L’Égypte, au cœur du monde arabe

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L’Égypte,aucœurdumondearabe

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PascalMeynadier

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l’heuredeschoix

TEMPORA-ÉDITIONSDUJUBILÉ

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territoire, soit la totalité de la péninsule du Sinaï, le canal deSuez, les villes d’Ismaïlia et de Suez, la Bande de Gaza, 400avionsdecombat,700chars, ainsique lamajeurepartiede saflottedeguerrecouléedansleportd’Alexandrie.Israëladesoncôté triplé sa superficie. Pire : les images des milliers dechaussuresabandonnésparlessoldatségyptiensendéroutedansledésertduSinaïonteffacédanslesespritsdumondeentierlamortaucombatde10000soldats,dont1500officiers.Deuxmois plus tard, en juillet 1967, les cartes du pouvoir

sont redistribuées à l’intérieur du camp arabe au sommet desÉtatsarabesdeKhartoum,signantlebasculementdupouvoirduCaireàRyad.Fayçald’ArabieSaouditeprendlasuccessiondeNasser.LaNaqsa(ladéfaite)de1967quis’ajouteàlaNaqbahde 1948 (la « catastrophe » de la création de l’état hébreu)marque la fin du nationalisme panarabe. Dans sonautobiographie au titre énigmatique,Histoire de ma vie, à larecherched’une identité1,AnouarElSadate,qui avait suivi laguerreauxcôtésdeNasser,entantquevice-président,faitcetterévélationàproposduRaïs:«Iln’estpasmortle28septembre1970 mais le 5 juin 1967, exactement une heure après ledéclenchementdelaguerre.C’étaituncorpsvivant.Lapâleurdelamort était visible sur son visage et sesmains, bien qu’il sedéplaçâtetmarchât,écoutâtetparlât.»Lagénérationquiavaitparié sur l’unité arabe et le socialisme, avec le présidentégyptien Gamal Abdel Nasser comme porteétendardcharismatique,vapeuàpeus’effacer.Commeunsymboled’unenouvelleère,l’Égyptesesoumetàlarésolution242desNationsUniesdu22novembre1967,quiprévoit,déjà,larestitutiondesterritoires (« occupés », si l’on tient compte de la traductionfrançaise) en échange de la paix.À bout de souffle, le régimenasserien en appelle à l’Union Soviétique. En plus d’être

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passionnantes,lesdiscussionsquieurentlieuàMoscouen1968avecLéonidBrejnev,lesecrétairegénéralduparticommuniste,telles que retranscrites par Mohamed Hassanein Heykal,confidentetéminencegrisedeNasser,ne laissentaucundoutesur l’urgencede la situation.Nasserest accablé :«Permettez-moid’êtreparfaitementfrancavecvous.Sinousn’obtenonspasceque jedemande, tout lemondeconcluraque la solutionestentre lesmains des seulsAméricains.Autant que je puisse enjuger, vous n’êtes pas disposé à nous aider autant quel’Amérique aide Israël. Alors il ne me reste qu’une chose àfaire : dèsmon retour en Égypte, j’annoncerai au pays que lemomentestvenupourmoidecéderlaplaceàunprésidentproaméricain.Si je ne peuxpas sauvermonpeuple, il faudra quequelqu’un d’autre le fasse.C’estmonderniermot. »Après cecoup d’éclat, Leonid Brejnev consent à déployer plusieursmilliers de soldats, dont de nombreux pilotes sous uniformeségyptiens. Mais Sadate, futur successeur de Nasser, quil’accompagnecejour-làchezlesSoviétiques,n’oublierapaslestermesdelamenace.Grâce au soutien soviétique, la guerre de l’après-67 dite

« d’usure » contre Israël, qui s’apparentait encore à l’automne1968àuneguérillafaisantofficedepis-aller,connaîtquelquessuccès sporadiques jusqu’en 1970. Elle sera néanmoinscoûteuse. S’il n’existe pas de chiffres officiels sur les perteségyptiennes, l’historien israélien Benny Morris estime que lenombre de victimes, civiles etmilitaires, a avoisiné les 10000côté égyptien contre 400 du côté israélien2. Préfigurant unéventuel retournement d’alliance et au grand dam desPalestiniens,lerégimenasseriensesoumetenjuillet1970àuncessez-le-feusurlabaseduplanduSecrétaired’ÉtataméricainWilliam Rogers, qui stipule que « les parties en présence

