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Sur un point au moins, les avocats de Dominique Strauss-Kahn ont raison : le déballage feuilletones- que des comportements sexuels de l’ancien patron du FMI relève de la vie privée, accessoirement de la morale, mais sûrement pas de la politique. Et ne mérite pas les unes répétées qui alimentent à coup sûr le voyeurisme de certains mais n’ont pas grand-chose à faire dans le débat présidentiel. La campagne est-elle si pauvre que certains trouvent nécessaire d’y ajouter le récit glauque de faits qui mé- ritent au mieux d’être rapportés dans la colonne des faits divers ? L’affaire Strauss-Kahn, si elle fut un moment éminemment politique puisqu’elle mettait en scène un potentiel futur candidat à la présidence de la République, n’est plus depuis belle lurette qu’un sinistre dossier de droit commun. Quitte à s’intéresser à des dossiers sensibles, autant ouvrir ceux qui peuvent encore fâcher aussi bien à droite qu’à gauche : Guérini, la corruption dans les fiefs socialistes du Nord-Pas-de-Calais, Karachi ou le dossier Bettencourt, autant d’exemples qui montrent que la corruption, les croisements d’intérêts voire les pra- tiques illégales dans le financement des campagnes électorales n’ont pas disparu en France malgré les pétitions de principe de ceux qui affirment la main sur le cœur que la République est aujourd’hui irréprochable. Elle ne l’est guère plus que dans les décennies précédentes. Les droits nouveaux accordés à l’opposition par la dernière réforme constitutionnelle et les nominations faites ici et là relèvent du fonctionnement des institu- tions et de la vie démocratique mais en aucun cas de l’éthique. La République n’est pas plus morale aujour- d’hui qu’elle ne l’était il y a quelques années. C’est un fait qui contribue largement à la décrédibilisation du politique et qui, à n’en pas douter, pèse lourd dans l’intérêt que suscitent aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon et peut-être encore Marine Le Pen. Les deux n’ont pas leurs pareils pour dénoncer la République des « copains et des coquins » et une société dans laquelle certains pourraient pratiquement tout se permettre quand d’autres voient l’huissier à leur porte pour un impayé de quelques euros. DSK, les Français s’en moquent. Ils se désespèrent en revanche d’une société où la justice à deux vitesses s’appuie sur une morale à géométrie variable. Le futur Président quel qu’il soit devra s’en souvenir. Les régions Éditorial Robert Namias Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias L’HÉMICYCLE www.lhemicycle.com Le débat sur la sécurité Un faux débat ? T ous les sondages étaient d’ac- cord : l’insécurité n’était pas la question prioritaire de cette campagne présidentielle. Régulièrement interrogés sur cette question, les Fran- çais la plaçaient loin derrière la situa- tion de l’emploi, le pouvoir d’achat, la croissance, la dette publique, la pauvre- té, l’école ou bien encore la fiscalité. Et si l’on en croit les enquêtes les plus récentes, ces priorités n’ont guère évo- lué à la veille de l’élection malgré les tueries de Toulouse et de Montauban. Les questions sécuritaires ne consti- tuent toujours pas un enjeu majeur, comme si les Français refusaient que ces événements tragiques soient ins- trumentalisés par quelque candidat que ce soit. Mais au-delà de ce refus conjoncturel, n’est-ce pas aussi parce que les citoyens ont le sentiment que derrière les argu- ments électoraux des uns et des autres, et derrière les batailles de chiffres, la sé- curité c’est plutôt une affaire de moyens que d’idéologie politique ? Et s’il est vrai que ce qui oppose les can- didats (qu’il s’agisse du fonctionnement des institutions judiciaire et policière ou de la lutte antiterroriste) est moins important que ce qui les rassemble, la sécurité apparaît du coup sans doute aux yeux d’une majorité de Français comme un faux débat. Et les candidats seront plus jugés sur leur présidentialité – avérée ou imaginée – que sur leur coup de menton sécuritaire. Alain Fournay > Lire p. 2 et 3 Opération de police à Marseille contre le trafic de drogue. NUMÉRO 441 — MERCREDI 4 AVRIL 2012 — 2,15 ¤ DSK on s’en fout ! GÉRARD JULIEN/AFP Coup de filet dans les milieux islamistes, polémiques autour des services de renseignement, la sécurité divise à nouveau droite et gauche. Mais des voix se font entendre dans les deux camps pour affirmer que ces oppositions relèvent plus d’un effet de campagne que d’une réalité. BERTRAND LANGLOIS/AFP François Bayrou n’est pas l’homme d’un mentor. Trop orgueilleux pour imaginer qu’il n’est pas unique, il n’en reconnaît pas moins l’influence de nombreux hommes de pouvoir et de plume. Tous ont en commun une valeur cardinale aux yeux du président du MoDem : la volonté de résistance et le courage de dire « non ». > Lire l’admiroir d’Éric Fottorino p. 14 et 15 Bayrou le résistant Face aux inquiétudes des élus, l’État a débloqué une première enveloppe de 72 millions d’euros en faveur du déploiement des réseaux numériques publics en Bretagne et en Haute-Marne. À quelques semaines de la présidentielle, le challenge technique de la fibre optique est devenu un enjeu politique. > Lire l’article de Ludovic Bellanger p. 8 et 9 Et aussi JEFF PACHOUD/AFP Jean-Pierre Chevènement P. 3 Alain Bauer P. 2 Les élus locaux pris dans la toile de la fibre optique Au sommaire La guerre des roses par Marc Tronchot Au diable la dédiabolisation ! par Nathalie Segaunes >p. 4 Bernard Murat au secours du spectacle vivant > p. 12 BERTRAND GUAY/AFP

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l'Hémicycle numéro 441 du mercredi 4 avril 2012 Au sommaire : - La guerre des roses par Marc Tronchot - Au diable la dédiabolisation ! par Nathalie Segaunes >p. 4 - Bernard Murat au secours du spectacle vivant >p. 12

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Page 1: l'Hémicycle - #441

Sur un point au moins, les avocatsde Dominique Strauss-Kahn ontraison : le déballage feuilleto nes -que des comportements sexu elsde l’ancien patron du FMI relèvede la vie privée, accessoirement dela morale, mais sûrement pas de lapolitique. Et ne mérite pas les unesrépétées qui alimentent à coup sûrle voyeurisme de certains mais n’ont

pas grand-chose à faire dans le débat présidentiel.La campagne est-elle si pauvre que certains trouventnécessaire d’y ajouter le récit glauque de faits qui mé -ritent au mieux d’être rapportés dans la colonne desfaits divers ? L’affaire Strauss-Kahn, si elle fut unmoment éminemment politique puisqu’elle mettaiten scène un potentiel futur candidat à la présidencede la République, n’est plus depuis belle lurette qu’unsi nistre dossier de droit commun.Quitte à s’intéresser à des dossiers sensibles, autantouvrir ceux qui peuvent encore fâcher aussi bien àdroite qu’à gauche : Guérini, la corruption dans les fiefssocia listes du Nord-Pas-de-Calais, Karachi ou le dossierBettencourt, autant d’exemples qui montrent que lacorruption, les croisements d’intérêts voire les pra-tiques illégales dans le financement des campagnesélectorales n’ont pas disparu en France malgré lespétitions de principe de ceux qui affirment la mainsur le cœur que la République est aujourd’huiirréprochable. Elle ne l’est guère plus que dans lesdécennies précédentes.Les droits nouveaux accordés à l’opposition par ladernière réforme constitutionnelle et les nominationsfaites ici et là relèvent du fonctionnement des institu-tions et de la vie démocratique mais en aucun cas del’éthique. La République n’est pas plus morale aujour-d’hui qu’elle ne l’était il y a quelques années. C’estun fait qui contribue largement à la décrédibilisationdu politique et qui, à n’en pas douter, pèse lourd dansl’intérêt que suscitent aujourd’hui Jean-Luc Mélenchonet peut-être encore Marine Le Pen. Les deux n’ont pasleurs pareils pour dénoncer la République des « copainset des coquins » et une société dans laquelle certainspourraient pratiquement tout se permettre quandd’autres voient l’huissier à leur porte pour un impayéde quelques euros.DSK, les Français s’en moquent. Ils se désespèrent enrevanche d’une société où la justice à deux vitessess’appuie sur une morale à géométrievariable. Le futur Président quel qu’il soitdevra s’en souvenir.

Les régions

ÉditorialRobert Namias

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias

L’HÉM

ICYC

LE

www.lhemicycle.com

Le débat sur la sécurité

Un faux débat ?

Tous les sondages étaient d’ac-cord : l’insécurité n’était pasla question prioritaire de cette

cam pagne présidentielle. Régulièrementinterrogés sur cette question, les Fran -çais la plaçaient loin derrière la situa-tion de l’emploi, le pouvoir d’achat, lacroissance, la dette publique, la pauvre -té, l’école ou bien encore la fiscalité.Et si l’on en croit les enquêtes les plusrécentes, ces priorités n’ont guère évo-lué à la veille de l’élection malgré lestueries de Toulouse et de Montauban.

Les questions sécuritaires ne consti-tuent toujours pas un enjeu majeur,comme si les Français refusaient queces événements tragiques soient ins -trumentalisés par quelque candidatque ce soit.Mais au-delà de ce refus conjoncturel,n’est-ce pas aussi parce que les citoyensont le sentiment que derrière les argu-ments électoraux des uns et des autres,et derrière les batailles de chiffres, la sé-curité c’est plutôt une affaire de moyensque d’idéologie politique ?

Et s’il est vrai que ce qui oppose les can-didats (qu’il s’agisse du fonctionnementdes institutions judiciaire et policièreou de la lutte antiterroriste) est moinsimportant que ce qui les rassemble, lasécurité apparaît du coup sans douteaux yeux d’une majorité de Françaiscomme un faux débat. Et les candidatsseront plus jugés sur leur présidentialité– avérée ou imaginée – que sur leurcoup de menton sécuritaire.

Alain Fournay> Lire p. 2 et 3

Opération de police à Marseille contre le trafic de drogue.

NUMÉRO 441 — MERCREDI 4 AVRIL 2012 — 2,15 ¤

DSK on s’en fout !

GÉRA

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/AFP

Coup de filet dans les milieux islamistes, polémiques autour des servicesde renseignement, la sécurité divise à nouveau droite et gauche. Maisdes voix se font entendre dans les deux camps pour affirmer que cesoppositions relèvent plus d’un effet de campagne que d’une réalité.

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/AFP

François Bayrou n’est pas l’homme d’un mentor.Trop orgueilleux pour imaginer qu’il n’est pasunique, il n’en reconnaît pas moins l’influencede nombreux hommes de pouvoir et de plume.Tous ont en commun une valeur cardinaleaux yeux du président du MoDem : la volontéde résistance et le courage de dire « non ».> Lire l’admiroir d’Éric Fottorino p. 14 et 15

Bayrou le résistant Face aux inquiétudes des élus, l’État a débloqué une première enveloppede 72 millions d’euros en faveur du déploiement des réseaux numériquespublics en Bretagne et en Haute-Marne. À quelques semaines de laprésidentielle, le challenge technique de la fibre optique est devenuun enjeu politique. > Lire l’article de Ludovic Bellanger p. 8 et 9

Et aussi

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AFP

Jean-PierreChevènement

P. 3

AlainBauer

P. 2

Les élus locaux pris dansla toile de la fibre optique

Au sommaire • La guerre des roses par Marc Tronchot •

Au diable la dédiabolisation ! par Nathalie Segaunes > p. 4• Bernard Murat au secours du spectacle vivant > p. 12

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Dans l’affaire Mohamed Merah,des critiques sur le travail du RAIDou des enquêteurs vous ont-elleschoqué ?Non. La critique est naturelle. Ilest souvent plus facile de l’émettreaprès les faits, depuis un confor-table fauteuil, que sur les lieux etpendant que les faits se déroulent.Pour ma part, je ne retiens que larapidité d’exécution des identifi-cations et des opérations dès quel’on est sorti de l’incertitude sur lesmotifs des deux premiers atten-tats commis contre des militaires.La vraie question en fait relèveplutôt de la capacité culturelledes services de renseignement àintégrer les hybrides, le continuumcriminalo-terroriste (c’est-à-direle fait qu’un délinquant puisseégalement se transformer en mili-tant sans rompre avec ses activi-tés criminelles), et de sortir des

moules antérieurs pour ne pasrater les mutations en cours dansle milieu.

En matière de lutte contrele terrorisme, faites-vousune différence entre la droiteet la gauche ?Après une période de flottement,notamment sur la question d’Actiondirecte dans les années 1980, lagauche a géré le pays avec appli-cation et sans rupture. Notammentgrâce à Michel Rocard, dans lapartie 1988-1990, qui a profondé-ment modernisé les appareils derenseignement tout en créant unmeilleur contrôle démocratique.Elle a adopté dans l’urgence laLSQ (loi sur la sécurité quoti-dienne) en 2001. Devenue opposi -tion, elle s’est beaucoup opposéeces dix dernières années. Mais ellea aussi profondément évolué avec

Manuel Valls, Julien Dray ou en-core Delphine Batho.

Et d’une manière générale,diriez-vous qu’il existe encore unepolitique de sécurité de droiteet une politique de sécuritéde gauche ? Si oui, commentles définissez-vous ?Il existe des nuances importantes,notamment sur la mythologie dela police de proximité, un conceptimporté du Canada, et dont le« copier-coller » marche très im-parfaitement. Après un importantrecul de la réflexion interne, leParti socialiste retrouve à peu prèsle niveau de cohérence difficile-ment acquis au colloque de Ville-pinte, en octobre 1997. Mais lestensions subsistent sur l’efficacitéet le pragmatisme d’une politiquede sécurité équilibrée et adaptéeà des territoires, des missions et

ensuite des effectifs. Pour la droite,la sécurité lui semble un espacenaturel. Elle avait un peu aban-donné la réflexion et les débatssur la garde à vue ou la prison ontmontré des tensions internes im-portantes. Pour autant, le niveaude réflexion reste de bonne qua-lité. On notera tout de même unecurieuse capacité à confronter leConseil constitutionnel sur dessujets dont l’annulation semblepourtant presque évidente…

Quelle est la plus grande réussitedu quinquennat Sarkozy et de ladroite depuis dix ans en la matière ?Quel est son plus gros échec ?La réussite, c’est probablement laprise en compte de la nécessitéde ne plus penser la police qu’entermes d’effectifs et de moyenssans prendre en compte territoireset missions. Les deux missionsmenées avec Michel Gaudin pourrepenser la police, en 2007 et 2012,ont permis d’identifier les pisteset d’engager quelques débutsd’évolution. Le plus gros échec estpeut-être l’intégration des ex-RGdans la Sécurité publique et lerenseignement opérationnel deproximité.

