lui.

    Poutine, banni du dernier scrutin parce quil avait accomplideux mandats, fait mine de vouloir lui succder lors de laprochaine prsidentielle en 2012 et peu de Russes croientque Medvedev peut changer le pays. Officiellement, laRussie est dirige par un tandem, mme si une majorit deRusses croit que Poutine est aux manettes. Les deuxhommes ont des diffrences de sensibilit. Mais ilsdfendent une certaine ide de la stabilit politique, faitressortir lanalyste franaise Isabelle Facon, chercheuse laFondation pour la recherche stratgique. Ils ne peuvent passe laisser aller des rivalits intestines, car ils sont les ar-bitres des groupes divers qui constituent llite. Ils ont peurdun conflit qui ferait scrouler tout ldifice.

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  • Les deux hommes, expliquait rcemment lanalyste russeVladimir Pribilovski, co-auteur dun livre polmique surPoutine, intitul le Temps des assassins, font partie duneoligarchie de 200 300 familles qui dirigent le pays, une ol-igarchie dans laquelle les hommes ayant un pass KGB -comme Poutine - sont aujourdhui majoritaires, mais danslaquelle ils doivent composer avec les autres secteurs de lasocit (industrie, nergie, rgions).

    Ligne rouge. Medvedev nest pas seulement un juriste quia travaill pour le bien-tre et la gloire de son mentor. Ilsest enrichi dans la principale entreprise forestire deSaint-Ptersbourg, la ville o il a commenc sa carrire danslombre de Poutine. Pour la politologue Hlne Blanc, co-auteure avec Renata Lesnik dun livre intitul les Prdateursdu Kremlin, Poutine a institu une dynastie KGB appele perdurer aprs lui. Et Medvedev est un acteur inter-mittent du spectacle du Kremlin,une toile filante. Ilchauffe le fauteuil de son patron et celui-ci lui fera peut-tre une place de Premier ministre quand il sera revenu aupouvoir.

    Sil est un domaine dans lequel les deux hommes semblentnavoir aucune diffrence dapprciation, cest bien celui dela dfense et de la scurit. La dernire doctrine militaire,adopte le 5 fvrier, fait de llargissement de lOtan sesfrontires la ligne rouge que Moscou ne peut pas accepter.Le problme, ce nest pas notre doctrine militaire, mais

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  • llargissement continu de lOtan qui avale tous les anciensEtats membres de lURSS et nos voisins proches, comme laRoumanie et la Bulgarie. Cest l quest la menace, a expli-qu Dmitri Medvedev aux journalistes de Paris Match quila reus Moscou.

    Llite russe est convaincue que le pays est le perdant dudgel Est-Ouest et quil faut rquilibrer les forces sansverser dans une nouvelle guerre froide. Le modernisateurMedvedev va donc sattaquer ce qui constitue lobjectifcommun du tandem au pouvoir : rnover larme, toujoursplthorique et sous-quipe. Une arme qui na gagn laguerre en Gorgie quen raison du nombre.

    Torture. Autre domaine o lopinion attend Medvedev:celui des droits humains. Sa rforme de la justice reste ltat dbauche. Celle de la police, annonce le 18 fvrier,devrait staler jusquen 2012. Confie aux dirigeants de lapolice eux-mmes, elle semble tre avant tout une oprationde communication. A Strasbourg, la Cour europenne desdroits de lhomme croule sous les plaintes de citoyensrusses. Prsidente du Centre de la protection internationale,lavocate russe Karinna Moskalenko y dfend les dossiers lesplus sensibles : les responsables emprisonns de lancienptrolier Ioukos, la famille de la journaliste assassine AnnaPolitkovskaa, les Tchtchnes harcels par les milices pro-russes ou les citoyens ordinaires victimes des abus de la po-lice et du systme carcral. Les propos de Medvedev sont

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  • prometteurs, mais ils ne sont pas suivis dactions, dit-elle.Cest dcevant.

    Le 4 mars, la Cour entendra pour la premire fois la plaintedes dirigeants de Ioukos, accusant lEtat russe de les avoirspolis pour priver Mikhal Khodorkovski de son in-dpendance et de sa libert. Lex-patron de Ioukos et sescollaborateurs sont considrs par les ONG russes commedes prisonniers politiques. Si Medvedev veut donner lasocit un signal clair, il doit les librer. Montrer que lespersonnalits qui drangent ne seront plus arrtes. Et r-former la police, qui commet tant dactes de torture quonpeut parler de schma de comportement. Y croit-elle ? Ellene le dira pas. Vous vous souvenez dAlexe Dymovski, cemajor de la police de Novorossiysk qui stait adress Poutine pour dnoncer les abus dans la police ? Il vientdtre arrt. Mme sil nest pas compltement blanc, ilaurait fallu linviter Moscou, pas larrter.

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  • Claque lectoralesurprise pour le partidu chef

    IMPREVU. Tandis que l'homme-lige de Poutine,Dmitri Medvedev, assure une prsidence fantoche,le parti du pouvoir, Russie unie, remporte lamajorit la Douma. Mais la marge se rtrcitmalgr les fraudes.

    Par Veronika DORMAN

    (Paru le 6 dcembre 2011)

    Russie unie a obtenu exactement ce quil mrite, ni plus nimoins. Dans ce sens, ce sont des lections justes, quitableset dmocratiques, a dclar le Prsident Dmitri Medvedevds lannonce des premiers rsultats des lections lgislat-ives, dimanche soir. Cest--dire une perte de 14 points dessuffrages par rapport aux lections de 2007. Qui tmoignede la dconsidration auprs de la population dune factionque lon appelle volontiers le parti des escrocs et desvoleurs.

  • Beaucoup de Russes ne croient plus depuis longtemps deslections justes, quitables et dmocratiques dans leurpays. Ils ont moins particip un scrutin pour lire desdputs auxquels ils font confiance qu un rfrendumcontre le parti du pouvoir. Le mot dordre Tout sauf Russieunie, lanc par lopposition, semble avoir t suivi par ungrand nombre dlecteurs, pas forcment rebelles, mais fa-tigus dun parti discrdit. Pendant les semaines qui ontprcd le vote, on discutait activement dans les blogs et lesjournaux des diffrents moyens denlever sa voix Russieunie : cocher toutes les cases, crire une blague ou un grosmot sur le bulletin, le dchirer, ou choisir un autre parti, pastant pour ses qualits particulires, mais parce quil a lemrite de ne pas tre Russie unie.

    Jeunesse cervele. La cote de popularit de ce parti om-nipotent est en baisse depuis longtemps, surtout dans lesgrandes villes comme Moscou ou Saint-Ptersbourg. Sonnom voque dsormais dans lesprit de beaucoup dlecteursles grosses bedaines repues, les promesses sovitiques delendemains chantants qui narrivent jamais, les mouve-ments de jeunesse cervels et agressifs.

