L'exécution

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Monologue pour une femmeUne femme décide de prendre sa revanche et d'exécuter l'homme qui est à l'origine de toutes ses souffrances. Un règlement de compte. Avec des mots en guise de munitions. Quoi que...

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L’exécution de Lionel Parrini

Tu crois me connaître Avec tes bottes rutilantes Ta verticalité triomphante Les bras en V Tu crois savoir ce que je pense Ce que je ressens Ce que je ressasse Ce que je sais Tu crois me connaître par cœur Avec ton sourire lisse Tes joues creuses Ta faim du monde Ton cannibalisme Tes mots engloutissent les miens Les miens n’ont pas le temps de naître Tes mots avortent les miens Ton sourire est lisse Tu crois me connaître Oui Tu crois Sûr de toi Croire Tout Tu crois connaître Me connaître Connaître tout Les pieds dans la sottise mais debout : Ta bave : c’est l’encre ! Connaître tout Comprendre Tu crois Comprendre le monde Mon monde Ma peau Ma peur Tu crois Ressentir Me ressentir Température

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Tempérament Tempérance Et tu ne vois pas à quel point Pourtant Ta peau est froide comme du plastique Tes yeux liquides comme du goudron noir T’es debout mais foutu Eclatant de beauté Mais foutu Trempé jusqu’au cou dans ta connerie mortifère Ivre de folie La nonchalance en bandoulière Garde ton argent Tes privilèges Ta langue passe-partout Ton regard caméléon Tu crois me connaître Mais tu ne connais de moi Qu’une image fabriquée Par tes rêves vénéneux Où tu me prends Pour ta lécheuse de plaie L’admiratrice de ton talent inexistant ! Tu voudrais bien être ce héros improbable Qui écrit des romans Mais tu n’écris que ta détresse Sur un coin de table Le soir, après ta soupe tiède Tu crois me connaître Mais c’est moi qui te connais Bien plus bien plus que ce que tu connais de moi Tu n’es pas beau Ni bon Juste dressé et froid Tu fais partie Comme moi Des êtres ordinaires Mais moi Moi Je l’accepte Tu m’aimes Dis-tu Un peu

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Peut-être Sauvagement Quand ça t’arrange Quand tes jambes tremblent de doute Quand ce doute tu veux le mettre autour de mon cou Serrer pour me voir souffrir plus Serrer plus fort Encore, encore Jusqu’à ce que mes cris consolent ta douleur sourde C’est ça l’amour ? Tu n’es pas un homme bon Tu es du poison Par les mains que tu tends Qui ont toujours beaucoup de choses à offrir : Pourquoi donner autant Si c’est pour reprocher ensuite aux autres d’avoir pris ? Tu croyais me connaître Comme on pratique une route quotidienne Le jour la nuit Longtemps je t’ai maudit De croire à une chose pareille Puis j’ai appris A me connaître un peu A l’écart En secret Ailleurs Seule Me connaître un peu mieux Autrement Que par tes paroles hystériques Et ce que j’ai découvert C’est une prairie De nuances Sauvages Fleuries Il était enfin possible d’y arracher tous les malentendus Que tu avais plantés Avec ton cœur malade Fiévreux Stérile Y voir clair Enfin Comprendre qu’on verra toujours mieux Quand le pus s’éloigne

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Quand tu t’éloignes La paix de voir enfin Clairement Ton nom s’effacer de mes pulsions Tu croyais que je t’aimais Je croyais que je t’aimais Mais non Non Je suffoquais Tu croyais me connaître Et tu ne te connaissais même pas Regarde-moi Tu t’es rêvé trop fort Sois fort ! Ne t’assieds pas ! Tu peux encore apprendre quelque chose ce soir Regarde sur le côté Regarde Ça bouge Ça bouge encore Allons Sois-fort Regarde bien C’est le tien ? Le mien ? Le nôtre ? Un jour, il parlera. De vrais mots De vraies paroles ? Sais-tu lui offrir autre chose que des cris ? Tu veux devenir immense : vraiment ? Tu veux te battre comme un guerrier à succès ? Prend-le déjà dans tes bras. Ecoute- ce qu’il tente de dire Si tu y arrives Peut-être qu’il dira : Pa Pa Deux syllabes qui ont besoin de courage Pour recevoir en retour de l’écoute De la patience Un repère. Tu croyais me connaître Et qu’il suffisait de me dire

