L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

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6 L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES Daniel PERRIN IUFM de Versailles Résumé: On montre sur plusieurs exemples pris en arithmétique, en géométrie et en analyse, que l'activité d'expérimentation est une partie essentielle de la recherche d'un problème mathématique, à tous les niveaux. On discute sur ces exemples les diverses phases d'une démarche expérimentale en mathématiques: expérience consistant en l'examen d'un exemple non trivial et, si possible, générique, observation de l'exemple et formulation de conjectures, tentative de preuve des conjectures, contre-expérience menant éventuellement à un contre- exemple et à une remise en cause des conjectures, nouvelles conjectures et nouvelles tentatives de preuve, etc. On évoque les moyens de cette expérimentation, et notamment l'utilisation de la calculatrice et de l'ordinateur. Enfin on discute du rôle de l'erreur dans ce processus. Mots-clés: expérimentation, conjecture, preuve, erreur, calculatrice, logiciel de géométrie Introduction Ce texte est issu d'une conférence donnée au colloque de la Copirelem 1 à Dourdan le 10 juin 2006 2 . Ce colloque avait deux thèmes : modélisation et expérimentation en mathématiques. Si le premier mot renvoie clairement aux ap- plications des mathématiques, réponse essentielle à la question : pourquoi faire des mathématiques, il me semble que l'expérimentation est l'une des réponses possibles à la question: comment faire des mathématiques. En effet, à côté de l'aspect utilitaire lié à leurs applications, l'enseignement et la pratique des mathématiques ont une autre raison d'être: ils contribuent à former les citoyens au raisonnement et à la réflexion, donc à leur donner les outils pour comprendre le monde et le regarder avec un esprit critique. C'est à ce deuxième aspect que renvoie la question: comment faire des mathématiques. Évidemment, on peut enseigner les mathématiques de manière rigide, formelle, contraignante et insipide et c'est d'ailleurs souvent ainsi que le grand public les perçoit. Je pense qu'on ne remplit pas alors l'objectif d'apprendre à raisonner, à penser, en un mot. Pour éviter cette dérive, l'une des solutions essentielles me semble être de revenir à la vocation première des mathématiques et de leur ensei- gnement, qui est de poser 3 et de résoudre des problèmes. C'est dans ce cadre que 1 COmmission Permanente cles IRern pour l'enseignement ÉLÉJ'vlentaire. 2,Je remercie les organisateurs du colloque de m'avoir autorisé à publier ce texte ici. Une ver- sion légèrement différente figurera dans les Actes du colloque, une version longue est disponible en ligne, voir [Perrin 2006]. 3De manière provocatrice, sans doute parce que c'est ce que je sais le mieux faire, j'ai Petit x 73, 6-34-, 2007

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L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

Daniel PERRIN IUFM de Versailles

Résumé: On montre sur plusieurs exemples pris en arithmétique, en géométrie et en analyse, que l'activité

d'expérimentation est une partie essentielle de la recherche d'un problème mathématique, à tous les niveaux.

On discute sur ces exemples les diverses phases d'une démarche expérimentale en mathématiques: expérience

consistant en l'examen d'un exemple non trivial et, si possible, générique, observation de l'exemple et formulation

de conjectures, tentative de preuve des conjectures, contre-expérience menant éventuellement à un contre­

exemple et à une remise en cause des conjectures, nouvelles conjectures et nouvelles tentatives de preuve, etc.

On évoque les moyens de cette expérimentation, et notamment l'utilisation de la calculatrice et de l'ordinateur.

Enfin on discute du rôle de l'erreur dans ce processus.

Mots-clés: expérimentation, conjecture, preuve, erreur, calculatrice, logiciel de géométrie

Introduction

Ce texte est issu d'une conférence donnée au colloque de la Copirelem1 à Dourdan le 10 juin 20062 . Ce colloque avait deux thèmes : modélisation et expérimentation en mathématiques. Si le premier mot renvoie clairement aux ap­plications des mathématiques, réponse essentielle à la question : pourquoi faire des mathématiques, il me semble que l'expérimentation est l'une des réponses possibles à la question: comment faire des mathématiques.

En effet, à côté de l'aspect utilitaire lié à leurs applications, l'enseignement et la pratique des mathématiques ont une autre raison d'être: ils contribuent à former les citoyens au raisonnement et à la réflexion, donc à leur donner les outils pour comprendre le monde et le regarder avec un esprit critique. C'est à ce deuxième aspect que renvoie la question: comment faire des mathématiques. Évidemment, on peut enseigner les mathématiques de manière rigide, formelle, contraignante et insipide et c'est d'ailleurs souvent ainsi que le grand public les perçoit. Je pense qu'on ne remplit pas alors l'objectif d'apprendre à raisonner, à penser, en un mot. Pour éviter cette dérive, l'une des solutions essentielles me semble être de revenir à la vocation première des mathématiques et de leur ensei­gnement, qui est de poser3 et de résoudre des problèmes. C'est dans ce cadre que

1 COmmission Permanente cles IRern pour l'enseignement ÉLÉJ'vlentaire. 2,Je remercie les organisateurs du colloque de m'avoir autorisé à publier ce texte ici. Une ver­

sion légèrement différente figurera dans les Actes du colloque, une version longue est disponible en ligne, voir [Perrin 2006].

3De manière provocatrice, sans doute parce que c'est ce que je sais le mieux faire, j'ai

Petit x 73, 6-34-, 2007

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j'évoquerai l'expérimentation, comme méthode de recherche et d'investigation. Je vais même faire de ce principe la première d'une longue série de maximes4 que je soumets à votre réflexion :

0.1 Maxime. Faire des mathématiques, c'est poser et - si possible - résoudre des problèmes.

Faire des mathématiques

1.1 Introduction

l\llon point de départ est le document d'accompagnement des programmes de mathématiques de l'école primaireS, et précisément le paragraphe qui concerne les "problèmes pour chercher". Je cite le document en question6 :

(Il s'agit) de véritables problèmes de recherche, pour lesquels (les élèves) ne disposent pas de solution déjà éprouvée et pour lesquels plusieurs démarches de résolution sont possibles. C'est alors l'activité même de résolution de problème qui est privilégiée, dans le but de développer chez les élèves un comportement de recherche et des compétences d'ordre méthodologique: émettre des hypothèses et les tester, élaborer une solution originale et en éprouver la validité, argumenter.

Je souscris tout à fait à cette vision de l'activité de recherche, qui est voisine de ma propre pratique, non seulement dans ma fonction de chercheur, mais aussi, mais surtout, dans mon activité quotidienne d'enseignant. En particulier j'utilise systématiquement, pour résoudre des problèmes, une méthode que je n'hésite pas à qualifier d'expérimentale. J'appelle ici problème une question mathématique, en général ouverte, soit que je me la sois posée tout seul, soit qu'elle me l'ait été par un collègue ou un étudiant7

.

J'essaierai dans ce qui suit de décrire de façon générale cette méthode expéri­mentale et de l'illustrer par des exemples concrets.

1.2 Quelques problèmes

On part d'une situation, de nature mathématique ou au moins mathémati­sable. Cette situation peut donner lieu à un ou des problèmes. Je vais, tout au long de cet exposé, étudier plusieurs problèmes qui illustreront mes propos en me servant de fils conducteurs. Je les énumère ici, grosso modo dans un ordre de

envie de dire que c'est cela le plus important, battant en brèche une tradition séculaire de l'enseignement des mathématiques, qui ne sort que rarement du : "montrer que" .

4Ces maximes n'ont aucune valeur prescriptive : elles ne sont là que pour préciser ma vision des choses.

5Voir aussi [Arsac], [Kuntz], [l\'1assola] entre autres. GCe souci de prôner une méthode expérimentale dans l'enseignement des mathématiques est

quelque chose de nouveau dans les programmes, même au niveau de l'école primaire. On peut penser que la perte d'importance des techniques opératoires, liée à l'évolution technologique, est pour beaucoup dans ce changement d'orientation.

7.Je n'entends donc pas du tout ici le mot problème au sens scolaire du terme comme un problème de Bac ou de CAPES.

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difficulté croissante. Tous sauf le dernier sont des questions que j'ai rencontrées dans mon enseignement. Certains sont élémentaires, d'autres moins, ils sont for­mulés de manière plus ou moins vague, mais on verra que l'approche est similaire dans tous les cas.

1.2.1 Les aires égales A

On considère un triangle ABC (fig. 1). Quels sont les points M du plan qui vérifient l'égalité d'aires A(AMB) = A(AMC)? Variante: quels sont les points du plan qui sont tels que le rapport d'aires A(AMB)/A(AMC) soit une constante positive donnée?

Figure 1 c

1.2.2 La longueur du segment mobile

Soit ABC un triangle rectangle A

en A, P un point de l'hypoténuse et M, N ses projetés orthogonaux sur les côtés [AB] et [AC] respec­tivement. Pour quelle position du point P la longueur MN est-elle

B cminimale?

p

Figure 2

1.2.3 Sommes et différences de carrés

Tous les entiers ne sont pas des carrés parfaits, mais de nombreuses questions d'arithmétique consistent à essayer de représenter les entiers à l'aide des carrés. Par exemple: tout entier naturel est-il somme de deux carrés (ou de plus de deux) ? Est-il différence de deux carrés? Est-il de la forme x 2 + 5y2? de la forme x2 +dy2 avec dentier > 0 fixé?

