L'exploitation du gaz

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CHERCHEURS D’éNERGIES Cahier spécial réalisé avec le soutien de la direction scientifique de 9. L’exploitation du gaz TECHNOLOGIE Les défis pour entrer dans l’âge d’or du gaz éCONOMIE Le gaz rebat les cartes énergétiques. Interview de Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, directeur du Laboratoire d’économie de Dauphine (LEDa) SOCIéTé L’exploitation du gaz à l’épreuve de la préservation environnementale Tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies. Usine de traitement du gaz. Champ d’Aguada Pichana, bassin de Neuquén, Patagonie.

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n°9 - septembre 2012

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9. L’exploitation du gaz

TechnOLOgieLes défis pour entrer dans l’âge d’or du gaz

écOnOMieLe gaz rebat les cartes énergétiques. Interview de Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, directeur du Laboratoire d’économie de Dauphine (LEDa)

sOciéTéL’exploitation du gaz à l’épreuve de la préservation environnementale

Tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies.

Usine de traitement du gaz. Champ d’Aguada Pichana, bassin de Neuquén, Patagonie.

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L’EXPLOITATION DU GAZ TECHNOLOGIE

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L e gaz peut-il bouleverser l’équation énergétique mon-diale ? La question, auda-cieuse il y a encore quatre ou cinq ans, est aujourd’hui abordée sérieusement. Les

experts annoncent désormais son « âge d’or ». Selon l’Agence internatio-nale de l’énergie (AIE), la demande devrait croître d’un peu plus de 50 % d’ici à 2035, autant que le charbon, le pétrole et le nucléaire réunis. Le gaz naturel, constitué principale-ment de méthane, deviendrait ain-si la deuxième composante du mix énergétique, devant le charbon mais toujours derrière le pétrole. D’autant

que les réserves sont abondantes. Marc Blaizot, directeur Exploration de Total, estime que nous dispose-rions de 200 ans de consommation devant nous, répartis également entre les gaz conventionnels et non conventionnels (GNC). Ces derniers, présents sur tous les continents, ex-pliquent en grande partie cet opti-misme.Plusieurs autres facteurs vont dans le même sens. Parmi eux, les avan-cées technologiques qui permettent d’augmenter les réserves, l’expansion de la liquéfaction du gaz qui accroît les échanges commerciaux, mais aussi l’amélioration des qualités en-

vironnementales qui soutiennent le développement des usages, dans le transport en particulier.

Estimer les ressources en gaz non conventionnelsLe monde énergétique a les yeux rivés sur les GNC. Le terme « non conventionnel » s’applique au gaz qui ne peut être exploité de façon classique du fait de sa localisation dans des réservoirs peu accessibles (des réservoirs compacts dits « tight gas » ou les gaz de houille piégés dans une strate de charbon), voire dans la roche mère pour les gaz de schiste. On sait d’ores et déjà qu’ils sont abon-damment présents dans les sous-sols nord-américains, russes, asiatiques et moyen-orientaux. En Europe, leur potentiel doit encore être confirmé. Cependant, leurs origines géolo-giques et leurs modes de production plus complexes rendent difficile la quantification des ressources ex-ploitables. Contrairement aux gaz conventionnels qui s’accumulent dans des réservoirs clairement identifiables, les GNC sont retenus dans des roches trop imperméables pour les laisser circuler jusqu’à des réservoirs. Dès lors, les techniques habituelles de découverte ne sont pas suffisantes. Le recours à la sismique et à la modélisation mathématique ne donne qu’une idée imprécise des volumes en place. « Pour obtenir une valeur des ressources utiles, nous devons aller plus loin et multiplier les puits d’exploration, parce que le gaz est réparti sur une très grande surface, à l’échelle d’un bassin sédimentaire », précise Roland Vially, géologue à l’IFP Énergies nouvelles.

Produire du gaz de schisteL’exploitation de gisements de « tight gas » ou de gaz de schiste requiert des techniques développées au cours des dernières décennies : le forage hori-zontal et la fracturation hydraulique. La première consiste à traverser verti-calement les différentes couches géo-logiques pour atteindre les réservoirs ultracompacts ou la roche mère et à prolonger la trajectoire à l’horizon-

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traient au pays d’être exportateur. En 2010, les GNC représentaient déjà 59 % de la production nationale (609 milliards de m3), dont 33 % de gaz de schiste et 26 % de gaz de houille. Dans le reste du monde, le gaz de schiste concentre également la plus grosse part du potentiel des GNC (32 % des ressources exploitables selon une estimation de 2011). La Chine, l’Argentine et le Mexique de-vraient être les trois prochains pays producteurs. Ainsi, la compagnie nationale mexicaine a prévu de forer 175 puits pour évaluer les réserves. Pour l’heure, l’Europe avance en ordre dispersé avec une approche prudente en raison de risques envi-ronnementaux. La France, la Bul-garie et un canton suisse sont les plus stricts avec l’interdiction de la fracturation hydraulique.

