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© Estelle Laure Nankeu Moffo, 2019 L'expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle Mémoire Estelle Laure Nankeu Moffo Maîtrise en service social - avec mémoire Maître en service social (M. Serv. soc.) Québec, Canada

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© Estelle Laure Nankeu Moffo, 2019

L'expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle

Mémoire

Estelle Laure Nankeu Moffo

Maîtrise en service social - avec mémoire

Maître en service social (M. Serv. soc.)

Québec, Canada

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Résumé

Être parent avec une déficience visuelle (DV) est un phénomène peu exploré, mais s’avère

un choix convoité par les personnes ayant une déficience visuelle (PADV). Or, ces parents

peuvent se heurter à différents obstacles tels que l’insuffisance des services de soutien à la

parentalité et la présence d’éventail d’idées reçues, de stéréotypes et de croyances négatives

à l’endroit des personnes ayant une DV, plus particulièrement, à l’égard de leur capacité à

répondre aux besoins d’un enfant. Afin de mieux comprendre cette situation, la recherche

qualitative menée dans le cadre de cette maitrise en service social s’est intéressée aux facteurs

qui facilitent ou entravent l’expérience parentale de pères et de mères ayant une déficience

visuelle. Les objectifs de cette démarche sont : (1) identifier les facteurs personnels et

environnementaux influençant l’expérience et les pratiques parentales des PADV ; (2) décrire

les stratégies développées par les PADV pour vivre efficacement leur parentalité. Pour

répondre à l'objectif de la recherche, le cadre conceptuel du processus de production du

handicap a été utilisé afin de porter un regard sur les interactions entre les facteurs personnels

et les facteurs environnementaux. Dix parents ont participé à des entrevues individuelles

semi-structurées. L’analyse de contenu des données colligées a permis d’établir différents

constats. D’abord, le simple fait d’avoir une déficience visuelle ne doit pas être considéré

comme un empêchement à être parent. C'est l’interaction entre les facteurs personnels et les

facteurs environnementaux qui semble influencer la capacité à satisfaire les besoins des

enfants. Tous les participants ont mentionné avoir connu, à un moment ou un autre, des

difficultés dans la vie avec leurs enfants. D’un côté, la parentalité est vécue de façon plus

favorable si les parents estiment qu’ils ont accès à des services qui facilitent réellement la vie

avec leurs enfants. Sur ce plan, ils présentent les ressources institutionnelles, le soutien

informel, l’accessibilité universelle, l’aménagement de l’environnement, la planification et

l’intervention adaptée comme des « ingrédients » d’une parentalité satisfaisante. Entre autres,

les parents ayant développé différentes stratégies estiment que la parentalité symbolise fierté

et croissance personnelle. D’un autre côté, la parentalité est associée à des sentiments

d’injustice et de discrimination. Dans ce cas, ils soulignent que les idées reçues alimentent le

doute au sujet de leurs capacités à satisfaire aux besoins d’un enfant. Plus qu’une description

de l’expérience parentale, il faut voir dans ces résultats des points d’appui pour la réflexion,

une sorte de grille de lecture et d’analyse d’un groupe de population donnée.

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Table des matières

Résumé ............................................................................................................................................ii

Liste des tableaux et des figures ..................................................................................................... vi

Remerciements .............................................................................................................................. vii

Introduction .................................................................................................................................... 1

Chapitre 1 : Problématique ............................................................................................................. 3

1. 1. Objet d’étude : l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle ......... 3

1.1.1 Éléments de contexte ......................................................................................................... 4

1.1.2 Politiques et programmes en lien avec l’incapacité ........................................................... 4

1.1.3 Rôles de l'État québécois en matière de soutien au rôle parental .................................... 6

1.2 Démarche exploratoire ......................................................................................................... 7

1.2.1 Entretiens ........................................................................................................................... 7

1.3 Recension des écrits (démarche documentaire) ................................................................... 8

1.3.1 Expérience de parentalité avec une déficience visuelle .................................................... 8

1.3.2 Préjugés à l’égard des PADV .............................................................................................. 9

1.3.3 Pratiques parentales de PADV ......................................................................................... 10

1.3.4 Réseau de soutien ............................................................................................................ 10

1.3.5 Stratégies développées .................................................................................................... 11

1.3.6 Barrières dans le milieu de vie ......................................................................................... 11

1.4 Limites méthodologiques des études ................................................................................. 12

1.5 Pertinence du projet de recherche ..................................................................................... 13

1.5.1 Pertinence scientifique..................................................................................................... 13

1.5.2 Pertinence sociale ............................................................................................................ 13

1.5.3 Pertinence professionnelle .............................................................................................. 14

1.5.4 Pertinence personnelle .................................................................................................... 15

Chapitre 2 : Cadre d’analyse ......................................................................................................... 16

2.1 Éléments de contexte .......................................................................................................... 16

2.2 Définition du modèle théorique .......................................................................................... 18

2.3 Principaux concepts du modèle théorique ......................................................................... 19

2.4 Utilisation du modèle théorique ......................................................................................... 20

2.5 Définition des autres concepts ............................................................................................ 21

2.5.1 Concept de parentalité ..................................................................................................... 21

2.5.2 Personnes ayant une déficience visuelle ......................................................................... 22

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Chapitre 3 : Méthodologie ............................................................................................................ 24

3.1 Approche privilégiée ........................................................................................................... 24

3.2 Type de recherche ............................................................................................................... 24

3.3 Population à l’étude ............................................................................................................ 24

3.4 Terrain de recherche ........................................................................................................... 26

3.5 Procédures de recrutement ................................................................................................ 26

3.6 Techniques de collecte des données .................................................................................. 26

3.7 Instrument de collecte des données ................................................................................... 27

3.8 Analyse des données ........................................................................................................... 28

3.9 Considérations éthiques ...................................................................................................... 29

Chapitre 4 : Résultats .................................................................................................................... 31

4.1 Présentation générale des participants .............................................................................. 31

4.1.1. Profil des participants ..................................................................................................... 32

4.2 Facteurs personnels ............................................................................................................ 33

4.2.1 Système organique et aptitudes ...................................................................................... 34

4.2.2 Facteurs identitaires ......................................................................................................... 38

4.3 Facteurs environnementaux ............................................................................................... 45

4.3.1 Facteurs microsociaux ...................................................................................................... 45

4.3.2 Facteur méso-sociaux ....................................................................................................... 54

4.3.3 Facteurs macrosociaux ..................................................................................................... 58

4.4 Stratégies développées par les PADV ................................................................................. 60

4.4.1 Stratégies personnelles .................................................................................................... 60

4.4.2 Stratégies environnementales ......................................................................................... 63

Chapitre 5 : Discussion .................................................................................................................. 68

5.1. Facteurs qui entravent l’expérience de parentalité de PADV ............................................ 68

5.2 Facteurs qui facilitent l’expérience de parentalité de PADV .............................................. 73

5.3 Recommandations .............................................................................................................. 77

5.4 Limite de l’étude ................................................................................................................. 80

Conclusion ..................................................................................................................................... 83

Références ..................................................................................................................................... 86

Annexe I: Courriel de correspondance avec les intervenant(e)s pour le recrutement................. 93

Annexe II Affiche ........................................................................................................................... 94

Annexe III - Guide d'entrevue ....................................................................................................... 95

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Annexe IV Liste des ressources utiles .......................................................................................... 100

Annexe V Opérationnalisation des concepts .............................................................................. 101

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Liste des tableaux et des figures

Tableau 1: Mots clés utilisés pour la recherche documentaire ............................................................ 8

Tableau 2: Critères de sélection ........................................................................................................ 24

Tableau 3: Caractéristiques sociodémographiques des participants ................................................. 32

Figure 1: MDH-PPH 2 ...................................................................................................................... 18

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Remerciements

Je tiens à souligner le travail et le soutien de ma directrice, Mme Émilie Raymond

dans la réalisation de mon projet. Celle-ci m’a accompagnée dans le développement de mon

sens critique et m’a appris à communiquer de manière plus rigoureuse et stratégique. Merci

à Émilie pour ton assiduité, tes commentaires constructifs et tes encouragements, et ce, à

travers chacune des étapes nécessaires à la réalisation de ce mémoire.

Un merci particulier à l’ensemble des participants et des participantes ayant pris part

à la recherche, ainsi que les personnes qui ont soutenu nos efforts de recrutement. Merci à

toutes ces personnes qui ont accepté de parler de leur vécu de parents. Elles l'ont fait en toute

simplicité, ouverture et générosité.

Je tiens aussi à souligner le soutien financier de l’institut national canadien pour les

aveugles INCA qui m’a permis de me consacrer à ce travail de recherche. J'ai également eu

la chance de bénéficier du soutien de Mélanie pour la correction finale du document, ce qui

m’a épargné bien des angoisses.

Je désire remercier toutes les personnes qui m'ont soutenu tout au long de ce projet

d’étude de longue haleine. Toutes ces personnes qui ont su : accueillir mes joies; mes

angoisses et mes déceptions; en se montrant toujours disponibles pour partager leurs avis à

travers mon projet de rédaction! Bref, merci à vous tous chers amis et proches que j'ai

négligés trop souvent.

Bien entendu, je termine ces remerciements en soulignant l’appui et le soutien

perpétuel de mon réseau familial tout au long de mes études. Un merci bien spécial à mon

père Valentin, à ma mère Christine, à mes sœurs Élisabeth, Josiane et à mes frères Hyacinthe,

Edmond, Antoine, qui m’inspirent par leurs grandes qualités humaines, professionnelles, leur

persévérance et leur dévouement. Merci aussi à ma belle-famille pour votre présence et vos

encouragements. Finalement, Frederick, les mots me manquent pour formuler avec justesse

ma reconnaissance pour ton appui à travers mon aventure aux études supérieures.

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Introduction

Depuis les années 1980, au Québec, plusieurs lois, politiques et programmes sociaux

ont été mis en place pour assurer la participation sociale des personnes ayant des incapacités,

notamment sur le plan de l’accessibilité des services et des lieux publics (OPHQ, 2010).

Cependant, bien que le gouvernement du Québec ait adopté ces mesures en matière

d’accessibilité universelle et de réduction des inégalités, les politiques sociales portent peu

d’attention au thème de la parentalité des personnes ayant des incapacités et aucune mesure

spécifique de soutien n’existe présentement pour elles. D’ailleurs, la société ne perçoit pas

toujours le statut de parent comme un droit fondamental pour les personnes ayant des

incapacités (Molden, 2014; Preston, 2010). En effet, l’expérience de parentalité de personnes

ayant des incapacités soulève des débats controversés et ambivalents sur la capacité de ces

personnes à réaliser efficacement leurs pratiques parentales au quotidien (Kent, 2002;

Kirshbaum & Olkin, 2002).

Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience

visuelle (pour la suite, nous utiliserons souvent l’acronyme PADV). Notre recherche se situe

dans un paradigme épistémologique constructiviste, lequel appréhende la réalité sous la

forme de constructions mentales à base sociale et expérientielle. En ce sens, l’étudiante

chercheuse en interaction avec la réalité étudiée produit des connaissances scientifiques qui

peuvent changer à mesure que les informations deviennent plus éclairées ou complexes

(Guba & Lincoln, 1994). La recherche vise à mieux comprendre les facteurs qui facilitent ou

entravent l’expérience parentale de pères et de mères ayant une déficience visuelle (DV).

Plus précisément, ce mémoire tente de répondre aux questions que voici: 1) Quels sont les

facteurs personnels et environnementaux influençant l’expérience et les pratiques parentales

des PADV? 2) Quelles sont les stratégies développées par les PADV pour vivre efficacement

leur parentalité? Afin d’atteindre ces objectifs, nous avons utilisé un devis de recherche

qualitatif. Ainsi, dix entretiens de recherche ont permis d’avoir le point de vue de parents

ayant une DV sur leurs réalités.

Ce document est divisé en cinq chapitres. Le premier chapitre aborde la

problématique de l’expérience parentale de PADV en tentant de rendre compte de l’état

actuel des connaissances sur ce sujet. Le deuxième chapitre présente le cadre d’analyse

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retenu, soit le Modèle de développement humain-processus de production du handicap

(MDH-PPH2) (Fougeyrollas, 2010). Ce modèle mènera à considérer l’interaction entre les

facteurs personnels et les facteurs environnementaux afin de mieux comprendre l’expérience

et les pratiques parentales de PADV. Le troisième chapitre décrit la méthodologie retenue

pour le projet de recherche, incluant une justification de l’approche qualitative retenue, une

présentation de notre outil de collecte de données, ainsi qu’une explication de notre méthode

d’analyse des données. Le quatrième chapitre se consacre à la présentation de résultats, soit

ceux se rapportant à la satisfaction des besoins de l’enfant. Pour terminer, une discussion

ainsi que des recommandations et limites de la recherche sont formulées au cinquième

chapitre.

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Chapitre 1 : Problématique

Ce chapitre comprend la problématique entourant l’expérience de parentalité de

PADV, ainsi que la recension des écrits portant sur le phénomène étudié.

1. 1. Objet d’étude : l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle

La parentalité avec une DV est un axe de recherche peu développé. Pour l’instant, la

recension des écrits nous a permis de trouver une quinzaine de publications. Ce sujet a

particulièrement été peu exploré au Québec, bien qu'il ait intéressé certains chercheurs dans

d'autres pays, surtout de langue anglaise. Il se situe au carrefour de deux domaines de

recherche : celui de l’incapacité et celui de la parentalité. Contrairement aux premiers

travaux, qui s'intéressaient aux effets de la déficience visuelle sur les capacités parentales

(Chinnery & Westbrook, 1995; Portalier, 1991; Rossetti,1997), la présente étude aborde le

sujet en explorant les perceptions et les expériences de parents vivant cette situation.

Rappelons que sur le plan historique, les personnes ayant une incapacité physique ou

intellectuelle ont souvent été jugées inaptes à accomplir le rôle de parent (Farber, 2000 ; Grue

& Laerum, 2002 ; Prilleltensky, 2004). D’ailleurs, les écrits rapportent que la stigmatisation

sociale de ces personnes s’accroît lorsqu’elles font le choix de devenir parents. Au sujet de

parents ayant une DV, Kent (2002) mentionne une pression sociale importante. Dans son

article, l'auteure, qui est une femme ayant une DV, réfléchit aussi bien sur ses expériences de

grossesse, d'accouchement, que sur ses pratiques parentales pour répondre aux besoins de

son enfant. D’une part, elle examine les préjugés négatifs portés à l’endroit des femmes ayant

une DV qui font le choix de devenir parent. D’autre part, elle souligne les effets de ces

préjugés dans la vie du PADV. Par exemple, Kent (2002) mentionne que les membres de la

communauté remettaient souvent en question sa capacité à faire face à la responsabilité de

prendre soin de son enfant et de s'occuper de son propre bien-être. Vu sous cet angle, être

parent avec une incapacité s'inscrit à l'extérieur des normes sociales dominantes (Kent, 2002;

Kirshbaum et Olkin , 2002).

Au cours des dernières décennies, la réalité des familles québécoises s’est présentée

de façon différente. Les modèles familiaux sont de plus en plus éclatés et il y a davantage de

façon d’être père ou mère qu’auparavant (Camirand & Aubin, 2004; Deslauriers, 2002).

Selon les époques, l’accomplissement du rôle parental résidait alors dans la répartition des

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tâches domestiques, dans la capacité d’être un bon pourvoyeur et dans la relation émotive

maintenue avec l’enfant. (Deslauriers, 2002). Par ricochet, ces aspects ont influencé les

normes sociales de la parentalité. Cependant, Parent et et ses collaborateurs (2008) et Young

(1999) insistent sur la nécessité d'une conception plurielle de la parentalité, à laquelle

cherchera à contribuer notre mémoire de maîtrise.

1.1.1 Éléments de contexte

Une proportion des femmes et des hommes ayant des incapacités souhaite, comme

leurs concitoyens, devenir parents. D’ailleurs, des intervenants soulignent qu’il y aurait de

plus en plus de personnes ayant des incapacités qui décident d’avoir un enfant (La Presse,

2015). Ces individus constituent une population hétérogène en raison de la nature de leur

incapacité (sensorielle, physique, cognitive, etc.) et du mode de parentalité qu’ils choisissent

(naissance ou adoption) (Preston, 2010; Rivera Drew, 2009).

Selon l’Enquête québécoise sur les limitations d’activités (EQLAV) 2010-2011, la

proportion de personnes ayant une incapacité parmi la tranche d’âge comprise entre 15 ans

et 64 ans1 est estimée à près de 28 % (ce qui correspond à environ 1 523 400 personnes)

(Institut de la Statistique du Québec, 2013). Plus précisément, les données statistiques

indiquent que 3.7 % des personnes ont une incapacité liée à la vision à (Institut de la

Statistique du Québec, 2013). Comparativement aux estimations d’enquêtes sur l’incapacité

réalisées dans le passé, ces résultats montrent un accroissement du taux d’incapacité visuelle

chez les personnes âgées de 15 ans à 64 ans. Ils indiquent également que les femmes sont

davantage atteintes par ce type d’incapacité que les hommes en raison de l’âge, vu la plus

grande longévité des femmes.

1.1.2 Politiques et programmes en lien avec l’incapacité

À partir des années 1950 et 1960, plusieurs pays occidentaux ont connu de

nombreuses transformations économiques, familiales, sociales et politiques (Ministère de la

Santé et des Services sociaux, & Desrosiers, 1996; Vaillancourt, 2011). Ces mutations

sociales, inscrites dans le contexte de la prospérité d’après-guerre, période dénommée les

« Trente glorieuses » ont amené les gouvernements à repenser les politiques sociales, ce qui

1 La tranche d’âge de 15 à 64 ans sera retenue comme étant reliée à la parentalité. Les données statistiques

engloberont l’incapacité légère, modérée ou grave.

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va contribuer à l'amélioration des conditions de vie de certains groupes

sociodémographiques. Pour les personnes ayant des incapacités, l’émergence d’un

mouvement social national et international visant la reconnaissance de leurs droits dans les

années 1960 et 1970, va entrainer des changements majeurs (Fougeyrollas, 2010). Au

Québec, par exemple, la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées en vue

de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale est adoptée en 1978 (Gouvernement du

Québec, 2005). Quelques années plus tard, soit en 1985, c’est la politique d'ensemble « À

part... égale. L'intégration sociale des personnes handicapées : un défi pour tous » qui est

adoptée (OPHQ, 1984). Le 4 juin 2009, le gouvernement du Québec a adopté la politique À

part entière : pour un véritable exercice du droit à l’égalité (Gouvernement du Québec, 2009).

Ces efforts gouvernementaux jettent les premiers jalons de mesures visant une participation

accrue des personnes ayant des incapacités dans diverses sphères de vie (professionnelle,

familiale, sportive et autres). Plus spécifiquement, la politique « À part entière » appelle à

l’innovation face aux nouvelles réalités observées dans les familles québécoises. Les familles

où l’un des parents à une incapacité représentent une nouvelle forme de vie familiale, qui

sera à l’examen dans notre projet de recherche.

À l’échelle internationale, le 13 décembre 2006, l'Assemblée générale des Nations

Unies adoptait la Convention relative aux droits des personnes handicapées (Nations unies,

2008). En 2010, le Canada ratifiait ladite Convention des Nations Unies. L'article 23 de cette

Convention traite spécifiquement des droits des parents ayant des incapacités:

« Il convient d'éliminer la discrimination dans ce qui a trait au mariage, à la

famille et aux relations personnelles. Les personnes handicapées

bénéficieront des mêmes chances d'exercer des fonctions parentales, de se

marier et de fonder une famille, de décider du nombre de leurs enfants et de

l'espacement des naissances, d'avoir accès à l'éducation en matière de

procréation et de planification familiale, et auront les mêmes droits et

responsabilités en matière de tutelle, curatelle, de garde et d'adoption

d'enfants ».

La Convention, qui considère les personnes ayant une incapacité comme des membres

actifs de la société, recommande que celles-ci puissent aussi bénéficier du droit de devenir

parent. Elle insiste sur leurs capacités de prendre des décisions touchant leur quotidien.

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En synthèse, les données statistiques ci-dessus dressent un portrait d’ensemble de

notre population cible, c’est-à-dire de la population pour laquelle l’étudiante-chercheuse a

besoin de l’information. En outre, les politiques dans le domaine des incapacités représentent

des efforts gouvernementaux qui combinent des discours aux actions concrètes. C’est dans

un tel cadre qu’il devient pertinent d’examiner une partie de cette population de PADV, dans

le but de dégager ce qu’il est possible d’apprendre à partir de l’expérience et des pratiques

parentales d’un échantillon plus restreint. Les nouvelles connaissances développées

permettront donc de mieux comprendre les réalités des PADV, soutenant des interventions

et des services mieux adaptés à ces personnes. Il sera par ailleurs important de moduler les

programmes en fonction des situations des personnes.

1.1.3 Rôles de l'État québécois en matière de soutien au rôle parental

L’énoncé de politique familiale des années 1980 mettait surtout des prestations

monétaires au bénéfice de l’ensemble des familles québécoises. Au cours des années 1990,

on assiste au développement d’une variété de programmes destinés aux parents (cours

prénataux, congé parental, services de garde, soutien aux enfants, etc.). Aujourd’hui, les

parents québécois peuvent s’appuyer sur un réseau de services de soutien au rôle parental.

Les interventions sont conçues à l’intention des parents ayant des enfants en bas âge et

mettent les parents au centre des actions. Ces initiatives poursuivent parfois le but de

discipliner ou d’exercer un contrôle sur la cellule familiale, parfois celui d’accompagner, de

soutenir ou d’encourager cette même cellule familiale (Conseil de la famille et de l’enfance,

2008). Autrement dit, certaines initiatives visent le soutien du rôle parental, d’autres

l’augmentation des compétences parentales (Parent et Brousseau 2008). Ces nouvelles

initiatives sociales considèrent les parents comme étant dès la naissance des déterminants

essentiels au bien-être, au développement et à l’épanouissement de l’enfant. En cela, ces

programmes marquent un changement d’objectif dans les politiques liées à la famille et

l’enfance (Parent & Brousseau, 2008).

Ces programmes ne présentent pas de mesure spécifique pour les parents ayant des

incapacités. Toutefois, des services dédiés à ces personnes existent afin de combler les

besoins spécifiques auxquels sont confrontés les parents ayant des incapacités. Nommons le

programme « Parent Plus » offert au centre de réadaptation Lucie-Bruneau à Montréal

(Vincelli, 2003) et le centre Through The Looking Glass (TLG) à Berkeley aux États-Unis

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(Toms Baker & Maralani, 1997). La mise sur pied de ces services entendait favoriser

l’accessibilité aux ressources, à la formation et à l'assistance technique pour les parents ayant

des incapacités et leurs enfants.

1.2 Démarche exploratoire

Comptant des entretiens explorations et une recension des écrits, la démarche

exploratoire que nous avons initiée avait pour but de confirmer la pertinence de notre étude,

ainsi que de mettre en évidence les thèmes présents dans les écrits recensés et les questions

restant sans réponses.

1.2.1 Entretiens

Trois personnes ressources (travailleurs sociaux) ont été consultées avant la mise sur

pied de ce projet de recherche. Les entretiens avec ces intervenants et intervenantes exerçant

auprès de la population cible ont permis un certain « défrichage » afin de compléter les

connaissances tirées des lectures, de prendre en considération d’autres éléments pertinents

de l’objet d’étude, de saisir la complexité de notre champ d’investigation et de faire émerger

des nouvelles idées ou hypothèses (Van Campenhoudt & Quivy, 2011). Ce premier contact

avec le terrain nous a aussi permis de cerner les écueils à éviter.

Selon le récit des intervenants, les PADV estiment que la société exige qu’ils puissent

tendre vers la perfection dans les réponses apportées aux besoins de leurs enfants. Cela

engendre un niveau de stress plus élevé chez les PADV. Les propos des intervenants n’étaient

pas nécessairement concordants d’un sujet à l’autre. Par exemple, certains verbatim mettent

en évidence que les PADV demandent de l’aide lorsqu’ils se sentent en difficultés

(alimentation, éducation et sécurité). D’autres rapportent que quelques PADV se sont vus

imposer une aide pour l’éducation de leurs enfants. Ce résumé présenté par les entretiens

avec les intervenants ne tient pas compte de la réalité des PADV qui vivent sans l’aide des

services sociaux. Les professionnels pensaient que la recherche pourrait être un regard moins

intrusif qui permettrait, d’une part de mieux comprendre ce que les PADV vivent et d’autre

part les résultats de l’étude pourraient contribuer à une meilleure intervention auprès de cette

clientèle.

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1.3 Recension des écrits (démarche documentaire)

La recherche documentaire réalisée visait tout d’abord à explorer le concept de

parentalité en considérant uniquement les expériences de PADV. Confrontées à la rareté

d’écrits sur ce sujet, nous avons élargi le champ de recherche aux parents ayant une incapacité

physique. Cela nous a permis de répertorier une vingtaine d’articles qui examinent

l’expérience et les pratiques parentales des parents se déplaçant en fauteuil roulant, ayant une

déficience visuelle ou auditive.

Pour la recension des écrits, les bases de données SocIndex, Social Services

Abstracts, Sociological abstract, PsycINFO et Social Work Abstracts (Ovid) ont été

consultées pour la période de 1990 à 2016. D'autres articles ont aussi été consultés à partir

des références citées dans les divers articles recensés. Le tableau 1 présente les concepts qui

ont été utilisés afin de dégager une littérature pertinente en lien avec le sujet.

Tableau 1: Mots clés utilisés pour la recherche documentaire

Parentalité Parenting, parenthood, motherhood, parental role,

parent-child relationship, conditions de parent, rôle

parental, compétences parentales

Parents ayant une DV disability, disabled parent, disabled mother, parent with

disability, physical disability, blindness, visual

impairement, sight loss

Dans la prochaine section, nous présenterons les principaux aspects abordés par les

chercheurs dans les publications recensées. Ces données ont été regroupées en fonction de

cinq thèmes : les préjugés à l’égard des PADV, les pratiques parentales, le réseau de soutien,

les stratégies développées et les barrières dans le milieu de vie.

1.3.1 Expérience de parentalité avec une déficience visuelle

Certaines études rapportent que la sévérité de la DV affecte la possibilité d’être en

couple ou de devenir parent. Ainsi, l’étude de Kirshbaum & Olkin (2002) spécifie que le

désir de maternité ou de paternité des personnes ayant une DV est inférieur de 56 %,

comparativement à celui des adultes sans incapacités. De plus, lorsque le degré de sévérité

de la DV est élevé, le trouble visuel altère les aptitudes des parents en ce qui concerne

l'organisation de la vie quotidienne (Conley-Jung & Olkin, 2001; Kirshbaum & Olkin, 2002).

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Toutefois, même si la réalisation des pratiques parentales est rendue plus difficile par la DV,

aucune des recherches consultées ne mentionne la négligence à satisfaire les besoins des

enfants ou la compromission de l’état de santé des enfants en raison des incapacités du parent.

Les écrits rapportent plutôt que lorsque les PADV éprouvent des difficultés dans leurs tâches

parentales, elles délèguent certaines tâches à un autre membre de la famille ou de l’entourage

(Conley-Jung & Olkin, 2001).