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Comment je devais penser J’ai pourtant vu Un fuyard nageant dans des fictions improbables Tu connais le souffle de ton fils ? Son rythme Sa musique. Sa ponctuation Le suspens au creux de sa bouche quand il hurle la faim. La peur du vide Et qu’il serre dans sa main Incrédule Ton vieux blouson Tu n’as vu en moi que ce dont tu rêvais pour toi Si parfaitement fantasmé Que ce que tu croyais connaître de moi C’était toi et ma naïveté Souviens-toi Quand tu marchais à côté de moi, excité à l’idée qu’on puisse reluquer mes cuisses et donc Ton pouvoir de séduction Je n’ai jamais aimé les talons Souviens-toi Je t’ai dit que j’étais pas ta potiche Je t’ai laissé seul devant la vitrine d’une boutique Qui te renvoyait ton image D’abruti pris en flagrant délit. D’avoir la trique pour toi-même ! Tu croyais me connaître Mais c’est maintenant que tu me découvres Tu ne vas tout de même pas croire que je t’ai fait revenir Pour te laisser partir de nouveau ? Que tu es revenu pour qu’on recolle les morceaux ? Le temps est trop précieux Il faut être précis Savoir ce que l’on veut Tu es revenu, ici Parce que tu es Une spectaculaire désillusion Une incroyable déception Une stupide contrefaçon Tu es ici Parce qu’avec toutes ses années J’ai enfin un désir d’une clarté inouïe

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Une volonté féroce : Tu ne repartiras pas d’ici. Inutile de sourire Ton attitude désinvolte est artificielle comme tout le reste Il n’y a qu’une chose qui brille ce soir sur ton visage La peur Tu te dis : en serait-elle capable ? Tu te dis : ce n’est pas une criminelle. Tu te dis : elle s’y prendrait comment ? Je ne suis pas une criminelle Pas encore Alors que toi Le crime est dans chacun de tes mots Dans chacun de tes raisonnements Tu te souviens quand je n’avais pas de boulot Coincé dans notre niche avec notre nourrisson Je m’occupais de lui jour et nuit Il le fallait bien Tu rentrais du travail Et tu me disais : Qu’est-ce que tu serais sans moi ? J’aurais pu te poser la même question. Qui aurait gardé le petit ? Coincée dans ce piège, ça te rendait surpuissant. Ton refrain préféré : je me sacrifie pour vous ! Sacrifice, dans ta bouche, ça avait l’odeur du tout à l’égout. Je n’ai pas répondu On ne répond pas aux tyrans. On les esquive ou on les tue. Je suis devenue la reine de l’esquive. T’encenser quand il le fallait Te donner raison, sans exception, aucune. Te cacher la vérité ou bien l’édulcorer pour ne pas réveiller ta rage chronique. J’ai attendu longtemps avant de me décider. A rompre Avec cette sale habitude Je sais pourquoi J’avais cette image. Dans la tête Cristallisée L’été

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Sous la tonnelle. Les châteaux Le fleuve La vigne tombante qui colorait nos joues d’ombres et de lumières Le vent doux Ta main La mienne Et ces murmures dans l’oreille Où tu as osé Faire du théâtre ! « Veux-tu me prendre pour époux ? »