En revanche, pour extraire du gaz de houille, plus connu sous le nom de grisou dans les mines, la fracturation hydraulique n’est pas toujours nécessaire. Afin de libérer le méthane absorbé dans le charbon sous forme gazeuse, il faut diminuer les conditions de pression, le plus souvent en pompant l’eau conte-nue dans le charbon. La Chine at-tend beaucoup de ce procédé pour satisfaire ses besoins énergétiques et réduire sa dépendance extérieure. D’ici à 2015, elle compte en exploiter 50 milliards de m3. L’Ukraine, l’Aus-tralie et les États-Unis sont les autres grands pays producteurs.

Braver les conditions extrêmesLes promesses d’un âge d’or du gaz passent aussi par la mise au

Les défis pour entrer dans l’âge d’or du gazMettre en valeur les immenses ressources gazières réparties sur la planète impose de nouvelles technologies pour défier les lois de l’extrême.

tale. Les tubes du puits sont isolés du sous-sol par du ciment. La seconde vise à créer un réseau de fissures, afin de créer la perméabilité que n’offre pas la nature, et à guider le méthane vers le puits d’où il remontera vers la surface. Pour y parvenir, on injecte à forte pression (plus de 100 bar) un mélange d’eau et de sable, ce dernier maintenant les fissures ouvertes. Le mélange contient éga lement des gélifiants qui transportent effica-cement le sable et des biocides afin d’éradiquer les bactéries néfastes pour les installations. Chaque drain horizontal fait l’objet d’une dizaine

de fracturations, réalisées par tron-çon, chacune nécessitant 1 000 à 2 000 m3 d’eau. Ces opérations n’ont pas besoin d’être répétées au cours de l’exploitation des puits, qui dure en moyenne une dizaine d’années. Les États-Unis offrent un terrain d’étude unique puisque le gaz de schiste y est exploité intensivement depuis 2000. « C’est le seul endroit de la pla-nète où il est produit. Ailleurs, il s’agit d’exploration, et nous ne savons pas grand-chose du potentiel », souligne Bruno Courme, directeur général de Total Gas Shale Europe. Les quantités produites sont telles qu’elles permet-

EUROPE DE L'ESTEURASIE

AMÉRIQUE OCDE

AMÉRIQUE LATINE

MOYEN ORIENTAFRIQUE

EUROPE OCDE

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Gaz conventionnel Gaz non conventionnel

Source : AIE

Avec l’exploitation des gaz non conventionnels, une nouvelle carte énergétique se dessine. Plusieurs pays vont pouvoir réduire leur dépendance énergétique. Parmi eux, de gros consom ma­teurs, comme la Chine. Aux États­Unis, ils représentent déjà plus de la moitié de la production.

Une première. En Alaska, dans la région de North Slope, une équipe de recherche américano-japonaise conduite par les compagnies ConocoPhillips et Japan Oil, Gas and Metals National Corporation est parvenue à extraire de l’hydrate de méthane en continu durant trente jours, entre les mois d’avril et mai derniers. Une prouesse, compte tenu des conditions d’exploitation. « Il se forme dans un contexte précis de pression et de température, à de grandes profondeurs ou sous le permafrost. Les molécules de méthane sont alors piégées dans des cristaux de glace », précise Jean-Luc Charlou, géologue à l’Ifremer. En d’autres termes, il est très instable. C’est pourquoi la technique utilisée en Alaska est observée attentivement : un mélange de CO2 et d’azote pur a été injecté dans un puits de près d’un kilomètre, creusé dans le pergélisol. Une fois imprégnées de dioxyde de carbone, les formations de clathrate libèrent les molécules de méthane emprisonnées pour les échanger par celles de CO2. Cette substitution permet ainsi d’éviter les phénomènes de dépressurisation et les risques de fuite d’un gaz dont l’effet de serre est puissant. Les réserves seraient deux à dix fois supérieures à celles du gaz conventionnel.