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doivents’abstenirdemodifierlestatuquomilitaireàl’intérieurdezonesdecinquantekilomètresdepartetd’autrede la lignede cessez-le-feu ». Golda Meir, premier ministre israélien,refuseradansunpremier temps l’offre américaine avant de s’yplierdemauvaisegrâce.Ironiedel’histoire:Nasser,lehérosdelacausearabe,faitlechoixd’unrèglementpolitiqueplacésousl’égidedesÉtats-Unis.Troisansplustôt,lui,lepourfendeurdesFrères musulmans, avait également amorcé une réconciliationreligieuse.LaspécialisteBasmaKodmanirappellefortàproposque:«Dèslelendemaindeladéfaiteetsonrappelaupouvoirpar de grandes manifestations qui suivent sa démission, leprésident égyptien Gamal Abdel Nasser cherche l’appui desreligieux.Avecsuccès.Dansuneprièrepublique,aulendemainde ladéfaite, lecheikhMohammedMitwalliShaarawi, lepluspopulaire des responsables religieux du pays, “remercie Dieupourunedéfaitetraumatisantequiaserviàréveillerlanationetà lui donner conscience qu’elle s’est égarée en excluant lareligiondesaffairespubliques”.»3ÀlamortdeNasserle29septembre1970,Sadaten’auraqu’à

reprendre, en les accentuant par tempérament personnel, lesdeux principales orientations géopolitiques esquissées par sonprédécesseur, qui vont structurer sa politique étrangère durantlestroisdécenniessuivantes:doubleallégeanceauxÉtats-Uniset à l’Arabie Saoudite. En février 1971, le nouveau présidentréitère devant le parlement égyptien ses propositions de paix :«SiIsraëlretiraitsesforcesduSinaï,jeseraisdisposéàrouvrirle canal deSuez.Pour quemes forces traversent vers l’Est ducanal de Suez, je suis prêt à faire une déclaration solennelled’un cessez-le-feu. Je suis aussi prêt à constituer des relationsdiplomatiques avec les États-Unis et signer un accord de paixavecIsraël.»TelAvivignoreralessignauxpositifsduCaire.Les

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accordsdeCampDavidlesconcernantn’ayantmêmejamaisétémisenœuvre.Pourl’heure,l’Égypteavusonpirecauchemarseréaliser : le chef du parti chiite libanais Hezbollah, HassanNasrallahestdevenupluspopulairedanslesruesduCairequ’auLiban, et le perseMahmoudAhmadinejad a pris les habits dedéfenseurdelacausearabe,envitupérant«lesperfidesaccordsde Camp David ». Il n’est jusqu’à ce fameux journaliste,Mountazer al-Zaïdi, 29 ans, irakien chiite, qui lançant seschaussures surGeorgeBushen2008 lorsd’uneconférencedepresse,aétépromuhérosdelarésistanceparlaruearabe…Laméfiance atavique envers le grand rival perse a surtout éclatéofficiellement au grand jour, en 2006, lors d’une interviewtélévisée sur la chaîne Al Arabiya, au cours de laquelle leprésident Hosni Moubarak a dénoncé la communauté chiiteégyptienne comme « une cinquième colonne iranienne ».Assiégée, l’élite politique égyptienne a le sentiment d’être enproieàuncomplotchiitetousazimuts.Unétatd’espritquel’onretrouvedansleséditoriauxenflammésdelapresseofficielle,deRoz Al-Yousef àAl-Gumhouriyya, qui dénonce à longueur decolonnesl’Iran.Pour autant, les autres pays arabes sont aussi la cible du

mécontentement égyptien. C’est le cas de la Syrie et, depuisquelque temps, duQatar « hypocrite » (accusation d’habituderéservéeauxchiites)qui«comploteauxdépensde l’Égypte».Ces diatribes envers ce petit émirat richissime et propriétaired’Al Jazeera révèlent aussi les doutes d’une Égypte en pleineperted’influenceculturelle:quepèsentaujourd’huilesmédiaségyptiens compassés et vieillots face à l’insolence et auprofessionnalisme de la chaîne qatarie, concurrente directe deCNN?