Rappelons qu’une grande partie des premières recherches sur la parentalité des

personnes ayant des incapacités s’intéressait aux compétences parentales en relation avec les

incapacités. Autrement dit, ces études mettaient l’accent sur les effets et les conséquences

potentiellement délétères des incapacités sur la satisfaction des besoins de l’enfant (Chinnery

& Westbrook, 1995). Par la suite, d’autres projets ont davantage examiné comment les

PADV construisent, pensent et vivent la parentalité afin de mieux comprendre l’ensemble du

processus par lequel les PADV répondent aux besoins de leurs enfants (Molden, 2014;

Pagliuca, Uchoa & Machado, 2009; Rosenblum, Hong & Harris, 2009). Les chercheurs se

sont surtout intéressés à l'expérience des mères ayant une DV, et peu à celle des pères ayant

une DV. Seulement deux études considèrent la fois l'expérience des mères et des pères

(Pagliuca, Uchoa & Machado, 2009; Toms Barker & Maralani, 1997). Nous envisageons aussi

de donner la parole aux hommes afin de combler cette lacune dans les écrits.

1.3.2 Préjugés à l’égard des PADV

Même si les écrits consultés montrent que la parentalité est perçue comme une

expérience positive par les PADV (Rosenblum, Hong & Harris, 2009), plusieurs travaux

soulignent les craintes des PADV d'être jugés par rapport à la satisfaction des besoins de leurs

enfants, ou encore de perdre la garde de leurs enfants (Kent, 2002; Kirshbaum & Olkin, 2002

Molden, 2014). Des témoignages recueillis auprès de PADV au Royaume-Uni et aux États-

Unis indiquent que la crainte de se faire retirer la garde de leurs enfants et la nécessité de

devoir constamment démontrer leurs aptitudes en tant que parent est une source de stress

(Molden, 2014). Dans l’imagerie populaire, les PADV sont généralement considérées

comme inéligibles pour la maternité ou la paternité. D’une part, les PADV sont perçus

comme des personnes asexuées (Begley et al., 2009; Kent, 2002). D’autre part, les PADV

sont considérés comme des personnes incompétentes et incapables de prendre soin d’eux-

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mêmes, et donc encore moins d’un enfant (Kent. 2002). La société leur exige constamment

de confirmer leurs aptitudes et habiletés à prendre soin de leur enfant. De telles exigences de

performances engendrent souvent chez les PADV des sentiments de détresse et de colère

envers les membres de la communauté, les intervenants du réseau institutionnel et ceux des

organismes communautaires (Molden, 2014).

1.3.3 Pratiques parentales de PADV

Maintes études démontrent que dans un contexte où la place et la valorisation de la

parentalité sont si fragiles, les PADV parlent non seulement des difficultés, mais également

de leur cheminement et de leur plaisir à être parent (Molden, 2014; Pagliuca, Uchoa &

Machado, 2009; Rosenblum, Hong & Harris, 2009). Selon ces chercheurs, pour les PADV,

comme pour la grande majorité de parents, l’enfant est un enjeu et ils s’investissent pour

prendre une position active au sein de la relation parent-enfant. D’autres études laissent voir

que ces parents ont conscience de tâches qui leur incombent. Ils reconnaissent leurs

difficultés à réaliser certaines tâches de la vie courante. Leurs inquiétudes sont liées à

l'allaitement maternel, les bains, l'alimentation, les accidents domestiques et l’administration

de médicaments. Les PADV utilisent fréquemment le toucher, l'ouïe, l'odorat, les

technologies adaptées et le réseau de soutien pour répondre aux besoins de leurs enfants. Par

exemple, ils surveillent la température de l’enfant malade à l’aide d’un thermomètre sonore

(Kirshbaum & Olkin, 2002; Pagliuca, Uchoa & Machado, 2009).

1.3.4 Réseau de soutien

Les recherches présentent une diversité de forme de soutien dont les PADV peuvent

bénéficier. Cela inclut l’aide de professionnels de la santé et des services sociaux qui

constituent le réseau de soutien institutionnel (Kirshbaum & Olkin, 2002). Les bénévoles, le

chien-guide, les amis, les membres de la famille ou du voisinage quant à eux se retrouvent

dans le réseau de soutien informel (Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden, 2014). En outre, les

groupes de soutien en ligne renforcent le sentiment de sécurité, de contrôle et de confiance

en soi des PADV et favorisent le partage de connaissances entre parents vivant les mêmes

réalités (Kent, 2002; Molden, 2014). Ainsi, la nécessité de briser l’isolement par le biais d’un

bon réseau de soutien est un besoin réel documenté dans les écrits consultés (Conley-Jung &

Olkin, 2001; Kent, 2002; Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden, 2014; Pagliuca, Uchoa &

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Machado, 2009). Les besoins de soutien des PADV englobent à la fois la dimension

émotionnelle et pratique dans la vie avec leur enfant (Molden, 2014).

1.3.5 Stratégies développées

Les difficultés personnelles rencontrées par les parents ayant une DV concernent non

seulement les aspects émotifs habituels liés à la maternité ou à la paternité (Kent, 2002;

Preston, 2010; Rivera Drew, 2009), mais aussi les soins aux enfants, ainsi que les tâches

domestiques (Camirand & Aubin, 2004; Kirshbaum & Olkin, 2002). Comme les autres

parents, les PADV aiment leurs enfants et accordent une grande importance à la parentalité

Molden, 2014; Pagliuca, Uchoa & Machado, 2009; Rosenblum, Hong & Harris, 2009). Ils

prennent soin des enfants, de leur éducation, de leur socialisation, et assurent des tâches

domestiques. Par contre, la déficience visuelle est une différence qui transforme les

conditions dans lesquelles elles exercent leurs rôles familiaux et sociaux (Camirand & Aubin,

2004; Kent, 2002 ; Molden, 2014). Ils ont besoin d'être bien organisés, de planifier

minutieusement leurs tâches et de se construire un bon réseau de soutien (Kent, 2002).

Par ailleurs, les écrits consultés révèlent que la sévérité de la DV n’explique qu’une

partie des difficultés rencontrées par les parents dans la vie avec leur enfant. Ceci laisse croire

que d’autres facteurs (personnels ou environnementaux) ont une influence sur l’expérience

de parentalité de personnes ayant une DV (Kent, 2002). Voici ce que disent les publications

quant aux facteurs environnementaux qui peuvent influencer la satisfaction des besoins de

l’enfant chez des PADV.

1.3.6 Barrières dans le milieu de vie

Begley et ses collaborateurs (2009) présentent les défis auxquels font face les

personnes ayant des incapacités sous l’angle des « barrières » et « facilitateurs » dans l'accès

aux services au cours de la grossesse, l'accouchement et la satisfaction des besoins des enfants

en bas âge. L’interaction des PADV avec l’environnement social et physique peut affaiblir

leurs aptitudes dans l’accomplissement de leurs tâches parentales en raison des nombreux

obstacles auxquels ils doivent faire face (Begley et al.,2009). Ainsi, ils peuvent éprouver des

difficultés à bien répondre aux besoins de leur enfant et ressentir la nécessité de recourir à

des services plus spécialisés pour les aider dans la vie avec leur enfant. Ces difficultés

concernent principalement la mobilité et l'orientation aussi bien dans les établissements de

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soins de santé que dans l’espace urbain. Par exemple, le transport est très souvent mentionné

par les chercheurs comme un défi majeur. Les PADV rencontrent également des difficultés

sur le plan de la communication. L’utilisation du Braille, des systèmes sonores, des

impressions agrandies dans les différents services faciliteraient leur accès à l’information

(Begley et al., 2009).

En résumé la recension des écrits nous amène à constater que les connaissances

concernant l’expérience de parentalité lorsque la personne présente une DV restent à

développer. Largement étudié sur le plan sociologique, anthropologique, juridique et social,

le concept de parentalité demeure peu documenté lorsque la situation de handicap est prise

en compte, une carence étayée par plusieurs auteurs (Kirshbaum et Olkin, 2002, Molden,

2014).). Même s’il y a de nombreuses études portant sur les enfants ayant des incapacités,

les chercheurs examinent moins la vie de ces derniers à mesure qu'ils grandissent. Le vide

dans les connaissances est exacerbé lorsqu’il s’agit de la sexualité, de la vie familiale et

conjugale, de la maternité et de la paternité des adultes ayant des incapacités (Cowley, 2007,

Rivera Drew, 2009). Cette rareté des études renforce l’invisibilité de cette population dans

les différentes sphères gouvernementales (Preston, 2010). Cette invisibilité contribue par le

fait même à la méconnaissance collective des enjeux liés à la parentalité des personnes ayant

des incapacités (Le Blanc, 2009). Plus susceptibles de vivre de l’exclusion sociale, les

personnes ayant des incapacités doivent constamment s’ajuster à une société qui érige des

barrières visibles et invisibles compromettant l’exercice de leurs droits et leur pleine

participation sociale (Preston, 2010).

En somme, malgré le nombre croissant, depuis peu, d'écrits scientifiques sur la réalité

des parents ayant des incapacités, l'état de la recherche reste à un stade exploratoire et se

caractérise par un manque de connaissances à l'égard des stratégies développées par les

PADV pour vivre leur parentalité (Kirshbaum et Olkin, 2002).

1.4 Limites méthodologiques des études

Les résultats et les conclusions tirées des études présentées doivent être interprétés en

tenant compte des limites de ces dernières. D’abord, la recension des écrits réalisée dans le

cadre de cette étude rapporte en majorité des résultats de recherches réalisées dans des zones

anglophones (Grande-Bretagne, États-Unis, Canada anglais, Australie). Or, parmi les limites

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évoquées se trouve la portée des résultats, qui est restreinte à un contexte géographique

particulier. Ainsi, certains facteurs sociaux en lien avec l’expérience de parentalité,

notamment les politiques sociales et programmes sociaux, peuvent être différents

dépendamment de l’endroit où se déroule l’étude. Bien que plusieurs facteurs aient été

relevés à travers les écrits, peu d’études s’adressent directement au contexte particulier

québécois, alors qu’on sait que l’environnement peut influencer les besoins de parents ayant

une DV. Il est également important de noter que certaines études quantitatives utilisées

avaient un échantillon de moins de 30 participants, ce qui peut générer un biais de

surreprésentativité. Par ailleurs, le recrutement des participants s’est fait uniquement à travers

les organisations institutionnelles et non au sein de la communauté de manière générale.

1.5 Pertinence du projet de recherche

La parentalité de personnes ayant une déficience visuelle est un phénomène peu

exploré, mais d’une grande pertinence scientifique, sociale et professionnelle. À cet égard,

la pertinence de cette recherche peut s’apprécier successivement sur ces trois plans.

1.5.1 Pertinence scientifique

Depuis les trente dernières années, il faut souligner une littérature grandissante

portant sur l’expérience de parentalité et sur les personnes ayant des incapacités. Pourtant,

ces deux champs ne sont que rarement mis en relation, avec pour conséquence que ce que

signifie aujourd’hui être une mère ou un père ayant des incapacités soulève encore plusieurs

questions. À ce sujet, très peu de travaux analysent l’expérience de vie quotidienne de

parents ayant une DV. Faire connaitre leur expérience parentale et les pratiques qu’ils

développent pour répondre aux besoins de leurs enfants s’avère utile. Ainsi, notre recherche

est une contribution pour combler les lacunes de la recension des écrits. Elle s’attarde aux

facteurs personnels et environnementaux influençant l’expérience de parentalité. À partir du

point de vue des personnes concernées, la recherche favorise une compréhension à la fois

large et de l’intérieur du thème étudié.

1.5.2 Pertinence sociale

Tel que mentionné précédemment, la recherche a longtemps sous-estimé les capacités

des parents ayant une incapacité. Il s’agissait d’une vision qui favorisait le maintien des

préjugés envers les PADV et renforçait, par le fait même, une sorte d’exclusion sociale (Kent,

2002; Molden, 2014). Bien que le Québec fasse preuve d’un intérêt pour le développement

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de programmes de soutien à la parentalité ajustés aux changements de la société (Parent et

Brousseau 2008), des réponses plus ciblées tardent à être développées pour les parents ayant

des réalités différentes. Les résultats de notre projet de recherche permettent non seulement

de mieux connaître les besoins des PADV afin d’y répondre plus adéquatement, mais

également de promouvoir le bien-être des parents ayant une DV, deux éléments qui

représentent des déterminants essentiels dans le bien-devenir de leurs enfants (Molden,

2014). Par exemple, nos résultats peuvent aider à la conception et la mise sur pied de

programmes spécialisés pour l’intervention auprès des PADV.

1.5.3 Pertinence professionnelle

Si les ergothérapeutes et les psychoéducateurs sont les intervenants couramment

associés à la réadaptation physique, les travailleurs sociaux jouent aussi un rôle crucial dans

les services offerts aux personnes ayant des incapacités. En fait, l’intervention dans le champ

des incapacités implique généralement une équipe interdisciplinaire au sein de laquelle

chaque professionnel joue un rôle spécifique. Le travailleur social aide la personne à

optimiser son autonomie dans la réalisation de ses activités quotidiennes. S’appuyant sur des

valeurs telles que l’acceptation, l’autodétermination et le respect de la personne, les actions

du travailleur social visent l’augmentation de la confiance, la restauration de l’espoir et

l’optimisation de l’autonomie (Association canadienne des travailleurs sociaux ACTS,

2016).

Plus spécifiquement, l’évaluation du fonctionnement social est le cadre de référence

par excellence du travail social qui permet aux intervenants « de prendre en considération les

interactions et la relation de réciprocité entre la personne et son environnement, tout en

analysant ses conditions de vie et les problèmes sociaux auxquels elle peut être confrontée »

(Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec

(OTSTCFQ), 2012, p. 5). En ce sens le travailleur social fait une analyse contextuelle de la

situation vécue par la personne, en intégrant les éléments de l’environnement social et

physique qui influencent la situation-problème. Ce mode d’intervention met donc en

perspective les facteurs personnels et environnementaux qui aident ou au contraire freinent

l’individu dans la réalisation de ses activités de la vie quotidienne et de ses rôles sociaux. À

ce titre, les travailleurs sociaux peuvent devenir des acteurs clés dans la mise en place des

mesures spécialisées et de dispositifs adaptés pour soutenir la parentalité de PADV.

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1.5.4 Pertinence personnelle

Je suis atteinte de rétinite pigmentaire depuis l’âge de 8 ans. C’est une maladie

dégénérative qui requiert une constante adaptation en raison de la perte progressive du champ

visuel et de l’acuité visuelle. Au quotidien, je fais des efforts importants pour être autonome

et pour aller plus loin dans la réalisation de mes rôles sociaux, notamment de mère et

d’étudiante. En 2013, suite à la naissance de mon fils, j’ai dû surmonter des défis particuliers

pour répondre à ses besoins. J’ai demandé conseil aux intervenants du Centre de réadaptation

en déficience physique de Québec pour des services d’aide à la parentalité des PADV. J’ai

réalisé qu’il n’existait aucune structure pour soutenir les PADV lorsqu’ils deviennent parents.

De plus, la documentation de l’expérience parentale de PADV était pratiquement inexistante

dans les centres de réadaptation et les centres de santé et de services sociaux. En plus de

répondre à un besoin criant, tel que démontré plus haut, le choix de mon sujet de recherche

est donc ancré dans ma trajectoire personnelle, rehaussant mon intérêt à son égard.

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Chapitre 2 : Cadre d’analyse

Ce chapitre présente le cadre conceptuel sur lequel s’appuie cette étude. D’une part,

il décrit le modèle de processus de production du handicap (MDH-PPH2) élaboré par

Fougeyrollas (2010). D’autre part, les principaux concepts associés au sujet à l’étude, soit la

parentalité et l’expression « personnes ayant une déficience visuelle » y sont définies.

2.1 Éléments de contexte

Élaboré spécifiquement dans le champ du handicap, le modèle de développement

humain et de processus de production du handicap (MDH-PPH) constitue un cadre d’analyse

propice pour notre projet de recherche. Il fournit un modèle conceptuel et explicatif pour

tenir compte des causes et des conséquences liées aux limitations que peuvent rencontrer les

individus en raison de maladies, de traumatismes ou de toutes atteintes au développement

(Fougeyrollas, 2010).

Historiquement, le modèle biomédical, fortement inspiré du paradigme positiviste

représentait le cadre de référence pour l’élaboration des politiques en matière d’incapacités.

La biomédecine s’attardait principalement à diagnostiquer et à traiter le mal déclaré. Elle a

ainsi contribué au développement d’une « vision mécaniste » axée sur des explications de

cause à effet linéaires des phénomènes (Fougeyrollas, 2010). À la fin des années 1940,

l’approche de guérison du modèle biomédical est remise en question due à la chronicité et

aux états persistants de certaines maladies mentales, évolutives et invalidantes (Fougeyrollas

&Roy, 1995).

À partir du milieu des années 1960, la conception du handicap connaît de profonds

changements. Elle s’éloigne progressivement de la vision biomédicale et inclut le rôle des

facteurs environnementaux pour comprendre comment se construit socialement la situation

des personnes ayant des incapacités (Fougeyrollas,2010). Dans le même sens, les travaux

issus de la conférence internationale tenue au Québec en 1987 sur l’application et

l’amélioration du cadre conceptuel de la classification internationale des déficiences,

incapacités et handicaps (CIDIH) mettent davantage l’accent sur la prise en considération des

variables environnementales (Fougeyrollas, 1991). C’est donc dans cette foulée de travaux

internationaux que s’amorce la conceptualisation du PPH. En 1989, Fougeyrollas publie des

écrits proposant une définition nouvelle du concept de handicap et un répertoire des habitudes

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de vie (Fougeyrollas (2002). Le modèle conceptuel proposé démontre pour la première fois

« la relation d’interaction entre les déficiences, les incapacités et les obstacles

environnementaux » (Fougeyrollas (2002). À travers ce modèle théorique, Fougeyrollas

souhaite démontrer que le handicap est un construit déterminé par des variables

environnementales et socioculturelles servant de régulateur à l’autonomie et à l’intégration

sociale de la personne dans son milieu (Fougeyrollas & Roy, 1995).

En 2010, Fougeyrollas apporte plusieurs précisions et changements à l’ancienne

proposition du PPH. Une nouvelle nomenclature est alors mise de l’avant tenant compte de

l’interaction entre l'individu et son environnement. Les facteurs de risques sont désormais

intégrés aux facteurs personnels, environnementaux et aux habitudes de vie. Concernant les

facteurs environnementaux, ils se décomposent en environnement sociétal (macro), en

environnement communautaire (méso) et en environnement personnel (micro). Les habitudes

de vie sont dorénavant définies par les concepts d’activités courantes et de rôles sociaux.

Finalement, le domaine des facteurs personnels intègre désormais les facteurs identitaires qui

insèrent la fonction du concept de résilience. Tous ces changements donnent naissance au

Modèle de développement humain et de processus de Production du handicap (MDH-PPH).

Ce dernier vient bonifier la première version du PPH. Son schéma conceptuel est présenté à

la figure 1.

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18

Figure 1: MDH-PPH 2

2.2 Définition du modèle théorique

Le MDH-PPH est un modèle conceptuel qui appréhende de manière simultanée

l’interaction entre l’individu et son environnement physique et social. En d’autres termes, ce

modèle propose une analyse des interactions entre les facteurs liés à la personne (sexe, âge

et identité culturelle) et à l'environnement (le contexte de vie de la personne) pour voir si la

personne est capable de réaliser ses habitudes de vie et donc d’être en situation de

participation sociale (Fougeyrollas, 2002).

Ce modèle récuse la vision biomédicale selon laquelle le handicap serait une

condition intrinsèque de la personne. Le MDH-PPH est plutôt issu du paradigme

constructiviste. En effet, il est le résultat d’une combinaison des théories interactionniste et

écosystémique (Fougeyrollas, 2002). Ainsi, le MDH-PPH permet de déconstruire la vision

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du handicap comme une fatalité ou une carence individuelle, ainsi que d’adopter une vision

plus positive et moins culpabilisante de cette différence. Par conséquent, le handicap doit

alors toujours être envisagé en tant que condition situationnelle plutôt que comme relevant

d’un certain déterminisme (Fougeyrollas, 2002).

Les récents travaux dans le champ du handicap ne conçoivent donc plus le handicap

comme le produit de la présence d'une déficience organique, mais le fruit d'une construction

sociale qui « se traduit par des restrictions à la participation sociale, un accès limité aux

conditions de survie et d’épanouissement ou aux droits garantis à chacun des citoyens valides

» (Fougeyrollas, 2010, p.22). Ce sont les barrières socialement érigées qui créent l'incapacité,

la situation de handicap et l'exclusion sociale (Fougeyrollas, 2002; Thomas & Curtis, 1997).

Dans le cadre de notre mémoire, nous avons essayé d’identifier et de comprendre le rôle

déterminant de l'interaction entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux

sur la réalisation des habitudes de vie notamment celui de la parentalité de PADV. D’ailleurs

la recension des écrits apporte un éclairage intéressant sur le thème de la parentalité de

personnes ayant une DV. Elle montre l'existence possible de plusieurs facteurs que le

chercheur devrait prendre en compte dans l’analyse des expériences et pratiques parentales

de PADV. Les résultats des travaux soulignent que les types de difficultés rencontrées par

les PADV ne peuvent s'expliquer uniquement par l'existence d'un élément personnel.

Quelques éléments environnementaux ont également alimenté les réflexions des chercheurs

relativement aux infrastructures, aux ressources matérielles et aux réseaux de soutien.

2.3 Principaux concepts du modèle théorique

Le MDH-PPH comprend donc trois principaux concepts. Le premier concept est celui

des facteurs personnels, qui renvoient aux caractéristiques propres à l’individu telles que

l'âge, le sexe et l'identité socioculturelle. Ces facteurs personnels englobent à la fois les

systèmes organiques, les aptitudes et les facteurs identitaires. Les systèmes organiques

correspondent à l’ensemble des composantes du corps humain (organes, cellules, muscles,

etc.). Les aptitudes réfèrent au potentiel d’un individu à accomplir une activité physique ou

mentale sans aucune considération des variables environnementales (Fougeyrollas, 2010).

Les aptitudes se mesurent donc sur « une échelle allant de la capacité optimale à l’incapacité

complète » (Fougeyrollas, 2010, p.158). Quant aux facteurs identitaires, ils englobent les

éléments sociodémographiques, les parcours de vie, les valeurs, croyances et autres. Il faut

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souligner l’importance accordée aux obstacles ou facilitateurs qui influencent la qualité de

participation sociale ou l’exercice des droits de la personne (Fougeyrollas, 2010).

Le deuxième concept comprend les facteurs environnementaux qui se subdivisent en

trois dimensions : « le micro environnement personnel (proximal, domestique) ; le méso

environnement communautaire et le macro environnement sociétal » (Fougeyrollas, 2010,

p. 178). Ces dimensions couvrent à la fois les facteurs physiques et facteurs sociaux qui

peuvent représenter un facilitateur ou un l’obstacle à la réalisation des habitudes de vie.

(Fougeyrollas, 2010).

Le troisième concept est celui des habitudes de vie. Ces derniers désignent l’ensemble

des activités que font les individus tout au long de leur vie. Les habitudes de vie englobent à

la fois les activités nécessaires à la survie (se nourrir, se vêtir, se soigner, etc.), les relations

interpersonnelles (amitié, vie de couple, vie sociale, etc.) et la réalisation des tâches de la vie

quotidienne (être étudiant, être parent, être employé, etc.). Autrement dit, elles couvrent deux

dimensions : les activités de la vie sociale et les rôles sociaux. Ces habitudes de vie résultent

principalement de l’interaction des facteurs personnels et des facteurs environnementaux.

Le MDH-PPH offre donc une vision holistique qui favorise une compréhension

globale de la réalité de la population cible. Le modèle a donc permis de dresser le portrait

des obstacles et des facilitateurs qui influencent l’expérience parentale de PADV. Par

exemple, les diverses dimensions de l’environnement social qui influencent les habitudes de

vie des participants à l’étude ont été examinées. De plus, les influences mutuelles des

différents facteurs ont été considérés. Il s’agissait d’explorer l’univers des interactions entre

les divers éléments du modèle. L’accent a donc été mis sur l’interaction entre les facteurs

personnels, les facteurs environnementaux et la réalisation des habitudes de vie.

L’importance que ce modèle accorde à l’interaction entre les facteurs personnels et

environnementaux est centrale, puisque son schème favorise une meilleure compréhension

des incapacités et du processus du handicap dans leur globalité et leur complexité.

2.4 Utilisation du modèle théorique

Le MDH-PPH se distance de l’approche diagnostique et de son effet stigmatisant, il

tend plutôt à normaliser la situation de vie des personnes ayant des incapacités. Ce cadre

théorique met de l’avant les éléments de l’environnement social et physique qui influencent

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la pleine participation sociale, sans pour autant négliger les facteurs personnels qui entrent

aussi en ligne de compte. Ainsi, l’utilisation du PPH dans le cadre de notre projet de recherche

nous a permis d’analyser à la fois les facteurs environnementaux et personnels. Il a aidé à

mieux saisir l’interaction entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux qui

déterminent le résultat situationnel de la performance dans la satisfaction des besoins de

l’enfant (Fougeyrollas et al., 1998).

2.5 Définition des autres concepts

Dans cette section, nous proposons des définitions du concept de parentalité afin de

décrire le phénomène et de dégager des distinctions dont il faudra tenir compte dans la

collecte et l’analyse de données. Par la suite, nous précisons la définition donnée par ce projet

de recherche à l'expression « personne ayant une déficience visuelle PADV ».

2.5.1 Concept de parentalité

De nombreuses définitions de la parentalité existent et elles tendent à varier selon le

champ disciplinaire dont il est question. Dans le domaine des sciences sociales, le concept

de parentalité peut être vu de façon large comme une fonction incluant à la fois des

responsabilités juridiques, morales et éducatives (Dictionnaire d’action sociale, 1995). Pour

mieux cerner et comprendre le concept de parentalité, le Centre d’études interdisciplinaires

sur le développement de l’enfant et de la famille (CEIDEF), s’appuyant sur les travaux de

Houzel (1999) et de Sellenet (2007) propose de considérer trois axes interdépendants :

l’expérience parentale, la pratique parentale et la responsabilité parentale (Lacharité, Pierce,

Calille, Baker, & Pronovost, 2015).

2.5.1.1 Expérience parentale

L'expérience parentale réfère à l’ensemble des pensées et des sentiments qui animent

le parent lorsqu’il réalise son rôle parental (Lacharité, Pierce, Calille, Baker & Pronovost,

2015). Cet axe englobe « des éléments tels que les attitudes, les croyances et les valeurs

parentales, la satisfaction parentale, le sentiment d’efficacité parentale, le stress parental et

la détresse parentale » (Lacharité, Pierce, Calille, Baker & Pronovost, 2015, p.3).

L’expérience parentale fait davantage référence aux aspects affectifs et psychologiques de la

réponse aux besoins des enfants.

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22

2.5.1.2 Pratique parentale

La pratique parentale désigne les comportements et les interactions du parent lorsqu’il

réalise son rôle parental. Plus spécifiquement, il s’agit des décisions et des gestes concrets

que pose le parent pour répondre aux besoins de l’enfant. Cet axe couvre trois dimensions :

les formes d’engagement parental; la disponibilité physique et psychologique du parent et les

actions indirectes que pose le parent pour répondre aux besoins de l’enfant (Lacharité, Pierce,

Calille, Baker & Pronovost, 2015). La pratique parentale fait davantage référence aux

fonctions parentales, c’est-à-dire aux tâches quotidiennes que les parents remplissent auprès

de l’enfant (Lacharité, Pierce, Calille, Baker & Pronovost, 2015).

