L’exceptionnel développement des musées dans les pays du Golfe
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L’exceptionnel developpementdes musees dans les pays duGolfeMounir Bouchenaki
Mounir Bouchenaki a ete Directeur general du Centre international d’etudes pour la
conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), sous-directeur
general pour la culture et Directeur du Centre du patrimoine mondial a l’UNESCO.
Anterieurement a son entree a l’UNESCO il a exerce les fonctions de sous-directeur puis
directeur des beaux-arts, monuments et sites au Ministere de l’information et de la culture a
Alger de 1975 a 1981. Mounir Bouchenaki est titulaire d’un diplome d’etudes superieures
d’histoire de la Faculte des lettres d’Alger (Algerie) et d’un doctorat en archeologie et histoire
ancienne de la Faculte des lettres d’Aix-en-Provence (France). Il est l’auteur de plusieurs
ouvrages et articles consacres a la recherche archeologique et a la protection du patrimoine
culturel. ‘‘Chevalier des Arts et des Lettres’’ et ‘‘Officier des Arts et des Lettres’’ (France), il a
recu en 2000 le prix ICCROM pour l’ensemble de son travail dans le domaine du patrimoine
culturel.
Qui aurait pu imaginer, il y a une trentaine
d’annees, que la fin du 20e siecle et le debut du
21eme siecle seraient temoins d’une « veritable
explosion museale » dans la plupart des pays
arabes du Golfe ?
Jusqu’aux annees 70 du siecle dernier,
pour des pays tels que le Royaume du Bahreın,
les Emirats Arabes Unis, le Koweıt et le Qatar,
liberes du protectorat britannique et donc
recemment independants, rien ne laissait
penser qu’ils se feraient connaıtre par une
politique culturelle d’envergure ou la place des
Musees pourraient jouer un role de premier plan
au niveau national comme a l’echelle
internationale.
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Beneficiant des ressources minieres et
petrolieres a fort rendement sur le plan
economique, les pays de la region du Golfe se sont
resolument engages dans une vaste entreprise de
developpement et de « modernisation » qui a
permis de transformer des centres urbains
modestes en grandes metropoles commerciales
construites et gerees sur le modele americain. C’est
ce qu’il est advenu notamment dans de villes
comme Abu Dhabi, Dubaı, Doha, Koweıt-City,
Manama et Sharjah dont les silhouettes ne le
disputent en rien aux noyaux urbains de Hong
Kong, Los Angeles, New York ou Shanghai.
Non pas que dans ces centres qui
connaissaient et qui connaissent encore une
croissance exponentielle, grace aux ressources
petrolieres et gazieres, ne possedaient pas de
Musees, mais il ne s’agissait alors que de modestes
institutions destinees a mettre en exergue l’identite
nationale, tout en s’appuyant sur des structures et
des modeles herites des musees occidentaux.
L’UNESCO de meme que l’ICCROM et
l’ICOM avaient alors ete sollicites pour donner des
conseils sur les methodes modernes de
presentation des collections ainsi que sur la
formation des personnels charges de leur
conservation et de leur gestion. Les annees 1980
ont, a cet egard, ete marquees par une forte
demande d’assistance pour une nouvelle approche
museologique dans toute la region arabe et pas
seulement dans la region du Golfe.
L’UNESCO et l’ICOM ont ainsi collabore
a la formation du personnel specialise des Musees
d’Egypte et le Bureau de l’UNESCO au Caire,
beneficiant d’un financement du PNUD
(Programme des Nations-Unies pour le
Developpement), a servi de centre ou durant
plusieurs mois des dizaines de jeunes experts
egyptiens ont ete formes en museologie et en
museographie.
En Libye, l’UNESCO a supervise, a la
demande des Autorites libyennes, et ce pendant
plusieurs annees a partir de 1982, la construction
du Musee National de Tripoli, inaugure en 1988,
en introduisant le concept de « Musee global »
s’etendant sur une superficie de plus de
10 000 metres carre dont l’objectif etait d’offrir au
visiteur un panorama complet sur tous les aspects
relatifs au passe de son pays, de la prehistoire a nos
jours, en l’initiant a l’environnement naturel et a la
vie traditionnelle. Ce concept qui allait rompre
avec le traditionnel musee specialise construit a
l’epoque coloniale allait connaıtre par la suite un
grand succes. Avec ce nouveau musee qui n’avait
pas alors d’equivalent dans la region arabe, a
l’approche conceptuelle du « musee specialise »
entierement consacre a l’archeologie de l’Antiquite
comme cela etait de mise a l’epoque de la presence
italienne dans ce pays, c’est une toute autre
presentation museale integrant toutes les periodes
de l’histoire de la Libye, son histoire naturelle ainsi
que son patrimoine ethnographique qui a ete mise
en place.
