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BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 AOÛT-SEPT. 2015 prix 2 euros | 59e année # 73 août - septembre 2015

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La Gauche est le journal bi-mestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire LCR, section belge de la Quatrième Internationale. www.lcr-lagauche.org

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BELGIE-BELGIQUEP.B. 1/9352BUREAU DE DÉPÔTBRUXELES 7P006555AOÛT-SEPT. 2015

prix 2 euros | 59e année #73août-septembre 2015

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Ont contribué à ce numéro: Jean Batou, Sébastien Brulez, Charlotte Clabecq, Matilde Dugaucquier, Denis Horman, François Houart, Rémy Martin, Little Shiva, Daniel Tanuro, Léo Tubbax, Femke Urbain, Guy Van Sinoy

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

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prix 2 euros | 59e année

août-septembre 2015#73

3 Édito par La Gauche

4 L’épreuve de force grecque et l’urgence du débat stratégique à gauche déclaration de la LCR/SAP

6 Miguel Urbán: "Pas de victoire électorale sans victoire politique" propos recueillis par Matilde Dugaucquier

9 Le PTB, Syriza, Podemos et le spectre de la "Gauche d’Ouverture" par Daniel Tanuro

11 Taxshift: fiscalité juste ou… attaque contre la sécurité sociale? par Rémy Martin

13 Le piège des contrats de service, consultance et mise à disposition par Martin Willems

14 Le nucléaire, meilleur marché? par Léo Tubbax

16 Gestation pour autrui: quels enjeux pour les femmes? par Femke Urbain

18 Réforme des pensions : Halte au démantèlement! par Denis Horman

22 Hommage à François Vercammen par Daniel Tanuro

26 Il y a un siècle: Le génocide du peuple arménien par Guy Van Sinoy

28 La lutte des classes c’est aussi la lutte des mots par Guy Van Sinoy

30 ZAD partout: Occuper, résister, inventer! par Correspondant

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✒ par La Gauche

Les événements qui se sont succédé en Grèce en quelques jours (ultimatum de la troïka fin juin, référendum du 5 juillet rejetant l’ultimatum, capitulation de Tsipras, acceptation de l’ultimatum par une majorité hétéroclite au parlement grec) sont pleins d’enseignements. Un peu partout les masques tombent.

L’Union européenne est une machine antidémocratique servant à casser les acquis sociaux. C’est l’Europe du capital! "Cela je le savais déjà!", me direz-nous. Bien sûr, activistes anticapitalistes, militants syndicaux, lecteurs et lectrices de La Gauche, vous le saviez déjà! Mais ce qui est nouveau est que depuis le déballage largement médiatisé des manœuvres de la troïka, ce sont désormais des millions de personnes en Europe qui ont compris le caractère antidémocratique et antisocial de l’Union européenne. Elles ont aussi compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’un plan d’austérité supplémentaire mais aussi d’une pression pour renverser le gouvernement Syriza démocratiquement élu. C’était donc un putsch dans tous les sens du terme. Et lorsque les responsables européens déclarent que "l’image de l’Europe sort affaiblie de cette affaire", ils reconnaissent implicitement que pour des millions de personnes le masque de l’Union européenne est tombé.

Parmi les aboyeurs de droite, camouflés derrière le masque de la rigueur, qui sont montés au créneau pour fustiger les dirige-ants grecs qui résistaient à l’ultimatum, Guy Verhofstadt s’est particulièrement illustré. Quand il recommandait à Tsipras de tout privatiser en Grèce, Verhofstadt aurait du se rappeler qu’en 2001, alors qu’il était Premier ministre, la Sabena pri-vatisée a été déclarée en faillite. Ou encore des banques belges qui ont été sauvées avec l’argent public dix ans plus tard.

D’autres masques sont tombés. Alors que jusqu’à présent la sortie d’un pays de l’Union européenne ou sa sortie de l’euro apparaissait comme un scénario surré-aliste, c’est désormais un scénario devenu

envisageable dans certaines conditions pour échapper aux diktats de la troïka. C’est la raison pour laquelle les dirigeants euro-péens se sont divisés entre ceux prêts (tels que le ministre allemand des Finances) à pousser la Grèce hors de la zone euro et d’autres effrayés par cette perspective (François Hollande). Sous la pression des événements, le masque de l’unité des diri-geants européens a volé en éclats.

Syriza a été l’expression électorale de la protestation des masses grecques contre une politique d’austérité criminelle. Mais par son origine et sa composition, Syriza était une force politique hétérogène. Sous la pression de l’ultimatum européen Syriza a volé en morceaux: même si la majorité des parlementaires ont soutenu la capitulation de Tsipras, une majorité du Comité central s’y est opposée. Là aussi les masques sont tombés entre d’une part ceux qui tournent leur veste pour rester au pouvoir et d’autre part ceux qui continuent à s’opposer courageusement aux diktats de l’Union européenne.

Mais la lutte continue. Contraint de se séparer de ses ministres rebelles, il n’est pas sûr que Tsipras pourra continuer à gou-verner sans de nouvelles élections. D’ici là, une nouvelle recomposition politique à gauche regroupant tous les anticapi-talistes qui refusent l’austérité pourrait voir le jour. D‘autant plus que le nouveau plan d’austérité va aggraver la misère des masses et que des luttes sociales vont très probablement se durcir.

Là aussi, des masques devraient tomber. En particulier chez les respon-sables de groupes politiques grecs sectaires qui, après avoir contemplé leur nombril, décrètent que leur organisation politique est la seule organisation révolutionnaire et qu’il est donc superflu de s’investir dans la construction d’une large coalition radicale prête à repousser tous les plans d’austérité et mettre en place un gouvernement anticapitaliste. Ces masques devraient tomber en Grèce, mais aussi en Belgique car la population laborieuse de Grèce aura besoin d’un soutien internationaliste, unitaire et radical.■

Grèce: les masques tombent

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e L’épreuve de force grecque et l’urgence du débat stratégique à gauche ✒ par LCR/SAP

La "solution" temporaire de la crise grecque (en réalité, une crise de l’Union Européenne) par une attaque d’une férocité inouïe contre les travailleur-euse-s,  le pillage de leur pays et  la mise sous tutelle de leurs institutions constitue un évènement majeur. Le fait que cette "solution" ait été acceptée par l’équipe dirigeante de Syriza autour d’Alexis Tsipras, en dépit du vote massif contre l’austérité intervenu une semaine plus tôt lors du référendum décidé par ce même gouvernement, interpelle brutalement l’ensemble des forces de gauche qui luttent pour une alternative à l’austérité néolibérale. Par une accélération impressionnante de l’histoire, tout cette gauche – y compris en Grèce: la gauche de Syriza ne se laisse pas faire! – se trouve soudain confrontée à un débat stratégique de toute première importance: comment articuler lutte sociale et politique, au plan national et au plan européen? Quelle attitude face à l’euro et à l’Union européenne? Quelle perspective politique/institutionnelle? Dans ce débat vital pour la survie de la gauche, la LCR met en débat les thèses suivants.

1. L’expérience grecque – la victoire d’un parti anti-austérité alternatif à la social-démocratie qui débouche six mois après sur une nouvelle cure d’austérité encore plus cruelle! – oblige toutes les gauches et le mouvement ouvrier à prendre conscience de l’énorme obstacle que constitue non seulement l’euro mais aussi l’Union européenne. L’UE n’est pas une force de paix, de progrès et de démocratie: c’est un ensemble despotique d’institutions et de règles entièrement au service du projet capitaliste des grands groupes industriels et financiers. Ceux-ci veulent faire table rase des conquêtes sociales et démocratiques pour affronter la concurrence intercapitaliste dans l’arène mondiale.

2. Si ce troisième mémorandum passe, la défaite subie par les exploité-e-s et les opprimé-e-s de Grèce sera en premier lieu le résultat de la lâcheté des directions traditionnelles du mouvement ouvrier et de la gauche (politique et syndicale) dans le reste de l’Europe, de leur inaction et même de leur complicité honteuse avec la troïka. Celle-ci est le fruit de décennies de collaboration au "projet européen" de la part de la social-démocratie, de la démocratie chrétienne et de la Confédéra-tion européenne des Syndicats. Mais cette défaite serait aussi le produit de la stratégie politique de la direction de Syriza, basée sur l’illusion fatale d’un compromis pos-sible dans le cadre de l’Union européenne et de l’euro. En effet, c’est cette illusion qui a amené Tsipras à sacrifier la volonté du peuple grec, exprimée clairement dans le référendum (que Tsipras avait lui-même convoqué!), sur l’autel du "respect" de ces institutions et du "sens des responsabilités" par rapport à leur "stabilité".

3. La cruauté de l’austérité imposée une nouvelle fois au peuple grec est à la mesure de la peur des classes dominantes d’Europe. Peur face à la victoire de Syriza et à la décomposition de la social-démocratie grecque, et en conséquence à l’absence d’une solution politique de

rechange pour la bourgeoisie. Peur face au risque de contagion en Europe, en premier lieu en Espagne avec Podemos. Peur, surtout, face à la fantastique mobilisation populaire qui a débouché sur la victoire du "Non" au référendum, et qui risquait de donner à cette contagion une dynamique incontrôlable.

4. La preuve est faite qu’une politique sociale, démocratique et écologique n’est pas réalisable sans mettre à bas l’UE. L’alternative n’est pas le repli sur les Etats nationaux – une voie sans autre issue que le retour de la guerre entre puissances européennes – mais un combat de longue haleine visant à paralyser puis à casser l’UE afin de rendre possible la création par les peuples d’une toute autre structure: les Etats-Unis socialistes d’Europe.

5. Avancer en direction d’une autre Europe (donc d’une assemblée constitu-ante des peuples européens) implique de coordonner tout de suite les luttes contre l’austérité. Cette coordination se heurte non seulement à la politique des organ-isations traditionnelles, mais aussi aux grandes différences de rythmes et de situ-ations entre les pays et à la division entre pays – que l’Union européenne attise et que la monnaie unique approfondit en stimulant la division internationale du travail et le développement inégal au sein même de l’Europe. L’action d’un gouver-nement de gauche dans un pays doit donc chercher à favoriser la solidarité interna-tionaliste et les mobilisations populaires sur la base du refus de l’austérité et du des-potisme, et viser ainsi à créer les conditions de luttes qui s’étendent à un plus grand nombre de pays, convergent, se coordon-nent et rendent l’UE et l’euro de plus en plus ingouvernables.

6. Sortir de l’euro n’est pas une condition suffisante pour rompre avec l’austérité (la preuve par la Grande-Bretagne) mais, dans le cas grec, pour les pays de la périphérie et pour ceux qui ne sont pas au cœur de la zone euro, c’est

Dracon, bibliothèque de la Cour suprême, Etats-Unis

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clairement une condition nécessaire. 7. La nécessité de rompre avec l’euro

n’implique pas de faire de la sortie de l’euro l’axe central d’un programme alternatif. Même en Grèce, où la ques-tion se pose pourtant de façon brûlante et immédiate, l’axe du programme alternatif doit être le refus de toute austérité et la mise en œuvre d’une politique sociale, écologique, anticapitaliste et démocra-tique, qui améliore directement le sort des travailleur-euse-s, jeunes, femmes, des victimes du racisme et des paysans.

8. Faire de la sortie de l’euro l’axe de l’alternative serait se heurter inutilement à l’idée très généralisée que la monnaie n’est qu’un moyen technique "neutre" de permettre les échanges, alors qu’elle est aussi la cristallisation d’un rapport social. Faire de la sortie de l’euro (ou de l’UE) l’axe de la bataille serait aussi faire le jeu de la droite extrême et de l’extrême-droite, en diffusant l’illusion qu’un développement socio-économique-écologique harmonieux serait possible dans le cadre national. Cette illusion nuit à la solidarité internationaliste. Or, celle-ci est cruciale non seulement pour la lutte en Grèce, mais aussi parce que l’intégration des économies sur le continent nécessite une perspective anticapitaliste européenne pour satisfaire les besoins sociaux et répondre aux urgences écologiques.

9. Dans la conjoncture actuelle, hors d’une période (pré-)révolutionnaire, le refus totalement intransigeant de l’austérité, l’exigence intransigeante d’une politique démocratique et du respect de la souveraineté populaire, des mesures concrètes d’autodéfense contre le sabotage capitaliste intérieur et extérieur – telles que la socialisation des banques, le contrôle des capitaux, le cadastre et l’imposition des patrimoines, la suspension du paiement de la dette et son annulation, le contrôle ouvrier dans les entreprises – sont une condition sine qua non pour atteindre ce but.

10. La clé de la situation ne réside pas dans l’élaboration d’un "plan B", catalogue de mesures plus ou moins techniques – qui implique par définition un "plan A" de maintien dans l’euro. Elle réside dans une stratégie sociale axée sur la conquête de l’hégémonie idéologique par un bloc rassemblant les exploité-e-s et les opprimé-e-es (les travailleurs/euses, les femmes, la jeunesse, les petits paysans, les sans-papiers et les racisé-e-s) dans la perspective d’une confrontation de masse avec la logique capitaliste et les

institutions européennes qui l’incarnent. 11. Une s tratégie qui assume

clairement et sans faiblesse qu’elle ira jusqu’à la rupture, sans se soucier de la crise institutionnelle que cela provoquera au niveau de l’UE, sans se soucier de la perte de crédibilité qui en résulte pour le prétendu "projet européen" ou pour "la stabilité de l’euro", permet de passer de la défensive à l’offensive parce qu’elle favorise la mobilisation de masse des exploité-e-s et des opprimé-e-s. La semaine de mobilisation pour le NON au référendum, en Grèce, a montré l’énorme énergie sociale qui peut être libérée de cette façon, et sa force d’attraction sur les travailleurs/euses, les femmes et la jeunesse en Europe et dans le monde.

12. L’adversaire n’es t pas "l’Allemagne" mais le capitalisme et ses institutions, au premier rang desquelles l’Union Européenne. L’euro n’est pas la monnaie que l’Allemagne impose à l’Europe mais la monnaie dont le capital européen a besoin pour réduire ses frais de transaction, renforcer la finance et disposer d’un grand marché pour ses multinationales. Le néolibéralisme n’est pas un dogme allemand produit par l’idéologie luthérienne ou par le passé nazi de l’Allemagne mais la seule forme réellement existante du capitalisme inter-national aux prises avec sa double impasse sociale et écologique. La domination alle-mande sur l’Union Européenne n’est pas une domination nationale mais une dom-ination du capital, dont les travailleurs/euses d’Allemagne sont aussi les victimes. Gardons-nous des propos démagogiques qui détournent notre attention de notre adversaire réel. L’alternative n’est pas un "front des démocrates" contre l’Allemagne, c’est un front des exploité-e-s et des opprimé-e-s contre le capital et ses institu-tions. Le patronat belge, les banques belges et le gouvernement belge, comme ses prédécesseurs à participation "socialiste", ont activement soutenu la guerre sociale contre les classes populaires grecques qui leur a bénéficié.

13. La stratégie que nous proposons nécessite une recomposition du mouve-ment ouvrier et de la gauche, à la fois sur le plan politique et sur le plan syndical. Les deux dimensions sont inséparables. D’une part, du fait du chômage massif, de l’obstacle institutionnel européen et de la transformation totale et sans retour de la social-démocratie en social-libéralisme, la construction de nouveaux partis à gauche de la social-démocratie et des

Verts est plus que jamais indispensable. D’autre part, la dureté accrue de la lutte à mener nécessite une mobilisation sociale en profondeur, donc la construction de mouvements sociaux démocratiquement organisés, avec implication active des travailleurs/euses et de la jeunesse sur les lieux de travail et dans les quartiers. Dans ce cadre, la reconquête des syndi-cats par leurs affilié-e-s occupe une place stratégique, de même que la lutte contre les fausses conceptions qui confondent "indépendance syndicale" et "apolitisme".

14. La lutte continue, dans un contexte en partie nouveau. Au moment où ces lignes sont écrites, l’issue est incertaine. Si la troïka gagne cette bataille, ce sera au prix d’un discrédit très profond de l’UE en général et de sa locomotive allemande en particulier. Sans rien résoudre de la crise grecque à moyen et long terme, notamment de la crise de la dette, et en ébranlant l’euro. En Grèce, une nouvelle recomposition politique de la gauche de gauche est à l’ordre du jour pour offrir une alternative à la tentative de "l’unité nationale" au Parlement autour du "oui" au diktat. Plus que jamais, il s’agit de développer la solidarité agissante avec les travailleurs/euses et la jeunesse de Grèce. Partout, il s’agit de reprendre et de radicaliser le combat contre l’austérité et pour une expression politique de ce combat, en tirant les leçons de la Grèce.

15. Tirons-les notamment en Belgique, car le parallèle est évident entre la stratégie de Tsipras ("un référendum pour mieux négocier") et celle des appareils syndicaux chez nous ("un plan d’action pour ouvrir une concertation"). Puisse la défaite grecque nous montrer où cette stratégie "responsable" nous conduira si nous ne forçons pas nos organisations à changer de cap. ■ 15/07/2015ht

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Solon était contre la dette.Buste de Solon, musée national de Naples

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✒ propos recueillis par Matilde Dugaucquier

Miguel Urbán est membre de la direction d'Anticapitalistas, seul courant organisé au sein de Podemos et organisation sœur de la LCR dans l’État espagnol. Depuis mars 2015 il remplace Teresa Rodríguez, également membre d'Anticapitalistas, dans l'équipe de Podemos au Parlement européen. Il a accepté de répondre à nos questions suite aux résultats encourageants obtenus par Podemos et d'autres listes de coalitions unitaires lors des scrutins régionaux et municipaux de mai dernier en Espagne.

