Monsieur Bernard Chenot

L'Existentialisme et le DroitIn: Revue française de science politique, 3e année, n°1, 1953. pp. 57-68.

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Chenot Bernard. L'Existentialisme et le Droit. In: Revue française de science politique, 3e année, n°1, 1953. pp. 57-68.

doi : 10.3406/rfsp.1953.452690

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1953_num_3_1_452690

Existentialisme et le Droit

BERNARD CHENOT

II une lutte mort entre la pensée abstraite et existence

Jean WAHL

LES

Fran ais Dieu merci ne sont pas tous juristes mais ils sont en général fort attachés au droit ou du moins idée ils en font Celle-ci est souvent grandiose Le Droit prend une majuscule et se confond alors avec attachement une civilisation le respect de la morale ou la foi religieuse Si la défense du droit est parfois agressive est elle répond au besoin métaphysique et social la fois asseoir sur des bases éternelles un monde dont la substance écoule de plus en plus vite et dont les perspectives se renouvellent un rythme ver tigineux Au culte de essence et de la chose en soi viennent attacher un peu éperdus les plus vieux instincts de conservation de homme Par un singulier paradoxe on veut découvrir sous les institutions humaines la pierre de base le sol ferme que la science et la philosophie contemporaines dissolvent envi On cherche le point appui de nos connaissances que les ufe pla aient en la matière et les autres en esprit divinisant tour tour celui-ci ou celle-là mais trouvant en tous les cas la sérénité dans la perma nence de leurs structures respectives et dans leur opposition irré ductible Quel effroi quand on est demandé pour la première fois si ces structures éternelles étaient pas un simple reflet celui des cadres que pose autour de lui le regard de homme Les sciences sociales divers étages ont subi le contre-coup des ébranlements que analyse existentielle communiqué aux

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monuments traditionnels de la pensée philosophique son tour le monde juridique senti inquiétude et le doute

acuité de la crise tient abord ses répercussions maté rielles Au niveau du sens commun attachement au droit est que la spécification un vieil instinct de sécurité maintenir les situations acquises et limiter les risques fuir les aventures en abritant derrière la règle et transformer par artifice des pro cédures les conflits de forces en un paisible jeu échecs est le but même du droit civil Par effort des philosophes du XIXe siècle les relations entre gouvernants et gouvernés se sont en partie civi lisées sous le nom de droit public Dans le même souci les hommes du XXe siècle ont essayé en vain présent de donner au moins apparence un cadre juridique aux luttes entre les nations

Au niveau de la doctrine le conflit est plus grave encore il met en cause les bases rationnelles et morales sur lesquelles des générations de juristes distingués ont assis leurs sytèmes

Sans doute le travail des juristes de profession garde en tout état de cause une valeur scientifique Dans le domaine du droit observation des faits est analyse des lois et de la jurisprudence Par la clarté de leur esprit et ampleur de leurs connaissances les professeurs donnent une valeur positive aux rapprochements com paraisons ou anticipations que leur suggère observation une réalité sociale parfois très chaotique Leurs analyses sont irrem pla ables

habitude est cependant ancrée chez la plupart des juristes encadrer analyses et classifications par ingénieux systèmes idées générales qui sans doute varient un auteur autre mais ramènent toutes au postulat commun il existe au delà des décevantes variations et du désordre des choses humaines

fussent-elles législatives ou jurisprudentielles un paradis immuable des notions et des règles Ici reposent les catégories permanentes de entendement juridique dont ordre priori im pose aux faits sociaux

Cette attitude intellectuelle rejoint les préoccupations de sécu rité de homme moyen elle permet de croire que les débor dements brutaux du pouvoir et le conflit vulgaire des intérêts trouvent une limite ou du moins une sanction dans les affirma tions permanentes un droit transcendant et éternel Quel soula gement de répondre Pascal il existe quelque part un code de lois humaines aucune rivière ne borne et que nul crime aura jamais sa place dans les actions vertueuses

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un autre point de vue une telle attitude coïncide avec celle des philosophes dont effort se poursuit depuis des siècles pour donner en marge de toute révélation religieuse une valeur éter nelle et transcendante aux jugements de esprit ou aux perceptions des sens