Comment jugez-vous l’évolutionde la gauche sur ces sujets cesdernières années ? Le divorce entreles angéliques et les fermes est-ilencore une réalité ?La gauche ferme, après avoir beau -coup régressé, a beaucoup repris.Mais nous ne sommes revenusqu’au niveau atteint au colloque

de Villepinte de 1997. Il y a encoredes tensions et surtout des gran -des incohérences en général duesà l’abus de Twitter…

Diriez-vous que, à l’exceptionde Nicolas Sarkozy, les grandsministres de l’Intérieur ont-ilsété plutôt de gauche ces vingtdernières années ? Si oui,comment l’expliquez-vous ?Les grands ministres de l’Intérieursont d’abord grands de leur fait.Je ne crois pas que l’étiquette yfasse grand-chose. Pierre Joxe etJean-Pierre Chevènement ont beau -coup fait. Nicolas Sarkozy aussi.On jugera leurs successeurs avecle temps.

La sécurité va-t-elle être selonvous désormais le sujetde la campagne ?Je crois qu’il s’agit plutôt d’unecampagne sur LES insécurités aupluriel. Insécurités criminelles,sociales, économiques.

Sur quelles nouvelles questions,la classe politique en la matièredevrait-elle se pencher en priorité ?L’application du Livre blanc de lasécurité publique, et notammentla réforme de la Sécurité publiqueen France.

Ailleurs la sécurité est-elle l’objetd’un clivage ?Souvent. Mais cela se voit moins.

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

2 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 441, MERCREDI 4 AVRIL 2012

Agora

Pour le criminologue, conseiller pour la sécurité de Nicolas Sarkozy, les différences entre la gaucheet la droite en matière de sécurité sont moins tranchées que les discours électoraux ne le laissentpenser. Dans les deux camps, on a connu des réussites et des échecs. Avec de part et d’autre desministres de l’Intérieur dont la compétence n’a jamais été discutée.

«Pour la droite, la sécurité est un espace naturel, mais la gauche,après une période de flottement, a géré le pays lorsqu’elle était

au pouvoir avec application et sans rupture »

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ALAIN BAUERCRIMINOLOGUE, SPÉCIALISTEDES QUESTIONS DE SÉCURITÉ

Les principaux chiffres de la délinquanceLa délinquance générale esten baisse de 0,34 % en France

en 2011, par rapport à 2010. Cettelégère baisse cache toutefois uncertain nombre de points noirs,parmi lesquels la forte hausse descambriolages et les violences auxpersonnes physiques.D’une façon générale, les atteintesaux biens constatées en 2011ont diminué de 1,74 % (- 7,1 % devols liés aux véhicules à moteur,- 0,1 % de vols avec violences,- 19,1 % de vols à main armée

contre les établis sements industrielsou commerciaux). Mais le nombrede cambriolages de résidencesprin cipales et secondaires est enhausse de plus de 16 %.

Les agressions et les violencesen nette augmentationLe nombre d’homicides et detentatives a augmenté de 11,45 %l’an dernier par rapport à 2010.Po liciers et gendarmes ont consta -té 1 946 homicides et tentatives,contre 1 746 en 2010, dont 743

contre 675 pour les seuls homi-cides. On note également une fortehausse des infractions écono -miques et financières. Selon leschiffres fournis par l’Observatoirenational de la délinquance (OND),cette catégorie de délit enregistreune hausse globale record de+ 15,3 %, après deux années à labaisse. Toutefois, on note danscette catégorie une baisse de 8,2 %de falsifications et usages dechèques volés.

Source : Ministère de l’Intérieur pour l’année 2011.

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Est-il légitime que la lutte contrele terrorisme devienne un sujet decampagne ? Ou avez-vous notéune forme d’instrumentalisation ?La lutte contre le terrorisme ras-semble et doit rassembler tous lesFrançais. Les gouvernements suc-cessifs, qu’ils soient de gauche oude droite, ont tour à tour participéà la lutte contre le terrorisme, qu’ilsoit d’origine moyen-orientale,GIA, djihadiste, ou tout simple-ment d’origine corse, basque, oule fait de terroristes bien de cheznous, comme ceux d’Action directe.Je ne sache pas que les gouverne-ments de gauche aient été moinsefficaces pour déjouer le terro-risme du GIA ou de type djiha-diste. Après les attentats du métroet du RER en 1995-1996, j’étais,en tant que ministre de l’Intérieurdepuis juin 1997, na turellementplus inquiet de ce côté-là. À laveille de la Coupe du monde defootball, en 1998, l’explosiond’une petite bonbonne dans leXIXe arrondissement m’avait alar -mé. En coopération étroite avecles magistrats antiterroristes etpar ticulièrement le juge Bruguière,nous avons été amenés à suscitersimultanément des coups de filetdans cinq pays voisins d’où pro-venaient des indices inquiétants.Ce « coup de pied dans la fourmi-lière » a été utile car dissuasif. Iln’y a pas eu d’attentats pendant lacompétition. Une bonne coopéra-tion des services de renseignementet d’enquête et des magistrats anti -terroristes est la clé d’une politiqueefficace contre le terrorisme. De1997 à 2002, la gauche non seu -lement n’a pas remis en cause le

dispositif de la lutte antiterroriste,mais a amélioré les synergies né-cessaires. J’ai eu à faire face à d’au-tres terrorismes, celui qui a frappélâchement le Préfet Érignac. Seizemois plus tard, six des sept membresdu commando d’assassins étaientsous les verrous et désignaientcelui qui avait été l’exécuteur. Lalutte contre le terrorisme basquea été aussi l’œuvre partagée de lagauche et de la droite. Il n’y adonc pas lieu d’instrumenterla lutte contre le terrorisme à desfins électorales. C’est une tâcherépublicaine et, par conséquent,une œuvre collective. Il n’y a pasune politique de gauche et unepolitique de droite. Il y a le travailopiniâtre de la police, de la gen-darmerie et de la justice. Le Gou-vernement doit leur en fournirles moyens et les soutenir mora -lement et politiquement dans leuraction. La tentative de l’instrumen -talisation existe. Les Français sontassez intelligents pour le remarquerquand cela se produit. Ce seracontre-productif pour le candidatqui s’abandonnerait à cette ten -tation. François Hollande a eu,quant à lui, l’intelligence de prô-ner l’union et le rassemblement. Ilne s’est livré à aucune polémique.

Quelles sont les failles de lapanoplie française ? Comment lescorriger ?M. Alain Juppé a employé le mot« faille ». Mais elle n’est pas, si elleexiste, dans la « panoplie ». Ce sonttoujours les moyens humains quimanquent le plus. La difficultépour la police comme pour leGouvernement est de comprendre

assez tôt le phénomène de la radi-calisation et du passage à des actesaussi barbares. Le vrai remède estdans l’esprit républicain de la po-pulation dans son ensemble etdans la lutte quotidienne pour quele mot « République » garde sonsens. Le civisme implique notam-ment la responsabilité des parentsà l’égard de leur progéniture et lalutte contre l’« omerta ». C’est unfacteur essentiel. Que ce soit enCorse, au Pays Basque ou dansles quartiers, l’amour et le respectde la loi républicaine doiventpasser avant les solidarités fami-liales, claniques ou communau -taristes.

Les services de renseignementsont-ils adaptés aux nouvellesmenaces ?Pour la prévention, c’est le rensei-gnement d’origine humaine qui estle plus précieux. Cela dit, le travailtechnique (à partir des portablespar exemple) est indispensable pourles enquêteurs et pour l’efficacitéde la répression. Les fichiers, quandils sont bien tenus, y contribuentaussi. Ce ne semble pas avoir été lecas en ce qui concerne MohamedMerah.

Comment lutter contre lapropagation des dérives islamistesen prison ?Le surpeuplement des prisons fa-vorise la propagation des dérives.Il y a un immense effort à fairepour permettre la réinsertionquand elle est possible. Cela im-plique un investissement matérielet humain considérable sur lesprisons.

Est-il vain de vouloir mieuxcontrôler Internet ?Non, mais la surveillance d’Inter-net ne doit pas menacer les libertésindividuelles, et d’abord celle decommuniquer. Nicolas Sarkozy n’apas l’air de s’apercevoir qu’il esttrès difficile de pénaliser l’usaged’Internet. Cela dit, la surveillancedes sites djihadistes doit s’exerceravec vigilance… Un peu d’intelli-gence ne nuit pas.

De manière plus globale,en matière de sécurité, le tempsde la « naïveté », selon l’expressionde Lionel Jospin en 2002, est-ilrévolu au PS ?Il y a, à gauche, une sensibilité ré-publicaine, fortement ancrée chezles élus, et une sensibilité compas-sionnelle souvent portée par lesmilitants associatifs davantagesensibles aux causes sociales dela délinquance. François Hollandeappartient sans conteste à lapremière culture, celle qui metl’accent sur la responsabilité in -dividuelle : il y a des pauvres quisont honnêtes et des riches mal-honnêtes. La délinquance frapped’abord les plus démunis. Il fera– j’en suis sûr – passer la fermetéavant « la culture de l’excuse »,parce qu’il est conscient que seulela fermeté est dissuasive. Quant àLionel Jospin, il n’est pas justed’instruire à son égard un procèsen « naïveté ». Lui n’était pas naïf,même si certains de ses ministresl’étaient. Son questionnement nes’adressait pas à lui-même.

Pourquoi les Français créditent-ilsla droite plus que la gauche d’être

efficace dans la lutte contre ladélinquance ? Un consensusest-il possible ?Les sondages donnent des réponsescontradictoires. Je reste persuadéque Nicolas Sarkozy a commis unegrave faute quand il a prématuré-ment enterré, en 2003, la police deproximité que j’avais commencéà mettre en place trois ans aupara-vant. La preuve est que la droite yest revenue dans certains quartiers,sous des appellations destinéesà donner le change : « unités terri -toriales de quartier », « patrouil-leurs », etc. Peut-on dire que l’ordrerépublicain est revenu dans lesquartiers sensibles que NicolasSarkozy voulait « passer au Kär-cher » ? Trop d’agitation nuit. Lapolice est, avant tout, affaire deprésence, de patience et de persé-vérance. L’élection de FrançoisHollande aura un effet pacifiantsur la société. Elle fera baisser lestensions. En recréant la confianceet l’amitié entre les citoyens, ellecontribuera à asseoir sur des basessaines une politique de sécuritépublique qui devrait faire consen-sus entre la gauche et la droite,pour peu que celle-ci veuille biencomprendre que derrière les pro-blèmes de sécurité, il y a toujoursun problème d’éducation. Les« sauvageons » – le terme désigne,en vieux français, des arbres nongreffés – ont d’abord besoin d’êtreredressés. Ce sera une œuvre col-lective, celle de la République enaction.

Propos recueillispar Éric MandonnetRédacteur en chef adjoint

de L’Express

NUMÉRO 441, MERCREDI 4 AVRIL 2012 L’HÉMICYCLE 3

Agora

JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENTSÉNATEUR DU TERRITOIRE DE BELFORT, ANCIEN MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

L’ancien ministre de l’Intérieur qui soutient aujourd’hui François Hollande affirme que le candidatsocialiste, s’il est élu Président, fera passer la fermeté avant la « culture de l’excuse ». Jean-PierreChevènement estime que l’agitation de Nicolas Sarkozy a nui à sa politique de sécurité.

«La lutte contre le terrorisme et toutes les insécurités est unetâche républicaine et donc une œuvre collective. Il n’y a pas dans

ces domaines une politique de gauche et une politique de droite »

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4 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 441, MERCREDI 4 AVRIL 2012

Plan large

L’Histoire ne se répète pas mais il luiarrive de bégayer. Comment en effetne pas penser, en écoutant Jean-LucMélenchon haranguer les foules,promettre le grand soir, pratiquer lasurenchère révolutionnaire et taclersans vergogne le représentant du PS,aux belles heures d’une époque passi lointaine où un certain GeorgesMarchais se payait François Mitterrandà longueur de tribune, sur l’air de « Jet’aime… moi non plus ». Il composerafinalement avec lui au nom du réa -lisme politique. On connaît la suite.Qui ne fut pas électoralement heureusepour les communistes. Mais c’est làune autre histoire. François Hollanden’avait sans doute pas prévu queM. Mélenchon ferait ainsi renaître àsa gauche le spectre de l’ancien leaderdu PCF. Considéré comme un petitcandidat inoffensif voilà quelquesmois, le leader du Front de gauche estdevenu un outsider avec qui il devientaujourd’hui nécessaire de compter,un trublion schismatique qui, tel unpitbull dans un jeu de quilles, obligeFrançois Hollande à refaire les plansde ses châteaux de cartes, et relativisesingulièrement la force d’une mainqui semblait pourtant pleine d’atouts.Le social-démocrate deloriste se rêvaitsans doute seul rassembleur d’uneFrance déçue du sarkozysme, il sevoyait vraisemblablement l’élu descentristes de deuxième tour, des classesmoyennes et populaires : le voilà dansle rôle du gentilhomme de progrès,politique modéré, contraint de com-poser avec un commissaire de la révo-lution, ami du peuple. Et confronté ausecond souffle du Président sortant.Les optimistes diront que le reportdes voix de gauche devrait lui êtrefavorable. D’aucuns imaginent mêmeM. Mélenchon céder tôt ou tard aufumet d’un plat de lentilles servi dansun ministère. Peu de chances. Ce n’estpas son mets favori. Pas assez saignant.On le verrait davantage faire des légis -latives à suivre son plat de résistance.Et pousser son avantage à l’Assembléenationale. À la tête d’un groupe desans-culottes. François Hollande adonc du souci à se faire. Contraintcomme d’autres avant lui de trouverla martingale qui fera de lui le plusgrand dénominateur commun del’électorat. On est toujours à la droitede quelqu’un. Pour l’avoir oublié,François Hollande va devoir, dans lessemaines qui viennent, démontrerqu’il n’a pas seulement les attitudesde François Mitterrand. Mais qu’il ena aussi les capacités de stratège.