LES HydraTES dE méTHaNE : UNE EXPérImENTaTION PrOmETTEUSE ?

réSErvES mONdIaLES EXPLOITabLES (estimations à fin 2011 en tcm3. Un trillion = un million de millions)

L’exploitation de gisements de tight gas, ou de gaz de schiste, s’appuie sur des techniques développées au cours des dernières décennies : le forage horizontal et la fracturation hydraulique.

L’EXPLOITATION DU GAZ éCONOmIE

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Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’université Paris- Dauphine, directeur du Laboratoire d’économie de Dauphine (LEDa), qui intègre l’équipe dédiée au Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP).

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Comment détermine- t-on le prix du gaz à l’échelle mondiale ?Patrice Geoffron : Contrai-rement au prix du pétrole qui est fixé sur un marché mondial selon un mode « classique » de confrontation entre l’offre et la demande, celui du gaz est plus hétéro-gène, à la fois selon les zones (États-Unis, Europe, Asie) et selon le mode de transport. En Europe, le transport via gazoducs fait souvent l’objet de contrats commerciaux de long terme, passés de gré à gré. Historiquement, ce système s’expliquait par la nécessité de garantir des flux pour le financement des infrastructures de transport lourdes et coûteuses. L’une des composantes du prix du gaz dans ce cadre est

Des ressources abondantes, une augmentation de la demande, des prix compétitifs face au pétrole… Le gaz bouleverse la géopolitique de l’énergie. Reste une inconnue, le poids de la crise économique.

Le gaz rebat les cartes énergétiques

d’être indexé sur le cours du pétrole. Ce modèle, très lar-gement dominant en Europe, cohabite avec le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par voie de mer et dont le cours est lui essentiellement fixé sur des marchés spot, comme pour le pétrole. Aux États-Unis, une logique de marché spot prédomine, y compris pour les approvisionnements par gazoduc. En Asie, des contrats à long terme sont également présents, même si le GNL est le mode d’approvi-sionnement.

Aux États-Unis, le prix est tout de même de quatre à six fois moins cher qu’en Europe ou au Japon. Pour-quoi un si grand écart ?P. G. : Le cas des États-Unis est très singulier. Les pro-ducteurs exploitent du gaz de schiste en abondance et à bas coût, ce qui leur per-met de vendre 2 à 3 dollars le million de BTU (British Thermal Unit, unité de mesure internationale équivalente à 28 m3 de gaz, Ndlr). De plus, le gouvernement encourage cette politique pour soutenir une « renaissance indus-trielle ». Mais cette situation pourrait évoluer si une partie de ce gaz était liquéfiée et exportée. En Europe, le prix est plus élevé du fait de la logique des contrats de long terme indexés sur le prix du pétrole. En Asie, les raisons fondamentales sont les mêmes et les tensions sur les

approvisionnements induites par Fukushima tirent les prix plus haut qu’en Europe encore.

Avec l’augmentation de la production et de la de-mande, peut-on parler d’un « âge d’or » du gaz ?P. G. : Ce scénario défend l’idée que, parmi les énergies fossiles, le gaz présente un profil intéressant. Effective-ment, il est largement dispo-nible, avec le potentiel des non conventionnels, moins concentré géographiquement que le pétrole, et son em-preinte en CO2 est 50 % plus faible que celle du charbon pour produire de l’électricité. Tout concourt ainsi à une augmentation de l’offre et de la demande. Cependant, il existe une grande inconnue : la capacité d’investissement dans un contexte de crise économique qui nourrit des doutes sur le rythme d’évolution de la demande dans la décennie. En outre, le volontarisme européen pour le déploiement des énergies renouvelables entraîne une incertitude sur le « modèle économique » du gaz.

Le prix du gaz étant en partie indexé sur celui du pétrole, cela signifie- t-il qu’il va continuer de croître ?P. G. : À court ou moyen termes, pas nécessairement, car le prix du pétrole restera assez erratique. Mais à long

terme, il y a un problème à « accrocher » le prix d’une ressource fossile très abon-dante, le gaz, à une autre qui l’est moins, le pétrole. Ce décrochage risque de pénaliser l’Europe en renché-rissant le coût des approvi-sionnements, sans refléter réellement le rapport offre/demande… Mais les contrats de long terme pouvant courir jusqu’à 25 ans et plus, les fournisseurs, dont le russe Gazprom, peuvent s’oppo-ser à « bon droit » à une modification des règles du jeu en cours de partie… Les négociations dans ce cadre sont à la fois basées sur des considérations commerciales et géopolitiques.