    Dvoiles au grand jour grce aux ONG et Internet, lesfraudes et les violations qui ont maill la campagne ont finipar jouer contre le parti de Poutine. Le pouvoir sentaitquil perdait prise, il ordonnait aux fonctionnaires dans lesrgions daugmenter la pression pour obtenir des rsultats,

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  • ces derniers navaient plus honte de rien et magouillaientouvertement. Et parmi les gens croissait le sentiment queleur avis ne compte pas, analyse Macha Lipman, du centreCarnegie. Mme lOSCE - Organisation pour la scurit et lacoopration en Europe -, dhabitude circonspecte sur les ac-cusations de fraudes massives, a rendu un rapport accablanthier, dnonant des bourrages durnes pendant le dcomptedes voix et le manque dindpendance des autorits lector-ales et des mdias durant la campagne.

    Pour autant, limage de Vladimir Poutine en est-elle affecte? Doit-on interprter ces rsultats comme un dsaveu duPremier ministre qui compte revenir la prsidence au moisde mars ? On est tent de rapprocher cette dernireclaque aux sifflets de la foule qui ont rcemment accueilliPoutine, lorsquil est sorti sur le ring aprs un match deboxe. Ctait le premier crime massif de lse-majest delhistoire des relations de lhomme fort avec le peuple. Ilprovoque la lassitude. "Encore douze ans !" pensent lesgens, et a les dprime. Et la goutte deau a t lchange defauteuils avec Medvedev, ils nont mme pas fait semblantpour donner aux Russes limpression quils pouvaient avoirun avis sur la question, ils ont tout dcid entre eux, au m-pris des gens, assure Macha Lipman.

    Disgrce populaire. Au contraire, affirment quelquesvoix dissonantes avec le concert gnral, Poutine a montr Russie unie que le parti nest pas grand-chose sans lui. On

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  • peut transcrire les vnements par une formule simple: lacote relle de Russie unie plus ses ressources administrat-ives moins la participation de Vladimir Poutine la cam-pagne, calcule Alexei Moukhine, directeur du Centre din-formation politique. Les 14 points que Russie unie na pasobtenus cette fois-ci correspondraient ceux qui ne sou-tiennent le parti quen tant quoutil politique de Poutine.

    Or, depuis quelques mois, le Premier ministre a entrepris deprendre ses distances avec une faction tombe en disgrcepopulaire. Lquipe de communication est en train detravailler au projet "Nouveau Poutine", un prsident quisera au-dessus de tous les partis la Douma, qui devrontde leur ct sadresser directement et verticalement lui.Ce qui rend dailleurs toute forme dalliances inutile, con-sidre Moukhine.

    Russie unie semble convaincu du contraire. En remportant49,5% des voix, le parti conserve la majorit absolue laDouma avec 238 mandats sur 450, mais perd la majoritconstitutionnelle. Cest une bonne nouvelle, en croire lesporte-parole, qui ne se laissent pas abattre, alors que les m-dias russes et trangers, la Toile, lopposition, ne parlentque de revers et de fiasco. La nouvelle Douma, trsdiffrente de la prcdente, sera le lieu de dbats srieux,a assur Serguei Neverov, le secrtaire du conseil gnral deRussie unie. Elle sera plus joyeuse et plus nergique,

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  • espre Medvedev, qui a troqu son fauteuil prsidentielpour la direction de Russie unie.

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  • Quand la Russie semutine contre Poutine

    REPORTAGE. Le 4 dcembre 2011, le parti Russieunie a emport les lgislatives lors d'un scrutinentach de fraudes. Trois semaines plus tard,lopposition fait descendre 120000 personnes dansles rues de Moscou pour rclamer un nouveauscrutin et la dmission de lhomme fort du rgime.

    Par Veronika DORMAN

    (Paru le 26 dcembre 2011)

    Le pouvoir a peur parce que nous navons plus peur,martle la tribune lancien champion dchec Garry Kas-parov, figure historique de lopposition. Malgr le froid et endpit des pirouettes du pouvoir pour calmer le jeu, prs de120000 personnes - selon les organisateurs - sont sortiessamedi Moscou pour protester contre les lections falsi-fies du 4 dcembre. Comme lors des rassemblementsprcdents, la plupart des contestataires ne sont ni militantsni particulirement politiss. Ce sont de simples citoyens,qui en ont marre. Nous nous sommes rveills, ce nest que

  • le dbut, clame une banderole. Mais sils ne veulent plus dePoutine et de son systme, ils nont pas forcment une idenette de la relve quils esprent.

    Depuis deux semaines, leaders et militants des diversmouvements dopposition ont compris quil y a une chance saisir et prpar la manifestation darrache-pied. Jeudi soir,lun des comits sest assembl sous la prsidence du blo-gueur Alexe Navalny. Autour de la table, nationalistes, so-cialistes, anarchistes ou libraux ont laborieusement tentde trouver un langage commun et de ne pas laisser leurs dis-sensions, irrductibles pour la plupart, rompre le charme decette union sacre. Quand le ton ou les insultes montaient etque le dbat dviait de lordre du jour pour sabmer dansdes considrations politiques, Navalny interrompait sec :On arrte l, nous ne serons jamais fondamentalementdaccord, mais lenjeu principal aujourdhui est de restersouds. Nous rglerons nos diffrends politiques et tester-ons notre soutien populaire plus tard, quand nous auronsrtabli des lections honntes.

    Bariol. A 14 heures samedi, lavenue Andre-Sakharovest noire de monde et hrisse de drapeaux, bannires, ban-deroles, ballons, pancartes, dguisements Une colonnedtendards jaune-noir-blanc nationalistes se fraye unchemin vers la tribune en frlant une bande de militantscommunistes brandissant ses drapeaux rouges. Les ballonsorange des libraux-dmocrates de Solidarnost se disputent

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  • le ciel avec ceux, blancs, des citoyens mcontents, sansallgeance, arms de leur colre et de leur humour. Partout,des pancartes de fabrication artisanale : Goodbye Poutineou Echange Poutine contre Khodorkovski.

    La voix de Dmitri Bykov vibre dmotion quand il sadresse la foule : On nous dit quil y a beaucoup trop dedrapeaux diffrents ici, que les libraux ne sentendront ja-mais avec les conservateurs, que les communistes se dis-puteront immanquablement avec les patriotes, que nousfinirons par nous har les uns les autres. Mais entre unhomme et une femme, il y a beaucoup plus de diffrencesquentre un communiste et un libral, et nous arrivons trouver un moyen de nous entendre. Cest pareil ici. Nousdevons apprendre nous couter. a ne sera pas facile,mais le bariol, cest mieux que lincolore. Dmitri Bykovest crivain, journaliste, pote, pasticheur et satiriste adul,mais certainement pas politicien. Pas plus que lauteur depolars Boris Akounine. Dans un vote organis en ligne pourdsigner les orateurs du meeting qui ont le plus plu, les deuxhommes sont arrivs en tte.