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2.2Égypte-Palestine:jet’aimemoinonplusLeproblèmepalestinienestgénéralementvucommelepoint

fixant l’éternel antagonisme entre Juifs et Arabes. Pour lecomprendre pleinement, il est cependant nécessaire de prendreencomptelecaractèred’enjeupolitiqueintérieurquereprésentecedramepourl’Égypteprincipale,puissancevoisinedelaTerreSainte. La Palestine demeure en effet depuis 1948, date de lapremièreguerreisraëlo-arabe,unenjeusymboliquequesesontdisputés (souvent) ou sur lequel se sont réconciliés (beaucoupmoins souvent) l’État égyptien et les Frères musulmans,mouvement islamiste représentant laprincipale force structuréed’opposition interne au régime actuel (voir chapitre 3 sur lacultureetlasociétéégyptienne).Premierssurleslieux,en1936,bienavantqu’Israëln’existe

officiellement, lesFrèresavaientplacélaPalestineenpremièrelignedeleurobjectifderéislamisationdelasociétépourcontrerlesmouvements sionistes.Ce n’est donc pas un hasard si unedizaine d’années plus tard, en 1948, la confrérie a envoyé, envain,descentainesdevolontairesépaulerunearméeégyptienneenpleinedéliquescencedanslapremièreguerrecontrelejeuneÉtatd’Israël.Scindésendeuxbranchesaprèslacréationd’Israël– sous influence jordanienne en Cisjordanie, dans l’orbiteégyptiennedans labandedeGaza–, lesFrèresmusulmansontvu peu à peu leur influence diminuer, au profit de nouvellesstructuresstrictementnationalistespalestiniennes.Undéclinquiétait inscrit dès 1957 dans le refus exprimé par les hautesinstances de la Confrérie d’appuyer la démarche d’un de sesmembres,KhalilAl-Wazirdecréer«unenouvelleorganisationparallèleàlaleur,sanscolorationniprogrammeislamique,dontle but officiel soit la libération de la Palestine par la luttearmée»11.Déjà en butte à la vindicte deGamalAbdelNasser

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quilestraquaitpartoutetjusquedanslaBandedeGaza,depuisla tentative d’assassinat dont il avait fait l’objet le 26 octobre1954,lesFrèresn’ontpasvouluajouterunmotifsupplémentaireà lahaineduRaïs.En réaction,deuxansplus tard,KhalilAl-Wazir (alias Abou Jihad), Salah Khalaf (alias Abou Iyad) etYasser Arafat (alias Abou Ammar), trois jeunes étudiantspalestiniensquis’étaientconnussurlesbancsdel’universitéduCaire créèrent le Fatah (La conquête), mouvement nationalpalestiniendelibération,augranddamdugrandfrèreégyptienqui voulait pérenniser l’armistice de 1957 avec Israël.L’universitaire palestinien Khaled Hroub note qu’à cetteépoque : « C’est avec unmélange d’envie et de dépit que lesFrèresmusulmansassistentàl’irrésistibleascensionduFatah,etbeaucoupd’entreeuxdevrontsupporter lespectaclecrueld’unparti adverse plus populaire que le leur, dirigé par nombre deleursanciens juniors.Dans leursarchivesdesannées1950, lesFrèresmusulmansdePalestineévoquentavecautantd’amertumequedeconfusionlesdéfectionsdeleursmembrespartiscréerleFatah. » Nul mieux que Yasser Arafat, premier président del’Autorité palestinienne, n’a finalement autant personnalisé lesrelations intimes, profondes et complexes qu’entretiennentPalestiniens et Égyptiens, relations où les brouilles orageusessuccèdent aux réconciliations tapageuses. Né au Caire, YasserArafat y a suivi toutes ses études comme la majorité de sescompatriotes palestiniens, jusqu’à son diplôme d’ingénieur enpoche. Président très remuant de l’Union des étudiantspalestiniens du Caire à la fin des années cinquante, un tempstrèsprochedesFrèresmusulmans,ilaégalementétéofficierderéserve de l’armée égyptienne. À l’inverse, Yasser Arafat aégalement été le premier dirigeant à afficher sa volonté de« désarabiser » la question palestinienne. Une indépendanced’espritetd’actionquin’apastoujoursétédugoûtdeNasser,