2.5.1.3 Responsabilité parentale

La responsabilité parentale renvoie à l’ensemble des droits et des devoirs (sens

juridique socioculturel) qui incombent à tout parent d'un enfant et qui l'investissent d'une

obligation de choix et de protection quant à l'éducation et à la santé de son enfant (Lacharité,

Pierce, Calille, Baker & Pronovost, 2015). Cet axe englobe la manière dont un parent négocie

les valeurs et les normes de la communauté à laquelle il ou elle appartient. Il faut souligner

que la responsabilité parentale est évoquée dans le cadre de procédures administratives ou

judiciaires (protection de la jeunesse, séparation parentale, adoption, etc.)

Tout au long de notre recherche, nous faisons surtout référence à l’axe de l’expérience

parentale et à celui de la pratique parentale lorsque nous nous référons à la parentalité. Plus

spécifiquement, ces axes incluent les soins physiques et les soins affectifs apportés à l’enfant.

La parentalité désigne non seulement les aspects affectifs et psychologiques, nais également

l’ensemble des tâches quotidiennes que les parents remplissent auprès de l’enfant. L’accent

est principalement mis sur les sentiments, les pensées, les attitudes, les croyances, la

réalisation des tâches domestiques, des activités éducatives et du lien parent-enfant.

2.5.2 Personnes ayant une déficience visuelle

Au Québec, l’expression déficience visuelle est associée à la perte de l’acuité visuelle

ou du champ visuel. Une PADV a « la difficulté à lire les caractères ordinaires d’un journal

ou à voir clairement le visage d’une personne à une distance de 4 mètres » (Camirand, 2010,

p.61). À partir de ce seuil désignant la déficience visuelle, cette dernière possède des degrés

variables de perte de la vue, allant de la perte partielle de la vue à la cécité totale. Nous

Page 30: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

23

utiliserons l’expression personne ayant une déficience visuelle à l’image de ce cadre de

référence.

Page 31: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

24

Chapitre 3 : Méthodologie

Ce chapitre présente le cadre méthodologique de l’étude. Prenant appui sur le

paradigme épistémologique constructiviste dans lequel se situe cette recherche, il se propose

d’aborder les phénomènes sociaux comme étant socialement « construits par les individus

qui agissent en fonction de leur réalité subjective (Morris, 2006). Plus spécifiquement, il

décrit l’approche privilégiée, le type de recherche, la population à l’étude, le terrain de

recherche, les procédures de recrutement, les techniques et instruments de collecte des

données, le plan d’analyse, et finalement les considérations éthiques.

3.1 Approche privilégiée

Une méthodologie qualitative est proposée pour la réalisation de cette recherche dans

le but de documenter la parentalité de PADV et les facteurs personnels et environnementaux

pouvant favoriser ou entraver cette parentalité. Cette approche qualitative est utile pour

décrire de façon globale une réalité sociale (Deslauriers, 1991) et explorer en profondeur le

phénomène social étudié (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques & Turcotte, 2000). En effet, notre

recherche fournit des informations détaillées sur ce que vivent des PADV, puisque nous

faisons l’analyse de l’expérience de vie quotidienne de ces personnes en mettant l’accent sur

leurs perceptions, croyances et émotions (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques & Turcotte, 2000).

3.2 Type de recherche

Notre recherche est à la fois de type descriptif et exploratoire. La recherche est dite

exploratoire parce que les connaissances sur le sujet à l’étude sont encore à un stade

embryonnaire (Alain & Dessureault, 2009). Elle est aussi dite descriptive parce qu’elle

permet de documenter et d’exposer, grâce aux données directement recueillies auprès des

participants, les facteurs personnels et environnementaux qui influencent leur expérience

parentale

3.3 Population à l’étude

Pour la réalisation de l’étude, l’échantillon retenu est non probabiliste et constitué de

volontaires disponibles à participer à l’étude (Rubin et Babbie, 2014). Ces personnes devront

respecter les critères de sélection suivants :

Tableau 2: Critères de sélection

Entretiens Critères d’inclusion Critères d’exclusion

Page 32: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

25

Parents ayant une DV

n estimé ≤ 10 :

5 ayant une DV modéré et

5 ayant une DV grave

Avoir une

déficience visuelle

avant de devenir

parent ;

Être parent d’au

moins un enfant âgé

de moins de 18 ans;

Avoir la garde à

temps plein ou la

garde partagée (1/2

temps) de l'enfant ;

Être âgée de plus de

18 ans;

Comprendre la

langue française;

Résider dans la

région 03 de

Québec (Capitale-

Nationale).

Avoir un autre

handicap associé;

Connaitre

personnellement

l’étudiante-

chercheuse.

Afin de diversifier au maximum les données recueillies, nous avons recruté des

participants dont les situations et caractéristiques sont variées sur le plan du sexe des

participants, de l’âge des enfants, de la structure familiale, du type de garde et de l'origine

ethnique.

Par ailleurs, nous avons formé deux sous-groupes dans l’échantillon, puisqu’il nous

semble important de prendre en considération la sévérité de la déficience visuelle afin de

tenir compte de la spécificité des interactions, des besoins et des difficultés de chacun des

parents participants à l’étude. Cinq parents ont une DV modérée, alors que cinq autres ont

une DV grave. Dans l’analyse, nous cherchons à déterminer si certaines réalités sont

exclusives à l’un ou l’autre groupe, tout en identifiant les tendances ou situations qui

semblent faire écho à la parentalité des personnes participantes, sans égard à la sévérité de

leur déficience visuelle. Par ailleurs, il est à noter que si la déficience visuelle peut se

présenter et évoluer de manière différente selon le type de maladie de l’œil, cet aspect a été

pris en compte par le biais des questions portant sur les facteurs personnels, construites à

partir du MDH-PPH2.

Page 33: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

26

3.4 Terrain de recherche

La recherche s’est déroulée dans la région administrative 03, soit la Capitale-

Nationale, qui inclut la région métropolitaine de Québec et les régions plus rurales de

Charlevoix et Portneuf. Le choix de cette zone géographique repose sur la présence de

l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ), une institution qui a

soutenu le recrutement des participants. L’IRDPQ offre des services aux usagers résidant

dans la ville de Québec ou demeurant dans les milieux environnants tels que Portneuf et

Charlevoix. Les participants devaient donc résider dans la région 03.

3.5 Procédures de recrutement

Le recrutement s’est réalisé grâce au déploiement d’une démarche rigoureuse. Nous

avons établi une collaboration avec l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA) et

l’IRDPQ, notamment des intervenants en ophtalmologie et en service social, pour faire

connaître notre projet auprès de leurs usagers. Nous avons également sollicité le soutien des

organismes communautaires de la ville de Québec spécialisés en déficience visuelle, soit le

Regroupement des personnes handicapées visuelles et le Carrefour québécois des personnes

aveugles. Les intervenants de ces milieux ont été contactés suite à l’obtention de

l’approbation du Comité éthique et de la recherche dans le but de leur expliquer les objectifs

de la recherche et la procédure à suivre pour le recrutement des participants à l'étude (voir

Annexe I). Nos explications ont tenu compte de la réalité de chaque organisation. Afin de

préserver le lien de confiance avec l’intervenant(e), le projet a d’abord été présenté par le

milieu. L’étudiante-chercheuse est ensuite entrée en contact avec les personnes ayant

confirmé à l’intervenante leur intérêt d’être contactées pour recevoir davantage

d’informations sur le projet de recherche.

3.6 Techniques de collecte des données

L’entrevue représente une méthode judicieuse de collecte de données qualitatives.

Elle permet de recueillir la perception des participants et de comprendre de façon approfondie

les dimensions plus subjectives et complexes de leur vécu (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques &

Turcotte, 2000). Nous avons recueilli nos données par le biais d’entretiens semi-dirigés. Cet

instrument de collecte de données nous a permis d’explorer la réalité telle qu’elle est perçue

par les participants (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques & Turcotte, 2000). Ces derniers étaient

des mères et des pères ayant une DV et résidant dans la région administrative 03 du Québec.

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27

Lors des entretiens, nous avons posé des questions et avons eu une attitude favorable à la

mise en lumière du vécu des participants, qui étaient considérés comme les experts du sujet

étudié (Boutin, 2006). Les données des entrevues ont été enregistrées, puis retranscrites aux

fins d’analyse. Les données recueillies par ces deux sources ont fait l’objet d’une analyse de

contenu approfondie (Mayer & al, 2000).

Les entrevues ont eu une durée d’entre 90 et 120 minutes, ont eu lieu soit dans un des

milieux nommés plus haut (IRDPQ, INCA ou organisme communautaire), soit au domicile

des participants, selon le choix de ces derniers. Cette façon de procéder a été retenue pour

favoriser la participation de la population à l’étude, puisque faire l’entrevue dans un endroit

que les personnes apprécient a contribué à limiter les malaises pouvant être engendrés par

l’entretien (Boutin, 2006). D’autres stratégies pour assurer le confort des participants étaient

de poser les questions du schéma d’entrevue d’une manière souple et flexible, ainsi que

d’utiliser certaines habiletés et techniques de communication (clarification, renforcement,

reformulation, établir le lien de confiance, adapter le rythme de l’entrevue et autres) pour

stimuler l’expression des participants, effectuer un retour sur des éléments considérés

importants, ou approfondir des aspects spécifiques du thème de recherche (Mayer & al,

2000). De plus, selon Boutin (2006), certaines précautions doivent être prises lors d’un

entretien avec des personnes ayant des incapacités ou des difficultés. Ainsi, il a été important

de leur demander leurs préférences au sujet de l’organisation de l’espace où a eu lieu

l’entrevue, par exemple sur le plan de la lumière, du son, etc.

Le guide d’entrevue développé par l’étudiante-chercheuse a fait l’objet d’un prétest

auprès d’une personne répondant aux critères de sélection de l’étude. Cette phase de prétest

a permis non seulement de s’assurer de la validité de l’instrument de collecte de données,

mais aussi de vérifier la bonne compréhension et la pertinence des questions et d’y apporter

des changements si nécessaire.

3.7 Instrument de collecte des données

Après la signature du formulaire de consentement, l’entrevue a débuté par des

questions permettant de recueillir des données sociodémographiques des participants (sexe,

âge, lieu de naissance, date du diagnostic, type de pathologie, langue d’usage, nombre

d'enfants âgés de moins de 18 ans et âge, situation concernant la garde et statut matrimonial

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28

du participant). Ces informations ont fait ressortir les principales caractéristiques de la

population cible.

L'élaboration du guide d'entrevue (voir Annexe III) a tenu compte à la fois du thème

de la recherche et des buts de l'entrevue qui sont de répondre à la question de recherche et de

la documenter (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques & Turcotte, 2000). Il a principalement été

construit à partir des thèmes relevés dans la recension des écrits. Le guide d’entretien a été

organisé en fonction des deux grandes questions qui guident la recherche. En premier lieu, la

recherche vise à identifier les facteurs personnels et environnementaux influençant

l’expérience et les pratiques parentales des PADV. Pour ce faire, nous tenterons de répondre

à la question : quels sont les besoins vécus et/ou perçus par les PADV? En deuxième lieu,

nous avons pu décrire les stratégies développées par les PADV pour vivre efficacement leur

parentalité. La question explorée sera : quelles sont les stratégies développées par les PADV

pour vivre efficacement leur parentalité?

Chaque entrevue s’est terminé par la présentation par l’étudiante-chercheuse d’un

résumé des propos. Les participants étaient invités à corriger certaines erreurs

d’interprétation.

3.8 Analyse des données

Les entrevues individuelles de type semi-structuré réalisées auprès des parents ayant

une DV ont été enregistrées à l’aide d’un enregistreur numérique, puis retranscrites. La

transcription s’est faite au fur et à mesure du déroulement des entrevues. Cette démarche a

permis de constituer un texte reprenant intégralement les verbatim des participants (Mayer et

Deslauriers, 2000). Par la suite, une analyse de contenu respectant les trois principales étapes

de cette démarche a été réalisée (Thomas, 2006). Cela a impliqué de faire une lecture

préliminaire du matériel, de procéder au découpage du contenu, d’organiser l’information

par thèmes et de faire ressortir des catégories et sous-catégories (Mayer et Deslauriers, 2000).

D’abord, une lecture préliminaire nous a permis de nous familiariser avec le contenu

des entrevues. Ensuite, nous avons procédé à une extraction et à une codification des

segments significatifs des verbatim. Enfin, nous avons regroupé ces segments dans des

catégories rendant compte des grandes idées ou concepts répondant aux questions de

recherche. Plus spécifiquement, les catégories d’analyse ont été définies selon un modèle

Page 36: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

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hybride ou mixte, dans lequel une partie des catégories était dérivée du modèle du processus

de production du handicap (MDH-PPH2) (Fougeyrollas, 2010)., alors qu’une autre partie a

émergé en cours d’analyse en fonction des thèmes abordés lors des entrevues (Mayer &

Deslauriers, 2000).

Les démarches réalisées lors de ces trois étapes ont été soutenues par une validation

du processus de codage par un pair ayant une expertise en recherche qualitative afin d’assurer

l’efficacité de l’analyse de contenu. Cette procédure a été réalisée pour le contenu de deux

entrevues. Sans nécessairement viser d’obtenir un consensus, les codifications se sont

effectuées de façon indépendante et les divergences d’opinions rencontrées ont été élucidées

par délibération. Cette démarche a permis, par exemple, de raffiner le cahier de codification

par le biais d’opérations de croisement, d’association et de recoupement. Par ailleurs, une

difficulté de l’analyse a résidé dans la capacité à bien nommer un phénomène ou une réalité

sociale, et à lui trouver un sens approprié. À ce sujet, la méthodologie de recherche qualitative

suggère de se laisser guider par ce qui émane du corpus de données. L’intuition ou la

créativité nous ont guidé pour donner un sens à ce que nous avons observé.

3.9 Considérations éthiques

Le projet de recherche a été présenté au Comité d'éthique et de recherche du Comité

d'éthique de la recherche de l’IRDPQ. Voici quelques explications au sujet de la manière

dont nous avons respecté les règles éthiques.

Pour prendre contact avec d’éventuels participants à l’étude, les professionnels qui

ont collaboré avec nous ont procédé soit par liste d’envoi électronique, soit par appels

téléphoniques, soit par contacts directs au moment des rendez-vous cliniques pour solliciter

la participation des usagers à la recherche. Ces professionnels ont expliqué, à l'aide du

courriel de correspondance avec les intervenant(e)s pour le recrutement (voir Annexe I)

l’objet de la recherche. Si la personne était intéressée à participer, le professionnel lui

demandait la permission de nous remettre son numéro de téléphone, puis nous avons fait un

contact direct. Également, des affiches de recrutement ont été placées sur les murs ou le

babillard des organisations collaboratrices. À cet effet, les personnes intéressées à participer

à la recherche ont pu directement contacter l’étudiante chercheuse.

Page 37: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

30

En ce qui concerne la collecte des données comme telle, en début d’entrevue, le

feuillet d’information sur le projet (reprenant des éléments présentés lors de l'entretien

téléphonique) et le formulaire de consentement ont été lus. Par exemple, l’étudiante-

chercheuse a informé le participant que l’entrevue était enregistrée à l’aide d’un enregistreur

numérique et leur a expliqué les raisons de cet enregistrement. Il faut souligner que pour

certaines personnes, l'enregistrement pouvait constituer un obstacle à leur participation.

Chacun a été informé qu’il pouvait se retirer en tout temps et sans préjudice de la recherche.

Les participants devaient donc signer le Formulaire de consentement pour que l'entrevue

débute et soit enregistrée. De plus, l'accent a été mis sur la participation volontaire et libre de

toute pression. Sur le plan de la confidentialité et du respect de l’anonymat des participants,

l’étudiante-chercheuse a expliqué entre autres que des noms ou prénoms fictifs seront

attribués lors de la rédaction du rapport final. Cela a permis d'assurer la protection de l'identité

des participants (Boutin, 2006). L’étudiante-chercheuse a proposé également des références

aux participants qui ont vécu des difficultés particulières liées aux discussions soulevées dans

l’entrevue. Par exemple, le recours aux ressources spécialisées du territoire a été un moyen

concret pour les aider (Walliman, 2011); une liste de références a été élaborée (voir annexe

IV) et distribuée à tous les participants au moment de la lecture du feuillet d’information et

du formulaire de consentement.

Page 38: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

31

Chapitre 4 : Résultats

La présente recherche vise à mieux comprendre les facteurs qui facilitent ou entravent

l’expérience parentale de pères et de mères ayant une déficience visuelle (DV). La recherche

a deux objectifs: 1) identifier les facteurs personnels et environnementaux influençant

l’expérience et les pratiques parentales des PADV; 2) décrire les stratégies développées par

les PADV pour vivre efficacement leur parentalité.

Pour répondre aux objectifs de la recherche, le cadre conceptuel du Modèle de

développement humain -Processus de production du handicap (MDH-PPH2) a été utilisé. En

effet, le MDH-PPH2 s'est avéré très pertinent afin d’identifier les facteurs personnels

(intrinsèques) et les facteurs environnementaux (externes) influençant la réalisation des

habitudes de vie des participants en lien avec leur parentalité, ainsi que de cerner les

interrelations entre ces facteurs. Le caractère interactif de ce cadre conceptuel permet de

mieux cerner la dynamique du processus interactif entre les facteurs personnels et les facteurs

environnementaux. Dans cette perspective, l’expérience de parentalité des PADV

participants n’est pas principalement analysée sur la base des caractéristiques individuelles

des parents. L’accent est mis à la fois sur la relation parent-enfant, les caractéristiques de

l’enfant et celles du parent, ainsi que les facteurs environnementaux de l’entourage et du

milieu de vie. Autrement dit, le modèle intègre tant la perspective individuelle

qu’environnementale. Par conséquent, les résultats présentés sont subdivisés en trois

sections principales. D’abord, les facteurs personnels sont présentés, c’est-à-dire les systèmes

organiques des participants, leurs aptitudes et leurs facteurs identitaires. Ensuite, les facteurs

environnementaux sont abordés. Ces derniers se subdivisent en trois dimensions : « le micro

environnement personnel (proximal, domestique) ; le méso environnement communautaire

et le macro environnement sociétal » (Fougeyrollas, 2010, p. 178). Finalement, des stratégies

développées par les PADV pour construire, penser et vivre efficacement leur parentalité sont

mises en lumière.

4.1 Présentation générale des participants

Cette section présente la description des participants, notamment sur le plan de leurs

caractéristiques sociodémographiques et familiales, ainsi que sur le plan de la nature de leur

déficience visuelle.

Page 39: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

32

4.1.1. Profil des participants

L’échantillon de cette étude est constitué de dix PADV, soit cinq mères et cinq pères.

L’échantillon constitué a permis d’interroger des parents ayant des niveaux variés de

déficience visuelle, ayant des enfants d’âges différents et utilisant différents types de services

professionnels. Au sujet du type de déficience visuelle des participants, le groupe de notre

étude est hétérogène. Nous avons distingué trois sous-groupes : 1) un groupe dont la DV est

survenue suite à un accident. 2) un groupe au sein duquel la déficience a un caractère

dégénératif, mais dont les membres ont encore certaines capacités visuelles et sont capables

de percevoir quelques formes ou objets; 3) un dernier sous-groupe constitué de parents

aveugles de naissance. Aux fins de l'analyse des données, nous ne tiendrons pas

systématiquement compte de la spécificité de chacun de ces sous-groupes en raison des

échantillons trop petits; lorsque cela s’avèrera justifié cependant, des précisions à ce sujet

seront apportées.

Tous les parents sont mariés ou en union de fait, certains à un conjoint ayant une

déficience visuelle. À deux exceptions près, tous les enfants sont sans DV. L’âge des pères

interrogés s’étendait de 38 à 54 ans, et la tranche d’âge des mères se situait entre 36 et 52 ans

au moment de la recherche. Tous les participants sont nés au Québec et vivent en milieu

urbain. Les 10 participants retenus ont au total 17 enfants mineurs. Ces profils des

participants à la recherche permettront de mieux saisir le sens des propos qu'ils nous ont

livrés.

Le tableau 3 résume ces informations pour chaque participant. Afin de préserver la

confidentialité des participants, des noms fictifs leur ont été attribués.

Tableau 3: Caractéristiques sociodémographiques des participants

Nom et âge Type de DV Situation

maritale

Situation

familiale

Niveau de

scolarité

Milieu

de vie

André

51 ans

Maladie

dégénérative

Marié Deux filles, 10

et 20 ans

Collégial DEC Urbain

Audrey

37 ans

Aveugle de

naissance

Union de

fait

Garçon 10

mois

Universitaire

non complété

Urbain

David

54 ans

Accident Marié Fille 8 ans Collégial DEC Urbain

Page 40: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

33

Nom et âge Type de DV Situation

maritale

Situation

familiale

Niveau de

scolarité

Milieu

de vie

Françoise

36 ans

Aveugle de

naissance

Mariée Garçon 8ans,

fille 10 ans et

garçon 12 ans

Secondaire 5 +

DEP

Urbain

Hélène

52 ans

Aveugle de

naissance

Marié Fille 12 ans et

fille 14 ans

Collégial DEC Urbain

Jean

38 ans

Accident Union de

fait

Garçon 4ans

et garçon 7

ans

Universitaire

non complété

Urbain

Lynda

40 ans

Maladie

dégénérative

Mariée Garçon 9ans,

garçon 5 ans

et fille 2 ans

Universitaire

non complété

Urbain

Richard

51 ans

Aveugle de

naissance

Union de

fait

Garçon 12 ans Collégial DEC Urbain

Stéphane

41 ans

Maladie

dégénérative

Marié fille 16 ans Collégial DEC Urbain

Véronique

45 ans

Maladie

dégénérative

Mariée Fille 8 ans Collégial DEC Urbain

Dans l’ensemble, la population à l'étude est homogène en ce qui concerne le type de

composition familiale, le niveau de scolarité et autres. Tous les parents vivent en couple avec

leurs enfants, quel que soit le sexe des participants. La majorité des participants a un emploi

rémunéré et leur salaire comme principale source de revenus. À l’exception d’une mère qui

est bénéficiaire d’une prestation invalidité. En ce sens, la monoparentalité, le divorce ou

l’absence d’emploi ne sont pas des éléments qui ont été considérés.

4.2 Facteurs personnels

Les facteurs personnels sont composés de trois grandes catégories : les systèmes

organiques, les aptitudes et les facteurs identitaires (Fougeyrollas, 2010). Ainsi, cette section

examine les caractéristiques individuelles de PADV en faisant ressortir les éventuelles

influences qu'elles sont susceptibles d'avoir sur l’expérience de parentalité. Les systèmes

organiques et les aptitudes seront d’abord présentées, puis ce sera au tour des facteurs

identitaires d’être abordés.

Page 41: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

34

4.2.1 Système organique et aptitudes

Rappelons qu’un système organique est un ensemble de composantes corporelles

visant une fonction commune. Ils s’apprécient sur une échelle allant de l’ « intégrité » à « la

déficience importante » (Fougeyrollas, 2010). Pour sa part, une aptitude est la possibilité pour

une personne d’accomplir une activité physique ou mentale. Elles s’apprécient sur une

échelle allant de « capacité sans limites » à « incapacité complète (Fougeyrollas, 2010). Dans

cette perspective, la présente section réfère, premièrement, à l’expérience de la déficience

visuelle. Deuxièmement, soumettrons la parentalité, qui est considérée comme une habitude

de vie, à une échelle d’appréciation. Le but est de déterminer les activités que les PADV

réalisent sans difficulté, avec difficulté, par substitution, ou encore qu’ils ne peuvent pas

réaliser.

Sur le plan de l’expérience de la DV, les participants ont dû apprendre à mieux

connaître leur maladie ou leur problème de vision, et ensuite composer avec les

manifestations et les conséquences de cette déficience sur leur fonctionnement quotidien,

notamment leur vie de parent. Le cheminement pour y arriver est cependant différent d'un

participant à l'autre. Nous distinguerons trois mécanismes dans le processus d’adaptation: le

rejet de la DV, son acceptation et la résilience

Le rejet de la DV peut s’exprimer par la volonté d’être reconnu comme les autres

parents. Les PADV se considèrent comme des parents à part entière. Ainsi, leur vision d’eux-

mêmes leur permet de porter un regard positif ou encore valorisant sur leurs capacités. Ils se

dédouanent des préjugés ou stéréotypes qui lient la déficience visuelle au désavantage, au

sentiment d’infériorité, à la défaillance ou à la vulnérabilité. Nous constatons que le rejet ou

« déni de la DV » peut être lié au désir de bénéficier des considérations reconnues «

ordinairement » à tous les parents. Ce désir de « normalité » est aussi alimenté par le besoin

de reconnaissance. L’extrait suivant évoque ce constat.

J’ai toujours résisté à entrer dans le cercle de la déficience visuelle. Je ne nie pas mes

difficultés, je n’aime pas le traitement que la société impose si je suis étiquetée PADV.

Même si j’ai la DV, je suis avant tout une femme. Oui, oui, je suis une femme. Aujourd’hui

je suis la maman d’un petit trésor. Je me suis toujours débrouillée par moi-même. J’ai

trouvé et je trouve encore des solutions par moi-même. (Lynda, 40 ans)

Page 42: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

35

Pour éviter le processus de stigmatisation, une minorité de parents affirme avoir

souvent été contrainte de masquer leurs difficultés. Les PADV préfèreraient pourtant une

reconnaissance qui leur garantirait un traitement égalitaire. Pour ces parents, dévoiler leur

DV représente toutefois un risque d’être jugés en fonction de celle-ci. En évitant de se

dévoiler, ils évitent un éventuel jugement social. Un père témoigne :

Euh! Je pense que les enseignants savent que j’ai une DV. Mais ils ne savent pas à

quel point. Ils ne savent pas que je suis un client de l’IRDPQ. Oui, les deux directrices

savent que j’ai une DV. Tu sais, j’ai été président de l’école X. Ça allait super bien,

mais… Ils savaient que j’avais un problème de vision sauf que quand j’ai demandé

au directeur de lire le compte-rendu d’une rencontre, il s’est aperçu qu’il devait faire

plus de choses qu’avec les autres présidents. Pourtant c’est juste ça dont j’avais

besoin. Je pense qu’il faut donner une chance aux gens. De fois, j’ai l’impression

d’avoir un regard de pitié, mais je n’aime pas ça faire pitié. J’essaie de ne pas

embarquer là-dedans en masquant ma DV. (Stéphane, 41 ans)

Ainsi, ce récit montre que le participant cherche constamment à démontrer, à faire ses

preuves, à montrer aux autres ce dont il est capable afin de contrer cette image d’incapacité

associée au déficit organique.

À la lumière des données recueillies, il apparaît que derrière cette volonté d’être

reconnus comme les autres parents, il existe une crainte de la réaction de la société à leur

égard. Certains parents préfèrent alors cacher leur DV, ou à tout le moins ne pas en faire état.

Nous notons dans les témoignages des participants de la recherche qu’ils se préoccupent de

la façon dont les autres les perçoivent. Le jugement social renforce leur inquiétude de se

dévoiler aux autres et de parler ouvertement de leur DV. Ainsi, la DV reste un tabou pour

certains participants.

L’acceptation s’observe surtout dans le cas d’un problème de vision apparu à la

naissance; le PADV construit alors son image de soi en incluant d’emblée la déficience. Les

parents aveugles de naissance affirment ne pas ressentir de gêne dans leurs relations avec les

autres (enfants, proches, pairs, etc.). Ils n'aiment pas nécessairement leur déficience, mais ils

la considèrent faire partie d'eux-mêmes, comme une de leurs caractéristiques personnelles.

Conséquemment, la déficience est toujours présente dans leur vie, sans toutefois dominer.