L’opinionde Marc Tronchot

La guerredes roses

DR

Difficile de se réjouir des tue-ries de Toulouse. « MarineLe Pen va connaître une très

grande dynamique, maintenant ! »avait lâché Florian Philippot, direc-teur stratégique de la campagne deMarine Le Pen, le 25 mars, sur RadioFrance. Depuis, le ton a changé,et on prend soin désormais, au 64,boulevard Malesherbes (Paris VIIIe)– un appartement haussmanniende 200 m2 aux murs immaculés etmeublé Ikea, où la candidate fron-tiste a installé son QG –, de modé-rer son enthousiasme. « L’affaireMerah a été un tournant dans lacampagne, car elle a mis sur le devantde la scène, dans des circonstancesassez tragiques, des problématiquesqui avaient été occultées, comme l’is-lam radical ou le fondamentalisme »,avance prudemment Nicolas Bay,chargé de la communication élec-torale de la candidate. Mais l’espoirdu staff de Marine Le Pen est bel estbien celui-là : que les événements deToulouse, en remettant au cœur dela campagne les questions d’immi-gration et d’insécurité, permettentà la candidate du Front national,créditée de 13 à 17 % des intentionsde vote selon les instituts, de re -décoller. « C’est une préoccupationmajeure des Français, et on a une anté-riorité et une légitimité certaines sur cessujets », fait valoir Nicolas Bay.Jusque-là, la campagne présiden-tielle tournait autour des questionséconomiques et fiscales. Des thé-matiques que la candidate n’a paséludées, contrairement à son pèreJean-Marie Le Pen lors des précé-

dentes élections présidentielles.« Elle est présente dans le débat éco -nomique et social, ce qui est nouveaupour le Front national », souligneFlorian Philippot. Mais avec unbonheur inégal. Son discours enfaveur du protectionnisme est bienpassé, juge-t-on au QG. « Elle a ététrès entendue sur ce sujet, c’est làqu’elle a marqué le plus de points »,indique Philippot. Sa propositionde sortie de l’euro en revanche n’apas convaincu : « Sur le fond, elle aparfaitement raison, mais cela a étémal perçu », reconnaît Bruno Bilde,directeur de la communication. Lapolémique sur la viande halal aucontraire est jugée positivement :« Marine a réussi à imposer cethème », souligne, satisfait, BrunoBilde. Qui juge la campagne desa candidate « vraiment équilibréedepuis août 2011 », entre théma-tiques sécuritaires et économiques.« La phase de la dédiabolisation aparfai tement fonctionné, se réjouitBilde. Il faut entamer maintenantla phase de la crédibilité, sur les idées,mais aussi à travers les hommes,en montrant qu’on sait rassemblerau-delà des étiquettes. » La présencede l’avocat Gilbert Collard, porte-parole de la candidate, qui participeà certaines réunions informellesboulevard Malesherbes, ou de Ber-trand Dutheil de La Rochère,ancien proche de Jean-Pierre Che-vènement, qui a son bureau auQG, relève de cette phase.Dédiabolisation et crédibilisationsont les deux axes de la stratégie deMarine Le Pen depuis qu’elle a pris

la direction du Front national. Afind’en faire un jour un parti de gou-vernement. « La grande inconnue,c’est de savoir jusqu’où la dédiaboli-sation va élargir (ou non) son électorat,analyse l’ancien député européenFN Jean-Yves Le Gallou, théoriciende la préférence nationale, quianime désormais un think tanksur Internet et alimente en notesla candidate. Cela a été une bonnechose d’élargir la palette, mais aumoment du vote, le déterminant desélecteurs du Front national c’estl’immigration, qui impacte les autressujets comme le logement, l’emploi,l’école, etc. C’est cela qui les mobi-lise. » La dédiabolisation du FN apour conséquence une plus grandeprésence de Marine Le Pen dans lesmédias, ainsi que dans les cérémo-nies officielles. Mais cette banali -sation pourrait faire perdre auvote FN son aspect protestataire,que récupérerait alors Jean-LucMé lenchon, qui apparaît dans cettecampagne comme le candidat« révolutionnaire ». Yvan Blot, hautfonctionnaire, cofondateur du Clubde l’Horloge, ancien du FN, estime,dans un article publié sur le sitePolémia le 27 mars, que « la stra tégiediagonale » choisie par Marine LePen n’est pas la bonne : « La straté-gie diagonale postule que pour gagnerune élection, un candidat doit mobi -liser ses électeurs mais aussi essayerd’étendre son électorat aux dépens del’adversaire : un candidat de droite,comme Marine Le Pen, va donc vouloirse recentrer et emprunter des thèmesà la gauche : étatisme économique

ou au moins social-démocratie, laïci -té militante, critique du libéralismeéconomique, etc. », explique-t-il. Àl’opposé de la « stratégie de polari -sation, qui tient compte de la dyna-mique électorale, il faut mobiliser sesélecteurs par un discours offensif sansconcession, et ce discours entraînantpermet de mobiliser les abstention-nistes, d’où un élargissement réel del’électorat ». À ses yeux, Marine LePen, en choisissant la « pasteurisa-tion », aurait fait un « mauvais choixstratégique, qui trouble ses électeurs »,et qui expliquerait son niveaulimité dans les sondages.Il y a enfin la campagne elle-même. Marine Le Pen, « bête detélévision », se bat sur le front mé-diatique. Mais sur le terrain, lamobilisation militante est relati -vement faible. « Nous n’avons pasassez d’élus et de militants pour allerfaire du porte-à-porte », regrette unélu local. Sur Internet, l’équipe Web,forte de trois personnes installéesboulevard Malesherbes, ne peutpermettre à elle seule une trèsforte présence sur la Toile. Malgrétout, l’espoir que « Marine » soit ausecond tour existe encore au QG.« Je suis persuadé qu’elle fera plus de20 %, assure Bruno Bilde. Marineest un phénomène nouveau, que lessondeurs ont du mal à évaluer. Lesquinze derniers jours vont être déter-minants. » « Ses électeurs sont les plusmobilisés et les plus sûrs de leur choix,approuve Nicolas Bay. Elle peut créerla surprise. » Comme son père dixans plus tôt, mais avec une stratégiebien différente.

Au QG de Marine Le Pen

Entre la stratégie axée essentiellement sur l’immigration et la sécuritéet un discours plus ancré sur une économie tournée vers les exclus, MarineLe Pen a tenté le grand écart. Succès non garanti, au point que certains deses proches s’interrogent. Ils veulent encore croire au miracle, ou au moinsà la divine surprise le 22 avril.Par Nathalie Segaunes

François Hollande est-il nul ?C’est ce qu’aurait confiéNicolas Sarkozy à Philippe

Ridet, du Monde, dans un de cespropos « off » dont la caractéris-tique est qu’ils sont justementdestinés à être publiés. C’est celuiqui le dit qui l’est, a en substancerépondu le candidat socialiste.Le Président n’a pas pu dire unechose pareille, s’est exclamé Henri

Guaino, qui ne veut pas sous- estimer l’adversaire. Si NicolasSarkozy vient à gagner, quel mé-rite aurait-il à battre un nul ?Et s’il gagnait, justement ? C’estla question de la semaine, tant ladynamique de campagne sembleêtre passée de gauche à droite.François Hollande, du coup, meten garde contre l’abstention, sur-jouant sa crainte d’un nouveau

21-Avril et appelant à la mobilisa-tion au premier tour.Pour gagner, Hollande devra mon-trer qu’il veut vraiment être « chef »,comme dit Sarkozy, et récupérer le6 mai les voix de Jean-Luc Mélen-chon, car ce ne sont pas les petitspourcentages écologistes qui ferontla différence. Eva Joly l’a remarqué,en faisant à Talence un inhabituelmea-culpa : oui, elle est parfois

« mau vaise » et sa « petite voix »n’est pas toujours entendue. Em-porté par cet élan de repentance,Noël Mamère a dans la foulée re-gretté d’avoir dit du mal d’Eva Joly.Chez les écolos, seul Daniel Cohn-Bendit ne se frappe pas la poitrine.Oui, il « s’emmerde » dans cettecam pagne et aurait voulu que çase termine dimanche. Lui aussi doitcrain dre l’abstention du 22 avril.

Les mots de la semaine Par Béatrice Houchard

Nul, dynamique, abstention, mea-culpa, s’emmerder

Au diable la dédiabolisation !

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NUMÉRO 441, MERCREDI 4 AVRIL 2012 L’HÉMICYCLE 5

Àmaintenant trois semainesdu premier tour, les dynami -ques de campagne se font

plus nettement sentir. Jean-LucMélenchon, comme nous l’indi-quions il y a quinze jours, poursuitce qui s’apparente bien à une vérita-ble dynamique : il se situe mainte-nant à 14,5 % des intentions de vote,sans qu’aucun indicateur ne permettede dire à ce jour si ce mouvement varégresser, se stabiliser ou encore s’am-plifier. Sa popularité progresse éga -lement significativement : 45 % debonnes opinions, + 11 points, avec

notamment deux points forts : « ades convictions » (78 %) et « dyna-mique » (68 %). Même si sa statureprésidentielle reste faible (31 % oui,69 % non), le leader du Front degauche est en passe de réussir deuxde ses objectifs : être le 3e homme,devant Marine Le Pen et FrançoisBayrou, et s’imposer comme l’unedes clés du second tour.

Poussée de la

gauche radicale

Corrélativement, François Hollandecontinue de baisser : avec 27,5 %des intentions de vote, il est main -tenant et pour la première foisdans notre baromètre clairement

derrière Nicolas Sarkozy (29,5 %).Le candidat du PS ne parvientdonc pas à relancer sa campagneet à endiguer la poussée de lagauche radicale. Sa popularité nebaisse que légèrement (52 % debonnes opinions, - 3 points), toutcomme la plupart de ses itemsd’image, mais cette érosion estcontinue. Face à un Nicolas Sar-kozy requinqué, le candidat duPS est confronté à deux difficultésmajeures : sur ses propositions, ilapparaît trop en deçà de la radica-lité de Jean-Luc Mélenchon et ne

peut aller sur son terrain s’il veutpréserver sa crédibilité. Sur sa per-sonne, il semble moins fort que

ses concurrents ou adversaires. Or,l’énergie, le dynamisme sont pré-cisément des items d’image surlesquels Jean-Luc Mélenchon etNicolas Sarkozy ont clairementl’avantage : 45 % des Français

pensent que François Hollandeest dynamique, 68 % pour Jean-Luc Mélenchon et 76 % pour Ni-colas Sarkozy. Naturellement, lecontexte s’y prête aussi. Avec Tou-louse et la menace terroriste, lespréoccupations des Français n’ontcertes pas basculé et restent cen-trées sur des thèmes comme l’em-ploi et le pouvoir d’achat mais lethème de la menace et des « loupsqui rôdent » a ressurgi. On se sou-vient en effet que G. W. Bush avaitfait produire ce film de campagnemontrant des loups qui n’avaient

pas disparu, prêts à s’attaquer auxÉtats-Unis pour mieux soulignerles supposées faiblesses de J. Kerry.

Mohamed Merah et les islamistesrécemment arrêtés viennent réac-tiver ce thème du danger et de lanécessaire force dans un mondedangereux. Or, en identifiant laprésence de réseaux dormants et

d’attentats en préparation, onpro longe et on dépasse la brutalitéinouïe de ce qui aurait pu resterun fait circonscrit dans le temps,voué à s’atténuer.

Point haut

d’un rééquilibrage

attendu

Nicolas Sarkozy enfin progressenettement. Avec 29,5 % des in-tentions de vote, il se situe au-jourd’hui dans une zone nouvelle,

au point haut d’un rééquilibrageattendu dans la zone des 28 % /29 %. Cette progression se fait àpart égale au détriment de MarineLe Pen (14 %) et de François Bay-rou (10 %), tous deux en baisse.Les entretiens qualitatifs réalisésauprès des changeurs montrentque les électeurs de Marine Le Penqui se rallient aujourd’hui auPrésident sortant le font parcequ’ils voient en lui un rempartplus solide que la candidate duFN pour lutter contre l’insécuritéet l’immi gration. On retrouveici l’idée de force, voire de virilité,et la difficulté sans doute plusgrande qu’a une femme à incar-ner de telles valeurs dans un élec-torat très masculin. Parallèlement,les électeurs qui passent de Fran-çois Bayrou à Nicolas Sarkozysont également sensibles authème de la sécurité mais aussi àune posture de chef qui défendson bilan bec et ongles.* Le Prési-dent sortant est donc toujourslesté d’un bilan très majoritaire-ment perçu comme négatif (63 %)et son image est toujours mau-vaise (41 % de bonnes opinions,58 % de mauvaises) mais elles’améliore de 3 points.

Un bloc des

gauches très haut

Dans ce contexte, la volatilité dupre mier tour est extrême au seindes grandes familles politiques et,au lieu d’évoluer vers une cristal -lisation, a tendance à s’accentuer.Elle est en revanche beaucoup plusstable quand on raisonne par bloc,que ce soit au premier ou au secondtour. Au premier tour en effet, lagau che a tendance à progresser età se situer à un niveau particulière-ment élevé : 45 % des intentions de

vote. Au second tour, François Hol-lande continue à être invariable-ment donné comme vainqueur,dans une zone centrée autour de54 %. Nicolas Sarkozy a donc pourl’instant considérablement amé-lioré son premier tour et un peuson image. Il n’a pas, ou pas en-core, déverrouillé le second. Certes,on constate une amélioration desmatrices de reports des électeurs deFrançois Bayrou et de Marine Le Penen faveur du président sortant. Maisplus on atteint le cœur de l’électoratdu MoDem et du FN et plus chaquenouveau point est par définitiondifficile à conquérir. Le match n’estdonc joué ni pour François Hol-lande, qui conserve l’avantage, nipour Nicolas Sarkozy, en phase dereconquête, mais cela est déjà uneévolution significative.

* Études « Présidoscopie » réalisées parIpsos pour Le Cevipof, la Fondapol, laFondation Jean-Jaurès et Le Monde.