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SyrienMichelAflaq),l’autremusulman(Salahal-Dinal-Bitar),quiaccolentàl’idéepanarabeuneidéologiesocialisteetlaïque.Conscients de l’hétérogénéité d’unmonde « arabomusulman »craquelé de particularismes, les idéologues du panarabismetenteront d’opérer une synthèse entre différents référentshistoriquesrassembleurs.Ainsi,ledrapeaupanarabe,celuidelarévolte de 1916 visant à unifier le Moyen-Orient, porte lescouleursverte,rouge,noireetblanche,quel’onretrouvedanslaplupartdesdrapeauxarabesactuels,de laPalestineà l’Irakenpassant par le Soudan. Le rouge pour la descendance deMahomet (les Hachémites), le blanc pour les Omeyyades deDamas (VIIe siècle), le noir pour les Abbassides de Bagdad(VIIIe-XIIesiècle)et levertpourlesFatimidesduCaire(Xe–XIe siècle). Malgré cet effort de synthèse et cette visiongéopolitique parfois incarnée par un leader charismatique(Nasser en Egypte), le panarabisme se brisera sur plusieursdifficultés:- Les fractures ethniques internes au monde musulman qui

minent les nationalismes unitaires censés préparer l’unitépanarabe (lesBerbères auMaghreb, lesKurdes enSyrie et enIrak,etlesNoirsanimistesetchrétiensdusudduSoudannesereconnaissentpasdansl’arabité);-Lesaxesderupturegéopolitiquedel’unitéarabe:puissance

anglaise, puissance russe et surtout puissance américaine, quiamplifieàsonprofitlefacteurdedistorsiongéopolitiquequ’estlepétrole;- La guerre froide, qui dresse les uns contre les autres les

Étatsarabesattirésdansl’orbitelibéraleoul’orbitecommuniste;- L’hostilité de l’islamisme politique, ennemi du laïcisme

nationalistearabe.

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L’échec du panarabisme entraîne dans un premier temps lerepli sur eux-mêmes des régimes nationalistes arabes et lediscréditdusocialismelaïc.Dansundeuxièmetemps,larelèveduressentimentcultureletpolitiquearabevas’incarnerdansunislamismepromptàinvoquerl’âged’ordesempiresarabespourle comparer à lamédiocrité, la tyrannie et « l’apostasie » desgouvernementsduMoyen-Orient.EnPalestine,l’OLPlaïqueetmarxisantefiniraainsiparêtredirectementconcurrencéepar leHamas islamiste. Indirectement, le terrorisme transnationalislamiste actuel, que l’on regroupe par commodité sous levocable«AlQaida»,estissupourunebonnepartdecetéchecdunationalismearabe,minétantparlesintérêtsoccidentauxqueparlesfracturesirréconciliablesdelanationarabe.(Les secrets de la géopolitique, Olivier Zajec, éditions

Tempora,2008)

2.6LeprécarrésoudanaissoussurveillanceL’exemple des rois des Méroé, éphémères pharaons de la

XXVe dynastie issus des territoires de l’actuel Soudan, quirégnèrent un temps sur l’Égypte en 730 avant notre ère, avantd’en être impitoyablement repoussés, n’offre pas la meilleuregrille de compréhension des relations entre Égypte et Soudan.Dès la Haute antiquité, les scribes pharaoniens du Delta,regardant au sud, ne voyaient que « le méprisable pays deKouch».Ceméprisestresté,mêmesilesrelationsentreSoudanetÉgyptesontlourdesd’unehistoirepartagée,etdelaprésencedumêmecordonvitalessentiel:ledieu-fleuveNil…Aujourd’hui, de part et d’autre d’une frontière tracée

arbitrairement en 1902 par un fonctionnaire colonialbritannique, les populations du sud de l’Égypte et du nord duSoudanparlentlamêmelangueetpartagentlamêmepratiquede

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l’islam malékite. C’est la raison pour laquelle les Soudanaisn’ont pas besoin de visa pour traverser la frontière. Si lesrelationsentrelesdeuxpaysdelavalléeduNildatentdelaplushauteantiquité,ellesrestentfortementmarquéesparlafiguredeMehemet Ali, viceroi d’Égypte (voir chapitre 3), qui dépêchasonfils IsmaëlauSoudanen1821pourfournirà lamétropolecairotedesesclaves,del’oretdel’ivoire.Razzias,enlèvementset pillages égyptiens eurent tôt fait de soulever les Soudanais,bientôtconduitsparunhommeinspiré,leMahdi,quiprêchalaguerresaintecontre«lesmauvaismusulmans»dunord,«piresqueles infidèles».Planifiéepar lekhédived’Égypte,exécutéepar le général anglais Lord Kitchener, la reconquête« égyptienne » (dans les faits, britannique) du Soudan futeffectivele19janvier1899,datedelacréationducondominiumanglo-égyptien,aprèsl’écrasementetladestructiondetouteslesforces armées madhistes. Petit à petit, à l’occasion de cetteguerre,leSoudanbasculadansl’orbitebritannique.L’Égyptenerenonça jamais au « Pays des Noirs » (en arabe), legouvernementnationalisteduWafdallantmêmeparexempleenoctobre 1951 jusqu’à proclamer Farouk, « roi d’Égypte et duSoudan»,pourcréerunfaitaccompli.L’initiativeirritaLondres,aupointselondescommentateursdel’époque,d’encouragerlecoupdeforcedesofficierslibresde1952.16