Peux-tu revenir brièvement sur les conditions objectives qui ont permis l'émergence et le succès de Podemos?

Je dis toujours que pour qu'il y ait victoire électorale, il faut d'abord qu'il y ait une victoire politique. Et ce qu'on a vu dans l’État espagnol ces cinq dernières années, c'est une victoire politique des mouvements sociaux, des gens, des classes populaires... Une victoire popu-laire contre les coupes budgétaires, contre

l'"austéricide". Sans cette victoire politique nous ne pourrions pas aujourd'hui envis-ager une victoire électorale. Je crois que c'est un élément fondamental car hors de l'Espagne on nous demande souvent: "Et comment ça marche Podemos? Comment peut-on faire la même chose ici?" Et bien, on ne peut pas. Comme ça a été le cas en Grèce avec Syriza, la lecture est la suivante: d'abord la lutte populaire, la construction de mouvements, la construction d'un peuple vaillant pour vaincre politiquement le néolibéralisme. Puis viendront les con-séquences électorales de cette victoire. C'est ce qui s'est passé dans l’État espagnol.

Dans la perspective des différentes échéances électorales dans l’État espagnol, Podemos a été conçu comme une immense machinerie électorale, très centralisée et qui tolère peu le pluralisme interne. Comment perçois-tu ce choix? Quels sont les risques et les problèmes qui y sont, selon toi, associés?

Je pense qu'une partie de la direction effective de Podemos veut cela mais qu'elle ne l'a pas obtenu. De fait, c'est tout le contraire qui se passe. Là où elle n'a pas voulu qu'il y ait de pluralité, tout ce qu'elle a obtenu c'est qu'il y en ait encore plus qu'avant. Je crois que cela est paradigmatique d'un mouvement populaire vivant et d'un parti qui n'est pas fermé, bureaucratisé et déjà cicatrisé. Podemos est un processus sans cesse croissant et changeant.

C'est vrai que ce qui aurait pu être ses structures de base ont beaucoup souffert de la construction interne du parti. Mais ces structures n'ont pas disparu, elles ont muté. Certaines ont muté en construisant un contre-pouvoir au sein de Podemos. D'autres ont donné lieu aux candidatures d'unité populaire, aux marges de Podemos et sans que la direction ne puisse les contrôler. En conséquence, on a vu, surtout dans les régions, que le courant majoritaire

de Podemos a subi une défaite électorale lors de ses propres primaires. Tout cela a fait que Podemos est devenu une organisation très centralisée par le haut mais avec très peu de possibilités de contrôle en dehors de la sphère médiatique. Il y a une multiplicité d'acteurs fondamentaux dans les secteurs intermédiaires et à la base de Podemos. Et les municipales ont donné de la force à ces secteurs et, surtout, les ont doté de pouvoir institutionnel. Il doit bien y avoir aujourd'hui 4.000 ou 5.000 membres de Podemos qui occupent des fonctions officielles mais ces personnes ne sont pas contrôlées par Podemos puisqu'elles se sont présentées sous d'autres candidatures. Cela est un contre-pouvoir très puissant dans le mouvement populaire, ça représente énormément de monde.

Les élections ont été l'occasion pour Podemos d'arriver en tête dans certaines localités grâce à une politique de coalitions unitaires, notamment Ahora Madrid, Barcelona en Comu, Por Cadiz si se puede, etc. Quelle analyse fais-tu de ce succès électoral?

La première chose qu' i l faut comprendre c'est que le mouvement municipaliste qu'on a vu aux dernières élections n'aurait pas été possible sans l'espoir provoqué par Podemos. Si Podemos n'avait pas fait irruption de manière abrupte dans la politique nationale, nous n'aurions pas vu ce que nous avons vu: Ahora Madrid, Barcelona en Comu, Por Cadiz si se Puede, Zaragoza (Saragosse – ndlr) en Comun, etc. Je crois qu'il est important de le signaler.

Ensuite il est aussi important de voir que, malheureusement, pour le meilleur ou pour le pire, seules deux candidatures d'unité populaire ont obtenu plus de points que Podemos, là où Podemos était également en lice à la communauté autonome. Par exemple, en ce qui concerne Cadiz, on ne peut pas comparer Por Cadiz

Miguel Urbán:

Pas de victoire électorale sans victoire politique."

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si se Puede avec Podemos (les élections à la Communauté autonome andalouse ayant eu lieu en mars – ndlr). On ne peut pas non plus comparer Barcelona en Comu parce qu'il n'y avait pas d'élections en Catalogne. Ahora Madrid et Zaragoza en Comun, en revanche, ont obtenu plus de points au niveau municipal que Podemos au niveau régional (respectivement, la Communauté autonome de Madrid et Aragon – ndlr). Dans toutes les autres zones, Podemos a obtenu plus de points que les candidatures d'unité populaire. Et Zaragoza en Comun n'a obtenu qu'un demi point en plus que la candidature d'Echenique, le candidat de Podemos pour la Communauté. Echenique a obtenu 20% en Aragon mais 26% à Zaragoza. Et si on avait ajouté les votes de Izquierda Unida, qui participait aux listes d'unité populaire dans la municipalité mais qui n'était pas avec Podemos à la Communauté, il aurait obtenu plus de votes.

Ce qui est qualitativement différent c'est Ahora Madrid, c'est vraiment extraordinaire. Carmena a obtenu 12 points de plus que Podemos, qui a fait 22% alors que Carmena obtenait 34%. C'est

beaucoup plus fort et cela s'explique à différents niveaux. Premièrement, l'espoir qu'a éveillé le processus, qui rappelle beaucoup l'espoir éveillé par Podemos au départ. Toutes ces structures de base dont je t'ai dit qu'elles avaient souffert ont concentré leurs efforts sur Ahora Madrid et pas sur Podemos, sur la candidature municipale, et cela s'est vu. Il y a eu un débordement, par des personnes issues des mouvements sociaux et/ou organisées politiquement. Il faut dire que Podemos se présentait contre Izquierda Unida mais la plupart des militants de IU soutenait Ahora Madrid. C'était curieux. J'ai passé plusieurs soirée à coller des affiches et nous allions les récupérer au siège de IU. En fonction des districts qu'ils contrôlaient ou pas ils soutenaient la candidature de Ahora Madrid. Je crois que ça a été un processus très important de débordement et d'accumulation de forces.

Il y un autre élément significatif: Carmena, avec son charisme, avec la force qu'a accumulé sa candidature et surtout à cause du manque de charisme du candidat socialiste, a réussi dès le départ à apparaître comme gagnante

face au parti socialiste. Cela veut dire que le vote utile pour mettre le PP dehors était le vote pour Carmena, pas pour le Parti socialiste. Dans la région c'était le contraire: Jose Manuel, le candidat de Podemos beaucoup moins connu que Carmena, a obtenu beaucoup moins face à un très bon candidat socialiste pour un secteur de classes moyennes, Gabilondo, un ancien ministre de Zapatero mais non affilié au Parti socialiste. Il se vendait comme indépendant et a toujours réussi à être devant Podemos dans les sondages. Le vote utile pour virer le PP allait donc au Parti socialiste et non à Podemos.

Ces deux éléments mis ensemble expliquent, dans une certaine mesure, l'abîme électoral entre Ahora Madrid et la candidature à la Communauté. Nous devons en tirer une leçon pour les législatives: nous avons besoin de pluralisme, de débordement, d'espoir par en-bas. Pour Ahora Madrid, il n'y avait pas une seule campagne, il y avait des centaines de campagnes différentes, chacun faisait sa campagne ; il s'agit d'une multiplicité de forces et de travail énorme. Nous devons aussi apparaître comme le

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wseul vote utile contre les politiques du PP. Je crois que nous pouvons y arriver et que Podemos peut être la première option aux législatives.

Podemos a participé aux élections locales sur un programme national populaire minimal. Quels sont, pour toi, les perspectives et les défis après ces élections, qui ont vu une poussée de Podemos mais pas d'effondrement du PSOE et du PP?

Je crois que le programme, bien qu'il tente de s'unifier, a été très variable d'une Communauté autonome à l'autre. Là où il y avait des secteurs plus anticapitalistes, le programme allait plus dans ce sens-là, et inversement. Mais c'est toujours une ques-tion de rapports de forces. Je pense qu'il y a un secteur important de Podemos qui veut s'adresser aux classes populaires. Il ne s'agit pas seulement d'Anticapitalistas, je crois que Pablo Iglesias lui-même tra-vaille sur cette idée. Nous devons gagner les élections en nous adressant aux classes populaires. D'autres secteurs de Podemos pensent qu'il est mieux de s'adresser aux classes moyennes. Je pense que ces élections ont démontré que ceux qui, à l'intérieur de Podemos, avaient le pro-gramme le plus clair, dirigé vers les classes populaires, ont fait le meilleur résultat. Et il est important de le mettre en avant en vue des législatives. Là où nous nous bat-tions pour l'électeur moyen, nous avons perdu des voies. Là où nous tentions de récupérer la politique sociale face au parti socialiste, nous avons gagné. Je crois que c'est très important et qu'il faut être très attentif à cela.

En dehors des urnes, comment se construit Podemos aujourd'hui ?

Le problème, c'est que pour le moment nous sommes très dépendants des éché-ances électorales. Je crois que ce sera le cas jusqu'à ce que les législatives soient derrière nous. Et nous allons être très dépendants également des défis munici-paux et régionaux qui nous attendent à très court terme, dès maintenant même. Tout cela va conditionner la construction et la structuration de Podemos, pour le pire dans certains cas et pour le meilleur dans d'autres, bien évidemment. Le plus difficile, c'est que notre action est très conditionnée par l'immédiateté, par les problèmes quotidiens. Tu sais que quand

on joue au football, le pire que l'on puisse faire c'est de regarder tout le temps ses pieds. Il faut lever la tête pour avoir une perspective, dans notre cas il s'agirait d'une perspective politique. Je pense que nous allons avoir peu de possibilités de lever la tête parce que nous devrons tou-jours nous demander où est le ballon. Nous allons faire face à des questions pure-ment pratiques et quotidiennes.

La préparation des élections et le prob-lème de l'unité – car nous ne savons même pas ce qu'il va advenir de Podemos d'ici les législatives – vont également conditionner notre construction. Ce n'est pas la même chose de se présenter comme Podemos ou, dans le cas de la Catalogne par exemple, de se présenter comme Catalunya en Comu. La construction d'une organisation doit s'adapter aux termes qui la condition-nent. En ce moment, je ne crois pas qu'il n'y ait qu'une seule formule ; en réalités il y en a des milliers. De plus, nous devons surtout nous préoccuper du jour d'après les législatives. Nous aurons plus de temps pour penser la relation parti-mouvement / mouvement-parti. À ce moment, on pourra

également voir ce qu'il se passe avec Izqui-erda Unida et avec les autres organisations sociales et politiques. Tant que tout cela ne sera pas résolu, ça va être compliqué. Pour le moment, nous avons un mouve-ment en grande mesure très concentré par en-bas sur les candidatures d'unité populaire dans les villes et les villages. Les gens sont très occupés à éteindre les feux qui ne cessent de se déclencher partout et c'est très difficile. Très difficile d'élaborer une politique internationale et une poli-tique quotidienne. Nous sommes en train d'élaborer tous les cadres, car il y a un immense manque de cadres politiques.

Quelle estimation fais-tu à ce jour du système de démocratie par internet mis au point par Podemos?

Il serait assez difficile de dresser un bilan maintenant. J'aime toujours bien mettre en avant des choses positives. Nous sommes un courant et une organisation politique qui n'avait jamais abordé ce thème, ça nous parraissait être un truc d'extra-terrestres. Mais ça a des aspects intéressants et pas si mal, il faut le dire. Par exemple, c'est très inclusif, ouvert à beaucoup de monde. Nous avons une vision du militant dur, fort, une espèce de moine guerrier, non? Cela n'est pas compatible avec internet. C'est intéressant de voir comment tu peux réunir tous ces gens. C'est vrai aussi que nous avions une expérience avec le mouvement des indignés qui a mis en pratique cette technique. De fait, nous sommes bien plus avancés que beaucoup de pays européens sur ce terrain. Cela a permis des connexions et des échanges d'information en réseau, de récolter des idées et des apports super rapides. Les gens réagissaient avec une intelligence émotionnelle incroyable. Cela a aussi été le cas pendant la campagne, c'est vraiment incroyable.

Puis il y a aussi toutes les aspects négatifs que l'on sait: la paralysie de l'activité quotidienne dans les assemblées, la désagrégation de la participation mas-sive... C'est un couteau à double tranchant. C'est un outil qui rend facile pour le populisme, surtout de droite, de contrôler la dynamique de participation. Cela nuit parfois au débat physique et consensuel. Mais je crois qu'il y a des aspects très positifs, nous sommes d'ailleurs en train de débroussailler le terrain à ce sujet. C'est vrai que nous sommes une organisation pionnière en ce sens et il y a des choses qu'il faut étudier. ■

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✒ par Daniel Tanuro

Le samedi 13 juin, le PTB tenait la dernière session, publique, de son neuvième congrès. En réalité, il s’agissait d’un évènement médiatique, pas d’une ouverture sur les travaux du congrès, terminés plusieurs semaines auparavant. Par ce show, le PTB entendait surtout consolider son image médiatique de parti bien établi sur le champ politique. L’image d’un parti de gauche qui a rompu avec son passé stalinien et soutient la résistance sociale. L’image d’un "vrai" parti, avec un bureau d’étude, des congrès-spectacle, des milliers d’adhérent-e-s et des élus à différents niveaux.

Ce congrès se tenait à la fin d’une année de mobilisations sociales et un an après les élections du 25 mai 2014 où le PTB réussissait à franchir le seuil des assemblées représentatives. Une percée qui récompensait quarante années d’efforts des militants anciens, confirmait l’engagement des nouveaux et encourageait la direction à poursuivre dans la ligne du "renouveau" adoptée au congrès précédent, en 2008.

Syriza sur Escaut?Sur le plan international aussi cette

année a été importante. Le premier anniversaire du 25 mai 2014 coïncidait avec le succès de Podemos. Quelques mois plus tôt, Syriza avait gagné les élections, formé un gouvernement et entamé son bras de fer avec la troïka. Le PTB a tenté d’accrocher son wagon à ces deux locomotives. Dans le cas de la Grèce, il dut pour cela larguer les communistes anti-Syriza du KKE, qu’il soutenait pourtant contre vents et marées…

Peter Mertens et Raoul Hedebouw disent en substance  que leur parti est à la fois "Syriza sur Escaut" et "Podemos sur Meuse". Mais ils ne disent rien du fonctionnement de ces formations et du débat stratégique en leur sein. Ce qui

compte pour le PTB, c’est de s’identifier à ces partis en termes d’image. En même temps, mais plus discrètement, il maintient son soutien aux bureaucrates chinois qui ont écrasé le mouvement de Tien Anmen… puis rétabli le capitalisme… au nom du communisme. Le manque de cohérence est évident (pour ne pas dire l’opportunisme)…

Vous avez dit GO?Ce même manque de cohérence

se retrouve aussi sur la scène intérieure, fût-ce à une toute autre échelle. En effet, en même temps qu’il se réclamait à grand bruit de Syriza, qui est un regroupement, le PTB achevait d’enterrer le début de regroupement que constituaient les listes PTB-Gauche d’Ouverture (GO).

Pour rappel, ces listes combinaient trois ingrédients: l’alliance PTB-LCR-PC, le soutien engagé d’intellectuels et d’artistes, et l’appui de secteurs de gauche du mouvement syndical. Quoiqu’imparfaite, cette GO avait été saluée par la FGTB de Charleroi comme "un premier pas" dans le sens de son appel du Premier Mai 2012 à une alternative anticapitaliste à gauche du PS et d’ECOLO.

A Liège, Raoul Hedebouw aurait été élu sur une liste du seul PTB, mais Marco Van Hees ne siégerait pas à la Chambre pour le Hainaut s’il n’y avait pas eu la GO. Quant à Bruxelles, c’est sans doute la région où le soutien des personnalités de la gauche intellectuelle a eu le plus d’impact.

Combattre le rassemblement au nom du rassemblement

Pourquoi le PTB a-t-il lâché la GO? Pourquoi fait-il comme si elle n’avait jamais existé  et ne devait plus jamais exister? La question mérite d’être posée. En effet, au Nord du pays, Peter Mertens a raté son siège de si peu qu’il aurait à coup sûr suffi d’une GO "à la flamande" pour qu’il soit élu. Cette conclusion crevait les

yeux dès le lendemain des élections mais le PTB l’a occultée. Etes-vous donc si sûr de réussir en 2019 là où vous avez échoué en 2014, camarades?

