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L'HOTEL POUFFIER par M Ue Françoise VIGNIEH La demeure connue à, Dijon sous le nom d'hôtel Poumer est un lieu un peu étrange : au n° 18 de la rue d'Assas, dans l'axe de la rue Verrerie, au centre d'un mur nu couronné de balustrades, s'ouvre un porche en plein cintre sous un fronton triangulaire. De part et d'autre de la cour à laquelle il donne accès se trouvent des communs comportant à gauche un rez-de-chaussée percé d'arcades en plein cintre: et un étage de comble couvert d'un toit brisé, à droite un rez-de-chaussée identique, un étage-carré et un étage de comble. Au bout de ce dernier, au même alignement que lui mais en renfoncement, se dresse une maison de modeste appa- rence. Au fond de la cour, au-delà d'un bouquet d'arbres au feuil- lage sombre, le regard butte sur un mur gris. L'histoire de ces lieux est retracée dans le testament rédigé le 1 er octobre 1725 par Hector-Bernard Poumer, doyen du Par- lement, qui lit don de sa fortune à ses successeurs dans cette charge 1 . Ce document et les pièces justificatives qui l'accompagnent 2 révèlent que le maître des Comptes, Bénigne Poumer, grand-père du testateur, avait acquis en 1596 du marchand Jacques Fournier une maison située non pas rue d'Assas (alors Grande rue du Champs de Mars) mais à l'emplacement de celle qui porte actuellement le n° 66 de la rue Jean-Jacques Rousseau (alors rue Saint-Nicolas). Elle comportait un bâtiment en L encadrant au Nord et à l'Ouest une cour séparée de la rue par un mur dans lequel s'ouvrait un portail de bois gardé par un concierge installé dans une loge en galandage. En arrière, dans une petite cour, une halle couverte de laves abritait un pressoir. A la mort de Bénigne Poumer, la maison passa à son fils aîné, Jean-Baptiste, conseiller au Parlement. Celui-ci n'ayant pas eu d'enfant de son union avec Catherine de Mucie, maison et office 1. Arch. dép. Côte-d'Or, B 12208 et Bibl. mun. Dijon, ms. 1358. 2. Arch. dép. Côte-d'Or, B 12209.

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L'HOTEL POUFFIER

par MUe Françoise VIGNIEH

La demeure connue à, Dijon sous le nom d'hôtel Poumer estun lieu un peu étrange : au n° 18 de la rue d'Assas, dans l'axe de larue Verrerie, au centre d'un mur nu couronné de balustrades,s'ouvre un porche en plein cintre sous un fronton triangulaire.De part et d'autre de la cour à laquelle il donne accès se trouventdes communs comportant à gauche un rez-de-chaussée percéd'arcades en plein cintre: et un étage de comble couvert d'un toitbrisé, à droite un rez-de-chaussée identique, un étage-carré et unétage de comble. Au bout de ce dernier, au même alignement quelui mais en renfoncement, se dresse une maison de modeste appa-rence. Au fond de la cour, au-delà d'un bouquet d'arbres au feuil-lage sombre, le regard butte sur un mur gris.

L'histoire de ces lieux est retracée dans le testament rédigéle 1er octobre 1725 par Hector-Bernard Poumer, doyen du Par-lement, qui lit don de sa fortune à ses successeurs dans cettecharge 1. Ce document et les pièces justificatives qui l'accompagnent2

révèlent que le maître des Comptes, Bénigne Poumer, grand-pèredu testateur, avait acquis en 1596 du marchand Jacques Fournierune maison située non pas rue d'Assas (alors Grande rue du Champsde Mars) mais à l'emplacement de celle qui porte actuellement len° 66 de la rue Jean-Jacques Rousseau (alors rue Saint-Nicolas).Elle comportait un bâtiment en L encadrant au Nord et à l'Ouestune cour séparée de la rue par un mur dans lequel s'ouvrait unportail de bois gardé par un concierge installé dans une loge engalandage. En arrière, dans une petite cour, une halle couvertede laves abritait un pressoir.

A la mort de Bénigne Poumer, la maison passa à son fils aîné,Jean-Baptiste, conseiller au Parlement. Celui-ci n'ayant pas eud'enfant de son union avec Catherine de Mucie, maison et office

1. Arch. dép. Côte-d'Or, B 12208 et Bibl. mun. Dijon, ms. 1358.2. Arch. dép. Côte-d'Or, B 12209.

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échurent en 1679 à son unique neveu, Hector-Bernard, qui devaitdevenir plus tard doyen du Parlement.