À la stupéfaction des Égyptiens et à la grande joie desAnglais, les Soudanais optent à une très large majorité pourl’indépendance, à l’issue d’un référendum organisé en 1953.Vexée, l’Égypte décide de construire unilatéralement le haut-barraged’Assouan,afinde«rapatrierlessourcesduNilsursonterritoire»,selonlaterminologieofficielleenvogueàl’époque.L’unité de la vallée du Nil (partagée du sud au nord entreÉthiopie,SoudanetÉgypte)vitsesdernièresheures.Tournantle

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permettait de passer les fourches caudines des censuresbritannique et royale tout en dénonçant avec une pointed’humourlesconventionssocialesédictéesparunrégimeàboutdesouffle.Une fois mise au service du nouveau régime Nasser,

l’industrie du rêve va fonctionner à plein régime : « Taxi del’amour»(Taxial-Gharam)deNiaziMostafaa,aimablebluettequi a eu un tel succès dans lemonde arabe qu’enAlgérie, lesmilitants du FLN avaient pris l’habitude de surnommer lesfourgonsdelaPolicefrançaise,taxial-Gharam!Lasdesdécorsen carton kitsch et des histoires d’amour impossibles qui seterminent toujoursenhappyend,unenouvellegénérationplusengagée va poser ses caméras dans les rues sous l’impulsionnotamment de scénaristes comme Naghib Mafouz, futur PrixNobel de littérature et de jeunes cinéastes comme YoussefChahinequisigne,en1958,avecGareCentrale(BabelHadid),un chefd’œuvre bouleversant. À partir des années 1960, lecinéma égyptien, nationalisé, va bénéficier de moyensconsidérables de la part de l’État qui veut en faire une desvitrines du régime et un instrument de puissance. Des artistescomme Salah Abou Seif, Tawfik Saleh, et surtout YoussefChahine sont reconnus dans les festivals de cinéma dumondeentier (Berlin, Cannes, Moscou). Une génération dorée etturbulentequipourtantn’épargnerapaslerégime,surtoutaprèslacuisantedéfaitede1967(LesrévoltésdeTawfikSalehouLepéché d’Henry Barakat). En 1969, Chadi Abdel Salam réaliseLaMomie(AlMoumia),sansdouteundesplusbeauxfilmsducinéma égyptien, et ce faisant un chef-d’œuvre du cinémamondial.Le scénario s’appuie sur des faits réels survenus lorsd’une expédition archéologique française conduite parl’égyptologuefrançaisGastonMaspérodanslaValléedesRois,en 1881 : une initiative éminemment rare dans les œuvres

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contemporaineségyptiennesqui ignoraient superbement,etquiignorent toujours, leur prestigieux passé pharaonique. ChadiAbdelSalammetenscèneunefamillevivantdepuisdessièclesdu pillage des tombes près de Louxor,mais qui va peu à peuprendreconsciencedel’héritagedel’ancienneÉgypteetdesonidentitéculturelle.En démantelant les studios nationalisés et en coupant les