Le développement du GNL peut-il bouleverser le marché ?P. G. : Le développement de capacités de GNL oriente l’univers du gaz vers la logique en vigueur dans le monde du pétrole en réduisant le cloisonnement entre les zones continentales. Contrairement au gaz transporté par « pipes », dont la circulation est contrainte par le design du réseau, avec un pouvoir aux pays de transit qui sont sur le parcours, le GNL tend à fluidifier la circulation. Il n’en reste pas moins que, pour l’Europe, la perspective centrale est celle d’une dépendance croissante à l’égard du gaz russe, sans qu’il soit possible de mesurer la force du « contrepoids » réel offert par le GNL. Ou bien encore par l’exploitation éventuelle du gaz de schiste contenu dans le sous-sol européen… PROPOS RECUEILLIS PAR thIERRy dEL jéSUS

L’EXPLOITATION DU GAZ TECHNOLOGIE

point de technologies donnant accès à des réserves encore peu ex-ploitées. Comme celles de la zone arctique, qui cacherait entre 25 et 30 % du gaz mondial non découvert, dont plus des deux tiers localisés en Russie. À lui seul, le projet Shtok-man, mené par Gazprom en mer de Barents, à 550 kilomètres des côtes russes, recélerait des réserves esti-mées à 3 800 milliards de m3. « Cepen-dant, aujourd’hui, une part infime de l’Arctique est mise en valeur, affirme Maurice Boutéca, directeur du centre de ressources Exploration Produc-tion de l’IFP Énergies nouvelles. Les conditions de grand froid, la présence de la glace et des icebergs rendent le travail difficile. En outre, il s’agit d’une zone sensible qui fait l’objet de traités internationaux pour le commerce et l’environnement. » Premier obstacle naturel à surmonter, le grand froid. Les températures inférieures à -20° C contraignent la vie à bord de la plate-forme et imposent des procédés d’exploitation adaptés. Comment, en effet, transporter le gaz sur plus de

100 kilomètres, à un débit constant, sans qu’il se transforme ? « À de telles températures, le froid provoque la for-mation d’hydrates de gaz. Agglomérés, ils peuvent boucher les tuyaux », dé-taille Maurice Boutéca. La technique la plus utilisée aujourd’hui consiste à isoler les conduits et à ajouter un additif – des alcools – au gaz. Un pro-cédé coûteux en raison de l’achat des produits et de leur retraitement. Une autre méthode, moins onéreuse, est actuellement en cours de qualifica-tion, indique-t-on à l’IFP Énergies nouvelles : elle consiste à chauffer les conduits qui transportent le méthane à l’aide de résistances placées entre l’isolant thermique et la canalisation.

Reste une difficulté à résoudre : utiliser ce procédé sur de très lon-gues distances, comme l’imposent les conditions arctiques. Car pour l’heure, il serait efficient sur quelques dizaines de kilomètres seulement.

Deuxième élément naturel à prendre en compte, la glace de mer ou les icebergs qui peuvent menacer occa-sionnellement les installations. Par exemple, pour répondre aux risques de collision par les icebergs, les ins-tallations sont équipées de systèmes qui permettent de les déconnecter temporairement de la plate-forme.

De nouveaux procédés Autre exploitation comportant un enjeu technologique : les gaz acides, contenant plus de 10 % de sulfure d’hydrogène (H2S) et de dioxyde de carbone (CO2). Ces composants corrodent les installations et doivent être retirés du gaz pour le rendre commercialisable. De plus, ils sont mortels pour l’homme. Selon les estimations de Total, plus de 30 % des réserves mondiales restantes de gaz sont acides. Les premières recherches ont débuté avec l’exploi-tation du champ historique de Lacq, dans les années 1950. Depuis, les industriels ont trouvé les matériaux résistants à de telles concentrations.