Un grand projet d’edification d’un
complexe culturel a Ryad (Royaume d’Arabie
Saoudite) concu par l’architecte Japonais Kenzo
Tange et dont l’amenagement a ete confie a
l’UNESCO par les Autorites Saoudiennes a
egalement permis la creation d’un Musee, d’un
centre de conservation de manuscrits, et d’une
galerie d’exposition d’art islamique dans le cadre
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d’un complexe culturel et d’un centre de
recherches portant le nom de « King Faycal Centre
for Islamic Studies ».
Dans la region du Golfe, les actions des
organisations internationales specialisees dans le
domaine du patrimoine mobilier etaient certes plus
modestes que celles evoquees plus haut, en Arabie
Saoudite, en Egypte et en Libye. Ce fut le cas
notamment a Dubaı ou un projet d’extension du
Musee ethnographique, elabore par une mission
de l’UNESCO, a ete realise au cours des annees
1984–1986, ou encore a Doha (Qatar) pour la
realisation d’un releve photographique des
collections du Musee national en vue de la
publication du catalogue du musee.
La politique culturelle des pays du Golfe et
plus particulierement celle relative au
developpement des musees, se fondait jusqu’a
recemment sur la vision « moderniste » des
dirigeants politiques qui avaient decide d’axer tous
leurs efforts sur la mise a niveau des
infrastructures, l’amelioration des services sociaux
de meme que l’investissement dans le systeme
educatif, en n’accordant, il est vrai, qu’un interet
secondaire a la sauvegarde de leur patrimoine
culturel. C’etait reellement la perception que
37. Le Musee d’Art islamique de Doha (Qatar), concu par Pei.
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l’observateur exterieur pouvait ressentir en
regrettant bien entendu que trop peu d’attention
soit accordee a la preservation de l’architecture
traditionnelle et au developpement des institutions
museales qui puissent aller de pair avec le
developpement economique et des ressources
materielles dont beneficiaient les populations de
cette region.
Des la fin du siecle dernier et depuis le
debut du nouveau millenaire, on est amene a
observer une transformation radicale de cette
approche dans les politiques nationales ou le volet
culturel, et plus particulierement celui portant sur
la creation de nouveaux musees fait desormais
partie des priorites des pays de la region avec des
decisions en matiere de creation de musees qui
peuvent susciter parfois un veritable vertige.
Le Musee National du Bahreın et le nouveau
Musee de Qala’at Al Bahreın
Parmi les premiers musees d’envergure qui ont vu
le jour dans la region, on doit mentionner le Musee
national du Bahreın, concu dans le cadre de la
cooperation avec le Danemark par la societe KHR
Architekten, et inaugure de facon solennelle en
decembre 1988. Ce musee etait considere comme
le plus grand et le plus moderne de la region, avec
une superficie de 27 800 metres carres,
representant un espace suffisamment vaste
permettant une presentation didactique et aeree
38. Le Musee d’Art islamique de Doha (Qatar), construit sur la baie.
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dans l’esprit du « musee global ». On y trouve, en
effet, non seulement les salles consacrees aux
diverses civilisations qui se sont succedees a
Bahreın et qui occupent trois grands espaces, mais
aussi l’ethnographie et les traditions populaires,
l’histoire recente du royaume, l’histoire naturelle
de meme qu’une galerie d’art contemporain.
Les autorites du Royaume du Bahreın ont
mis l’accent, depuis quelques annees, et des lors
que les ressources provenant de l’industrie
petroliere ont ete en nette diminution, sur la
valorisation du patrimoine culturel de l’ıle et la
mise en chantier de sept nouveaux musees. En
2005, le site archeologique de Qala’at Al Bahreın,
ancien port et capitale de Dilmun a ete reconnu par
l’UNESCO comme site du patrimoine mondial.