Le PTB, Syriza, Podemos et le spectre de la Gauche d’Ouverture""

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Les dirigeants du PTB ont dit que la fin de la GO s’imposait face au nouveau gouvernement de droite. "Il faut quelque chose de beaucoup plus large", ont-ils affirmé. En réalité, la décision d’enterrer GO était prise bien avant la formation du gouvernement Michel. Dès le 25 mai au soir, la messe était dite. Le plaidoyer pour

un rassemblement "plus large" a servi à liquider une première ébauche

de rassemblement. On a "combattu le drapeau r o u g e a u n o m d u

drapeau rouge", comme disa i t Mao Zedong. Les

ex-maoïstes du PTB connaissent leurs classiques…

Membres fâchés, syndicalistes trompés

Pourquoi le PTB a-t-il lâché la GO? La question mérite d’autant plus d’être

posée que cela lui a coûté assez cher. A l’interne, les affilié-e-s appréciaient

que leur parti agisse comme un rassembleur. La direction a posé

le fait accompli du "stop". D’une manière plus générale, d’ailleurs, le fonctionnement

très verticaliste du PTB crée un malaise et amène des membres à

quitter le parti.A l’externe, c’est peu dire que

l’affaire a été mal perçue. Les électeurs qui avaient voté pour un rassemblement de la gauche se sont sentis floués. La gauche

syndicale qui avait rendu la GO possible n’a pas apprécié d’être pour ainsi dire

renvoyée à ses casseroles – ou plutôt à ses conventions collectives.

Début novembre 2014, Daniel Piron déclarait dans une

interview à La Gauche: "Nous avons appelé à un rassemblement

le plus large possible à gauche du PS et d’Ecolo et nous continuons à le faire. Il ne faut pas de retour en arrière. Le PTB-GO qui devient PTB, ça ne va pas". Lors d’un débat public avec R. Hedebouw, en décembre chez les métallos FGTB de Tournai, une responsable syndicale a dit son sentiment d’avoir été "trompée". Au cours d’une assemblée interprofessionnelle de la FGTB carolo, un délégué a parlé de "trahison" du PTB. Il a été applaudi…

Une autre orientation"Pourquoi le PTB a-t-il lâché la GO?"

La question mérite d’être posée à nouveau dans le contexte des percées de Syriza et Podemos. Le PTB tourne en dérision les fronts entre organisations, mais la

comparaison avec la Grèce, surtout, montre que ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

De quoi s’agit-il alors? Du fait que le PTB aurait pu, à partir de la GO, poser les jalons d’un Syriza à la belge: un regroupement catalysé par l’intervention de la gauche syndicale dans le champ politique. Un regroupement alternatif à la social-démocratie et aux "piliers". Un regroupement qui se pose comme candidat au (changement du) pouvoir pour en finir avec l’austérité. Un regroupement militant où le PTB aurait joué un rôle majeur –comme Synaspismos au sein de Syriza – mais où chacun aurait été amené à composer, dans l’intérêt du mouvement social.

Lors du rassemblement co-organisé à la Géode en avril 2013 par la FGTB de Charleroi, la CNE et le comité unitaire de soutien à l’appel du premier mai 2012, on a senti que c’était possible. Il n’est pas trop tard pour reprendre ce chemin, mais les déclarations et les actes du PTB depuis un an indiquent clairement qu’il a choisi une autre orientation.

Depuis un an, le PTB ne parle plus tant d’alternative à gauche du PS et d’Ecolo  que de "front populaire" avec le PS et Ecolo. Depuis un an, son soutien à l’appel de la FGTB de Charleroi a été remplacé par un soutien acritique aux stratégies de concertation de Marc Goblet et de Marc Leemans. Depuis un an, il se positionne dans le système belge comme un nouvel ami politique des syndicats – un ami parmi d’autres, qui défend la concertation comme les autres et qui, comme les autres, feint de ne pas s’y immiscer. Depuis un an, il parle de moins en moins de "changer de société" et de plus en plus de "transformer notre société"…

Le fond de la questionDans l’interview citée plus haut, Daniel

Piron déclarait: "La Gauche d’Ouverture a créé un début de dynamique. Beaucoup de nos militants ont été enthousiastes. La question n’est pas de mettre des sigles les uns à côté des autres mais de maintenir cette dynamique, branchée sur ce qui bouge dans les syndicats, et de l’élargir si possible. Sans cela, on ne concurrencera pas le PS. Si le PTB s’imagine qu’il va se substituer au PS il se fait des illusions. D’ailleurs ce ne serait pas une solution car ça reproduirait des relations parti-syndicat du genre ‘eux c’est eux, nous c’est nous’".

C’est le fond de la question. La domi-nation bourgeoise en Belgique repose notamment sur le partage des rôles

entre les directions syndicales et leurs relais politiques. L’énorme puissance du syndicalisme permettrait d’imposer un programme anticapitaliste, mais la bureaucratie n’en veut pas. Au nom d’une fausse conception de l’indépendance syn-dicale, elle se contente de négocier des miettes. En même temps, dans la coulisse, loin du regard des affilié-e-s, elle se con-certe avec ses amis sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens sur leur politique du "moindre mal".

Emancipation et partiLa FGTB de Charleroi a eu le grand

mérite d’aller à l’encontre de cette concep-tion. De manière simple et audacieuse, elle a mis en pratique deux grands prin-cipes de la gauche: 1°) l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; 2°) la lutte économique du monde du travail commande sa lutte poli-tique, avec laquelle elle forme un tout. Or, ces deux principes entrent en contradiction avec un troisième, auquel le PTB est très attaché: "le parti dirige le front". Et ce "principe" – qui n’en est pas un: c’est un dogme – implique notamment… que "le parti dirige le syndicat".

Un an et quelques semaines après le 25 mai 2014, nous ne regrettons pas d’avoir contribué à l’élection de représentants qui, bien que nous ne soyons pas d’accord avec eux sur tout, font un bon travail de dénonciation de l’injustice.

Mais les réponses à certaines questions sont plus claires aujourd’hui. Pourquoi le PTB a-t-il accepté l’expérience GO? Parce que c’était la condition pour que la sympathie soulevée par l’appel de la FGTB de Charleroi bénéficie à ses candidat-e-s. Pourquoi l’a-t-il enterrée tout de suite après? Parce que cet appel était contradictoire avec son projet. Pourquoi s’énerve-t-il quand on aborde la question? Parce que les aspirations qui étaient à la base de cet appel restent vivantes. La crise du syndicalisme de concertation les nourrit, les expériences du Sud de l’Europe aussi.

Le fantôme de la Gauche d’Ouverture pourrait resurgir un jour, sous ce nom ou sous un autre. Il faut espérer que le PTB ne l’enterrera pas une deuxième fois et qu’il en saisira l’importance avec plus de sincérité qu’hier. Sa force accrue ne fait qu’accroître sa responsabilité. ■ 15/06/2015

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Taxshift: fiscalité juste ou… attaque contre la sécurité sociale?✒ par Rémy Martin

A l’automne 2014, le mouvement ouvrier avait le vent en poupe. Avec plus de 120.000 manifestant.e.s à Bruxelles et trois journées successives de grèves réussies, il était clair comme de l’eau de roche que le monde du travail ne veut absolument pas de la politique du gouvernement de droite actuel. Mais, bien que l’ampleur du mouvement ait été impressionnante, le contenu revendicatif est resté relativement faible. De ce fait, certains ont pu avoir le sentiment que le monde du travail n’était pas contre la politique d’austérité en soi, mais seulement contre la répartition inégale des efforts. Les directions syndicales – qui voulaient, surtout, sécuriser leur place à la table de la concertation – se sont alors mises à agir en faveur d’un "taxshift", "afin que les épaules les plus fortes portent les charges les plus lourdes". C’est surtout la CSC, plus particulièrement l’ACV, qui a plaidé très fort en faveur d’une "contribution substantielle des nantis".

Pilier chrétienPour la CSC, cette orientation avait

l’avantage de lui permettre d’agir en direction de son partenaire politique dans le pilier chrétien, le CD&V. Pendant quelques mois une discussion a donc eu lieu sur la question de savoir s’il était souhaitable et/ou faisable d’imposer les revenus du patrimoine. En même temps, l’impression a été créée que le gouvernement monterait rapidement sur la scène avec une proposition de "taxshift". Cela a permis aux directions syndicales, en particulier à la CSC, de ramener le deuxième plan d’action à quelques actions symboliques, en attente de ce fameux taxshift.

Accord gouvernementalEntre-temps, c’est à peine si on parle

encore d’une contribution substantielle des propriétaires de patrimoine. Et ce n’est pas surprenant. L’accord gouvernemental

qui est à la base de Michel 1er contient une phrase très claire: "Le gouvernement maîtrisera les dépenses et réalisera un glissement fiscal et parafiscal ("taxshift") afin de pouvoir financer une réduction importante des charges, permettant à la pression fiscale sur le travail, comportant des charges fiscales et parafiscales, de diminuer de façon significative" [nous soulignons en gras].

Baisse des chargesCe texte fait un amalgame entre

les impôts, d’une part, et les cotisations à la sécurité sociale, d’autre part. Cet amalgame est délibéré et le but de ce passage de la déclaration gouvernementale est ultra clair: imposer une importante réduction des cotisations patronales à la sécurité sociale dans le secteur privé. L’accord gouvernemental stipule d’ailleurs qu’il doit s’agir d’une réduction linéaire de 25 à 33% des "charges patronales". Il est évident qu’une telle opération se fera au détriment du financement de la sécurité sociale! Les chômeur.euse.s, pensionné.e.s, malades, doivent en être conscient.e.s. Tout ceci n’a rien, mais alors strictement rien à voir avec une volonté de rendre la fiscalité "plus juste".

La droite gagneSoyons clairs: jusqu’ici, la droite a

obtenu ce qu’elle voulait sur toutes les questions importantes. Elle a imposé le saut d’index. Elle a imposé un accord interprofessionnel minimum qu’elle a encore réussi à tirer vers le bas (donnant au passage de facto un coup de poignard mortel au système des prépensions). Elle se prépare à attaquer les pensions en général et celles des fonctionnaires en particulier. D’ici l’été, elle aura d’ailleurs probablement réussi à allonger la carrière jusqu’à 67 ans.

Porte-parole patronauxLa discussion en cours en ce moment

au sein de la droite porte sur la concré-

tisation de ce ‘taxshift’. Le président de l’association des patrons flamands, le VOKA, Michel Delbaere, n’a visiblement pas bien lu l’accord gouvernemental puisqu’il a déclaré récemment que ce ‘tax-shift’ n’était plus nécessaire. Il plaide en guise d’alternative pour des “mesures structurelles telles que la simplifica-tion de la sécurité sociale et du droit du travail”. Comique, car c’est justement ce que l’accord gouvernemental prévoit… D’autres représentants patronaux (Karel van Eetvelt d’Unizo et Pieter Timmermans de la FEB) sont par conséquent de chauds partisans du ‘taxshift’, tel qu’il est décrit dans l’accord de gouvernement. Ils misent sur une baisse des charges de 2,5 à 3 mil-liards d’euros. Parce qu’ils savent tous deux qu’un cadeau aussi immense aux patrons ne peut pas passer sans discus-sions, tous deux plaident aussi pour une taxe (symbolique) sur la spéculation. Afin de donner l’impression que tout le monde apporte sa pierre à l’assainissement…

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Attaque contre la SécuLe ‘taxshift’ n’est plus rien d‘autre

qu’un prétexte pour lancer une attaque de très grande ampleur contre la sécurité sociale. Le président de la N-VA ne laisse pas le moindre doute à ce propos: dans la sécurité sociale, dit-il, “il y a encore trop d’inefficacité. Cela signifie inévitablement qu’on doit encore économiser plus sur les dépenses publiques”… donc dans la Sécu.

Classe moyenne?En guise d’argument, Bart De Wever

déclare qu’il n’a “encore jamais vu une proposition d’impôt sur les patrimoines qui ne toucherait pas la classe moyenne”. De Wever ne lit de toute évidence pas le journal De Morgen. Sinon, il aurait connaissance de la proposition soutenue par des centaines de fonctionnaires des finances qui, le 28 mai 2015, ont plaidé pour “un impôt exceptionnel, substantiel et progressif sur les 10% les plus riches de la population (avec dispense pour la maison particulière jusqu’à une valeur d’un demi-million d’euros)”. Avec une telle mesure, la dette publique belge pourrait être réduite d’un coup de 20%, de sorte que la “nécessité” des coupes budgétaires disparaîtrait, tandis qu’en même temps un espace s’ouvrirait pour “des investissements sociaux nécessaires dans le logement, l’enseignement, l’accueil de la petite enfance, la mobilité

et les pensions, sans qu’il soit nécessaire pour cela de prélever des millions à coups de taxes” [lire notre article à ce sujet dans La Gauche #72].

Dégradation qualitativeVu que le mouvement ouvrier et la

gauche n’ont pas encore remporté une seule victoire depuis l’entrée en fonction de ce gouvernement – en dépit d’une résis-tance sociale massive! – et vu l’enjeu du ‘taxshift’, il est clair que nous ne pouvons pas perdre la bataille pour une fiscalité juste et pour le maintien de la sécurité sociale. D’autant plus que le terrain de la sécurité sociale est fondamental pour le mouvement ouvrier. D’ailleurs, notre sécurité sociale et les cotisations patronales font partie de nos salaires! Si le gouverne-ment parvenait malgré tout à affaiblir fondamentalement ce monument de la solidarité, cela représenterait une dégrada-tion qualitative des rapports de forces entre les classes sociales.

Choisir la lutteNous ne pouvons pas nous permettre

de perdre cette bataille. Nous devons donc la gagner! Mais pour cela nous devons tirer les leçons de quarante années de résistance sociale contre l’austérité, et surtout de la mobilisation sociale de l’automne dernier. Tout au long de ces années, par la négociation et la concertation, nous

n’avons fait que descendre les degrés sur l’échelle de l’austérité. Lentement mais sûrement, notre rapport de forces a été démantelé. Si nous voulons le reconstruire, nous n’avons d’autre choix que la lutte.

Nouveau plan d’actionCela signifie que le front commun

syndical reconstitué doit absolument informer et sensibiliser la population en profondeur autour de sa Sécurité Sociale! C’est une bonne chose en soi que les syndicats planifient une nouvelle manifestation nationale le 7 octobre. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut un nouveau plan d’action sérieux, national, avec des revendications claires et précises, qui ne peuvent pas être salamisées.

PolitiqueCela signifie aussi qu’on ne doit pas

avoir peur de poser des revendications politiques. Nous devons dire clairement que nous voulons chasser ce gouvernement le plus vite possible. Nous devons aussi exiger clairement des partis qui disent être aux côtés des travailleurs et de leurs syndicats qu’ils prennent clairement position: êtes-vous pour ou contre nos revendications? Etes-vous comme nous pour le maintien de la sécurité sociale? Voulez-vous comme nous que l’austérité s’arrête? Voulez-vous comme nous que les coupables de la crise en paient les frais? ■ 04/06/2015

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✒ par Martin Willems Secrétaire permanent CNE Bruxelles

Nous reproduisons ci-dessous, avec l’aimable autorisation de la CNE, un article de Martin Willems, Secrétaire permanent CNE Bruxelles, paru en mai 2015 dans Le Droit de l’Employé, mensuel de la Centrale Nationale des Employés (CSC). – La rédaction

L’imagination des employeurs paraît sans limites quand il s’agit d’étendre la flexibilité au travail. Nous examinons aujourd’hui le cas des contrats de consultance et autres mises à disposition qui se multiplient ces dernières années. Ça n’est pas anodin: entre deux employeurs, le travailleur est souvent baladé.

Classiquement, dans une relation de travail, il y a un travailleur et un employ-eur. Chacun a des droits et des obligations vis-à-vis de l’autre. Sous l’appellation de "consultance", initialement réservée à des domaines spécialisés mais aujourd’hui cannibalisant tous les types de services, une autre situation s’est largement dével-oppée: celle où un employeur vous engage pour ensuite vous louer à un client, chez qui vous travaillerez à demeure, jusqu’à ce que ce client vous congédie. L’employeur (que le travailleur connaît souvent à peine) se contentant de payer votre salaire et de vous refacturer au client, en prenant sa marge au passage.

Normalement, cette pratique est interdite par la loi du 24 juillet 1987, sauf dans le cas très encadré des entreprises de travail intérimaire. Mais cette loi a été modifiée plusieurs fois pour ménager la chèvre et le chou, et le flou juridique qui en a résulté a créé un appel d’air permettant le développement fulgurant de cette activité. On ne compte plus

les sociétés de consultance, de service, de portage.

Régulièrement, des entreprises demandent ainsi à leurs nouvelles recrues d’aller signer leur contrat ailleurs et de revenir travailler le lendemain. Dans les faits (et parfois à leur insu), ces travailleurs signent leur contrat de travail auprès d’un intermédiaire, qui leur paiera leur salaire et refacturera ensuite leur travail à l’entreprise cliente, par journée.

Objectif: se payer des travailleurs jetables

Pourquoi des entreprises font elles ainsi appel aux services de ces intermé-diaires au lieu d’engager directement? D’évidence cela leur revient finalement plus cher puisque s’ajoute au coût du tra-vailleur la marge de l’intermédiaire.