Doublement appuyée sur le sens commun et sur le dogme des philosophies les plus traditionnelles la science du droit peut appe ler la rescousse si elle est mise en cause les valeurs morales et intellectuelles les plus éprouvées et les plus respectables

Cependant le lent dévoilement de contradictions fondamentales au ur même des notions et principes qui soutenaient empirisme comme le rationalisme suscité une nouvelle génération de philo sophes qui bornent leur ambition saisir au niveau de expérience ingénue une vérité humaine

Parallèlement le mouvement même des faits sociaux ouvert dans les sciences sociales et notamment dans le droit une crise des fondements qui risque elle aussi de déboucher sur un agnosti cisme ou un existentialisme dont les plus avertis ont per les approches Cette crise va dépouiller le droit de son auréole méta physique ébranler dans leurs vénérables assises les interprétations juridiques du monde dissocier enfin une science du droit qui se réduirait art des bonnes classifications et certaines affirmations philosophiques ou morales qui ont sens et valeur partir une option métaphysique

Depuis dix ans la cloche alarme résonne Nos juristes sont-ils trop vieux écrivait avec quelque irrévérence un jeune auteur en face de la débâcle des notions classiques Des voix plus autorisées encore se sont élevées pour déplorer le déclin du droit et ceux-là même qui prétendent sauver la foi dans les principes donnent leurs accents un ton désespéré rappelant Coué et sa méthode quand ils écrivent que le juriste se doit de croire que la règle dont il est le gardien est pas le simple enregistre ment des faits ou encore il faut opposer les lois immuables qui dérivent de la nature des choses et les lois arbitraires établies par la volonté des hommes

Ch LIER D.S. avril 1948 RipERT Le Déclin du droit Paris Librairie Générale de Droit et de

Jurisprudence 1948-1949 RIV RO Apologie pour les faiseurs de système D.S. juillet 1951 CiGNOux dans La Revue Deu.v Mondes 1er juillet 1952

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En réalité depuis la Révolution fran aise où nos dogmes Juri diques plongent leurs racines le milieu économique et social où appliquent les règles du droit changé lentement abord puis une allure vertigineuse Les termes Juridiques sont demeurés les mêmes principes et notions suivaient sur le plan ethere des vues de esprit un développement harmonieux tandis au niveau des luttes sociales le contenu et le sens dont ils étaient chargés se transformaient

est-ce une coalition Pour la Jurisprudence du milieu du xixe siècle est abord une association politique pour le législateur de entre-deux-guerres est un groupement ouvrier pour celui auJourdhui est surtout une entente industrielle Quel est le sens de la notion organisation syndicale la plus représen tative Forgée au lendemain de la seconde guerre mondiale elle en changé trois fois en 1936 en 1944 en 1947 pour traduire de profondes modifications dans la structure des forces politiques et sociales elle enfin perdu toute portée précise dans la Juris prudence actuelle

La liberté définie en 1789 est confirmée en 1946 mais ce est pas la même nul ne le soutiendrait en considérant dans le concret la zone réservée liberté de individu et les garanties dont il dispose pour la défendre De ancien régime la Révolu tion fran aise la notion même de propriété privée change de sens et si on analyse en lois et en arrêts le contenu de ce droit invio lable et sacré on ne reconnaît plus en 1952 institution de 1789

Le Droit la Liberté la Civilisation la Personne humaine quels termes magnifiques Mais comment se dissimuler hui que leur sens et leur portée changent aussi souvent il est nécessaire aux besoins de divers conflits

De même que les brusques progrès des sciences physiques et naturelles ont obligé les philosophes reviser périodiquement leur vision du monde de Descartes Condillac de Bergson Husserl ou Merleau-Ponty de même après la lente évolution du xixe siècle sur laquelle les yeux pouvaient encore se fermer les révo lutions industrielles et sociales de entre-deux-guerres et de la Libération placent les Juristes en face un feu artifice où éclatent les notions et les principes qui avaient réJoui leur Jeunesse

La définition du service public donné exemple le plus net une de ces notions dites fondamentales dont le contenu pu êt précisé en de très brèves périodes et dont enveloppe craqué sous les contradictions des lois et des arrêts histoire du

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service public montré évidence que le seul sens de ce terme est celui que lui donnaient les tâtonnantes fantaisies du législateur et les pragmatiques efforts du juge5