Parallèlement, des procédés inno-vants de séparation et de traitement ont pu être mis en œuvre. Le plus ancien repose sur la technologie des amines. Au contact du gaz brut, elles absorbent l’hydrogène sulfuré et le dioxyde de carbone éliminant ainsi leurs effets corrosifs. L’hydro-gène sulfuré alimente l’industrie du soufre et le dioxyde de carbone rejoint l’atmosphère. Mais ces mé-thodes ne sont plus intéressantes d’un point de vue économique. D’une part, parce que le marché du soufre est saturé ; d’autre part, les émissions de CO2 sont taxées en Europe et sont de moins en moins tolérées ailleurs dans le monde. C’est pourquoi Total, avec ses par-tenaires, s’est tourné vers une autre solution : réinjecter à haute pression le H2S et le CO2 dans les réservoirs. Au préalable, ils ont été séparés du méthane par refroidissement dans

un circuit à une température des-cendant jusqu’à -70° C.

Fluidifier le marchéLes développements de l’exploita-tion du gaz touchent également aux moyens de transport entre les champs et les réseaux de stockage et de distri-bution à terre. Le transport par gazo-duc est soumis à des aléas géopoli-tiques mais aussi techniques car pour parcourir de grandes distances il faut une série de stations de pompage. L’infrastructure est chère, énergivore et rigide, c’est d’ailleurs une des rai-sons pour lesquelles la fourniture de gaz se fait sur la base de contrats bilatéraux à long terme, où le parte-naire s’engage à payer des quantités déterminées de gaz. Les producteurs se tournent donc de plus en plus vers la liquéfaction du gaz, procédé qui permet dorénavant à l’industrie ga-zière d’utiliser le transport maritime pour ses échanges commerciaux. Se développent actuellement des uni-tés offshore de gaz naturel liquéfié (GNL), particulièrement adaptées aux petits champs. L’une d’elles est en déploiement par Shell en Australie, une autre par Petronas en Malaisie.

Une fois en fonctionnement, ces unités flottantes seront à même de produire, traiter et liquéfier le gaz sur place avant d’avitailler les mé-thaniers. Selon Christophe Renier, directeur des programmes Actifs in-dustriels au sein de la direction de la Recherche et de l’Innovation de GDF Suez, « le GNL flottant est un facteur de connexion et de croissance des marchés. Il permet notamment, à l’amont, d’ex-ploiter économiquement des champs de taille réduite ou trop éloignés des côtes et, à l’aval, de s’affranchir de certaines contraintes foncières ou côtières ». Ain-si, GDF Suez envisage de développer une unité flottante de liquéfaction au large des côtes australiennes dans le cadre du projet Bonaparte. Là aussi, les contraintes physiques sont impor-tantes. Pour passer à l’état liquide, la température du gaz est abaissée à un niveau constant de -160° C. Dans l’opération, son volume est réduit 600 fois.

« L’un des défis importants est celui de la sécurité, compte tenu de la compacité des installations », explique Éric Jeanneau, chef de projet de GNL flottant de Total. En particulier, lors du transfert entre l’unité de produc-tion et le méthanier. La solution rete-nue par la compagnie consiste en un flexible cryogénique aérien enrobé à l’extérieur de matériaux isolants per-formants. Grâce à ces innovations, les grands pays producteurs amorcent le virage.

L’Arctique est très convoité même s’il est encore peu exploité. Parmi les projets auxquels participe Total : Yamal, situé dans la partie russe. Le gisement doit permettre de produire 16 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié par an.

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à la production ne sont pas com-mercialisés, le CO2 peut être séparé du pétrole, puis réinjecté dans les réservoirs pour maintenir la pres-sion au fur et à mesure qu’ils se vident. Il reste ensuite stocké dans les couches géologiques.

Une gestion raisonnée de l’eauAvec l’exploitation intensive des GNC, un autre défi doit être relevé : la consommation et le traitement de l’eau. Dans la technique de fractu-ration hydraulique, l’eau crée un réseau de fissures millimétriques qui s’étendent latéralement sur 100 à 200 mètres de part et d’autre du puits, et sur quelques dizaines de mètres verticalement. « Une partie des besoins est disponible dans les nappes phréatiques profondes ne rentrant pas en concurrence avec l’eau potable ou “potabilisable” », indique Roland Vially, géologue à l’IFP Énergies nouvelles. Mais le reste doit être puisé ailleurs.