Fouille depuis 1954 par des equipes
d’archeologues du Bahreın, du Danemark et de
France, ce site datant de plus de 2000 ans avant
l’ere chretienne, est considere par l’archeologue
francais Pierre Lombard comme l’un des sites
majeurs du royaume, « site cle du Golfe et de
l’archeologie orientale ». Ce n’est donc pas sans
raison que la Ministre de la Culture du Bahreın,
Sheikha Mai bint Mohamed Al Khalifa, s’est
engagee dans la construction d’un musee de site a
proximite immediate du Qala’at Al Bahreın
inaugure en 2008. Plusieurs autres projets de
construction de musees et de rehabilitation du
patrimoine architectural traditionnel dans la vieux
centre urbain de Muharraq pres de Manama ont
justifie de l’attribution, le 7 juin 2010, par la
Directrice generale de l’UNESCO, Mme Irina
39. Lee Musee d’Art islamique de Doha (Qatar).
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Bokova, a la Ministre de la Culture du Bahreın du
Prix Colbert qui recompensent « les personnalites
qui dans le monde œuvrent au developpement
d’une economie fondee sur la diversite culturelle ».
La creation des Grands Musees d’Abu Dhabi
Dans les Emirats Arabes Unis on distinguera les
projets de tres grande envergure signes par des
architectes de renom comme par exemple dans
l’Emirat d’Abu Dhabi et ceux d’ envergure plus
modeste realises au cours des 15 dernieres annees
dans l’Emirat de Sharjah. A Abu Dhabi, il a ete fait
appel a des « signatures » d’architectes les plus en
vue dans le domaine de la construction de grands
musees dans le monde : Tadao Ando, Norman
Foster, Frank Gehry, Zaha Hadid et Jean Nouvel.
Ce que nous observons, avec cette nouvelle
tendance a faire appel a de grands noms de
l’architecture contemporaine mondiale pour
realiser des institutions museales dans une region
jusque la peu connue par ce genre de
40. Un musee abrite dans un ancien fort a Dubaı.ª
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constructions, est probablement lie a une volonte
politique de redonner une nouvelle identite a ces
pays et de developper, dans l’elan d’une
modernisation de la societe, de nouvelles
destinations a caractere culturel.
C’est ainsi qu’a Abu Dhabi plusieurs grands
chantiers viennent d’etre lances pour realiser, dans
des delais relativement courts, des musees
prestigieux. En debut d’annee 2012 il a ete decide
par le Conseil Executif de l’Emirat d’Abu Dhabi la
mise en œuvre des projets pour les trois grands
musees, le Guggenheim, le Louvre d’Abu Dhabi et
le Musee National Sheikh Zayed. En premier lieu,
et a l’exemple de la ville de Bilbao, l’Emirat d’Abu
Dhabi a demande a l’architecte Frank Gehry de
concevoir un musee qui sera une annexe du
« Guggenheim Museum » de New York, a la seule
difference qu’il sera 12 fois plus grand que ce
dernier, et qu’il necessitera pour un achevement
prevu en 2017, un budget global de 800 millions
de dollars. Dans cette meme logique, il a ete fait
41. Vue de la cour interieure du musee du fort de Dubaıª
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appel a l’architecte Jean Nouvel pour la conception
du « Louvre-Abu Dhabi », qui a l’ambition d’etre
un musee universel, developpe dans le cadre d’une
cooperation avec la France pour un budget total de
plus d’un demi-milliard de dollars. Pour le
nouveau Musee National Sheikh Zayed, dont le
cout a ete evalue a un milliard de dollars, c’est
l’architecte Norman Foster qui a ete selectionne
et qui le realisera sur l’ıle Saadiyat, destinee a etre
le « District Culturel » de l’emirat.
Le developpement des Musees dans l’Emirat de
Sharjah
Pour la plupart des connaisseurs des pays du Golfe
et plus particulierement des Emirats Arabes Unis,
l’Emirat de Sharjah est reconnu comme ayant ete
un precurseur dans la mise en place d’une veritable
infrastructure museale. Sous l’impulsion de Sheikh
Sultan Bin Mohamed Al Qacimi, Emir de
Sharjah, pres d’une vingtaine de Musees ont
ouvert leurs portes dans cet emirat depuis
1998, date de la proclamation sous l’egide de
l’UNESCO de ‘‘Sharjah Capitale culturelle du
Monde Arabe’’. La ville de Sharjah s’est egalement
fait connaıtre par sa Biennale internationale d’Art
contemporain, ou de jeunes artistes venus de
toutes le regions du monde ont la possibilite
d’exposer leurs œuvres et de montrer au public les
differentes formes de l’expression artistique aussi
bien dans la region arabe que dans le reste du
monde.