Il s’agit d’un panel de 6 000 électeursréinterrogés régulièrement et permettantd’identifier les « changeurs ». Des entretiens

qualitatifs auprès de ces personnes quichangent d’intention de vote ou

de niveau de mobilisation permettentde mieux en comprendre les raisons.

À campagne floue, photo floueLa mobilité électorale au premier tour, au lieu de s’atténuer, s’accentue et la photo est loin d’êtrecristallisée même si les intentions de vote pour le second tour restent relativement stables.C’est l’apparent paradoxe de l’avant-dernière ligne droite.Par Brice Teinturier

Analyse

Jean-Luc Mélenchon, en meeting à Grigny, le 1er avril. Le candidat du Front de gauche connaît-il un picdans les sondages avant de redescendre ou peut-il encore progresser pour dépasser les 15 % le 22 avril ?

«LA PROGRESSION DENICOLAS SARKOZY

SE FAIT À PART ÉGALE AUDÉTRIMENT DE MARINE LE PENET DE FRANÇOIS BAYROU »

«JEAN-LUC MÉLENCHONEST EN PASSE DE RÉUSSIR

DEUX DE SES OBJECTIFS : ÊTRELE TROISIÈME ET S’IMPOSERCOMME L’UNE DES CLÉSDU SECOND TOUR »

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6 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 441, MERCREDI 4 AVRIL 2012

Par Michèle Cotta

Cahiers de campagneLundi 26 marsTrès tôt, ce matin, Nicolas Sarkozy,continuant son marathon audio -visuel sur France Inter. Le terrain dela sécurité, il le sait, est un terrainsur lequel il se sent à l’aise, mêmesi, depuis son arrivée au ministèrede l’Intérieur, il y a dix ans, lesproblèmes restent les mêmes et lessolutions, toujours temporaires. LePrésident-candidat – là, ce sont lesdeux qui parlent – réaffirme sonintention de considérer commeun délit la fréquentation des sitesInternet proches du fondamenta -lisme et de surveiller de plus près,et d’éventuellement les condam -ner pénalement, les voyageurs quise découvrent une passion pourles séjours en Afghanistan ou dansles zones tribales. Ce qui ne l’em-pêche pas de s’élever contre lespo lémiques naissantes, alimentéespar ses adversaires, sur les rapportsentre Mohamed Merah et les ser -vices de renseignement.Pour le reste, il se félicite, dans uneformule légèrement obscure, « de

la baisse tendancielle de l’augmen-tation » du chômage. Traduction :le chômage continue d’augmentermais un peu moins que le tri -mestre précédent. À noter que lePrésident, qui a des sources quele candidat n’a pas, ne peut pass’empêcher d’annoncer, avantqu’ils soient rendus publics, cessacro-saints chiffres du chômage.Quelqu’un qui compte bien ap-puyer sa campagne sur le dramede Toulouse, c’est bien en effetMarine Le Pen, dont le lieutenant- directeur stratégique Florian Phi -lippot a ingénument avoué, hier,

qu’elle allait sans doute connaîtreune « très grande dynamique, main-tenant ». Dynamique que, juste-ment, Nicolas Sarkozy entendbriser à son profit. Un mot surFlorian Philippot, nouveau venu,depuis quelques semaines déjà,autour de Marine Le Pen : énarqueet HEC, il incarne la générationMarine Le Pen, dont le mouvementse veut moins tribunitien, moinspopulaire, plus crédible que leFront national de papa. En atten-dant, il découvre aujourd’hui lesvieilles recettes du Front national :le sécuritaire est une valeur plussûre, pour gagner des électeurs,que le plaidoyer, récurrent endébut de campagne de la candi-date FN, en faveur de la sortie del’euro. Allons-y pour le sécuritaire.Face à la revendication sécuri-taire, justement, François Hol-lande sent bien qu’après lademi-trêve de la semaine dernièreil doit à la fois ne pas esquiver laquestion, et en même tempsreprendre le plus vite possible sa

campagne tranquille. Il s’en sorten réaffirmant, comme il l’a faiten Corse la semaine der nière, quele bilan du candidat Sar kozy, encharge de ses problèmes depuis dixans, est en la matière décevant,que mieux vaut appliquer la loique d’en faire voter une nouvelletoutes les fois qu’un drame nou-veau défraie la chronique.Depuis le début de la campagne,l’atmosphère du QG socialiste n’apas changé. Une grande place, aurez-de-chaussée, y est tenue parles responsables des contacts parInternet avec les Français. À l’éta ge,

où Pierre Moscovici occupe le bu-reau voisin de celui de Hollande,pas de désordre, un calme presquesurprenant, à trois semaines del’élection. Pas d’inquiétude mani -festée autour des sondages, atten-dus dans les jours qui viennent.

Mardi 27 marsSondage Ipsos pour le Monde :l’érosion lente et continue de Hol-lande se confirme. L’effet Tou lousene se fait pas, ou pas encore sentir.À noter une phrase de NicolasSarkozy dans Ouest France : « Jepense que nous sommes sortis dela crise financière, que la confiancerevient et que nous sommes en phasede reprise économique. » Si ce ne sontpas des propos de campagne, celay ressemble bigrement. D’autantque l’Espagne entre à nouveau dansla tourmente monétaire : le déficitpublic ne devait être qu’à 6 %, ilest aujourd’hui à 8. Finie, la crisefinancière européenne ? Pas àMadrid en tout cas.

Mercredi 28 marsFrançois Hollande à Europe 1. Savoix est voilée, presque enrouée.Signe que les meetings, commen -cés depuis l’automne dernier, ontfait leur effet. Après de longuesminutes passées sur les forces depolice, qui selon lui ont fait unbon travail, et les services de ren-seignement, pour lesquels c’estmoins sûr, le candidat socialisterevient en quelques phrases surson programme, et répète la né-cessité d’ajouter un volet sur lacroissance au traité européen queviennent tout juste de signerNicolas Sarkozy et Angela Merkel.La montée de Jean-Luc Mélenchonsemble, en cet instant, ne pas luifaire problème, à cette nuance, detaille, près que François Hollandeest convaincu qu’il lui faut, pourcréer la dynamique du secondtour, être largement avant le lea -der du Front de gauche au pre-mier. « Le premier tour, dit-il, estdécisif. » On ne lui en tirera pas da-vantage sur Jean-Luc Mélenchon.

Jeudi 29 marsÀ l’aube, sur tout le territoire, rafledans les milieux islamiques radi-caux. D’autres opérations sont an-noncées à la radio par le présidentde la République dans les joursqui viennent, opérations renduesnécessaires par le traumatismecréé dans le pays par le drame deToulouse, dit-il, qu’il compare àcelui du 11-Septembre aux États-Unis.La proximité de l’élection n’estpas non plus pour rien dans les

arrestations dans les milieux ra -dicaux. Car après tout, ils étaientlà, depuis longtemps sur le solfrançais, ces prédicateurs. On neles en a chassés qu’aujourd’hui.

Dès le matin, avec l’interventionde Nicolas Sarkozy, tout sucre toutmiel, c’est pour une autre raisonque le Président est sur un petitnuage. L’Insee vient de publier seschiffres sur le déficit de la France,passé à 5,2 % cette année au lieudes 5,4. Pas de récession en France,pas de baisse de pouvoir d’achat,souligne le Président. Il est vraiqu’un autre chiffre, celui de la dette,n’est pas évoqué : elle est, en dé -cembre 2011, avec 1 717 milliards,soit 85,8 % de la richesse natio -nale, à son niveau le plus élevé.De quoi faire réfléchir le Présidentsur son petit nuage.Pourtant, la suite de la journée leprouve, Nicolas Sarkozy penseau jourd’hui que la dynamique estde son côté, la crise étant derrièrelui, d’autant que les sondagesmontrent coup sur coup que lecandidat-Président, et non plusFrançois Hollande, est en tête aupremier tour. D’un demi à quatrepoints, selon les sondages : assezpour que l’espoir change de camp.Autour de François Hollande, ledébat s’ouvre. Le candidat socia -liste doit-il changer de stratégie, semontrer plus agressif à l’égard deNicolas Sarkozy, qui ne renoncejamais à rien et dont la violenceà l’égard du candidat socialistese renforce de jour en jour ?Le candidat tranche : ce serontses lieutenants, et non pas lui, qui

changeront de ton. Pas lui, qui nerenoncera pas à sa campagne plusronde, plus œcuménique : FrançoisHollande pense que ce serait unefaute de tenter, aujourd’hui, trois

semaines avant le scrutin, dechanger son image. On verra le22 avril s’il a eu raison. En toutcas, c’est son choix et sa respon -sabilité : « Il n’y a pas de bonne oude mauvaise stratégie, avait cou-tume de dire François Mitterrand,il n’y en a qu’une, celle qui gagne. »

Dimanche 1er avrilIl est une chose sur laquelle lesson dages sont concordants : c’estsur la montée de Jean-Luc Mélen-chon. Celle-ci embarrasse d’abordet surtout la gauche : il semblequ’une compétition de naturepersonnelle se soit installée entreFrançois Hollande et le leaderdu Front de gauche. Au début dela campagne, il ne s’agissait qued’un petit parti, satellite, quoique plus à gauche, du Parti socia -liste. Aujourd’hui, le voilà créditéde 15 % des voix. C’est-à-diredoté d’une vraie force de persua-sion vis-à-vis de ses partenairesde la gauche. Capable aussi dedétourner de la gauche, au se -cond tour, ceux des centris tes quis’apprêtaient à voter pour elle.François Hollande, depuis l’île deLa Réunion, appelle au vote utiledès le premier tour.Au milieu de ces courbes qui sefont et se défont, une certitude :l’élection n’est pas encore faite, etles électeurs plus indéterminésqu’il n’y paraît.

Plan large

Florian Philippot au côté de Marine Le Pen. Le directeurstratégique de la candidate incarne la nouvelle génération d’unmouvement qui se veut moins tribunitien, moins populaire,plus crédible que le Front national de papa. PHOTO JOËL SAGET/AFP

Arrestation du leader de Forsane Alizza Mohammed Achamlane,le 30 mars. « La proximité de l’élection n’est pas pour rien dansces arrestations qui ont lieu opportunément quelques jours aprèsles tueries de Toulouse et de Montauban. » PHOTO JEAN-SÉBASTIEN ÉVRARD/AFP

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Page 7: l'Hémicycle - #441

En France, en 2010, 11 mil-lions de personnes, soit 17 %de la population, ont été

hospitalisées en court séjour enmédecine, chirurgie ou obstétrique.Au total, cela représente 16 millionsde séjours, certaines personnesayant été hospitalisées plusieursfois dans l’année. La moitié despatients ont été accueillis à moinsde vingt et une minutes de leurdomicile, un quart à moins de onzeminutes et un quart à plus de

trente-sept minutes. Les principalesactivités hospitalières ont étéclassées par l’Insee en trente spé-cialités. Certaines sont relative -ment courantes et représentent unnombre important de séjours. C’estle cas notamment de la chirurgieorthopédique, des endoscopies di -gestives, de la cardiologie et de lapédiatrie médicale, avec pour cha-cune d’entre elles plus d’un millionde séjours. À l’opposé, les soins auxgrands brûlés, l’assistance médicaleà la procréation et les chirurgiesthoraciques, vasculaires et infantilescorrespondent chacune à moinsde 100 000 séjours.

Des trajets plus courts pour lesinterventions les plus fréquentesLe temps nécessaire à un patientpour se rendre de son domicile àun établissement de santé est gé -néralement plus court pour lespathologies les plus fréquentes. Ilest vrai que celles-ci peuvent êtreprises en charge dans davantaged’établissements que les patho -logies inhabituelles, qui exigentsouvent le déplacement dans unétablissement de pointe. Parmiles séjours nécessitant des tempsde trajet médian figurent lesaccouchements, au nombre de820 000 en 2010 : la moitié des pa -tientes ont mis moins de dix-sept

minutes pour se rendre à l’hôpi-tal. Seules six pathologies, tota -lisant moins de 500 000 séjours,requièrent actuellement en Francedes temps de trajet plus élevés. Del’ordre de trente minutes pour lachirurgie thoracique et vasculaire,trente-trois minutes pour la neuro -chirurgie, la chirurgie cardiaqueet l’assistance médicale à la pro-création, et enfin cinquante-cinqminutes pour les soins aux grandsbrûlés. Ces temps correspondent

à des trajets effectués par la route,mais ils peuvent par ailleurs êtreréduits grâce au transport héli-porté, dans le cas où un patientréside loin de l’établissement de-vant l’accueillir.

Des disparités dans l’accèsaux soins selon les territoiresL’ensemble de ces données peutparaître rassurant, dès lors quechaque Français à un accès rapideaux soins, sans devoir trops’éloigner du domicile. Mais tou -tefois l’Insee constate que les ré-gions ne sont pas toutes logées àla même enseigne. Il est clair quevivre à Paris permet d’être plusrapidement pris en charge parun service hospitalier, ce qui pourcertaines pathologies offre unechance de survie plus importante.L’étude montre en effet que desdisparités existent. Ainsi, « 16 ter-ritoires – plus ruraux – se carac-térisent par un temps d’accèsmédian supérieur ou égal à trenteminutes ». C’est le cas par exemplede la Corse, des Deux-Sèvres, de laDordogne, de l’Ariège, du Lot, del’Indre et de la Lozère.Pour deux territoires, « le Gers et lesAlpes-de-Haute-Provence, le tempsmédian nécessaire aux patientspour se rendre à l’hôpital est mêmesupérieur à quarante mi nutes ».

Selon les auteurs de l’étude, cesécarts entre territoires de santé« peuvent notamment s’expliquerpar les disparités dans l’offre desoins ». Aussi ont-ils examiné cetteoffre en mesurant la densité delits de court séjour par habitant.Cette densité est « de 40 lits pour

10 000 habitants au niveau na-tional, et elle varie de 19 à 73 litsselon le territoire de santé. Lesterritoires les mieux pourvus sontla Côte-d’Or, le Cantal, la Meur-the-et-Moselle, Paris, et les terri-toires de Strasbourg et de Flandreintérieure : tous comptent plus

de 50 lits de court séjour pour10 000 habitants ». À l’inverse,« l’ouest de l’Oise, la Vendée,les Landes, la grande couronnede l’Île-de-France, la Haute-Loire,la Dordogne, le Lot et l’Ariège fi -gurent parmi les moins biendotés ».