1.2.4 Les développements décimaux

On considère un nombre rationnel r. et on effectue la division euclidienne de q

p par q en base 10, en écrivant aussi les chiffres derrière la virgule. On obtient un développement décimal. Que peut-on dire de ce développement?

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1.2.5 Les fractions égyptiennes

Les anciens égyptiens utilisaient des fractions, mais seulement de numéra­l

teur 1, c'est-à-dire de la forme -. Bien sûr, tout nombre rationnel s'écrit comme n

somme de fractions égyptiennes : il suffit de répéter la même fraction :

plI 1 - = - + - + ... +-, (p fois) q q q q

mais on peut se demander si tout rationnel positif peut s'écrire comme somme fi­nie de fractions égyptiennes de dénominateurs tous différents. Parmi les variantes de ce problème : peut-on écrire 1 comme somme de deux ou trois ou quatre ou n fractions égyptiennes distinctes, cf. [Arsac]?

1.2.6 Le reste de la série

Il s'agit d'un exercice qu'on trouve dans certains manuels de terminale S. On étudie la suite :

u =1-~+~-~+ ... + (-l)n n 3 5 7 2n + 1

Le lecteur aura reconnu le développement en série de Arctan 1 = 1r/ 4. L'exercice permet de montrer, en utilisant le calcul de la somme des termes d'une suite géométrique, que la suite (un) converge effectivement vers 1r/4 et qu'on a, plus précisément:

1 2n 2 1r t + 1r - lu - -1 - 1-- dt < .

n - n 4 - a 1 + t2 - 2n + 3

La question est de savoir si cette majoration du reste est optimale ou non, ou encore de trouver un équivalent de r no

1.2.7 Les suites logistiques

Cet exemple est l'occasion de parler de modélisation et précisément du modèle dit "logistique à temps discret" d'évolution de populations. Dans ce modèle, la population est bornée et si on appelle Un le rapport entre la population au temps (discret) n et la population maximum, on a une relation de récurrence Un+1 = J1,Un(1- un), avec 0 ::; Ua ::; 1 et 0::; J1, ::; 4. La question est d'étudier le comportement d'une telle suite.

1.2.8 Les médiatrices hyperboliques

Chacun sait que les hauteurs, médiatrices, etc. d'un triangle sont concou­rantes en géométrie euclidienne, mais qu'en est-il en géométrie non euclidienne (par exemple en géométrie hyperbolique)?

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La démarche expérimentale

Face à une situation comme celles évoquées ci-dessus, plus ou moins vague, avec des questions qui peuvent être très imprécises (voir par exemple 1.2.7), je propose une méthode d'investigation systématique, que je n'hésite pas à désigner sous le nom de méthode expérimentale. Elle comprend plusieurs étapes, à répéter éventuellement :

• expérience, • observation de l'expérience, • formulation de conjectures, • tentative de preuve, • contre-expérience, production éventuelle de contre-exemples, • formulation de nouvelles conjectures, • nouvelle tentative de preuve, etc.

2.1 L'expérience

Il n'est sans doute pas inutile d'expliquer un peu plus en détail ce que peut signifier ce recours à l'expériences et quel est son intérêt. Fondamentalement, cela signifie que, face à un problème général, on va regarder d'abord un cas particulier, a priori plus simple, plus facile à examiner, plus aisément calculable, et le faire varier éventuellement. On examine ce qui se passe dans ce cas, on y repère des phénomènes, avec toujours en tête l'idée de généraliser ce que l'expérience nous aura montré.

On peut résumer cette démarche sous forme d'une maxime:

2.1 Maxime. Les mathématiques sont aussi une science expérimentale et une science d'observation.

Dans le choix des cas particuliers à étudier, il convient d'éviter certains cas triviaux, qui ne méritent pas un ~xamen approfondi. Attention, le mot trivial dépend évidemment des connaissances de chacun, il n'a pas le même sens pour un élève de l'école primaire et pour un chercheur confirmé, mais ce qui est commun à tous c'est l'idée de regarder le premier exemple non trivial, le premier que l'on ne comprend9 pas complètement.

Peut-être n'est-il pas inutile de donner quelqu<?s indications sur ce que j'en­tends par exemple trivial (et de noter qu'on peut parfois remettre en question cette appellation). S'il s'agit de représenter les entiers à l'aide de carrés, les carrés

2 2 ± 02parfaits sont triviauxlO (puisqu'on a a = a ). Les fractions lin sont déjà

8 Après tout, on ne range pas ordinairement les mathématiques parmi les sciences expérimentales et il subsiste d'ailleurs une différence fondamentale entre les deux domaines, car si la découverte en mathématiques peut être largement expérimentale, la validation reste la démonstration. l'dais c'est la part que représente celle-ci qui est discutable. l'dartin Andler (cf. [And1er]) dit que les mathématiques consistent en 45% d'observation, 45% de démarche expérimentale et 10% de démonstration. Je ne dirais sans doute pas exactement les choses comme lui, mais cela me paraît essentiellement juste.

9L'expérience montre qu'on a souvent intérêt à revenir sur des exemples qu'on jugeait ini­tialement trop simples!

lOSauf si l'on souhaite les écrire comme somme de deux carrés non nuls ...

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Il

égyptiennes et leur décomposition est toute trouvée (quoiqu'on puisse aussi en chercher d'autres décompositions ... ).

Un deuxième point est plus subtil. En fait, ce que l'on espère de l'exemple que l'on a choisi d'étudier, c'est qu'il soit un exemple générique, c'est-à-dire un exemple où les comportements observés vont s'étendre au cas général. Mais il arrive souvent que, même si l'exemple est non trivial, il soit cependant trop particulier, et qu'il induise une généralisation incorrecte. J'ai rencontré plusieurs exemples de ce type en recherche. Dans l'un d'eux, il y a quelques années, il a fallu revenir à la charge plusieurs fois, avec des exemples de plus en plus complexes, avant de comprendre vraiment ce qui se passait.

2.2 Maxime. Pour trouver un exemple générique, on commence par étudier le premier exemple non trivial.

Cet aspect expérimental est lié à la technologie dont on dispose. Dans les exemples ci-dessus j'utiliserai papier et crayon (dans tous les exemples, mais notamment 1.2.3, 1.2.4), une calculatrice évoluée (exemples 1.2.4, 1.2.5, 1.2.6, 1.2.7), un ordinateur, avec notamment le logiciel Cabri (1.2.1, 1.2.2, 1.2.8).

2.2 Les conjectures

C'est l'un des moments les plus amusants de la recherche, l'un de ceux où l'on peut donner libre cours à son imagination. Il m'est impossible d'évoquer cette phase du travail de recherche sans citer Alexandre Grothendieck, l'un des plus grands mathématiciens du XX-ème siècle:

Quand je suis curieux d'une chose, mathématique ou autre, je l'interroge. Je l'interroge, sans me soucier si ma question est peut-être stupide ou si elle va paraître telle ... Souvent la question prend la forme d'une affirmation - une affirmation qui, en vérité est un coup de sonde. . .. Souvent, surtout au début d'une recherche, l'affirmation est carrément fausse - encore fallait-ill 'écrire pour que ça saute aux yeux que c'est faux, alors qu'avant de l'écrire il y avait un flou, comme un malaise, au lieu de cette évidence. Ça permet maintenant de revenir à la charge avec cette ignorance en moins, avec une question-affirmation peut-être un peu moins "à côté de la plaque".

Je n'ai jamais rencontré Grothendieck, mais je souscris absolument à sa façon de voir les choses et je me reconnais comme son disciple sur ce point. J'ai moi­même la conjecture facile, comme vous le verrez (mon collègue Robin Hartshorne parle de conjectures "au sens de Daniel") et la plupart de mes conjectures ont une durée de vie très limitée ll . Je vais maintenant examiner cette phase sur les divers exemples évoqués ci-dessus. Sur ce sujet, la maxime que je propose est:

2.3 Maxime. Il faut for-mu-ler.

Cela signifie qu'il faut dire ce qu'on voit dans l'expérience, et si possible tout ce qu'on voit et rien que ce qu'on voit.

11 L'un des principaux intérêts de l'expérience, notamment grâce aux moyens modernes, c'est justement de repérer très vite les conjectures fausses, c'est-à-dire les fausses pistes.

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2.2.1 Les aires égales A

L'outil d'expérimentation est Cabri, ou un autre logiciel de géométrie, qui permet d'af­ficher les aires des triangles et de regarder comment elles varient avec M. Une conjec­ture se dégage assez vite, car on voit ap­paraître la médiane issue de A. On propose :

Figure 3

2.4 Conjecture. Les aires de AMB et AMG sont égales si et seulement si M est sur la médiane de ABG issue de A.

2.2.2 La longueur du segment mobile

Ce problème a été proposé par Mireille Sauter, cf. [Sauter], et repris dans sa classe de cinquième par Magali Froger (cf. [Froger]). Une première remarque c'est que la bonne conjecture, dans une vraie classe, et sans utilisation de logiciel de géométrie, n'est pas si évidente à se dégager: les élèves pensent d'abord au milieu de [BG], puis à la bissectrice. Ces conjectures ne résistent pas à l'utilisation de Géoplan, avec lequel la conjecture émerge très vite:

2..5 Conjecture. Le minimum de MN est atteint lorsque P est le projeté or­thogonal de A sur (BG).