A mourir de rire ce romantisme ridicule Tu ne me connaissais pas, non, mais tu m’as transpercée. Idéaliste je l’étais à cent pour cent Je t’ai répondu oui. On aurait pu construire une histoire toute simple Sans prétention Sans ambition Se contenter de notre amour Mais Mystère Il y avait un secret chez toi qui te rongeait de l’intérieur Une énigme bien entretenue qui te poussait à écrire Une quête sans fin pour calmer le mal Je n’ai jamais très bien compris « la source » Tu écrivais la nuit Je t’attendais dans les draps Et même nue Tu ne venais pas Jusqu’au jour où J’ai trouvé une correspondance Véritable lumière Je comprenais enfin tout. Aimer, tu savais donc aimer. Mais c’était pour quelqu’un d’autre Quelqu’un qui te ressemble Quelqu’un qui écrit aussi Votre amour était invisible Impossible Indicible A vous lire Vous étiez des anges Dont l’unique chair entremêlée

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Etait l’encre Seulement de l’encre Je me disais Il va me le dire Il va partir Il va rejoindre l’autre Un jour ou l’autre Il va avoir le courage D’assumer son véritable amour Le télescoper pour de bon Non Tu as continué à écrire Ecrire sans avoir plus aucune réponse de l’autre Ecrire ton impuissance jusqu’à t’épuiser pour de bon Et quand tu nous croisais dans le couloir Je te le dis J’avais peur De toi J’avais peur pour mon fils Si seulement on avait pu se rencontrer Sincèrement Ça aurait été plus simple De vrais dimanches Pas des passe-temps où prisonnier par ton cancer d’écrire Nous restions dans la pièce à espérer une sortie La seule promenade, finalement, c’était la petite bleue qui nous l’offrait : Des reportages sur des îles Père de famille : Jamais tu n’aurais dû le devenir ! Quand j’ai compris ça J’ai commencé à errer De la chambre au cendrier Du cendrier à la fenêtre Puis de la fenêtre Jusqu’à la forêt La forêt et ses clairières C’est surprenant toutes ces branches graciles qui nous écoutent La nature comme réceptacle de notre trouble Ecouter la musique intérieure Regarder le crépuscule et ne plus avoir peur Ne plus avoir de doutes Regarder les feuilles et désirer vivre Une autre vie Se sentir tout d’un coup

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Ni trop vieille Ni trop jeune Juste splendidement furieuse Le souffle dans la gorge Le vent dans la poitrine La salive dans les mains Les cheveux dans le ciel Se sentir être Sourire dans les ailes Partir loin Respirer l’univers Décider de couper le tronc presque mort Lui sucer son restant de sève. Couper l’épine qui pénètre l’artère Extirper la malédiction Choisir de vivre Tuer Le tueur Tu ne dis rien… ? Tu commences à me croire ? à me connaître ? Ecoute-moi, chéri Pour cette dernière fois À mon tour Je voudrais faire du théâtre Si, si ! On a déjà un spectateur ! Tu trouves qu’il te ressemble ? Tiens Tu as entendu ? Il a ri Tu ne dis rien Ça va ? Allons Reste debout Tout cela est sans importance Ce ne sont que des mots Les mots Laissons les filer Pour une fois Ne nous cachons pas derrière eux Secouons-les comme la poussière Baignons-nous

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Qu’il ne reste rien Aucun mot sur notre peau Aucun mot sur la langue Ni le sang Une totale nudité J’en rêvais Et te voilà Me voici Que nous sommes beaux dans notre joli chaudron Toi qui sais tout Comment trouves-tu mes lèvres? Mon rouge à lèvre ? Tu t’en fous ? Tu n’as pas envie de m’embrasser ? Une dernière fois Si c’était possible Tu oserais venir contre moi ? Tu ne bouges plus. T’as froid ? Avec autant d’armures sur toi Comment c’est possible ? Tu ne me regardes plus Tu te demandes si… Si… Bien sûr que oui. Tu croyais me connaître Maintenant tu me connais. Un peu Ne tremble pas mon chéri Je ne suis pas une criminelle Mais tu vas quand même mourir Juste Avant de prendre le large Boire la tasse La dernière gorgée Il faut au moins que tu saches Si un jour il te vient l’idée d’écrire notre histoire Ecris-là jusqu’au bout Mon A-Mort

Non, tu ne me connaitras jamais. Lumière qui diminue

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Noir final Lionel Parrini