financements, en 1970, à son arrivée au pouvoir, Anouar ElSadatebriseladynamique.HollywoodsurleNilentameunlentdéclin que réveillent, de temps à autre, desœuvres de plus enplus teintés d’amertume et de nostalgie comme celui de laréalisatrice Asma El Bakri qui met en scène, avec talent, leterrible Mendiants et orgueilleux, tiré du roman d’AlbertCossery, ou Marwan Hamed avec son émouvant ImmeubleYacoubian,adaptéduromand’AlaaElAswany.Lascèneoùl’onvoitZakiPacha,interprétéparlastardubox-officeAdelIman,hurlant son désespoir devant « les façades défigurées et lesdépotoirs sur les toits des immeubles jadis plus beaux qu’enEurope»offreunraccourcisaisissantdel’étatéconomiquemaisaussi psychologique qui règne dans le pays. C’est cette veinesombre et sans espoir que Heidi Toelle et Katia Zakharia,professeurs de littérature arabe moderne et classique, ontidentifié comme étant la marque d’une « littérature dudésenchantement»20.DeSonallahIbrahimenpassantparGamalal-Ghitani ou Alaa El Aswany, le meilleur de la littératureégyptiennemodernebaigneàl’unissond’unehainedesoietdesinstitutionsquel’onauraitgrandpeineàretrouverchezleplustorturé des auteurs de l’ultra-gauche française. Dans leurpassionnantouvrage,HeidiToelleetKatiaZakhariaexpliquentque : « Si les problèmes politiques et sociaux ne sont pointdélaissés, ce sont les dysfonctionnements du système qui sont

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décortiquésavecuneironied’uneférocitérarementatteinte.Le“réalisme” est subverti, soit par le documentaire, soit par lefantastique,investiparlemytheoulemysticisme,danslebutdemieuxfaireéclaterl’absurditéd’unquotidiencauchemardesquequ’on ne saurait fuir. Les personnages en arrivent à ne plusdistinguerentrefaitsréelsetimaginaires,sombrentdansl’alcooletlafolie.»Iln’estqu’àlirelatiradevengeressedeMahmoudTripple,artistesanslesou,dansJ’auraisvouluêtreégyptien,lepremier livredugénialAlaaElAswany, interditdepublicationparl’officedulivrepourinsultesàl’Égypte21 :«L’Égyptedespharaonsétaitvraimentunegrandenation,maisqu’avons-nousàvoiraveceux?Noussommesleproduitavariédumétissagedessoldats conquérants et des sujets vaincus asservis. Le paysanégyptien à qui on a confisqué sa terre et dont l’honneur a étébafouépendantdelongssièclesaperdutoutcequilerattachaitàsesgrandsancêtres.Ilestdepuissilongtempshumiliéqu’ils’yestrésignéetaacquisunementalitédelarbin.Essayezdevousrappelercombiend’Égyptienscourageux,auvraisensduterme,vousavezrencontrédansvotrevie!(…)Unsimplelarbin,voilàce que c’est qu’un Égyptien. Je déteste les Égyptiens et jedéteste l’Égypte de tout mon cœur. Je leur souhaite toute ladéchéanceettoutlemalheurpossibles.»

Aujourd’hui, les jeunes cairotes se branchent sur les téléslibanaisespourdanser,lestéléssyriennespourvoirautrechoseque des feuilletons à l’eau de rose datés, et sur la chaîned’information Al Jazeera pour s’informer. Au grand damd’Ahmed Abou Al-Gheit, le tonitruant ministre égyptien desAffaires étrangères, qui tente de minimiser cette perted’influenceculturellepourtantpréoccupante:«Certainsontcruqu’unetélévisionparsatellitepouvaitrenverserl’Étatégyptien,sans réaliser que l’Égypte est beaucoup plus forte que cela.

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de l’empereur romain. Le martyrologue copte compte ainsiplusieurs dizaines de milliers de croyants. Malgré le travailconsidérable de catéchèse du Didascalée, il faudra cependantattendreleIVesièclepourquel’Égypteentièreseconvertisseauchristianisme. La promulgation par l’empereur Constantin del’édit deMilan accordant aux chrétiens la liberté de culte en313, suivi de l’édit de Théodose en 391 instaurant lechristianisme comme religion d’État, entérinent la victoire duchristianisme.ÀlafinduIVe siècle,oncomptecinquante-septévêchés. Le basculement définitif de la population s’opèred’autantmieux qu’aumêmemoment apparaît le monachisme.Cette « montée au désert » qui attire les chrétiens du mondeentieragrandementcontribuéauprestigedel’Églisecopte.