Pour l’employeur client, c’est très facile et flexible: il a tous les droits et peu d’obligations. Il choisit le travailleur, le met au travail, et le congédie du jour au lendemain, sans se justifier, sans formalité administrative ni responsabilité juridique. Un simple coup de fil à l’intermédiaire suffit. Le client peut se permettre un comportement arbitraire et discrétionnaire, tant à l’engagement, pendant la relation de travail ou au moment de la rupture. Si le travailleur demande des comptes, le client lui dira qu’il n’est pas son employeur et qu’il n’a qu’à s’adresser à celui-ci. L’employeur dira, de son côté, que c’est une décision du client et qu’il n’y peut rien. Le travailleur se retrouve ainsi avec deux patrons qui jouent au ping-pong. Cette relation tripartite affaiblit donc fortement les droits du travailleur. En cas d’abus du client dans la relation de travail, celui-ci ne devra pas répondre de ses actes devant le Tribunal du Travail, n’étant pas l’employeur. Et l’employeur nominal, lui, pourra toujours dire que ce n’est pas de son fait.

Et casser la solidarité des travailleurs

Souvent, cette pratique est aussi le moyen d’engager sans devoir respecter les procédures et avantages que les travailleurs de l’entreprise ont obtenu par leurs luttes sociales. On a alors des travailleurs à deux vitesses: les travailleurs maison qui ont plus de droits et de garanties que les travailleurs consultants, traités d’externes.

Et la concertation sociale et les libertés syndicales perdent de leur efficacité. Sou-vent le travailleur consultant ne connaît pas vraiment son employeur, chez qui il n’a jamais travaillé. Pour lui, ses collègues sont les employés du client avec lesquels il travaille au jour le jour, et non les autres employés de l’entreprise de consultance, qui eux sont disséminés chez d’autres clients. Que signifie dès lors voter aux élections sociales et représenter des col-lègues qu’on ne connaît pas? Que signifie discuter d’un règlement de travail quand le consultant doit bien souvent, au mépris de la loi, respecter non pas le règlement de travail de son propre employeur, mais celui en vigueur chez son client, sur lequel il n’a rien à dire. En CPPT, on discutera d’un environnement de travail sur lequel l’employeur n’a pas autorité puisque ce sont les locaux du client.

La CNE fait bien entendu tout pour redresser la barre. En faisant vivre le dialogue social dans les entreprises de consultance, en créant chez les travailleurs éparpillés la conscience de leur appartenance commune à une entreprise. Et en dénonçant les abus et les situations où l’employeur et le client se rejettent l’un l’autre leur responsabilité vis-à-vis du travailleur. ■

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iresLe piège des contrats

de service, consultance et mise à disposition

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e Le nucléaire, meilleur marché? Seulement s’il est arrosé de subventions et d’accords secrets✒ par Léo Tubbax

Beaucoup d’agitation autour du nucléaire en Belgique. L’extrême dangerosité du procédé industriel a servi à cacher les réalités du nucléaire au public, au lieu d’en renforcer le contrôle démocratique. Aujourd’hui, le black-out concernant les affaires nucléaires est partiellement rompu et les affaires louches qui se sont conclues dans l’ombre des cabinets viennent à la surface.

Energie gouvernementaleL’accord gouvernemental est une bible

antisociale et pronucleaire. Dans son point 5 "Energie, environnement et politique scientifique" le gouvernement avance des décisions concrètes: prolongation de Doel 1 et Doel 2 "moyennant l’accord de l’AFCN et de l’exploitant" jusqu’en 2025. Le gouvernement ouvre aussi la perspec-tive de la construction d’un huitième réacteur nucléaire. L’accord gouverne-mental affirme que "toute source d’énergie pourra être considérée sans tabous en fonction de ses mérites […]". Le cabinet de Mme Marghem, la ministre libérale de l’Energie, est cohérent avec l’accord: il est truffé de proches du groupe GDF-Suez (qui a changé son nom en Engie). La ministre libérale saisit l’occasion unique de gouverner sans le PS et veut avancer sans les subtilités, les lenteurs calculées, l’habilité diabolique qui caractérisent ce parti gouvernemental. Mal lui en prit: elle a découvert le pot aux roses!

Les accords secrets: Di Rupo le précurseur libéral

Quand le gouvernement Di Rupo, avec la ministre Milquet et le secrétaire d’Etat Wathelet, a prolongé la durée d’exploitation du réacteur Tihange 1, l’existence d’un accord était un secret de Polichinelle, mais

aucune personne crédible ne s’est alors lancée dans une croisade pour mettre à jour les magouilles. L’exclusion du PS du pouvoir fédéral et l’exclusion des Verts de tous les niveaux de pouvoir importants a changé la donne. Le magnifique talent que Jean-Marc Nollet a déployé dans l’opposition fédérale contre le nucléaire est sans commune mesure avec ses activités au Gouvernement wallon. C’est grâce à ce travail que l’accord secret du gouvernement Di Rupo-GDF-Suez est maintenant connu. L’accord est proprement scandaleux: il garantit une marge bénéficiaire de 9.3% sur les 600 millions d’investissement de remise à jour de Tihange 1. Les 600 millions sont déclarés par GDF-Suez, ils comprennent notamment 57 millions invérifiables de "frais d’études". En cas d’arrêt par un parlement plus lucide, le gouvernement Di Rupo a engagé l’Etat à rembourser l’investissement de GDF-Suez si la rentabilité de l’affaire était écornée ou si le réacteur était fermé avant 2025. En outre, les pertes déclarées par Electrabel pourront être répercutées l’année suivante sur la taxe sur la rente nucléaire qui est calculée d’une façon très compliquée, favorable à… Electrabel. Cela revient à confirmer GDF-Suez pour dix années supplémentaires comme monopole dans la production d’électricité en Belgique, puisque le prix de vente du Kilowattheure nucléaire est nettement en-dessous du prix de revient du KWH en provenance de sources fossiles ou renouvelables. Faut-il admirer les talents de contorsionniste d’Elio Di Rupo, qui sait combiner son rôle de dirigeant du PS avec la conclusion de cet accord?

La deuxième prouesse du gouverne-ment Di Rupo est la nomination de Jan Bens à la tête de l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN). Un traité international, dont la Belgique est initia-

trice, signataire et qui a été ratifié en 1997, donc intégré dans la législation belge, prévoit que chaque Etat doit mettre en place une agence de contrôle totalement indépendante de l’opérateur. Pourtant, le gouvernement a nommé Bens, dont on savait qu’il était un top-manager de GDF et qu’il avait trempé dans des affaires de corruption, active et passive, en étant top-manager de la filiale kazakhe de Tractebel, autre filiale de GDF. Donc GDF connait dans le détail les délits de corruption dont Bens s’était rendu coupable: la porte ouverte au chantage, à la dépendance totale du directeur-général de l’AFCN par rapport à l’opérateur. La loi belge a donc été violée par le gouvernement même. Les aveux de Bens dans Le Soir ont donné un côté spectaculaire à la situation. Il n’y avait pourtant aucune autre explica-tion pour l’avis positif criminel émis par l’AFCN donnant son accord pour le redé-marrage des réacteurs fissurés Doel 3 et Tihange 2. Cet avis a ouvert la voie à la décision criminelle du gouvernement Di Rupo d’effectivement redémarrer. Il faut que Bens dégage si on veut avoir un contrôle sérieux de la sécurité des centrales nuclé-aires belges.

Ce manque de contrôle séri-eux sur un risque qu’on sait énorme – 14 millions de personnes vivent dans le rayon dangereux de 75 km autour

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des deux centrales – amène les conseils communaux des régions voisines trans-frontalières, dont les villes de Maastricht et d’Aix-la-Chapelle, à voter une motion demandant de fermer Tihange. Le premier ministre Luxembourgeois, nullement sus-pect de sympathies rouges ni vertes, s’était déjà exprimé dans ce sens devant le Par-lement belge. C’est le risque énorme – la probabilité d’une catastrophe est mille à dix mille fois plus importante que pour un réacteur non-fissuré - d’une catastrophe nucléaire lors d’un nouveau redémarrage, qui amène des dizaines de milliers de per-sonnes de souscrire à la pétition du réseau régional www.stop-tihange.org.

Comment en sommes-nous arrivés là?

La loi Deleuze de sortie du nucléaire de 2003 avait le grand mérite d’exister. Mais elle créait aussi deux écueils: le premier était de laisser tout le pouvoir de produire de l’électricité entre les mains d’Electrabel. Le deuxième était de démobiliser le mouve-ment anti-nucléaire, puisque le problème semblait résolu par la loi. La combinaison des deux a failli être fatale. Pour sortir du nucléaire, il est indispensable de briser le pouvoir d’Electrabel. Il faut mettre le contrôle de la production d’énergie entre les mains du pouvoir démocratique, c'est-à-dire nationaliser GDF sans indemniser ses grands actionnaires. En absence de cette mesure, Electrabel arrêtera ses centrales fossiles quand bon lui semble, créant artificiellement une pénurie que seul le nucléaire pourra résoudre. Et ce nucléaire rapporte à Electrabel le montant faramineux d’un million d’euros de béné-fice par jour ouvrable par réacteur. C’est

uniquement le sursaut du mouve-

ment anti-nucléaire dans l’Euregion et la libération d’Ecolo de sa réserve minis-térielle wallonne qui nous sauve d’une catastrophe nucléaire due à une cuve de réacteur pourrie.

Il existe une autre option. Laissons libre cours à la loi du marché! Demandons d’abord aux grands actionnaires de GDF de rendre à la société les dividendes stables et importants qu’ils ont empochés pendant toutes ces années, ce qui revient à nationaliser l’entreprise. Élémentaire: tout cours d’économie énonce que la loi du marché interdit clairement les monopoles. Ensuite, calculons sur 50 ans le prix de revient de l’électricité. Indéniablement, les installations légères – comparées à un réacteur nucléaire - sans frais de combustible ni de matière fissile reviendront moins cher, seront plus compétitives. C’est seulement quand le nucléaire est arrosé de subventions, de protections et d’accords secrets, qu’il est à court terme meilleur marché. De notre point de vue, du point de vue des besoins sociaux, l’option des renouvelables s’impose encore davantage. Les sources d’énergie existent, il suffit de mettre en place les moyens techniques d’en bénéficier: l’éolien maritime et terrestre, le photovoltaïque, l’énergie des marées, des vagues, des courant s dans le canal , la géothermie, le chauffage urbain, la cogénération… sans oublier des accumulateurs géant s qui permettront de se passer davantage des centrales à gaz pour combler les lacunes de vent et de soleil. En même temps, l’isolation des habitations et des lieux de travail, l’arrêt des gaspillages et l’augmentation des rendements doit permettre de diminuer sensiblement les besoins énergétiques. Un plan décennal d’équipement, de l’ordre d’importance du Deltaplan néerlandais, permettra de résoudre définitivement le problème de l’approvisionnement en courant, et de nous délivrer en passant de la litanie du black-out évité après chaque journal télévisé.

Si tous les courants du mouvement climat sont d’accord avec la mise en place des options alternatives, la tentation est grande de reprendre le nucléaire dans l’éventail des solutions au réchauffement climatique. Des voix importantes du mouvement-climat se sont

prononcées dans ce sens: nommons Monbiot, Lovelock et Hansen. Ces auteurs risquent de semer la discorde dans le mouvement climat. Il est pourtant indispensable de maintenir l’unité entre les mouvements antinucléaires et pro-climat. Un grand nombre d’activistes sont d’ailleurs actifs dans les deux mouvements. Pourquoi écarter le nucléaire? Par ce que les risques que crée l’énergie et l’armement nucléaire qui est son jumeau siamois pour les travailleurs des centrales, pour les populations avoisinantes et pour les centaines de générations à venir – celles qui nous prêtent la planète – est inacceptable. Chaque catastrophe nucléaire, chaque explosion d’une arme nucléaire libère dans l’écosphère des particules diaboliques d’une durée de vie quasi illimitée qui influenceront négativement toute vie sur terre. La question de la sortie du nucléaire

ajoute un aspect urgent au choix entre le socialisme et la

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✒ par Femke Urbain

C’est avec surprise qu’avec les copines de Féminisme-Yeah! (1) nous avons appris que la gestation pour autrui (GPA) faisait l’objet de propositions de lois. Surprises, parce que comme à l’accoutumée les propositions s’élaborent sans consultation du milieu associatif, sans connexion avec les organisations féministes, sans prise en compte du point de vue des principales intéressées – les femmes.

L’actualité déborde de propositions rétrogrades qui s’attaquent sans complexe à la liberté fondamentale des femmes à disposer de leurs corps. Encore tout récem-ment, le CD&V a débarqué en force avec une proposition sur le statut de l'embryon qui s'attaque directement aux conquêtes des femmes pour la reconnaissance du droit à l'avortement. En ce qui concerne la GPA, les positions relayées par les médias se polarisent entre les défenseurs incondi-tionnels de la famille traditionnelle, et les positions "progressistes" qui n’incluent jamais de point de vue féministe.

Dans ce contexte, difficile de prendre position. Bien qu'elle soit, pour l'instant, non légiférée en Belgique, la GPA se pratique. Elle est une réalité appréciée au cas par cas et qui fait l’objet d’accompagnements différenciés selon la structure médicale qui s’en occupe. Certain.e.s pensent que légiférer per-mettrait d'uniformiser les pratiques et de sortir de ce flou juridique, d’un autre côté, la question du droit pose (et impose) immédiatement la question du non-droit ou de la contrainte. Quels sont les véri-tables enjeux d’une législation favorable à la GPA, conçue par les politiques actuelles?

Nous avons choisi de reproduire ici un article d’Irène Kaufer, militante féministe, et de Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des femmes. Au cours d’une réunion de Féminisme-Yeah!, nous avons eu l’occasion de débattre du sujet avec Valérie Lootvoet. Selon nous, la position défendue dans le texte qui suit remet, salutairement, les femmes – premières concernées par la GPA – au centre du débat.

Comme Irène et Valérie, nous sommes formellement opposées à la GPA commerciale, mais contrairement à ce qu’on aurait supposé, il n’est question dans aucune proposition de marchandisation en tant que telle. Se pose alors les questions soulevées ci-dessus: où se trouve la limite entre le cadeau, les remboursements de soins et la rémunération? On parle de GPA "altruiste" mais de quoi s'agit-il? Pourquoi cet attribut devrait-il être l'apanage des femmes? Au nom de leur bien connu sens du sacrifice? On ose grossièrement comparer la GPA à la PMA – procréation médicalement assistée - et plus précisément au don de sperme. Mais c'est faire totalement abstraction des risques sur la santé que représente une grossesse. Ce qui nous inquiète le plus, c’est cette récurrente tendance à vouloir contrôler le comportement des femmes pour asseoir toujours plus confortablement la domination patriarcale. Dans la proposition la plus "progressiste" en faveur de la GPA, le SP.a défini le comportement attendu des mères porteuses et va jusqu’à

Gestation pour autrui: quels enjeux pour les femmes?

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définir leurs parts de responsabilité dans l’intervention d’une fausse couche ou de la naissance d’un bébé mort-né en fonction de leur comportement jugé responsable ou "irresponsable". La question de la légalisation de la GPA reste pour nous complexe et continuera à faire l’objet de discussions au sein de notre commission. En attendant, on reste méfiantes sur l’issue de ces propositions de loi dans le contexte politique actuel. ■

(1) Commission non-mixte qui réunit les femmes de la LCR, des JAC, et d’autres qui seraient intéressées par une orientation anticapitaliste du féminisme. Présentation complète sur : www.lcr-lagauche.org/feminisme-yeah-la-commission-feministe-de-la-lcrsap-et-des-jac/

Non à la gestation pour autrui!✒ par Irène Kaufer et Valérie Lootvoet

Nous voici donc repartis dans un débat sur la gestation pour autrui (GPA), actuellement discutée au Sénat. On entendra d'un côté des personnes qui plaident pour une légalisation d'une GPA non commerciale et de l'autre, des opposants qui argumenteront surtout à partir de positions de défense de la famille traditionnelle. Un tel débat laisserait croire qu'il y a d'un côté des personnes progres-sistes, ouvertes à l'innovation sociale et de l'autre, des espèces de dinosaures accro-chés à leur rocher familialiste.

Or i l ex is te une autre forme d'opposition qui, loin de défendre des lois soi-disant "naturelles", plaide pour une pluralité des familles, un élargissement des possibilités d'adoption ou même pour une réflexion sur la pluriparentalité (la possibilité de reconnaître plus que deux parents).

Si cette opposition-là rejette toute légalisation de la GPA, c'est d'une part pour cette manière de considérer les enfants comme de simples produits dont on réglerait le mode de "fabrication" en faisant appel à une machine de "dépannage". Mais il s'agit aussi de refuser l'instrumentalisation de la mère porteuse, pas seulement d'un point de vue commercial – là-dessus il existe un large consensus même si la définition pratique n'est pas aussi évidente (où s'arrête le remboursement des frais, et où commencent la "rémunération" ou

les "cadeaux"?). Même quand il s'agit de GPA dite "altruiste" – ah, ce bel altruisme bien connu des femmes, leur sens du sacrifice et leur amour de la gratuité... – l'encadrement légal leur impose des conditions qui leur ôtent une bonne partie de cette autonomie que les luttes féministes ont si durement conquise.