42. Le Musee national Koweit.
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Le departement des Musees de Sharjah
gere a present 18 Musees representant diverses
disciplines allant de l’archeologie jusqu’a l’art
contemporain, en passant par les arts et traditions
populaires, l’art islamique, l’art orientaliste,
l’histoire naturelle et la botanique, le patrimoine
maritime, sans oublier l’equivalent d’une mini-cite
des sciences et de la technologie. Le choix fait a
Sharjah est d’offrir aux visiteurs des espaces
museaux differents representant diverses
disciplines et dont l’amenagement a souvent
coıncide avec la rehabilitation et la reutilisation de
constructions d’architecture traditionnelle.
Plus d’un demi-million de visiteurs se
sont rendus dans les Musees de Sharjah au
cours de l’annee 2011, en depit de la proximite
de Dubaı et d’Abu Dhabi ou les attractions
touristiques sont bien plus developpees.
Ces resultats ont ete reconnus par le Salon du
Tourisme ITB de Berlin qui a attribue un prix a
l’emirat de Sharjah.
Le Musee National du Kuwait et Dar Al Athar
Al Islamiyah
Connu pour la qualite de ses collections,
Dar Al Athar Al Islamiyah (DAI ou Maison du
patrimoine islamique) a ete inauguree en 1983
pour presenter la collection privee de Sheikha
Hussa Sabah Al Salem Al Sabah, pretee aux
Autorites Nationales et presentees au Musee
National du Koweıt.
Le Musee National du Koweıt a ete concu
par l’architecte francais Michel Ecochard et
inaugure en 1983. Apres les gros dommages
subis par ce musee durant l’invasion irakienne de
43. Le Musee national du Koweıt.
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1990–1991, des travaux de rehabilitation et de
reamenagement des collections ont ete entrepris sur
la base de conseils fournis par l’UNESCO. Apres
plusieurs annees de travaux, la galerie consacree a
l’archeologie et notamment aux objets decouverts
dans l’ıle de Faylakah (antique Agrarum du pays de
Dilmun) a ete rouverte au public. Le site de
Faylakah est considere comme « une petite perle
archeologique ». D’autre part, un nouveau Musee
des Arts et Traditions Populaires a ete installe dans
l’une des ailes du musee.
Il y a lieu de rappeler, a propos du Musee
national du Koweıt, qu’a la suite de l’incursion
irakienne, toutes les collections ont ete transferees
au Musee de Bagdad (plus de 25.000 objets
repertories et restitues par la suite au Koweıt)
et c’est alors qu’un certain nombre d’objets de la
collection Al Sabah ont disparu. Apres le retrait
de l’armee irakienne au mois de fevrier 1991, le
Musee national a brule ainsi que le dhow (boutre
traditionnel) offert par les marins du Koweıt a
l’Etat apres sa derniere navigation en 1949. Il
44. La salle d’archeologie de l’ıle de Faylakah du Musee national du Koweıt.ª
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avait ensuite ete expose a l’entree du Musee
national.
Dans les annees qui suivirent la fin de la
premiere guerre du Golfe, l’UNESCO en
coordination avec le PNUD, a participe a une
operation d’inventaire de la collection Al Sabah et a
l’amenagement des anciens batiments de l’Hopital
Americain transforme depuis lors en Centre
culturel ouvert au public en 2011, et qui abrite
notamment la collection Al Sabah. Il comprend
egalement des espaces pour des expositions
temporaires, un laboratoire de restauration et un
Centre de formation pour les futurs responsables
de musees au Koweıt. Dans le meme quartier a
destination culturelle ou un Musee d’Art Moderne
a ete implante, un Musee Maritime, dessine par
l’architecte Dawood Al Qattan, a ete inaugure en
janvier 2010.
L’essor des Musees du Qatar
Le Musee national du Qatar etait jusqu’en 2006 le
musee le plus important du Qatar. Construit en
1901 pour la residence du gouverneur Sheikh
Abdullah Bin Jassim Al Thani, le Palais Fariq al
Salatah a ete transforme en Musee national en
1975. Entierement rehabilite au cours des annees
1980 et consacre par le Prix Aga Khan pour
l’Architecture Islamique, il va faire l’objet d’une
tres large extension. C’est ce projet qui a ete confie
a l’architecte Jean Nouvel, auteur du Musee du
Quai Branly a Paris, qui veut en faire « un
caravanserail moderne… A partir d’ici, a-t-il
indique, vous laissez derriere vous le desert, avec
ses images qui restent gravees dans la memoire,
et cet etablissement deviendra la voix d’une
culture ».
Le batiment, en forme de rose de sable,
aura comme espace pour les expositions
permanentes 86 000 metres carres dans la grande
galerie, 21 500 metres carres dans une galerie
annexe et 2000 metres carres pour les expositions
temporaires. Il sera probablement inaugure vers la
fin de l’annee 2014.