Fondateur de l’érémitisme, Saint Antoine, originaire duFayoum,futsansdoutelepremierd’entreeuxàs’installerdanslarégiondeThèbes,solitaireetsoumisàlatentationdudiable,selon les écrits d’Athanase d’Alexandrie, Docteur et père del’Église. Il fuyait surtout les disputes et la corruptiond’Alexandrie. Nul ouvragemieux que « La tentation de SaintAntoine»,lechef-d’œuvredeGustaveFlaubertsurlefondateurégyptiendumonachismechrétien,nerendl’ambianceculturellequ’on imagine régneralorsdans lavilled’Alexandre leGrand.Par lavoixdeSaintAntoine,Flaubert se fait documentaliste :«Nousrevenionsensuiteparleport,encoudoyantdeshommesde toutes les nations, jusqu’à desCimmériens, vêtus de peauxd’ours,etdesGymnophistesduGangefrottédebousedevache.Maissanscesse,ilyavaitquelquebatailledanslesrues,àcausedeJuifsrefusantdepayerl’impôt,oudesséditieuxquivoulaientchasserlesRomains.D’ailleurslavilleétaitpleined’hérétiques,des sectateurs de Manès, de Valentin, de Basilide, d’Arius –

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tous vous accaparant pour discuter et vous convaincre. »L’écrivain n’oublie pas l’arrière-fond idéologique quiaccompagnelespremierspasdeSaintAntoine(251-356)dansledésert : « Jeme suis réfugié àCozim ; etma pénitence fut sihaute que je n’avais plus peur de Dieu. Quelques-unss’assemblèrent autour demoi pour devenir des anachorètes. jeleuraiimposéunerèglepratique,enhainedesextravagancesdelaGnose et des assertions des philosophes.Onm’envoyait departoutdesmessages.Onvenaitmevoirdetrèsloin.Cependantle peuple torturait les confesseurs, et la soif du martyrem’entraînadansAlexandrie.»25Paradoxalement, c’est l’afflux de disciples dans le désert

auprès d’anachorètes solitaires (du grecanakhorein, se retirer)quidonnanaissanceaumonachisme.PacômedeTanebèsejettelesbasesdespremièresrèglesdespremiersmonastèresausenspropre du terme, dans lesquels les moines et les monialesmènent une existence cénobitique (communautaire), paroppositionauxanachorètes(solitaires).Enréalité,lesermitesetautres anachorètes s’inspiraient d’une très ancienne traditiond’érémitismedésertiqueapparuedans l’ancienneÉgypte, reprisparlesjuifsalexandrinsdécritsparPhilond’AlexandriedanssaVitaContemplativa.Larenomméedes«Pèresdudésert»commePauldeThèbes

(mort en 340) ou Saint Pacôme (286-348) ont en tous les casétablil’Égypteaurangde«patriedesmoines»DepassageenPalestineetenÉgypteaudébutduVe siècle, le françaisSaintJeanCassiensechargead’introduirelecénobitismeenEurope,en fondant deux premiers monastères dans la région deMarseillequiconnurentungrandsuccès.

Larupturedel’unitéchrétienne

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Après la période des grandes invasions en Occident, c’estl’Empireromaind’Orient(ditaussiEmpirebyzantin),héritierdeRome, qui va régner sur l’Égypte. Soucieux d’affirmerl’indépendance du patriarcat face à la lourde tutelle de lacapitale de l’Empire, Constantinople, Dioscore Ier, patriarched’Alexandrie, frappe un grand coup en 444, en adoptant lesprincipes théologiques d’Eutychès, un archimandrite grec quienseignait une conception monophysite du Christ (une seulenature,divineetnonhumaine).Aucoursduconciled’Éphèse,DioscoreparvientmêmeàimposersesvuesetàexcommunierlepaperomainLéonIer.Unevictoiredecourtedurée.LeconciledeChalcédoine, tenuen451, ledépose, l’exile,et réaffirme ladoctrinedel’Église,àsavoirqueJésus-Christestà lafoisvraiDieu et vrai homme en « une seule personne et deux natures,sans confusion ». Si la dispute théologique fut tranchéerapidement par l’annulation des actes du concile d’Éphèse, iln’enallapasdemêmeavecladisputepolitique.LesÉgyptiensfirentcorpsavecleurhiérarchie,donnantnaissanceàunerévoltenationalistecontreleclergénomméparConstantinople.ConséquencedirecteduconciledeChalcédoine,lepatriarcat

d’Alexandrie est encore aujourd’hui porté par trois chefsd’Église : le pape Chenouda III, de l’Église copte orthodoxe(autocéphale), SaBéatitudeThéodore II, de l’église orthodoxegrecque et Sa Béatitude Antonios Naguib, de l’église coptecatholique.Lepatriarchecopteestleseulprélatorientalàporterencore aujourd’hui le titre de « pape ».Depuis la création dupatriarcat catholique copte en 1895 par la constitutionapostoliqueChristiDominidupapeLéonXIII,onnotequeleseffectifscatholiquesn’ontpascessédecroître:14576fidèlesen1907,57556en1950,168503en1991et210000en2006.Il n’est d’ailleurs pas anodin que lors de la visite de Sa