Il suffit pour s'en rendre compte de consulter le type de "convention" proposée dans le projet de loi le plus élaboré, celui présenté par Mmes Karin Jiroflée et Maya Detiège pour le SP.a en octobre 2014. Dès lors qu'elle a accepté le contrat, la mère porteuse s'engage à respecter toute une série de restrictions sur ses comportements – depuis l'alcool et la cigarette jusqu'à la pratique de certains sports ou le droit de voyager à l'étranger, en passant par ses relations sexuelles... – et à accepter le contrôle constant des accompagnateurs psycho-médicaux ainsi que des parents d'intention, y compris sur les circonstances de l'accouchement! On peut notamment y lire ce point censé "protéger" la mère porteuse: "Les parents demandeurs renoncent au droit de tenir la mère porteuse pour responsable de la fausse couche ou de la mise au monde d’un enfant mort-né, à  condition que la mort de l’enfant ne soit pas imputable au comportement irresponsable de la mère porteuse ou au non-respect des conditions énoncées dans la convention". On voit là que sous couvert du "droit à disposer de son propre corps", cette revendication féministe de base, il s'agit en fait de le mettre entièrement à disposition d'autrui.

Il existe bien sûr des histoires individuelles touchantes où une femme décide librement de porter un enfant pour un.e proche, sans qu'il y ait de rapport d'argent ou de pouvoir. Mais une politique ne peut se réduire à quelques histoires individuelles, quand elles menacent bien plus d'autres personnes. Lors d'un colloque au Sénat, le 30 janvier dernier, Petra De Sutter (Groen!) disait elle-même qu'une loi devrait concilier à la fois les intérêts de l'enfant, de la mère porteuse et des parents d'intention, que c'était là une tâche difficile et qu'il faudrait faire des "compromis". Nul doute sur la partie pour qui ce compromis exigerait le plus de sacrifices. ■

Les CrocodilesThomas Mathieu Les Crocodiles, Ed. Le Lombard, 2014

Le projet Crocodiles est une bande-dessinée qui met en scène des témoignages sur le harcèlement et le sexisme ordinaire. Thomas Mathieu, l’auteur, illustre des situations rencontrées quotidiennement par les femmes en représentant les hommes comme des crocodiles. Pourquoi des crocodiles? L’auteur répond que "tous les hommes ne sont pas des prédateurs" mais que le crocodile symbolise "le privilège masculin, le sexisme, les clichés sur le rôle de l’homme et la virilité et même la peur de croiser quelqu’un dans la rue sans savoir s’il va vous faire du mal", il ajoute "qu’il s’agit d’un problème de société et pas de quelques cas isolés" et invite le lecteur à s’identifier d’avantage aux femmes représentées qu’aux crocodiles.

Si en ouvrant la bande-dessinée on peut regretter que ce soit à nouveau un homme qui se fait porte-parole et dénonce le sexisme, on sait en tant que lectrice que c’est effectivement les propos des femmes qui y sont relayés, les situations représentées étant trop bien connues par chacune d’entre nous. C’est une étape importante pour nous toutes, reconnaitre nos conditions quotidiennes comme une condition sociale pour pouvoir la déconstruire ensemble. Pour les hommes, représentés comme des crocodiles potentiels dans les yeux des femmes, la lecture présente une posture qu’il vaut mieux comprendre pour en changer. ■

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✒ par Denis Horman

"Réformer les pensions, c’est garantir nos pensions". Dans une carte blanche, le ministre des Pensions, Daniel Bacquelaine (MR) déclare: "La réforme de notre système de retraites est urgente et nécessaire. Elle n’est marquée d’aucun sceau idéologique (…)" (1). Et de rappeler et justifier les grandes mesures de réforme des pensions prises par le gouvernement Michel-De Wever. Des mesures qui passeront au parlement, majorité contre opposition, selon un scénario implacable qui va laminer nos acquis, nos conquêtes sociales. Ici ou là, dans le mouvement syndical, des voix s’élèvent: "Si nous laissons faire ce gouvernement, nous allons toutes et tous chèrement le payer".

SECU: "Déficit" et démantèlement!

En Belgique, 1 pensionné sur 5, dont une majorité de femmes, vit sous le seuil de pauvreté, celui-ci étant estimé à 1.074 euros/mois pour un isolé et à quelque 1.300 euros pour un adulte avec 1 personne à charge. La pension minimum brute des salariés est de 1.123 euros pour un isolé et de 1.404 euros pour un ménage. Mais en réalité, compte tenu des carrières incom-plètes - car il faut 45 années de carrière pour obtenir une pension complète - la pension brute moyenne individuelle d’un salarié est de 823 euros (isolé) et 836 euros (marié) pour les hommes et 688 euros pour les femmes (2), bien en-dessous du seuil de pauvreté. Pour les fonctionnaires statutaires des services publics, la pension moyenne est de 1.599 euros, un peu en-dessous de la moyenne européenne.

Les pensions de salariés belges sont parmi les plus basses de l’Union européenne, plus basses qu’en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Si on compare le coût des pensions par habitant avec les trois pays voisins, ce sont les pensions belges qui coûtent le moins cher: Belgique (2.400 euros); Allemagne (2.600); Hollande (3.100); France (3.400). Quand il s’agit de comparer nos coûts salariaux, soit- disant trop élevés par

rapport à ceux de nos trois pays voisins, là, on trouve un bon prétexte pour bloquer nos salaires! Mais, quand il s’agit de comparer nos pensions plus basses qu’en France, Allemagne et Pays-Bas, là, pas question de tenir le même raisonnement, en réajustant nos pensions sur celles de ces trois pays!

Nos pensions sont en dessous de la moyenne européenne! Pourtant, la Bel-gique se situe au 16ème rang des pays du monde au plus gros Produit intérieur brut (PIB) par habitant: 2 rangs après les Pays-Bas (14ème rang), mais avant l’Allemagne (18ème) et la France (19ème) (3). De 1980 à 2014, le PIB (la richesse – l’ensemble des biens et services- produite dans notre pays) a quadruplé!

"Le budget des pensions atteint la somme record de 41,2 milliards d’euros, alors qu’il n’était ‘que’ de 25 milliards, il y a moins de 10 ans", écrit le ministre des pensions dans sa carte blanche.

Et il en conclut: "La viabilité du système n’est f inancièrement plus tenable". En réalité, si on compare les chiffres de 2003 et ceux de 2013, on peut constater que la part des pensions dans le PIB n’a que très peu progressé. On peut même dire que la part des richesses consacrée à la sécurité sociale des travailleurs salariés n’a pas augmenté mais bel et bien diminué: exprimées en pourcentage de notre richesse nationale (PIB), les dépenses relat ives aux allocations sociales payées par le régime des travailleurs salariés ont diminué de 13,3% du PIB en 1985, à 11,6% du PIB en 2005, et à 10,7% du PIB en 2011 (4).

Et le "trou dans la Sécu"? Un déficit de 1.550 milliards d’euros dans le budget de la sécurité sociale pour 2015! Mais d’où vient ce déficit? Ce déficit est essentiellement la conséquence des politiques menées par le précédent et actuel gouvernement, provoquant une importante diminution des recettes à la sécurité sociale: la modération et le blocage des salaires (5); la réduction de l’emploi public (non remplacement de 4 fonctionnaires sur 5 qui partent à la retraite); les effets du

saut d’index, quand il se produira (6), les mesures prises par le gouvernement Di Rupo de dégressivité des allocations pour tous les chômeurs jusqu’à un forfait situé en-dessous du seuil de pauvreté; l’exclusion du chômage pour des milliers de personnes (fin du droit aux allocations d’insertion), mesures renforcées sous ce gouvernement Michel-De Wéver, et entrainant de moindres cotisations à la SECU; les détournements de fonds, les gouvernements laissant les mains libres aux employeurs pour puiser allègrement dans les caisses de la sécurité sociale (7).

Les pensions légales sont financées par les cotisations sociales. Ces cotisations ne font que diminuer avec toutes sortes de nouveaux genres d’emplois et formes salariales (salaire poche!) sur lesquels les employeurs ne doivent pas payer, ou très peu, de cotisations sociales (plans d’activation, primes de mobilité, véhicules d’entreprise, chèques repas, pensions complémentaires, participations aux bénéfices, primes d’innovation, avantages non récurrents liés aux résultats de l’entreprise..).

Michel-De Wéver: les dessous d’une réforme musclée

"Réformer les pensions, c’est garantir nos pensions (…); c’est assurer un héritage à nos enfants". Notre ministre des pensions a le sens de la formule. "Face à l’intoxication, aux mensonges, il est grand temps d’amplifier, dans nos organisations syndicales, de haut en bas, l’opération vérité; nous en avons les outils", déclare Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral de la FGTB; "c’est un élément essentiel pour construire un rapport de force en notre faveur". En effet!

"On vit plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps… pour financer les pensions"! C’est évident, ce n’est pas idéologique, précise Mr Bacquelaine dans sa "carte blanche", et il avance les chiffres: "En une 50aine d’années, l’Homme a gagné plus de 12 ans d’espérance de vie (…), ce qui implique une augmentation du nombre de retraités (…). Aujourd’hui, presque quatre travailleurs financent la

Réforme des pensions: Halte au démantèlement!

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pension d’un retraité. En 2060, si l’on ne fait rien, ils seront plus que deux actifs pour cotiser la pension d’un retraité". Conclusion "logique": il faut plus d’actifs pour financer les pensions, il faut reculer l’âge légal de la retraite, ce que le gouvernement Michel a décidé: 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030!

Augmentation de l’espérance de vie?

Des enquêtes récentes montrent une tendance à son ralentissement, et surtout pour l’espérance de vie en bonne santé. Celle-ci est en moyenne de 64 ans en Belgique. Pour certaines catégories de travailleurs, le nombre d’années de vie en bonne santé est en diminution. Ainsi, selon une étude de Médecins du monde, effectuée avec l’INAMI et les mutuelles, en 1997, une femme de 25 ans non diplômée vivait en moyenne en bonne santé jusqu’à 58 ans. Aujourd’hui, cette moyenne est de 49 ans.

Il y a de multiples causes provoquant la diminution de cette espérance de vie en bonne santé: le stress au travail, la charge physique, l’exposition à des produits dan-gereux, la fréquence et le taux de gravité des accidents, 2 fois plus élevés chez les travailleurs de plus de 50 ans que chez les travailleurs plus jeunes (chiffres du Fonds des accidents de travail), les économies supplémentaires faites dans la SECU. Ce gouvernement a déjà "économisé" 2,8 milliards d’euros dans les soins de santé. Payer plus cher pour se soigner, ça n’a pas le même impact sur la santé, si l’on est riche ou pauvre!

Pas assez d’actifs pour assurer la viabilité financière du système des pensions!

Notre ministre des pensions et son gouvernement oublient de rappeler que la Belgique est dans le top mondial en termes de productivité. Ce qui veut dire qu’un travailleur belge produit énormément de

richesses: un actif belge en 2014 produit deux fois plus de richesses qu’un actif en 1980. En 2060, un actif produira deux fois plus de richesses qu’un actif d’aujourd’hui. Les pensions sont, de ce fait, tout à fait finançables. Et puis, allez comprendre: obliger les gens à travailler jusqu’à 66, 67 ans… 70 ans (!), alors que notre pays compte plus de 600 000 chômeurs/euses, avec des milliers de jeunes qui cherchent désespérément un boulot!

Travailler plus pour gagner moins!

Si le gouvernement pousse à travailler plus longtemps, les pensions vont augmenter? Et bien non! Le gouvernement veut diminuer les pensions. Et pour cela, il décide de changer de système de calcul pour le montant de la pension d’un salarié: il introduit un système à points. Une manière "d’assurer un bel héritage social à nos enfants", n’est-ce pas Mr Braquelaine!

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"Le système à points est probablement l’élément le plus pervers de cette réforme des pensions", souligne Jean-François Tamellini (8). Chaque travailleur aurait un compteur individuel et accumulerait des points par année de carrière. La valeur du point serait fixée 3 ans avant le départ en pension. Cette valeur serait corrigée par deux types de correcteurs automatiques. Un correcteur démographique: si vous partez en pension lors d’une année où beaucoup de travailleurs partent en pension, votre point est diminué. Un correcteur économique: si la dette publique belge (déficit budgétaire!) est trop élevée, la valeur de votre point est diminuée.

Travailler plus pour gagner moins, cela se vérifie aussi avec des mesures telles que la non assimilation, pour le calcul de la pension, des périodes d’inactivité, d’interruption de carrière: chômage, certains crédits temps (ce que le gouvernement Di Rupo avait déjà introduit), suppression du bonus pension, etc. Comme les chômeurs, les pensionnés doivent servir de "variables d’ajustement" pour le budget de l’Etat!

Harmonisation des trois régimes de pension

Salariés du privé, fonctionnaires, indépendants: le gouvernement prône l’harmonisation, la solidarité en quelque sorte! En fait, il vise les pensions des fonctionnaires qui coûtent trop cher! Il s’agit donc d’harmoniser les pensions par le bas, en attisant la division entre travailleurs du privé et du public.

On pointe du doigt les fonctionnaires du secteur public comme des privilégiés, avec des pensions confortables. Certes, la moyenne des pensions dans le public est plus élevée que dans le secteur privé: 1.599 euros par mois, un peu en-dessous de la moyenne européenne. Mais il faut rappeler que durant toute leur carrière, les fonctionnaires statutaires n’ont pas perçu de 13ème mois, ni de second pilier, pour une pension complémentaire. Précisons aussi que la majorité des fonctionnaires sont des contractuels, logés à la même enseigne ou placés dans la même galère que les salariés.

Le gouvernement prépare une attaque en règle contre les pensions publiques:

calcul du montant de la pension sur base de l’entièreté de la carrière (et plus sur les 5 ou 10 dernières années, quand le salaire est plus élevé); l’abandon de la prise en compte des années comme contractuel dans le calcul de la pension; la non assimilation des années d’études pour le calcul de la pension, ce qui reculera de facto d’autant l’âge de la retraite, etc.

Et les indépendants? Leurs pensions ont augmenté, ces dernières années: une bonne chose en soi! Ces augmentations ont été largement financées par les salariés et les fonctionnaires! Dans le régime des indépendants, ce sont les petits qui paient pour les gros. Ainsi, un indépendant paye 22% de cotisations jusqu’à 55.000 euros de revenus déclarés; puis 14% sur les revenus entre 55.000 et 84.000 euros; et…0% sur ce qui dépasse 84.000 euros.

Si le gouvernement faisait payer bien davantage les gros indépendants au prorata de leurs revenus, alors les petits indépendants toucheraient une pension décente. C’est sortir les pensionnés du seuil de pauvreté qu’il s’agit de faire et non diminuer les pensions des fonctionnaires

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pour augmenter encore plus le nombre de pensionnés pauvres! Après tout, la pension moyenne des statutaires des services publics ne représente finalement que ce que devrait être une pension décente!

Nos pensions avant leurs profits!

"La réforme des pensions portée par le gouvernement ne doit en aucun cas être comprise comme l’étendard d’une quelconque idéologie politique partisane. Elle n’est ni de gauche ni de droite, ni rouge ni bleue", tient à préciser le ministre des pensions dans sa "carte blanche". Il rappelle au passage et sans arrière- pensée (!) la phrase de l’ancien ministre socialiste des pensions, Michel Daerden: "Si nous ne faisons rien, nous irons droit dans le mur". Bacquelaine ne rate pas non plus l’occasion de saluer un autre socialiste: "Le gouvernement s’est largement inspiré du rapport remis par la Commission présidée par Frank Vandenbroucke (PS) pour construire l’architecture générale de la réforme des pensions".

En prolongeant la carrière jusqu’à 66, puis 67 ans (Et pourquoi pas envisager 70 ans par la suite!), en diminuant le niveau des pensions, en laissant entendre qu’on ne pourra plus payer les pensions si rien n’est fait (d’où nécessité de la réforme actuelle), patronat et gouvernement(s) ne croient pas que les travailleurs perdront leur vie à la gagner jusqu’à 70 ou 80 ans. Epuisés, usés, nombre d’entre pourraient se résigner à accepter des (pré)pensions au rabais, si les rapports de force n’étaient pas inversés. L’objectif du patronat et du gouvernement à son service, même si ceux-ci restent discrets sur le sujet, c’est de remplacer –en y allant progressivement- le système actuel des retraites par répartition par la capitalisation.

Notre système légal de pensions est basé sur la répartition, la solidarité intergénérationnelle: ce sont les travailleurs d’aujourd’hui qui financent les pensions des pensionnés actuels.

A côté de cela, existe un second pilier de pension: les assurances-groupes, proposées et gérées par l’employeur dans les entreprises. La loi sur les "pensions complémentaires" stipule un taux de rendement garanti pour les travailleurs. Si les taux de marché provoquent une baisse du rendement, c’est à l’employeur de payer la différence! Le gouvernement propose de supprimer le taux garanti pour les travailleurs, une manière de protéger l’employeur qui ne devra plus couvrir

la différence, tout en conservant des avantages fiscaux très avantageux!

On voit où le gouvernement, solidaire du patronat et des riches, veut en venir: pousser aux pensions complémentaires individuelles, à l’extension de l’épargne-pension ou assurance-vie (le troisième pilier), sous l’œil attentif des fonds de pension privés. Si les salariés ont tout à y perdre – on a pu voir les dizaines de retraités américains ayant perdu toutes leurs ressources avec l’effondrement de fonds de pension cotés en bourse-, il y a par contre, pour les assureurs, beaucoup d’argent à se faire. Créer la panique sur les pensions qui ne pourront plus être financées sans une réforme radicale -celle que met en place le gouvernement-, c’est pousser au "sauve qui peut individuel"; c’est une tentative pour désamorcer les mobilisations pour d’autres alternatives.

