L’exceptionnel développement des musées dans les pays du Golfe

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L’exceptionnel de ´ veloppement des muse ´ es dans les pays du Golfe Mounir Bouchenaki Mounir Bouchenaki a e ´ te ´ Directeur ge ´ ne ´ ral du Centre international d’e ´ tudes pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), sous-directeur ge ´ ne ´ ral pour la culture et Directeur du Centre du patrimoine mondial a ` l’UNESCO. Ante ´ rieurement a ` son entre ´ ea ` l’UNESCO il a exerce ´ les fonctions de sous-directeur puis directeur des beaux-arts, monuments et sites au Ministe ` re de l’information et de la culture a ` Alger de 1975 a ` 1981. Mounir Bouchenaki est titulaire d’un diplo ˆ me d’e ´ tudes supe ´ rieures d’histoire de la Faculte ´ des lettres d’Alger (Alge ´ rie) et d’un doctorat en arche ´ ologie et histoire ancienne de la Faculte ´ des lettres d’Aix-en-Provence (France). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles consacre ´ sa ` la recherche arche ´ ologique et a ` la protection du patrimoine culturel. ‘‘Chevalier des Arts et des Lettres’’ et ‘‘Officier des Arts et des Lettres’’ (France), il a rec ¸ u en 2000 le prix ICCROM pour l’ensemble de son travail dans le domaine du patrimoine culturel. Qui aurait pu imaginer, il y a une trentaine d’anne ´es, que la fin du 20 e sie `cle et le de ´but du 21 e `me sie `cle seraient te ´moins d’une « ve ´ritable explosion muse ´ale » dans la plupart des pays arabes du Golfe ? Jusqu’aux anne ´es 70 du sie `cle dernier, pour des pays tels que le Royaume du Bahreı¨n, les Emirats Arabes Unis, le Koweı ¨t et le Qatar, libe ´re ´s du protectorat britannique et donc re ´cemment inde ´pendants, rien ne laissait penser qu’ils se feraient connaıˆtre par une politique culturelle d’envergure ou ` la place des Muse ´es pourraient jouer un ro ˆ le de premier plan au niveau national comme a ` l’e ´chelle internationale. 96 ISSN 1020-2226, No. 251–252 (Vol. 63, No. 3–4, 2011) ª UNESCO 2013 Publie ´ par les E ´ ditions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

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L’exceptionnel developpementdes musees dans les pays duGolfeMounir Bouchenaki

Mounir Bouchenaki a ete Directeur general du Centre international d’etudes pour la

conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), sous-directeur

general pour la culture et Directeur du Centre du patrimoine mondial a l’UNESCO.

Anterieurement a son entree a l’UNESCO il a exerce les fonctions de sous-directeur puis

directeur des beaux-arts, monuments et sites au Ministere de l’information et de la culture a

Alger de 1975 a 1981. Mounir Bouchenaki est titulaire d’un diplome d’etudes superieures

d’histoire de la Faculte des lettres d’Alger (Algerie) et d’un doctorat en archeologie et histoire

ancienne de la Faculte des lettres d’Aix-en-Provence (France). Il est l’auteur de plusieurs

ouvrages et articles consacres a la recherche archeologique et a la protection du patrimoine

culturel. ‘‘Chevalier des Arts et des Lettres’’ et ‘‘Officier des Arts et des Lettres’’ (France), il a

recu en 2000 le prix ICCROM pour l’ensemble de son travail dans le domaine du patrimoine

culturel.

Qui aurait pu imaginer, il y a une trentaine

d’annees, que la fin du 20e siecle et le debut du

21eme siecle seraient temoins d’une « veritable

explosion museale » dans la plupart des pays

arabes du Golfe ?

Jusqu’aux annees 70 du siecle dernier,

pour des pays tels que le Royaume du Bahreın,

les Emirats Arabes Unis, le Koweıt et le Qatar,

liberes du protectorat britannique et donc

recemment independants, rien ne laissait

penser qu’ils se feraient connaıtre par une

politique culturelle d’envergure ou la place des

Musees pourraient jouer un role de premier plan

au niveau national comme a l’echelle

internationale.

96 ISSN 1020-2226, No. 251–252 (Vol. 63, No. 3–4, 2011) ª UNESCO 2013

Publie par les Editions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd.

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Beneficiant des ressources minieres et

petrolieres a fort rendement sur le plan

economique, les pays de la region du Golfe se sont

resolument engages dans une vaste entreprise de

developpement et de « modernisation » qui a

permis de transformer des centres urbains

modestes en grandes metropoles commerciales

construites et gerees sur le modele americain. C’est

ce qu’il est advenu notamment dans de villes

comme Abu Dhabi, Dubaı, Doha, Koweıt-City,

Manama et Sharjah dont les silhouettes ne le

disputent en rien aux noyaux urbains de Hong

Kong, Los Angeles, New York ou Shanghai.