Je pourrais faire plus que ça. J’aurais aimé ça être enseignant, être prof. Il y a plein

d’affaires que j’aurais aimé faire. J’ai dû me dire ça je ne peux pas faire, ça c’est

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plus difficile, etc. J’ai comme intégré la DV à tous mes projets […] Chaque phase de

la vie, tu as beau être fort, t’as beau vouloir t’adapter, mais il y a toujours de quoi de

nouveau. Il y a des choses que je vis à 41 ans que je ne vivais pas à 30 ans, 5 ans, etc.

Oui, j’accepte ma condition! Oui, je passe au travers, mais des fois c’est plus difficile.

(Stéphane, 41 ans)

La résilience est surtout visible dans les trajectoires de DV marquées par un accident.

Certains PADV mentionnent la rupture biographique et identitaire survenue en raison de

l’accident, et la réadaptation à la vie quotidienne qui a suivi. Ils s’appuient davantage sur les

systèmes organiques encore fonctionnels et développent des habiletés et compétences pour

se relever et se réinventer la vie suite à l’accident. Les participants mentionnent par exemple

leur bonne capacité cognitive :

Je n’ai rien perdu de ma tête. C'est la mémoire, c'est vraiment ça. Ma mémoire est

très sollicitée, parce que ... Écoute, je me rappelle de chaque rendez-vous, je n’ai pas

besoin de prendre des notes. Quand je sais quelque chose une fois, je le sais pour

toujours. Je n’ai pas besoin de lire et relire. Après une seule lecture, je passe au

suivant. Moi j’un handicap visuel, mais j’ai une bonne mémoire. Je pense que mes

enfants sont contents de ça parce que je n’oublie pas grand-chose. Contrairement à

quelqu’un qui se fie à son téléphone ou à son IPad, son ordinateur. Moi, je développe

autres choses. Je trouve que ça c’est une force que j’ai. La mémoire est une force

pour moi. (David, 54 ans)

Concernant les difficultés rencontrées dans la pratique parentale associées au déficit

organique, le corpus de données montre que la planification des activités, et l'organisation de

la vie quotidienne (soins d'hygiène aux enfants, tâches domestiques et autres) s’inscrivant

dans l’expérience de parentalité peuvent être empreintes de tellement de difficultés qu'elles

représentent alors un véritable défi.

Mais évidemment, ça soulève un paquet d'obstacles et de défis particuliers je pense

qu'un parent sans limitation visuelle n'a pas les mêmes défis. N'importe quel parent

a des défis à relever, c'est une tâche en soi d'être parent, mais quand tu vois pas c'est

un paquet de défis supplémentaires qui viennent s'ajouter. (Stéphane, 41 ans)

Dans bien des cas, sinon la majorité, les résultats indiquent que les conditions de vie

de ces parents et de leurs familles sont assez difficiles. Par exemple, certains PADV affirment

ne pas avoir assez de moyens financiers pour subvenir aux charges mensuelles et aux besoins

du ménage. Bien que la majorité des participants occupent des emplois rémunérés, la

précarité financière a souvent été nommée. Tel que l’indiquent les PADV, ce n’est pas la

pauvreté en soi qui génère des problèmes dans la vie avec leurs enfants, mais bien les

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dépenses supplémentaires reliées à l’acquisition de certains biens et services. À ce sujet, les

participants affirment ne pas toujours avoir accès aux mêmes ressources que les autres

parents, telles qu’un logement adéquat et un mode de transport adapté.

J’ai les mêmes obstacles que tous les autres parents, seulement que c’est amplifié. Il

y a le temps. Pour moi c’est plus parce que ça me prend plus de temps pour faire

quelque chose. C’est sûr que pour moi, si j’avais souvent plus de temps, ce serait

l’idéal. Financièrement, j’aimerais ça avoir plus. Écoute, on fait avec ce qu’on a.

(André, 51 ans)

Le manque d’autonomie provoqué par le déficit organique peut devenir préoccupant,

notamment en ce qui concerne la stimulation des enfants. Face aux difficultés de mobilité,

certains participants refusent d’inscrire leurs enfants à des activités.

C’est sûr qu’un PADV ça sort moins et ça fait moins d’activités à l’extérieur de la

maison avec les enfants. Comparativement à d’autres parents. Ma fille a une amie

qui fait un cours de danse, de natation et le hockey. Ben moi, je n’ai pas de ça. Il y a

ce côté-là. Ce serait trop compliqué pour les déplacements évidemment. (Françoise,

36 ans)

Sur le plan éducatif, certains participants refusent souvent d’accomplir des activités

avec leurs enfants afin d'éviter d'être exposés à des sources de stress supplémentaires ou

d’avoir à surmonter de nouveaux défis. Ainsi, l’accomplissement des activités avec les

enfants est, généralement, conditionné par le degré de complexité associé à la réalisation de

ladite activité.

On ne fera pas exprès d'aller faire des situations extrêmes. Je pense qu'il faut y penser

en tant que parent. Il ne faut pas non plus virer fou avec ça. Il faut quand même que

ça reste toujours en mémoire que nous, on n’a pas le droit aux mêmes erreurs que les

parents qui peuvent exactement faire les mêmes erreurs… Parce que, comme j'ai dit,

moi s'il arrive quelque chose, c'est qui qui va être tenu responsable, c'est moi et ça

va être parce que je ne vois pas. Ça va être considéré comme de la négligence. Donc,

moi, pour éviter ça, je préfère que mon fils ne joue pas avec des petits jouets tout

simplement. (Audrey, 37 ans)

Cet extrait montre l’importance accordée par des PADV à la sécurité de leur enfant.

Ainsi, ils évaluent les risques associés à la réalisation de chaque activité avec leur enfant, ce

qui est déterminant dans la décision de la concrétiser ou non.

En bref, bien que tous les participants à la recherche aient en commun d’être parent

et d’avoir une DV, des éléments distinguent leur expérience de la parentalité, tels que

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l’origine et l’évolution du problème de santé, ainsi que la capacité et l’incapacité à réaliser

les activités de la vie courante avec leurs enfants Nous nous intéresserons maintenant aux

trajectoires de vie, valeurs et préférences de ces parents.

4.2.2 Facteurs identitaires

À titre de rappel, les facteurs identitaires sont des caractéristiques

sociodémographiques, économiques et culturelles propres à un individu et à son histoire de

vie (Fougeyrollas, 2010). Ainsi, cette section aborde l’histoire de vie personnelle des PADV

participants, des antécédents de leur expérience parentale, leur choix de devenir parent, les

émotions liées à la parentalité ainsi que les significations attribuées à cette dernière.

4.2.2.1 Histoire de vie

Les caractéristiques intrinsèques des PADV peuvent avoir influencées leur

fonctionnement social et, par conséquent, l’expérience de parentalité. Plusieurs PADV ont

une histoire de vie marquée par la stigmatisation, des ruptures biographiques et le deuil. Dans

certains cas, des expériences relationnelles vécues pendant l'enfance et les contacts antérieurs

avec des enfants façonnent leur histoire de vie personnelle et représentent des obstacles à la

parentalité. Une mère raconte :

Quand j’étais jeune, je me disais que je n’aurais pas de mari, d’enfant, de famille…

Je pensais que je n’aurais rien dans ma vie et que j’allais toujours vivre avec ma

mère. Je suis époustouflée de voir comment j’ai grandi là-dedans. (Hélène, 52ans)

Durant leur enfance, les PADV ont parfois été privés d’interactions et de contacts

physiques avec d’autres enfants, ce qui aurait pu les aider à développer des habiletés

nécessaires pour devenir un « bon » parent

Il faut comprendre qu'en tant que personne aveugle complète, j'ai pas eu le loisir

d'avoir des interactions avec des enfants seul à seul vraiment. Quand tu es en contact

avec des enfants, en ne voyant pas du tout, tu te fais beaucoup surveiller par les

parents des enfants. Je n’ai jamais bien sûr gardé d'enfants comme les adolescentes,

comme mes amies, mettons. Je pense que c'est quelque chose que j'attendais

beaucoup. D'avoir la liberté, que ce soit mon enfant, je fais ce que je veux, j'ai les

interactions. Je vais faire mes erreurs, oui, mais si je les fais, je sais que ce n'est pas

grave. Donc, ça j'aime vraiment ce sentiment-là de vraiment d'interaction et de liberté

avec un très jeune enfant que je n'ai jamais eu, qu'on ne m'a jamais laissé avoir dans

le passé. (Audrey, 37ans)

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Comme nous le voyons ici, la DV peut affecter le degré de confiance que les membres

de l’entourage accordent au PADV. Ils peuvent avoir conscience que le PADV peut échouer,

blesser, mais ne lui laissent pas toujours l’occasion de s’améliorer et de s’adapter. Les autres

évaluent surtout ses faiblesses et misent peu sur ses forces, ce qui peut faire vivre au PADV

plusieurs émotions négatives.

4.2.2.2 Émotions reliées à la parentalité

Les PADV nous ont raconté leur expérience de parentalité à travers des récits chargés

d’émotion. Difficultés, joies et souffrances psychologiques ont été fréquemment

mentionnées.

Sur le plan émotionnel, considérons les conséquences des souffrances psychologiques

sur l’expérience de parentalité. Plusieurs participants disent que la fatigue et la frustration

liées à la DV ont des conséquences sur la réalisation des tâches parentales et la vie

quotidienne avec les enfants. Certains rapportent se sentir à l'écart de la société, surtout

lorsque la DV compromet leur capacité à réaliser leurs habitudes de vie, ce qui leur fait vivre

du stress.

Le sentiment d’insécurité est souvent présent. Surtout quand, je dois traverser un

boulevard mettons. Le monde roule vite. Les feux de signalisations ne sont pas

toujours sonores à toutes les intersections. J’ai peur de… Quand je sors de la

Clinique pédiatrique avec mon petit bout de chou dans les bras, c’est la panique.

C’est beaucoup de stress. Je dois traverser la rue et j’ai la responsabilité de protéger

mon enfant. Rien n’est facilement accessible pour nous autres. J’ai constamment

besoin de m’ajuster et de me sentir en sécurité. Comment faire vraiment partie de

cette société ? Comment vivre ma nouvelle responsabilité de parent ? C’est difficile !

La différence est là. (David, 54 ans)

Vu sous cet angle, les angoisses sont réelles et présentes dans la vie des PADV. En

devenant parents, ils apprennent à mieux se connaître et découvrent différemment le monde

qui les entoure, tandis que les embuches auxquelles ils se confrontent ne sont pas toujours

celles qu’ils avaient anticipé.

Une minorité de participants relate des évènements leur faisant vivre de la tristesse.

Celle-ci est vécue surtout lorsque le processus de deuil par rapport à la perte de vision n’est

pas complété. Selon eux, cette tristesse affecte leur estime de soi et leur confiance en eux :

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Un moment donné, moi j'ai vu qu'il y avait cette exposition-là, mes enfants aimaient

beaucoup Star Wars et moi aussi, mais c'était trop compliqué pour moi d'aller à

Montréal. Ça me faisait vivre de la fru... Une certaine frustration, une certaine

tristesse, une certaine déception en regard des choses que je sentais que je n'étais pas

en mesure de faire faire à mes enfants et peut-être même un peu de jalousie dans le

sens que je voyais que leur mère, elle pouvait le faire et allait le faire. (André, 51 ans)

En ce sens, la douleur ressentie face à ce qu’on n’est pas capable de faire affecte la

confiance en soi. La personne peut alors entreprendre un processus d’adaptation qui l’aidera

à s’accepter avec ses forces et ses limites.

Certains PADV, et surtout les pères sans aucune acuité visuelle, expriment également

une grande souffrance de n’avoir jamais vu le visage et le sourire de leur enfant. Même si

certaines mères affirment « entendre » le sourire de leur enfant, il n’en demeure pas moins

que leur récit sur cet aspect de leur engagement avec les enfants n’était pas dépourvu de

larmes :

Je dirais par contre, et ça c'est en lien avec l'expérience parentale, la deuxième fois

que j'ai pleuré sur mon sort du fait que j'avais perdu la vision, ça faisait 12 ans que

j'avais perdu la vision et c'est quand que ma femme est tombée enceinte et j'ai comme

pris conscience de ce que je ne pourrais pas voir dû au fait que je voyais pas, que je

verrais pas mes enfants, le premier déguisement d'Halloween et des choses comme

ça. Ça a fait remonter beaucoup d'émotions au point de me mettre aux larmes. (Jean,

38 ans)

Une telle affirmation montre clairement que le processus du deuil par rapport à la DV

se trouve plus ou moins réactivé à l’occasion d’une grossesse. Il est clair, dans ce cas, que le

parent prend peu à peu conscience que le regard et les sourires de l’enfant ne seront pas

perçus par lui. Si les interactions parent-enfant peuvent s’en trouver perturbées, cet aspect

peut quand même être compensé Nous réfléchirons à quelques-uns des dispositifs

compensatoires dans les prochaines pages, notamment l’ouïe et le toucher.

Par ailleurs, sur le plan d’émotions plus positives, certains participants reconnaissent

que le fait de devenir parent et le plaisir découlant des activités partagées avec les enfants

peuvent diminuer le stress et le sentiment de tristesse, du moins pour un moment. Ils

rapportent être fiers de répondre aux besoins de leurs enfants.

Alors c'est une expérience que, jusqu'à maintenant, me donne beaucoup de confiance

en moi. Je me rends compte que malgré ce qu'on pouvait penser, ce qu'on pouvait

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dire, que oui, en fait, j'ai les capacités de m'occuper de mon fils et qu'il manque de

rien. Donc, ça va bien. Sur ce plan-là, c'est très intéressant. (Richard, 51 ans)

Nous le voyons là dans ce récit, l’expérience de parentalité devient une source de

valorisation. Ainsi, la satisfaction des besoins de l’enfant s’accompagne d’émotions positives

telles que le plaisir, la fierté, la joie et le bonheur. À ce sujet, plusieurs participants affirment

que la parentalité leur apporte du réconfort, de la valorisation et de l’espoir. Dans ces cas,

les PADV perçoivent le choix de devenir une mère ou un père comme l’une des expériences

les plus marquantes dans leur vie.

4.2.2.3 Choix de devenir parent

Cette section réfère au désir et au choix de PADV de devenir parents. Au regard des

données recueillies, plusieurs tendances se dessinent dans le projet de parentalité.

D’une part, la présence de la DV peut susciter des questionnements chez certains

participants quant aux possibilités d’avoir des enfants. Ceci pourrait dans certains cas retarder

leur choix de devenir parent :

Avoir un mari qui est voyant, alors ça, ça donne une bonne chance. Dans le passé, j'avais

un conjoint non-voyant. J'aurais aimé avoir un enfant, mais je me rends compte que deux

personnes handicapées visuelles, en tout cas non voyantes, ensemble ça n’aurait pas été

une bonne idée. Alors, le fait d'avoir un père qui est voyant m'aide beaucoup dans mon

rôle de parent. Je le regrette pas, je ne regrette pas le fait d'être parent. (Hélène, 52 ans)

Ici, le choix de fonder une famille avec un conjoint « sans DV » ne relève pas

nécessairement d’un positionnement négatif à l’égard de ses propres incapacités et de celles

des autres personnes ayant une DV, mais plutôt d’une volonté de créer des conditions moins

angoissantes dans la vie de famille en misant sur la complémentarité des parents.

D’autre part, la déficience visuelle n’a jamais été au cœur des préoccupations de

certains parents. Dans leur cas, la perte de vision a une cause accidentelle et ne pourrait

toucher leurs enfants. Ils n’expriment donc aucune crainte par rapport à la transmission d’une

maladie héréditaire de l’œil.

En fait, c’est suite à un accident de voiture que j’ai perdu la vue. Comme je disais,

j’ai subi un traumatisme crânien et une réadaptation qui a été assez longue. Ce sont

les nerfs optiques qui ont été touchés lors du choc… Donc, la déficience visuelle,

c'est quelque chose pas qui me préoccupe, mais c'est quelque chose que j'ai toujours

présent à l'esprit je pense. Ma DV est un accident. Je n’avais donc pas peur que mes

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enfants aient une DV. Mais ça m’a toujours tracassé quand même. Ma fille a des

lunettes puis des problèmes de vision. J’ai toujours été plus alerte que quelqu’un

d’autre pour tout ce qui concerne la vision. (David, 54 ans)

Par ailleurs, dans une minorité de situations familiales (2 participants), l’autre parent

avait aussi une déficience visuelle.

Pour moi, la condition première pour avoir des enfants, ce n’était pas d’avoir une

conjointe voyante ou pas. Je souhaitais trouver une femme que j’aime et qui a les

mêmes projets de vie que moi, qui voulait des enfants et tout ça. C'est ce qui s'est

produit, donc j'ai eu des enfants avec elle […] Ma première relation a été avec une

femme ayant une déficience visuelle, ce qui ne me gênait pas non plus ». (Jean, 38

ans).

Dans ces cas, les PADV affirment que la similitude du type d’incapacité des parents,

leur proximité de vécu et de besoins, facilitent la vie quotidienne et les interactions avec les

enfants.

On est pareils quoi. Les problèmes sont les mêmes. Voilà quoi. Et le rythme, on a le

même rythme. On a la même rigueur pour ranger nos affaires. On fait pas mal

d’activités ensemble, je ne sais pas… (Audrey, 37 ans).

En somme, les PADV ont une bonne connaissance de leurs troubles visuels, et ils

peuvent effectuer un ajustement de leur désir de parentalité. Ils sont capables de s’appuyer

sur d'autres modalités sensorielles pour concrétiser leur choix de devenir parent. Là encore,

les caractéristiques personnelles et les aptitudes jouent un rôle important dans la capacité de

la personne à se prendre en charge ou à prendre des enfants en charge.

4.2.2.4 Significations de la parentalité

Cette section examine les significations que les participants accordent à la parentalité.

Nous constatons que les différentes manières de définir la parentalité dépendent notamment

de la relation du PADV avec son environnement. Compte tenu de la complexité des

problèmes de vision, la DV est vécue singulièrement par chacun des participants. Selon eux,

diverses formes de compensation ou une solution d’ajustement du milieu physique convenant

à une personne ayant une vision en tunnel ne conviendra pas nécessairement à une personne

n'ayant plus de vision centrale. De plus, leurs préoccupations sont axées autour de la

construction de la relation parent-enfant et de la satisfaction des besoins de l’enfant. Par

conséquent, la majorité des participants (8 participants) à la recherche dissocient la DV de la

parentalité.

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Une des représentations de la parentalité la montre comme un exercice exigeant.

Certains participants disent que le fait d'être parent peut représenter une lourde charge et

s’accompagner de certaines obligations. Il semble que, selon la position occupée par le parent

qui parle, les difficultés évoquées soient de nature différente.

Quand j'étais enceinte, je me disais : « OK, ta vie là, tu en auras plus de vie. Ça va

être un rush constant, tu auras plus de temps pour rien ». On dirait que je m'étais mis

ça gros gros gros et que, maintenant, je suis comme « ah, mon dieu ». Je ne dis pas

que c'est pas difficile parfois et que c'est pas un défi à tous les jours… je dirais que

ce qui a changé dans ma vie c'est vraiment la venue de l'enfant. On est toujours

inquiet. Ma mère me le disait. C'est d'être inquiet tout le temps qui arrive quelque

chose... (Françoise, 36 ans)

Vu sous cet angle, « être parent » implique de faire un travail préalable sur soi dans

la mesure où il oblige à une conciliation entre les aspirations personnelles et le bien-être de

la famille et de l’enfant.

Nonobstant toutes les obligations et les responsabilités qui incombent à chaque

parent, la majorité des PADV, aussi bien les mères que les pères, affirment qu’être parent est

une expérience plus positive que négative. Cette expérience de vie leur permet de s'identifier

comme un parent plutôt que comme une « personne handicapée ». Des pères rapportent que

le fait de devenir un parent est une expérience positive qui leur permet de se percevoir comme

les autres parents ; en d’autres mots, leur parentalité leur accorde une certaine « normalité ».

Donc, je pense que le fait d'être non voyant est une condition qui vient rajouter des

obstacles à la parentalité, mais qui ne met pas un frein à ça […] C'est une joie pour

moi d'être père. Je suis content de ne pas m'être arrêté au fait d'avoir perdu la vision

pour m'empêcher d'avoir des enfants. […] Ce qui me rend le plus fier c’est d’être

parent en soi. Je dis souvent au monde moi, j’ai toute la marde, regardez j’ai réussi.

Je suis normal. J’ai une vie normale. Je ne vis pas dans un petit appartement tout

seul. Je réussis à avoir une vie dite normale. (David, 54 ans)

Ce récit témoigne, d’une part, du désir chez ces parents de vivre « comme tout le

monde » et, d’autre part, d’une attente de valorisation sociale à leur endroit.

Ma chum de fille me dit toujours que c’est moi, en tant que maman, qui sait et qui

doit faire les choses comme je le sens. Moi comme mère, je me sens ainsi reconnue.

Elle me regarde souvent aller et capote. Quand mon bébé pleure, je le prends dans

mes bras et celui-ci se calme pendant un moment. Je réussis à nourrir mon bébé qui

refuse d’ouvrir la bouche, ou encore détourne la tête. Ma chum sait que j’ai toutes

les capacités pour prendre soin d’un enfant. (Audrey, 37 ans)

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Une autre représentation de la parentalité la relie à une occasion de croissance

personnelle. Les témoignages montrent que la parentalité permet de franchir un seuil, c’est-

à-dire passer du statut d’autonomie personnelle à la prise en charge d’une autre personne.

Nous constatons donc que la parentalité est considérée comme un enrichissement. Plusieurs

mères, par exemple, nomment des habiletés qu'elles développent dans leur expérience

parentale.

Pour moi, être parent est une source d’épanouissement. Cela se passe très bien.

Depuis que mon fils est né, je me suis très bien adapté. Je suis capable de le changer,

de lui donner des biberons. Bref, je fais à ma façon tout ce que font les autres parents.

Être maman m’a beaucoup fait murir. Je sais cuisiner… je suis impliqué dans

l’éducation de mes enfants. (Lynda, 40 ans)

Une dernière grande représentation de la parentalité concerne le rôle d’éducateur du

parent, lié à la responsabilité d’encadrer et de stimuler les enfants. De nombreux parents

rapportent s’être assurés de l’émancipation et de l’autonomie de leur enfant. Ils ont utilisé

différents moyens, attitudes et compétences pour aider l’enfant dans son processus

d’apprentissage.

Je suis présent dans la vie de ma fille, dans ses activités sportives. Je pense que je

suis un père flexible. J’ai toujours encouragé la communication avec ma fille. Comme

je vous le disais tantôt, elle se confie beaucoup à moi. Je profite de ces occasions

pour valoriser ses qualités positives. Très jeune, je lui proposais des schémas de

comportements attendus en lui expliquant les raisons derrière mes demandes. Je dois

avouer que je suis chanceux, je n’ai pas eu un enfant difficile. J’étais un papa ferme,

clair, mais ouvert à discuter avec elle. (Stéphane, 41 ans)

Dans certains cas, en revanche, la surprotection du PADV à l’égard des enfants a

rendu le processus d’apprentissage plus difficile et conflictuel.

La déficience visuelle fait que j’ai tendance à vouloir tout contrôlé. En même temps,

je n’ai pas assez de vision pour tout voir et suivre les comportements de ma fille. Je

veux qu’elle soit obéissante, polie, respectueuse. Ce n’est pas trop demandé? Mais

on dirait que ce n’est pas mieux, on se choque très souvent. Ces comportements

viennent me chercher. Je ne sais plus quoi faire… (Véronique, 45ans)

Dans cet extrait, il se crée un déséquilibre, une ambivalence entre le rejet de la DV et

la valorisation de ses capacités de satisfaire aux besoins de l’enfant. Les parents font de

grands efforts, dépensent énormément de temps et de moyens pour aider et aimer leur enfant,

afin notamment de compenser le regard que les autres portent sur leur parentalité.

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4.3 Facteurs environnementaux

Les facteurs environnementaux réfèrent aux dimensions sociales ou physiques qui

déterminent l’organisation et le contexte d’une société. Ces facteurs environnementaux se

subdivisent en trois grandes dimensions : micro, méso et macro environnement. La qualité

de cet environnement se mesure sur une échelle allant du facilitateur optimal à l’obstacle

complet (Fougeyrollas, 2010 ». Il est important de préciser que l’analyse des facteurs

environnementaux ne prend du sens que dans leur dynamique interactive. Par exemple, pour

étudier la parentalité de PADV, il convient d’examiner le réseau de soutien, l’organisation

des services, l’accès aux aides techniques et l’accessibilité, entre autres.

4.3.1 Facteurs microsociaux

Le micro environnement englobe le domaine personnel, c’est-à-dire familial et

proximal (Bronfenbrenner, 1979). Cette section apporte un éclairage sur la vie avec l’enfant,

la vie de couple et les relations avec les autres membres de la famille et de l’entourage

immédiat. Il sera d’abord question de décrire la relation avec les enfants. Puis, les interactions

avec l’autre parent seront présentées. Finalement, le soutien apporté par l’entourage sera

exploré.

4.3.1.1 Relations avec les enfants

Dans cette section, nous examinerons les échanges parent-enfant, tout en soulignant

les caractéristiques des enfants qui peuvent être des facilitateurs ou des obstacles à

l’expérience parentale. Par exemple, l’âge est un des éléments mentionnés. De manière

générale, les participants disent que répondre aux besoins d'un enfant en bas âge demande

beaucoup d'énergie ; à mesure que l'enfant grandit, ses besoins évoluent et il devient de plus

en plus autonome, ce qui facilite l’expérience parentale.

C’est sûr qu'à mesure que les enfants grandissent, ils deviennent autonomes. Mais

moi, j’ai appris à mes enfants à être plus autonomes. Par exemple, ma plus vieille de

12 ans prend l’autobus toute seule. Ça ne me dérange pas. Elle sait déjà quel numéro

d’autobus et de quel bord se placer pour l’attendre. Elle a été habituée à ça très vite.

De ce côté-là, j’essaie qu’ils soient plus autonomes. En même temps, ils n’ont comme

pas le choix non plus là. (Hélène, 52 ans)

Dans cet extrait, la nature des inquiétudes parentales semble corrélée avec l’âge des

enfants. En ce sens, certains apprentissages de base se font plus rapidement par les enfants,

comme pour l’hygiène personnelle et l’habillement.

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Sur le plan des interactions avec l’enfant, certains comportements de ces derniers

accroissent l’anxiété des PADV, par exemple lorsqu’ils s’éloignent, s’échappent ou restent

silencieux.

Moi, je suis complètement aveugle. Je ne peux donc pas compter sur un résidu visuel

pour surveiller mes enfants ou les suivre du regard. Lorsqu’ils étaient plus jeunes 0-

4 ans, je m’assurerais toujours que toutes les conditions de sécurité étaient réunies.

Avant de prendre une marche avec eux. C’est beaucoup de stress…. (Jean, 38 ans.

Sur le plan des soins aux enfants, les résultats de la recherche montrent que les mères

et les pères présentent des difficultés dans la perception de certains signaux

communicationnels de l’enfant âgé entre 0 et 5 ans, par exemple : un sourire, un regard, une

grimace, une expression étonnée, etc.

Des fois, au niveau de la discipline, c'est plus difficile. Le fait de pas voir fait que tu

n’as pas le repère qui te permet d'agir tout de suite sur une situation qu’il faudrait

corriger en tant que parent. Si mon enfant se fouille dans le nez, mettons, je ne le vois

pas faire ça. Je ne peux pas intervenir là-dessus. Aussi, des fois, je ne vois pas, je

perçois peut-être un peu moins bien s'il me réplique quelque chose avec un visage qui

dénote une certaine impolitesse, je m'en rends moins compte un peu ou je suis peut-

être un peu plus lent sur la réaction. C'est un défi au quotidien et c'est une

préoccupation aussi. (Françoise, 36 ans)

Pour mieux apprivoiser ce qui se passe dans leur environnement, les PADV tiennent

compte des repères auditifs. Il s’agit par exemple de courants d’air ou de bruits de pas des

autres personnes. Ainsi, pour entendre ces légers bruits, les PADV affirment qu’il faut faire

preuve d’une grande concentration, ce qui peut devenir très éprouvant pour ces parents.

