“Légende et vie d’Agoun’chich” · PDF filel’enthousiasme...

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  • Lgende et vie dAgounchich

    de Mohammed Khair-Eddine : Un monde au fminin

    Dfaite et dsertion de lhomme : Lgende et vie dAgounchich peut paratre la premire lecture comme lhistoire dun guerrier chevronn, une brute assoiffe de sang qui livre une bataille interminable ses ennemis locaux , en particulier les assassins de sa sur et ceux venus de ltranger: les colonisateurs. Il se lie damiti avec le violeur, un autre brigand courageux et cruel avec lequel il va entreprendre une pope guerrire. Cette prsence dune apparence farouche dominant tout le paysage romanesque de Lgende et vie dAgounchich nocculte pas la prsence de la femme qui se manifeste sous divers aspects. Cependant, la figure maternelle reste privilgie par la rcurrence de ses interventions dans le rcit et par le capital symbolique dont elle est dtentrice. Il est signaler que la figure fminine sidentifie un rle prcis que lui assigne la famille en tant quinstitution traditionnelle qui dtermine le mode de la division du travail, de lducation et le mode de vie tout court. Etant donn le contexte dans lequel se droulent les vnements de cette histoire, une priode particulirement trouble, lhomme assume une fonction guerrire. Il endosse la responsabilit de protger la terre, la communaut et la famille. La femme, quant elle, soccupe du foyer et assure la survie des siens. Cest partir de ces donnes sociologiques que lauteur a investies dans son uvre littraire, que la fiction prend forme et se dveloppe. Lhomme est impliqu dans lengrenage dune guerre dvastatrice. La rsistance initie par Agounchich, le violeur et autres dissidents contre les occupants na pas abouti. Lentreprise guerrire a chou et

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  • lenthousiasme et le courage vont cder la frustration et lamertume de la dfaite. Agounchich est dsormais inexorablement pouss la dsertion et la dmission de ce monde prouvant et vou leffritement et la dgradation. Son retrait et surtout sa fugue Casablanca dlaissant sa femme et sa fille dans le village natal est une exprience quon peut considrer comme un archtype du sort rserv aux hommes du Sud. Ce retrait collectif des hommes introduit le dsquilibre qui affecte tous les aspects de la socit du Sud. La prminence de la figure fminine La femme sen trouve oblige de se substituer lhomme et de sinvestir pleinement pour soccuper des terres dlaisses. Khair-Eddine cherche capter cette ralit en pleine mutation, profondment secoue par la force et la violence des vnements qui sont survenus dune faon brutale. En freinant lardeur des combattants et en les rduisant au silence, les guerres coloniales dites de pacification ont transform le Sud en terre orpheline , terre de dsolation ou presque. Cest dans ce dsastre clair par des rfrences la ralit de certaines rgions du Sud que la femme est amene voluer. Son exprience et son existence sont dramatiques, car elle se trouve dans lobligation de combler le vide et le chaos laisss par la guerre et la dsertion de lhomme. Elle est donc contrainte assumer seule cette situation dsastreuse. Cest le cas de la mre de Sidi Hmad Ou Moussa qui avait quitt le village trs jeune Le personnage na pas quitt seulement le village mais galement la mre laisse labandon. En parcourant le roman, on dcouvre des scnes o la mre, rduite la misre, la solitude et au malheur, devient une figure pathtique. Dans ce paysage romanesque, on dcouvre lindiffrence quasi-sadique de lenfant qui abandonne sa mre et on mesure la prcarit de lexistence de celle-ci; une existence bouleverse par les alas de lhistoire et les tourments affectifs causs par labsence du fils. Le reproche de la mre est donc est justifi : Nas-tu jamais pens, au cours de ton long voyage, ta pauvre mre, veuve et abandonne de tous? Et au mpris quon voue aux femmes sans poux et sans enfants ? Ces propos dune mre sans soutien peuvent tre considrs comme un cri de dtresse. Ils rvlent non seulement lexistence particulirement prouvante de la mre de Sidi Hmad Ou Moussa, mais galement linjustice sociale qui se traduit par le mpris quon voue cette catgorie de femmes. Le cas de cette mre qui nest pas dote de prnom, nous