Participer au "Comité national des pensions", comité paritaire –gouvernement-patronat-syndicats – créé par le Conseil des ministres, c’est aussi une belle manœuvre pour entrainer les instances syndicales dans une mascarade, pour désamorcer et casser la dynamique d’unité et de mobilisation syndicale contre ce gouvernement. D’ailleurs, in terrogé par un journal i s te lu i demandait: "Quelle marge de manœuvre aura le Conseil national des pensions? Pourra-il modifier le départ à 66 ans en 2025 et 67 en 2030"?, Daniel Bacquelaine lui a répondu: "Non, ça c’est coulé dans l’accord de gouvernement" (9), comme les autres réformes d’ailleurs!

La meilleure défense, c’est l’attaque, dit-on. Cela implique que la mobilisation pour faire barrage à la réforme des pensions soit liée à un programme offensif d’urgence sociale. La LCR avance, en ce qui concerne les pensions, des revendications qui font écho à celles véhiculées dans le mouvement syndical.

Le droit à la prépension à 55 ans et à la pension à 60 ans maximum, pour toutes et tous, calculées à 75% du revenu sur les 5 meilleurs années de la carrière, avec embauche obligatoire correspondante. Revalorisation de toutes les pensions et leur liaison automatique au bien-être. Retour à un système intégral de sécurité sociale par répartition (cotisations sociales), par l’arrêt des cadeaux au patronat sous forme de réduction des cotisations.

Financer les retraites, comme les salaires ou la réduction du temps de travail… c’est POSSIBLE. Les ressources existent: une part croissante des richesses

produites par les travailleurs est accaparée par une minorité de privilégiés. Des entreprises multinationales et super-riches qui n’ont aucun scrupule à éluder, chaque année, quelque 20 milliards d’euros d’impôts (fraude fiscale!). Il faut donc prendre sur ces profits pour financer les revendications légitimes du monde du travail.

"Si nous continuons à laisser les mains libres à ce gouvernement et à la majorité parlementaire qui lui est acquise, nous allons tous et toutes chèrement le payer". C’est ce que nous entendons dans les rangs syndicaux. Il faut faire sauter ce gouvernement, sinon on va tout perdre! Michel dégage! ■

1. Le Soir du 8/5/2015

2. Syndicats (FGTB), n°12 du 17 juin 2014.

3. Source FMI, estimations 2014, prix courants.

4. Syndicats, 27/5/2015.

5. Les masses salariales des travailleurs salariés et des contractuels de la fonction publique sont en forte régression de quasi 2 milliards d’euros au total entre respectivement septembre 2014 et février 2015 (Syndicats, 27/3/2015).

6. Selon les syndicats, le saut d’index sortira pleinement ses effets en 2016 et il en coutera de l’ordre de 1 milliard de recettes en moins à la sécurité sociale.

7. En 2013, 11 milliards d’euros étaient ristournés aux employeurs, au titre d’aides à l’emploi, dont 5,1 milliards sous forme de réduction de cotisations sociales patronales. Pour financer des politiques d’emploi? On constate plutôt un étrange parallélisme entre la progression des aides aux employeurs et la progression des dividendes. Entre 1996 et 2013, les dividendes ont progressé de près de 14 milliards et les subsides aux entreprises de 9,5 milliards (Syndicats 27/3/2015).

8. Voir la vidéo sur la page facebook de la LCR: J-François Tamellini "Tout ce que vous toujours voulu savoir sur les pensions".

9. Le journal La Meuse, 27/3/2015.

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✒ par Daniel Tanuro

Ce vendredi 3 juillet à Bruxelles, ses proches, ses amis-e-s et ses camarades de la LCR-SAP et de la IVe Internationale ont rendu hommage à la mémoire de François Vercammen, décédé le 16 juin dernier des suites d’une terrible maladie. Nous publions ci-dessous le texte de l'allocution prononcée à cette occasion par Daniel Tanuro, au nom de la LCR-SAP). Deux autres allocations ont également été prononcées ce jour-là par Janek Malewski (au nom de la direction de la IVe Internationale) ainsi que par Nadia De Mond (grande amie et camarade de François). Nous ne les reproduisons pas ici par manque de place, mais vous pouvez les retrouver sur notre site à la page www.lcr-lagauche.org/hommage-a-francois-vercammen.

François Vercammen, ou l’art de la politique pratique

"La politique est une activité concrète qui se mesure à son résultat pratique": cette phrase, j’ai entendu François la dire il y a très longtemps. Il s’adressait à un jeune camarade, mi-marxiste, mi-anarchiste, dont le discours était truffé de tournures savantes empruntées à des philosophes ou à des sociologues à la mode.

D’apparence anodine, cette petite phrase résume la conception que François avait de l’activité politique. A l’instar d’un artisan, François pensait la politique comme un travail, comme une production à réaliser conformément à un plan qu’il corrigeait au contact de la réalité.

Ce n’est évidemment pas de n’importe quelle politique que parlait François, mais de politique révolutionnaire, basée sur la critique radicale du capitalisme et de la société bourgeoise – la critique initiée génialement par Marx et approfondie par d’autres auteurs, notamment par Ernest Mandel.

Produire de la conscienceFrançois avait une grande admiration

pour Ernest, et celui-ci le considérait comme son fils spirituel. Tous deux étaient anversois, et fiers de l’être, mais ceci ne suffit évidemment pas à expliquer cela. François appréciait la façon qu’avait Ernest d’expliquer des choses compliquées simplement mais sans simplisme, de façon pédagogique mais sans condescendance ni paternalisme. Et Ernest voyait en François la preuve de sa capacité d’amener un enfant de la classe ouvrière à maîtriser les concepts les plus sophistiqués du marxisme.

Si François appréciait cette capacité d’Ernest, c’est précisément parce que la politique était pour lui une activité concrète. Une activité dont le principal résultat mesurable devait forcément être l’élévation du niveau de conscience de l’avant-garde de la classe ouvrière, sujet de la transformation du monde.

Produire de la conscience de classe révolutionnaire, tel est donc le travail auquel François s’attelait tous les jours. Il se levait tôt le matin, n’arrivait pas toujours tôt au siège de la section, mais se mettait toujours tôt à l’ouvrage, en commençant par la lecture des journaux: De Standaard, Le Soir, La Libre, Le Monde, puis plus tard le Financial Times, Le Corriere della Serra… François était méthodique et accumulait ses coupures de presse dans d’innombrables fardes thématiques.

Premiers pasCe travail, François avait commencé

à s’y atteler dès les années 63-64, à l’université de Gand. Freddy De Pauw, qui présidait les étudiants communistes, venait d’être exclu du PC pour trotskisme, au terme d’un procès politique digne des heures les plus noires du stalinisme. François avait vingt ans et cherchait déjà sa voie. Il le contacta. Ensemble avec Tony Van Den Heurk, Guido Totté, Jan Calewaert  et quelques autres, ils fondèrent le MRS (Marxistische Revolutionaire Studenten), qui devint plus tard le MRB (Marxistische Revolutionaire Beweging).

Toute une génération s’est formée dans ce creuset: Paul Verbraeken, Eric Corijn, Jo De Leeuw, Jan Van Kerkhoven,

d’autres encore… Le groupe contrôlait les étudiants socialistes flamands (SVSB), la SJW (Socialistische Jonge Wacht – la JGS) et les ABVV studenten, distribuait des tracts aux ACEC et dans la chimie, notam-ment. Il se réunissait toutes les semaines et Freddy se souvient d’une période où chaque membre à son tour présentait un chapitre du Traité d’économie marxiste. Plus tard un deuxième noyau fut fondé à Anvers, avec Frank Maerten et Fons Van Cleempoel, notamment.

François était la figure centrale, l’intellectuel. Il dévorait les livres comme il les dévora toute sa vie, en particulier les ouvrages historiques. "L’histoire est notre livre", disait-il souvent. Il avait faite sienne la citation de Gramsci: "Celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va". Mais son intérêt n’était pas que théorique: c’est la stratégie qui l’intéressait.

Un homme attachantFrançois n’était pas le plus activiste sur

le terrain, et ne le fut jamais. Il y a toujours eu chez lui une sorte de timidité étrange, comme une peur de l’extérieur venant de très loin. Pour la conjurer, il se réfugiait au milieu de ses livres. Ce trait de sa personnalité contrastait fortement avec son audace. Audace à affronter sans complexe ses professeurs, comme Jaap Kruithof, dès sa première année à l’université ; audace plus tard à polémiquer publiquement avec le secrétaire général de la FGTB, à travers une brochure Réponse à Debunne, écrite en une nuit; audace, plus tard encore, à prendre des contacts dans toute l’Europe, avec Tony Benn, Fausto Bertinotti et bien d’autres, dans le cadre de la Gauche Anticapitaliste Européenne.

Se mettre en avant n’était pas et ne fut jamais la motivation de François. Ses compétences et ses vastes connaissances, il les mettait entièrement au service de l’orientation et de l’organisation interne du groupe, avec la conviction que "l’outil parti" était indispensable à l’émancipation de la classe ouvrière, et par conséquent de la société tout entière. Il les mettait en priorité au service des militants ouvriers. C’est lui qui, couchant

Hommage à François Vercammen

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ssur le papier la pensée de notre camarade André Henry, écrivit le fameux Manifeste des travailleurs de Glaverbel-Gilly, adopté par les grévistes comme base de leur combat historique de 1975.

François était un dirigeant parce qu’il était reconnu comme tel. Très modeste, enjoué, farceur, aimant la vie, les femmes, l’amour et les Beatles, petit mais sportif et bien bâti (il avait hésité brièvement entre la révolution et la division 1 de football), François était séduisant et ses proches savaient sa tendresse. Les personnes présen-tes n’oublieront pas de sitôt son numéro désopilant de drôlerie et débordant de gen-tillesse lors du soixantième anniversaire de Denis Horman, en 2002. Cependant, il polémiquait durement à l’interne, était intransigeant sur l‘éthique révolution-naire et raillait férocement celles et ceux qui cherchent les titres, les honneurs et la notoriété. Il maintint ce cap toute sa vie, mais devint moins tranchant et très chal-eureux avec l’âge et l’expérience.

Transformer le mondeLe père de François était docker et

footballeur. Il est tentant de chercher dans cette paternité l’explication de la conception éminemment pratique que François avait de la politique. Marx affirmait que le capitalisme inculque au prolétariat la discipline indispensable à la lutte. Mais cette explication est-elle satisfaisante? Il est permis d’en douter. François avait une intelligence hors du commun et, s’il est devenu très tôt un dirigeant politique hors pair, c’est autant à sa connaissance affutée du marxisme qu’à son origine sociale qu’il le doit.

L’attitude de François face à la phi-losophie est révélatrice à cet égard. Dans un débat sur "Réinventer l’Espoir", le petit ouvrage que nous avons signé ensemble juste après la chute du Mur, il expliqua qu’il s’en méfiait comme d’un dérivatif. Pas qu’il méprisât les grandes questions philosophiques, mais il estimait qu’elles ne trouveraient leur solution qu’à travers la lutte contre l’aliénation, la chosification et le fétichisme de la marchandise. Tout se ramène donc à la lutte de classe, à la politique révolutionnaire. C’est pourquoi la onzième thèse de Marx sur Feuerbach résume bien l’engagement pratique de notre camarade: "Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, or il s’agit de le transformer".

Adhésion à la IVe InternationaleFrançois avait été repéré par le petit

noyau de la Quatrième Internationale en

Belgique, dont les membres pratiquaient "l’entrisme" dans la social-démocratie à travers les journaux Links et La Gauche et une forte présence dans la Jeune Garde Socialiste. Un premier contact de Guy Desolre avec François n’avait rien donné – Desolre était "trop intellectuel" et, cir-constance aggravante, il ne connaissait rien au football! C’est Emile Van Ceulen, ouvrier relieur de son état, qui convainquit François: leurs approches étaient simi-laires. Dès lors, les membres les plus actifs du MRB adhérèrent à la Quatrième Inter-nationale et François déploya son activité dans un cadre plus large.

En 1964, les trotskystes furent exclus du PSB. C’était le congrès de l’incompatibilité. En Flandres, ils fondèrent le SBV (Social-istische Beweging Vlaanderen) qui déposa des listes aux élections de 1965. Le biolo-giste Filip Polk était candidat à Gand  ; à Anvers, la liste était conduite par Camille Huysmans, une figure historique du mou-vement ouvrier. François ne voulut pas être candidat: toujours cette sorte de timidité.

Autour de Mai 68Denis Horman se souvient de François

sillonnant le pays pour la JGS, en 1967-68. Il fallait gagner l’avant-garde syndicale au marxisme révolutionnaire. On le vit notamment à la Maison Ouvrière de Quaregnon, donner des formations à un groupe de jeunes travailleurs et étudiants d’écoles techniques – dont notre camarade Willy Goval, qui devint plus tard délégué syndical chez Verlipack à Ghlin et conseiller communal à Quaregnon. Grâce à Brassens, François parlait fort bien le français, mais il ne se débarrassa jamais de son accent anversois.

François excellait dans le domaine de la formation, qu’il concevait à partir de la formule de Karl Radek: "Il faut ouvrir aux membres le laboratoire de la pensée politique". Il se dévouait à cette tâche avec un soin infini, en préparant soigneusement ses dossiers. Nombre d’entre nous se souviennent de ses cours sur la révolution allemande, ou sur le "plan De Man", par exemple.

Dès la seconde moitié des années soixante, François se profila comme un jeune cadre de premier plan au niveau international également, en particulier à travers des contacts privilégiés avec les JCR de France. Il joua un rôle actif dans la mobilisation pour la manifestation européenne contre la guerre du Vietnam, en février 1968 à Berlin, puis dans l’organisation du congrès pour l’Europe

rouge à Bruxelles en novembre 1970, et conduisit les Belges à la grande manifestation pour l’anniversaire de la Commune, en mai 1971 à Paris.

François et ses camarades étaient comme des poissons dans l’eau dans ce climat "soixante-huitard". Cependant, le mouvement étudiant pour "Leuven Vlaams", qui culmina en 1968, prit le SBV au dépourvu. Il n’était pas présent sur Leuven. La plupart de ses membres, issus de milieux socialistes, communistes et libres penseurs, eurent tendance à regarder de haut cette agitation conduite par des étudiants sortis tout droit du pilier catholique, tels Paul Goosens ou Ludo Martens. Ce fut une grosse erreur, dont nous subissons encore les conséquences aujourd’hui. En effet, cette génération d’étudiants catholiques, en se radicalisant, ne trouva rien de mieux que le lavage de cerveau à l’aide du Petit livre rouge de Mao Zedong. On connaît la suite.

Fondation de la LRT et "meurtre du père"

En 1970, la fusion de la Jeune Garde Socialiste, du Parti Wallon des Travailleurs, du SVB et de l’Union de la Gauche Socialiste (Bruxelles) donna naissance à la LRT, dont François fut immédiatement la figure dirigeante. Ce fut l’époque des grèves "sauvages" (grève des mineurs du Limbourg, grève de Caterpillar-Gosselies et d’autres), des campagnes de solidarité avec la révolution indochinoise, des actions contre la Grèce des colonels et la dictature franquiste agonisante. François gagnait en épaisseur comme dirigeant.

Vers la fin des années ’70, sa con-ception pratique de la politique amena François à poser un regard de plus en plus critique sur son maître à penser Ernest Mandel, et même sur le "maître du maître", Léon Trotski. Ce fut un proces-sus douloureux, une sorte de meurtre du père. Petit à petit, il arriva à la conclusion qu’Ernest ne donnait pas de réponse con-vaincante au problème de la construction de l’organisation. En gros, selon François, Ernest renvoyait la solution à la crise pré-révolutionnaire, à la faveur de laquelle une petite organisation pourrait grossir très rapidement.

François devint plus critique aussi vis-à-vis de Trotski, dont le style flamboyant dissimulait trop souvent, selon lui, une difficulté à produire des réponses concrètes, portées par un collectif. Dans ce domaine, Lénine était supérieur. Par la suite, François accumula les matériaux

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s pour un livre sur Lénine, qu’il n’eut jamais l’occasion d’écrire.

Une réunion des Bureaux Politiques des sections européennes, à Toulouse, au début des années ’80, accéléra cette réflexion de notre camarade. Au cours de cette réunion, Mandel se vit reprocher ses pronostics erronés sur "la montée révolutionnaire combinée dans les pays d’Europe du Sud", les "batailles décisives dans les 4 à 5 années à venir", et les conséquences de ces pronostics sur les organisations. François en revint renforcé dans sa conviction qu’il y avait chez Ernest une vision "semi-gauchiste" et "semi-spontanéiste" de la politique. Selon lui, cette vision imprégnait profondément notre courant et l’empêchait de se lier plus étroitement à l’avant-garde ouvrière dans les syndicats.