Aussi, quand qu'on est à table, il y a des choses que mettons que j'entends (bruits de

manger la bouche ouverte) ferme ta bouche quand tu manges. Il y a des choses comme

ça au niveau de l'éducation que je peux, mais s'il a la main dans son assiette je le sais

pas. C'est difficile pour moi de valider ces choses-là, ça me demande beaucoup plus

de je dirais de concentration et d'attention à ce niveau-là. (Richard, 51 ans)

La difficulté des PADV à repérer certains signaux de l’enfant les amène parfois à

donner des interprétations erronées aux gestes et aux expressions de l’enfant lors des

séquences d’échanges. Une mère nous a d’ailleurs dit :

Je dirais peut-être de ne pas être capable de réagir... En même temps, oui je trouve

ça difficile, mais je n'en fais pas une maladie pour l'instant. De ne pas réagir, mettons

à ses sourires. Je ne saurai pas s'il m'en fait, ça sert à rien. (Audrey, 37 ans)

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Plusieurs stratégies permettent aux PADV de s’assurer de la réalisation des soins aux

enfants, qui doivent être soignés, baignés, habillés. Nous illustrerons nos propos par deux

extraits de verbatim :

Les yeux à soigner, le nez à déboucher, les renvois à essuyer étaient d’autres

difficultés qui me guettaient quand j’avais accouché. J’ai eu besoin du centre de

réadaptation très rapidement. Ma fille avait quelques problèmes de santé et il fallait

qu’on me montre comment administrer les médicaments, comment mettre les gouttes,

comment nettoyer les narines etc. L’IRDPQ a, par exemple, adapté les seringues pour

les doses prescrites. On a rempli toutes les seringues de médicaments et on les a

laissées au réfrigérateur. Ainsi, je devais donner par voir orale une dose de seringue

à ma fille trois fois par jour. (Véronique, 45ans)

Pour les changements de couche, j’ai trouvé le truc et je l'utilise. Je ne pense pas que

ça puisse durer encore très longtemps, parce qu'il grandit. Ce que je fais, c'est que je

mets de l'eau dans le lavabo et je le déshabillais, puis je lui mettais les fesses dans le

lavabo. Ça allait très bien, parce que je pouvais le laver comme ça et j’étais sûr qu'il

n’y en avait plus. C'était plus sûr qu'avec une débarbouillette et de passer 3000 fois

et de ne pas être sûr et de plus étendre que d'autres choses des fois. (Audrey, 37 ans)

L’allaitement maternel n’est pas fréquent ou souhaité chez les mères qui ont participé

à l’étude. Selon leurs propos, le maniement du biberon offre surtout une facilité par rapport

à l’allaitement.

Oui, j’ai allaité, mais ce n’était pas facile. Moi, je pensais que c'était comme dans les

films et que l'enfant trouvait le sein de lui-même, mais c'est tellement compliqué. Il

faut quasiment être deux pour placer l'enfant, ça a juste pas d'allure. C'était vraiment

compliqué. Après un bout, j'ai tiré du lait. Puis, j’ai opté pour le biberon. Tu sais,

c’est souvent des préparations. J’avais comme acheté des biberons qu’au toucher, tu

savais où était la ligne de mesure. Donc j’y allais comme ça. En cherchant un peu,

j’ai trouvé ces bouteilles comme en plastique en magasin, pas à l’IRDPQ. Tu pouvais

vraiment toucher le niveau. (Hélène, 52 ans)

Une autre catégorie d’obstacles a trait aux activités réalisées avec les enfants. Les

PADV mentionnent entre autres des défis associés à la transmission des apprentissages à leur

enfant.

Quand je dis que tu as tes enfants qui ne s'organisent pas ou qui se laissent trainer,

moi ça m'amène à ... C'est plus difficile pour moi d'instaurer le rangement, parce que

je ne vois pas quand c'est à la traine. C'est plus difficile pour moi d'établir ça comme

règle chez moi. Par contre, inversement, c'est plus important que ça soit comme ça

chez moi, parce que sinon je me retrouve plus, je m'enfarge et tout ça. Ça amène des

défis à ce niveau-là. (Richard, 51 ans)

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La dimension de la rapidité dans l’exécution des tâches est mise à mal dans un

contexte de déficience visuelle. Les PADV évoquent spontanément leur plus grande lenteur.

La réalisation des tâches prend plus de temps

Ça me demande un peu plus de temps. C’est plus fatiguant visuellement couper des

légumes que quelqu’un d’autre. Une personne sans DV, ça va lui prendre une seconde

couper une carotte, mais moi, je fais attention de ne pas me couper et c’est un peu

plus long, quand tout est un peu plus long, c’est moins le fun. (André, 51 ans)

Nous le voyons dans ce récit, la déficience visuelle touche à la vie pratique de chaque

jour. Les mêmes besoins auxquels font face les autres parents doivent être satisfaits, mais

souvent avec des techniques différentes. Les PADV demandent qu’on évite de porter un

jugement sur leurs compétences parentales, et ce, afin de protéger leur estime personnelle.

Sur le plan des interactions et des liens de l'enfant, la basse vision ou l’absence de

vision peuvent rendre plus difficiles les interactions avec les enfants, sans toutefois briser les

rapports avec eux. Par exemple, les PADV affirment que le toucher vient raffermir les liens

avec les enfants.

Je suis très proche de mes enfants. Le père a de la misère à prendre sa place. C’est

moi qui étais à la maison tout le temps avec eux. Je surveillais tellement tout ce qui

se passait pour qu’ils ne manquent de rien. Je m’assurais que tout était correct. Je

les caressais pour les rassurer. C’est de même que le lien avec mes enfants s’est

vraiment ancré. Il est plus fort, je ne sais pas comment vous l’expliquer… (Françoise

36 ans)

Ainsi, les PADV ont l’impression de toucher davantage leur enfant que les autres

parents, et ce, quel que soit l’âge de l’enfant. Les participants disent que ce recours fréquent

au toucher par un contact de la main ou du corps, les sécurise et leur permet de recueillirent

en même temps des informations. Par exemple, la peau froide d’un enfant signale un danger

et constitue une aide précieuse dans l’habillement. Selon eux, ce style de communication

favorise aussi le développement de liens affectifs dans la relation parent-enfant.

Dans un contexte de déficience visuelle où l’un des parents n’a pas d’incapacités sur

ce plan, les enfants se trouvent confrontés à des styles interactifs spécifiques, marqués

principalement par une différence de rythme : celui du parent avec une déficience visuelle et

celui de l’autre parent sans DV. Les témoignages révèlent une différence dans les interactions

en fonction de la dyade concernée. En effet, les épisodes d’échanges verbaux seraient plus

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longs avec le PADV qu’avec l’autre parent. Soucieux de valider l’information, le PADV pose

davantage de questions que l’autre parent sans DV.

Ils vont voir maman parce qu’ils savent qu’avec papa, ça va être plus long. C’est

comme les devoirs à Alexis. Ils savent que visuellement c’est difficile pour moi. C’est

pourquoi ils vont voir maman. Sauf que pour moi, il me manque beaucoup

d’informations. On dirait qu’il y a un partage de leur vie que j’ai moins qu’avant ».

(David, 54 ans)

Avec le PADV, l’enfant sélectionne très vite les gestes et les comportements propres

à la communication. Les participants parlent d’une sorte de langue maternelle.

Je n’ai pas eu besoin de dire à mes enfants que j’avais des problèmes de vision.

Comme ils ont grandi avec un père non voyant, ils ont intégré cette réalité-là assez

rapidement. C'est sûr qu'à 5 ans il ne comprenait pas les aspects du handicap visuel,

parce qu'il était trop jeune pour conceptualiser tout ça. Par contre, il comprenait que

si papa il dit « Sam, je veux que tu saches tu es où », tu me réponds, tu marches à

côté de moi. Il comprenait la nécessité de ça. (Jean, 38 ans)

Pour compenser l’absence de vision, le style de communication se traduit par la

tentative mutuelle du parent et l’enfant de s’ajuster l’un a l’autre lors des échanges. Les

rythmes sont différents en raison de la capacité de vision de chacun. Les liens parents-enfants

passent donc par le langage verbal et non verbal.

Mes enfants aiment beaucoup dessiner. Avec moi, ils sont habitués de me mettre

carrément la feuille de dessin dans la face afin que je puisse voir ce qu’ils ont fait. Ils

mettent la feuille vraiment proche de mes yeux. Quand c’est quelqu’un qui est voyant

comme leur père, ils ne font pas la même affaire. Il n’a pas fallu leur apprendre que

maman a la misère à voir et les autres non. Ils se sont ajustés tous seuls. (Lynda, 40

ans)

Certains participants soulignent que leurs enfants sont très avertis et comprennent leur

déficience visuelle.

Avec mes enfants, je n’ai jamais vraiment parlé de la DV. Ça s’est fait tout seul.

Depuis tout petit, ils s’amusent à tester mon degré de vision. Ils savent jusqu’à quelle

distance, je ne peux pas les voir. Ils m’ont souvent dit : Maman, tu es différente et on

n’aimerait pas que tu changes. (Lynda, 40 ans)

D'autres disent que leurs enfants font preuve de maturité et se précipitent pour leur

apporter de l’aide lorsqu’ils sont en difficulté.

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Quand il dit « regarde », il me prend la main. Quand je vais le chercher à la garderie,

c’est lui qui vient vers moi. Quand on traverse une rue, il dit « Maman attention le

bonhomme n’est pas encore là ». (Françoise, 36 ans)

Nous le voyons ici, les enfants viennent souvent à la rescousse pour compenser

certaines incapacités des PADV. Ces derniers affirment être bien conscients de l’aide que

les enfants leur apportent, mais ne veulent permettre une inversion des rôles. À ce sujet, un

père témoigne :

Quelque chose qui a toujours été très important pour moi quand j'ai eu des enfants,

quand j'ai décidé d'en avoir, je ne voulais pas donner trop de responsabilités. Je

voulais pas donner des responsabilités à mes enfants qui n’étaient pas de leur âge,

parce que leur père était non voyant. Je ne voulais pas qu'ils aient à en faire plus

qu'un autre enfant pour compenser mon handicap. (Richard, 51 ans)

En conclusion, les particularités observées n’altèrent pas la qualité de la relation

parent-enfant. La déficience visuelle introduit une dimension « spéciale » dans l’échange.

Les PADV restent actifs dans l’échange avec leurs enfants tout en adaptant leur style de

communication.

4.3.1.2 Relations avec l’autre parent

Sur le plan des interactions avec l’autre parent, la majorité des participants

mentionnent que le soutien qu'ils reçoivent de l'autre parent est très aidant et bénéfique. Plus

précisément, ils reçoivent du soutien dans différentes sphères de leur vie : support

psychologique, soutien dans la réalisation des tâches quotidiennes, soutien pour les

déplacements.

Elle est voyante, donc je dirais que ça m'a permis d'intégrer mon rôle parental plus

facilement, sans avoir à aller voir des ressources comme l'IRDPQ pour m'adapter

des choses. J'ai eu quelques outils adaptés, un thermomètre, des choses comme ça,

mais il y a beaucoup de choses que j'ai apprises par moi-même et avec ma conjointe

qui était voyante, donc qui pouvait m’aider ... (Stéphane, 41 ans)

Le soutien de l’autre parent peut permettre d’éviter ou de limiter le recours aux

services professionnels. Vu sous cet angle, l’autre parent devient un proche aidant, une source

d’aide importante pour le soutien à domicile.

Toutefois, la dépendance à l’égard de l’autre parent peut créer des tensions dans la

vie familiale. Ces tensions concernent surtout le déséquilibre relationnel entre les conjoints.

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Enfin, moi je me suis très souvent retrouvé en position d’infériorité. Tu ne peux pas,

par exemple, t’affirmer complètement, tu peux pas… Tu ne peux pas dire : « Tu me

fais chier, j’en ai marre de ça ou de ça ». Et puis, deux minutes après, lui dire : «

Tiens, tu peux vérifier l’agencement des couleurs de mon vêtement…». (Audrey, 37

ans)

Lorsque la relation de couple devient conflictuelle, ces conflits ou tensions ajoutent

un degré de complexité aux adversités rencontrées en raison de la présence de la DV. Par

exemple, le fait de critiquer ou de rabaisser le PADV amène des interactions négatives dans

la vie de couple. Une minorité de PADV affirme vivre de la pression et doit souvent défendre

sa position, ce qui mène à des privations.

Très souvent, les participants rapportent des situations de détresse qui peuvent nuire

à l’accomplissement des tâches parentales, surtout quand les parents ont peu de soutien pour

répondre à leurs multiples besoins et pour faciliter leur adaptation à un contexte de vie

difficile.

Je reçois de l’aide du CLSC. J’ai Guillaume, mon aide à domicile. Il a 10h pour

m’aider chaque semaine. Le CLSC tient compte que j’ai un conjoint. Mais voyons, je

dois toujours le demander à mon conjoint? J’aimerais ça faire mon épicerie moi-

même sans l’avoir…parce que ça devient lourd pour lui. Il a déjà fait une dépression

à cause de ça. J’essaie de ne plus solliciter mon conjoint. Ça fait beaucoup pour lui

de me transporter pour le travail, de toujours transporter les enfants. Mon autonomie,

je la veux …. Tu as des RDV, tu ne sais jamais à quelle heure le transport adapté te

ramène. Il faut toujours que mon conjoint soit à l’affût ou qu’il manque du travail.

(Françoise, 36 ans)

Ce témoignage montre que la relation à l'autre parent peut s'avérer difficile ou

nuisible. Les participants rapportent ne pas toujours avoir la possibilité de recevoir du soutien

de l'autre parent. Ce dernier peut tout simplement être épuisé, ou encore ne vouloir leur

apporter aucun soutien. Dans ces situations, l'absence, l'inaction ou encore la pression de

l'autre parent crée des tensions dans la vie familiale, ce qui amène les PADV à déployer

beaucoup d’énergie pour répondre aux besoins de leurs enfants

D’autres participants, surtout les mères indiquent qu'ils ressentent du dénigrement de

la part de l'autre parent.

Le côté écoute est difficile du côté de mon conjoint. J’ai souvent la négation en

premier. Il faut explique et argumenter tout le temps. C’est comme s’il vient nous

choquer plus souvent. Il vient nous chercher soit en ne nous écoutant pas ou en

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demandant, demandant… Quand nous on demande, il ne le fait pas, il va nous

demander 10 fois et nous allons demander 1 fois et il ne le fera pas. Souvent, je

décroche un peu, je me retire avec la musique et je fais mes affaires. (Lynda, 40 ans)

Les mères soulignent que l’absence de soutien ou encore la pression de l'autre parent

les amènent parfois à ne plus demander leur aide. Ces réactions négatives de l'autre parent ne

facilitent pas une réponse adéquate aux besoins des enfants. Pourtant, les données recueillies

montrent que le soutien de l'autre parent représente un apport des plus importants et des plus

bénéfiques pour les enfants.

4.3.1.3 Relations avec les proches

Finalement, concernant le soutien des proches, la parentalité est partagée avec

d’autres acteurs dans le vécu quotidien: la famille, les amis, les grands-parents, les voisins,

etc. Toutes ces personnes qui gravitent autour de l’enfant partagent des ressources

matérielles, éducatives et affectives. L’aide de l’entourage est le plus souvent acceptée et

appréciée.

Sur le plan du soutien technique, les pères soulignent particulièrement que le soutien

des proches à la réalisation des tâches ménagères est très apprécié compte tenu des limitations

d’activités qu’ils vivent.

Moi, je suis très content que les gens soient enclins à m’aider comme parent et comme

personne handicapée visuelle. Je ne suis pas nécessairement très demandant, mais…

Sauf que les gens dans mon entourage sont très avenant. Ils vont souvent m’offrir de

l’aide. Peut-être pas de l’aide dirais-je ! Ils vont se soucier de mon handicap et de

ma situation parentale. Dans ma famille par exemple, ils vont choisir des ustensiles

en tenant compte des contrastes de couleur. Jamais un verre transparent sur une

nappe blanche parce qu’ils savent que j’aurais de la difficulté. Je dirais que les gens

sont soucieux de poser des gestes qui vont me faciliter la vie comme parent et comme

personne handicapée visuelle. (André, 51 ans)

La majorité des participants décrivent le soutien qu'ils reçoivent de leurs proches sous

forme de soins aux enfants, de gardiennage, ou encore d’accompagnement. Le recours à ce

soutien permet aux enfants d'obtenir une réponse à des besoins auxquels les PADV peinent

à répondre. Par exemple, cela peut permettre certains déplacements pour avoir accès à une

variété d'activités, de jeux, de nouvelles expériences.

Mes parents ont pu m'aider des fois pour me donner un lift, mettons pour aller à une

sortie. Mettons j'appelle mon père. « Hein, papa, ton petit-fils veut aller à la Ronde.

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» Par exemple, l'année passée on est allé à la Ronde avec mon fils et ça a été super

le fun, mais pour certaines activités comme ça, ça va passer par de l'aide humaine

extérieure. Je vais avoir de l'aide humaine à ce niveau-là dans mon réseau qui peut

m'aider justement pour ce genre de chose là. Je peux amener mon enfant mettons au

musée de la civilisation faire une activité juste moi et mon fils à Québec. Mais, partir

à Montréal c'est plus complexe. (Richard, 51 ans)

Ce soutien des proches est parfois un réconfort psychologique, comme le fait d’avoir

une personne sur qui compter en cas d’urgence.

Le fait de ne pas avoir de transport réduit vraiment énormément mes opportunités

familiales ou professionnelles. Je suis chanceuse d’avoir ma famille proche. Je peux

facilement compter sur quelqu’un pour m’aider. Mais ce n’est pas évident…Quand

tu dois aller chercher d’urgence l’enfant à l’école parce qu’il a vomi ou autre, il faut

rapidement avoir quelqu’un sur qui compter. (Véronique, 45 ans)

Les participants veulent se sentir accompagnés par leurs proches et non substitués

dans la satisfaction des besoins de leurs enfants. Dans le cas contraire, ils décrivent comment

leurs proches prennent des décisions sans les consulter, ce qui peut les affecter

émotionnellement.

Parce que, les grands-parents n’écoutent pas vraiment ce qu'on dit, surtout mes

parents à moi. Moi, j'avais dit à ma mère :« Tu vas lui acheter seulement des

pantalons de telle et telle couleur pour que ça fit avec n'importe quels chandails»,

comme ça j'ai pas à me creuser la tête, mais non elle est arrivée avec des pantalons

de toutes les couleurs. Donc, là j'ai aucune idée et ça ne vaut pas la peine d'identifier

les vêtements en braille, parce qu'il grandit beaucoup trop vite, c'est ridicule. Il faut

faire un peu avec l'entourage aussi qui ne respecte pas toujours ce qu'on veut, même

si on le dit. Mais ça, bon, je me dis qu'au, pour l'instant, il ne va pas à l'école, donc

même s'il était mal habillé c'est pas très grave. Je ne pense pas qu'il m'en veuille pour

ça dans 20 ans. (Audrey, 37 ans).

Vu sous cet angle, une coopération satisfaisante et efficiente entre les proches et les

PADV est nécessaire. La présence de préjugé de la part de l’entourage à l’égard des

compétences parentales du PADV peut complexifier les rapports interpersonnels, surtout si

les proches perçoivent les difficultés des parents comme étant insurmontables. Un sentiment

d’incompréhension est évoqué pour caractériser l’attitude de certains proches. Dans ce cas,

les PADV se sentent davantage substitués qu’aidés. Cette impression nuit à leur capacité

d’assumer pleinement leurs responsabilités parentales.

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4.3.2 Facteur méso-sociaux

Le méso environnement fait référence au domaine communautaire, incluant les

intervenants et le réseau de services (Bronfenbrenner, 1979). Dans cette optique, la présente

section explore principalement les services offerts pour soutenir la parentalité des PADV.

Plusieurs participants ont nommé des besoins personnels, affectifs et sociaux non

comblés, ce qui affecte leur capacité à exercer leurs pleines compétences parentales. Par

exemple, ils déplorent que des services généraux, comme les cours prénataux, ne soient pas

facilement accessibles pour les PADV; ils s’en sentent mis à l’écart.

Concernant les cours de préparation du futur parent, on avait besoin de savoir

comment se fera le changement de couches, comment prendre soin du bébé. On m’a

remis une feuille 8x11 sur laquelle j’avais toutes les informations. Quand j’ai spécifié

que j’avais un problème de vision, l’intervenante m’a envoyé la même fiche par

courriel. Je devais m’arranger avec ça. Personne ne m’a montré comment faire. Je

n’avais pas de support par rapport à mes besoins parentaux. (Hélène, 52 ans)

En outre, les difficultés d’accès à la communication peuvent empêcher les PADV de

répondre aux besoins de leurs enfants et de réaliser leurs habitudes de vie.

Je n’ai pas de télé visionneuse à la maison. Me mettre sur la table de cuisine pour

faire les devoirs avec elle c’est plus difficile. À la loupe là c’est terriblement long. Je

m’aperçois que je ne suis pas assez compétent pour l’aider. Je ne sais pas si c’est une

question de compétence ou bien? Si je pouvais, je viendrais au bureau à tous les soirs

faire les devoirs. Ici, dans mon milieu de travail, c’est très bien adapté je pourrais

l’aider plus facilement. Je ne suis pas équipé. Comme ça à la maison. Ça me désole

un peu et ça me déçoit. (André, 51 ans)

Par ailleurs, lorsque le PADV ne peut pas remplir les documents scolaires de son

enfant, c’est à aux normes scolaires que sont attribuées les causes des difficultés rencontrées.

Les caractères des documents sont souvent petits, la version en braille, non disponible. À ce

sujet, une mère témoigne :

Les difficultés qui reviennent toujours sont le transport et l’aide aux devoirs. Je suis

obligé d’écrire des mémos tout le temps au professeur pour rappeler que je ne vois

pas. Je ne peux pas aider l’enfant si vous m’envoyez des impressions très pâles et en

petits caractères. Sur Class Dojo, tout est tout petit, c’est mieux de m’appeler pour

me donner l’information. C’est-tu épuisant de se battre tout le temps avec

l’administration scolaire! (Françoise, 36 ans)

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L’accessibilité des lieux apparait comme une question clé pour l’inclusion sociale des

PADV et elle n’est généralement pas assurée. Cette question de l’inaccessibilité concerne les

lieux publics ou privés et les aménagements urbains (logements, bureaux, parcs, etc.). La

majorité des PADV affirment que l’inaccessibilité les oblige à de gros efforts d’adaptation.

On n’a pas de soutien pour ça. N’a pas d’aide pour nous dire de quelle façon mettre

l’enfant en sécurité lorsqu’on va au parc. Tu sais, IRDPQ n’a pas de services d’aide

à la parentalité. Quand j’ai demandé de l’aide pour les déplacements à l’extérieur de

la maison avec mon enfant, quand je suis devenue maman. Je voulais savoir comment

sortir prendre une marche de façon sécuritaire avec mon enfant. L’intervenante m’a

suggéré d’éviter de me déplacer seule ou d’y aller avec mon conjoint. C’est fort! En

d’autres mots : reste chez vous? J’ai trouvé une réponse efficace lorsque j’ai posé la

question à d’autres parents avec un handicap visuel. (Hélène, 52 ans)

Bien souvent, le résultat consiste à éviter les lieux peu accessibles, ce qui a des

conséquences sur la vie avec leur enfant et le rayon des activités réalisées.

Le problème de l’isolement est mentionné par plusieurs participants. Les PADV

évoquent un isolement géographique ou institutionnel qu’ils associent à la restriction des

libertés de circuler en raison du manque d’accessibilité des lieux publics. Cet enfermement

dans un territoire circonscrit limite fortement les possibilités de réalisation des activités avec

leurs enfants.

J’ai comme fait des choix. Je ne pourrais pas par exemple partir de nuit et voyager

deux semaines en voiture avec mes enfants. Il faut que je sois réaliste de mes

contraintes. Je travaille à Québec, mais si je n’étais pas PADV, je serai revenu dans

mon coin à Rimouski. Sans auto, ce n’est pas évident. Au moins je suis à Québec, il y

a tout proche. Oui, la DV me bloque un tout petit peu dans la réalisation des activités

avec mes enfants. (David, 54 ans)

En fait, la question de l’accès à un moyen de transport pour répondre aux besoins des

enfants occupe une place importante dans le discours des participants. Les déplacements dans

la ville représentent pour les PADV un véritable défi. En raison des difficultés liées à la

mobilité « autonome », comme la conduite d’une voiture ou le déplacement à pied ou en

bicyclette, le transport adapté et le transport en commun apparaissent comme des vecteurs

très importants de socialisation et d’autonomie. Les participants soulignent quelques

inconvénients liés à l’utilisation du transport adapté, comme les longs délais d’attente lors de

déplacements, ce qui constitue un frein à son utilisation par les PADV.

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Les déplacements à pied se font bien quand le sol est sec. Mais l’hiver-là, c’est

difficile. L’école de ma fille est à 5 minutes à pied. Par conséquent, elle n’est pas

admissible pour l’autobus scolaire. De novembre à avril, je dois la reconduire en

transport adapté. Puis attendre au moins 30 minutes à son école avant d’avoir un

autre transport adapté qui va m’amener à mon travail. C’est pénible! Je suis en train

de faire les démarches afin qu’elle bénéficie du transport scolaire au moins en hiver.

Le transport adapté n’a rien voulu savoir. Je perds deux heures à l’aller et deux

heures au retour. Ça n’a pas de l’allure. En plus, je traine le siège auto de ma fille

avec moi à l’école, puis au travail. Vu que le transport adapté ne fournit pas de siège

auto et refuse de l’embarquer si je n’ai pas de siège. C’est épouvantable! Je parle

d’un trajet qui se ferait en 20 minutes si je n’avais pas de DV. 20 minutes pour aller

porter ma fille et me rendre au travail. (Véronique, 45 ans)

Nous le voyons dans ce récit, lorsque les services existent, les moyens utilisés ne

tiennent pas toujours compte des difficultés des parents et ne sont pas adaptés à leur réalité.

Au sujet de l’aspect relationnel des facteurs environnementaux méso-sociaux, les

données que nous avons recueillies sur le terrain montrent l’importance que les PADV

accordent à la qualité de leurs relations avec les professionnels qui gravitent autour de leur

enfant. Les résultats de recherche indiquent qu’il est crucial que des contacts positifs soient

établis avec les PADV en respectant leur rythme, en faisant preuve de non-jugement et

d’empathie. Il s’agit aussi de rester flexibles et de prendre en considération les besoins, les

croyances et les valeurs de ces parents. De telles techniques d’intervention apparaissent

essentielles pour établir une relation de confiance et pour assurer l’ouverture du PADV vis-

à-vis des apprentissages des habiletés nécessaires au développement de son enfant.

Certains parents soulignent aussi les attitudes négatives des professionnels. Ils ne se

sentent pas toujours à l’aise dans leurs interactions avec les professionnels de la santé et des

services sociaux (ergothérapeutes, travailleurs sociaux, etc.). Ils perçoivent souvent leurs

visites comme intrusives et servant à les juger plutôt qu’à les soutenir.