Jusqu’alors, la plus grande realisation dans
le domaine des musees reste le Musee d’Art
Islamique de Doha, œuvre de l’architecte sino-
americain Ieoh Ming Pei, construit sur une ıle
artificielle de 45 000 metres carres dans la baie de
la capitale du Qatar pour un cout total de 300
millions de dollars. Visible aujourd’hui de toutes
parts sur la corniche, il offre l’image d’un edifice
aux formes geometriques d’une grande purete
inspirees du vocabulaire architectural du monde
islamique et plus particulierement de la Mosquee
d’Ibn Touloun au Caire (Egypte) et de la mosquee
de Kairouan (Tunisie). L’architecture d’interieur de
ce musee a ete confiee a l’architecte francais Jean
Michel Willmotte.
Considere aujourd’hui comme l’un des
musees d’art islamique les plus prestigieux du
monde le Musee de Doha a ete inaugure le
22 novembre 2008. Il a pour ambition d’etre « un
centre international de dialogue et d’echanges
culturels, voire un centre d’expertise en art
islamique ».
Le 30 decembre 2010, le Qatar a procede a
l’inauguration d’un nouveau musee, denomme
« Mathaf » qui veut dire « musee » en langue
arabe. Il est entierement consacre a l’art moderne
du monde arabe, le fonds constitutif qui a permis
sa creation provenant d’une donation de Sheikh
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Hassan Al Thani, membre de la famille regnante au
Qatar.
Quelles lecons tirer du rapide survol de
cette recente extension du domaine des musees
dans les pays du Golfe et que penser de cette
frenesie de construction de musees de plus en
plus couteux et dont les budgets ne connaissent
aucun equivalent dans le monde ? Une autre
interrogation concerne l’integration de ces
musees dans le contexte culturel de ces pays et
l’on peut effectivement se demander si l’ambition
affirmee des dirigeants d’acceder a la moder-
nite trouve reellement un echo au sein des
societes.
Un critique d’art americain, Nicolaı
Ouroussoff ecrivait dans le New York Times du
29 novembre 2010 dans un article a propos des
musees d’Abu Dhabi, qu’il a intitule « Globalism or
Colonialism », que la plupart des collections que
vont abriter ces nouveaux musees sont definies,
etudiees et presentees par des experts occidentaux.
Il pose donc la question de la realite de
l’enracinement de ces projets dans les pays
eux-memes. Car, ecrit-il, hormis les ressources
importantes mises en place pour leur realisation,
ces musees restent un produit purement
occidental.
Selon Dr. Ulrike Al Khamis, Conseillere
pour les Musees de Sharjah, « ces musees visent
a etre a la fois porteurs de sens pour une
audience locale et internationale, comme des
marqueurs de fierte nationale et d’identite arabo-
islamique d’une part, et d’autre part, d’espaces
d’engagement dans la modernite et le monde
globalise ».
Le professeur Mohamed Arkoun, eminent
chercheur du monde islamique, souligne pour sa
part, « qu’incontestablement, les pays du Golfe en
general se distinguent des autres pays arabophones
par une politique de culture ouverte a la
modernite ».
On peut lire dans l’Encyclopedie Larousse
que « l’echange culturel est au cœur du projet Le
Louvre d’Abu Dhabi qui, dans ce contexte, n’est
pas estampille « Louvre ». Il s’agit d’un projet
unique et original qui repose sur le symbole de
l’universalisme. L’ambition de ce Musee est
d’instaurer un veritable dialogue des
civilisations ».
Le sujet reste donc ouvert a la discussion et
a l’appreciation car il est encore trop tot pour
etablir des analyses plus detaillees et une
appreciation de l’impact que tous ces nouveaux
musees dans la region du Golfe vont avoir au
niveau local comme au plan international. Il est
evident que l’ampleur des investissements
consentis est exceptionnelle et qu’il en est attendu
un retour de la part de ceux qui les ont attribues.
Sans doute tous les musees evoques plus
haut s’inscrivent-ils dans un projet plus vaste dans
lequel la culture joue un role primordial. Il est donc
imperatif pour assurer leur perennite de faire en
sorte qu’ils soient integres dans une strategie
permettant la prise en compte et la prise en main de
ces institutions par les populations locales,
notamment par la formation de cadres nationaux et
la sensibilisation au patrimoine local et
international, afin qu’elles ne soient pas ressenties
comme des objets de haute valeur culturelle dont la
frequentation est limitee aux visiteurs etrangers.
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