    Voleurs.Je ne veux pas entendre les politiques, ilsnont rien nous dire, rsume Marina, une jeune psychi-atre. Il ny a pas de parti ou dhomme politique aujourdhuicapable de remplacer ceux qui sont au pouvoir. Mais je suisheureuse dcouter des gens "normaux" qui nous parlent desolidarit et damour. Cest ce qua bien compris Alexe

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  • Navalny, lun des rares orateurs soutenu aussi bien par lesorganisateurs que par le public. Le juriste-blogueur anti-corruption est devenu en quelques mois le visage de la nou-velle contestation. Coqueluche la fois de la gnration In-ternet et de lopposition librale, ami des nationalistes, ilest parvenu articuler les reproches fondamentaux adresssaujourdhui par les Russes leurs dirigeants. Cest qui lepouvoir ici ? lance-t-il aux manifestants. Cest nous !hurle la foule. Nous ne sommes plus seuls, nous avons res-senti la solidarit, reprend Navalny au micro. Un pour touset tous pour chacun. Un pour tous et tous pour un !rpond lassemble.

    Les figures politiques suscitent gnralement lirritation dupublic, qui nhsite pas signifier bruyamment son mcon-tentement. Grigori Iavlinski, le candidat des libraux deIabloko la prsidentielle, se fend dun petit discours pr-esque lectoral, tantt siffl, tantt ignor par les manifest-ants. Les ractions sont encore plus hostiles quand un na-tionaliste notoire, Vladimir Tor, savance sur scne. Les na-tionalistes, nombreux dans lassistance, sont convaincusdavoir derrire eux la majorit des Russes, sans cesseblesss dans leur fiert patriotique par un rgime de vo-leurs. Au sein de lopposition, on a beaucoup dbattu delalliance avec les mouvements dextrme droite - dont laplupart sont interdits pour extrmisme -, pour finalementsy rsoudre. Sur scne, Tor appel la cration dun parti

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  • nationaliste russe. La foule gronde, siffle, des insultesfusent.

    Rformes. Le cortge de samedi a t encore plus im-portant que celui du 10 dcembre. Il sagit dsormais detransformer lessai. Les ftes commencent et rien nestprvu avant fin janvier-dbut fvrier. Nous devons nousreposer et reprendre des forces pour continuer le combat,crit sur son blog Boris Nemtsov, lun des leaders de lop-position librale. Nabusons pas des meetings. Fvriernous laisse le temps de voir si le pouvoir rpond aux exi-gences des manifestants. Il est vident que si les rformespolitiques ne sont pas enclenches dici l, cela voudra direque Poutine et Medvedev nous ont menti une fois de plus.Nous naurons aucun droit historique de le leurpardonner.

    De son ct, Navalny, optimiste, ne doute pas que tout estruni pour une issue positive : Les changements politiquesindispensables doivent et peuvent tre raliss paisible-ment, parce que les protestataires sont dtermins maispacifiques et que le Kremlin semble tre prt voluer,mme si ce nest quau nom de la survie.

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  • La machine Poutinemet de lhuile dansses truquages

    RCIT. La prsidentielle du 4 mars 2012, troisimepour Poutine, se profile. Des bus et trains affrtspour les manifestations jusqu'aux aux urnes domicile, Russie unie, son parti, balise d'avancel'lection.

    Par Hlne DESPIC-POPOVIC

    (Paru le 23 fvrier 2012)

    Dans son petit deux pices dun immeuble typiquement so-vitique dont la cage descalier malodorante mriterait uncoup de peinture, Irina, une bibliothcaire retraite pour in-validit de 58 ans, referme la porte derrire le passagedOlga, lassistante sociale. Cette fois, celle-ci nest pas ven-ue lui apporter des mdicaments, mais lui expliquer quonlui donnerait une urne pour voter domicile lors de laprsidentielle du 4 mars, pour laquelle le Premier ministre,Vladimir Poutine, part favori.

  • Irina a dit Olga, une femme nergique presque aussi gequelle, que, malgr ses douleurs aux jambes, elle ferait lef-fort de se dplacer jusquau bureau de vote. Mais Olga lui afait savoir quelle doit dposer son bulletin dans lurne desmalades, sinon elle, pauvre Olga, perdra son emploi. Jaicd. Mais je sais que cest une technique pour bourrer lesurnes, dit Irina.

    Crmes. Le 4 fvrier, une employe de ce centre daidesociale avait appel Irina afin de linviter prendre les auto-bus mis disposition pour aller manifester en faveur dePoutine, qui brigue un troisime mandat. Jai dit : "Vouspayez combien ?" Elle ma dit que nous aurions des crmespour la peau. Jai ri. De toute faon, je ne voulais pas y al-ler. Les employs du centre, eux, je crois quils nont pasvraiment le choix. Irina a vot Poutine lors de ses deuxpremiers mandats. Aprs les esclandres alcooliss de BorisEltsine, il apportait la stabilit et tait respect sur la scneinternationale, se rappelle la retraite. Maintenant, elledoute : Jai limpression quil ne soccupe de nous que lorsdes lections.

    Lhomme fort de la Russie, celui qui sest fait remplacerpendant quatre ans par son loyal ami Dmitri Medvedevparce quil ne pouvait pas se reprsenter pour un troisimemandat conscutif, court le pays en promettant tout unchacun ce quil a envie dentendre : des salaires aux profes-seurs, mdecins ou policiers, des bourses aux tudiants et de

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  • meilleures retraites aux plus gs. Selon son porte-parole, ilsera aujourdhui Moscou, sur le stade Loujniki, o ses par-tisans se runiront aprs avoir dfil sur les quais de laMoskova. En ce Jour des dfenseurs de la patrie, les organ-isateurs esprent rassembler 40000 personnes dans la mat-ine sur les berges et 10 000 au meeting du dbut daprs-midi. Leur but : Rsister aux forces qui veulent dtruire lepays.

    Cest ce qucrit sur son site le Front populaire panrusse,une association cre en mai linitiative de Poutine et quirappelle les fronts populaires de lpoque sovitique. Ce gi-gantesque organisme est cependant virtuel. Une adresse,une bote postale, un site internet, mais pas daccueil, pas derendez-vous, pas de communication.

    Constellation. On trouve encore moins trace du Comitanti-orange, le dernier-n de la constellation poutinienne,qui, lui, nexiste que depuis le 4 fvrier, quand les partisansdu candidat numro 1 ont dcid de ne plus abandonner larue lopposition, laquelle organisait un meeting ce jour-l.Sa fonction est de prsenter cette opposition comme unrassemblement de mchants rvolutionnaires voulantritrer, au profit de ltranger, lexprience ukrainiennede 2004 connue sous le nom de rvolution orange. Cecomit, qui a align 100000 personnes dans les rues de lacapitale russe le 4 fvrier, na quune adresse internet vers

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  • laquelle les plthoriques employs dEdinnaa Rossia(Russie unie) dirigent la presse.

    Russie unie est pourtant dirig par un certain VladimirPoutine et prsente la candidature de son chef la prsiden-tielle. Mais le parti fait profil bas, expiant ainsi la fraudelectorale massive des lgislatives de dcembre. La pressevoque ouvertement sa possible transformation, voire sadisparition ou son clatement, la faveur de ladoptiondune nouvelle loi sur les partis, actuellement en discussionau Parlement.