Cet exemple est révélateur de l'un des intérêts principaux de l'expérimenta­tion qui est la fermeture des fausses -pistes. C'est notamment le cas avec les logiciels de géométrie. Quand on étudie un problème de géométrie (ouvert, bien entendu), on cherche souvent à établir des résultats intermédiaires et, avec Cabri, il est très facile de savoir rapidement si telle propriété que semble suggérer la figure est robuste ou non : il suffit de bouger les données. Dans le même ordre d'idée, les macros du type "lieu géométrique" sont aussi précieuses, soit qu'elles montrent aussitôt la nature du lieu (par exemple, un cercle, une droite, une conique), soit, au contraire, qu'elles montrent un lieu qui n'est manifestement pas une courbe usuelle (au sens moderne et donc restrictif du terme). Un bon exemple de ce style est donné par le problème suivant.

On considère un cercle r, un point A et une longueur l. Un point M décrit r, on appelle H le milieu de [AM] et on construit P vérifiant f:ifiTp = 1f/2 et HP = l. Quel est le lieu de P ?

En faisant tracer le lieu par Cabri, et en déplaçant le point A, on voit que, pour certaines positions, il s'agit d'une courbe qu'une droite coupe en 4 points, ce qui permet de subodorer une courbe algébrique de degré 2: 4, que l'on ne pourra atteindre que par le calcul.

c

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M __- ______

.M..___-_ "'-"

Figure 4

'Cela vaut bien une nouvelle maxime:

2.6 Maxime. Un des intérêts de l'expérience, parfois, c'est de se rendre compte que le problème est difficile.

2.2.3 Les sommes ou différences de carrés

C'est typiquement un problème où l'expérience est importante et parfois décisive. La première chose à faire pour pouvoir travailler est de disposer d'une liste des carrés (disons de 0 à 144). La voilà:

0,1,4,9,16,25,36,49,64,81,100,121,144.

Ensuite, si l'on cherche quels sont les entiers différences12 de deux carrés, on peut faire une première liste en retranchant deux carrés consécutifs, puis deux carrés sous-coI).sécutifs, etc. Voilà ce qu'on obtient:

1,3,5,7,9,11,13,·15,17,19,21,23

4,8,12,16,20,24,28,32,36,40,44

9,15,21,27,33,39,45,51,57,63

16,24,32,40,48,56,64, 72, 80...

L'observation fait apparaître plusieurs faits: • il semble qu'on atteint tous les nombres impairs, • il semble qu'on atteint aussi tous les multiples de 4, • en revanche il semble bien que l'on n'atteint pas les multiples de 2 qui ne

sont pas multiples de 4. La conjecture est donc la suivante:

2.7 Conjecture. Les entiers n qui sont différences de deux carrés d'entiers sont les nombres impairs et les nombres multiples de 4.

12Ce n'est sans doute pas le problème le plus naturel, mais c'est le plus facile!

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Pour les sommes de deux carrés, les choses sont plus compliquées. On voit facilement que certains nombres n'en sont pas: 3,6,7,11,12,14,15,19, etc. En­suite, les choses dépendent beaucoup des connaissances de l'expérimentateur! Je conseille au lecteur de faire l'expérience: s'il ne connaît pas la réponse à la ques­tion des deux carrés, qu'il essaie donc de produire une conjecture permettant de décider si un entier est, ou non, somme de deux carrés. Il pourra alors s'assurer expérimentalement de sa solidité. S'il est plus savant, il pourra essayer avec les entiers sommes de trois carrés, ou ceux de la forme x2 + 5y2, voire d'autres.

2.2.4 Les développements décimaux

Commençons par le commencement. On calcule 1/2 = 0,5, puis 1/3 = 0,3333 ... 333 .... Rien que sur ces deux exemples, on voit déjà qu'il y a deux sortes de développements, certains sont finis, d'autres infinis. On continue avec 1/4 = 0,25 puis 1/5 = 0,2 et 1/6 = 0,1666 ... 666 .... Le premier exemple non trivial, qui, on l'a vu, doit être l'objet de toute notre attention, est 1/7 car on y voit apparaître une période non triviale: 1/7 = 0,142857142857 .... On peut poursuivre l'expérience avec beaucoup d'autres exemples. Ici les choses sont très différentes selon que l'on fait les divisions à la main ou avec une calculatrice. La calculatrice permet de déceler de nombreux phénomènes, mais pas nécessairement de comprendre ce qui se passe13 . Si on a le courage de faire la division à la main, en revanche, on comprend aussitôt le pourquoi de la périodicité. Dans le cas de 1/7 par exemple, comme il n'y a que 6 restes possibles dans une division d'un nombre par 7 qui ne tombe pas juste (1, 2, 3, 4, 5, 6), on est sûr qu'au bout de 6 divisions au plus on va retomber sur une qui a déjà été vue. On a donc trouvé (et essentiellement prouvé) un théorème:

2.8 Théorème. Le développement décimal du rationnel p/q est périodique avec une période de longueur ::; q - 1.

Si l'on est vraiment très imprudent, on peut se hasarder à prédire que la lon­gueur de la période est toujours q -1, mais comme les expériences déjà effectuées contredisent cette conjecture .. ,

2.2.5 Les fractions égyptiennes

Nous nous limiterons ici au cas des rationnels plus petits que 1, voir [Perrin 2006] annexe, pour le cas général.

. . 2 3 2 3 On peut COlllmencer par les fractlOns les plus sImples: "3' 4' 5" 5" etc. On

trouve rapidement des expressions égyptiennes pour chacun de ces cas:

211311211311 - = - + -, - = - + -, - = - + -, - = - + -. 3 2 6 4 2 4 5 3 15 5 2 10

Pour trois d'entre elles, on avait une fraction a/b plus grande que 1/2. On a donc déjà pris 1/2 parmi les égyptiennes et, par chance, ce qui restait: a/b - 1/2 était

13Et ellc cst vite limitée. Par cxcmple, on ne voit pas d'emblée la période des dix-septièmes, même sur une bonne calculatrice.

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une fraction égyptienne. Pour 2/5, qui est < 1/2, on a utilisé 1/3. Cela conduit d'abord à proposer la conjecture:

2.9 Conjecture. Tout rationnel positif plus petit que 1 est somme d'un nombre fini de fractions égyptiennes distinctes.

De plus, cela nous donne une idée pour trouver ces fractions: on prend comme première fraction égyptienne la plus grande possible. Et si la différence n'est pas , . 3 1 2? El b' 1 f .egyptIenne comme pour - - - = - . lIen, on recommence avec a ractIOn

7 3 21 2 1 1 , '

obtenue: - - - = - et c est <ra<rne.21 Il 231 b b

2.2.6 Le reste de la série

La formule de la somme de la suite géométrique:

. 1 + ( 1)nt2n+2 1 - t 2 + t4 - ... + (-ltt2n = ------0--­

1 + t2

donne, en intégrant de 0 à l, la formule annoncée en 1.2.6 : 1 2n 2

7f 1 1 1 (_l)n dt nl t +11 Un - "4 = 1 - 3' + "5 - 7 + ... + 2n + 1 - 0 1 + t 2 = (-1) 0 1 + t 2 dt.

11 t2n+2

Il s'agit donc d'estimer l'intégrale rn = --2 dt. Pour cela, on peut o 1 + t

encadrer le dénominateur entre 1 et 2, ce qui nous conduit à l'encadrement: 2n 2

1 = ~ 11 t2n+2 dt < 11 t + dt < t t 2n+2dt = 1 . 2(2n + 3) 2 0 - 0 1 + t 2 - Jo 2n + 3

C'est déjà très satisfaisant car on voit que Un converge bien vers 7f / 4 et que la convergence est bien de l'ordre de l/n. ~/lais, il reste une question: r n est-il

1 1 équivalent à '( )' à quelque chose d'intermédiaire, voire à rien du

2n + 3 2 2n + 3 tout14 ? Mon expérience est qu'il est difficile de démontrer quelque chose quand on ne sait pas ce qu'il faut démontrer! Pour se faire une idée, on a ici un outil excellent avec les calculatrices. On calcule explicitement soit la différence entre 7f / 4 et la somme Un (avec la fonction 2: de la TI-Voyage 200), soit une valeur approchée de l'intégrale (avec la fonction 1), avec un n tel que 2n +3 soit voisin de 1000 (n = 499). On trouve, dans les deux cas15 0,0004999995, ce qui est, à

très peu près. égal à ( 1 ). C'est donc la borne inférieure de l'intervalle qui , 2 2n + 3

semble être l'équivalent et il n'y a plus qu'à prouver la conjecture:

. 1 1 1 1 (_1)n 7f l ' 2.10 Conjecture. La suite rn = 1--+---+···+ -- est equivalente3 5 7 2n + 1 4

, 1 a .

2(2n + 3)

14En fait, si l'on est astucicux et qu'on multiplie l'intégrale par 2n + 3, une intégration par parties permet de trouver dircctement la limitc 1/2.