NUMÉRO 441, MERCREDI 4 AVRIL 2012 L’HÉMICYCLE 7

L’inégalité n’est pas qu’affaire d’argentÀ l’hôpital

Pour réduire le déficit de la Sécurité sociale, la carte hospitalière est régulièrement modifiée.Ce qui a pour conséquence de rendre inégal l’accès aux soins selon les régions. Un rapport del’Insee indique que, pour une hospitalisation en court séjour, la moitié des patients sont accueillisà moins de vingt minutes de leur domicile. Mais d’un territoire de santé à l’autre, les temps detrajet sont très variables et peuvent être bien supérieurs à la moyenne nationale.Par Joël Genard

Source : Etude d’audience AudiPresse/One 2011 (cible Ensemble LNM)

20 MINUTES 4 280 00O LECTEURSMETRO

DIRECT MATIN

LE PARISIEN AEF

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N 1 DE LA PRESSE QUOTIDIENNE NATIONALE

Expertise

«EN URGENCE, LE TEMPS DETRAJET DOMICILE-HÔPITAL

EST UN ÉLÉMENTDÉTERMINANT DE LA SURVIE »

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Facteur de développementlocal et d’attractivité desterritoires, le numérique est

l’un des axes du Programme d’in-vestissements d’avenir (PIA) lancépar l’État. Au total, 900 millionsd’euros ont été annoncés par leGouvernement pour accompagner,via la création du Fonds nationalpour la société numérique (FSN),les projets de réseaux numériquespublics portés par les collectivitésterritoriales. Premiers bénéficiaires,la Bretagne et la Haute-Marne re -joignent l’Auvergne et la Manchedans le cadre du Programme natio-nal très haut débit (THD) lancé en2010, et désormais opérationnel.À la pointe de l’innovation, le dé-partement de Basse-Normandie,par l’intermédiaire de son syndicatmixte Manche Numérique, ambi-tionne ainsi une couverture totalede son territoire dès 2015, contre2025 pour l’ensemble de l’Hexa-gone. Le projet, d’un coût de85 millions d’euros, fait l’objetd’un cofinancement public-privé.Après un premier soutien de l’Étatde 18,5 millions d’euros, la Manche

va solliciter des aides financières dela région, de l’Europe, du conseilgénéral et des communautés decommunes.

Une première conventionnationale en AuvergneEn Bretagne, les ministres del’Aménagement du territoire et del’Économie numérique ont présen -té un accord de principe de l’Étatpour cofinancer le projet local« très haut débit » à hauteur de66 millions d’euros. Mis sur piedpar les collectivités territoriales, leprogramme prévoit le déploiementde 185000 lignes en fibre optiquejusqu’à l’abonné, dont la moitiéen zone rurale. Il complète les pro-jets des opérateurs privés des prin-cipales agglomérations bretonnes.

À terme, 875000 abonnés serontraccordés, soit 53 % des abonnésrégionaux. Le dispositif inclut parailleurs un volet « Montée vers letrès haut débit », qui permettrad’améliorer les débits de plus de50000 lignes existantes.

« Le haut débit est vital pour notreterritoire », rappelle René Souchon,président (PS) de la région Au-vergne. Soucieuse d’éviter une frac-ture « réseau des villes, réseau deschamps », ou encore sociale etgénérationnelle, la région a signéavec les collectivités locales, l’Étatet Orange la première conventionnationale pour l’essor du très hautdébit. Le périmètre des investisse-ments privés, réalisés sur les fondspropres de France Télécom, seranotamment précisé afin « d’optimi-ser l’articulation des investissementspublics et privés dans un contexte na-tional de maîtrise forte des dépenses ».La convention va également pro-poser « un outil de dialogue et departage d’informations » permettantainsi aux collectivités territoriales

d’accompagner le développementdes réseaux. « Dans le contexte éco-nomique actuel, elle est une étapedécisive et concrète d’un déploiementintelligent », souligne StéphaneRichard, président de France Télé-com. « Cela montre bien la nécessi -té de travailler en complémentaritéentre les investissements privés et pu-blics. C’est un défi pour notre indus-trie et notre pays. » Plus inattendu,l’accord avec ERDF dans le cadred’un partenariat public-privé (PPP)prévoit, en Auvergne, la mise àdisposition des infrastructures dudistributeur d’électricité pour fairepasser la fibre optique. Grâce aumaillage du territoire, l’initiativepermettra d’apporter à moindrecoût la fibre dans les zones lesmoins denses des quatre départe-ments de la région. La présenced’ERDF garantit également unecontinuité du service, puisque legestionnaire de réseaux électriquesoffre la possibilité de mutualiser lamaintenance préventive et d’inter-venir en cas de panne sur la fibreoptique.

Les élus fustigent la lenteurdu déploiementDu côté des opérateurs, après lesaccords avec SFR et Free, le par -tenariat conclu par Orange avecBouygues Télécom pour déployer

la fibre optique, en ville et dansles zones peu peuplées, permet decoordonner la mise en chantierdes réseaux. Ministre de l’Industrie,Éric Besson a rappelé qu’il avait« fixé l’objectif en juillet dernier queles quatre principaux opérateurs co-investiraient dans le déploiement de lafibre dans les zones les moins densesdu territoire ».Pour les Associations des régionset des départements de France,le scepticisme demeure pourtant,mal gré l’adoption en premièrelecture cet hiver par les sénateursde la proposition de loi visant àrééquilibrer les rapports de forceentre les opérateurs et les collecti-vités. « On demande aux collectivitésd’intervenir mais à aucun momentnous n’avons été consultés sur un mo-dèle [de déploiement de la fibre] quenous finançons. Paris décide, ne paiepas ou pratiquement pas, fixe un sys-tème qui n’organise pas la péréquationet nous demande à nous, collectivités,de financer », déplore Alain Rousset,président (PS) de l’ARF. Des élus quifustigent par ailleurs la lenteur dudéploiement.« Les mesures d’aides de l’État pourpasser au très haut débit sontbienvenues, tant la France, commel’Union européenne en général, esten train de prendre du retard surles pays les plus avancés », note

néanmoins Yves Rome, présidentde l’association des villes et colle -ctivités pour les communicationsélectroniques et l’audiovisuel(Avicca), qui estime que le tissagene se réalise pas au rythme prévu.Un pessimisme partagé par lesindustriels de la fibre optique, endépit des initiatives locales re-layées par les opérateurs indé -pendants, à l’image de Tutor SA,désigné pour construire et exploi-ter le futur réseau des 705 com-munes du Calvados dans le cadred’une délégation de service public(DSP) de vingt-cinq ans, ou deNeo Télécoms. « Notre objectif estde devenir le premier opérateurmultirégional pour le très haut débit,et d’avoir une offre de réseaux ho-mogène et consolidée qui couvre lesgrandes régions de France », indiqueson directeur, Florian Du Boys.Malgré 5,8 millions de foyersraccordables à la fibre fin 2011, laFrance affiche un taux de péné -tration limité à environ 10 %,quand la moyenne européennes’élève à 18 %, contre 35 % auxÉtats-Unis et 40 % au Japon. PourPierre Louette, directeur d’Orange,« Après une année 2011 consacrée aucadre réglementaire et à la conclusiond’accords, 2012 et les années qui sui-vent seront des années d’exécution. »

Ludovic Bellanger

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Initiatives

Face aux inquiétudes des élus locaux, l’État a débloqué une première enveloppe de 72 millionsd’euros en faveur du déploiement des réseaux numériques publics en Bretagne et en Haute-Marne. À quelques semaines de la présidentielle, le challenge technique de la fibre optiqueest devenu un enjeu politique.

Les élus pris dans la toilede la fibre optique

Éric Besson. Le ministre de l’Industrie a demandé aux quatreopérateurs téléphoniques de participer ensemble au déploiementde la fibre optique. PHOTO FRED DUFOUR/AFP

Alain Rousset. Le président PS de la région Aquitaine regretteque les collectivités locales, qui doivent financer le développement desréseaux numériques, n’aient pas été consultées par le Gouvernementsur ce projet industriel. PHOTO PIERRE ANDRIEU/AFP

«LE HAUT DÉBIT EST VITALPOUR NOTRE TERRITOIRE »

René Souchon, président PS de la région Auvergne

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Après les tramways, les bi cy-clettes et les navettes flu-viales, les villes conju guent

désormais les déplacements« doux » au téléphérique urbain.En Bretagne, après avoir étudiéla construction d’un pont trans -bordeur ou encore de passerelleslevantes, Brest a présenté son pro-jet de liaison aérienne par câble.Destiné à relier la rive gauche dela ville au futur quartier des Capu-cins, le nouveau mode de dépla-cement couvrira une distance de410 m au-dessus de la Penfeld. Lesdeux trains, équipés de trois ca -bines transparentes d’une capacitéde 20 places, transporteront lespassagers toutes les trois minutes,pour une durée de trajet d’envi-ron une minute. Un même ticketpermettra d’utiliser le bus, le télé-phérique et le tramway, dont lamise en service est attendue pourl’été prochain. Outre son aspectfonctionnel, Brest compte faire deson téléphérique urbain, attendupour 2015, un nouvel atout touris -tique permettant de découvrir laville sous de nouveaux angles.

Un téléphérique entre Grenobleet Lans-en-VercorsDe son côté, la communauté d’ag-glomération de Grenoble-AlpesMétropole a dévoilé les premièreslignes de son futur téléphériquedestiné à relier la ville au massifdu Vercors. « Nous avons un avant-projet qui montre que c’est faisable.Nous envisageons une mise en ser -vice pour la fin 2014, sous réservequ’il n’y ait pas cinquante recours

[devant les tribunaux] », annonceMarc Baïetto, président de la com-munauté d’agglomération.Développé pour réduire le traficroutier vers la montagne, le télé-phérique doit relier Lans-en-Vercors (Isère) à Fontaine, dansl’agglomération grenobloise, en

vingt-neuf minutes. Sa capacitésera de 2400 personnes par heure,pour une vitesse de 20 km/h. Lestélécabines graviront un dénivelépositif de 1380 mètres, sur unedistance de 10 km.Évaluée à près de 50 millionsd’euros, sa construction sera fi-

nancée entièrement par le privé.« Les finances des collectivités lo-cales sont ce qu’elles sont. Il y auraun appel à candidatures pour recru -ter un opérateur privé candidat à laconstruction », indique encore MarcBaïetto qui espère un début destravaux d’ici un an. L.B.

Initié par la Fondation Agircontre l’exclusion (Face), le pro-gramme « facealemploi.tv »

présenté à Saint-Denis constituela première plate-forme numériquenationale pour l’emploi des jeunesissus des quartiers populaires. Undispositif innovant qui s’accom-pagne du lancement du curriculumvitae vidéo. Déjà adopté aux États-Unis et au Canada, il se pose comme« Un outil efficace contre les discrim i -

nations à l’embauche », espèrent sescréateurs. Une approche destinéeà supplanter le CV papier ano-nyme, dont l’expérience reste peuconvaincante. « On pensait quel’anonymat faciliterait la diversité etl’employabilité des jeunes des quartiersles plus populaires, alors que le CVvidéo permet justement de sortir del’anonymat. Je crois vraiment qu’ilva jouer son rôle », observe MauriceLeroy, ministre de la Ville.

« Une démarche pionnière »Quatre mille entreprises parte-naires de la Fondation tenterontl’expérience dès ce printemps.Une démarche destinée à favori-ser l’insertion durable dans l’em-ploi des jeunes des quartiers po -pulaires. Cette expérimentationconcernera cette année 1 500jeunes issus de six quartiers prio-ritaires de Dijon, Dreux, Meaux,Mulhouse, Paris et Rennes.

Ministre du travail, Xavier Ber-trand estime que « le CV vidéopermet de montrer sa motivation,sa détermination bien mieux quele CV traditionnel. Grâce à cetteexpérimentation, on peut espérer unchangement de regard des entre-prises sur les jeunes des quartiersprioritaires. » Il ajoute : « Le CVvidéo est une démarche pionnière.Elle se généralisera : c’est l’avenir. »

L.B.

Le téléphérique urbain séduitles villes françaises

Six villes testent le CV vidéo

MARSEILLE-FRANCFORTEN TGV�Associées au sein de leur filiale communeAlleo, la Deutsche Bahn et la SNCF ontinauguré la première liaison directeMarseille-Francfort. La connexion, quiemprunte la nouvelle ligne à grande vitesse(LGV) Rhin-Rhône, réduit le temps deparcours à sept heures et quarante-cinqminutes. Une ouverture qui marque « unenouvelle étape de la coopération » entre lesdeux entreprises ferroviaires, estime BarbaraDalibard, directrice générale de SNCF Voyages.

FEU VERT À LA FUSION DESDÉPARTEMENTS ALSACIENS� L’État a donné son accord à la créationdu conseil unique d’Alsace. Le projet, portépar Philippe Richert, président (UMP) duconseil régional alsacien, doit rassemblerà terme les deux conseils générauxet le conseil régional. Une commissionva désormais définir des propositionsquant au mode d’organisation, defonctionnement, de gouvernance et auxcompétences de la future assemblée.Le projet devra être validé par unréférendum local fin 2012, ou début 2013.

106 COLLECTIVITÉS« AGENDA 21 LOCAL » EN 2011�Vingt ans après avoir été adopté ausommet de la Terre à Rio, l’Agenda 21 localest devenu un véritable outil de gestiondurable au service des collectivités et desterritoires. En 2011, le ministère de l’Écologiea distingué 106 nouveaux territoires« Agenda 21 local France ». Aujourd’hui,304 collectivités et territoires sont reconnuset près de 850 collectivités sont désormaisengagées dans une telle démarche. Le labelmarque la volonté d’intégrer aux projetslocaux toutes les composantes dudéveloppement durable, en conciliantles exigences économiques, socialeset environnementales.

À NICE, LA GUERRE DULOW-COST FAIT RAGE�Vingt-quatre heures avant l’inaugurationde la seconde base régionale Air France surla Côte d’Azur, EasyJet a présenté fin marsses deux nouvelles entités provinciales,à Nice et Toulouse, en complément de Lyon.La régionalisation est une nouvelle tendancepour les compagnies, qui, en postant avionset équipages en province, entendent réduireleurs coûts. Le Syndicat national des pilotesde lignes (SNPL) a d’ailleurs fustigé lacompagnie, prise « une fois de plus la maindans le sac du dumping social ».