    Le Front populaire, cest aussi des syndicats, dont les in-trts sont ceux du pouvoir. Comme ceux de lusine Ural-vagonzavod dEkaterinbourg, celle qui a construit les trainsqui amnent ce matin de lOural 600 ouvriers pour soutenirPoutine, mais est surtout connue comme le fabriquant dechars qui lactuel Premier ministre candidat la prsiden-tielle, vient de promettre prs de 2 milliards deuros daideset de contrats.

    En mme temps quelle met les bouches doubles pour par-courir les dernires longueurs, la machine Poutine multiplieles obstacles au parcours de lopposition. Aprs les menacespesant sur la radio Echo de Moscou, cest lhebdo NovaaGazeta qui est dans le collimateur. Ses journalistes devronttravailler un temps sans salaire, car les finances de son pro-pritaire, le banquier Alexandre Lebedev, sont bloques parde pseudo-contrles. Quant au rassemblement prvu

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  • dimanche prs de la place Rouge lappel du Front degauche, il na pas t autoris. Et sera donc remplac par demultiples petites actions.

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  • Un prsident, cestun bon manager

    SOUTIENS. Prsidentielle 2012. Mme si satroisime campagne provoque des oppositions deplus en plus fortes, Poutine demeure populaire ausein des classes moyennes. Andre, Mikhal et biendautres jeunes actifs de Moscou lui restent fidles.

    Par Hlne DESPIC-POPOVIC

    (Paru le 5 mars 2012)

    Ils sont moscovites, ils sont jeunes et sages, ils travaillent etnont pas adhr son parti. Mais ils votent pour lui. Vladi-mir Poutine recrute dans la classe moyenne, grande gag-nante des dix dernires annes en Russie. Issu dune famillequi a toujours t du bon ct du manche, Andre Kisel naque 35 ans, et il est dj directeur du dveloppement au seindun groupe immobilier qui construit dans la plupart desgrandes villes russes. Fils dingnieur, la profession la plusapprcie lpoque sovitique, il a choisi lconomie, lessame de la Russie actuelle. Il est reconnaissant Poutinede la stabilit politique et du boom conomique.

  • Fier.Jai eu des doutes en 2008, quand la criseconomique a commenc. Jai perdu mon emploi en 2009,et je suis rest au chmage quelques mois. Mais jai re-dress la tte, assure-t-il. Aujourdhui, avec un doctorat enpoche, il gagne prs de 4500 euros par mois, beaucoup plusque sa femme, mdecin dans le secteur public pour850 euros mensuels. Avec cette somme, le couple, qui a unbb de 9 mois, na aucun problme pour se loger.

    Cest en 2000 quAndre a commenc soutenir Poutine. Alpoque, il ntait pas sr de son choix. Il y avait la guerreen Tchtchnie pour laquelle certains de ses collgues duni-versit avaient t mobiliss. Mais aujourdhui, on vit eton tudie en Tchtchnie, explique-t-il. Quatre ans plustard, il vote de nouveau Poutine, sans hsiter. Je voyais bi-en alors que la Russie stait dveloppe, quelle avait prisune bonne direction. Je me sentais fier de mon pays. Il d-cide de faire ensuite confiance Dmitri Medvedev, suivantle choix de Poutine.

    Il va souvent en Ukraine, do son pre est originaire. Samre, elle, est ne en Allemagne de lEst o le grand-predAndre, officier sovitique, tait stationn. Jesprais quePoutine allait rintgrer les ex-rpubliques sovitiques.Cela ne sest pas produit, regrette-t-il. Il discute politiqueavec sa famille, tous pro-Poutine. Ses parents nont que detoutes petites retraites, 250 euros chacun. Ici, personnenattend rien de lEtat. Ma sur et moi aidons

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  • financirement nos parents, explique lconomiste quipense tre bien inform, coute les radios dopposition, Ra-dio Svoboda (Radio Libert) notamment. Il ne considrepas ses amis opposs Poutine comme des ennemis du pays: Un prsident nest pas un tsar, ce doit juste tre un bonmanager, et Poutine a de lexprience.

    Racisme. Comme Andre, Mikhal Egorov a choisi lePremier ministre sortant. A 24 ans, il a cr avec deux asso-cis trangers, un Canadien et un Sud-Africain, un petit bur-eau de prparation linguistique destin aux jeunes Russesqui veulent faire carrire ltranger. Chef de PME, ce filsde diplomate, duqu en France et au Maroc, remerciePoutine pour avoir cr les conditions qui lui permettent au-jourdhui dexercer son activit. Jtais petit dans les an-nes 90, mais je me rappelle qu lpoque le pays taitgangren par la criminalit. Certes, il reste de la corrup-tion, mais si vous ne voulez pas passer par l, on mettravotre dossier sous la pile, et cest tout. Sil y a beaucoup decorruption, cest aussi parce que les gens offrent delargent. Ctait dj comme a lpoque du tsar Pierrele Grand, explique ce jeune francophone, install depuisun peu plus dun an Moscou avec sa fiance ouzbke.Auditeur dans un grand groupe international, il estime quePoutine aurait sans doute d faire davantage pour enray-er le racisme.

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  • Il y a quelques annes, on entendait tous les jours parlerde migrants tus ou blesss. Cest terrible parce que cesTadjiks, ces Kirghizes vivaient avec nous en Unionsovitique, souligne-t-il. Alors, bien sr, la prsence de na-tionalistes, et mme dultranationalistes, dans les manifest-ations de lopposition ne lenchante pas, et le convainc aucontraire du bien-fond de son choix. Il critique aussi lefoss qui spare les riches des pauvres, hritage des an-nes 90. En dcembre, il na pas vot aux lgislatives. Mais,cette fois-ci, il a dpos son bulletin dans lurne.Aujourdhui, chaque voix compte.

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  • VERROUILLER ETRPRIMER

  • Pussy Riot, leschattes quichatouillent la Russie

    ACTIVISME. De la formation de leur groupe fministe leur coup dclat dans la cathdrale moscovite duChrist-Sauveur, retour sur le parcours des troisjeunes artivistes russes condamnes deux ans decamp pour une prire anti-Poutine.

    Par Hlne DESPIC-POPOVIC

    (Paru le 8 septembre 2012)

    On lappelle la Bastille jaune cause de sa tour paisse etquasi aveugle et de ses murs de briques jaunes. Cest danscette maison darrt, de facture moderne, que sont dtenuesles trois militantes de Pussy Riot, condamnes le 17 aot deux ans de prison pour avoir chant une prire punk dansla cathdrale du Christ-Sauveur, la plus grande glise deMoscou, un acte jug blasphmatoire. Curieusement, lapartie de la prison o se trouvent les dtenus, principale-ment des femmes, est coince entre un btiment

  • administratif et le monastre Nicolo-Perervinski qui la dom-ine de toute la hauteur de ses coupoles bleues. De quoi con-forter des filles qui ont dnonc la collusion de lEglise or-thodoxe russe et de lEtat.