Attaché à cette maison, Hector-Bernard Pouffier entreprit àpartir de 1681 de la rendre habitable par des « constructions impor-tantes, utiles et nécessaires et ornements de la moitié au moinsdu prix de sa valeur... n'y ayant... que deux chambres habitables ».A cette première campagne de travaux appartient la lucarne-fronton encore en place sur ce qui subsiste de l'aile en retourd'équerre 3.

Puis, en 1711, à la faveur de la liquidation complexe de la suc-cession de Jacques Soyrot, conseiller au Parlement de Metz,l'occasion se présenta d'acquérir une série de parcelles situées enarrière de la maison, entre le jardin de la Visitation et la Granderue du Champs de Mars. Immédiatement Hector-Bernard Pouffierfit raser tout ce qui se trouvait sur ces terrains et fournit lui-mômeles dessins de « deux corps de logis tous neufs, longs de plus de50 pieds chacun, donnant de midi sur la rue du Vertbois (rue Verre-rie actuelle) qui sont à chaque côté de ma grande cour ; l'un à droiteen y entrant où sont les remises et la chambre du portier et unechambre à plafond de plâtre, l'autre à gauche où sont les écurieset les latrines, laquelle cour est séparée de la rue du Vertbois parun mur que j'ai fais aussi construire avec la grande porte cochèrequi est au milieu de ce mur, qui donne entrée dans la maison oùl'on entroit autrefois par la porte qui est en la rue Saint-Nicolas ».Le but de l'opération était de permettre de loger carrosses et che-vaux, dont l'usage se généralisait en ces premières années duxvme siècle et qui ne pouvaient pénétrer dans l'étroite cour dela rue Saint-Nicolas. Elle s'accompagna de la destruction del'ancienne halle du pressoir, de l'aménagement dans l'axe du corpsde logis d'un petit jardin de buis taillés et d'allées sablées et de lapeinture d'une fresque par un artiste italien sur le mur du fond decelui-ci, face à, la porte cochère. L'effet de perspective de cettefresque, dont le motif n'est pas connu, était accentué par troismarches et un petit talus. Elle était protégée par un auvent enplomb et flanquée à droite et à gauche de deux socles destinés àrecevoir des statues, derrière lesquels il avait fait poser des treil-lages en bois. Une barrière séparait le jardin de la cour, une haie decharmes dissimulait le mur de séparation avec la Visitation 4.

3. La construction était nettement antérieure à cette (laie : sous l'aile enretour d'équerre, vers la rue Saint-Nicolas et sous la partie nord du corpsprincipal de logis se trouve une cave dont les voûtes d'arête relombcnt sur despiliers carrés aux angles abattus.

4. Les renseignements complémentaires sur l'état des lieux se trouvent dansl'inventaire après décès élabli en août 1736 (Arch. dép. Côte-d'Or, B 12209).

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Tandis que ces travaux se réalisaient, l'organisation internede la maison d'habitation elle-même était totalement modifiée :alors que Jean-Baptiste Poufïïer et Anne de Mucie avaient occupéle rez-de-chaussée de l'aile en retour d'équerre donnant sur la rueSaint-Nicolas qui comprenait une « cheminée d'ancienne menuiseriedorée et armoriée » à. leurs armes, Hector-Bernard transféra sesappartements dans ce qui était à l'origine la façade arrière de lamaison et qui donnait désormais sur le jardin qu'il avait créé.Au rez-de-chaussée il avait aménagé, du Sud au Nord, un salon, unechambre et une salle à manger sous laquelle se trouvait la cuisineà laquelle on accédait soit par le jardin, où un petit édicule encouvrait l'escalier, soit par la cour. A l'Est, donnant sur l'anciennecour, se trouvaient de petites pièces et un escalier. La dispositiondes pièces était la même à l'étage : un salon qui devait, aprèsla mort de Pouffier, abriter les séances de l'Académie des Sciences,Arts et Belles-Lettres de Dijon, et les appartements du secrétaireet de la gouvernante du maître du logis.

1. HÔTEL POUFFIER AU xvm e SIÈCLE.

2. HÔTEL POUFFIER ACTUEL (1978).3. MAISON CONSTRUITE A L'EMPLACEMENT DE LA PARTIE DÉTRUITE DE

L'HÔTEL DU XVIII° SIÈCLE (EN 1893-1896).