LES COLLECTIVITÉS AU CŒURDE L’INITIATIVE CITOYENNEEUROPÉENNE�Entrée en vigueur au 1er avril, l’initiativecitoyenne européenne (ICE) constitue l’unedes principales innovations du traité deLisbonne. Elle permet à tout groupe d’aumoins un million de citoyens européens desaisir la Commission européenne. Pour SoniaMasini, porte-parole du Comité des régions(CdR), « la participation des collectivitéslocales et régionales sera cruciale pourgarantir le succès de l’ICE. Elles sontdirectement concernées par les instrumentsde démocratie directe et participative quipermettent aux citoyens d’influencer ladéfinition des priorités de l’UE. »

En bref

Dans la lignée de Londres et de Barcelone, Brest et Grenoble ont dévoiléleur projet de liaisons aériennes par câble.

Afin de favoriser l’insertion des jeunes, six quartiers de Paris et de provinceexpérimenteront dès le printemps le CV vidéo.

Grenoble, qui a décidé de relier par un téléphérique la ville au massif du Vercors, utilise ce mode detransport depuis très longtemps déjà. En photo, le téléphérique de Grenoble-Bastille, en service depuis 1934.PHOTO JEAN-PIERRE CLATOT/AFP

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Votre proposition d’interdireles expulsions locativesne s’apparente-t-elle pas àune mesure contre les bailleurs ?

Ce n’est pas une mesure contreles bailleurs. On a trop l’habituded’être mis devant le fait accompli.Le but de la démarche est à terme

de travailler le plus en amont pos-sible de façon à ce que ces bailleursnous alertent dès qu’il y a des re-tards de loyer d’un à deux moismaximum. Il est impératif depouvoir faire du préventif plutôtque du curatif. Il faut anticiperla recherche de solutions plutôtque d’attendre et de se retrouverdevant une demande en justiced’expulsion. Tout le monde doitse mettre autour de la table pourtrouver des solutions plutôt quede mettre des familles directementà la rue. Ce n’est pas parce qu’il y aexpulsion que le problème de re-tard de loyer est réglé.

Vous allez vous substituer auxorganismes dont la missionest justement de trouver dessolutions, comme la commissionde surendettement ?Nous sommes aussi des organismes

sociaux. Le Centre communald’action sociale (CCAS) est en der-nier lieu sollicité pour des aidesfi nancières de même que les ser-vices du département. Mais on seretrouve à chaque fois devant dessituations où les dettes présentéespar les bailleurs atteignent dessommes importantes qui correspon -dent le plus souvent à plus d’un ande retard de loyer. Et nous nousretrouvons devant des situationsdifficiles à régler compte tenu del’importance des sommes à régler.

Que proposez-vous très concrètement ?Nous souhaitons interdire les ex-pulsions pour raisons économi -ques. En général, elles arriventalors qu’il n’y a plus de solution.Le non-paiement de loyer est larésultante d’une situation trèsdégradée pour ces familles. La

priorité est l’alimentaire, l’eau, legaz et l’électricité. En cas d’expul-sion précipitée, cela coûte encoreplus cher à la société, pour ledépartement ou la commune, dereloger ces familles. Je souhaiteque ma démarche entraîne uneréflexion sur l’économie familiale,car on ne peut pas traiter le pro-blème du logement comme s’iln’y avait pas de crise. Tout lemonde sait s’affairer pour trouverdes solutions pour les banquiers,mais pas pour ceux qui ont desdifficultés à payer leur loyer ! Lescommunes font beaucoup mais ilfaudrait que toutes les communesappliquent la loi SRU. On ne peutpas être indifférent à la situationde ces familles en grande diffi-culté. Ce n’est pas simplementpar l’expulsion que l’on réglerales problèmes.

Propos recueillis par J.G.

Expulsions interdites…Cinq maires de gauche de la région lyonnaise ont signé le 15 mars, jour de la fin de la trêvehivernale, trois arrêtés interdisant les « expulsions », les « coupures d’eau, d’électricité et degaz », ainsi que les « saisies immobilières ». Depuis 1990, la mairie de Vénissieux (Rhône) prendainsi un arrêté anti-expulsion. Il est systématiquement annulé par le tribunal administratif.Malgré cela, la commune de Cenon, en Gironde, vient à son tour d’interdire les expulsions.

ALAIN DAVIDMAIRE PS DE CENON

3 questions à

Selon une étude du Centrede recherche pour l’étude etl’observation des conditions

de vie (Crédoc), en 2008, près d’unepersonne sur deux (49 %) considé-rait que ses dépenses de logementreprésentaient une « lourde charge »,une « très lourde charge » ou « unecharge à laquelle elle ne pouvaitfaire face ».Ce sentiment correspond à uneréalité. En effet, en 2009, la part desressources des ménages consacréeau logement a atteint un niveaurecord : 25,7 % en moyenne.Sur les neuf dernières années,

depuis 2001, les prix de l’immobi-lier (ancien) ont presque doublé(+ 99 %), les loyers du parc privéont augmenté de 83 %, ceux duparc HLM de près de 27 %.

Le « taux d’effort »des locatairesEn 2010, le « taux d’effort », aprèsdéduction de l’aide au logement,que représente le prix du loyeret des charges d’un logement de36 m2 atteignait, pour une per-sonne payée au Smic, 47,8 % deson revenu dans le parc privé,27,6 % dans le parc social. Pour

un couple avec deux enfants, dis-posant d’un revenu mensuel de1,5 Smic et logé dans un troispièces de 65 m2, le taux d’effort,après déduction de l’aide au loge-ment, est de 49,5 % dans le parcprivé, 22,9 % dans le parc social.

Les limites de l’aideau logementComme le souligne le quatrièmerapport du comité de suivi de lamise en œuvre du Dalo, le revenumaximal ouvrant droit aux aides aulogement a été considérablementabaissé depuis les années 1980.

Aujourd’hui, les trois quarts desbénéficiaires ont des revenus infé-rieurs au Smic : le revenu maximaldes bénéficiaires de l’aide person-nalisée au logement était en 2007de 1,93 Smic pour un couple avecdeux enfants, de 1,07 Smic pourune personne seule.Indispensables pour maintenir àun niveau supportable le coût dulogement, ces aides ont un impactcependant limité par la prise encompte forfaitaire (et insuffisante)des charges et par le plafonne-ment du loyer pris en compte : surl’ensemble du parc locatif, 72 %

des allocataires payaient en 2007un loyer supérieur au plafond.

La progression des procéduresd’expulsionDepuis 2003, le chiffre desdeman des de concours de la forcepublique atteint ou dépasse40 000 par an, à la seule excep-tion de l’année 2006 (avec unpeu moins de 39 000 demandes).Celui des réponses positives à cesdemandes n’a été qu’une seuleannée inférieur à 23 000 (18 750en 2004) et a dépassé trois foisles 25 000. Joël Genard

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Logement : des expulsionspar milliersDepuis 2003, près de 25 000 familles sont expulsées chaque année pour défaut de paiement.La part du logement a pris une place prépondérante dans le budget des Français. Et plus de40 000 par an sont menacés d’expulsion. Conséquences : il y a de plus en plus de mairiesqui prennent des arrêtés d’interdiction d’expulsion. Au risque de provoquer des contentieuxqui devront être tranchés par les tribunaux administratifs.

Enquête

NICOLAS TUCAT/AFP

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La France compte 2,87millionsde chômeurs. Cela représente10 % de la population active

(Eurostat), un chiffre légèrement endessous de la moyenne européenne(10,7 %). Et pourtant, le « ressenti »est bien plus fort. La question duchômage arrive en tête des préoc -cupations des Français. Selon unsondage Viavoice-BPCE, réalisé pourles Échos, à la question : « De quoiles candidats devraient se préoccuperen priorité ? », la réponse n° 1 estl’emploi, cité par 52 % des sondés,devant le pouvoir d’achat (42 %),loin devant l’insécurité (23 %).

L’angoisse du chômageUne analyse plus fine des chiffresexplique ce décalage. Si on consi-dère l’ensemble des Français quisont à la recherche d’un emploi, ycompris ceux qui ont une activitéréduite (catégories B et C), la Francecompte, en fait, 4,3 millions de chô-meurs. Rapportés aux 17 millions desalariés du secteur privé (les agentsdu secteur public n’étant pas me-nacés par le chômage), on réaliseque le nombre de chômeurs repré-sente près du quart des salariésdu privé ! On comprend l’angoissedu chômage qui touche de nom-breuses familles. On oublie qu’avoirun emploi c’est plus qu’un gagne-pain, c’est aussi et surtout unstatut, une place dans la société.Comme le rappelle, froidement,Jean-Claude Delgènes, le directeurgénéral du cabinet Technologia :« Un chômeur a deux fois plus dechances de se suicider. »

Le pire est à venirMalheureusement, selon l’Insee, lechômage devrait continuer à pro-gresser. On peut penser que nom-bre de grandes entreprises (PSA,Fnac…) repoussent des plans de re-structurations après les élections.Les 3 300 salariés de PSA à Aulnayont des raisons de s’inquiéter.Comment résorber un chômage demasse, avec une croissance atten-due de seulement 0,4 % cetteannée (Eurostat) ? C’est le défi quiattend nos politiques. Faute dequoi, la France risque de devenirune terre d’émigration, comme laGrèce. La question du chômagedes jeunes est, à cet égard, cruciale.

La France compte un taux de chô-mage chez les moins de 25 ans de22,4 %. Il est de 31 % en Italie, 49 %en Espagne et en Grèce ! De fait,on commence à voir des jeuness’expatrier en Allemagne, où l’onmanque de bras (taux de chômagede 5,8 %, de 7,8 % chez les jeunes).Avec, en prime, cette questionangoissante : Comment financernotre Sécurité sociale si les « forcesvives » s’en vont ?

Des réponses très classiquesPour relancer l’emploi, la droitemise sur la formation, la baissedu coût du travail (TVA sociale),mais également des exonérationsde charges chez les plus de 55 ans.Pas très original et pas forcémenttrès efficace. Mais pour l’heure, lagauche ne fait pas preuve de plusd’originalité. François Hollandepro met lui aussi des allégementsde charge, via son « contrat de gé-nération ». Ainsi que la créationde 150 000 « emplois d’avenir »pour les jeunes, concentrés dansles quartiers populaires. Bref, desbaisses de charges et des emploisjeunes, rien de bien nouveau !On a l’impression que tout le mondeespère secrètement que le retour dela croissance viendra tout résoudre.Et si la croissance ne revenait pas ?Que se passe-t-il ? Nicolas Sarkozyavait lui-même reconnu, en 2007,que l’échec était interdit. À l’époque,la France affichait un taux de chô-mage de 8,1 %. Nicolas Sarkozy avaitalors promis de le ramener à 5 %.Le chef de l’État avait lancé : « Si ons’engage sur 5 % de chômeurs et qu’àl’arrivée il y en a 10, c’est qu’il y a unproblème. » Que va-t-il se passer cettefois ? Rebelote ? Dans cinq ans, laFrance affichera 20 % de chômeurs ?Et même près de 50 % pour lesjeunes, comme en Espagne ?

Comment font nos voisins ? Pour gagner la bataille de l’emploi,Italiens et Espagnols viennent debriser un tabou. Rome et Madridont entrepris d’assouplir leur mar-ché du travail. En Espagne, le gou-vernement Rajoy a diminué lesallocations chômage et facilité leslicenciements. Cette réforme lui avalu une grève générale vendredidernier, avec 800 000 manifestants

dans les rues. De son côté, en Italie,Mario Monti est en train de faciliterles licenciements et de casser lesmonopoles qui protègent les mé-tiers de pharmaciens, de taxis, denotaires, d’avocats et de pompistes.Ce sont là des mesures « choc », trèsimpopulaires et contre-intuitives :pour réduire le chômage, on faci-lite… les licenciements ! En fait,Rome et Madrid s’inspirent des fa-meuses réformes nordiques ditesde « flexi-sécurité ». Une politiquequi comprend deux volets :1/ La flexibilité. En clair, l’emploi àvie, dans une même entreprise,plus ou moins au même poste,c’est TER-MI-NÉ ! « Les jeunes de-vraient se faire à l’idée de ne pasavoir un emploi fixe toute leur vie. Ilva falloir s’habituer à changer souventde lieu et de travail », explique MarioMonti. Dans ces conditions, il nesert à rien d’empêcher les licencie-ments. Au contraire, il faut que çabouge !2/ La sécurité. C’est l’autre volet dela « flexi-sécurité ». Pour éviter de seretrouver derrière avec une cohortede chômeurs, il faut sécuriser le re-tour à l’emploi des salariés licenciés.Cela passe par de la formation. Maisaussi une politique très forte d’inci-tation pour reprendre un « job ».Car, c’est connu, plus on reste long-temps éloigné de l’emploi, plus c’estdifficile, ensuite, de remettre le pied

à l’étrier. Et donc, pour accélérer ceretour à l’emploi, on n’hésite pasà mettre en place des mesures coer-citives : obligation d’accepter unemploi, réduction des allocationschômage. C’est le sens des réformes« Schröder » en Allemagne, où lesindemnités chômage ont été ré-duites à douze mois, moitié moinsqu’en France.