Chez Total, plusieurs pistes sont envisagées. « Au Danemark, nous travaillons sur un projet qui intègre entre autres solutions l’utili-sation d’eau de mer, annonce Bruno Courme. Mais pourquoi ne pas ima-giner des options locales, comme le recyclage des eaux usées d’une ville. À plus long terme, nos recherches pourraient nous permettre de déve-lopper des techniques de fracturaion hydraulique sèche, sans aucune uti-lisation de l’eau. » Généralement, entre 20 et 70 % de l’eau dégorgent au début de la production du puits. Cette eau est récupérée et réutili-sée pour les prochains puits. Reste

Le 25 mars 2012, Total an-nonce une fuite sur la plate-forme gazière Elgin, en mer du Nord à 240 kilomètres d’Aberdeen, arrête l’activité de la plate-forme et évacue

les personnes à bord. Rapidement, les rejets gazeux sont passés de 200 000 m3 par jour à 5 000, avant d’être stoppés. Le 15 mai, le puits est colmaté alors que les autorités environnementales britanniques as-sociées aux opérations ne déplorent aucun impact majeur sur l’environ-nement, ni dans l’eau ni dans l’air, malgré l’émission de méthane et de condensats. Depuis, la surveillance quotidienne du site et de ses alen-tours a montré que la situation est maîtrisée. Reste aujourd’hui à comprendre ce qui a provoqué cette anomalie. La fuite s’est produite à partir d’un réservoir inactif situé à plus de 4 000 mètres sous le plan-cher marin tandis que la couche exploitée est à plus de 5 000 mètres de profondeur dans le sédiment. L’exemple d’Elgin illustre un cas très complexe, puisqu’il concerne l’exploitation de réservoirs haute pression-haute température, où les équipements (capteurs élec-troniques, tubes, joints, valves...) subissent des pressions de 800 à 1 100 bar et où les températures peuvent dépasser 200° C. Pour ré-pondre à ces défis, des innovations ont été réalisées dans la conception de nouveaux aciers et des systèmes électroniques sans lesquels il serait impossible d’analyser en temps réel les structures géologiques forées. Cependant, réduire l’empreinte en-

vironnementale de l’activité gazière suppose de relever plusieurs défis, au-delà des risques de fuite.

Diminuer les rejets de gazBien qu’il permette de réduire les émissions de dioxyde de carbone s’il est utilisé en substitution du charbon ou de pétrole, le gaz naturel contri-bue au changement climatique. Calculé sur une durée type de 100 ans, l’impact du méthane sur l’effet de serre est 25 fois supérieur au CO2. Dans le cas des gaz de schiste, la protection des nappes phréatiques des risques de contamination par du gaz et des fluides est un point sensible du débat public. « Les tech-niques d’étanchéité des puits pour

ronnement, identifier avec plus de précision les GNC constitue l’un des principaux défis pour éviter de recourir inutilement à la fractura-tion hydraulique. Cette opération ne donnerait lieu à aucune exploi-tation de gaz de schiste dans 30 à 40 % des cas selon cette même agence. Autre résultat attendu de ce travail d’investigation plus poussé : la limitation du nombre de puits. Le sujet deviendra épineux avec l’expansion des gaz non conven-tionnels.

L’Agence internationale de l’énergie estime, dans un scénario favorable, qu’il faudra un million de puits supplémentaires au niveau mondial pour soutenir la produc-tion d’ici à 2035, près du double de ce qui existe aujourd’hui aux États-Unis pour l’exploitation to-tale de gaz. Pour illustrer l’ampleur de l’empreinte au sol des installa-tions de gaz de schiste, l’agence cite l’exemple du champ Marcellus, en Pennsylvanie. Il couvre une surface de 250 000 km2, dix fois plus grande que Hugoton, le plus grand champ de production de gaz conventionnel du pays. Afin de réduire le nombre de plates-formes de forage, une approche plus rationnelle tend à se développer : la construction de clusters à partir desquels partent plusieurs puits horizontaux.

Devant la pression environne-mentale, cette technique pourrait devenir la norme, d’autant qu’elle n’engendrerait pas forcément de coûts supplémentaires. La réduc-tion de l’empreinte environne-mentale du gaz passe aussi par la construction d’une filière en aval, avec le développement des usages et la création d’un réseau de distribution pour les satisfaire.

ensuite à en assurer le retraite-ment pour éliminer les différents éléments de la roche mère drainés lors de la fracturation hydraulique, comme les chlorures, les métaux, les sulfates et les carbonates.

La fracturation hydraulique fait également peser des doutes sur l’intégrité des nappes phréatiques. Aussi, des mesures de précaution s’imposent. « Les puits descendent à des niveaux inférieurs, de 2 000 à 4 000 mètres. En forant à une distance de plusieurs centaines de mètres d’une nappe, les risques de communication avec des eaux sales sont très faibles », indique encore Bruno Courme.