15 Respectivcment cn 14 secondcs et 25 secondes.

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2.2.7 Les suites logistiques

Les calculatrices actuelles sont une aide précieuse pour étudier de telles suites. On peut faire quelques expériences avec Il = 0,5 et des valeurs initiales variées dans [0,1], disons Ua = 0,1, Ua = 0,2, ... , Ua = 0,9 pat exemple. La suite semble être décroissante et converger vers a et cela semble être toujours le cas si l'on répète l'expérience avec des valeurs Il < 1. Pour Il = 2 en revanche (voir ci­dessous écran 1), la suite semble croître (au moins à partir du deuxième terme) et converger vers 0,5 et cela semble vrai encore pour Il = 1,3 ou 1,7. Si l'on est à la fois paresseux et optimiste, on peut faire une conjecture "à la Daniel"

2.11 Conjecture. La suite (un) est monotone et converge16 •

SUIT

Écran 1

2.2.8 Les médiatrices hyperboliques

Un mot pour justifier ce choix de la géométrie hyperbolique. Mon objectif est de mettre le lecteur en situation d'élève, en lui proposant de se confronter à une situation sur laquelle, contrairement peut-être aux autres problèmes, il ne connaît pas tout d'avance. Dans cette situation l'expérimentation prend tout son sens, comme moyen de familiarisation avec le domaine. Un moyen merveilleux pour cela consiste à utiliser les macros mises en place par Yves Martin, voir [Martin].

La géométrie hyperbolique est l'une des deux principales géométries non eucli­diennes (l'autre est la géométrie elliptique). On renvoie à la thèse d'Yves Martin pour toutes précisions sur le sujet. Dans ces géométries, le postulat d'Euclide (par tout point passe une parallèle et une seule à une droite donnée) n'est pas vérifié (en géométrie hyperbolique il en passe plusieurs en général). Cette géométrie peut se représenter dans des modèles situés dans le plan ou l'espace euclidien, mais jamais de façon totalement satisfaisante. Dans ce qui suit, nous travaillerons dans le modèle du disque de Poincaré (le plan est un disque ouvert et les droites sont des arcs de cercle orthogonaux au bord du disque). Il s'agit d'un modèle conforme (les angles17 sont conservés), mais pas isométrique (les longueurs ne le sont pas).

16Quand on est instruit, on sait que la limite est un des points fixes de la fonction f(x) =

ILX(l- x) c'est-à-dire a ou (IL -l)/IL. 17L'angle de deux droites hyperboliques est l'angle des tangentes aux arcs.

Page 12: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

17

Le principe de départ est d'expérimenter dans ce modèle, grâce aux outils implantés par Yves Martin (droites, perpendiculaires, milieu, médiatrice, dis­tance, etc.). L'expérience, en bougeant les sommets du triangle, semble mener à la conjecture (voir fig. 5 pour les médianes et fig. 6 pour les médiatrices) :

2.12 Conjecture. Les médianes, les médiatrices, les hauteurs, les bissectrices d'un triangle hyperbolique sont concourantes.

'A

B' ·'0

~ B C

Figure 5 Figure 6

2.3 Des preuves?

Nous venons d'obtenir, pour chaque problème, une ou plusieurs conjectures qu'il s'agit maintenant de prouver. C'est une phase moins exaltante, qui peut être souvent longue et pénible, mais qui est nécessaire cependant. En effet, l'expérience montre que les conjectures, même celles qui semblent bien solides, peuvent être fausses, et la preuve reste le meilleur moyen de se convaincre (et accessoirement de convaincre les autres) de la véracité d'une affirmation. Voici un exemple spectaculaire que j'emprunte à [Delahaye]. Il s'agit de savoir si le pgcd de n17 + 9 et de (n + 1)17 + 9 est toujours égal à 1 comme l'expérience semble le montrer pour n = 0,1,2,3. Un petit programme le confirme pour n :S 100, voire n :S 1000 et on peut le vérifier pour n :S 1051

. Pourtant, ce n'est pas vrai: il y a un contre exemple pour

n = 8424432925592889329288 197322308900672459420460792433.

La liste de conjectures qui précède n'est pas du tout homogène, à aucun point de vue. Certaines sont évidemment vraies, d'autres évidemment fausses, d'autres sont beaucoup plus subtiles et pour certaines, la réponse peut n'être nulle­ment évidente. Ce qui m'intéresse dans la phase des premières tentatives de preuve, c'est de voir en quoi l'expérience initiale peut être (ou non) une aide à la démonstration.

Je traite maintenant les exemples ci-dessus; attention, il ne faut pas croire tout ce qu'on vous dit ...

Page 13: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

18

2.3.1 Aires égales

La preuve de la conjecture est fa­cile : on regarde le point d'inter­section A' de (AM) et de (BC). On montre facilement (c'est le lemme du chevron, voir fig. 7, qui résulte par exemple de la for­mule base x hauteur /2, cf. [Per­. ])' , A(AMB)

rm 2005 que 1on a A(AMC) =

A'B A'C' de sorte que les aires sont égales si et seulement si le point B

A' est milieu de [BC], donc si c

(AM) est la médiane issue de A. Figure 7

2.3.2 La longueur du segment mobile

Dans le cas proposé en 1.2.2, la preuve (pour un expert) est bien claire. Le quadrilatère AMP N est un rectangle, donc ses diagonales sont égales et il revient au même de minimiser MN ou AP, mais pour AP, avec A fixe et P se déplaçant sur (BC), le minimum est atteint quand P est le projeté, c'est bien connu.

Soit, mais comme je l'ai dit plus haut, l'une des fonctions d'un mathémati­cien est de poser des problèmes. En regardant cette situation, je n'ai pas pu m'empêcher de me poser la question: et si le triangle ABC n'est pas rectangle? J'ai donc couru à mon ordinateur et Cabri m'a très rapidement montré que le minimum était encore atteint au projeté H de A. J'ai été un peu surpris et j'ai essayé de comprendre pourquoi. Cette fois l'argument du rectangle tombe à l'eau. Bien sûr, le point H réalise toujours le minimum de AP, mais AP ce n'est plus MN comme je l'ai vérifié aussitôt. Tout de même, en les faisant afficher tous les deux (avec ABC fixe, mais P variable) j'ai constaté qu'ils semblaient varier de conserve. Petite expérience pour en être sûr, j'ai fait afficher le rapport MN/AP et j'ai constaté qu'il était constant.

MN=9,82 AP= 10,68 MN/AP= 0,92= sin A

A

N

M

B cP

Figure 8 Déjà, cela explique le résultat constaté, puisque les longueurs AP et MN

Page 14: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

19

sont alors minimales en même temps, de sorte que c'est bien H qui réalise le minimum. Il reste à comprendre pourquoi ce rapport est constant. Là, s'agissant de rapport, une foule d'idées arrivent (similitude, lignes trigonométriques, etc.). En bougeant le point A, on peut faire quelques observations nouvelles. Bien entendu, on retrouve que le rapport vaut 1 quand le triangle est rectangle, car c'est la situation initiale, mais on note aussi qu'il est toujours < 1 sinon et qu'il est d'autant plus petit que l'angle en A est petit (ou au contraire très obtus). Cela fait penser au sinus de l'angle en A et il suffit de faire afficher ce sinus pour en avoir confirmation.

On a donc obtenu une nouvelle conjecture:

2.13 Conjecture. Dans la situation de 1.2.2 (mais avec ABC quelconque), on a MN/A? = sinÂ.

Au vu des indications de Cabri, je croyais dur comme fer à cette conjecture, mais il restait à la prouver. C'est joli, mais pas tout à fait évident, et je la laisse au lecteur, qui trouvera une indication dans [Perrin 2006], annexe.

2.3.3 Les différences de carrés

Il s'agit de savoir quels sont les nombres qui sont différences de deux carrés. L'expérience a fourni la conjecture 2.7 et elle permet aussi de la démontrer, au moins dès qu'on dispose de l'écriture et du calcul algébrique. En effet, si on compulse la liste, on voit qu'on atteint, par exemple, le nombre impair 11 (c'est­à-dire 2p + 1 avec p = 5) comme différence de 36 = 62 moins 25 = 52. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour voir ce qu'il faut vérifier: 2p + 1 = (p + 1)2 - p2, c'est bien vrai! On peut même dire ça (à l'école primaire ou au début du collège) sans disposer de l'écriture algébrique : il suffit de noter qu'un nombre impair s'écrit comme somme de deux entiers consécutifs (ses deux "moitiés") et qu'il est alors aussi différence de leurs carrés. On trouve cela grâce à l'expérience, que l'on peut poursuivre autant qu'on veut pour s'assurer de la validité du résultat. Pour en donner une preuve convaincante, il y a une jolie méthode géométrique qui consiste à dessiner deux carrés de côtés pet p+ 1 l'un dans l'autre, cf. fig. 9.

p+1

J~------L--~II 1 1 1L . 1'-1

i (p+1)2. 1'2=21'+1

i-------------_.p+11'+1

Figure 9 Figure 10

De même, on obtient 20 = 4 x 5 comme différence de 36 = 62 moins 16 = 42

et on voit aussitôt que c'est bien une formule générale: 4p = (p + 1)2 - (p - 1)2 (et là aussi, il y a une preuve géométrique, cf. fig. 10).

Page 15: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

20

Je voudrais insister fortement sur cet exemple. Toute mon expérience de cher­cheur m'apprend que cette méthode, qui consiste à induire d'un cas particu­lier une formule générale (ou un théorème général) est un outil fondamental de découverte. Il y a en arithmétique, en algèbre, des dizaines de formules 18 que l'on peut trouver ainsi. Pourtant, je ne suis pas sûr que cette procédure ait vraiment droit de cité dans nos classes. C'est peut-être le cas au niveau de l'enseignement primaire, ça l'est beaucoup moins au niveau du collège et du lycée, et au niveau de l'enseignement supérieur, sauf dans de rares exceptions, cette procédure n'est que rarement employée.