Des réformes douloureusespour l’après-6 maiOn a noté que pour l’instant, enFrance, aucun candidat n’a pro-posé de telles réformes. Pas mêmele Medef. Le plus audacieux enla matière est François Bayrou, quipropose de créer un « contrat detravail unique », moins protecteurque le CDI, mais plus avantageuxque le CDD. De son côté, NicolasSarkozy effleure le sujet en n’abor-dant que les points les plus consen-suels, sur la formation par exemple.Le Président-candidat a regrettéque seuls 10 % des chômeurs bé -néficient d’une formation. NicolasSarkozy a également justifié sapromesse de réduire de moitié lesdroits de mutation par la nécessitéd’être plus souple professionnelle-ment : « On ne peut pas dire auxFrançais : “Bougez, changez de mé-tier, déménagez”, alors qu’en mêmetemps les collectivités locales mettentdes droits de mutation. » Comme si

la flexibilité du travail allait deve-nir la norme. Mais pas question,comme chez nos voisins, de remet-tre en cause le sacro-saint CDI.Pour l’instant ? En Italie et en Es-pagne, les gouvernements se sontattaqués à ces réformes très im -populaires, une fois au gouverne-ment. Au risque de jeter dans la ruedes centaines de milliers de mani-festants. Le spectre de l’anarchiegrecque rôde en Europe du Sud.Difficile dans ces conditions d’ima-giner que ce soit un exemple pourla France.Pour autant qui sait ? Le futur Pré-sident français devra peut-être, luiaussi, se résoudre à adopter ces fa-meuses mesures de flexi-sécurité.Car, on est bien obligé de consta-ter que les pays d’Europe du Nordont réussi à gagner la bataille del’emploi. Aux Pays-Bas, le chômagen’est que de 5 %. Il est de 4 % enAutriche et de 5,8 % en Allemagne.Notre voisin compte aujourd’huiun million de postes vacants. Sirien ne change en France, la ques-tion humiliante se posera un jour :Nos enfants devront-ils émigrer àHambourg ou Berlin pour trouverdu travail ? Question subsidiaire :Si les jeunes partent, qui paieranos retraites ? C’est dire l’impor-tance du quinquennat à venir.Après le 6 mai, les difficultéscontinuent.

Statu quo interditLa lutte contre le chômage

Réduire le chômage, un casse-tête qui pourrait virer au cauchemar si la croissance n’est pas aurendez-vous. De gauche ou de droite, le prochain Président devra résoudre la quadrature du cercleet réussir l’impossible : faire les réformes qui s’imposent sans mettre le pays à feu et à sang.Exemples étrangers à méditer sinon à suivre.Par Axel de Tarlé

Expertise

Madrid, le 29 mars. Des centaines de milliers d’Espagnols sont descendus dans la rue pour protester contreles mesures décidées par le gouvernement Rajoy. PHOTO DANI POZO/AFP

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Vous dressez un constat sévèredans ce rapport sur le manquede coordination entre l’Étatet les collectivités locales ?Bernard Murat : Cette enquête decinq mois démontre que chacunveut jouer son rôle et que cela peutparfois entraîner une mauvaisecoordination de part et d’autre, aunom même de cet intérêt pour laCulture. Nous pensons qu’il peuty avoir une plus grande coopéra-tion entre l’État et les collectivités.Il y a des chambres communespour faire le point chaque annéesur les projets. Malheureusement,elles sont rarement réunies.

Quelles sont les principalesfaiblesses structurelles duspectacle vivant ?BM : Dans le spectacle vivant onest confronté à une galaxie : un

centre dramatique ne se gère pascomme une scène nationale. Notrebut était donc de rechercher desfinancements extrabudgétaires etnon de faire un audit de l’ensembledu spectacle vivant. Nous avonsréalisé une centaine d’auditionsqui démontrent que, dans le fonc-tionnement au quotidien, il seraitnécessaire de dégager des margesbeaucoup plus importantes pourfinancer l’artistique. L’administratif« mange beaucoup trop » alors quela création doit rester au centre.C’est là où ça pèche !Il suffirait de trouver des finance-ments extrabudgétaires et nousavons pour cela dégagé sept pistesde réflexion. Aux politiques des’en saisir. Par exemple, il devraitêtre prioritaire de réactiver le 1 %culturel sur les marchés publics.Autre exemple, en ce qui concerne

les fournisseurs d’accès à Internet,il serait judicieux d’instaurer unetaxe pour que le spectacle vivantpuisse bénéficier d’une quote-partdes sommes collectées. Les four-nisseurs d’accès à Internet ne paientrien actuellement alors qu’ils sontdiffuseurs. Ce n’est pas normal !

Quelles sont les autres pistesévoquées ?BM : On peut imaginer de taxerl’hôtellerie dans les villes quiaccueillent des festivals. Il y a aussila possibilité de créer un droitd’auteur de 1 % à 3 % sur les au-teurs français décédés. On peut ima -giner que Molière ou Marivauxpaient pour les auteurs contem-porains !… Cela permettrait d’ali-menter un fonds de développe-ment qui serait prési dé par leministre de la Culture avec unconseil d’administration composéde professionnels du secteur etsous la direction générale de ladirection artistique du ministère.Ce fonds pourrait ainsi permettrede générer des projets spécifiques.Il s’agit de rechercher ainsi desfonds pour compléter des subven-tions.

N’est-ce pas plutôt à l’État definancer le spectacle vivant plutôtque de recourir à ces pistes quevous préconisez ?BM : On peut imaginer et conve -nir assez facilement que le 1 % dubudget de l’État consacré à laCulture soit sanctuarisé. On peutaussi imaginer qu’en coordonnantmieux le travail entre l’État etles collectivités locales on puisseren tabiliser les choses. Mais toutceci, au final, ne permettra pasau budget d’être en sensible aug-mentation. Il n’est pas interditdans ces conditions de se direqu’il y a aujourd’hui de nombreuxsecteurs qui peuvent financer lespectacle vivant, dès lors que l’onarrive à légitimer ces démarcheset que ce ne soit pas un impôtsupplémentaire.Les propositions que nous avonsfaites pourraient dégager quelque200 millions d’euros. Actuelle-ment le spectacle vivant, c’est 720

millions dépensés chaque année.Cette somme est très insuffisante,elle doit être augmentée. Maisnous soulignons dans le rapportqu’il est nécessaire de donner unenouvelle orientation au spectaclevivant pour faire en sorte qued’un ministère à l’autre les déci-sions ne soient pas attaquables.Il est bon pour les créateurs que

l’on puisse les rassurer en leur don-nant un minimum budgétaire. Ilest également nécessaire que l’onarrive à une plus grande rapiditédans les prises de décision. No-tamment lorsqu’il s’agit de mon-ter un festival dans une ville avecla participation de l’État. Il fautun organisme qui se charge decela. Pierre-Henry Drange

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Bernard Murat au secoursdu spectacle vivantLe directeur du théâtre Édouard-VII est le coauteur avec Serge Dorny, Jean-Louis Martinelli etHervé-Adrien Metzger d’un rapport sur le financement du spectacle vivant. Dans ce documentremis au ministre de la Culture, les auteurs détaillent les faiblesses structurelles du spectaclevivant et proposent que soient mieux coordonnés les financements provenant conjointementde l’État et des collectivités locales. Explications.

Culture

«INDÉPENDAMMENT DEL’ÉTAT, IL Y A AUJOURD’HUI

DE NOMBREUX SECTEURSQUI PEUVENT FINANCERLE SPECTACLE VIVANT »

Le rapport plaide pour « une loi d’orientation » et « propose lacréation d’un fonds de développement rattaché au ministère de la

Culture et de la Communication, à partir de sept sources de financementextrabudgétaire pouvant rassembler entre 150 et 250 millions d’euros,complémentaires des crédits budgétaires et fonctionnant sur le modede l’appel à projets ».

Pour abonder ce fonds, les rapporteurs suggèrent : 1. « d’affecter d’une redevance l’exploitation commerciale des œuvres

du domaine public ou adaptées du domaine public ;2. d’instaurer une contribution compensatoire du secteur audiovisuel

au profit du spectacle vivant ;3. d’établir une contribution additionnelle de 2 % sur le chiffre d’affaires

hors taxes des parcs d’attraction à thème ;4. d’affecter au secteur du spectacle vivant une part de la taxe sur les

services de télévision due par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ;5. de rénover le dispositif du « 1 % artistique » en l’étendant à l’ensemble

des travaux publics et en le complétant au profit du spectacle vivant ;6. de créer une taxe additionnelle sur le chiffre d’affaires des entreprises

du secteur hôtellerie/restauration dans certaines zones festivalières ;7. d’affecter au spectacle vivant la quote-part des successions en

déshérence qui n’est pas versée à la Fondation du patrimoine. »

Ce fonds de développement, souple et réactif, aurait une vocationstructurante autour de trois axes : l’émergence, le croisement desdisciplines et la diffusion. Le ministre a considéré que « ces propositionsopérationnelles et pragmatiques » nécessitent « un approfondissementtechnique et un travail interministériel afin de déterminer la faisabilitédes différentes options fiscales ». Les pistes développées dans le rapportdevront constituer « la base d’une réflexion pour la mise en formed’un projet de loi d’orientation pour le spectacle », a-t-il ajouté.

Les 7 propositions

Bernard Murat, coauteur du rapport remis à Frédéric Mitterrand.Il fait 7 propositions pour soutenir le spectacle vivant. Un secteurfoisonnant mais disparate et qui connaît de grandes difficultésfinancières. PHOTO JEAN-LOUP GAUTREAU/AFP

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La tuerie de Toulouse a eu desrépercussions inattenduessur la planète numérique : les

propositions de Nicolas Sarkozy depénaliser la consultation régulièrede sites Web faisant l’apologie duterrorisme ont provoqué un malaisedans le monde di gi tal. Et pourcause, la lutte contre le terrorismesur Internet est une tâche ardue.Qui surveiller, quels messages sontsuspects, qui sont les destinataires ?

Voilà la mission qui est demandéeaux services de sécurité de chaquenation. Mais, dans un monde

connecté qui compte plus de deuxmilliards d’internautes et 555 mil-lions de sites Web, il devient trèscompliqué de mettre sous surveil-lance les innombrables échangesqui sont faits quotidiennementtout autour de la planète. Le Webest un réseau où s’échange chaqueseconde un flot ininterrompu dedonnées sous de multiples formes.Comment alors surveiller le traficsur un site faisant l’apologie du

terrorisme ? Comment savoir sinous les surveillons tous, ou mêmesi nous surveillons les plus actifs ?De plus, un internaute a desmoyens de cacher son adresse,même provisoirement. Et lesproblèmes ne s’arrêtent pas là.Prenons un exemple : une orga -nisation terroriste est en contactconstant avec une cellule baséedans un pays européen. Quellesformes prendront ces échanges ?Du texte ? C’est facilement lisiblepar des algorithmes de reconnais-sance qui peuvent scanner untexte entier à la recherche demots clés tels que « bombe » ou« attentat ». Cependant, que se

passe-t-il si le tout est encodé in-formatiquement avec une clé dehaut niveau ? Le texte pourra sansdoute être finalement décodé, maisla puissance informatique néces-saire sera importante et le tempsnécessaire relativement long. Etle texte n’est pas le seul formatd’échange de données. Un docu-ment peut être scanné ou photo -graphié numériquement puisdistordu, le message peut être unevidéo, un fichier son de bassequalité. Leur analyse automatiquedevient compliquée.Les États ont des moyens limités,financiers ou humains. La puis-sance de calcul coûte encore cheret les services de renseignementne peuvent pas indéfinimentrecruter du personnel formé. Enmatière de lutte contre le terro -risme numérique, la guerre estasymétrique : il suffit aux criminelsde savoir se cacher parmi les mil-liards d’internautes pour totale-ment disparaître des écrans radars.Et les enjeux vont rapidementgrim per avec l’Internet des objets :cinquante milliards d’objets serontconnectés d’ici 2020, qui viendrontgrossir le flot de données qui cir -culent sur le Web.Le cœur du problème vient du faitque le réseau Internet n’est pasun objet unique et sous contrôle. Ilest possible d’écouter un réseautéléphonique national, il est lapropriété d’une société qui dépendd’un État. Mais le Web est divers,constamment en expansion, pro-priété de multiples compagnies,universités ou États. Sa techno lo gien’est pas conçue dans les divi sionsde Recherche et Développementd’une seule société ; elle est évo -lutive, la résultante du travail demillions d’informaticiens et beau-coup mettent à disposition leurs

programmes gratuitement. Pourle plaisir du travail bien fait, oupour se faire connaître et être en-gagé. Comment savoir alors quelsmoyens seront utilisés par des ter-roristes, et quels en sont les failles ?La surveillance électronique nepeut se faire efficacement que si

elle s’appuie sur un travail pré a -lable de surveillance humaine quipermettra de faire la différenceentre le bon citoyen et le « badguy ». Sinon, Le puzzle est simple-ment trop grand. Les Américainsl’ont appris à leurs dépens lorsdu 11-Septembre.

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582¤. RCS : Paris 443 984 117. 55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Tél. 01 55 31 94 20. Fax : 01 53 16 24 29. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle

GÉRANT-DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Bruno Pelletier ([email protected]) DIRECTEUR Robert Namias ([email protected]) RÉDACTEUREN CHEF Joël Genard ([email protected]). ÉDITORIALISTES Michèle Cotta, Axel de Tarlé, Bruno Jeudy, Gérard Leclerc, Marc Tronchot AGORA Éric MandonnetL’ADMIROIR Éric Fottorino COLLABORENT À L’HÉMICYCLE Ludovic Bellanger, Juliette Bot, Jean-Louis Caffier, François Clemenceau, Florence Cohen, Antoine Colonna, Pierre-HenryDrange, Alain Fournay, Paul Fournier, Anita Hausser, Béatrice Houchard, Serge Moati, Jessica Nelson, Nathalie Segaunes, Manuel Singeot, Guillaume Tabard, Brice Teinturier,Philippe Tesson, Pascale Tournier, Pierre de Vilno CORRECTION Aurélie Carrier MAQUETTE David Dumand PARTENARIATS Violaine Parturier ([email protected],Tél. : 01 45 49 96 09) IMPRESSION Roto Presse Numéris, 36-40, boulevard Robert-Schumann, 93190 Livry-Gargan. Tél. : 01 49 36 26 70.Fax : 01 49 36 26 89. Parution chaque mercredi ABONNEMENTS [email protected] COMMISSION PARITAIRE 0413C79258 ISSN 1620-6479

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Une guerre incertaineTerrorisme numérique

De l’ingénieur informatique au blogueur anonyme, le monde du Web s’interroge sur la faisabilitédes propositions de Nicolas Sarkozy qui visent à pister ceux qui consultent régulièrement dessites faisant l’apologie du terrorisme. Il faudrait des moyens humains et matériels presqueillimités, pour un résultat incertain.Par Manuel Singeot

Le chiffre

294milliardsd’e-mails échangés chaquejour en 2010. (Source Pingdom.)