La gynécologue qui me suivait pendant ma grossesse portait beaucoup de jugements

au début. Au début ... Les six premiers mois, je dirais. Il n’y a jamais de personne du

corps médical qui va dire : « Tu es une grosse incompétente. Tu n’aurais jamais dû

faire un enfant », personne ne va dire ça. C'est des petites choses, des petites phrases,

des petits mots. Mettons, elle va dire : « Allez-vous avoir de l'aide, êtes-vous bien

entourée, avez-vous une famille qui va être là pour vous, changer les couches c'est

pas évident, c'est pas facile pour nous changer les couches et nous on voit ». C'est

des petites interventions comme ça, comme je dis, c'est rarement ... C'est pas :«

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Voyons tu es folle», jamais on va se faire dire ça. C'est des petites choses comme ça.

(Audrey, 37 ans)

Vu sous cet angle, ce sentiment d’être toujours surveillés par ces professionnels

aggrave leur difficulté à se sentir adéquat dans leur rôle parental. Les interventions des

professionnels peuvent donc contribuer à mettre de la pression sur les épaules des parents.

Enfin, les PADV estiment que plusieurs de leurs besoins ne trouvent pas réponse dans

le système public de services, ce qui affecte leur bien-être et celui de leur famille. La nécessité

d'avoir accès à des services d’aide à domicile a été exprimée par de nombreux participants.

Les PADV rapportent avoir besoin à divers degrés d’une aide humaine, matérielle ou

monétaire pour réaliser certaines tâches au quotidien

J’ai eu pendant quelques années l’aide pour le ménage à la maison. Avec les enfants,

c’est devenu un coût supplémentaire par mois trop exorbitant. Chaque visite coutait

entre 40 et 60$ pour 3h de services. C’est de l’argent que j’ai préféré mettre ailleurs.

Maintenant les filles sont plus grandes et on fait des journées de corvée à la maison.

Elles nous aident à passer la balayeuse, laver la salle de bain…Les enfants font ce

qu’ils peuvent surtout déplacer tous les obstacles pour que je puisse faire facilement

le nettoyage. Elles vont par exemple déplacer les chaises, ramasser les jouets. (André,

51 ans)

Vu sous cet angle, les participants perçoivent les bénéfices d’un accès à des services

d’aide ou de soutien à domicile de type professionnel.

Par ailleurs, les PADV réclament davantage d’appui et d’accompagnement dans la

satisfaction des besoins de leurs enfants. Le manque d'informations sur les services existants

serait un autre élément qui influence l’expérience parentale. La vulgarisation des

informations sur l’offre de services aiderait les PADV à connaitre les ressources spécialisées

pour leur situation et à bénéficier des interventions plus pertinentes. La mise sur pied d’un

ensemble de dispositifs d’aide aux devoirs pour les enfants confrontés aux difficultés

scolaires, ainsi que des dispositifs d’information et d’entraide (conférences spécialisées,

groupes de soutien, etc.) sont demandés.

Souvent, c’est le manque de connaissances. Il faut découvrir les services par nous-

mêmes. C’est parfois en parlant avec d’autres personnes… Les organismes comme le

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RPHV2, le ARHV3, le CQPA4, je ne connaissais pas ça pan’toute. C’est quelqu’un qui

m’en a parlé. L’IRDPQ non plus ne m’a jamais parlé de ces ressources

communautaires, pourtant j’y vais depuis l’âge de deux ans. (Hélène, 52 ans)

Les PADV insistent sur l’importance de connaître les ressources et d’y avoir accès en

temps opportun, sans nécessairement devoir faire partie d’une « clientèle cible ».

4.3.3 Facteurs macrosociaux

Le macro environnement fait référence au domaine sociétal, c’est-à-dire aux cultures

et sous-cultures de la société, incluant les normes, les valeurs et les croyances qui y sont

véhiculées (Bronfenbrenner, 1979). Pour comprendre cette dimension des facteurs

environnementaux, il importe de souligner l’influence des représentations sociales sur

l’expérience de parentalité de PADV. En ce sens, nos résultats rendent compte de discours,

de politiques et de pratiques antipathiques à la réalité de cette population.

Selon les PADV, de multiples discours circulent concernant leur capacité à prendre

soin des enfants. L’imagerie populaire les situe souvent comme des parents incompétents.

Mais, par contre, il reste qu'il y a toujours quand tu dis que tu t'en vas au centre

d'achats avec les enfants : « Hein comment tu fais ça ». Parce qu'eux ne connaissent

pas toutes les stratégies que moi j'ai développées au fil des années qui me permettent

de savoir pour moi-même que je sais que je vais le faire de façon sécuritaire, sinon

je n'irais pas. J'essaie d'expliquer à ces gens-là que non, non, ça va, en leur disant

comment ça se passe. Pas trop non plus dans la mesure où j'y vais, j'y vais […]. (Jean,

38 ans)

Selon les propos des participants, la peur d'être jugé ou stigmatisé par les proches, les

pairs ou les professionnels des services sociaux et de la santé, est basée sur le fait d'être un

parent avec une DV, ouvrant la possibilité d’être jugé comme insouciant ou incompétent

parce qu’ils ont eu des enfants malgré leur déficience visuelle.

Ça, j’ai beaucoup de commentaires. Il y a plusieurs personnes qui disent :

« Comment tu as fait ça ? Je n’aurais jamais fait d’enfant si j’étais dans ta condition,

je n’aurais jamais eu d’enfants » … C’est toujours de même. Waouh comment tu y

arrives ? Souvent, ça les choque que tu aies un handicap visuel … Ça fait : qu’est-ce

qu’elle fait avec un enfant dans les bras ? C’est insultant de vivre ça à tous les jours-

là ! (Françoise, 36 ans)

2 Regroupement des personnes handicapées visuelles (RPHV) 3 Association récré-active des handicapés visuels (ARHV) 4 Carrefour québécois des personnes aveugles (CQPA)

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Ainsi, les participants sentent une inquiétude dans leur environnement social quant à

leur capacité d’assumer leur rôle, de faire face à leurs obligations et à leurs responsabilités

vis-à-vis de leurs enfants. Un père témoigne des situations de discrimination, des

conséquences négatives des stéréotypes sur les différents aspects de sa vie familiale et sur sa

façon de voir les choses.

Quelqu'un qui n’a pas de handicap visuel n’a pas à s'expliquer tout le temps au

quotidien pourquoi il fait toutes les choses et comment il les fait. Il reste toujours une

préoccupation, mais il y a un haut niveau de confiance je dirais. (David, 54 ans)

De manière générale, l’imagerie populaire s'interroge donc sur la capacité des mères

et des personnes ayant une DV à prodiguer des soins adéquats à leurs enfants. La société

exige aux PADV de prouver leurs aptitudes parentales de diverses manières, sous peine de

voir les défaillances de leur système organique légitimer une mesure de substitution

parentale. Les PADV cherchent alors à se construire une identité particulière de parent,

malgré les souffrances psychologiques.

Je pense qu'ils s'imaginent que comme parent handicapé visuel, forcément, j'ai

quelqu'un qui vient à la maison me cuisiner mes repas, je vais tout le temps à la

maison de la famille pour compenser l'éducation que je ne peux pas donner à mes

enfants, alors que ce n'est pas le cas. Il y a beaucoup d'incompréhension. Je pense

que c'est une perception de «ah pauvre lui, mais au moins ses enfants vont pouvoir

s'en occuper». Il y a comme une pitié, je ne sais pas si c'est envers moi ou les enfants.

Ils regardent ça avec un certain attendrissement. (Jean, 38 ans)

De telles exigences engendrent chez les PADV des sentiments de détresse et de

colère. Vu sous cet angle, la nécessité de devoir constamment démontrer leurs compétences

en tant que parent devient une source de stress.

Si j'enfarge mon fils, il marche et je l'enfarge, on dirait que parce que je ne vois pas,

ça va être toute une affaire. « C'est normal, elle voit pas », alors que ça peut arriver

à n'importe quel parent de l'accrocher. Comme je dis, si je lui mets deux bas de la

mauvaise couleur, une mère qui voit va faire ça et le monde va dire : « Elle était mal

réveillée ce matin », alors que moi ça va être : « Ah mon dieu, pauvre enfant, sa mère

ne voit pas ». Ça va toujours être ramené à ça, alors que c'est des choses qui peuvent

arriver à n'importe qui. (Lynda, 40 ans)

Somme toute, les participants jugent que la société reflète une attitude ambivalente et

contradictoire face à leur parentalité. Elle reste ouverte à leur projet de parentalité, mais sans

mettre les services nécessaires.

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4.4 Stratégies développées par les PADV

Les expériences de parentalité des PADV s’avèrent parsemées de défis et de

difficultés, ce qui donne lieu à la mise en place de plusieurs stratégies pour les surmonter. La

majorité des participants mentionnent leurs démarches personnelles de mise au point de

stratégies. Certains parlent du recours aux habiletés personnelles. D’autres disent aller

chercher de l'aide dans la communauté, ou encore dans le réseau de la santé et des services

sociaux afin de répondre aux besoins de leurs enfants. Nous distinguons donc deux grandes

catégories de stratégies : personnelles et environnementales.

4.4.1 Stratégies personnelles

Cette section aborde toutes les astuces que les PADV ont développées pour composer

avec la DV afin d’en atténuer ses impacts dans la vie avec leurs enfants. Nous verrons donc

que, pour une majorité de participants, l’ingéniosité est un catalyseur qui permet d’améliorer

leur capacité à répondre aux besoins de leurs enfants. D’ailleurs, ces stratégies ingénieuses

ont des effets positifs directs sur leur expérience de parentalité.

Plutôt que de me référer aux explications et aux conseils qui sont souvent formulés

dans les différents manuels, j’ai élevé mon enfant en faisant preuve de créativité. Les

enfants n’ont pas de modes d’emploi. J’ai compris toute seule les besoins, les craintes

de mon enfant. Oui, j’ai trouvé des trucs aussi à force de faire face aux difficultés.

Oui, je me suis fait mes propres trucs. (Véronique, 45 ans)

La majorité des participants affirment que de nombreuses stratégies ingénieuses

peuvent accroître la performance, augmenter la motivation et générer un sentiment de

satisfaction dans l’expérience parentale. Concernant les stratégies alimentaires par exemple,

une mère raconte :

C'est des stratégies comme ça que j'ai développées pour bien faire manger, où quand

je nourrissais un enfant en chaise haute, pour trouver la bouche, je me lavais toujours

comme il faut les mains, j'allais trouver la bouche de l'enfant avec mon doigt pour

avoir un repère et j'allais porter la cuillère vers mon doigt pour la mettre dans sa

bouche. Donc, ça me permettait de pas lui mettre la cuillère dans l'œil, mettons, des

choses comme ça. J'ai comme intégré ça très progressivement. (Hélène, 52 ans)

Cette stratégie alimentaire répond à la fois au besoin de nutrition et de sécurité de

l’enfant. Nombreux sont les participants qui ont utilisé cette technique afin d'éviter que se

produise un accident au moment du repas.

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De même, quelques stratégies vestimentaires permettent à ces parents de faire preuve

d’une plus grande autonomie dans la vie quotidienne avec leur enfant.

Pour moi, la tuque et les mitaines toujours dans les manches de manteau. Les bottes,

toujours à la même place. Avec leur mère, la tuque dans le fond du garde-robe, les

mitaines sur le bord des escaliers et le manteau sur la chaise. Moi, je ne tolère pas

ça. Tout va un dans l’autre, et demain, tu ne te chercheras pas. Tu vas tout avoir à la

même place. Moi, j’ai un problème de vision, je n’ai pas le temps de chercher dans

le fond du garde-robe une mitaine. En plus, il fait noir là-dedans. Ma stratégie, c’est

le rangement. Quand ce n’est pas rangé, je perds le contrôle. (Richard, 51 ans)

En matière d'habiletés de communication, les PADV adoptent des stratégies très

efficaces. Par exemple, pour suivre le déroulement de certaines actions, les PADV affirment

avoir recours à d’autres repères tels que le son et le toucher. Ainsi, pour suppléer à l’absence

de vision, les PADV développent d’autres dispositifs adaptatifs pour interagir avec leur

enfant.

Pour aller au parc, c’était, je t’appelle une fois, deux fois, trois fois. Oups! Il y a une

conséquence au troisième appel vu que moi, je ne peux pas le surveiller visuellement.

Il fallait qu’il réponde… (Jean, 38 ans)

Ce récit montre que la dimension sonore est bien exploitée par les enfants, qui

semblent, recourir aux balises de repérage sonore auxquelles le parent est sensible. Certaines

PADV déploient toute leur sensorialité pour tenter d’identifier quelques signaux des enfants.

L’audition leur permet notamment de repérer les bruits subtils que les enfants émettent

vocalement.

Au final, c'est drôle, parce que toute ma grossesse, j'ai dit à mon enfant : « Maman

ne te verra pas, mais elle va t'entendre ». On a un bébé qui fait beaucoup de bruits,

pas dans le sens où il crie et tout ça, mais il se manifeste beaucoup de façon sonore.

Ça, c'est très drôle. C'est vraiment rigolo. Oui, il va faire beaucoup de sonores, des

petits cris comme de joie. Il fait beaucoup beaucoup de pets avec la bouche, il adore

ça. C'est très sonore. C'est vraiment très drôle, parce que quand il fait caca, il ne

force pas juste de la face. Il fait du bruit. C'est impossible que je le manque, on a le

son et l'odeur. C'est vraiment drôle, c'est la première fois que je vois un enfant faire

autant de sons, c'est vraiment comique. (Audrey, 37 ans)

Le toucher leur permet par exemple de valider de l’information. Ces parents affirment

avoir un plus grand recours au toucher. Par exemple, un père raconte :

Je me sers beaucoup du toucher, je palpe beaucoup. Par exemple, si la vaisselle n’est

pas lisse, ça veut dire qu’il faut encore frotter dessus. C’est moi qui lave le poêle en

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céramique, qui frotte et le rend lisse. Quand, je dois donner un verre de lait à mon

fils pour sa collation, je mets mon doigt dans le verre pour vérifier le niveau du

liquide... J’ai subitement un blanc… Mais, j’utilise beaucoup le toucher. (Stéphane,

41 ans)

Une majorité de PADV insiste sur la nécessité de maintenir une certaine autonomie

dans la gestion de la vie quotidienne avec leurs enfants et une aspiration à développer une

certaine indépendance dans la vie de famille. Par exemple, ils se centrent sur leurs habiletés

personnelles pour construire leur projet de parentalité. À ce sujet, un père raconte :

Je leur dis toujours que moi, j'ai décidé d'avoir des enfants parce que je me sentais

capable de m'occuper d'eux et non pas ... Un bébé aux couches, ça ne peut pas aider son

père qui est aveugle. Je savais que mes habiletés personnelles me permettraient de

prendre soin d’un enfant. Je savais déjà faire beaucoup de choses. Je me sentais donc

prêt pour m’occuper d’un enfant. (Richard, 51 ans)

De ce point de vue, la recherche de l’autonomie est un thème récurrent chez plusieurs

participants et pallier à leurs manques d’autonomie les préoccupe.

Les participants ont davantage tendance à utiliser des stratégies du devoir accompli

afin de se rassurer d’avoir réalisé les tâches de leur mieux, ce qui diminue les conséquences

des émotions négatives sur la réalisation des activités avec leurs enfants.

Je ressens souvent beaucoup de frustration, de colère interne et de tristesse. Moi, qui

ait déjà fait énormément de vélo et de voyage en vélo. À cette heure, je ne peux plus

en faire. J’aurais aimé faire beaucoup de voyages avec ma fille…c’est la plus grande

chose qui me fait de la peine, je pourrais dire. Mais, j’ai accepté ça... Dans ce cas, je

profite bien des choses que je réussis à faire avec elle. (David, 54 ans)

Le corpus de données met aussi en exergue la présence d’attitudes positives. Sans nier

leurs difficultés dans la réalisation de certaines activités de la vie quotidienne avec leur

enfant, il est intéressant de constater que les participants se comparent très souvent à des

parents sans DV en s’estimant tout aussi « bons ». Lorsque ces parents se sentent stigmatisés,

ils ont davantage tendance à utiliser des stratégies visant la protection de leur estime de soi.

À titre d’exemple, ils peuvent faire le choix de cibles de comparaison qu’ils considèrent les

avantager.

Je suis capable de plus relativiser que je pensais être capable de faire. Pouvoir dire

que ça me dérange moins certaines choses que je pensais qui me dérangerait. Par

exemple, en nourrissant mon fils, je le salis plus que quand son père le nourrit. Au

début, je pensais que ça me ferait tout un effet, mais finalement, on le lave et il n’est

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plus sale, ce n'est pas grave. Je prends ça du bon côté. Du genre sa mère est une

femme propre! Je relativise beaucoup. Ce n'est pas des choses graves, ce n'est pas

des choses dont l'enfant va même se rappeler. L'important c'est qu'il ait été nourri, et

après ça qu'il soit lavé, qu'importe comment on le fait. Je relativise plus ça que je

pensais. Je pensais que je me mettrais plus de pression. C'est pas que je m'en mets

pas, mais je pensais que je m'en mettrais plus que ça. (Audrey, 37 ans)

Vu sous cet angle, les PADV se forment une carapace pour affronter les adversités de

la vie. La majorité de ces parents ont de plus, une grande humilité : ils savent qu’ils ont plus

de limitations dans la réalisation des activités de la vie quotidienne. Par conséquent, ils

s’organisent bien plus en amont pour prévenir les dangers ou les situations difficiles. C’est

ainsi qu’ils mettent en place un certain nombre de stratégies dans un souci de vigilance, pour

anticiper tout problème et confirmer qu’ils prennent leurs responsabilités.

4.4.2 Stratégies environnementales

Les stratégies environnementales englobent tous les facilitateurs de l’environnement

physique et social qui permettent aux PADV d’atténuer les obstacles rencontrés dans la vie

avec leurs enfants.

Par exemple, le soutien à domicile offert par le CLSC peut permettre à ces parents

de constituer des réserves de nourriture, d’accomplir certaines tâches ménagères.

Une chance que j’ai le soutien du CLSC. J’ai 13h d’aide à domicile pour m’aider

chaque semaine. Je repartis habituellement ces heures entre la lecture du courrier,

faire mon épicerie, préparer quelques repas, etc. Ce n’est pas une aide énorme, mais

cela me soulage et me permet de me concentrer sur les tâches où je suis plus

habile. (Françoise, 36 ans)

Dans cet exemple, la réalisation de certaines tâches se fait par substitution. En

d’autres termes, l’aide à domicile consacre du temps à la réalisation des tâches ménagères de

base (laver, cuisiner, nettoyer). En ce sens, ces activités se font par une autre personne, ce

qui libère du temps au PADV. La présence ou encore l’aide d’une autre personne peut

également conduire à des interactions susceptibles de modifier le temps que le PADV investit

dans le travail domestique.

Dans certains cas, l’expérience de parentalité consiste à adopter des stratégies

d'éducation qui permettent d'adapter graduellement les habiletés du PADV afin de répondre

de façon satisfaisante aux besoins de l'enfant. Par exemple, le livre numérique apparait

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comme une solution pour la lecture. Ces livres utilisent des supports tels que les ebooks, les

liseuses, les tablettes, les téléphones intelligents, les objets connectés. Ainsi, il semble

qu’aider les PADV à appréhender et manipuler ces nouvelles technologies pourrait

augmenter les occasions pour ces parents de lire en ligne. D’ailleurs, quelques mères disent

avoir pu, de cette façon, chanter une chanson ou une comptine, lire des histoires plusieurs

fois à leurs enfants.

Les livres pour les enfants de 0-5ans sont écrits assez gros. J’y arrivais…Sauf qu’à

un moment donné, ça devient de plus en plus petit et de plus en plus long. Il y a un

projet au SQLA5 qui a été fait par une mère justement non voyante qui se disait : « Ça

se peut pas ... » Parce que tout le monde donne des livres audio pour le petit. Toi, tu

n’es pas capable de lui lire, donc le geste est beau, mais ce n'est pas vrai que je vais

plugger mon fils devant une cassette et qu'il va écouter ça. Je veux lui lire des

histoires moi aussi. Je ne dis pas de temps en temps, ça peut agréable d'écouter

l'histoire ensemble. Mais, je veux que mon fils voie que oui, je peux lui lire des

histoires moi aussi. Ce n'est pas parce que je ne vois pas qu'on est condamné aux

livres sur CD. Il y a des livres qui commencent à être faits en duomédia qu'ils

appellent. Ce sont des livres à la fois en braille et en imprimé qui conservent toutes

les images avec le texte imprimé et le texte en braille. Le parent non-voyant peut lire

et l'enfant a encore accès aux images qui sont dans le livre. (Lynda, 40 ans)

Sur le plan éducatif, les PADV prévoient aussi le recours à des aides techniques afin

d'être en mesure de satisfaire les besoins de leurs enfants. Selon eux, ces stratégies éducatives

visent à éviter que leurs enfants subissent les effets causés par le manque de vision.

Ce que je réalise aujourd’hui, c’est au niveau de l’implication scolaire. Il faut que je

travaille avec ma télé visionneuse, qui est dans le bureau loin de la salle à manger.

Pour y arriver, il fallait que je lise le soir ce que ma fille allait faire le lendemain

pour imprimer les feuilles plus grosses. Dix ans en arrière, la télé visionneuse pour

lire et scanner n’existaient pas encore. Ça fait juste 1 an que j’en ai une. Si j’avais

eu ça avant, ça m’aurait énormément aidé. Maintenant, je fais des jeux quizz avec ma

fille. J’écoute la question et lui demande de me donner la réponse. Avant, c’était

majoritairement ma conjointe qui s’occupait de l’éducation scolaire. (Stéphane, 41

ans)

Certains participants rapportent avoir recours à l’aide d’un tiers voyant pour obtenir

certaines informations (lire le cahier de textes de leur enfant, remplir des documents

administratifs, etc.).

5 Service québécois du livre adapté (SQlA)

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C'est plus difficile pour moi de faire réviser les mots de vocabulaire. Des fois, je le

faisais par contre, comme j'ai de très bons amis, des fois par exemple, ils vont me lire

les mots au téléphone, et moi, je les enregistre sur mon enregistreur. Ça me permettait

de pouvoir le faire faire à mes enfants sans qu'ils lisent les mots, parce que s'ils les

lisent, c'est certain qu'ils vont savoir comment ça s'écrit. Moi, ça me permettait, en

ayant des stratégies comme ça avec mes amis ou en adaptant des choses, ça me

permettait de compenser un peu, mais ça reste plus difficile aussi. (Jean,38 ans)

Dans certaines situations, les PADV doivent préalablement accepter de faire appel à

leurs proches ou de faire une demande d’aide afin de bénéficier des services. Ici, l’acceptation

de la DV s’avère cruciale pour soulager les difficultés rencontrées dans l’expérience

parentale.

Aller au magasin acheter les souliers, là, ça va me prendre tout un après-midi-là.

C’est long ! je trouve ça trop dur ! À cette heure, je ne le fais plus toute seule. Je

demande de l’aide à mes proches. (Véronique, 45 ans)

Parfois, la perte progressive de la vue oblige le PADV à s’adapter à la société en

acceptant ses propres limites. Face aux difficultés et aux obstacles de la vie quotidienne, les

PADV mobilisent d’autres ressources afin de se protéger contre l’effondrement, l’isolement

ou encore l’inaction.

Les participants développent des stratégies qui assurent à leurs enfants un

environnement sécuritaire. La majorité des PADV se considèrent comme « mères ou pères

poules ». Ce désir de surprotection de l’enfant s’explique en partie par la crainte et

l’insécurité que suscite la perte de contact physique avec l’enfant. Ainsi, les pères disent

mettre en place un encadrement très serré pour les activités de leurs enfants. Un père

témoigne :

Ma fille patine cinq jours semaine. C’est toujours un peu préoccupant à ce niveau-

là. Je suis peut-être papa poule. J’aime mieux qu’on aille la reconduire au lieu qu’elle

prenne l’autobus. Je ne réussis plus à la suivre sur la glace. Aujourd’hui, l’aréna

c’est trop dur pour mes yeux. Le blanc de la glace est très éblouissant. Je préfère

payer quelqu’un qui veille sur elle partout dans ses entrainements et ses compétitions

et ses tests de danse. Je suis autant papa poule qui va la surprotéger et être sévère, À

la limite trop sévère, trop papa poule… (Stéphane, 41 ans)

En outre, quelques participants ont fait un portrait des caractéristiques les plus

aidantes chez l’enfant. Ils reconnaissent que les comportements positifs des enfants (par

exemple, l’autonomie) représentent un des éléments qui pourraient faciliter l’expérience

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parentale. Les participants disent que lorsque leurs enfants se comportent bien, réussissent

bien à l’école ou encore ont un bon état de santé, ils peuvent eux-mêmes relâcher la

supervision de certains faits et gestes de l’enfant, ce qui diminue leurs émotions négatives

comme le stress, l’anxiété et la peur.

À la polyvalente je n’ai pas de problèmes. Les enfants sont vraiment coachés, ils ont

vraiment de l'aide de la part des tuteurs et ils ont des suivis. Les enseignants leur

donnent beaucoup de responsabilités. J'ai les plans de travail à toutes les semaines.

Ils communiquent par courriel avec moi en cas de besoin. Ça va très bien. J'ai tout,

tout, tout pour la réussite scolaire de mon enfant. Je n’ai pas de stress et d’inquiétude

à me faire à ce niveau-là. (Hélène, 52 ans)

Les mères et les pères décrivent quelques-unes des stratégies développées par leurs

enfants pour surmonter les difficultés que leur parent ayant une DV rencontre. La majorité

des PADV évoquent les capacités adaptatives de leur enfant face à la déficience visuelle, par

exemple des stratégies de communication appropriées : « Quand il dit « regarde », il me

prend la main. » Certains enfants lisent aussi des écrits pour leurs parents : « Quand je veux

savoir si c’est une canne de tomates ou de pois chiches, Tom lit rapidement pour moi. Je n’ai

même pas le temps d’utiliser mon « Pen Reader » qu’il l’a déjà fait » (Jean, 38 ans). Nous le

voyons dans ces extraits de verbatim que les enfants souhaitent parfois aider leurs parents.

Dans ces cas, les PADV utilisent leur bon sens et déterminent ce qu’ils peuvent céder aux

enfants pour leur fait plaisir ainsi que ce qui ne relève pas de leur rôle. En bref, ils sont les

seuls juges de ce qui est bien ou moins bien pour leurs enfants.

Dans certaines situations, le PADV peut participer à la réalisation de l’activité, mais

avec l’aide d’un tiers et des adaptations techniques.

Je joue aux échecs avec ma fille et je vois bien là. Là, on s’est trouvé une belle

adaptation pour rendre possible quelque chose qui nous faisait mal, qui nous

choquait, ça me choquait à cause de ma vision, ça me choquait de ne pas voir parce

que c’est trop petit. Ça me faisait de la peine pour ma fille, c’était trop difficile. Je

jouais pareil un peu, mais à un moment donné, ça devenait trop long. À cette

difficulté, nous avons trouvé la solution. (André, 51 ans)

Nombreux sont les parents qui disent que le jouet adapté est un facilitateur dans la

transmission des apprentissages à leur enfant. Ainsi, ils achètent surtout des jeux en braille

ou adaptés.