Longtemps, les opérateurs ont tenu secrète la liste des addi-tifs chimiques injectés au nom du secret industriel. Les autori-tés américaines ont demandé de rendre publique leur composition et de leur substituer quand cela est possible des produits à faible impact environnemental. L’acceptation par les populations de ces techniques dépend en grande partie de l’appli-cation des bonnes pratiques et de leur contrôle, ainsi que de la sur-veillance de l’exploitation.

Réduire l’empreinte au solL’impact environnemental ne se limite pas à l’air et à l’eau. À l’instar de beaucoup d’activités industrielles, la production du gaz modifie également le paysage. Des progrès dans la préparation du travail en amont peuvent limi-ter les perturbations. Pour l’agence américaine de protection de l’envi-

limiter les fuites existent et sont bien connues, explique Bruno Courme, directeur général de Total Gas Shale Europe. Par exemple, nous refermons le puits une fois les opérations de frac-turation effectuées, le temps de le mettre en connexion avec le réseau. » Les exploitants sont confrontés à une autre problématique : limiter les émissions de CO2 dans l’atmos-phère. Elles se produisent lorsque le gaz est brûlé à la torchère, dans le cas d’anciens champs de pétrole par exemple, ou pour générer l’éner gie nécessaire à l’extraction ou au transport. Les producteurs optimisent ces effets par l’utilisation de ce combustible pour les besoins énergétiques des plates-formes ou en construisant des méthaniers moins consommateurs de gaz. Des progrès ont été obtenus par le déve-loppement par GDF Suez et Total d’une technologie de méthanier membrane qui optimise l’espace du navire et utilise le gaz transporté comme combustible pour la propul-sion des navires. Si les gaz associés

L’exploitation du gaz à l’épreuve de la préservation environnementalePour réduire son empreinte environnementale, la production de méthane doit relever plusieurs défis. Parmi eux : limiter les émissions de gaz à effet de serre et réduire la consommation d’eau.

Ce cahier spécial a été réalisé avec le soutien de la direction scientifique de

Comité éditorial :jean-François Minster, total - Olivier Appert, IFP énergies nouvelles - François Moisan, Ademe - Bernard Salha, EdF - Bernard tardieu, Académie des technologies - Marc Florette, GdF SUEZ - jean-Michel Ghidaglia, La Recherche.Rédaction : thierry del jésusConception graphique et réalisation : A noir,Crédits photographiques : Florian von der Fecht/total, total E&P UK, Edmond Coche/total, dR, thierry Gonzales/total

Retrouvez ce cahier spécial en français et en anglais sur le site

20 %Sur la tota-lité du méthane rejeté dans l’atmosphère, c’est la part provenant des combustibles gaz et pétrole, selon le GIEC, le Groupement intergouverne-mental d’experts sur le climat.

250 000 km2 C’est la surface du champ de gaz de schiste Marcellus, en Pennslyvanie. C’est dix fois plus que le plus grand champ de gaz conventionnel du pays.

L’expérience américaine a montré qu’il faut compter de 10 000 à 20 000 m3 d’eau par puits de gaz de schiste, comme ici au Texas. C’est l’équivalent de la consomma­tion mensuelle d’une ville de 2 000 habitants.

Faut-il craindre les techniques employées pour explorer et exploiter les gaz non conventionnels, plus particulièrement le gaz de schiste. La France a, dans sa loi du 13 juillet 2011, interdit d’utiliser la fracturation hydraulique à cause de ses effets potentiels dans les sous-sols et des risques de contamination des nappes phréatiques. La Grande-Bretagne a failli suivre la même voie à la suite d’un incident survenu dans le Lancashire, dans le nord-ouest du pays. Les explorations menées par la compagnie Cuadrilla Resources ont entraîné deux secousses telluriques. De faible magnitude (2,3 et 1,5 degrés sur l’échelle de Richter), elles ont cependant été ressenties par les populations environnantes. Après un moratoire d’un an et une série d’études, le gouvernement britannique a finalement décidé d’autoriser la poursuite du chantier, à condition de prendre de nouvelles mesures de sécurité, comme par exemple interrompre l’activité en cas de séisme d’une magnitude supérieure à 0,5 degré. De son côté, après un bref moratoire, l’Afrique du Sud envisage une exploitation « très contrôlée » de ses réserves du Karoo.

réGLEmENTEr L’EXPLOITaTION dES Gaz dE SCHISTE