2.0

Parmi les 555 millions de sites existant, la traque de ceux faisant l’apologiedu terrorisme sera un casse-tête permanent. PHOTO KARL-JOSEF HILDENBRAND/AFP

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Bayrou le résistant : du roi d

Il reçoit dans un grand bureaulumineux situé au deuxièmeétage d’une ancienne im -

primerie du quartier de La Tour-Maubourg dont il a fait sonsiège de campagne. Derrière lui,une large et haute bibliothèqueoccupe tout un pan de mur. Bay-rou est un homme de culture, un

homme du livre avec lequel ilentretient « des relations passion-nelles ». Il ne se fait pas prierpour citer ses auteurs favorisdans un éclectisme foisonnantqui va d’Apollinaire à Aragon,du Cyrano de Bergerac de Rostandaux savoureux romans de Pagnol.Il ajoute « tous les poèmes d’Hugo,le Kipling de Kim, du Livre de lajungle ou de La Plus Belle His-toire du Monde ».

Avec Bergson – dont il garde la no-tion d’« élan vital » qui libère l’in-ventivité humaine –, Péguy occupeaussi une place singulière dansson esprit, comme le mentionneun dossier spécial du site Rue 89intitulé « Dans la tête de FrançoisBayrou ». Il y affirme que le poètecatholique défenseur de Dreyfus,

célèbre auteur de L’Argent est « lecompagnon de toute [sa] vie. Unhomme d’une incroyable et terrible lu-cidité. Dès les toutes premières annéesdu XXe siècle, il voit quelles vont êtreles dérives à venir – notamment l’ins-tallation de réseaux dans le monde dela pensée, au lieu d’avoir de multiplesintellectuels qui pensent chacun deleur côté de façon vivifiante… » ChezPéguy, il salue aussi « son sens dupeuple et de ce qu’est une nation ».

Panthéon littéraireDans son panthéon littéraire, quin’est jamais loin de son terreau oude son terroir politique, le Béar-nais réserve une place toute parti-culière à un auteur allemand del’entre-deux-guerres, Ernst Wie-chert. Épris de nature, ce fils degarde forestier devenu professeur

d’allemand se distingua en 1935par le discours incroyablementcourageux contre le nazisme mon -tant qu’il prononça dans le grandauditorium de l’université deMunich. Les autorités allemandesne s’y trompèrent pas, qui firentaussitôt interner Wiechert àBuchenwald. Si François Bayrouvoue un culte particulier à cetauteur d’inspiration chrétienne,marqué par son attachement aux

libertés, à l’esprit de résistance, etchantre avant l’heure des espacesnaturels, c’est en particulier pourson roman Les Enfants Jéromine,qui parut en 1945.Très jeune, il découvrit la puis-sance de ce texte dont il parla ences termes dans un « Portrait in-time » : « C’est la forêt. Ce sont des

paysans. Des forestiers. Des char-bonniers. C’est sur ce monde-là, à lafois la vie d’un jeune garçon qui, filsde pauvres, va devenir médecin poursauver les siens, et en même temps,sur cette vie individuelle, [que] vientse superposer le choc de l’arrivée dunazisme. Je me bats pour qu’on ré-édite ce livre. Épuisé souvent, on peutencore le trouver parce que je plaidebeaucoup pour ce beau, simple et ma -gnifique roman. » Un enthousiasme

qu’il partage avec l’écrivain JeanRouaud. D’Ernst Wiechert, on peutpenser que le Béarnais a su médi-ter quelques pensées profondescomme celles-ci : « Il viendra unjour où les hommes découvriront toutd’un coup qu’il leur manque quelquechose et que cela se trouve derrièreeux et non point en avant. » Ou en-core : « On ne devient grand qu’enmesurant la petitesse de sa douleur. »

Figures de l’HistoireSes influences en politique em-pruntent aussi aux plus grands.« Dès ma jeunesse, dit-il dans unmême souffle, j’ai réfléchi sur Hen riIV, j’ai réfléchi sur Gandhi, j’ai réflé-chi sur Churchill, sur Mendès, sur deGaulle. »Toutes ces figures de l’Histoire ontà ses yeux une attache commune,une sorte de marque de fabriquequi les distingue et les rapproche :« Ce sont des gens à contre-courantdans leur volonté d’entraîner unemutation profonde de l’univers danslequel ils vivent. Ils doivent se battrelongtemps contre les puissancesconjuguées du système de leur temps.Certains y parviennent, d’autres non,comme Mendès. Mais même quandils échouent, ils laissent une tracedans l’Histoire qui ne s’efface pas ».On connaissait la passion de Fran-çois Bayrou pour Henri de Na-varre, auquel il consacra une solidebiographie devenue best-seller,Henri IV, le Roi libre, parue en1994. L’argumentaire de l’auteurvalait programme et profession defoi. « Rencontrer Henri de Navarre,c’était rencontrer le réconciliateur »,écrivait-il alors, dans un contexteoù la France connaissait une« fracture sociale » et de grandsbouleversements réclamant desfigures redonnant espoir.« En pleine guerre civile, ajoutait Bay-rou, dans un pays majoritairementcatholique, ce prince protestant deve nuroi catholique a réussi ce qui semblaitimpossible : recréer l’unité moraleau-delà des convictions religieuses ;assurer le redressement économiqueet financier de la France. Dans le sièclele plus déchiré, le plus violent, le plussanglant de l’histoire de France surgitun jeune homme qui ne ressemble àaucun de ses contemporains. Prince

François Bayrou n’est pas l’homme d’un mentor. Trop orgueilleux pour imaginer qu’il n’est pasunique, il n’en reconnaît pas moins l’influence de nombreux hommes de pouvoir et de plume.Henri IV, Churchill, Mendès, de Gaulle, Péguy, Aragon, Soljenitsyne. Tous ont en commun une valeurcardinale aux yeux du président du MoDem : la volonté de résistance et le courage de dire « non ».

Par Éric Fottorino

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L’admiroir

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i de Navarre à de Gaulled’un État libre au pied des Pyrénées,il a été l’enfant de la guerre, objet dela haine amoureuse et politique entresa mère, âme du parti protestant, etson père, chef de l’armée catholique.La tragédie marque définitivementson destin lorsque son mariage avecMarguerite de France, la reine Margot,donne le signal de la Saint-Barthé-lemy. Conquérant de son royaume,il retrouve le pouvoir dans un paysépuisé. » La vie d’Henri IV ne pou-vait que fasciner un de ses loin-tains successeurs à la tête duParlement de Navarre.

Viscéralement politiqueUne affinité de Béarnais ? À l’évi-dence, mais c’est d’abord un lienviscéralement politique qui le tientaujourd’hui encore. « Henri IV per-met la renaissance d’un pays exposéau désarroi le plus absolu, nous ex-plique le président du MoDem.Tout était à l’abandon, l’agriculture,l’industrie, les finances. Le plusgrand historien de l’époque dit que lenouveau roi n’a pas reçu la Francemais le cadavre de la France. »Le 25 mars, lors de son grand mee -ting du Zénith, François Bayroun’a pas manqué de brandir lepanache blanc de son grand roi :« Au XVIe siècle, dans les guerres dereligion, a-t-il lancé à ses suppor-ters, il y avait les ligueurs d’un côté,du côté de l’affrontement, et Henri deNavarre de l’autre, qui plaidait pourqu’on vive ensemble. Vous connaissezmon choix, mon choix d’homme, etmon choix de président : je suis et jeserai du côté d’Henri IV, de celui quiforce la réconciliation, la tolérance, lacompréhension réciproque. » L’allu-sion est directe : quand il vanteles mérites de son « pays » Henri,soulignant l’habileté et la déter-mination de ce roi qui dut déjouerbien des embûches pour enfinrégner, c’est forcément à lui qu’ilpense un peu, beaucoup. L’heuren’est pas à mettre fin à quaranteans de guerres de religion. Mais àjouer le troisième homme cares-sant l’ambition d’être le premier.Cette référence politique n’est pasde circonstance. En 2001, déjà,président de l’UDF lancé dans sapremière campagne présidentielle,il avait annoncé la couleur auxjeunes de son parti réunis à Rama-tuelle, sous les hautes frondaisonsde chênes-lièges : « Je veux prendrela main par-delà les frontières dupassé. Joindre dans la même chaîneHenri IV à un bout et Charles deGaulle de l’autre », raccourci saisis-sant entre le roi de la poule au potet l’homme du 18-Juin.

Dans la figure de Gandhi, qui vientdans son propos juste après celled’Henri IV, le candidat du centrevoit « un homme seul qui parvientà la victoire sur le plus grand empirede l’univers en exaltant le refus dela violence ». Pour lui l’enseigne-ment est limpide : « Je partage cetteconviction de fond qui va à l’encontrede tous les démagogues : la fin ne jus -tifie pas les moyens ». Et FrançoisBayrou de citer Gandhi : « La finest dans les moyens comme l’arbreest dans la graine. » Une référencequ’il ne peut séparer du philo-sophe italien Lanza del Vasto,dont il rejoignit jadis, dans sa jeu-nesse, les Amis de l’Arche, aprèsavoir été initié à la philosophiehindoue. Le pacifisme, le respectdes autres, l’appel de la terre : au-tant de valeurs qui parlent à sesracines paysannes. Comme aussile désintéressement, lui qui aimeà dire que « le verbe avoir n’existepas ».Ce qui lui plaît enfin chez le Ma-hatma, outre sa philosophie pro-fonde de la non-violence, c’est « larevendication d’intégrité, cette obli-gation de dire la vérité aux gens »,le refus du cynisme, l’obligationimpérieuse pour un dirigeant desusciter l’adhésion du peupleplutôt que de le contraindre auxréformes.

Pédagogie de la paroleDire la vérité, parler vrai, unevertu, un courage qui fait aussitôtpenser, dans notre histoire poli-tique, à Pierre Mendès France.« Il faisait preuve d’une pédagogiecivique », souligne le candidat duMoDem. « Pour conduire l’actionpolitique, il estimait nécessaire d’asso-cier les citoyens en tant que décideurs.Je suis convaincu que les citoyens sontdes décideurs supérieurs. Ils sont en

mesure de décider, dès lors qu’on leura donné les éléments de la vérité. Et,portant la décision, ils la font arriverdans la réalité. »Évoquant le souvenir de Mendès,ou plutôt son empreinte laisséedans la mémoire politique et per-sonnelle de la société, il rappellecombien furent importants « lesrendez-vous hebdomadaires avecles Français, que Roosevelt avantlui avait mis à l’ordre du jour auxÉtats-Unis ». Pédagogie de la parole,d’un respect civique. Manière deconsidérer les citoyens commedes adultes responsables.Avec Churchill on revient un peuen arrière dans le temps. Pourquoiavoir choisi le vieux lion britan-nique chassant le « black dog » dela dépression par l’hyperactivitéet l’alcool, fidèle à sa maxime sui-vie à la lettre : « no sport » ? Est-ceparce que le candidat centristeprévoit pour la France « du sang,des pleurs et des larmes » ? Il ne ledit pas avec ces mots, même s’iln’est sans doute pas loin de le pen -ser en annonciateur avant l’heuredes catastrophes financières denotre pays, de la bombe à retarde-ment de la dette. La réponse deFrançois Bayrou est spontanées’agissant du légendaire Premierministre britannique : « Ce qui meplaît, c’est son caractère. Son mau-vais caractère. Churchill, c’est aussil’homme qui tient bon malgré l’im-popularité. C’est le courage physique.L’amour de la langue. L’homme quichoisit la hauteur. Ses discours despremières années 1940 sont grands.Ils justifient son prix Nobel deLittérature. »Après un instant de silence, de ré-flexion, l’élu des Pyrénées-Atlan-tiques reprend : « Churchill, c’estun homme d’altitude et de trans -gression. » De quelle transgression

parle-t-il ? De ses colères ? De sesaddictions alcoolisées ? De ses for-mules assassines à l’encontre desmédiocres ? Non, il situe ailleurscette singularité dans laquelle il sereconnaît, sans bien sûr se compa -rer. « Beaucoup de gens l’ont haï carils croyaient qu’il avait changé decamp, explique Bayrou. C’est untemps ce qu’on a dit de moi à droite.Que j’étais passé à gauche. Bien sûrc’était faux. Mais je m’étais écartéde façon déterminée du groupe etdu pouvoir. »

Traversée du désertPrononçant ces mots, il sort de saserviette un exemplaire du Pointqui lui consacre cette semaine-là sacouverture sous ce titre élogieux :« Le prophète ». Il y voit l’illus -tration des valeurs de ces grandshommes dans les pas desquels ilveut se situer. « Je m’efforce de direla vérité, je ne change pas de cap, monparcours n’est pas une manifestationd’humeur. J’ai refusé les avantages,les honneurs et les tentations du pou-voir », dit-il sans détour.La transition semble toute trouvéepour lui demander ce qu’il admi -re, lui, dans la figure et le destindu général de Gaulle. La réponsefuse : « La traversée du désert, sansune once de concession sur l’essentiel,

aucune concession aux illusions. Lavision d’altitude aussi, sur ce que laFrance peut devenir, comment elle peutse reconstruire quand on lui parle auplus haut. »Aurait-il pu entrer en politiquepar le gaullisme ? Il sourit. « J’avais17 ans en 1968. Je n’avais pas lerecul pour mesurer la dimension etl’apport de De Gaulle. En revanche,j’étais anticommuniste. Très tôt j’ailu Soljenitsyne, très tôt j’ai eu l’intui-tion de ce qu’était le totalitarisme.J’avais lu Orwell, Koestler. » Il sefélicite de sa « lucidité » qui lui aépargné toute tentation de cetordre. S’il n’a pas été attiré par lagauche, même par le PS – à causede l’union de la gauche –, c’estqu’il avait dévoré ces auteurs,le Meilleur des mondes, 1984. « Aufond, conclut-il, il n’y a qu’unequestion en politique, to be or notto be ». Et être, pour lui, c’est unmélange de vérité et de hauteurde vue. Dire, par exemple, que « lecentre n’est pas une partie de ladroite mais une vision originale dumonde ». Quand il dit sérieusementque la « diaspora » du centre esten train de se rassembler autourde lui, nul doute qu’il pense à ceshommes longtemps seuls quel’Histoire et le temps ont arrachéà leur solitude.

JOËL

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Sur le plateau de France 2. « Des paroles et des actes », le 8 mars.

Paris. Meeting au Zénith, le 25 mars.

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