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Alors, dans le jouet adapté, ça prenait des jouets avec du son et de la lumière. Il y a

aussi des cahiers à colorier avec du relief pour qu'on puisse colorier aussi. Il y a

justement des jeux de société, des jeux de mémoire en braille. Je veux quand même

qu'il voie que, je trouve ça important qu'il voit que ce n'est pas parce que ... Qu'il y a

des moyens de contourner le handicap et d'adapter les choses. (Audrey, 37 ans)

Finalement, pour tenter de combler le manque de temps engendré par le rythme de la

vie familiale, les PADV s’appuient sur certaines mesures ou lois établies dans la société. Par

exemple, ils soulignent la flexibilité des horaires de travail qui leur permet de concilier leurs

vies de famille et professionnelle.

Je suis chanceux de faire 35h semaines, d’être fonctionnaire. Ce ne sont pas tous les

parents qui sont là à tous les jours. Moi, si à 8h, ma fille a besoin d’aide à l’école ou

s’il faut que j’aille voir un prof ou autre, j’ai une flexibilité d’horaires. J’ai jusqu’à

9h30 pour rentrer le matin. Je peux finir à 15h30. J’ai du temps en masse pour diner.

J’ai une qualité de vie. Je ne travaille jamais les fins de semaine ou les soirs. Ce sont

des avantages que j’ai comparativement à d’autres parents. J’ai des horaires

flexibles. Je peux m’absenter du travail. Hier, je n’étais pas là, il faisait tempête.

Souvent, quand tu travailles au privé, tu ne peux pas te permettre d’avoir des

maladies et des vacances. Je suis chanceux d’avoir ça. C’est un avantage. (André, 51

ans)

Ici, nous observons que le temps devient un élément important dans la vie de famille.

Avec la DV, la quantité de temps demandée pour les soins aux enfants et les tâches

domestiques peut être modifiée. Ainsi, la mobilisation des ressources apparait cruciale pour

maintenir un équilibre dans la dynamique de famille.

Somme toute, les participants ont amplement illustré les stratégies d'adaptation

développées lors des entrevues. Les motifs qui les ont amenés à développer des stratégies

d'adaptation varient d’un participant à l’autre. Assez souvent, ils désirent, par le biais de leur

ingéniosité et de leur créativité, réduire les obstacles personnels et environnementaux qui

affectent la réalisation de leurs habitudes de vie, notamment la parentalité. Dans les stratégies

développées, nous avons donc identifié des stratégies alimentaires, vestimentaires,

éducatives, de communication, de sécurité, technologiques, institutionnelles et

communautaires. Ces stratégies développées par les participants sont susceptibles de les aider

dans la réponse apportée aux besoins de leurs enfants.

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Chapitre 5 : Discussion

Ce chapitre reprend les éléments essentiels des résultats de l'analyse, en les mettant

en relief à partir du cadre théorique choisi et des éléments de la recension des écrits.

A titre de rappel, l’objectif général de cette étude était de mieux comprendre les

facteurs qui facilitent ou entravent l’expérience parentale de pères et de mères ayant une

déficience visuelle (DV). Pour cela, la perspective d'une étude exploratoire descriptive du

phénomène étudié a été choisie, tandis que l’utilisation d'une méthode qualitative a été

privilégiée. Le corpus de résultats issu de l'analyse du contenu de 10 entrevues permet une

compréhension utile du phénomène étudié tout en respectant la diversité des expériences

vécues par chacun des parents rencontrés. L’analyse des témoignages des participants

rencontrés a permis 1) d’identifier les facteurs personnels et environnementaux influençant

l’expérience et les pratiques parentales des PADV; 2) de décrire les stratégies développées

par les PADV pour vivre efficacement leur parentalité.

Ainsi, les résultats dégagés de l’analyse mettent en exergue la complexité et la

variabilité des conditions influençant la parentalité. Celles-ci ont pu être explorées et

approfondies grâce à l'organisation des données selon le cadre conceptuel du MDH-PPH2,

car ce dernier permet de cerner les différentes relations entre les facteurs personnels

(intrinsèques) et les facteurs environnementaux (externes) déterminant la réalisation des

habitudes de vie » (Fougeyrollas et al., 1998, p. l). En effet, ce cadre théorique s'est avéré

très pertinent afin de mieux comprendre l’interaction entre les facteurs personnels et

environnementaux influençant l’expérience parentale chez les PADV.

L’analyse des informations recueillies lors de la recherche sur le terrain montre que

l’expérience de parentalité est ponctuée de difficultés et exige un effort d’adaptation constant,

soulignant ainsi les défis et enjeux associés à cette parentalité. Nos résultats éclairent

également les différentes stratégies que les PADV mettent en place pour compenser leur

déficit organique.

5.1. Facteurs qui entravent l’expérience de parentalité de PADV

La présente section résume les situations et les difficultés particulières auxquelles

sont confrontés les PADV, en précisant les éléments et les aspects qui ont déjà été explorés

dans les études antérieures. Certaines sont de nature environnementale, et la plupart sont

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69

susceptibles d’être modifiés. Par exemple, la précarité financière des parents, leurs moyens

de déplacement, leur accès aux nouvelles technologies ou encore leur connaissance des

services en soutien à la parentalité sont autant d’éléments qui peuvent avoir une influence sur

l’exercice du rôle parental et la satisfaction des besoins de l’enfant.

Il est intéressant de noter que les résultats obtenus en lien avec le thème de la mobilité

corroborent les résultats d'autres écrits (Begley et al. 2009; Gojard, 2003). En plus de

manifester un fort désir d'autonomie, plusieurs personnes ayant une incapacité visuelle ont

conquis leur indépendance en apprenant à se déplacer avec une canne ou un chien.

Cependant, lorsqu’ils deviennent parents, leur autonomie est fragilisée en raison de nouveaux

apprentissages auxquels ils sont confrontés, comme par exemple lors de sorties avec les

enfants. L’autonomie apprise préalablement risque être compromise avec leur nouveau statut

de parent. Les questions de mobilité, de transport ou encore de déplacement peuvent être

aggravées par plusieurs facteurs environnementaux, tels que la situation financière, la

localisation géographique, le réseau de soutien. Plusieurs auteurs insistent sur le fait que

l’aménagement de l’environnement physique de ces parents entraine une diversification des

possibilités de participer aux activités dans leur communauté, ce qui réduit les barrières dans

la vie avec leurs enfants (Conley-Jung & Olkin, 2001; Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden,

2014).

Par ailleurs, répondre efficacement aux besoins des enfants englobe différents besoins

sur le plan du soutien à l’autonomie. Certains des problèmes rencontrés par les parents

handicapés peuvent être liés à des défaillances du système organisationnel plutôt qu'à des

difficultés individuelles. En ce sens, le fait pour un parent d’avoir un réseau de soutien élargi

et significatif pourrait représenter le point de départ à la pleine participation sociale. Si les

services étaient fournis de manière adéquate, toutefois, les parents n'auraient pas besoin de

faire appel à leurs proches pour obtenir de l'aide (Olkin, 1999). Cependant, encore faut-il que

ces services soient en adéquation avec plusieurs facteurs personnels et environnementaux.

Pour être efficaces et adéquats, les services offerts doivent tenir compte de l’incapacité du

parent, des besoins liés à l'âge des enfants, des antécédents familiaux, de l'environnement

résidentiel et collectif et du partage des tâches entre conjoints. Ce constat rejoint les

conclusions des travaux de Preston (2010).

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70

De plus, l’absence d’aménagements dans l’environnement physique et social du

PADV aidant à assumer l’éducation et le développement de l’enfant, pourrait justifier le

sentiment d’incertitude, la perception de connaissances insuffisantes et l’impression de ne

pas avoir les bons outils manifestés dans les entrevues. Par exemple, les PADV rapportent

rencontrer des difficultés pour l’accompagnement dans les devoirs. Concrètement, lorsqu’il

s’agit pour le PADV de vérifier les devoirs à faire dans l’agenda de l’enfant et de convenir

avec lui d’un plan de travail qui établit l’ordre des tâches à effectuer, de nombreux freins à

l’accompagnement dans les devoirs sont repérés (comme la lecture des écrits papier). Dans

ce cas, l’accès aux équipements technologiques adaptés permet aux PADV de prendre

confiance dans l’accomplissement de cette tâche. Néanmoins, quelques chercheurs

remarquent que l’accès aux supports technologiques adaptés demeure toujours limité à ce

jour (Begley et al., 2009).

En se référant au modèle du MDH-PPH2, ce sont non seulement les obstacles

physiques et architecturaux, mais aussi psychologiques et sociaux qui empêchent les

personnes ayant des incapacités de pleinement participer socialement et de mener une

existence autonome (Fougeyrollas, 2010; Weber, 2004). Avec ce modèle conceptuel, nous

nous trouvons au cœur du rapport personne-environnement, omniprésent en travail social.

Rappelons que le travail social considère que l’individu et son environnement sont

inévitablement liés dans un processus dynamique (OTSTCFQ), 2012). En ce sens, il devient

impossible d’occulter l’impact du milieu de vie sur la participation sociale des PADV. Les

interventions visent à améliorer la participation sociale par un soutien aux PADV doivent

donc simultanément considérer les dimensions personnelles et environnementales. Dans ce

sens, le MDH-PPH2 est certainement le modèle le plus adapté à la lecture de nos résultats de

recherche.

Dans la présente étude, les PADV affirment avoir subi plusieurs préjugés à l'endroit

de leurs compétences parentales. Ces parents semblent ne pas répondre à la norme que la

société a créée en matière de rôle parental. Alors, ils disent se sentir souvent stigmatisés. Pour

Goffman (1963), le stigmate est la marque de la différence et il considère que le handicap est

stigmatisé en raison de sa non correspondance à la norme. Tel que l’ont démontré d’autres

études, la stigmatisation des personnes ayant des incapacités reste ancrés dans l’inconscient

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71

collectif (Frederick, 2015; Meadow-Orlans, 2002; Molden, 2014). Selon ces auteurs,

plusieurs PADV ont déjà été victimes de discrimination ou ont été traitées injustement à

cause de leur déficience corporelle. Cette notion de discrimination nous mène au cœur du

principe de participation sociale (Weber, 2004). En effet, il s’agit d’envisager des mesures

en vue d’éliminer les formes multiples de discrimination qui frappent les personnes ayant des

incapacités. Nos résultats offrent des repères pour l’action. Par exemple, le fait de vivre des

situations de discrimination fondées sur le handicap témoigne du niveau d’inadéquation entre

l’environnement et les caractéristiques de la personne (Weber, 2004).

Ces résultats permettent de s’interroger sur certains préjugés ou stéréotypes qui

pourraient contribuer à la sensation des PADV d’être en quelque sorte surveillés quant à la

qualité de leurs compétences parentales. En somme, la présente recherche montre que c’est

la société, par ses normes établies, qui semble déterminer la valeur à donner au PADV en

tant que personne « capable » ou « incapable » de satisfaire aux besoins d’un enfant. En ce

sens, la majorité des participants ont rapporté ressentir l’obligation de dépasser les limites

normatives établies par la société dans la vie avec leurs enfants. Certains en viennent à

développer de grandes attentes à l’endroit de leurs enfants. Par exemple, les PADV aspirent

que leur enfant soit sage, bien élevé, obéissant, etc. Conséquemment, ces parents

s’investissent énormément afin que leurs enfants réussissent sur le plan scolaire et social. La

parentalité avec une déficience visuelle sollicite un engagement important de la part des

parents, ce qui mobilise inévitablement une somme importante de temps et d’énergie des

parents concernés. Autrement dit, l’engagement parental peut être éreintant. À ce sujet,

pendant que ces parents affirment répondre de manière satisfaisante aux besoins de leurs

enfants, ils ont l’impression que la société juge leurs capacités personnelles insuffisantes.

Ceci rejoint un constat établi par plusieurs auteurs qui montrent dans leurs travaux que le

soupçon d'incapacité parentale pèse parfois injustement sur les couples aveugles (Gojard,

2003 ; Kent, 2002; Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden, 2014).

Plusieurs PADV éprouvent de la crainte et de la résistance à l’idée de demander de

l’aide, ou tout simplement, ils refusent d’accepter les services offerts. Ils affirment avoir

souvent masqué ou dissimulé la DV en raison du malaise que paraît soulever leur parentalité.

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72

Pressentant ou anticipant des reproches à leur endroit, ces parents peuvent hésiter avant de

demander l’aide nécessaire (Gojard, 2003).

Témoignant d’une attitude pessimiste, quelques participants ont fait un portrait

sombre de leur parentalité, ancré dans des événements vécus. Leur discours se distingue par

une insistance sur leurs vulnérabilités (p. ex. : déficit visuel) et par l’absence ou le peu de

référence à leurs capacités. Selon Meadow-Orlans (2002), la présence d’attitudes négatives

et de croyances stéréotypées peut nuire à la mise en place de stratégies ingénieuses et

créatives de la part des PADV.

Notre analyse nous permet de voir comment l’environnement, pris au sens du

Processus de production du handicap, constitue un lieu de production de préjugés et de

stéréotypes qui influent sur la parentalité de PADV. Nos résultats soulignent bien que les

PADV rencontrés sentent que persistent les perceptions relativement négatives à leur égard.

En effet, leur potentiel de participation sociale, notamment concernant leur capacité à élever

un enfant, ne leur semble pas pleinement reconnu.

Nos résultats mettent aussi en exergue les conséquences néfastes pouvant survenir

lorsque les compétences parentales de PADV sont remises en question. D’après les résultats

de plusieurs études,de telles conséquences peuvent se traduire par du repli sur soi, de

l’isolement, une baisse de l’estime de soi ou encore de la détresse psychologique (Conley-

Jung & Olkin, 2001; Kirshbaum & Olkin, 2002; Molden, 2014). Lorsqu’ils rencontrent

plusieurs difficultés, la plupart de ces parents se sentent souvent découragés, ce qui affecte

dans le même temps leur confiance en eux. Dans ces cas, ils perçoivent leur situation

personnelle comme éprouvante. Dans une autre étude (Kent, 2002), on souligne que la

plupart des problèmes vécus par les PADV peuvent, au-delà des questions de déficience

visuelle, être en lien avec une détresse psychosociale. Les PADV vivent assez souvent des

émotions polarisées, en ce sens qu’ils se sentent tiraillés entre des émotions positives et des

émotions négatives.

En conclusion, ces points semblent particulièrement centraux au regard des habiletés

parentales. Les incapacités visuelles limitent certaines habiletés, ce qui génère des besoins

chez les parents. Par exemple, le niveau de pauvreté, l’absence d’implication de l’autre

Page 80: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

73

conjoint ou encore l’isolement social et la stigmatisation représentent des circonstances

aggravantes en matière de préoccupations. Le tout peut amener les personnes à éprouver un

sentiment d’incompétence, qui est présent depuis leur enfance, mais qui s’étendra aux

interactions pour lesquelles ils ont des responsabilités, à savoir la pratique parentale. Il s’agit

d’un cercle vicieux : l’augmentation des besoins renforce et augmente le sentiment

d’incompétence, qui contribue à maintenir un niveau de préoccupation élevé, et ainsi de suite.

Il est toutefois important de spécifier que l’objectif visé par les PADV rencontrés n’est pas

de ne jamais rencontrer d’obstacles ou vivre de situations difficiles, mais bien d’être en

mesure de s’en sortir lorsque cette éventualité se produit.

5.2 Facteurs qui facilitent l’expérience de parentalité de PADV

Dans cette section sont résumés les principaux facilitateurs de l’expérience de

parentalité avec une déficience visuelle. En effet, nos résultats dévoilent diverses stratégies

personnelles développées par les parents pour satisfaire aux besoins de leurs enfants. D’un

côté, les PADV voient effectivement comme solution les appareils adaptés ou les aides

technologiques. De l’autre, la solution la plus déterminante qui se présente est la réduction

des barrières visibles et invisibles.

Être parent apparait comme un choix individuel, personnel, qui s’inscrit en même

temps dans un contexte social donné. Les PADV éprouvent le désir que leur parentalité soit

considérée, ce qui peut être relié au besoin de reconnaissance sociale. Quelques recherches

ont d'ailleurs mis en lumière des constats semblables (Kent, 2002). Dans ce type de

configuration, le fait que la population en générale se libère des stéréotypes et des préjugés

qu’elle entretient à l’égard de la différence peut avoir une influence positive sur la parentalité

de personnes ayant une déficience visuelle. Ce changement de perception fondé sur les

principes d’égalité et de respect des aspirations, des potentiels et des expériences de chacun,

semble essentiel pour la reconnaissance de l’apport du PADV à l’enrichissement collectif.

D’après les analyses des propos recueillis chez ces participants, la parentalité donne accès à

un nouveau statut. En effet, être parent offre une occasion de croissance personnelle. Le

PADV devient un adulte compétent, digne d’assumer son autonomie et apte à satisfaire aux

besoins d’autres personnes. C’est comme si le fait d’être parent donnait accès à une « identité

parentale » qui venait gommer « l’identité de personnes handicapées ». Une telle dynamique

a été relevée par d’autres chercheurs (Rosenblum, Hong & Harris, 2009).

Page 81: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

74

La présence de l’enfant apparaît comme une source puissante de motivation à

développer les compétences parentales nécessaires à son bien-être. D’après Molden (2014),

ces parents ont tout à réinventer de « l’être parent ». Ils doivent être attentifs aux peines, aux

difficultés, aux besoins et aux désirs de leur enfant. Ils doivent aussi être en confiance, afin

de tenter de lui offrir un environnement sécuritaire qui favorise son développement et son

bien-être. Ceci représente un défi de taille lorsque sont considérées les limites du

fonctionnement adaptatif associées à la DV.

Un autre élément qui émerge de l’analyse et qui apporte un éclairage nouveau au sujet

de l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle est la notion de sécurité.

Les PADV se préoccupent de la sécurité de leur enfant. Le fait de réaliser des activités

sécuritaires et de vivre des réussites tangibles avec leurs enfants peut permettre à ces parents

de percevoir les aspects positifs de leur parentalité. Autrement dit, vivre en sécurité devient

une dimension de la parentalité favorable à la satisfaction des besoins de l’enfant. Lié à ce

constat, Pagliuca, Uchoa et Machado (2009) soutenaient que les personnes décident de

devenir parents s'ils peuvent adapter leur milieu de vie d’une manière qui leur semble

appropriée ou concluante.

Le fait d’être en mesure d'adapter son implication auprès de l’enfant de diverses

façons serait également une dimension de l’expérience de parentalité qui favorise la

participation sociale. Chaque fois que les parents rencontrent un obstacle dans l’exercice de

leur parentalité, ils cherchent une stratégie pour le contourner en puisant notamment à leur

longue expérience d’ajustement. Sur ce plan, le MDH-PPH permet de rendre visible le fait

que si l’environnement est adapté et fournit le soutien et les ressources nécessaires, cela

potentialise les attitudes adaptatives des parents et favorise leur pleine participation sociale.

Parmi les éléments clés qui émergent des discours des parents rencontrés, la qualité

du lien au sein de la relation parent-enfant constitue un élément fondamental de l’expérience

parentale, et celui-ci mérite notre attention. En effet, les relations entretenues avec l’enfant

apparaissent être les principaux éléments pouvant contribuer favorablement ou non au

processus d’adaptation. Alors que le PADV fait face à l’imprévu et à des difficultés

engendrées par la croissance de l’enfant, ses stratégies habituelles peuvent alors être

inopérantes. Ainsi, le passage du stade de nourrisson à celui de l’enfant, puis de l’adolescent,

Page 82: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

75

peut faciliter ou compromettre la qualité de la relation parent-enfant. Le PADV peut utiliser

les stratégies habituelles ou en développer de nouvelles sur lesquelles il peut s’appuyer. Les

participants à notre recherche témoignent de stratégies diversifiées développées afin d'assurer

une réponse satisfaisante aux besoins de leurs enfants. Ils les mettent en place en s'imposant

souvent une forme de discipline et de rigueur.

Comme nous l’avons mentionné dans notre recherche, les enfants de PADV

s’adaptent aux différents rythmes de communication avec chacun des parents. Les

témoignages révèlent une différence dans les interactions en fonction de la dyade concernée.

En effet, les PADV mettent en place des stratégies pour compenser leur déficit organique,

comme le développement de la mémoire et de l’attention, l’initiation d’échanges plus longs,

la parole, ou encore le toucher (Candilis-Huisman, 2008; Meadow-Orlans, 2002; Thoueille

et al., 2006). En effet, dans les épisodes d’échanges avec le PADV, les enfants utilisent le

langage et les signaux sonores, comme moyen de maintenir le lien ou le contact avec leur

parent. De même, une récente étude confirme certains de nos résultats: Senju et ses

collaborateurs (2015) soulignent que non seulement les enfants mais aussi les PADV eux-

mêmes mettent en place des stratégies sonores compensatoires pour pallier la déficience

visuelle

Si les activités visuelles restent difficiles pour les PADV, cela n’implique pas le risque

d’interactions limitées ou insatisfaisantes avec les enfants. Plusieurs auteurs ont abordé ce

thème, principalement concernant l’interaction mère déficiente visuelle-enfant, et ont montré

que le déficit organique ne compromet pas systématiquement la qualité de la communication

avec l’enfant, mais rend nécessaire la compensation par l’utilisation des autres sens.

D’ailleurs, Candilis-Huisman (2008) et Thoueille et ses collaborateurs (2006) soulignent le

phénomène de bilinguisme relationnel, c’est-à-dire les capacités adaptatives précoces chez

les enfants de PADV. En effet, dans son mode interactif, l’enfant favorise tout ce qui est

visuel et ce qui n’est pas visuel. En interagissant avec son parent déficient visuel mais aussi

avec l’autre parent voyant, l’enfant prend très tôt conscience de la déficience visuelle. C’est

l’apprentissage du double sens des modes interactifs.

Les résultats mettent également en lumière divers comportements et émotions

favorables à la satisfaction des besoins des enfants. Par exemple, c’est en manifestant

Page 83: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

76

beaucoup d’amour pour leurs enfants et en étant « débrouillards » que les parents sentent

qu’ils réussissent à répondre aux besoins de leurs enfants. Ce constat a également été souligné

par d’autres chercheurs (Kent, 2002; Molden, 2014; Pagliuca, Uchoa & Machado, 2009).

Selon ces auteurs, les PADV sont engagés, impliqués et investis dans la vie de leurs enfants.

En outre, nos résultats témoignent de la force, de l’énergie et du temps que les PADV sont

prêts à investir pour agir et trouver des réponses aux besoins de leurs enfants.

De plus, il semble primordial que les parents acceptent leurs limites et reconnaissent

leurs impacts potentiels sur leur expérience de parentalité. Certains auteurs soulignent que

l’acceptation de la DV et la reconnaissance de ses interférences sur les habiletés parentales

entraîne généralement une plus grande réceptivité face au soutien d’autrui (Conley-Jung &

Olkin, 2001). Cette aide est essentielle, selon certains auteurs, particulièrement pour ceux qui

ont un premier enfant (Kent ,2002).

Le soutien des pairs, des proches ou encore des professionnels de la santé, a constitué

un thème très présent dans le discours des participants rencontrés. Nous avons observé que

le soutien apporté par les proches était fort important. Jorge et ses collaborateurs (2014)

soulignent que les PADV acceptent de s'appuyer sur l’autre parent ou un membre de la

famille pour les aider quand ils rencontrent des difficultés dans la réalisation des activités de

la vie quotidienne avec leurs enfants. En l’absence de services formels accompagnant la

parentalité de personnes ayant des incapacités, les PADV reconnaissent que s’exprimer sur

certains aspects de leur expérience parentale avec les pairs ou les membres de leur famille

soulage les souffrances psychologiques et diminue certaines inquiétudes. Par conséquent, il

peut être facilitant pour les PADV d’aborder des thèmes portant sur les soins, la nutrition ou

l’éducation de l’enfant avec d’autres parents qui vivent une expérience similaire à la leur. Ce

constat corrobore également les conclusions de l'étude de Mojab (1999) et Rosenblum, Hong

et Harris (2009), qui démontrent l'importance d'un réseau de soutien.

Dans le même ordre d’idées, l’étude de Kent (2002) montre que les liens tissés avec

des professionnels de la santé, perçus comme des alliés, peuvent servir à obtenir les

ressources nécessaires à la satisfaction des besoins de l’enfant. Dans le but de mieux s’adapter

au monde de la parentalité, les PADV chercheront, au moment de préparer ce projet, à

recueillir le plus d’informations possible concernant cette nouvelle vie qui les attend. Leurs

Page 84: L'expérience parentale de personnes ayant une déficience ... · Le thème de ce mémoire est l’expérience parentale de personnes ayant une déficience visuelle (pour la suite,

77

démarches consistent à poser des questions aux professionnels de la déficience visuelle, ou

encore à participer à des activités organisées par des associations qui œuvrent dans le

domaine. Étant confrontés à la rareté de réponses concernant leurs préoccupations, les PADV

se trouvent obligés de faire des recherches sur Internet, d’intégrer des forums de discussion

en ligne, etc. Ensuite, ils doivent faire le tri entre tous les éléments recueillis, tout en

composant avec une gamme d’émotions particulièrement complexes, par exemple le stress,

la frustration et la colère.

Nous retrouvons également les différentes formes de soutien mentionnées par les

participants dans les écrits, particulièrement le soutien des proches, le soutien institutionnel

et autres (Kent, 2002; Mojab, 1999; Olkin, 1999 ; Preston, 2010). Les parents y ont recours

principalement en raison des difficultés rencontrées. Cependant, le soutien institutionnel est

plus facile à accepter qu'un soutien familial, parce qu'il est ponctuel et évite le sentiment de

dépendance, ce qui protège le PADV d’une sorte de dette morale.

5.3 Recommandations

Cette recherche s’est proposé d’examiner différents aspects de la parentalité de

personnes ayant une déficience visuelle. Elle a également abordé les défis, les enjeux et les

facteurs d’influence de la parentalité. Prenant appui sur ces éléments, elle propose des

recommandations pour des mesures qui pourraient être mises en place au Québec, en vue de

favoriser le bien-être de ces parents et de leur famille. Notre recherche vise également à

susciter des questionnements susceptibles d’alimenter les futurs projets de recherche,

éventuellement inscrits dans une perspective d’intervention. L’attitude générale des

participants semble plutôt favorable vis-à-vis de leur parentalité, même s’ils souhaitent

bénéficier d’un soutien professionnel plus adéquat. La majorité de ces parents disent détenir

les connaissances et les compétences nécessaires à la satisfaction des besoins de leurs enfants.

Ce constat émerge également d’écrits récents (Molden, 2014).

Tout d’abord, la diminution des préjugés quant à la parentalité des personnes ayant

des incapacités doit reposer sur une orientation éclairée par le Modèle du processus de

production du handicap (Fougeyrollas, 2010). Il s’avère important d’agir sur la dimension

macrosociale, afin de modifier les stéréotypes à l’égard des PADV. Concrètement, il s’agit

d’entreprendre un travail d’éducation, de formation et de sensibilisation du grand public, ce

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78

qui permettrait une ouverture quant aux compétences parentales des personnes ayant des

incapacités.

Ensuite, le modèle d’organisation des services doit être repensé. L’organisation des

services regroupe les services à la parentalité6 ou de soutien à la famille au CLSC et dans les

centres jeunesse, les centres de la petite enfance, les écoles, les organismes d’action

communautaire autonome, entre autres. Par ailleurs, les services de réadaptation sont

l’apanage des centres de réadaptation comme l’IRDPQ, ce qui peut être une entrave à la

recherche ou à la pratique. Par exemple, plusieurs établissements comme les CLSC ont

comme mission de soutenir les parents dans la vie avec leurs enfants. Toutefois, l’offre de

services dessert pour l'essentiel des parents sans incapacité et est encore trop souvent

inaccessible ou inadaptée en fonction des besoins des parents ayant une incapacité visuelle.