Les crises de la notion établissement public ont suscité un ouvrage ailleurs des mieux venus

Il est vrai que le Conseil Etat semble avoir renoncé depuis une dizaine années se prononcer autrement en termes néga tifs sur la nature de diverses institutions ordres professionnels comités organisation ou groupements achats par exemple Il dit volontiers ce ils ne sont pas et occasion ce ils font ce ne sont pas des établissements publics il arrive ils rem plissent une mission de service public mais il advient aussi ils se comportent comme de simples particuliers est selon Ce qui revient dire ils entrent dans aucune catégorie traditionnelle et que le juge renoncé créer de nouvelles essences Si est faire un système que en esquisser un qui adapte chaque cas espèce îe Conseil Etat fait des systèmes mais en ce sens seulement

Parallèlement ailleurs après cinq années de commission et un débat au Conseil Etat le législateur semble avoir échoué for muler en termes clairs le statut de entreprise publique alphabet engageant rien on avait pensé désigner par des lettres les deux catégories principales et La difficulté commen quand il fallut énoncer des règles générales du moins intérieur de chaque rubrique puis faire entrer de force dans ce cadre discret chacune des entreprises qui fonctionnent hui Elle pas été surmontée Après avoir dans un même texte proclamé le prin cipe général de application du droit commun et dévolu au Conseil des ministres les pouvoirs habituels des assemblées actionnaires le législateur hésita On le comprend sans peine certaines de ces entreprises achètent et vendent comme de simples particuliers mais

occasion exproprient autres ont pas cette faculté ex ception des directeurs le personnel est composé de salariés du droit commun mais leur statut est souvent fixé par décret et les lois du travail sont parfois écartées Quant aux directeurs on sait que le statut des fonctionnaires ne leur est pas applicable parce il le dit mais on ne sait plus très bien ce ils sont

CHENOT La Notion de service public dans la jurisprudence écono mique du Conseil Etat Etudes ei Documents 1950

DRAGO Les Crises de la notion établissement public

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Quand on avance vers économie mixte le chaos aggrave Chaque société est elle-même soumise plusieurs régimes différents Le pourcentage des participations publiques qui caractérisent éco nomie mixte varie selon il agit de la présence des contrôleurs de la désignation des administrateurs de la tutelle des comptes ou des investissements Quant aux sociétés dites nationales créées par le fait un transfert actions Etat elles ont ni associés ni objet social

Le secteur privé lui-même échappe pas ce tohubohu des catégories et des règles et pour cause Les frontières qui sépa raient le droit public du droit privé après avoir admis quelques enclaves se sont muées en une multitude de lignes fuligineuses et chevauchantes autres ont dit et fort bien

Dans ce domaine aussi le juge est placé devant un problème de compétence qui est ailleurs que aspect de procédure un problème de fond et il renvoie tantôt au contentieux de excès de pouvoir la décision un inspecteur du travail et tantôt devant les hommes le salarié mécontent Certaines catégories de person nel la frontière sociale des intérêts corporatifs et des intérêts publics ont plusieurs patrons le maître de affaire le comité en treprise et administration

Les conséquences techniques de ces désordres sont bien connues des spécialistes Le seul souci qui guide hui la jurispru dence du Conseil Etat est éviter les règles générales et les notions priori examiner en lui-même chacun des actes qui lui est soumis avant de dire si celui-ci ressortit la juridiction ordi naire ou autre

Mais est aspect philosophique du problème qui hui nous intéresse

Les principes sont flous les notions se font et se défont de plus en plus vite les règles se contredisent de nombreuses insti tutions naissent et vivent sans on puisse les classer Tout cela est décevant La conception fran aise du droit était cartésienne et classique harmonieuse et rassurante Les notions juridiques bien

Voir notamment DURAND Les Fonctions publiques de entreprise privée D.S. juillet-août 1945 MORHANGE Le Déclin de la notion de services publics D.S. 1947 chronique 45

Voir arrêt Desmarais du 11 juin 1948 avec les conclusions du com missaire du gouvernement et la note D.S. septembre-octobre 1948

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enracinées dans éternelle logique solidement abstraites et souple ment générales servaient tour tour de référence de protection ou alibi aux juges aux citoyens aux administrateurs