. Il reste à vérifier que les nombres pairs non multiples de 4 ne sont pas de la forme x2- y2. C'est facile en distinguant selon les parités de x et y. Bien entendu, selon la culture des gens, le mot "congruence" peut être utilisé.

Pour en finir avec les différences de carrés, l'expérience montre encore autre chose: certains nombres sont atteints plusieurs fois, par exemple 15 = 64 - 49 =

16 - 1. Cela pose une nouvelle question: lorsqu'un nombre s'écrit sous la forme 2x - y2, de combien de façons est-ce posssible? Là, il faut sans doute utiliser

de nouveaux outils, un peu plus sophistiqués (notamment la décomposition en produit de facteurs premiers19 ). Ici, on sort des "problèmes pour chercher" et on aborde les "problèmes pour apprendre" .

2.3.4 Les fractions égyptiennes

La conjecture proposée semble particulièrement solide et l'algorithme indiqué aussi. Pour avancer sur ce problème, il est bien agréable de disposer d'une bonne calculatrice, programmable et capable de travailler en mode formel (donc avec des fractions et pas des nombres décimaux). En effet, on tombe très vite sur des fractions de grands dénominateurs qu'il devient pénible de calculer à la main. Par exemple on trouve :

4 1 1 1 1 17 = "5 + 29 + 1233 + 3039345'

Il est facile d'écrire un petit programme qui fait le travail à notre place. Voilà un exemple sur TI-Voyage 200 :

egypteO Prgm Local r,p,n Prompt r l/r --t p While p-entPréc(p»O entPréc(p)+1 --t n Disp lin r-l/n --t r

I8Un exemple simple est celui de la somme des n premiers cubes, au moins si l'on connaît la somme des n premiers entiers.

I9Car une première constatation est que les nombres premiers semblent n'apparaître qu'une fois.

Page 16: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

21

Disp r l/r ---t p EndWhile EndPrgm

L'affichage des fractions intermédiaires (Disp r) n'est pas indispensable, mais il fournit la démonstration de la propriété. En effet, ce qu'il faut voir c'est pourquoi l'algorithme "termine" comme disent les anglo-saxons. Or, c'est bien clair sur les fractions intermédiaires, par exemple pour 4/17 on trouve succes­sivement 3/85 = 4/17 - 1/5 puis 2/2465 = 3/85 - 1/29. On peut multiplier les expériences (avec un programme ce n'est pas fatigant!) et on constate que les numérateurs des fractions décroissent, de sorte qu'ils finissent nécessairement par aboutir à 1 comme souhaité. Cet argument expérimental est parfaitement convaincant pour tout le monde (y compris pour moi). Si l'on veut une "vraie" démonstration il reste à le mettre en forme. Pour un mathématicien c'est facile car tous les ingrédients sont apparus et il reste à traduire les propriétés (par exemple, que signifie retrancher le plus grand l/n possible, mais si l'on a écrit le programme on a déjà explicité cette propriété) et à faire une récurrence. Je fais cette preuve pour convaincre le lecteur qu'elle n'est pas difficile.

On a un rationnel r = !!.., écrit sous forme de fraction irrréductible. On q

1 cherche la plus grande fraction égyptienne l/n telle que - :S r. Cela revient à

n chercher le plus petit n 2: l/r (c'est donc la partie entière de l/r plus un, sauf si r est déjà égyptienne). Un tel n vérifie n 2: l/r > n - l, soit, pn 2: q > pn - p.

.82 on calcule alors

p-q

-1 -, n

on trouve np ­

qn q . /

et on vmt que le numerateur est

bien < p comme annoncé. L'expérience m'a montré pourtant que pour beaucoup des étudiants (scien­

tifiques, mais pas très matheux) que j'avais en licence pluridisciplinaire, écrire cette preuve, avec la manipulation des fractions et des inégalités, a été franche­ment difficile. C'est une difficulté qu'il ne faut pas sous-estimer. La question de l'apprentissage de ce type de techniques et son lien avec les problèmes n'est pas évidente. Quand j'essaie d'analyser comment je fais un calcul comme le précédent, la chose qui me semble essentielle, c'est que j'ai confiance en les mathématiques: ayant vu l'algorithme fonctionner, je suis sûr que la preuve va marcher. D'une certaine manière, je peux alors cesser de réfléchir et laisser le calcul se faire tout seul, en traduisant simplement l'algorithme. Cette confiance est s01J.vent ce qui manque à nos élèves.

2.3.5 Le reste de la série

. , . . ffi 2n

+ 2

d d .11 t AMamtenant qu on a une conjecture qUI a rme que rn = --2 t Olt etre o 1 + t

/ . l ,1 1 1 d IX' 1. /eqUIva e,nt a ( )' on ca cu e la illerence rn - ( ) en mterpretant . 2 2n + 3 2 2n + 3

la fraction comme la moitié de l'intégrale 11 t 2n+2 dt (c'est ainsi qu'elle est ap­

Page 17: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

22

parue). On trouve:

lIt 2n+2 1 - t 2

d rn - 2(2n + 3) = "2 Jo t 1 + t 2 t

et il reste à voir que cette intégrale est un o(l/n). Il y a plusieurs méthodes pour faire cela: soit couper en deux l'intégrale en un point a E]a, 1[, soit intégrer par

= t 2nparties en posant U = 1 - t: et dv + 2dt, soit, plus simple encore, minorer le l+t

dénominateur par 1. On trouve :

1 111 t2n 2 t2n+4 1a< r - < - + - dt = . - n 2(2n + 3) - 2 0 ( ) (2n + 3) (2n + 5)

Peu importe la technique (classique) d'analyse, mais mon expérience, sur ce problème, c'est qu'avant d'avoir fait l'expérience pour déterminer que l'équivalent

était ( 1 ) et pas 1 ,j'étais comme l'âne de Buridan à me demander 2 2n + 3 2n + 3

lequel j'allais essayer de prouver et à ne pouvoir me résoudre à me lancer dans des calculs qui risquaient d'être inutiles si mon choix était mauvais. Bref, il s'agit d'un élément psychologique, mais qui a joué un rôle important. Cela mérite bien une nouvelle maxime :

2.14 Maxime. Souvent, quand on a trouvé ce qu'il fallait démontrer, le plus dur est fait.

2.3.6 La suite logistique

La machine nous a dévoilé le comportement de la suite, au moins pour f-L ::; 2,

donc le plus dur est fait, si l'on en croit la maxime 2.14. Si on pose T = f-L - 1, f-L

la formule un + l - Un = f-Lun (T - Un) permet effectivement de montrer que, si f-L est ::; 1, la suite décroît et tend vers aet que, si f-L est compris entre 1 et 2, elle est croissante (au moins à partir du deuxième terme) et converge vers T.

En revanche, pour f-L > 2, les choses sont moins simples et l'on ne parvient plus à prouver ni la monotonie, ni le fait que Un reste inférieur à sa limite supposée T.

2.3.7 Les médiatrices hyperboliques

C'est encore un exemple où l'on peut induire la preuve à la fois de l'expérience et de l'analogie euclidienne. Montrons par exemple que les médiatrices sont concourantes. Bien entendu, il faut connaître quelques propriétés des médiatrices hyperboliques, mais ce sont presque les mêmes qu'en euclidien.

Page 18: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

23

MA=MB= 2,3387

En particulier un point M est 2,3381 "A

sur la médiatrice de [AB] seulement si on a MA =

si et M B

M

comme on le vérifie aisément avec o la macro Cabri "distance hyper­

2,3387 c

bolique" d'Yves Martin.

Figure Il Dans ce cas, la preuve coule de source : on prend le point 0, intersection

des médiatrices de [AB] et [AG]. On a donc OA = OB et OA = AG, donc OB = OG, de sorte que 0 est aussi sur la médiatrice de [BG].

2.4 Critique des preuves et retour à l'expérience

C'est ici que mon métier de chercheur m'apporte une autre vision de la démarche mathématique. En effet, j'y ai appris à être méfiant en ce qui concerne les preuves, les miennes et celles des autres, et à les mettre systématiquement en doute. Reprenons donc une nouvelle fois certaines de nos situations. Il n'y a pas de problèmes pour les entiers de la forme x2 - y2, ni pour les fractions égyptiennes. En revanche, dans plusieurs autres cas, notre conjecture était incorrecte et donc la "démonstration" proposée aussi.

2.4.1 Aires égales

Revenons sur la situation des triangles d'aires égales et bougeons un peu plus sérieusement le point M dans le plan, en lui permettant, en particulier, de s'extirper de l'angle en A.

aire (AMB) =aire (AMe) =28,01 cm2

On s'aperçoit bien vite qu'il semble y avoir d'autres positions dans les­ A

~--------;>f M

quelles les aires sont égales. Et pour­tant, nous avions écrit une preuve, non? Alors, cette preuve n'en était pas vraiment une? Non, et ici, on voit aisément où est l'erreur: avant de parler du point A', intersection de (AM) et de (BG), encore faut-il s'assurer que ces droites se coupent.

B c

Figure 12

Page 19: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

24

En effet, si M est sur la parallèle à (BC) passant par A, on vérifie qu'on a aussi A(AMB) = A(AMC) (c'est ce que j'appelle le lemme du trapèze, évident encore avec la formule base x hauteur !).