Telle était la demeure qui, en 1736, à la mort d'Hector-BernardPoufïier, échut au doyen du Parlement à la condition imposée

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par le donateur de « procurer l'établissement et la maintien desconférences académiques et la distribution des prix que je désireêtre établi en la ville de Dijon dans ladite maison 5 ».

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Quel sort les doyens du Parlement, liés par les clauses trèscomplexes du testament, allaient-ils faire à cette maison danslaquelle pas un d'entre eux ne voulut résider 6 ?

Dès 1747 il fallut la louer, non pas au profit du doyen du Par-lement mais, suivant la volonté de Pouffier, qui se méfiait de lacupidité de ses confrères, à celui des pauvres de l'Hôpital. Leslocataires successifs furent Edme-Étienne Champion de Nansouty,Claudine Paporet, veuve de François Hancquetin de Bellevillepuis, en 1763, Jean-Marie Bouhier Bernardon qui fit insérer dansle bail une clause interdisant aux Académiciens de passer par lagrande porte et donc de traverser les appartements du rez-de-chaussée pour se rendre à la salle des séances située à l'étage, etleur faisant obligation de passer par la rue Saint-Nicolas. Blessésdans leur dignité 7 ceux-ci préférèrent aller tenir séance ailleurset furent désormais hébergés par l'Université. Et pourtant cettesalle des séances avait été entièrement rénovée en 1758 8, pourvued'un plafond sculpté et dotée d'une cheminée de pierre, polie quiavait le fâcheux défaut de « rendre une fumée si épaisse qu'ellerendait la chambre inhabitable 9 ». Ce départ laissa Jean-MarieBouhier libre de réaliser les aménagements que son contrat l'auto-risait à faire : sans doute est-ce à lui que l'on peut attribuer laconstruction de l'escalier tournant à trois volées droites qui occupemaintenant la moitié sud du corps de logis principal et donc l'empla-cement du local réservé à l'Académie. Il fit aussi aménager unnouveau jardin d'un dessin différent de celui créé vers 1725.

5. Sur la fondation de l'Académie par H.-B. Pouïïîer, voir : MILSAND (Ph.)>Notes et documents pour servir à l'histoire de l'Académie des Sciences, Arts etBelles-Lettres de Dijon, Paris, 1871, p. 179-199, et TISSERAND (R.), AU tempsde l'Encyclopédie. L'Académie de Dijon de 1740 à 1793, Paris, 1936, p. 25-33.

6. Sauf indication contraire tous les documents utilisés sont conservés auxArchives départementales de la Côte-d'Or sous les cotes B 12208 et 12209.

7. Cette période correspond à la mise en application des nouveaux statutsde l'Académie, aboutissement de l'effort de rénovation entrepris par le pré-sident Richard de Rufîey.

8. Cf. 1er registre des séances de l'Académie, séances du 27 juin 1755 (1° 108 v°-110 v»), du 8 août 1755 (f° 112 v-114 v°), du 13 lévrier 1756 (1° 118 v") etdu 4 août 1758 (f° 134 v°-136 v°).

9. D'où l'achat d'un poêle en faïence décidé le 30 avril 1762. Cf. 2° registredes séances de l'Académie, f° 40 v°.

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En outre Pouiïier avait prévu, d'une part que le mobilierresterait en place ou serait remplacé à l'identique, d'autre partque les communs seraient surélevés d'un étage, les fondations enayant été conçues dans cette perspective. Ni l'une, ni l'autre deces dispositions ne fut respectée : en 1752 et 1755 le doyen Vitteobtint du Parlement l'autorisation de vendre, dans un premiertemps, les armoires jugées par lui encombrantes puis, dans unsecond temps, le mobilier qui lui paraissait démodé. Quelquestables et chaises furent distraites de la vente pour l'Académie,en violation flagrante du testament qui comportait une dotationspéciale à cet effet.

La construction de l'étage des communs fut d'abord différée,les revenus de la fortune de Pouffier ayant été consacrés jusqu'en1756 à l'achèvement du château d'Aiserey. Elle fut ensuite repousséed'année en année sous prétexte que l'argent manquait, puis défini-tivement abandonnée en 1771 après une expertise défavorablede l'architecte Christophe Duprey. La part des revenus réservéspour cette construction avait été placée en rentes sur la Province.Elle fut utilisée en 1773 pour l'achat pour l'Académie de l'Hôtelde Pringles 10, ce qui constituait une seconde violation du testamentdu fondateur de l'Académie.