Ces avantages pratiques ont survécu ébranlement des dogmes mais il est difficile de les concilier avec une vue lucide des condi tions de formation du droit La conception fran aise était-elle erronée La question ainsi exprimée serait fort mal posée Les constructions classiques se vident de leur sens quand le milieu social évolue trop vite Si évolution est vraiment trop rapide elle laisse derrière elle les plus harmonieuses théories comme des car casses où passe le vent Dans une période de stabilité au contraire toute construction est valable parce elle est utilisable pendant un temps plus long

Cependant il est guère exemple historique une stabilité absolue autre part une telle vision du droit porte en elle-même une cause de faiblesse elle oublie les conditions dans lesquelles il élabore dans le tumulte des assemblées sous huis clos des juri dictions

Les conditions de élaboration du droit décevront toujours en effet ambition de fixer un système de principes et de règles expli quant et gouvernant les sociétés comme celles de Newton le monde solaire

Le législateur suit opportunité ou bien ce il croit être Il méconnaît les principes parce il les ignore Les lui indique- t-on il les contredit aussi souvent il est nécessaire pour donner satisfaction la pression des forces qui le poussent Peu lui importe engendrer des institutions hybrides comme les groupe ments achats et les centres techniques industriels ou même des monstres comme les sociétés nationales il renverse la règle de non rétroactivité des lois et des peines dans les heures ardentes de épuration quitte se contredire quelques années plus tard par une amnistie non moins rétroactive En réalité les assemblées poli tiques qui créent le droit en font pas elles donnent hâtivement une forme juridique plus ou moins élégante aux décisions que leur suggèrent agitation sociale la crise économique la préparation de la guerre ou la liquidation un régime politique Bien entendu les textes législatifs comportent le plus souvent les ambiguïtés et les failles qui permettent au juge de développer ce on appelle avec une certaine discrétion effort créateur de la jurisprudence Cette création lui permet parfois de démentir par la grâce un para graphe obscur les intentions les plus claires une majorité abolie

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Le travail du juge est plus complexe en effet et première vue laisse espérer aux commentateurs il existe bien quelque part un livre or des grands principes

Considéré de près le travail du juge quelle que soit sa juri diction peut être suivi dans deux perspectives très différentes sa décision qui parfois procède un choix suit le plus souvent un automatisme

Le choix est instant unique de arrêt de principe celui qui fait jurisprudence après est une suite éléments qui se répètent en suivant la ligne un premier arrêt Dans automatisme de la jurisprudence les principes ne jouent un faible rôle Le moule est encore chaud toute la suite des décisions engouffre plus ou moins aisément est la ressemblance avec le cas précédent qui fait la décision Le juge ne se pose aucune question de dogme tout son art exerce pour faire entrer les faits dans le cadre un droit déjà fixé

est assurément au niveau de la décision cruciale on peut voir miroiter les notions et les règles Elles jouent dans la marge initiative que les lacunes ou les ambiguïtés des textes laissent aux tribunaux et ceux-ci se réfèrent occasion aux grands prin cipes ceux qui ne sont écrits nulle part sinon dans les tables philo sophiques que sont les déclarations de droits

On peut toutefois se demander si les magistrats ont bien soin de poser abord en termes théoriques le problème ils doivent résoudre On souvent impression que le moment où la question est posée au juge influe sur le choix des principes il convient évoquer La fa on même isoler dans la mêlée des faits les termes une question ouvre la voie la réponse arrive-t-il pas que les motifs suivent le dispositif Les motifs ce sont les notions et les principes le dispositif est la solution qui les appelle est-ce donc un principe qui ne vient que quand on appelle est-ce pas le nom pompeux de opportunité élevée pour la cir constance une certaine dignité intellectuelle

Une série études précises montreraient sans doute que ce renversement des perspectives méthodologiques est autant plus net que la question résoudre est plus proche du centre brûlant de la vie politique Les textes sur épuration sur les nationali sations sur les syndicats sur enseignement sur la presse ont donné occasion aux juridictions les plus diverses de construire sur un mot ajouté ou omis sur un temps de verbe ou sur une

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phrase laquelle nul avait pris garde étonnantes interprétations qui révélaient sous un jour neuf quelques années plus tard les intentions cachées un législateur