Construire autour de la ligne politique

François se mit alors en quête d’une réponse à la question "Comment c o n s t r u i r e u n e o r g a n i s a t i o n révolutionnaire dans une période non révolutionnaire?" Il produisit un texte intitulé Cinq thèses pour la transformation du parti d’où émergea l’idée qu’il fallait construire l’organisation autour de sa ligne politique. François définissait celle-ci comme "le programme tel qu’il apparaît dans une conjoncture sociale donnée" – autrement dit l’ensemble des réponses aux problèmes de l’heure, cohérentes avec notre perspective anticapitaliste. Le centre de gravité était ainsi déplacé du programme maximum vers l’alternative anticapitaliste, de la propagande vers l’agitation, de "l’avant-garde large à

caractère de masse" – quelque peu mythifiée – vers la gauche réellement existante au sein des mouvements sociaux concrets, en particulier des syndicats.

"Construire autour de la ligne politique" signifiait se demander  dans chaque situation concrète: qu’en pensons-nous? qu’en disons-nous? que faisons-nous, comment nous organisons-nous collectivement pour cela, quel bilan tirons-nous à chaque étape? Cette approche démocratisait radicalement le fonctionnement interne, et c’était un objectif conscient de François. Elle rendait les débats accessibles à toutes et tous, mettait fin aux étalages d’érudition, invitait les intellectuels à mettre leur savoir au service du collectif, et pas l’inverse.

Faire de la politique dans les syndicats… sans ouvriérisme

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sPour François, il s’agissait d’appliquer cette méthode en particulier à la conquête d’une influence au sein des syndicats. Selon lui, en effet, la construction dans notre pays d’une organisation révolu-tionnaire se jouerait de manière décisive sur ce terrain-là. Ses analyses fines de notre mouvement syndical, de la crise du "syndicalisme pur", du "réformisme oppo-sitionnel de la FGTB", de la dialectique interne aux organisations débouchaient sur la conclusion qu’il fallait "introduire au sein du mouvement syndical  le débat politique, c’est-à-dire la question du pro-gramme et du prolongement politique".

Cette vision stratégique est toujours la nôtre et elle n’est pas sans avoir influencé la position remarquable prise en 2012 par la FGTB de Charleroi. François n’a pas été en mesure d’en débattre, mais il l’a appris et son regard étincelait d’enthousiasme au récit qui lui était fait des prises de position de Daniel Piron et de ses camarades. A travers celles-ci, c’est peu dire que la pensée de notre ami vit encore. Elle nous parle et nous encourage à avoir confiance dans notre propre programme.

François n’était pas pour autant ouvriériste, bien au contraire. Un des principaux terrains d’application de sa conception sur la construction fut la gigantesque mobilisation de masse contre l’installation des missiles de l’OTAN, entre 1980 et 1987. Sous son impulsion, la section, tout en construisant le mouvement de la paix sur des bases unitaires, se profila sur une ligne autonome de désarmement unilatéral, liée à la lutte contre le chômage (par le slogan intraduisible "Weg die bommen, werk verdomme" – littéralement: dehors ces bombes, de l’emploi nom de dieu).

François ne se serait jamais défini comme féministe – il était pour cela trop conscient de l’oppression patriarcale et des remises en cause qu’elle implique dans le comportement des hommes. Mais il était résolument solidaire du combat des femmes, qu’il considérait comme partie intégrante de la lutte anticapitaliste. Il appuyait le principe du mouvement autonome des femmes et l’auto-organisation des femmes dans la section. Il contribua de façon déterminante à faire en sorte que la direction de la section discute en détail des enjeux du mouvement pour la dépénalisation de l’avortement, puis du mouvement "Femmes contre la crise".

Il était ouvert et attentif aussi à la question écologique. Des camarades autrichiens avaient participé activement à

la campagne pour un référendum qui avait abouti à l’interdiction du nucléaire dans ce pays, en 1978. François prit l’initiative de les inviter en Belgique. Dix ans plus tard, il proposait que nous lancions une association Chico Mendes, du nom du seringuero écosocialiste brésilien qui avait été assassiné parce qu’il protégeait la forêt amazonienne contre les propriétaires terriens. Ce projet ne se concrétisa pas.

De l’Institut d’Amsterdam à la GACE

Je serai plus rapide sur l’investissement de François dans la IVe Internationale, dont d’autres camarades ont parlé. A partir de 1981 et pendant quatre années, Fran-çois participa à mi-temps au lancement de l’Institut International de Recherche et d’Education, à Amsterdam. Ce fut une période exaltante pour lui sur le plan intel-lectuel, car elle lui permit d’approfondir sa connaissance des révolutions, surtout de la révolution russe. Une période très éprouvante aussi, car l’institut accueillait les stagiaires pour des sessions de trois mois, d’une part, et que François revenait tous les mercredis soirs en Belgique pour participer aux réunions de direction de la section, d’autre part. Après les réunions, au Falstaff ou ailleurs, il nous contait avec enthousiasme la richesse de sa collabora-tion avec Pierre Rousset, leur découverte des travaux de Shanin, par exemple.

Dix années plus tard, la vie militante de François prit un autre tournant. En 1991, Ernest Mandel le convainquit en effet de devenir permanent au service du Bureau exécutif de la Quatrième Internationale, avec pour tâche de coordonner l’intervention des sections européennes.

Ce fut la dernière période de grande activité de notre camarade. Une décennie durant, il jeta toutes ses forces et son intelligence dans l’analyse du " proto-Etat despotique européen" et la construction de la Gauche AntiCapitaliste Européenne (GACE). Voyageant constamment d’un bout à l’autre du continent, il nouait des liens entre le Parti de la Refondation Communiste, Le Scotish Socialist Party, l’Alliance rouge-verte du Danemark, le Bloc de Gauche portugais, le groupe suisse SolidaritéS, la LCR française, notamment. Ses lectures incessantes alimentaient des articles de fond pour Inprecor, la revue réalisée par son camarade Janek Malewski.

En 2005, François prit l’initiative d’un colloque en hommage à celui qui restait malgré tout son père spirituel, Ernest

Mandel, dix ans après la mort de celui-ci. C’est là, pour la première fois, devant deux cents personnes, que beaucoup de camarades ont été confrontés de plein fouet aux effets de la terrible maladie qui le rongeait et qui a fini par l’emporter.

Notre ami Jean Batou, membre du groupe suisse SolidaritéS, se souvient de la période de la Gauche AntiCapitaliste Européenne. Ce qu’il dit de François servira de conclusion à cet hommage: "Nous avons gardé de lui le souvenir d’un infatigable combattant pour la cause de l’émancipation humaine. Il était doté d’un esprit vif, imaginatif, généreux, dépourvu de toute arrogance et de tout sectarisme, qui l’avait amené à travailler à la convergence des anticapitalistes pour peser sur la recomposition d’une gauche de gauche en Europe, dès le début du nouveau millénaire. Il restera pour nous un magnifique exemple de confiance dans nos valeurs et dans notre programme."

Adieu camarade, adieu noble cœur. Adieu et merci. ■

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lle Il y a un siècle:

Le génocide du peuple arménien✒ par Guy Van Sinoy

D ’ u n e m a n i è re g é n é ra l e , habitant en Europe occidentale, nous connaissons peu l’histoire des peuples d’Orient. Est-ce une séquelle culturelle de la division au IVe siècle  de l’Empire romain en deux parties, Rome d’une part et Byzance (Constantinople) de l’autre? Toujours est-il que nous sommes souvent incapables de répondre quand on nous interroge sur l’histoire de l’Empire ottoman, sur la guerre des Balkans ou sur l’histoire du génocide des Arméniens.

Les Arméniens sont arrivés en Anatolie vers le 6e siècle avant J-C. Au fil du temps ils ont connu de nombreuses occupations (Perses, Macédoniens, Romains, Arabes, Turcs). Du 14e siècle jusqu’au début du 20e siècle les Arméniens vont vivre au sein de l’Empire ottoman qui commencera à se disloquer au 19e siècle.

La fin de l’Empire OttomanLes peuples de l’Empire ottoman

entament leur émancipation au 19e siècle (Grèce en 1830, Roumanie en 1851, Bulgarie et Serbie en 1878). L’Empire est démantelé dans sa partie européenne à partir de cette date. Les Arméniens prennent conscience de l’inégalité de leurs droits face aux autres citoyens ottomans et revendiquent l’égalité.

Un mouvement d’opposants turcs, nationaliste et progressiste, (les Jeunes Turcs) parvient à renverser le sultan en 1908 et dirige l’Empire. Au fil du temps, le courant nationaliste pan-turc devient hégémonique au sein des Jeunes Turcs qui refusent d’envisager toute autodétermination des peuples qu’ils dominent (Kurdes et Arméniens notamment) et qu’ils considèrent comme des "ennemis de l’intérieur".

Premiers massacresUne première vague de massacres

commence en 1894 sous le motif que les Arméniens refusent de payer une double imposition. Des régiments de cavaleries kurdes participent aux massacres qui font 200.000 morts, 100.000 réfugiés, 50.000 orphelins, 40.000 convertis de force, 2.500 villages détruits, 560 églises détruites ou transformées en mosquées. Mais ce n’est qu’un prélude. En avril 1909, les massacres reprennent dans la région d’Adana et font 30.000 morts.

Première Guerre mondiale et début du génocide

Quand la guerre éclate, l’Empire ottoman est allié des empires Allemand et Austro-hongrois. A la suite de la défaite militaire des Ottomans face à l’armée russe en janvier 1915, les Arméniens sont accusés de pactiser avec les Russes. Le triumvirat d’officiers à la tête de l’Empire ottoman (Talaat Pacha, Enver Pacha et Djemal Pacha) planifie secrètement le génocide. La première mesure consiste à désarmer les soldats et les gendarmes arméniens enrôlés dans l’armée ottomane.

En avril 1915, plusieurs centaines d’intellectuels arméniens sont arrêtés à Constantinople. Ils seront déportés et massacrés dans les mois qui suivent. Simultanément, 60.000 Arméniens sont massacrés dans la région de Van, dans l’Est de l’Anatolie. Partout l’opération se déroule de façon similaire: les Arméniens sont accusés de trahison, arrêtés, torturés pour soutirer des aveux, déportés puis massacrés. Un avis de déportation vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie vise les femmes, les enfants et les vieillards. De mai 1915 à novembre 1916, plus d’un million d’entre eux sont déportés. Au cours de la déportation la plupart seront assassinés par les gendarmes et les miliciens kurdes chargés de les escorter. Les hommes restés sur place sont immédiatement assassinés. A Diyarbakir et à Bitlis presque tous les Arméniens sont massacrés sur place.

Le télégramme de Talaat PachaEn septembre 1915, Talaat Pacha

adresse un télégramme à la direction du parti Jeunes Turcs à Alep en ces termes: "Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à pren-dre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici." Des prisonniers de droit commun sont libérés pour aider les forces ottomanes à accomplir les massacres.

Les déportations massives suivent deux axes: l’un au sud vers Alep, le Liban et la Palestine, l’autre vers la Mésopota-mie eu suivant la ligne du chemin de fer de Bagdad construite au début du siècle par Siemens avec l’aide de la Deutsche Bank. Pendant l’été 1916, les derniers groupes de déportés sont tués par petits groupes ou abandonnés dans le désert où ils meurent de soif. Les missionnaires sont empêchés d’apporter nourriture, eau ou vêtements aux rescapés. Tout fonction-naire s’opposant à l’exécution du génocide est muté, démis de ses fonctions ou fusillé.

Seuls survivront les Arméniens de Constantinople, de Smyrne (sur la mer Égée) et de Van, sauvés par l’avance des troupes russes.

La dissimulation et la négation du génocide

L e s a u t o r i t é s o t t o m a n e s s’emploient ensuite à faire disparaître systématiquement toute trace du génocide. Les photographies des convois de déportés sont interdites. Mais il y a de nombreux témoins sur le lieu des massacres (diplomates, missionnaires) qui, dans leurs notes, donnent de nombreux détails du génocide. Alliée de l’Empire ottoman pendant la Première Guerre, l’Allemagne était au courant des plans génocidaires des autorités ottomanes mais elle n’a rien dit. Le Vatican (le pape Benoît XV) est intervenu auprès des autorités ottomanes mais n’a pu sauver que quelques dizaines

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d’Arméniens à Alep. En même temps, le Vatican conservera dans ses archives secrètes tout document relatif au génocide arménien. Ce n’est qu’en 2011 que ces archives livreront leurs secrets.

En 1919, les principaux respon-sables du génocide, qui se sont enfuis en emportant tous les documents compro-mettants, seront condamnés à mort par contumace. Environ 150 responsables seront arrêtés à Constantinople par les Britanniques après la guerre et déportés à Malte. Ils seront finalement relâchés faute de preuves. Ces exilés de Malte seront nommés à des postes gouvernementaux

importants lors des premières années de la république turque. Certains de leurs descendants occupent encore de nos jours des postes importants dans l’appareil d’État. Il n’est donc pas étonnant que les autorités turques d’aujourd’hui continu-ent de nier, un siècle plus tard, le génocide du peuple arménien.

Bilan chiffréD’autres peuples minoritaires furent

aussi durement réprimés à la même époque. 500.000 Yézidis auraient péri durant les massacres; près de 700.000 Assyriens (70% de la communauté) ont

été massacrés de la même manière que les Arméniens; sur les 600.000 Pontiques (une communauté grecque vivant depuis des siècles sur les bords de la Mer Noire) 350.000 ont été massacrés et les autres ont été expulsés vers la Macédoine (Nord de la Grèce). Dans son carnet personnel, Talaat Pacha a noté que la population arméni-enne est passée de 1.600.000 en 1914 à 370.000 après1916, soit plus de 1.200.000 morts. Condamné à mort par contumace, Talaat Pacha sera assassiné en 1921 dans une rue de Berlin par un rescapé arménien qui sera acquitté à l’issue de son procès. ■

Reconnaître le génocide arménien: un enjeu actuel✒ par Jean Batou

Comme l’a montré le politologue Benedict Anderson, les nations sont des "communautés imaginées". Celle des Turcs anatoliens l’a été en temps de guerre, dans le cadre de l’effondrement d’un vieil empire multinational, sous la menace d’un projet de partition colonial cynique, prétendument justifié par la "réparation" du génocide arménien. Or, depuis les années 1990, avec l’implosion de l’URSS, et plus récemment, avec l’effondrement des Etats syrien et irakien

voisins, la Turquie se confronte à une sérieuse crise d’identité. C’est pourquoi, la reconnaissance du génocide arménien est d’une importance cruciale pour permettre à la société de ce pays de développer un ordre démocratique face à un Etat toujours tenté par des solutions autoritaires.

L’exigence de la reconnaissance du génocide arménien devrait certes aller de pair avec la dénonciation des visées impérialistes des vainqueurs de la Première guerre mondiale, qui ont favorisé cette réponse criminelle de la direction du parti jeune-turc. Mais surtout, elle est aujourd’hui inséparable de la défense des droits nationaux des autres minorités nationales - kurde, rom et arabe –, comme religieuses – alévis, chiites, chrétiens, juifs –, ainsi que des droits politiques et syndicaux des masses laborieuses du pays. En même temps, le règlement socialiste de "la question d’Orient" (nom donné aux rivalités coloniales européennes du 19e siècle) est aujourd’hui inconcevable sans

le triomphe des aspirations démocratiques et sociales des peuples de la région arabe de l’ancien Empire ottoman, de la Syrie à la Palestine, du Bahreïn au Yémen, de l’Egypte à la Tunisie.

C’est pour cela que la gauche internationaliste doit soutenir sans réserve les mobilisations sociales et démocratiques du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, qui ne disposent d’aucun autre allié face aux forces de la contre-révolution: les impérialismes US, européens et russe, les Etats iranien et turc, l’Arabie saoudite et les autres pétromonarchies, l’islam politique réactionnaire et le djihadisme meurtrier. Pour cela, il lui faut combattre une lecture des conflits réduite à la confrontation d’Etats et de camps pour partir avant tout des contradictions sociales qui les alimentent, et des forces populaires qui, en combattant les différentes formes d’oppression, œuvrent véritablement à leur émancipation.■

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✒ par Guy Van Sinoy

Lorsque vous entendez François de Brigode, à la RTBF, évoquer la nécessité de baisser les "charges sociales" pour sauvegarder la compétitivité des entreprises de Belgique ou encore parler de "grève sauvage" pour désigner une grève spontanée, dites-vous bien que c’est l’intoxication patronale qui entre, via le petit écran, dans des milliers de foyers en Belgique.

Car ces prétendues "charges sociales" n’existent pas; il existe par contre des cotisations sociales que les employeurs ont l’obligation légale de verser à la sécurité sociale pour tout salarié.e. L’utilisation à tort et à travers de l’expression "grève sauvage" pour désigner une grève spontanée relève de la même manipulation sémantique car une grève sauvage est une grève qui n’est pas reconnue par un syndicat, ce qui est assez rare dans notre pays. Parler de "prise d’otages des usagers" lors d’une grève – spontanée ou annoncée de longue date – relève non seulement de la désinformation mais de la criminalisation des mouvements sociaux. Car la grève est un droit tandis que la prise d’otages est un crime.

Comment en est-on arrivé là? D’où vient cette hargne et ce mépris généralisés des journalistes à l’égard du monde du travail en général et envers les syndicalistes en particulier? Nous avons interrogé Mateo Alaluf à l’occasion de la présentation de son livre "Dictionnaire du prêt à penser, tome 2" [le tome 1 était paru en 2003].