Ici, à bien regarder la figure et ses variantes, on a donc fini par montrer un théorème:

2.15 Théorème. Les aires de AMB et AMC sont égales si M et sur la médiane issue de A ou sur la parallèle à (BC) passant par A.

Ce type d'exemple est fondamental car il montre deux choses essentielles, dont nous allons faire deux nouvelles maximes. En premier lieu, dans l'exemple ci-dessus, l'expérience initiale avait été menée avec trop de désinvolture pour être satisfaisante:

2.16 Maxime. En mathématiques, comme dans les autres les sciences, si l'on utilise l'expérience, elle doit être menée sérieusement.

Cet exemple montre aussi quelle est la raison d'être de la rigueur, qu'on impose souvent sans discussion aux élèves:

2.17 Maxime. Si une preuve n'est pas rigoureuse, on court le risque qu'elle soit fausse et, pire, que le résultat annoncé soit faux.

2.4.2 Errare humanum est

Sur ce sujet de l'erreur et de la rigueur, mon expérience de chercheur, c'est qu'une preuve, réputée soigneuse, soi-disant rigoureuse, considérée comme telle par les experts, peut parfois ne pas l'être autant qu'on le croit. Une des raisons qui fait qu'une erreur peut intervenir tient à la volonté, souvent très forte, du chercheur de parvenir au résultat qu'il convoite. Il veut à tout prix prouver son théorème! Cela peut le conduire à une attitude simplificatrice par rapport à la réalité. Il faut bien comprendre que cette volonté de simplifier est un puissant moteur de découverte, mais qu'elle crée un obstacle lorsque la situation se révèle vraiment plus complexe qu'on ne l'avait imaginé. J'ai une petite histoire, que j'espère instructive, à raconter à ce sujet.

Il y a quelques années, nous travaillions, Mireille Martin-Deschamps et moi­même, sur le schéma de Hilbert des courbes gauches de degré d et genre g (un objet, noté Hd,g, peu importe ce que signifie ce symbole) et nous avions cru prouver que Hd,g n'était "presque" jamais connexe. La démonstration était écrite, soumise à une excellente revue, contrôlée par un rapporteur, acceptée, mais .heureusement pas encore parue (voir [MDPl] et [MDP2])! Pourtant, en étudiant plus à fond un exemple précis, le premier exemple non trivial: H4,o, nous avons montré qu'il était connexe, contrairement à ce que nous affirmions. Il nous a fallu quelques jours pour admettre notre erreur et quelque temps encore pour comprendre où était la faute dans la démonstration.

L'intérêt de cette erreur c'est qu'elle était révélatrice d'une conception er­ronée sur l'objet en question, fondée sur une connaissance trop fragmentaire des

Page 20: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

25

exemples. La preuve en est que, passant d'un extrême à l'autre, nous pensons maintenant que le schéma de Hilbert est toujours connexe.

Le lecteur mauvais coucheur pourra m'objecter que, si notre démonstration était fausse, c'est que nous n'avions pas été suffisamment rigoureux et il sera d'autant plus enclin à le faire, que, du haut de ses connaissances mathématiques, il- aura décelé les entorses à la rigueur commises dans les pseudo-démonstrations ci-dessus. Certes, en théorie c'est vrai. Mais je lui rappellerai, avant qu'il ne me jette la première pierre, que d'autres ont été aussi confrontés à cette difficulté: lorsqu'on propose une preuve, en étant à son niveau de compétence (et pas cent coudées au-dessus, ce qui est souvent le cas en situation d'enseignement), il est bien difficile d'assurer que cette preuve est vraiment correcte. Ainsi, récemment, les premières versions des démonstrations du théorème de Fermat par Andrew Wiles ou de la conjecture de Ramanujan par Laurent Lafforgue étaient toutes deux entachées d'erreurs, que leurs auteurs ont mis plusieurs mois à corriger.

Fort de ma propre expérience et instruit par celles de mes illustres collègues, je suis beaucoup plus circonspect maintenant, et d'avant d'être certain d'un résultat, je préfère le confronter à l'expérience. Cela donne encore une maxime, frappée au coin du bon sens:

2.18 Maxime. Deux expériences valent mieux qu'une démonstration fausse.

2.4.3 Médiatrices hyperboliques

L'exemple précédent doit nous mettre la puce à l'oreille : dans notre preuve du concours des médiatrices hyperboliques, nous avons défini le point 0 comme l'intersection des médiatrices de c [AB] et [AC]. Et si, comme dans l'exemple ci-dessus, elles ne se

.: Bcoupaient pas2D ?

Figure 13 De fait, l'expérience montre que si le triangle est suffisamment aplati, elles ne

se coupent pas : notre conjecture, là encore, est fausse!

Déceler une erreur dans une démonstration est un des moments les plus diffi­ciles dans la vie d'un chercheur et je n'ai toujours pas acquis le détachement qui serait nécessaire pour vivre ce genre de moment avec sérénité. Avec l'expérience j'ai cependant appris quelques petites choses. D'abord, je me récite ce que dit à ce sujet A. Grothendieck:

Mais il arrive aussi que cette image [de la situation] est entachée d'une erreur de taille, de nature à la fausser profondément. ... Le travail, parfois laborieux,

2üpour le mauvais coucheur de tout à l'heure: aviez-vous vraiment vérifié, en euclidien, que les médiatrices se coupaient? Et la rigueur, alors?

Page 21: L'EXPÉRIMENTATION EN MATHÉMATIQUES

26

qui conduit au dépistage d'une telle idée fausse est souvent marqué par une ten­sion croissante au fur et à mesure qu'on approche du nœud de la contradiction, d'abord vague, puis de plus en plus criante jusqu'au moment où elle éclate avec la découverte de l'erreur et l'écroulement d'une certaine vision des choses, sur­venant comme un soulagement immense.

Et il ajoute plus loin, ce qui vaut bien une maxime:

2.19 Maxime. La découverte de l'erreur est un des moments cruciaux, un mo­ment créateur entre tous, dans tout travail de découverte.

Il a raison, et l'exemple du schéma de Hilbert a bien montré comment la découverte de l'erreur est décisive pour remettre en cause une conception erronée, mais c'est dur à supporter tout de même! Cependant, une des petites choses que j'ai apprises en trente années de recherche c'est:

2.20 Maxime. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Cette maxime, que nul ne contestera, peut revêtir deux significations. La première, c'est que, lorsqu'on s'aperçoit qu'une démonstration est fausse, avant de se faire hara-kiri, on peut d'abord essayer de la réparer21 , en vertu de la maxime:

2.21 Maxime. Démonstration fausse ne signifie pas toujours idée fausse.

D'une certaine façon, c'est ce que nous avons fait dans le problème des aires égales où la découverte de l'erreur contenait en germe le moyen de la surmonter.

La situation est parfois plus grave lorsque la conjecture est radicalement fausse. C'est le moment d'appeler à la rescousse un autre grand mathématicien, cf. [Poincaré] :

Toute généralisation est une hypothèse22 {. ..Jqui doit être soumise à la vérifi­

cation. Il va sans dire que, si elle ne supporte pas cette épreuve, on doit l'aban­donner sans arrière-pensée. C'est bien ce qu'on fait en général, mais quelquefois avec une certaine mauvaise humeur.

Eh bien, cette mauvaise humeur même n'est pas justifiée,. le physicien qui vient de renoncer à une de ses hypothèses devrait être, au contraire, plein de joie, car il vient de trouver une occasion inespérée de découverte. Son hypothèse, j'ima­gine, n'avait pas été adoptée à la légère23 ,. elle tenait compte de tous les facteurs connus qui semblaient pouvoir intervenir dans .le phénomène. Si la vérification ne se fait pas, c'est qu'il y a quelque chose d'inattendu, d'extraordinaire,. c'est qu'on va trouver de l'inconnu et du nouveau.

21Je me souviens encore de la première fois où, jeune chercheur, je me suis aperçu qu'une de mes preuves était fausse. J'en ai été déprimé pour plusieurs semaines, jusqu'à ce que, en désespoir de cause, j'aille la soumettre à mon patron de thèse qui l'a réparée en quelques minutes!

22Poincaré parle de la physique, mais ce qu'il dit vaut dans notre cadre en remplaçant le mot hypothèse par conjecture.

23 Manifestement, Poincaré ne connait pas les conjectures à la Daniel.

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27

Dans l'exemple des médiatrices hyperboliques, c'est à une complète remise en question de notre vision des choses que nous sommes conduits et il nous faut courir joyeusement (comme le disent Grothendieck et Poincaré) réparer la conjecture avant de penser à produire une nouvelle démonstration. Ce n'est pas totalement évident. Bien sûr, on pourrait dire que les médiatrices sont concou­rantes ou parallèles, au sens bête où elles ne se coupent pas, mais cette notion est beaucoup trop faible en hyperbolique (il y a une flopée de droites passant par le milieu de [BG] et parallèles aux deux autres médiatrices en ce sens). La question est donc de trouver ce qui va remplacer le parallélisme. C'est encore l'analogie euclidienne qui donne la solution. En euclidien, lorsque deux droites du plan sont parallèles, toute perpendiculaire à l'une est perpendiculaire à l'autre. En hyperbolique, l'expérience montre aussitôt que c'est faux: si on a deux droites D, D', parallèles au sens bête, une droite perpendiculaire à l'une n'est pas, en général, perpendiculaire à l'autre (cf. fig. 14 : la droite L est perpendiculaire à D mais pas à D', et moins encore à D"). Je dis "en général" car il existe tout de même une perpendiculaire commune, mais elle est unique. Bien entendu, si l'on prend trois droites D, D', D" parallèles au sens bête, elles ont, deux à deux, des perpendiculaires communes distinctes en général, comme le montre, une fois de plus, l'expérience (cf. fig. 14, F est perpendiculaire commune à D, D' et E à D', D").