Ainsi serait confirmée idée que le droit ne peut pas être traité comme une synthèse idées générales et de notions abstraites Détaché du contexte politique et social il devient incompréhen sible Ni les lois ni les règlements ni les arrêts ne procèdent de notions qui leur sont en quelque sorte surajoutées soit ils les suggèrent leurs commentateurs soit ils les expriment parce elles forment enveloppe prestigieuse une décision opportune

obscurité du monde ne signifie pas que le monde soit dépourvu de sens. écrit Berdiaeff Sans doute la faveur des crises qui accélèrent et grossissent les phénomènes une analyse plus lucide des faits sociaux déplace les lignes ouvre des perspec tives inattendues et conduit une nouvelle conception du droit Presque aussi éloignée du positivisme que de idéalisme celle-ci accorde assez bien avec une vision existentialiste du monde

Il suffit analyser les causes de cette crise des fondements qui montre la facticité des idées juridiques communes pour ne plus étonner de cette coïncidence On aper oit en même temps que si la philosophie existentialiste ne débouche pas fatalement sur le néant absolu de même une revision des concepts juridiques dépouil lés de tout ce que leur ajoutait un mélange injustifié affirmations philosophiques et idées morales ne conduit pas nécessairement un immoralisme des relations sociales

Les causes profondes de cette crise des fondements ne sont nous avons vu ni purement intellectuelles ni purement maté rielles Le fait que les sociétés sécrètent les règles qui les gouver nent engendrent institutions et notions qui ne prennent un sens en exprimant des relations sociales est pas un fait nouveau était vrai des diverses périodes de ancien régime aux struc tures si diverses est encore vrai au lendemain de la Révolution de 1789 Le fait nouveau est accélération du rythme évolu tion des divers éléments entre lesquels se tissent les relations sociales évolution des techniques avec toutes ses conséquences sur la vie économique et sur le milieu humain impératifs succes sifs des besoins économiques revendications sociales activité poli tique plus intense exigences de la défense nationale et nouveaux aspects des conflits internationaux évolution plus lente des idées

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de telle sorte que dans les disciplines dont le vocabulaire ne chan geait pas en même temps les mots restaient en arrière du mouve ment prenant successivement des sens contradictoires et perdant finalement tout sens précis Conservateurs par vocation la plupart des juristes regrettaient le temps où le droit même non écrit allait présenter de si belles cristallisations il serait sans doute possible de les ordonner autour un thème unique choisi de pré férence pour ses résonances morales service public solidarité intérêt général etc. Parfaire élaboration de notre droit admi nistratif. 9 noble idéal assurément Tout spécialiste veut faire sa science et la fixer ce préjugé doit être nécessaire effort constructif il reste inadmissible sur le plan une critique métho dologique Parfaire le droit mais quel droit est parfait Le droit romain sans doute parce il est mort avec les sociétés il avait engendrées

La stabilité des notions juridiques est le privilège des civilisa tions mortes une relative stabilité est le luxe des périodes calmes est alors que tout évolue un mouvement si lent que apparaît pas la précarité des solutions quotidiennes Juges et législateurs peuvent se permettre de rester fidèles des habitudes on prend pour des dogmes

Tout change si des forces nouvelles viennent être utilisées Que la vapeur soit mise en service ou électricité que changent les habitudes de vivre au point intégrer hygiène et le sport dans les conditions une vie acceptable et déjà se déplace la ligne qui passait entre le droit privé et le droit public les institutions se transforment le droit de propriété évolue Que les nouveaux aspects de la guerre moderne exigent une mobilisation totale des activités industrielles et commerciales le pouvoir improvise alors au jour le jour des règles de droit et des institutions sans avoir souci de laisser évoluer les théories anciennes au souffle lent des âges énergie atomique et les formes nouvelles organisation internationale vont leur tour vider de leur sens les plus respec tables signes Que signifie hui la notion de souveraineté

Dans le domaine de la science pure des révolutions parallèles ont communiqué la philosophie leur ébranlement La physique nouvelle débouche sur la critique existentielle comme les décou vertes du xvie siècle sur le cartésianisme Dans un comme dans autre cas est le mouvement de la vie qui montre le néant des