Au total, cet hôtel sans grandeur procurait aux Parlementairesplus de soucis que de satisfactions, aussi n'hésitèrent-ils pas à enenvisager l'aliénation, ainsi que celle de biens situés à Senneceyet Magny-sur-Tille, lorsqu'il leur fallut, en 1786, trouver les res-sources nécessaires à l'achat de la moitié de la seigneurie d'Aisereyqui leur avait jusqu'alors échappé. L'hôtel fut vendu le 20 janvier1788 à Jean-Baptiste Jobard, trésorier de France, et à Marie-AnneJobert, son épouse, pour la somme de 32 000 livres.

En mai 1792, Jean-Baptiste Jobard loua à l'apothicaire LouisCaillet, qui y établit son commerce, une partie de l'aile en retourd'équerre et la cour donnant sur la rue Saint-Nicolas 11, puis ilvendit aile et cour en Floréal an III à François Davier, cafetier,pour 40 000 livres 12. Celui-ci fit de mauvaises affaires, aussi sescréanciers firent-ils vendre sa maison en l'an IX à Jean Monin,marchand, qui la céda dès 1808 à Henri-Catherin Brenet et Anne-

10. Cf. TISSERAND (R.), op. cit., p. 60, n. 3.11. Minutes du notaire Boucher. Arch. dép. Côte-d'Or, minutier des notaires,

cote provisoire 2482.12. Tous les titres de propriété à partir de 1788 sont conservés par M. F. de

Vilmorin au château de Cussigny (comm. de Corgoloin). L'essentiel des infor-mations est tiré de l'acte d'adjudication passé le 6 juillet 1892 devant MaîtreIbled, notaire à Dijon.

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Marie Morisot qui, étant déjà propriétaires du corps principal delogis et de la cour et des communs sur la rue d'Assas (alors ruePoufïier) reconstituèrent l'unité de l'hôtel.

En effet Jean-Baptiste Jobard, après avoir partiellement réalisél'un des projets de Poufïier en rehaussant d'un étage le communoriental, avait, en l'an XI, vendu ce qui lui restait de l'hôtel àNicolas Morisot, président du Tribunal Criminel de la Côte-d'Or.Anne-Marie Morisot, l'épouse d'Henri-Catherin Brenet était leurseule héritière.

Ainsi réunifié l'hôtel passa en 1851 à Marie-Thérèse-Élise Brenet,mariée à Elisabeth-François de La Cuisine puis, en 1876, au filsde ces derniers, Henri-François-Samuel de La Cuisine, présidentà, la Cour Impériale de Dijon 13, mort sans enfant en 1891. Sansdoute est-ce à la famille de La Cuisine qu'il faut attribuer le décordu salon de l'étage dont le plafond est raccordé au mur par unadoucissement décoré de putti musiciens et de corbeilles defleurs.

Lorsque François de La Cuisine disparut, ses cinq neveux, enfantsde Marie-Françoise de La Cuisine et de Charles-Victor de Boyer deSainte-Suzanne, vendirent l'hôtel le 6 juillet 1892 à Charles-LéonTrivier, brasseur à Xertigny, qui possédait déjà l'ancien cloîtrede la Visitation, où il allait établir une brasserie, et la maisonjoignant au Nord l'hôtel sur la rue Saint-Nicolas.

Immédiatement Charles-Léon Trivier fit dresser des devis parl'architecte Leprince 14 pour aménager l'hôtel proprement dit, afinde le louer au Cercle Militaire, et pour construire en bordure de larue Jean-Jacques Rousseau un immeuble de rapport au rez-de-chaussée duquel s'installa un bazar. Les autorisations d'alignementlui furent accordées en 1893 15. Les travaux furent terminés avant1896, date à laquelle intervint un tardif accord de mitoyenneté avecle propriétaire de l'immeuble situé au Sud.

Cette maison comprend un rez-de-chaussée et deux étages-carrés.Les fenêtres du premier étage sont couronnées de frontons.

L'hôtel sur la rue d'Assas avec sa cour et la maison sur la rueJean-Jacques Rousseau avec la sienne appartiennent actuellementà deux propriétaires différents.

13. II fut président de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres deDijon. Il est l'auteur de Le Parlement de Bourgogne depuis son origine jusqu'àsa chute, 3 vol., Paris, 1857 et 1864.

14. Cet architecte est l'un des constructeurs du château de Brochon.15. Arch. dép. Côte-d'Or, III S 70 b/11.