    Le Sizo 6, comme sappelle la maison darrt - sizo, pourisolateur, on ne saurait tre plus clair - se trouve Moscou,mais tout au bout de la ville, dans le quartier de Petchatniki,une banlieue perdue o il ny a plus de mtro, encore moinsde banque, et mme pas de caf. Cest l que les familles vi-ennent rencontrer leurs proches, encore prvenus ou fra-chement condamns en attente dun appel ou dun transfertvers un tablissement pnitentiaire. Aprs avoir franchitoutes les tapes dun vrai parcours du combattant.

    Une histoire dintellect

    Ce mercredi, cinq jours aprs la condamnation des jeunesfemmes, Piotr Verzilov, le mari de Nadejda Tolokonnikova,Nadia de son diminutif, a d partir de chez lui 5 h 30 pouravoir une chance de voir sa femme. En cinq mois, cest laseconde fois quil est autoris lui rendre visite. Il la biensr vue lors de son procs, alors quelle tait assise avec Ka-tia (Ekaterina Samoutsevitch) et Macha (Maria Aliokhina),ses deux amies et coaccuses, dans laquarium, le nomdonn la cage de verre construite au tribunal Khamovnikipour le procs du magnat du ptrole Mikhal Khodorkovski,

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  • les traditionnels barreaux tant dcris par les associationsdes droits de lhomme.

    Ce mardi-l donc, Piotr, silhouette fluette dans sa chemise carreaux rouges, arrive la prison ds potron-minet. Parchance, il ny a que dix-sept personnes devant lui. Il pourradonc voir sa femme ds 11 heures. Il est mu, mais ne veutpas le montrer. Entre eux, dit le jeune homme de 26 ans,cest une histoire dintellect. Il a rencontr Nadia en janvi-er 2007 luniversit de Moscou, o la jeune fille de 17 anstait arrive six mois plus tt de sa Sibrie natale pour tud-ier la philosophie. Elle la sduit par sa culture. Je navaisjamais rencontr une fille si jeune qui avait dj tant lu surlart contemporain. Jtais admiratif. En 2008, Nadiadonnera une autre version de leur rencontre sur le blog dunami artiste : Je voulais aider une camarade qui prparaitun examen sur le bouddhisme. Jai appel un copain qui estvenu avec Piotr. Il a commenc mexpliquer le manage-ment japonais. Jai pens "comme il est bizarre" !

    Si ce nest pas le coup de foudre, cest quand mme une his-toire damour : Tout sest pass trs vite, dit Piotr. Lecouple se marie fin 2007. Leur enfant nat au printempssuivant. Entre-temps, la jeune femme, dj enceinte, estpartie en Espagne. Elle en revient avec la conviction quellene pourrait pas vivre en Europe : En Espagne, javais lim-pression de ne pas tre dans un pays mais dans un magas-in. Partout, des croissants brillants, des petits cadeaux.

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  • Tout y est peaufin. Jai besoin de quelque chose de plusrude. Depuis mon enfance, je ne rve que de situationsextrmes.

    A son retour, Nadia se lance avec Piotr dans lart politique.Ils participent laventure Vona (guerre), un groupedartistes contemporains fond en 2005 par des tudiantsde philosophie de Moscou et de Saint-Ptersbourg qui veutrveiller les consciences russes par de nouvelles formesdexpression, fondes sur lart de rue et la vido. Alpoque, lopposition politique classique tait insignifi-ante, rappelle Piotr. Lopposition non communiste dis-parat mme du Parlement aprs les lgislatives dedcembre 2007. Elle laisse place une agitation fbrile dansles milieux artistiques. Les deux jeunes gens participent en-semble au moins 30 actions qui ont attir lattention desmdias, relve Piotr, qui joue aujourdhui le rle semi-offi-ciel dattach de presse des Pussy Riot, quitte agacer bonnombre de jeunes femmes qui insistent sur leur fminisme.Il cite, entre autres performances, une parodie de lynchagedhomosexuels joue lors de larrive du maire de Moscou,un homophobe notoire, ou lentre en force dans un postede police pour y accrocher le portrait de Dmitri Medvedev,le dauphin de Poutine qui le remplaa entre 2008 et 2012,alors quil ntait pas encore lu. Les policiers taient prisde court, ils pensaient que nous tions un groupe de jeunesproches du Kremlin, samuse Verzilov.

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  • Baise pour le nounours hritier

    Les forces de lordre ne feront rien non plus quand, lin-trieur du muse des Sciences naturelles de Moscouquelques jours avant llection de Medvedev, plusieursjeunes couples du collectif artistique, dont Piotr et Nadia,font lamour en public devant un ours empaill. Lactionsappelle Baise pour le nounours hritier, et dnonce lejeu de chaises musicales que vient dinitier Poutine, qui nese prsente pas sa succession car il ne peut briguer untroisime mandat conscutif de prsident, avec son dauphindsign pour lui chauffer la place. Nous voulions montrerque, de la mme manire que la pornographie est une imit-ation du sexe, nos lections sont une imitation de la dmo-cratie, explique Verzilov. La vido de cette action sera util-ise par la propagande officielle pour souligner la prtendueamoralit des artistes lors du procs expditif mont contreles Pussy Riot en aot.

    Age de 18 ans, Nadia tait alors enceinte jusquaux yeux.Elle accouche quatre jours plus tard dune petite fille laquelle elle donne le nom de Gera, la femme de Zeus (Heraen grec), desse de la fcondit. Lenfant tait en retard etjesprais que faire lamour acclrerait laccouchement,a-t-elle racont quelques mois plus tard au concepteur deVona, Alexe Ploutser-Sarno, qui linterrogeait sur son blog.Laction navait rien voir avec le sexe, confie-t-elle dans sa

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  • prison avant le verdict la journaliste Zoa Svetova : Jesuis asexuelle. Je me suis servie de mon corps comme lepeintre se sert de ses couleurs.

    Piotr et Nadia quittent Vona fin 2009. Le groupe exploseentre une fraction base Moscou et le reste des membres Saint-Ptersbourg. Nous tions alls au bout de ce quenous pouvions faire ensemble, estime Piotr, qui se veut in-diffrent aux accusations lances par ses ancienscamarades. Ceux-ci lui reprochent en particulier davoir misla main sur les archives du groupe. Aprs la rupture avecVona, Piotr se lance dans lactivisme politique. On le ret-rouve dans les batailles contre la destruction de la fort deKhimki lt 2010 comme dans tous les mouvements de lasocit civile qui apparaissent au tournant de la nouvelledcennie. Cest un remarquable organisateur, un vraimanager de la politique, relve Mark Feguine, lavocat desa femme. Dans ces mouvements, Verzilov ctoie tous ceuxqui surgiront sur la scne politique lors des manifs anti-Poutine de lhiver 2011-2012 : Iouri Chevtchouk, le chanteurculte du groupe DDT, ou bien le blogueur Alexe Navalny,quil appelle son ami.