RIV RO op cit

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notions priori et souligne la discordance entre les théories hier et le comportement quotidien des institutions et des hommes engagés les unes et les autres dans les dures nécessités de exis tence

Que peut-on donc attendre hui des sciences sociales et notamment du droit

Pour donner une pleine valeur sociale étude des règles de droit il faut abord renoncer certaines illusions et même cer taines ambitions morales quitte retrouver celles-ci sur autres plans Eviter avant tout la confusion des genres

Il faut renoncer absolument illusion que les faits sociaux vont suivre les constructions juridiques Celles-ci sont tissées de faits et quand les événements vont trop vite elles restent debout comme des édifices ruinés comme des décors où il ne se passe rien Le physicien peut affirmer que la nature suit les lois de la physique parce il énonce ainsi une identité La physique exprime la nature et celle-ci change moins vite que homme Encore faut-il ajouter hui que sur le plan même de la science le physi cien ne prétend pas dégager des vérités éternelles et absolues mais relatives au contraire certaines données du problème telle que la vitesse de rotation de la terre Et sur le plan philosophique analyse montre que toute la science développe les moments suc cessifs de la conscience de être humain et il est pas possible ériger en absolu des faits des notions ou des règles qui expriment en réalité certaines modalités de être dans le monde et lui sont propres

La conclusion impose fortiori dans le domaine des sciences sociales celles-ci impliquent même pas la nécessité de remonter aux sources et de prendre parti sur une théorie de la connaissance epistemologie suffît montrer que objet le seul objet des scien ces sociales est le comportement de homme en société libre ou non moral ou non Institutions et règles sont faites par lui et pour lui elles expriment les réactions de ceux qui exercent le pouvoir en face des rapports sociaux il ait des constantes en de telles réactions cela ne fait aucun doute mais est au sens relatif du terme Les mots seuls sont permanents

En face de cette réalité mouvante et confuse le juriste comme le physicien devant le tumulte des chutes eau et les tourbillons de air simplifie extrapole généralise Il fausse la réalité mais il la rend compréhensible Il introduit ordre de son esprit ordre logique dans le chaos du drame social Le droit est art des

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bonnes classifications Art ingrat Il faut sans cesse recommencer ce travail analyse objective et ces synthèses pragmatiques le faire avec autant ardeur et de foi que il devait exprimer des vérités éternelles mais garder en même temps une pensée de derrière ces notions fondamentales et ces règles générales sont les cadres ou les symboles qui rendent intelligibles une mêlée confuse ce sont les figures un jeu échecs qui retracent en in terprétant le conflit des forces sociales Il faut prendre garde ne pas diviniser des masques ces figurines ne sont que les signes une réalité qui leur donne un sens parce il en ont un seul est aider la comprendre Un double souci doit guider le juriste mettre constamment au point un appareil de classification

travers lequel il connaît le monde politique économique et social ne pas prendre pour des choses en soi pour des valeurs absolues ni les notions que cette machine abstraction découpe arbitrai rement dans la vie ni la machine elle-même

Il ne suffit donc pas de mettre une majuscule au droit pour en changer la portée Mieux vaut admettre franchement en faisant appel éternel et absolu on quitte le domaine juridique mieux vaut chercher au delà des sciences sociales la justification de cette option métaphysique

En effet opposition entre la pensée abstraite et la vie débouche comme les analyses existentielles sur le problème crucial Quand on montré que tout est éphémère et subjectif dans le monde que nous connaissons et aucune notion inventée par esprit humain ne peut être enracinée dans absolu on peut encore se demander si cette incertitude et cette fuite ne sont pas arrêtées par une vérité transcendante qui restitue au savoir une portée et la vie un sens Mais est le problème métaphysique erreur est de mélanger les genres analyse existentielle montre aisément que dans le cadre juridique les principes les plus sacrés les notions les plus respectées ne sont que les produits changeants de esprit humain et de histoire Cette analyse peut être dépassée mais il ne faut plus prétendre alors faire du droit Il faut soutenir visage découvert le principe métaphysique pu religieux qui intro duit absolu dans la fuite du temps et dans la relativité du monde En dehors une telle option il est dans le mélange du droit et de la morale obscurité confusion ou opportunisme masqués par des pancartes creuses

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