Interview de Mateo Alaluf à propos de son dernier livre✒ propos recueillis par Guy Van Sinoy

Le volume 2 du Dictionnaire du prêt à penser est paru il y a peu de temps. Le volume 1 était paru en 2000 aux Editions Vie Ouvrière. Lors d’une conférence-débat, sur le "prêt-à-penser  néolibéral" La Gauche a interviewé Mateo Alaluf, sociologue et professeur honoraire à l’ULB, sur les origines de cette campagne idéologique néolibérale.

Comment expliquer cette vague idéologique de droite qui consiste à pervertir le langage et notamment à employer certains termes en leur donnant une toute autre signification? Par exemple dire "moderniser la sécurité sociale" alors qu’il s’agit en réalité de la détruire.

Il y a d’abord eu des modifications dans la base sociale du capitalisme qui s’est mondialisé et financiarisé. A travers cette mutation du capitalisme il y a eue des batailles sociales importantes qui ont été perdues par les travailleurs. Je pense notamment à la défaite des mineurs britanniques sous Margaret Thatcher ou encore au cassage de la grève des aiguilleurs du ciel américains par Ronald Reagan. Des défaites semblables ont commencé à se produire un peu partout, sous des formes moins spectaculaires. Je pense, par exemple aux reculs sociaux infligés aux travailleurs en Italie. A chaque fois, dans des situations défensives les travailleurs ont lutté pour perdre le moins possible, mais en fin de compte ils perdaient quand même. Y compris en Belgique.

Le changement des rapports de forces sur le plan social a aussi entraîné un

changement des mots. Mais cela ne se fait pas de façon spontanée. Quand on entend par exemple qu’il faut étendre la flexibilité, c’est un mot qui a été pensé et qui a été préparé par un groupe de travail intentionné. Ce qui est flexible s’oppose à ce qui est rigide. C’est-à-dire que les personnes qui s’opposent à la flexibilité, par exemple des horaires de travail ou des salaires, sont présentées comme des gens rigides qui refusent le changement. La rigidité est connotée négativement, la flexibilité l’est positivement. Il faut, par exemple, accepter des petits boulots flexibles plutôt qu’un travail inintéressant et stable.

Quand on utiliser par exemple le terme "charges sociales" pour désigner les cotisations sociales, il s’agit d’un véritable changement des mots. C’est un changement de perspectives sur ce qu’est le travail. Dans le cadre du capitalisme industriel qui veut écouler ses marchandises, quand on paie les salaires cela sert à maintenir le pouvoir d’achat e t à pouvoir notamment acheter des marchandises. Tandis que dans un capitalisme financiarisé et mondialisé où la rémunération des actionnaires devient le critère majeur, la rémunération du travail devient un coût absolu. Les prestations sociales c’est encore pis car pour les financer il faudra taxer les entreprises. Dans une mise en concurrence à l’échelle mondiale, cela devient l’enjeu principal: tirer les salaires et les prestations sociales vers le bas de manière à accroître les profits et attirer les capitaux à l’échelle mondiale.

Cette utilisation du langage pour affaiblir le monde du travail ne se fait donc pas spontanément. De même qu’il existe dans les bureaux d’études patronaux des fiscalistes qui élaborent des montages fiscaux permettant aux entreprises de payer le moins d’impôts possibles, des juristes qui veillent à prendre des mesures préventives pour

La lutte des classes c’est aussi la lutte des mots

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mieux défendre en justice les entreprises, il y a donc aussi des bureaux d’études qui travaillent sur le plan des concepts et de la communication.

Oui, mais il ne s’agit pas d’un com-plot. Quand les patrons envisagent de nouvelles mesures de recul social, ils chargent leurs bureaux d’études de pré-parer des propositions concrètes mais aussi de réfléchir à la meilleure façon de faire passer cela dans l’opinion publique. Par exemple quand il s’agit de sabrer dans les cotisations sociales, on mettra en avant le souci de maintenir, voire d’augmenter le "salaire poche" et occulter ainsi le fait qu’une baisse des cotisations sociales est une baisse globale des salaires.

Comment aller à contre-courant?

La lutte idéologique est importante, y compris celle sur les mots. Mais bien entendu elle ne suffira pas. Elle doit être menée en parallèle avec la lutte pour la défense pied à pied de ce qui a été conquis dans la passé par le lutte sociale des anciens et qui est aujourd’hui quotidiennement remis en question.

Quelques extraits du dictionnaire

Allochtone En même temps que l’Afrique et

l’Amérique, nous avons découvert les "autochtones". Par la suite, dans "notre œuvre coloniale civilisatrice" nous avons largement favorisé la mobilité des autoch-tones. D’abord par la traite des esclaves. Aujourd’hui, nous désignons par "alloch-tones" les mêmes "autochtones" lorsqu’ils quittent leur pays pour venir travailler chez nous.

Activation Nom féminin utilisé dans l’expression

"activation de la politique passive de l’emploi". Les experts de la Commission européenne définissent ainsi son contenu: elle "implique un transfert financier depuis les dépenses passives vers dépenses actives", mais elle peut aussi "activer" les chômeurs. La Belgique est bon élève en la matière: malgré l’augmentation du nombre de chômeurs elle dépense moins pour les indemniser. A l’inverse, notre

pays consacre plus d’argent à "activer" les chômeurs pour des emplois qui bien sou-vent n’existent qu’en nombre très limités.

Assistanat A la veille du 1er Mai 2014 que Charles

Michel n’a pas manqué de célébrer dans le fief de son père, à Jodoigne, il prônait de "mettre fin à l’assistanat". Curieusement, la droite paraît fascinée par le 1er Mai. En 1941, Pétain s’en était emparé pour en faire la "Fête du travail et de concorde sociale". La droite décomplexée fête à présent le vrai travail en stigmatisant

l’assistant. En opposant les chômeurs (assistés) aux travailleurs (qui se lèvent tôt), elle proclame la protection des patrimoines contre la solidarité produite par le travail.

Gouvernance Mot nouveau qui remplace

"gouverner" tout en opérant un glissement de sens. Il désigne les nouveaux modes de gouvernement où les États doivent

appliquer les mêmes méthodes de gestion que les entreprises privées censées incarner la prospérité, l’efficacité et la puissance. Il ne suffit pas de privatiser tout ce qui peut l’être (Belgacom, La Poste…) Il s’agit aussi de gérer l’État selon les préceptes du privé. C’est ainsi que les fonctionnaires dirigeant les administrations ont été remplacés par des "top managers" qui se différencient essentiellement par des rémunérations très élevées. Au moment de mettre fin au contrat du "top manager" de la poste, des postiers ont fait remarquer

que celui gagnait en une année plus qu’un postier pendant toute sa carrière. ■

Mateo Alaluf Dictionnaire du prêt à penser

Vol.1, Ed. Vie Ouvrières, 2003, Bruxelles, 102p., 12,50 €

Vol. 2, Ed. Couleurs livres, 2014, Mons, 157 p., 16 €

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✒ par Correspondant

Le capitalisme est à bout de souffle, la démocratie est bafouée, les hommes, les femmes et les écosystèmes sont détruit.e.s sur l'autel de la croissance, de la consommation de masse et de l'accumulation des richesses par une minorité de la population mondiale. Des espaces de vie humaine et animale toujours plus grands, urbains et ruraux, sont l'objet de la gestion d'une minorité d'acteurs politiques et économiques qui tiennent peu compte à la fois des impasses du système capitaliste, mais aussi du fait que la soi-disant démocratie représentative n'est plus légitime pour une part grandissante de la population.

La crise n'est plus une crise, c'est un état permanent. De partout sur la planète, à mesure que le système capitaliste et l'idéologie néolibérale se fissurent, à des échelles différentes, de manières différentes et avec des impacts différents, les soulèvements populaires et les mouvements sociaux se multiplient ces dernières années. Certains ouvrent des brèches pour penser différemment nos existences d'aujourd'hui et de demain.

Parmi ceux-ci, nombreuses sont les mobilisations des 15 dernières années qui se sont construites pour combattre des grands projets productivistes d'aménagement divers et d'un temps révolu. Méga-infrastructures à visée commerciale (usines, industries, immobilier...), projets liés au transport (ports, aéroports, lignes à grande vitesse...), projets extractivistes (mines, gaz de chiste...), tous sont menés avec des procédures démocratiques qui laissent à désirer, voire qui sont absentes ou ne représentent plus la poursuite du "bien et bonheur commun" qui devrait être l'objectif final de toute démocratie.

Parmi ces résistances, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (en France, près de Nantes) s'est rendue célèbre par la résistance à la répression à laquelle ses occupant.e.s ont dû faire face en 2012, quand l’État a voulu les expulser des terres et cabanes qu'ils occupaient

depuis 2009 contre la construction d'un nouvel aéroport destiné à remplacer celui de Nantes. Très vite renommée "Zone à défendre - ZAD" par les occupant.e.s pour lutter contre le projet nommé "Zone d'aménagement différé" par l’État. Suite à une manifestation de plus de 30.000 personnes sur la zone un mois après le début des expulsions, des réoccupations ont eu lieu et les travaux qui devaient voir le jour en 2013 n'ont pas démarré. On dénombre plus d'une dizaine de ZAD en France contre d'autres GPII (Grands Projets inutiles et imposés) avec des projets stoppés temporairement ou on l'espère... à jamais. Différents sites internet relaient les combats de ces "zones à défendre" (1). Ces luttes sont connectées entres elles de manière assez invisibles et pourtant elles forment un vrai réseau (2). Des cartes de ces luttes se multiplient sur le web (3).

La diversité dans sa complexité et son unité

Il faut éviter d'enfermer les ZAD dans un archétype "tout fait" d'une "nouvelle" façon de lutter (4), même s’il existe des similitudes comme celle d'affirmer une unité composée d'une biodiversité de méthodes d'agir, de profils et stratégies politiques, de classes, de militants (paysans, activistes, écologistes, autonomes...). Ou encore le fait qu'il s'agit en général de lieux qui refusent l'aménagement du territoire par des forces capitalistes pour des raisons de profits, ou par l'État au nom de la croissance, de l'efficacité des infrastructures etc. Enfin, bien souvent, ces zones tentent d'articuler "Résilience et Résistance", et ce bien souvent avec une géométrie variable.

Contre la méga-prison et son monde: Résilience et Résistance à Haren

Bruxelles aussi à sa ZAD. En Belgique aussi les derniers espaces verts de chez nous comme à Haren (5) sont progressivement et méthodiquement bétonnés et de moins en moins nombreux à échapper au travail des bulldozers et à l’appétit insatiable des promoteurs immobiliers.

Dans un village de Haren déjà étranglé par l'appétit capitaliste, l'Etat belge envisage de construire une méga-prison qui, en dehors des constructeurs et des politiques, ne conviendra à personne et aggravera les problèmes. Construire une nouvelle prison, bétonner des terres potentiellement nourricières: ce sont des choix de société qui exigent des débats. Ces débats sont redoutés et fuis par les commanditaires de cette méga-prison qui sont poussés par des intérêts financiers et veulent accélérer sa construction.

Nous ne nous laissons pas faire, osons des discussions sur l'enfermement, sur la sauvegarde des espaces de nature, le futur de l’agriculture et la souveraineté alimentaire de Bruxelles, sur les dénis de notre droit à la liberté. Nous occupons la ZAD de Haren pour défendre nos vies, réinventer nos existences, dans le respect des peuples et de la planète! Résister c'est créer et créer c'est résister! Rêves et révoltes! ■

1) http://zad.nadir.org/, http://zadroybon.wordpress.com/, https://tantquilyauradesbouilles.wordpress.com/

2) http://www.reporterre.net/Les-luttes-contre-les-grands-projets-inutiles-forment-un-reseau-souterrain

3) http://www.reporterre.net/Dossier-GPII-Grands-projets

4) Lire à ce sujet le texte "ZAD Nulle part" sur http://haren.luttespaysannes.be/pourquoi-la-lutte/article/zad-nulle-part

5) http://haren.luttespaysannes.be

lutte/article/zad-nulle-part

ZAD partout: Occuper, résister, inventer!

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Léon Trotsky: Contre le fascisme 1922-1940 Les éditions Syllepse viennent de rééditer l’ensemble des textes de Trotsky sur le fascisme. Soit des écrits couvrant une période de 18 années. De 1922 à 1940, de révolutionnaire victorieux puis communiste convaincu, Trotsky a tenté d’arrêter la marche à la catastrophe mondiale.En 1923 Clara Zetkin écrivait que le fascisme est la "punition historique" infligée au prolétariat européen pour avoir échoué à parachever la Révolution russe. Faut-il dès lors considérer que les situations révolutionnaires manquées depuis un demi-siècle pourraient se conclure, faute de débouchés émancipateurs, par de nouvelles barbaries? Le fascisme reste en grande partie une énigme historique. Il défie encoure aujourd’hui notre raison. Pour en déchiffrer tous les ressorts et en prévenir toute répétition, il faut examiner les phénomènes sociaux, politiques, économiques, culturels et même psychologiques qui en permettent l’émergence.C’est à cet objectif que contribue ce livre. Dès les années 1920, Léon Trotsky pressent la catastrophe. Au fil de ces pages, il sonne l’alarme. Mois après mois, il observe l’enchaînement des événements et les dynamiques politiques et sociales qui déchirent l’Europe et il prodigue des éléments de compréhension et de mobilisation. Bien sûr l’Allemagne constitue l’épicentre de ses analyses, mais il n’ignore pas la prise du pouvoir de Mussolini, la guerre d’Espagne, la montée du fascisme français et l’instauration de l’État vichyste, sans oublier le développement du militarisme japonais et la destruction des Juifs d’Europe qu’il lit dans les conflits qui se nouent.

L’ancien dirigeant bolchevik dresse les portraits de ses acteurs (des individus, des partis et des syndicats, de droite comme de gauche) et décortique leurs orientations et leurs postures. Acteur engagé, il ne se veut pas un simple commentateur de la vie politique mondiale. Dans un style acéré, il préconise une autre politique pour le mouvement ouvrier et social assailli de toutes parts.Pour la première fois réunis dans leur intégralité dans cet ouvrage, les écrits de Léon Trotsky sur le fascisme nous permettent d’appréhender la matrice de ce moment historique. Ce retour sur les années 1930 convoque également, entre les lignes, notre 21e siècle. Léon Trotsky apparaît alors, au lecteur, pleinement inscrit dans notre siècle.

Léon Trotsky Contre le fascisme 1922-1940 Editions Syllepse, 2015

Vivre à en mourir Vivre à en mourir est une BD qui conte le destin de Marcel Rayman, ce jeune juif polonais pacifiste, qui, face à l'abomination nazie, prendra les armes auprès de Missak Manoukian et d'autres résistants. Pendant deux éprouvantes années, durant lesquelles il verra sa famille déportée, Marcel Rayman fait l'apprentissage de la clandestinité, de la "guérilla urbaine", de la mort, de la peur... et de la trahison.Son visage apparaîtra sur l'infamante Affiche Rouge, propagande de l'occupant destinée à discréditer les actions de la résistance parisienne.

Laurent Galandon et Jeanne Puchol Vivre à en mourir Ed. Le Lombard, 2014

Où trouver La Gauche? En vente dans les librairies suivantes:

Bruxelles

TropismesGalerie des Princes, 11 1000 Bruxelles

VoldersAvenue Jean Volders, 40 1060 Saint-Gilles

Charleroi

CarolopresseBoulevard Tirou, 133 6000 Charleroi

Mons

Le Point du JourGrand'Rue, 72 7000 Mons

Couleur LivresRue André Masquelier, 4 7000 Mons

Wavre

Librairie Collette DuboisPlace Henri Berger, 10 1300 Wavre

La plupart des ouvrages commentés ou recommandés dans La Gauche peuvent être commandés en ligne à la librairie La Brèche à Paris (envoi gratuit).

Librairie La Brèche27, rue Taine, 75012 Paris, FranceTél: 00 331 48 28 52 [email protected] en ligne: www.la-breche.com

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PROGRAMME

DIMANCHE 26/7• Meeting d’ouverture • La situation politique dans le monde et en Belgique • Etat du monde

LUNDI 27/7• La crise, la jeunesse et la classe• Formation: l’état actuel du capitalisme international (Catherine Samary)

MARDI 28/7• L’impasse écologique et la réponse ecosocialiste• Formation: écosocialisme et luttes écologiques (Daniel Tanuro)• Combattre les oppressions

MERCREDI 29/7• Féminisme• Formation: féminisme et intersectionalité (Nina Trige Nielsen et Marijke Colle)

JEUDI 30/7• LGBTQI• Formation: origines et actualité de l’oppression LGBTQI (Peter Druker)

VENDREDI 31/7• Fascisme, racisme et impérialisme• Formation: islamophobie, racisme et Europe forteresse• Comment changer le monde?

SAMEDI 01/8• Partis, mouvements, nouveaux espaces politiques et leurs relations avec les organisations traditionnelles• Formation: les révolutionnaires dans les nouveaux espaces politiques et sociaux (Teresa Rodríguez)

Avec chaque jour des ateliers théoriques et pratiques, projections de films, meetings, réunions interdélégations, manifestations et soirées festives.

www.lcr-lagauche.org/camp2015www.anticapitalisme.be

Pour soutenir financièrement l'organisation du camp: BE 33 0689 0161 6946 (compte CAMP2015)