    Cest dans lopposition que Mark Feguine rencontre,en 2010, Nadia, lors dun dbat contradictoire dans un cafde Moscou. Il est un libral de droite, elle est de gauche. Elleapprcie Eva Joly, Jos Bov ou Daniel Cohn-Bendit, sesouvient lavocat. Ils saffrontent sur les relations entre lart

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  • et la politique. Je soutenais quil fallait faire des manifest-ations classiques, avec des banderoles et des slogans ; elledfendait les happenings, plus susceptibles, disait-elle,davoir un impact sur la socit. Lors de ma dernire visite la prison, elle ma dit : "Tu vois, javais raison." Leurdbat suivait la fallacieuse mise en accusation pour trafic dedrogue dun jeune artiste sibrien de 22 ans. ArtemLoskoutov avait eu la mauvaise ide - de lavis des bien-pensants - de manifester la fin de meetings officiels, dontle traditionnel dfil du 1er mai, avec des banderoles duncontenu surraliste ou en criant : Je nai pas de slogan.Aprs avoir suivi ces monstrations (et non dmonstra-tions, comme on appelle les manifestations en russe), lesrieurs ne pouvaient plus que pouffer au passage des cortgesde partis.

    Poutine a piss dans son froc

    Cette manire de tourner la politique en drision deviendrapar la suite la marque de fabrique des Pussy Riot, qui for-ment leur groupe en septembre 2011. Alors que Vonadevient de plus en plus provocateur, de plus en plus agres-sif, un comportement qui dbouche sur le vandalisme, ex-plique le critique dart Andre Erofeev, Pussy Riot choisitune autre attitude, celle de la drision, du paradoxe et delabsurde. Les jeunes femmes sont des copines. A

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  • lt 2010, elles ont pass des vacances ensemble en Crime.Elles se runissaient la maison, se souvient StanislavSamoutsevitch, le pre de Katia, g de 73 ans. Ingnieureen lectronique comme ses parents, Katia, 30 ans, la plusge des chattes encagoules, a abandonn son job din-formaticienne pour se consacrer la photo. Fils duncamraman, son pre, veuf, ne dsapprouve pas la reconver-sion de sa fille dans la photo et lart. Mais il nest pasvraiment au courant des activits du groupe, exclusivementfminin. Un jour de novembre 2011, la police lappelle pourlui dire de venir chercher Katia. Elles avaient fait une per-formance dans le mtro et avaient t interpelles. Les ser-vices de scurit taient venus. Mais il ny avait pas dedlit, pas de prjudice, alors personne ne savait quoi faire.Je leur ai dit : "Vous allez vous attirer des ennuis." Elles nemont plus jamais parl de leurs activits. Cette actiondans le mtro, o les jeunes femmes ont embrass des flicset des fliquettes, une performance signe Embrassezlordure, a eu peu dcho. Vona, par exemple, ladsavoue.

    Puis vient dcembre. Furieuse de stre fait voler les lec-tions lgislatives, la jeunesse est dans la rue. La chansonpunk, la drision, nest plus quun aspect de la parole deven-ue libre. Les Pussy Riot sont avec les manifestants. Le5 dcembre, Piotr Verzilov est interpell avec 80 autres per-sonnes, et condamn dix jours de prison. Nadia et ses cop-ines viennent chanter devant la prison. Je ne pouvais pas

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  • les voir, mais je les ai entendues. Les gens applaudissaient.Jtais surpris et ravi, raconte-t-il. Les Pussy Riot se radic-alisent. Le 20 janvier, neuf dentre elles chantent sur laplace Rouge : Poutine a piss dans son froc. Les photosde la performance font alors le tour du monde, raconte Pio-tr. On a entendu dire que Poutine tait mcontent. Et on asenti autour de nous se resserrer la surveillance du FSB[lhritier du KGB, ndlr]. Comment cela se sent-il donc ?Je retrouvais par exemple la fentre de la chambre de mafille ouverte. Jy voyais un signe : attention, sinon ta filleaura des problmes.

    Mais rien narrte les jeunes artistes. Cest une gnrationleve aprs la chute du communisme. Elle na pas lerflexe de peur gntique quavaient les Sovitiques. Elle necraint rien ni personne, ni les flics ni le goulag. Cest le vis-age de la nouvelle opposition russe, commente la journal-iste Zoa Svetova.

    Cette fois-ci donc, les filles vont dnoncer lEglise ortho-doxe, trs proche du rgime. En deux mois, le patriarcheKirill a chang plusieurs fois dattitude. Il a dabord dit endcembre quil fallait couter la rue, pour finalement enfvrier faire campagne pour Poutine, sindigne Piotr. LesPussy Riot prparent leur action. La cathdrale du Christ-Sauveur a t choisie parce que cest la plus grande glisede Moscou, explique le jeune artiste. Mais aussi parcequelle a t reconstruite dans les annes 90 dune manire

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  • trs particulire. La Russie navait pas dargent, alors lemaire de lpoque, Iouri Loujkov, a runi les mafieux ou ol-igarques - mais dans ces annes-l ce ntait pas trsdiffrent -, et il leur a demand des millions de dollars,sinon ils seraient emprisonns. Cette glise a toujours tlie largent. On y a fait, par exemple, larticle de tl-phones portables incrusts de diamants, ou des revues demode avec des femmes moiti nues.

    Ce nest donc pas par hasard que cinq jeunes chattes enca-goules, revtues de leurs robes et de leurs collants decouleur vive, dbarquent ce 21 fvrier 11 heures dans lacathdrale et prennent place sur lestrade situe devantlautel, un espace interdit aux femmes. Il y avait cinq ou sixfidles, une quinzaine de personnes employes par lacathdrale, gardiens, vendeurs de chandelles et de souven-irs. Le groupe stait fait accompagner par des photographesdes agences de presse ainsi que leurs propres vidastes. Lascurit a demand aux filles de partir. La police a fait lamme chose. Elle na mme pas cherch imposer uneamende. Mais lorsque le clip est sorti, les autorits ontpens quelles devaient agir. A la veille de la prsidentielle,alors que la rue restait agite, ntait-ce pas loccasion rvedattirer lopinion traditionnelle du ct du pouvoir ?

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  • On ma demand si javais des liens avec la CIA

    Le 3 mars, la police passe laction. Quand nous avonsquitt lendroit o Nadia et moi nous tions retrouvs, ra-conte Piotr. Des hommes bien habills ont sorti leurs armeset cri : "Nous sommes le FSB." Comme dans un film. Puisils nous ont fait entrer dans de luxueux vhicules et nousont conduits au quartier gnral de la police. Les pouxsont interrogs sparment. On ma demand si javais desliens avec la CIA ! Piotr est relch, mais sa femme estplace en garde vue. Je pense quils voulaient aussi ar-rter Piotr, dit Mark Feguine, mais ils ont craint les rper-cussions diplomatiques, car il a aussi la nationalit ca-nadienne, et puis il y a lenfant de 4 ans. Cela aurait fait unscandale. Cette nationalit canadienne, Piotr, fils dunphysicien et dune enseignante en dramaturgie, la obtenueen passant quelques annes Toronto, chez des cousins,pendant ses tudes secondaires, acheves lanne suivante Tokyo.

    Deux heures plus tard, la police arrtait Katia Samout-sevitch, la photographe, et Maria Aliokhina, lcologiste,bnvole dans des associations charitables orthodoxes.Selon Verzilov, cest la peur du scandale qui explique que lesdeux autres membres des Pussy Riot qui avaient entonn laprire punk aient t laisses en paix. Mais Piotr est srquils connaissent leur identit. Une certitude qui aurait

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  • pouss les deux jeunes femmes fuir la Russie, ainsi que laannonc le groupe il y a une semaine sur son compteTwitter.