.... A ... '

c

..//.----_.~"---­

//D ,1

Figure 14 Figure 15

En revanche, si l'on regarde les trois médiatrices, dans le cas où elles ne sont pas concourantes, on constate qu'il y a une perpendiculaire commune aux trois (cf. fig. 15 : la droite D). On a donc une nouvelle conjecture:

2.22 Conjecture. Les médiatrices d'un triangle hyperbolique sont concourantes, dans le plan hyperbolique ou sur son bord, ou admettent une perpendiculaire commune.

L'énoncé semble vrai, et il l'est, mais il reste à le prouver. Il y a de nombreuses méthodes, certaines plus éclairantes que d'autres, cf. [Perrin 2010], mais, dans tous les cas, il faut quand même posséder un peu de technique24

.

24 Attention, tout ce que je suis en train d'expliquer à propos de l'expérimentation, n'exonère

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Parmi les preuves possibles, il en est une que j'aime particulièrement car c'est une nouvelle illustration de la maxime sur le bébé et l'eau du bain. Elle consiste à reprendre la démonstration fausse vue ci-dessus et à essayer de la réparer. Lorsque les médiatrices de [AB] et [AC] se coupent en 0, on a vu que 0 est équidistant de A, B, C et c'est cela qui prouve que 0 est sur la médiatrice de [BC]. Lorsque les médiatrices de [AB] et [AC] ne se coupent pas, la propriété de remplacement c'est qu'elles admettent une perpendiculaire commune n. L'analogue, somme toute naturel, de l'assertion précédente, c'est que les points A, B, C sont alors équidistants de n. Cela vient du lemme suivant, qui remplace la caractérisation usuelle des points de la médiatrice, que l'on peut vérifier sans peine avec Cabri et que l'on démontre à l'aide de la symétrie par rapport à cette médiatrice :

2.23 Lemme. Soient n une droite du plan hyperbolique et A, B deux points. Alors, n est perpendiculaire à la médiatrice de A, B si et seulement si A et B sont équidistants de n et situés du même côté de n.

AM= BN = 1,5739

Bo 1,5739 1,573

N

Figure 16 Ce lemme entraîne notre théorème. En effet, si n est la perpendiculaire com­

mune aux médiatrices de [AB] et [AC], les points A, B, C sont équidistants de n par le sens direct du lemme, et donc n est perpendiculaire aussi à la médiatrice de [BC] par sa réciproque.

On renvoie le lecteur à [Perrin 2006], annexe, pour d'autres précisions.

2.4.4 Une remarque didactique?

Cette question de l'erreur est très importante dans la gestion des classes. Je pense qu'il ne peut exister de véritable recherche si l'erreur n'y est pas tolérée, voire reconnue comme un moteur. Pourtant cela n'est pas toujours naturel, ni pour le professeur25 , ni pour les élèves. Voilà ce que dit Magali Froger à propos des narrations de recherche de ses élèves (cf. [Froger] ; la classe de Magali est une très bonne classe du collège franco-allemand de Buc) :

pas de devoir acquérir le bagage technique nécessaire pour traiter les problèmes. On ne fait pas de mathématiques sans cela. Mais inversement, de même que la virtuosité ne suffit pas à faire un musicien, la technique n'est pas suffisante.

25Et c'est l'une des carences de la formation des maîtres, à mon avis.

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Les élèves se censurent eux-mêmes. Ils gardent, inconsciemment sûrement, une idée de ce qu'ils peuvent écrire ou ne pas écrire dans leur compte-rendu. Conscients du fait que leur professeur et leurs parents attendent beaucoup d'eux, les élèves ne veulent pas décevoir et n'acceptent pas de montrer qu'ils font des erreurs.

Et elle ajoute, plus loin, cette remarque plus fondamentale encore : Les élèves étant habitués à trouver les réponses aux exercices presque instan­

tanément, pour eux le mauvais élève cherche parce qu'il ne trouve pas26 , alors

que le bon élève trouve la solution immédiatement. La recherche est donc, pour eux, synonyme d'échec.

En conclusion, il me semble que tout professeur devrait garder en permanence dans un coin de sa tête deux maximes, la maxime 2.21 et la suivante:

2.24 Maxime. On peut avoir une idée fausse sans pour autant être stupide.

2.4.5 La suite logistique

Bien entendu, dans ce cas, nous étions bien conscients d'avoir été très op­timistes. De fait, si on effectue quelques expériences supplémentaires, on voit apparaître de nouveaux phénomènes:

• Pour f-L = 3, la suite converge encore vers T, mais elle n'est plus monotone (elle est "en escargot"). Plus généralement, cela semble être le cas pour f-L compris entre 2 et 3 (l'écran 2 correspond à f-L = 2,9).

ne: 15. xe:.67385682

DANIEL RAD AUTO e:.63734484

SUIT

Écran 2

• Pour f-L = 3,2, la suite ne converge plus, mais on a toutefois ce qu'on appelle un cycle attractif, une suite de 2 valeurs dont la suite se rapproche de manière périodique: 0,7994, 0,5130. Pour f-L = 3,5 (écran 3) on a cette fois un cycle attractif d'ordre 4 : 0,8749, 0,3828, 0,8269, 0,5008.

26 André Revuz dit que ce que la recherche peut apporter de plus important pour l'enseigne­ment c'est la constatation que la principale occupation d'un mathématicien est de sécher.

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30

ne: 31. xc:.8424685

DANIEL RAD AUTO c:.8424685

SUIT

Écran 3

• Enfin, pour f-L = 4 c'est l'horreur, si l'on trace le graphe de la suite, l'écran de la calculatrice se noircit rapidement, ce qui indique que la suite semble remplir tout le segment [0,1], autrement dit que l'ensemble des valeurs Un est partout dense dans [0,1]. C'est ce qu'on appelle le cas chaotique.

/" 1 1 Il I~III

/ -"""

Ë -nê:.,,·. ..

llxc: • 94688827 c: .2811634 DANIEL RAD AUTO SUIT

Écran 4

Dans les trois premières situations, il y a une conjecture claire et stable (elle ne dépend pas du point de départ dans [0, t]) et il s'agit de la montrer, en précisant dans quel domaine de variation du paramètre f-L elle est vraie. Dans le dernier cas, les choses sont plus difficiles. Là, on atteint d'ailleurs une des limites de l'expérimentation. En effet, si l'on voit bien le comportement générique de la suite (elle est partout dense), il y a d'autres phénomènes (des points stationnaires, des points périodiques, etc.) que la calculatrice ne permet pas vraiment de déceler.

. 5±V5 .Par exemple, SIon prend Ua = 8 ,on montre facIlement par le calcul que la

suite est périodique de période 2. Si l'on tabule la suite avec cette valeur initiale, tout semble bien se passer au départ, la suite prend alternativement les valeurs 0,9045 et 0,3454, mais à partir du neuvième coup elle déraille et retrouve le comportement générique de remplissage du segment. La raison est simple, en mode tabulation, la calculatrice prend une valeur approchée, qui n'est donc pas exactement la valeur périodique et l'erreur, minime au départ, augmente un peu à chaque itération. Bien entendu, on peut forcer la machine à calculer en mode formel, mais encore faut-il avoir trouvé la valeur de départ, et l'expérience ne peut pas vraiment la donner. On est ici en présence d'un cas où l'expérience, si elle montre clairement ce qui se passe dans le cas générique, ne permet pas de traiter les cas particuliers intéressants: il faut bien que les mathématiciens aient encore quelque chose à faire !

1:"'1:!T; F2'" IT n ,1 F~ ITt FS'" 11 F6....r f" r::... ~ ZOOM Trace Regraph Math Dess ... :: )

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3

31

2.5 De nouvelles questions

Les mathématiques sont un éternel recommencement. À peine a-t-on fini de résoudre un problème que d'autres surgissent. On en a vu déjà quelques exemples ci-dessus et le lecteur en trouvera d'autres dans [Perrin 2006], qu'il complètera. avec ses propres questions. J'évoque seulement ici l'exemple des développements décimaux, qui est une mine dans le registre: poser les problèmes.