  • fait comprendre que la disgrce personnelle dune femme qui se morfond dans linquitude et lusure pourrait tre considre comme la mesure du malheur commun. La femme gagne par la vieillesse et en tat de dsespoir total peut se ressaisir et rassembler ses forces pour affronter seule cette exprience prouvante quelle est amene vivre aprs la mort du mari et le dpart du fils. La rgnrescence des facults et du courage de la mre de Sidi Hmad Ou Moussa est exprime de faon allgorique par la reconstruction magique du corps de sa vache dbit par les bouchers et sa renaissance. Cette histoire qui relve du merveilleux et puise dans limaginaire collectif est la promesse dun renouveau et dun essor dont seule la femme est vecteur. Les femmes voluant dans ces espaces habits par une identit particulire et o sentrelacent la folie, la magie et la douleur sont semblables ces arbres pineux, mille fois vaincus et mille fois ressuscits []. Larganier est sans doute le symbole le plus reprsentatif de ce pays montueux que la lgende aurole de ses mythes patins et ses mystres Les deux tres, le premier est humain et le deuxime est vgtal, luttant pour la survie, sont rputs pour leur capacit de rsistance. Lgende et vie dAgounchich est une uvre fictive certes, mais ancre dans lespace du Sud, dans sa culture et ses mythes. Khair-Eddine donne une importance cardinale la culture qui constitue lidentit de cet espace. Ce patrimoine menac par la guerre et la modernit envahissante est prcieusement gard par la femme. Cette fonction conservatrice de la mmoire et de lidentit est manifeste dans ce passage : Ctait lAgadir immmorial, plus ancien que les vieilles constructions : un immense magasin fortifi o chaque famille possdait une chambre o elle entreposait orge, bijoux, vtements de crmonie, reliques, actes de toute sorte, et dont la cl ne quittait jamais laeule la plus ge du clan Ce passage est rvlateur du mode dorganisation sociale du Sud. La dtention de la cl du magasin des villageois est synonyme de la dtention des arcanes et des secrets de cette communaut. Laeule la plus ge est, dans ce contexte, une mmoire vivante qui assure la prennit de la culture et particulirement de la fonction signifiante des objets (bijoux, vtements de crmonie) travers laquelle stablit le rapport au monde, les rites dinteraction, lexpression des sentiments de joie En lui attribuant ce rle, la socit entend rendre hommage la femme qui reste laborieuse et utile malgr le poids de lge et la fatigue du corps. La prise de conscience de limportance de lhritage matriel et symbolique par la femme se traduit par la transmission des

  • connaissances locales aux gnrations naissantes. La femme soccupe soigneusement de lducation de lenfant en nourrissant son imaginaire : De tout temps la femme berbre a t pourvoyeuse des significations caches du monde. Cest elle qui inculquait aux trs jeunes enfants la culture ancestrale que lhomme, trop paresseux quand il nest pas occup dans les mines dEurope ou les piceries de Casablanca, ne leur dispensait pas. Le souci de rigueur qui caractrise ce paragraphe lapparente un commentaire anthropologique. Lauteur y fait une constatation propos du pouvoir cratif dont dispose la femme et ses performances pdagogiques qui font dfaut lhomme. Ces affirmations quaucun doute ne traverse, mettent laccent sur la relation quasi-fusionnelle quentretient la femme avec le monde sensible et ses signes. La tche ternelle de la femme est dlaborer des structures signifiantes de limaginaire susceptibles de faonner une perception spcifique du monde chez lenfant. Elle assume donc une fonction dinitiation auprs des trs jeunes enfants qui sont amens recevoir et intrioriser ce savoir maternel prcieux. En parallle cet intrt port par la femme ses enfants, linsouciance de lhomme est fustige car il nest daucune utilit sa communaut et sa famille. Gagn par la paresse ou happ par le pige de la modernit, lhomme ne pourrait en aucun cas contribuer restaurer ldifice culturel dlabr. Il est inexorablement dchu . Cest pourquoi il prfre sgarer loin de la terre du Sud qui peut tre considre comme le tmoin ternel de sa dfaite. Par contre, la mre qui semble anime dune me multiple, rserve ses enfants un intrt immense. Elle rpond avec dvouement lobligation imprieuse de les duquer : exigence fondamentale qui sexerce en tout temps. Cest le mouvement et lapprofondissement de lcriture qui clairent cette dimension invisible de la femme. Car cette tche qui la rapproche dune faon dcisive de ce point o tout peut sexprimer, ce temps mythique o elle communie avec les lments de la nature et srige en desse bienveillante . La transcendance de la figure maternelle trouve sa justification dans sa prdisposition rpondre essentiellement cette exigence souveraine : celle dassumer la perte du monde sudique dont lquilibre est drang par les vicissitudes des guerres intestines et lintervention foudroyante des forces occupantes. Les preuves ont puis la fidlit de lhomme sa vocation guerrire. Le doute sur soi est inexorablement li la dchance, la fuite et lesclavage auquel il est rduit dans les mines dEurope. La valeur prestigieuse quaccorde Khair-Eddine aux femmes est due leur force de rsistance, leur obstination vouloir vivre malgr tout

  • dans cet espace o les changements de saison se transforment en festivits dionysiaques o le dsir vital acqurait une dimension propre aux mythologies les plus envotantes Restaurer un monde en dperdition, apporter un souffle de gaiet aprs un malheur dvastateur est une tche qui relve du pouvoir divin. Cest cet effort mythique qui justifie lexaltation de la mre et la rhabilitation de son statut au-del de toute mesure. La persistance du Paradig