Quant aux centres de réadaptation, leur mission principale est l’adaptation, la réadaptation et

l’intégration sociale des personnes ayant des incapacités par la dispensation de services.

Lorsqu’il est question de parentalité, les intervenants des centres de réadaptation peuvent se

sentir peu outillés pour soutenir les parents dans leur rôle parental, puisque les besoins de ces

derniers ne sont pas toujours considérés dans l’offre de services. Il serait pertinent d’intégrer

les services pour les parents ayant une incapacité visuelle à même les services déjà existants.

Ce travail organisationnel pourrait également servir à mobiliser les différents acteurs autour

d’un projet visant à favoriser l’intégration sociale de PADV et à soutenir le droit à la

parentalité de personnes ayant une déficience visuelle. Il conviendrait également de prévoir

des ententes de collaboration entre les différents établissements offrant des services à ces

parents. Un tel partenariat pourrait permettre d’améliorer la connaissance qu’ont les

différents partenaires des services offerts par les uns et les autres. Actuellement, les besoins

sur ce plan sont non comblés. En plus, les PADV manquent d’information quant aux

ressources disponibles.

En somme, notre recherche montre que pour répondre à la complexification observée

au sein de cette parentalité au Québec, le champ d’action de l’État se retrouve à la croisée

des politiques de la santé et des services sociaux et des politiques de la famille. Dans cette

perspective, il devient évident que ce n’est pas un seul instrument qui pourra répondre à

6 Centres locaux de santé communautaire (CLSC)

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79

l’ensemble des besoins de ces familles. L’intervention doit intégrer un ensemble d’éléments,

qui doivent être conjugués et harmonisés pour mener l’enfant à maturité.

De plus, le fait que plusieurs études démontrent les bienfaits du réseau de soutien

formel pour la satisfaction des besoins des enfants appuie certainement l’importance

d’accorder à l’accompagnement de cette parentalité les ressources nécessaires. Néanmoins,

cet aspect mériterait des recherches plus approfondies, notamment pour produire des données

probantes quant aux retombées d’interventions mieux adaptées sur la capacité des PADV à

répondre pleinement aux besoins de leurs enfants.

Par ailleurs, il serait inapproprié que la parentalité de personnes ayant une déficience

visuelle soit examinée uniquement sous l’angle de services universels et uniformes. Les

facteurs influençant la parentalité de PADV sont aussi individuels. Il serait intéressant de

prendre en considération les habiletés parentales alternatives développées par les PADV, et

ce, à travers des stratégies inédites et adaptées à leur situation. De ce point de vue, il apparaît

important d’offrir du soutien « sur-mesure » aux parents ayant des incapacités visuelles afin

de renforcer leurs propres mesures de compensation de leur incapacité. Toutes ces

interventions spécialisées ont le mérite d’augmenter leur pouvoir d’agir et d’accroitre leur

autonomie dans la vie avec leurs enfants.

Il serait aussi pertinent de favoriser la création de lieux d’échange entre pairs pour

combler le besoin exprimé par les PADV de partager leur vécu lorsqu’ils font face à des

difficultés, sans craindre d’être identifiés comme « une famille à problème ». De plus, il est

possible que les relations entretenues avec les pairs apportent quelque chose d’unique

comparativement aux autres types de lien, soit l’acceptation, la réciprocité, la normalisation

et le sentiment d’appartenance qui sont favorisés lors de la rencontre entre personnes qui

partagent une expérience similaire (Mojab, 1999; Rosenblum, Hong & Harris, 2009). Par

conséquent, un tel échange pourrait enrichir les expériences parentales en fonction des

particularités de chaque personne.

En somme, nous constatons que les PADV veulent être et sont des parents comme les

autres. C’est la mobilisation adéquate des ressources pour les soutenir qui pourrait donner

aux parents les instruments nécessaires pour répondre aux besoins de leur enfant tout en leur

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80

permettant de s’épanouir dans la réalisation de leurs tâches. Cependant, la volonté de soutenir

toutes les familles québécoises reste un défi qui est présenté dans l’historique du

développement de la politique familiale (Conseil de la famille et de l’enfance, 2007).

5.4 Limite de l’étude

Les résultats de cette étude exploratoire doivent être interprétés à la lumière de ses

limites, liées aux choix méthodologiques, aux caractéristiques des participants et à la

réalisation des entretiens.

Les discours recueillis par le biais des entrevues semi-dirigées ont permis de saisir le

sens subjectif que les participants attribuent à leur parentalité. Cependant, le matériel recueilli

requiert une analyse approfondie afin d’en élucider les significations. D’autres techniques,

comme l’observation directe, auraient été utiles pour enrichir ou valider certaines données.

Par exemple, il aurait été pertinent de voir les parents en action avec les enfants. L’entretien

semi-directif ne nous donne pas un aperçu des interactions parent-enfant dans leur

déroulement habituel.

Il convient de rappeler que notre recrutement a été réalisé par l’intermédiaire de

l’IRDPQ ou d’organismes d’action communautaire autonome dans le champ du handicap.

Conséquemment, les participants à la recherche ont été sélectionnés par ces milieux, dont ils

bénéficient des services. Il s’avère plus ardu de déterminer si les propos recueillis sont

représentatifs des discours qui circulent dans l’ensemble de la population visée. Par exemple,

nous pouvons nous demander si les PADV qui ne recourant pas aux services publics ou

communautaires dans le champ du handicap ont une perception différente du sujet abordé.

De plus, le biais de désirabilité sociale peut avoir influencé les propos recueillis. Il est

possible que certains participants aient tracé un portrait de leur réalité en abordant davantage

ce qu’ils souhaitaient mettre en lumière plutôt que ce qu’ils vivent réellement.

Il est pertinent de souligner des écueils possibles concernant notre positionnement de

chercheure ayant une déficience visuelle. Le fait d’aborder un sujet avec lequel j’étais

familière et qui me touchait intimement a nécessité une étape charnière de réflexivité afin de

mieux comprendre en quoi mon statut de chercheure ayant une déficience visuelle entrait en

jeu dans toutes les phases de la recherche. Par exemple, le fait d’être une jeune mère

déficiente visuelle a joué dans ma relation avec les participants. Au cours des entretiens, je

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81

comprenais aisément le vocabulaire et les expressions des participants. Je disposais par

ailleurs de connaissances sur certains outils informatiques réservés aux personnes ayant une

déficiente visuelle, à l’instar des logiciels de synthèse vocale. Cette familiarité me confèrerait

une assurance supplémentaire lors de la réalisation des entrevues. À cela s’ajoutait le fait

qu’elle rendait plus aisées mes interactions avec l’ensemble des participants, notamment

durant les séquences plus émotives. Le risque de perdre ma curiosité initiale et mon aptitude

à m’étonner était réel. Prendre mes distances par rapport à mon objet de recherche par le biais

de pratiques réflexives m’a amenée à chercher à rendre mon analyse intelligible aux experts

comme aux non-experts. L’ambition restait bien, dans ce cas, de mettre la recherche au

service de la reconnaissance sociale et institutionnelle de la parentalité de personnes ayant

une déficience visuelle.

En ce qui a trait à l’analyse des données, celle-ci comporte une part de subjectivité

qui, selon Mayer et Deslauriers (2000), concerne surtout la mise au point des mesures

choisies et les inférences qu'on tire des communications. À cet égard, le jugement et le

positionnement épistémologique de l’auteure de cette étude peuvent constituer une menace

pour la rigueur de la démarche scientifique réalisée. Dans le but de contourner cette

contrainte, des stratégies pour la rigueur ont été développées, notamment par le biais d’une

formation supplémentaire en analyse qualitative et d’un exercice inter-juges au moment de

la codification et de la catégorisation des données, réalisé en collaboration avec la directrice

d’étude et une étudiante de doctorat.

Les caractéristiques sociodémographiques des participants ont permis une certaine

diversité de trajectoires de parentalité; néanmoins, le nombre de parents interrogés demeure

petit. Par conséquent, les résultats de la recherche ne nous permettent pas d’en tirer des

conclusions générales. Toutes les différences observées entre le groupe des mères et le

groupe des pères sont à considérer avec prudence puisqu’il s’agit d’un petit échantillon de

recherche. Elles ne permettent pas de statuer sur la dimension « genrée » de l’expérience

parentale vécue par les personnes ayant une DV. En outre, les limites de nature géographique

de la présente étude restreignent les possibilités de comparaison des points de vue des PADV.

Il serait approprié d’élargir la population des participants à d’autres régions du Québec afin

de voir si des réalités de nature territoriale (par exemple, l’accès aux services de santé, la

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82

présence de services de transport adapté, etc.) doivent être prises en comptes relativement au

phénomène étudié.

Dans l’état actuel des connaissances, il s’avère ardu de dresser un portrait exhaustif

de la réalité de parents ayant une déficience visuelle au Québec. Bien que la parentalité des

personnes ayant une déficience visuelle fasse l’objet de plus d’attention depuis quelques

années, elle fait toujours l’objet de tabous et suscite encore aujourd’hui des craintes, des

angoisses et des bouleversements (Kent, 2002; Molden, 2014). Quelques chercheurs pensent

que les limites des connaissances actuelles contribuent à faire perdurer certains préjugés à

l’égard des PADV. Pourtant, mieux connaître leurs besoins et y répondre adéquatement est

fondamental pour une société qui prône l’égalité des chances. Malgré les limites formulées,

la présente recherche fournit des informations pertinentes sur l’expérience parentale de

personnes ayant une déficience visuelle.

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83

Conclusion

Notre recherche s’inscrit dans la perspective de l’amélioration de la participation

sociale des personnes ayant des incapacités visuelles. En effet, au Québec, la participation

sociale est au cœur des politiques destinées aux personnes ayant des incapacités. Ces

politiques accordent une grande importance au respect des droits des personnes ayant des

incapacités, incluant le droit à la parentalité. D’après les écrits de Fougeyrollas (2010), la

parentalité est reconnue comme une habitude de vie. Or, l’expérience de parentalité peut

poser des défis majeurs, en ce sens que les parents peuvent se heurter à différents obstacles

tels que l’insuffisance des services de soutien à la parentalité et la présence d’idées reçues,

de stéréotypes et de croyances négatives à l’endroit des personnes ayant une DV, plus

particulièrement, à l’égard de leur capacité à répondre aux besoins d’un enfant. Afin de mieux

comprendre cette situation, la recherche qualitative menée dans le cadre de cette maitrise en

service social s’est intéressée aux facteurs qui facilitent ou entravent l’expérience parentale

de pères et de mères ayant une déficience visuelle (DV). Les objectifs de cette démarche sont

: (1) identifier les facteurs personnels et environnementaux influençant l’expérience et les

pratiques parentales des PADV ; (2) décrire les stratégies développées par les PADV pour

vivre efficacement leur parentalité. Pour répondre à l'objectif de la recherche, le cadre

conceptuel du Processus de production du handicap a été utilisé afin de porter un regard sur

les interactions entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux au cœur des

expériences de parentalité des participants de la recherche.

Tout d’abord, en ce qui a trait aux facteurs influençant la parentalité de personnes

ayant une DV, ceux-ci sont liés aux conditions dans lesquelles s’actualisent leur expérience

parentale, ainsi qu’au soutien reçu dans la satisfaction des besoins de l’enfant. Sept catégories

de besoins ont été dégagées à partir de l’analyse des propos des participants. Il s’agit de la

recherche d’autonomie, de la sécurité financière, de l’atténuation des souffrances

psychologiques, de l’accès à des supports technologiques adaptés, du soutien à domicile, de

l’accès à un moyen de transport et enfin, du désir de reconnaissance.

Utilisé pour analyser les résultats obtenus, le MDH-PPH2 explique que c’est

l’interaction des facteurs personnels et environnementaux qui favorise ou freine la capacité

des individus à prendre part à leurs habitudes de vie, amenant les personnes à passer d’une

situation de participation sociale optimale à une situation de handicap complète

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(Fougeyrollas, 2010). Ainsi, le modèle conceptuel du MDH-PPH rend à la fois compte de

l’expérience individuelle et collective des PADV. Il permet de sortir de la causalité linéaire

relevant des modèles individuel et social du handicap, qui tendent à être réducteurs de

l’expérience des personnes. Ce cadre conceptuel permet une classification des facteurs

impliqués dans la satisfaction des besoins de l’enfant. Les résultats indiquent d’ailleurs que

les facteurs influençant la satisfaction des besoins des enfants ne sont pas indépendants les

uns des autres. Certains facteurs sont souvent associés aux caractéristiques des individus et

d’autres à celles de leur environnement. Comme l’être parent est une habitude de vie, la

réponse aux besoins associés à sa réalisation s’inscrit dans une constante dynamique

d’interaction avec l’environnement de la personne. Lors de la réalisation des tâches

quotidiennes auprès de l’enfant (manger, laver, cuisiner, habiller, etc.), il est donc important

de tenir également compte de facteurs d’ordre environnemental. Or, l’interaction entre de

nombreux facteurs créent de nouveaux défis à surmonter dans la vie avec l’enfant. . Vu sous

cet angle, la parentalité s’inscrit dans une constante dynamique d’interaction avec

l’environnement de la personne. Ainsi, plusieurs actions peuvent être menées pour éliminer

ces obstacles environnementaux. Il s’agit notamment de transformer les idées reçues, de

développer l'accessibilité des lieux publics, d’améliorer le système de transport adapté et

autres.

Les résultats de la recherche nous amènent à considérer la parentalité comme une

porte d’entrée pour promouvoir le bien-être des parents, ainsi que de leurs enfants.

Cependant, deux enjeux doivent être pris en compte lorsqu’on travaille auprès des PADV.

Premièrement, ce sont autant les caractéristiques individuelles qu’environnementales qui

déterminent l’aisance dans la satisfaction des besoins des enfants. Ce constat nous rappelle

l’importance de veiller à réduire les obstacles visibles et invisibles, afin de favoriser la pleine

participation sociale de ces parents. En ce sens, des approches collectives et individuelles

apparaissent essentielles pour soutenir la parentalité de PADV.

Deuxièmement, il est crucial de maintenir le cap sur la parentalité plurielle et choisie,

comme le soulignent Parent et ses collaborateurs (2008) et Young (1999). Autrement dit, il

est fondamental de reconnaître la diversité des familles. À cet égard, les personnes ayant une

incapacité visuelle qui choisissent de devenir parent se disent aussi heureuses qu’épanouies

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que les autres parents, d’où l’importance de ne pas croire que toutes les personnes ayant des

incapacités visuelles n’ont pas le désir d’être parent. Les PADV assument pleinement leurs

responsabilités parentales. Elles font preuve de beaucoup de créativité, d'imagination,

d’ingéniosité, de planification et d'organisation dans la vie avec leur enfant.

Avec cette recherche, nous avons franchi un premier pas dans l’exploration de la

thématique. Nous envisageons par la suite déterminer des pistes d’actions et susciter les

collaborations afin de soutenir la parentalité de PADV. Les PADV nous ont indiqué la voie

à suivre pour les soutenir dans la réalisation de leurs habitudes de vie. Parmi les pistes à

considérer pour un futur projet se trouve la possibilité de mener un projet d’intervention,

permettant d’allier une meilleure connaissance des expériences des PADV. Il apparaît crucial

de reconnaître les forces de ces parents et leur savoir-faire, afin de ne pas participer à

l’impuissance trop souvent associée aux personnes ayant des incapacités, mais d’agir plutôt

à titre de facilitateurs de la participation sociale. Pour se faire, il m’apparaît essentiel d’oser

mettre sur pied un groupe de soutien.

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Annexe I: Courriel de correspondance avec les intervenant(e)s pour le recrutement

Madame, Monsieur,

Je m’appelle Estelle Laure Nankeu Moffo, je suis étudiante à la maîtrise en service social à

l’Université Laval sous la direction de Mme Émilie Raymond.

Dans le cadre de mon mémoire de maîtrise, je m’intéresse à l’expérience parentale de

personnes ayant une déficience visuelle. Le but est de mieux connaître ce que vivent les

parents ayant une déficience visuelle, particulièrement en ce qui a trait à leurs expériences et

pratiques parentales.

Je suis présentement à la recherche de parent ayant une déficience visuelle sans autre

déficience associée; âgés d’au moins 18ans et vivant au moins avec un enfant mineur (≤18

ans). La personne doit être capable de communiquer en français et résider dans la région 03

de Québec (Capitale-Nationale)).

La participation à la recherche consiste à répondre à des questions qui vous seront posées

dans le cadre d’une entrevue individuelle, d’une durée d’environ 90 ou 120 minutes qui se

déroulera au lieu convenu entre les parties, et aura pour but de comprendre toutes les réalités

que vivent les parents en rapport avec leurs expériences et pratiques parentales.

Si ce projet vous intéresse ou si vous connaissez quelqu’un qui aurait l’intérêt à participer à

la recherche, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

Au plaisir,

Estelle Laure Nankeu Moffo

Étudiante à la maîtrise de service social, Université Laval

[email protected]

XXX- XXX-XXXX

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94

Annexe II Affiche

Participant(e)s recherché(e)s pour une étude portant sur l’expérience parentale de

personnes ayant une déficience visuelle

Cette recherche a pour objectif de mieux connaître ce que vivent les parents ayant une déficience visuelle,

particulièrement en ce qui a trait à leurs expériences et pratiques parentales. Elle vise à mieux comprendre les facteurs

qui facilitent ou entravent l’expérience parentale de pères et de mères ayant une déficience visuelle et à identifier leurs

besoins.

Pour participer, vous devez : Avoir une déficience visuelle avant de devenir parent ;

Avoir au moins un enfant mineur (≤18 ans);

Être âgée de plus de 18 ans;

Résider dans la région 03 de Québec (Capitale-Nationale)).

Être disponible pour une entrevue d'une durée de 2 h

Notez que : Le lieu de l'entrevue sera déterminé selon les préférences de la

personne:

- Domicile

- Centre de recherche CIRRIS

- Université

Si le projet vous intéresse, communiquez avec Estelle Nankeu XXX-XXX-XXXX [email protected] Cette recherche est sous la responsabilité d’Émilie Raymond, professeure à l’École de service social de l’Université

Laval et menée par Estelle Laure Nankeu Moffo, étudiante à la maîtrise en service social à l’Université Laval.

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Annexe III - Guide d'entrevue

INTRODUCTION (5 minutes)

> Bienvenue à cette entrevue7, je vous remercie d'avoir accepté d'y participer.

> Présentation de la responsable du projet.

PRÉSENTATION DU DÉROULEMENT DE LA RENCONTRE

> Durée: entre 90 et 120 minutes

Formulaire d'information et de consentement à présenter et à remplir avant l'entrevue (10

minutes).

> Réalisation de l'entrevue (environ 90minutes et une pause (10 minutes).

PRÉSENTATION DU BUT DE LA RENCONTRE

Les entrevues qui sont effectuées dans le cadre de cette recherche serviront à mieux

comprendre la parentalité de personnes ayant une DV. J’aimerais connaitre votre expérience en tant

que parent en ce qui concerne la réalisation de diverses activités parentales. J’aimerais connaitre tout

ce qui facilite ou entrave l’expérience parentale de PADV et les stratégies que vous avez développées

pour répondre aux besoins de vos enfants. J’aimerais également connaitre les types de sentiments que

vous éprouvez dans la réalisation de vos activités parentales.

PRÉSENTATION DU DÉROULEMENT DE L'ENTREVUE

Cette entrevue devrait prendre environ 90 minutes. L'entrevue est enregistrée et le contenu

sera ensuite transcrit pour les besoins de la recherche.

Je vais vous poser quelques questions qui ne demandent pas beaucoup de développement et,

parfois, certaines autres qui en demandent un peu plus. Souvent les sous-questions permettront de

mieux comprendre la réponse à la question principale. Répondez selon ce qui vous semblera le plus

approprié.

7 S'assurer de la tranquillité et de la confidentialité des lieux, du confort de la personne : un verre d'eau, une boîte de Kleenex, un fauteuil adéquat. S'assurer également que l'appareillage technique ne gêne pas.

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Nous allons parler de :

Facteurs personnels : données sociodémographiques

1 Nom et prénom

2 Âge et sexe

3 Statut matrimonial et type de garde

4 Pouvez-vous décrire la composition de votre famille (nombre d'enfants, âge et sexe)?

votre enfant a-t-il une incapacité? Précisez

5 Statut d’emploi et niveau de scolarité

6 Autres sources de revenus

Diriez-vous que vos conditions matérielles et financières aident ou nuisent à ce que les

besoins de votre ou de vos enfants soient comblés de façon satisfaisante?

7 Information sur le conjoint ou la conjointe

votre conjoint(e) a-t-il une incapacité? Précisez

Statut d’emploi et niveau de scolarité

8 Depuis combien de temps êtes-vous atteint d’une déficience visuelle? Mois ou Années.

Décrivez brièvement les manifestations

9 Recevez-vous des services pour des problèmes de vision? Si oui, depuis combien de

temps (en nombre d'année(s) ou de mois)

Vous allez remarquer que quelques questions pourront être soulevées plus d'une fois pendant

l'entrevue. Cela est difficilement évitable, car nous irons un peu plus en profondeur sur certains

aspects au cours de l'entrevue. Ces questions m'aideront à comprendre un peu plus votre réalité.

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Je vous rappelle qu'il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Ce qui est important

pour cette recherche est de dégager la réalité de ce que vivent les parents ayant une déficience visuelle.

Cette réalité, c'est chacune des personnes interrogées qui la vit de façon unique.

Nous allons maintenant parler de :

Parentalité

10 Quelle votre conception de la parentalité?

11 En ce moment, qu’est-ce qui se passe dans votre vie de parent?

12 Quelles sont vos préoccupations actuelles dans la vie avec votre enfant?

13 Comment pensez-vous surmonter ces difficultés?

Nous allons tenter de préciser davantage certains points concernant l’expérience parentale

14 Quelles sont vos attentes envers votre enfant?

15 Quels sont les principes auxquels vous vous referez pour répondre aux besoins de votre

enfant?

16 Quels comportements adoptez-vous pour assurer le bien-être de votre enfant?

17 Comment réagissez-vous face aux comportements problématiques de votre enfant?

18 Quelles attitudes parentales entraînent le meilleur développement chez votre enfant?

19 Comment les attitudes néfastes du parent peuvent-elles être modifiées?

20 Comment les pensées positives et négatives nuisent-elles ou facilitent-elles le

développement de votre enfant?

21 En ce moment, quel sentiment vous anime lorsque vous parlez de votre parentalité?

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22 Comment vous pensez-vous comme parent? Efficace ou inefficace? (justifiez votre

choix)

23 Comment les autres vous pensent-ils comme parent? Pourquoi?

Parlons de certains aspects particuliers concernant la relation avec votre enfant

24 Comment décrivez-vous la relation avec votre enfant?

25 Est-ce que vous vous entendez bien avec votre enfant? Justifiez

26 Comment sont les interactions avec votre enfant? Bidirectionnelles?

27 Avez-vous des difficultés sur le plan de la communication avec votre ou vos enfant(s)?

28 Quelles sont les activités que vous aimez faire avec votre enfant?

29 Quels sont les gestes concrets dont vous êtes fier d’avoir posé afin de répondre aux

besoins de votre enfant?

J'aimerais comprendre de quelle manière la déficience visuelle amène ou pas des changements à la

réalisation de vos activités dans la vie au quotidien.

Réalisation des habitudes de vie : pratiques parentales

30 Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis que vous avez fait le choix de devenir

parent? Comment?

31 Est-ce que la déficience visuelle affecte votre façon de prendre soin de votre ou de vos

enfant(s)? De quelle manière cela se manifeste-t-il?

32 Est-ce qu'il y a une différence dans votre façon de vivre votre parentalité

comparativement aux autres parents? Quelles sont ces différences?

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Nous allons tenter de préciser davantage certains points concernant vos pratiques parentales

en soulignant ce qui facilite ou qui entrave les actions posées pour répondre aux besoins de votre ou

de vos enfants.

Facteurs environnementaux

33 Quels sont vos besoins actuels dans la vie avec votre enfant?

34 Quelles sont les tâches quotidiennes que vous remplissez auprès de votre

enfant?(nommer chaque tâche) (tâches domestiques, éducatives, soins aux enfants, etc.)

35 Comment vous organisez-vous dans la réalisation de ces tâches au quotidien? (nommez

une stratégie pour chaque tâche (domestiques, éducatives, etc.))

36 Y a-t-il es choses plus difficiles à réaliser dans la vie de tous les jours avec votre enfant?

Quelles sont-elles?

37 Quels sont les obstacles (les choses qui nuisent) dans la réalisation des tâches au

quotidien?

38 Quels sont les facilitateurs (les choses qui aident) dans la réalisation des tâches au

quotidien?

39 Quels types de services ou d’aide recevez-vous pour le soutien à la parentalité?

40 Y a-t-il d’autres personnes qui vous aident à répondre aux besoins de votre enfant?

41 Comment ces personnes vous aident-elles? (nommer le type de soutien de chaque

personne)

42 Qu’est-ce que vous aimez moins concernant l’aide reçue?

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Annexe IV Liste des ressources utiles

CENTRE DE PRÉVENTION DU SUICIDE (CPS)

Le CPS est un organisme communautaire qui intervient auprès de personnes suicidaires et

de leurs proches afin de promouvoir la prévention du suicide. Téléphone : (418) 683-4588

ou 1-866-277-3553 (sans frais)

ÉCOUTE SECOURS

Par le biais de l’écoute téléphonique, ÉCOUTE SECOURS offre aux personnes en difficultés

un soutien et un accompagnement en vue de favoriser leur mieux-être. Téléphone : (418)

687-2220

INFO-SOCIAL 8-1-1

Info-Social 8-1-1 est un service de consultation téléphonique qui permet aux personnes de

joindre rapidement un professionnel en intervention psychosociale. Ce professionnel donne

des conseils, répond aux questions d’ordre psychosocial et peut, au besoin, référer vers une

ressource appropriée dans le réseau de la santé et des services sociaux ou une ressource

communautaire.

SERVICE D’AIDE ET D’INTERVENTION EN SANTÉ MENTALE (SAISM)

SAISM) est un service d’aide, d’information et de référence téléphonique offert aux

personnes vivant de la solitude, de la détresse psychologique ou des difficultés

situationnelles. Téléphone : (418) 529-1899

TEL-AIDE QUÉBEC

Tél-Aide Québec est un service d’écoute téléphonique qui offre aux Personnes (femmes et

hommes) la possibilité d’exprimer toutes sortes de problèmes qu’elles éprouvent, notamment

la solitude, la crainte, la lassitude, l’agressivité ou la détresse. Téléphone : (418) 686-2433

ou 1-877-700-2433 (sans frais)

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Annexe V Opérationnalisation des concepts

Concept Dimension Sous-dimension Exemple de question

Parentalité Expérience

parentale

Attitudes Quelles attitudes parentales

entraînent le meilleur

développement chez votre enfant?

Croyances et valeurs

parentales

Quelle votre conception de la

parentalité?

Sentiments et pensées

En ce moment, quel sentiment

vous anime lorsque vous parlez de

votre parentalité?

Détresse parentale Quelles sont vos préoccupations

actuelles dans la vie avec votre

enfant?

Satisfaction parentale Quels sont les gestes concrets dont

vous êtes fier d’avoir posé?

Pratiques

parentales

Comportements Quels comportements adoptez-

vous pour assurer le bien-être de

votre enfant?

Gestes ou tâches Quelles sont les tâches

quotidiennes que vous remplissez

auprès de votre enfant?(nommer

chaque tâche)

Interaction avec l’enfant Comment décrivez-vous la

relation avec votre enfant?

Engagement parental Quelles sont les activités que vous

aimez faire avec votre enfant?