2.5.1 Les développements décimaux

L'expérience manuelle nous a permis de montrer: Le développement décimal du rationnelp/q (écrit sous forme irréductible) est

périodique, avec une période de longueur :S q - 1. Une expérimentation rudimentaire, dans laquelle la calculatrice est bien utile,

montre que la longueur de la période n'est pas toujours q - 1 (pour q = 3 c'est 1, pour q = 11 c'est 2, pour q = 13 c'est 6), mais que cela arrive souvent (pour q = 7,17,19, par exemple). De plus, si on ouvre bien les yeux (c'est le "dire tout ce qu'on voit" vu précédemment), on constate que cette longueur est toujours un diviseur de q - 1. Une première question est donc de prédire la longueur de la période. Mais il y a bien d'autres questions qui surgissent dès qu'on étudie cette situation. D'abord, dans certains cas, comme 1/7, la période commence tout de suite, mais pour 1/28 on a une pré-période: 1/28 = 0, 03571428571428 .... Autre chose, si on examine les septièmes, on constate qu'ils ont tous la même suite de chiffres comme période, mais décalée: 1/7 = 0,142857142857 , 2/7 = 0,285714285714 ... ,3/7 = 0,428571428571 ... ,4/7 = 0,571428571428 , etc. Pourquoi ce phénomène? Et que se passe-t-il dans les autres cas (les treizièmes, les quarante-et-unièmes par exemple)? De plus, même si l'on est convaincu de l'existence de la période, comment faire pour la trouver explicitement lors­qu'elle excède la capacité de la calculatrice (par exemple pour les fractions de dénominateur 17, 19, voire 59)?

Dans ce cas, l'expérimentation est donc source de nombreuses questions, aux­quelles nous laissons au lecteur le plaisir de trouver les réponses (il faut penser à la seule chose qu'on sache faire facilement avec les développements décimaux: multiplier par la). Voir [Perrin 2006] pour quelques indications.

En guise de conclusion

3.1 Quelques bémols

L'honnêteté intellectuelle m'oblige à dire que, si l'expérimentation est une méthode de recherche souvent fructueuse en mathématiques, ce n'est pas pour autant la panacée universelle. Il y a plusieurs raisons à cela.

• Dans certains cas, l'expérience est inutile, ou impossible. On a rencontré plus haut un exemple dans le cas de la suite logistique. À ce sujet, l'une des choses que j'ai apprises en utilisant les logiciels de calcul formel en recherche, c'est que, s'ils sont un outil extraordinaire pour explorer des zones qui seraient

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inaccessibles à la main, leur pouvoir n'est pas infini, tant s'en faut, et on arrive vite à leurs limites27

. Le lecteur se convaincra que la calculatrice peut induire en erreur en regardant le comportement des suites 2n /n20 (jusqu'à n = 27, cette suite semble décroître vers 0), voire 2n /n500 (la calculatrice baisse rapideme~t les bras). Dans ce cas, même si notre intérêt se porte vraiment sur ces suites, il n'est pas interdit de faire une expérience plus simple, avec de plus petits exposants, pour comprendre ce qui se passe.

• Dans d'autres situations, l'expérience peut masquer la véritable nature des problèmes, en confinant l'observateur dans un cas trop particulier28 . On a vu ci-dessus qu'il suffit parfois de raffiner l'expérience, mais ce n'est pas toujours possible.

Voici un exemple de ce phénomène que j'ai rencontré en recherche. Notre philosophie, pour étudier le schéma de Hilbert Hd,g déjà évoqué plus haut, était de le décomposer en des objets plus petits, notés H-y,p, en pensant que ces objets eux, ne pouvaient plus être décomposés, en termes mathématiques, qu'ils étaient irréductibles. On sait maintenant que c'est très faux. En effet, ces objets sont repérés (entre autres) par un entier appelé largeur. Or, s'ils sont bien irréductibles en largeur :s: 2 et aussi, avec une condition, en largeur 3, ils ne le sont jamais en largeur 2: 4, donc dans une immense majorité des cas. La source de l'erreur c'est que les premiers exemples que nous avions examinés étaient tous en largeur :s: 2. Je retiens plusieurs choses de cet exemple:

- Les exemples que l'on considère en premier sont souvent trop simples. C'est normal, ce sont les premiers qui viennent à l'esprit, ce sont les plus faciles à calculer, sinon les seuls. La volonté farouche de démontrer des théorèmes fait qu'on a tendance à prendre ces exemples particuliers pour argent comptant.

- Lorsqu'on se rend compte de la difficulté, passé le temps de la déprime, il reste à en tirer les conséquences, en se gardant de jeter le bébé avec l'eau du bain, cf. 2.20. En fait, dans notre cas, même si les H-y,p ne sont pas irréductibles, la méthode garde son intérêt, notamment parce qu'on dispose d'une méthode d'investigation de ces objets qui a des conséquences intéressantes sur l'objectif initial. Simplement, ici, comme souvent en mathématiques et ailleurs, les choses étaient plus complexes que nous ne l'avions pensé, mais cette mésestimation des difficultés est, à mon avis, un atout psychologique important pour la recherche: si le chercheur imaginait toutes les embûches du chemin avant de s'y engager, sans doute renoncerait-il souvent à l'emprunter.

27par exemple, j'ai souvent été amené à faire calculer au logiciel Macaulay les mineurs d'une grosse matrice, disons les mineurs 8 x 8 d'une matrice 15 x 20, dont les coefficients sont des polynômes en plusieurs variables. Le logiciel y parvient, bien qu'il y en ait plus de 8 x 108

,

mais on est tout proche de la saturation. De plus, il est totalement impossible - et inutile - de les faire afficher, car cela dépasse les capacités d'affichage du logiciel et de la machine. On peut cependant calculer avec l'idéal engendré par ces mineurs, en faisant alors une confiance aveugle à la machine, situation un peu désagréable pour un mathématicien. Mais, une fois encore, cette expérience en aveugle permet de trouver les résultats qu'il reste évidemment ensuite à prouver directement, selon la maxime 2.14.

28 Jean-Pierre Serre dit que, souvent, quand on ne parvient pas à prouver un théorème, c'est qu'on cherche à prouver un théorème trop facile, au sens où les hypothèses sont trop fortes et où elles cachent le point crucial de la question.

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• Une fois que le problème est circonscrit, qu'une bonne conjecture est trouvée, il reste à la prouver et l'expérience n'indique pas toujours comment. Sans aller chercher le théorème de Fermat ou l'hypothèse de Goldbach, pour montrer que tout nombre premier congru à 1 modulo 4 est somme de deux carrés (conjecture robuste s'il en est), il faut une idée supplémentaire, par exemple factoriser X2+y2 en (x+iy)(x-iy) dans les complexes et travailler dans l'anneau Z[i] des entiers de Gauss, cf. [Perrin 1995] : l'imagination est indispensable pour faire vraiment des mathématiques.

• Plus fondamentalement encore, il me semble que l'objectif des mathémati­ques, comme de toute science, est de comprendre les phénomènes et la phase expérimentale, pour importante qu'elle soit, n'est que la première phase de cette connaissance, celle qui permet de rentrer dans les problèmes. Ce que j'entends ici par "comprendre" c'est être capable de ramener le champ étudié à quelques principes directeurs avec lesquels on peut aborder et résoudre toutes les questions qui se posent. Cependant, cet objectif est largement inaccessible, même dans les domaines qu'on maîtrise le mieux (je pense à l'arithmétique où le moindre problème peut se révéler redoutable ou à la géométrie où l'expert le plus confirmé peut sécher sur une question élémentaire).

En résumé, je propose encore deux maximes, pour modérer les opinions bien établies des uns et des autres:

3.1 Maxime. Quel que soit le problème, il se trouvera toujours un mathémati­cien (peut-être pas encore né 1) qui n'aura nul besoin de recourir à l'expérience pour le traiter.

3.2 Maxime. Quel que soit le mathématicien, il y a toujours un problème pour lequel il aura besoin d'avoir recours à l'expérience29

.

3.2 Plaidoyer

.Comme je l'ai dit dans l'introduction, faire des mathématiques c'est, pour moi et pour beaucoup d'autres, poser et résoudre des problèmes. Il est clair que cela nécessite de posséder un bagage technique, d'autant plus important qu'on s'attaque à des problèmes difficiles. Il est clair aussi que la validation ultime d'un résultat mathématique est la démonstration déductive: c'est notre chance d'avoir une méthode pour convaincre qui résiste au temps. Mais, mon sentiment est que l'enseignement des mathématiques se résume trop souvent à ces deux points, en négligeant la phase de recherche. C'est d'autant plus dommageable que cette phase est évidemment la plus passionnante. Lorsqu'on fait cette remarque à des enseignants de collège ou de lycée30

, la réponse qui vient le plus souvent est la . suivante: Bien sûr, nous trouvons nous aussi que l'étude de problèmes ouverts est

intéressante, mais elle est très coûteuse en temps et nous avons des programmes à

2Dl\'1ême s'illle le dit pas explicitement et, je dirais presquc, même s'il n'en est pas conscicnt. 30D'ailleurs, changeant de casquette, je pourrais tout à fait tenir ce langage à propos dc mon

propre cours d'intégration en licence.

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boucler. C'est vrai, mais on a vu que ces problèmes sont aussi l'occasion de mettre en œuvre les compétences techniques. De plus, je me demande souvent ce qui est le plus important, dans l'apprentissage des mathématiques, lorsqu'il s'adresse à tous31 : est-ce la technique? Est-ce l'apprentissage de la démonstration? J'ai plutôt tendance à répondre, avec de multiples précautions, que la capacité de chercher, d'observer, de faire des hypothèses, de raisonner, d'argumenter, de cri­tiquer, de surmonter ses erreurs, est bien plus importante encore. C'est en ce sens que je développe ce plaidoyer pour l'expérimentation en mathématiques.

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SAUTER M. (2000) Formation de l'esprit scientifique avec les narrations de recherche au cycle central du collège, Repères IREM, 39, p. 7-20.

31 l'vIa réponse est un peu différente lorsqu'il s'agit de futurs scientifiques.