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019/2009

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Achevéd’imprimerenavril2009

ImpriméenUnioneuropéenne

Dépôtlégal:mai2009

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1.Histoiredemavie,Alarecherched’uneidentité,d’AnouarElSadate,éditionsFayard,1981.2.Victimes:histoirerevisitéeduconflitarabo-sionistedeBennyMorris,

éditionsComplexe,2003.3.Unegénérationarabe traumatiséepar ladéfaitedeBasmaKodmani,

LeMondeDiplomatique,juin2007.4.Hassan II, laMémoired’un roi entretiens avecÉricLaurent, éditions

Plon,1993.5.L’automnedelacolèredeMohamedHeykal,collectionL’épreuvedes

faits,éditionsRamsay,1983.6.LeProche-Orientéclaté,1956-2007deGeorgesCorm,éditionsFolio

Histoire,Gallimard,2007.7.Ibid.8. L’État d’Israël sous la direction d’Alain Dieckhoff, Collection Les

grandesétudesinternationales,éditionsFayard,2008.9.Farouk,unroitrahid’AdelSabet,auxéditionsBalland,publiésousla

directiondeJean-PierrePéroncelHugoz,danslacollectionLeNadir,1990.10. La guerre des films article de Yosser Moheb, in Al Ahram Hebdo,

numéro729,semainedu27aoûtau2septembre2008.11.LeHamasdeKhaledHroub,préfacedeDominiqueVidal,auxéditions

Demopolis,2008.12.Placeperduesuiteàlareconnaissancedel’Étatd’Israëlparleprésident

égyptienSadate.13.Nousnesommespasunecarteentrelesmainsderégimesétrangers

entretiendeMahmoudAl-Azhar,inAl-Arhamhebdo,n°736,semainedu15au22octobre2008.14.QuandIsraëletl’Irans’alliaientdiscrètementdeAlastairCrooke,in

LeMondeDiplomatique,février2009,n°659.15.LaSyriedePhilippeRondot,collectionQuesais-Je,éditionsPresses

universitairesdeFrance,1993.16. L’Égypte en mouvement de Simone et Jean Lacouture, collection

EspritFrontièresouvertes,éditionsduSeuil,1956.17.EncheminantavecHérodote, voyagesaux extrémitésde la terre de

Jacques Lacarrière, collection Étonnants Voyageurs, aux éditions Seghers,1981.18.L’expéditiondeBonaparteenÉgypte,témoignagescroisésdeVivant

DenonetAbdelRahmanEl-Gabarti,collectionBabel,éditionsActesSud.19.L’Express,9décembre1993.

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20.Àladécouvertede la littératurearabe,duVIesiècleànos joursdeHeidiToelleetKatiaZakharia,éditionsFlammarion,collectionChamps.21. J’aurais voulu être égyptien d’Alaa El Aswany, éditionsActes Sud,

2009.22. Les Frères musulmans (1928-1982) d’Olivier Carré et Gérard

Michaud,collectionA,éditionsGallimard/Julliard,1983.23.L’islam,l’avenirdelatradition,entrerévolutionetoccidentalisation

deCharlesSaint-Prot,éditionsduRocher,618p,2008.24. Les christianismes disparus, la bataille pour les écritures :

apocryphes,fauxetcensuresdeBartEhrman,éditionsBayard,2007.25.LatentationdeSaintAntoinedeGustaveFlaubert26.Dictionnaire de l’Orient chrétien de Julius Assflag et Paul Krüger,

éditionsBrepols,1991.27. L’Égypte en mouvement, de Jean et Simone Lacouture, collection

Esprit«Frontièreouverte»,éditionsduSeuil,1956.28.Lescoptesenpolitiqueégyptienne,lerôledeMakramEbeiddansle

MouvementNationaldeMoustaphaAlFequi,éditionL’Harmattan,2007.29.PolitiquesetminoritésauProche-orient,lesraisonsd’uneexplosion

deLaurentChabryetAnnieChabry,éditionMaisonneuve&Larose,1987.30. Les chrétiens du monde arabe préface de Pierre Rondot, éditions

MaisonneuveetLarose,1987.