    Des filles fortes, tenaces et audacieuses

    La propagande officielle, qui aime prsenter les jeunes op-posants comme des privilgis, devra dchanter. Aucunedes filles arrtes nappartient la jeunesse dore. Auchmage, Katia vit grce la retraite de son pre. Macha,24 ans, qui a un petit Filip de 5 ans quelle lve avec soncompagnon, est tudiante. Nadia et Piotr font des petitsboulots. Aucun deux na les moyens de soffrir un avocat.Leurs dfenseurs, gs de moins de 40 ans, travaillent gra-tuitement. Nous avons rinvent la tradition russe delavocat politique, ne la fin du XIXe et au dbut du XXe,souligne lavocat de Macha, le plus jeune dentre eux,Nikola Polozov, 31 ans. Sous Poutine, le travail de lavocatest devenu semblable celui dun convoyeur de fonds. Ilprend largent de ses clients pour corrompre les juges et leparquet. Ce nest pas pour a que jai fait du droit.

    Nikola Polozov a commenc simpliquer dans la vie poli-tique russe le 5 dcembre, quand les premiers manifestantssont sortis protester contre la fraude aux lgislatives. Macollgue Violetta ma dit : "Il faut aller dans les tribunauxet les commissariats. Il y aura des arrestations." Il sy est

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  • rendu, et a aid faire relcher les jeunes. Jai compris quejtais bien plus utile faire a qu scander des slogans.Cest lui que Nadia, dont il vient de faire la connaissance,appelle un soir de dcembre. On a cass la porte du petit ap-partement que le couple habitait la cit universitaire etemmen son mari, qui venait de sortir de prison o il avaitpurg une peine de dix jours. Cette fois, ce nest pas la po-lice, cest larme qui sest soudain souvenue quil navait pasfait son service militaire. Lavocat accourt. Piotr a unedispense, martle-t-il. Le tribunal a reconnu que son ar-restation tait illgale. Cest une victoire. Et un long par-cours pour un jeune homme qui avoue piteusementquen 2000 il a vot pour Poutine, contre le vieux Eltsinemalade et les mafieux.

    Merde du Seigneur

    Aprs larrestation des Pussy Riot, Polozov laisse le cas deNadia son collgue Mark Feguine, qui la connat mieux. Ilprend en charge celui de Macha. Parce quelle est croyante,le parquet croit avoir trouv son maillon faible. A tort. Lesenquteurs voulaient en casser une, la faire avouer etfonder toute laccusation sur ces aveux. a na pas march.Ces filles sont fortes, tenaces et audacieuses, dit lavocat.

    Les dfenseurs peaufinent leurs arguments contre le verdict.Tout est illgal, explique Polozov. Les autorits se sont

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  • servies de larticle du code pnal condamnant le hooligan-isme motiv par la haine religieuse pour ne pas utiliserdautres chefs daccusation, comme lextrmisme ou lincita-tion la haine religieuse car, avec ces qualificatifs, ilsnauraient jamais pu ni les maintenir en dtention prvent-ive ni leur donner une peine de prison ferme. Et, en vrac, ilnumre les biais du procs : la rfrence des concileschrtiens des VIIe et VIIIe sicles, lappel des experts nonasserments, le refus dentendre les experts de la dfense, cedernier point tant un grand classique en Russie. A la fin duprocs, mme les tmoins de laccusation, le gardien et lavendeuse de chandelles, qualifis de victimes car offenssdans leurs sentiments religieux, ont demand la cour deprononcer le sursis. Leur avocat dit quil ritrera cette posi-tion lors de lappel si ses clients lui demandent de le faire. Etles porte-parole du puissant patriarcat ont demand la cl-mence, mais aprs que la condamnation fut prononce.

    a sagite de fait au sein de lEglise orthodoxe. De jeunesprtres et lacs au service de lEglise ont envoy au patriar-cat de violentes lettres de rupture. Ils rejoignent lEgliseautonome, une Eglise dissidente forme des restes de lEg-lise des catacombes, de lEglise russe ltranger etdvchs comme celui de Souzdal. Ils disent ne pas vouloirrester dans la mme Eglise que des menteurs et des ob-scurantistes. Un propos qui revient comme un refrain.

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  • A cause de ces poursuites que vous avez inities, critSerge Baranov, un prtre en rupture de ban, le monde neconsidre plus seulement la Russie comme un pays agres-sif, mais aussi comme un pays obscurantiste sur le plan re-ligieux. En raison de lindignation que la condamnation asuscite, laffaire a certainement nui au Kremlin et au patri-arcat. Et Poutine et le patriarche cherchent rejeter lunsur lautre la responsabilit de ce fiasco, relve AlexandreSoldatov, rdacteur en chef du site Portal-credo.ru. A Mo-scou, les croyants risquent de se dtourner dune Eglise tropproche du pouvoir. Parmi les jeunes, lopinion prvaut queles Pussy Riot sont une sorte de bouffons de Dieu [lquival-ent russe de nos bouffons du roi au Moyen Age, ndlr] quiont le droit de dire la vrit sous forme satirique sur le par-vis des glises. Pour eux, elles sont les porteurs du vraichristianisme.

    La chanson est trs svre pour les travers de lEglise offici-elle. En voici les paroles, selon la traduction faite par le siteEnrussie.fr : Sainte Marie, mre de Dieu, chasse Poutine/Chasse Poutine, chasse Poutine/Soutane noire, paulettesdor/Tous les paroissiens se tranent en gnuflexions/Lefantme de la libert est aux cieux/La Marche des fiertsest envoye enchane en Sibrie/Le chef du KGB, le saintpatron/Conduit les manifestants en prison sous escorte/Afin de ne pas offenser Sa Saintet/Les femmes, donneznaissance et aimez/Merde, merde, merde du Seigneur/Merde, merde, merde du Seigneur/Sainte-Marie, mre de

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  • Dieu, deviens fministe/Deviens fministe, deviens fmin-iste/LEglise fait les louanges de dictateurs pourris/La pro-cession sort de limousines noires/A lcole tu vas ren-contrer le prdicateur/Va en classe lui apporter de largent! Le patriarche [Kirill] Gundyaev croit en Poutine/Ilvaudrait mieux que ce soit en Dieu/La ceinture de la Viergene remplace pas les meetings/La Vierge Marie est avecnous dans la protestation ! Sainte Marie mre de Dieu,chasse Poutine/Chasse Poutine, chasse Poutine.

    Le vers qui a le plus fait couler dencre est le seul que lonentend distinctement sur la trs brve vido originale, etnon sur le clip diffus plus tard avec la chanson. Cest celuiqui dit sran gospodny, une expression qui signifie lit-tralement merde du Seigneur mais qui nest pas plus vir-ulente que le plus ordinaire des sacres qubcois, ni plus vi-olent que le trs franais putain de merde. Le thologienAndre Kouraev, de la facult de Moscou, a lui-mme ditquil sagissait dune expression par laquelle lhomme re-connat son insignifiance face Dieu, et non pas dune in-sulte, relve Alexandre Soldatov.

    Pass les querelles linguistiques, laffaire a relanc le vieuxdbat sur les liens trs spciaux quont entretenus le KGB etlEglise officielle lpoque de Staline, aprs 1943. Dici sesouvenir que Poutine vient du KGB et que le patriarche Kir-ill fut souponn davoir jou un rle dinformateur pour

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  • cette organisation au sein de lEglise dans les annes 60, ilny a quun pas.

    Ce nest dailleurs pas la premire fois dans cette Russiepoutinienne que lEglise est appele la rescousse contrelart contemporain. Ancien directeur du dpartement dartcontemporain de la galerie Tretiakov Moscou, Andre Ero-feev, fut lui-mme jug, en mme temps que le directeur dumuse Sakharov, pour avoir expos des uvres censures.Le procs a tran trois ans avec, dit-il de faux experts etdes tmoins ramasss dans les glises pour jurer quils sesentaient offenss. Mais, lpoque, Medvedev taitprsident, il se piquait de modernit, et les deux hommesont chapp la prison et cop dune amende. Pour lecommissaire dexposition russe, il est clair que la socitest en train de se resovitiser rapidement. Pour le KGB, lesartistes modernes ont toujours t des dgnrs.

    Des propositions de Madonna et de Yoko Ono

    Les Pussy Riot viennent dtre nommes pour le prix Kand-insky, dcern chaque anne en dcembre. Leur clip esttrs fort, trs russi, surtout avec le chant du chur ortho-doxe. Cela a produit son effet. Ce nest pas seulement lavoix de nos enfants, cest la voix du peuple qui crie :"Poutine, va-t-en", estime le critique dart. Dans leur pris-on, Macha, Katia et Nadia ne sont pas dstabilises par les

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  • louanges. Elles ne veulent pas de rcompense financire,dit lavocat de Nadia. Si elles obtiennent ce prix, dunevaleur de 50 000 euros, elles le remettront aux autres pris-onniers politiques. Nadia rit doucement quand elle entendque Playboy veut la mettre en une. Elle se marre car ellesait que cela ne se fera pas, explique son mari. La proccu-pation de la jeune femme est autre. Elle va se prsenter auxlections virtuelles quorganise lopposition les 20 et 21 oc-tobre pour dsigner un comit reprsentatif de 45 per-sonnes. Avec sa popularit, elle sera certainement lue,pense Piotr, qui songe aussi tre candidat. En attendant,ils sont dj en campagne pour prparer la grande manifest-ation du 15 septembre, qui montre que lopposition na paslintention de laisser le champ libre Poutine.

    Aprs des jours de dmarches, nous arrivons enfin ren-contrer quelques chattes encagoules dans un ancien abriantiarien transform en studio underground. Bien sr, il nesagit pas des Pussy Riot qui taient dans la cathdrale, maisdautres jeunes femmes qui ont particip des perform-ances en ville. Elles ont la mme dtermination, la mmepense fministe, le mme refus de la hirarchie.

    Dans la socit russe, la femme est la fois subalterne etchef de famille, cest insidieux, dnonce lune dentre elles.Elles se disent flattes des propositions de Madonna ou deYoko Ono de les accompagner sur scne. Mais nentendentpas y rpondre. Jamais nous ne nous produirons pour de

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  • largent devant des spectateurs ayant pay leurs billets.Cest de lart quelles font, pas du show-biz.

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  • Mordovie, la privation tout bout de camp

    TMOIN. Condamne deux ans de camp, la PussyRiot Nadejda Tolokonnikova, dans une lettreouverte, brise le silence sur les coloniespnitentiaires hrites du goulag sovitique.D'anciennes dtenues, rencontres parLibration, racontent elles aussi la violence, leshumiliations physiques et morales, le travailforc

    Par Veronika DORMAN

    (Paru le 2 novembre 2013)

    Etendu sur le perron de la prison, lhomme ne respire plusdepuis quelques minutes. Pourtant, sa femme continue de lesecouer, se jette dsesprment sur sa bouche inerte pourinsuffler de lair dans ses poumons, essaye de lui compress-er la poitrine. Elle hurle : Volodia, Volodia, tu ne peux pasme laisser toute seule. Tu nas pas le droit de mourir ! Etpuis, levant les yeux : Au secours, aidez-le ! O estlambulance ? Linfirmire du camp se gratte la tte. Elle

  • est arrive trop tard pour secourir Vladimir, foudroy parune crise cardiaque.

    De toute faon, dans sa petite bote pharmacie, il ny avaitrien qui puisse aider ce retrait au cur fragile. A quelquespas de l, des gardiens fument, en se demandant sil faut ounon lappeler, cette ambulance.

    Vladimir et Raissa, la soixantaine fourbue, ont parcouru 1500 kilomtres depuis Gelendjik, dans le sud de la Russie,pour voir leur fils, qui purge une longue peine au campnumro 1, dans le village de Sosnovka, en Mordovie. Unevisite de trois jours. Ils sont arrivs la veille et ont attenduprs de vingt-quatre heures dans un petit cabanon coll lenceinte de la colonie. A ce genre daudience, permiseseulement la famille proche - pouses, enfants, parents -,on vient charg de victuailles. Les quelques mtres carrs ducabanon sont encombrs de sacs, valises, caisses de pain,ufs et jus de fruits. Les visiteurs arrivent directement dutrain, la veille ou le matin mme laube, et attendent quelofficier de garde veuille bien les laisser entrer. Parfois, sansraison, lentrevue est annule. Lattente dure en gnral desheures. Le cabanon nest pas chauff. Provocante, une bouil-loire trne sous la petite tlvision inutile : il ny a pasdlectricit.

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  • Un passant sur deux vtu du treillis bleu

    En vertu de la loi russe, le fils de Vladimir et de Rassa dev-rait purger sa peine dans sa rgion de rsidence. Mais dansle kra (la rgion) de Krasnodar, il ny a pas de camp r-gime svre. Et le couple g est rgulirement oblig den-treprendre un voyage prouvant. Cette fois, le cur deVladimir na pas tenu. Au moment o ils ont enfin t ap-pels, aprs avoir tran pniblement les sacs insoulevablesvers le porche, il sest effondr.

    Les autres visiteurs dtournent le regard et enjambent lecorps recouvert dun drap blanc pour accder la portedentre du camp. Ils ont pass la matine ensemble, dans lecabanon glac, comparer leurs histoires (cest vrai quonmange mal dans ce camp, mais il y a toujours du travailpour ceux qui veulent), changer des conseils (a ne sert rien de traner des kilos de patates de Moscou, mieux vautles acheter lpicerie du coin). En fin de compte, dans lunde ces camps de Mordovie, dont la sinistre gloire remonte lpoque sovitique, cest chacun pour soi face au malheurque reprsente lincarcration dun fils unique, dun mari,dun pre.

    Au sein du systme dexcution des peines russe (FSIN), l