Non pas que dans ces centres qui

connaissaient et qui connaissent encore une

croissance exponentielle, grace aux ressources

petrolieres et gazieres, ne possedaient pas de

Musees, mais il ne s’agissait alors que de modestes

institutions destinees a mettre en exergue l’identite

nationale, tout en s’appuyant sur des structures et

des modeles herites des musees occidentaux.

L’UNESCO de meme que l’ICCROM et

l’ICOM avaient alors ete sollicites pour donner des

conseils sur les methodes modernes de

presentation des collections ainsi que sur la

formation des personnels charges de leur

conservation et de leur gestion. Les annees 1980

ont, a cet egard, ete marquees par une forte

demande d’assistance pour une nouvelle approche

museologique dans toute la region arabe et pas

seulement dans la region du Golfe.

L’UNESCO et l’ICOM ont ainsi collabore

a la formation du personnel specialise des Musees

d’Egypte et le Bureau de l’UNESCO au Caire,

beneficiant d’un financement du PNUD

(Programme des Nations-Unies pour le

Developpement), a servi de centre ou durant

plusieurs mois des dizaines de jeunes experts

egyptiens ont ete formes en museologie et en

museographie.

En Libye, l’UNESCO a supervise, a la

demande des Autorites libyennes, et ce pendant

plusieurs annees a partir de 1982, la construction

du Musee National de Tripoli, inaugure en 1988,

en introduisant le concept de « Musee global »

s’etendant sur une superficie de plus de

10 000 metres carre dont l’objectif etait d’offrir au

visiteur un panorama complet sur tous les aspects

relatifs au passe de son pays, de la prehistoire a nos

jours, en l’initiant a l’environnement naturel et a la

vie traditionnelle. Ce concept qui allait rompre

avec le traditionnel musee specialise construit a

l’epoque coloniale allait connaıtre par la suite un

grand succes. Avec ce nouveau musee qui n’avait

pas alors d’equivalent dans la region arabe, a

l’approche conceptuelle du « musee specialise »

entierement consacre a l’archeologie de l’Antiquite

comme cela etait de mise a l’epoque de la presence

italienne dans ce pays, c’est une toute autre

presentation museale integrant toutes les periodes

de l’histoire de la Libye, son histoire naturelle ainsi

que son patrimoine ethnographique qui a ete mise

en place.

Un grand projet d’edification d’un

complexe culturel a Ryad (Royaume d’Arabie

Saoudite) concu par l’architecte Japonais Kenzo

Tange et dont l’amenagement a ete confie a

l’UNESCO par les Autorites Saoudiennes a

egalement permis la creation d’un Musee, d’un

centre de conservation de manuscrits, et d’une

galerie d’exposition d’art islamique dans le cadre

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d’un complexe culturel et d’un centre de

recherches portant le nom de « King Faycal Centre

for Islamic Studies ».

Dans la region du Golfe, les actions des

organisations internationales specialisees dans le

domaine du patrimoine mobilier etaient certes plus

modestes que celles evoquees plus haut, en Arabie

Saoudite, en Egypte et en Libye. Ce fut le cas

notamment a Dubaı ou un projet d’extension du

Musee ethnographique, elabore par une mission

de l’UNESCO, a ete realise au cours des annees

1984–1986, ou encore a Doha (Qatar) pour la

realisation d’un releve photographique des

collections du Musee national en vue de la

publication du catalogue du musee.

La politique culturelle des pays du Golfe et

plus particulierement celle relative au

developpement des musees, se fondait jusqu’a

recemment sur la vision « moderniste » des

dirigeants politiques qui avaient decide d’axer tous

leurs efforts sur la mise a niveau des

infrastructures, l’amelioration des services sociaux

de meme que l’investissement dans le systeme

educatif, en n’accordant, il est vrai, qu’un interet

secondaire a la sauvegarde de leur patrimoine

culturel. C’etait reellement la perception que

37. Le Musee d’Art islamique de Doha (Qatar), concu par Pei.

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l’observateur exterieur pouvait ressentir en

regrettant bien entendu que trop peu d’attention

soit accordee a la preservation de l’architecture

traditionnelle et au developpement des institutions

museales qui puissent aller de pair avec le

developpement economique et des ressources

materielles dont beneficiaient les populations de

cette region.

Des la fin du siecle dernier et depuis le

debut du nouveau millenaire, on est amene a

observer une transformation radicale de cette

approche dans les politiques nationales ou le volet

culturel, et plus particulierement celui portant sur

la creation de nouveaux musees fait desormais

partie des priorites des pays de la region avec des

decisions en matiere de creation de musees qui

peuvent susciter parfois un veritable vertige.

Le Musee National du Bahreın et le nouveau

Musee de Qala’at Al Bahreın

Parmi les premiers musees d’envergure qui ont vu

le jour dans la region, on doit mentionner le Musee

national du Bahreın, concu dans le cadre de la

cooperation avec le Danemark par la societe KHR

Architekten, et inaugure de facon solennelle en

decembre 1988. Ce musee etait considere comme

le plus grand et le plus moderne de la region, avec

une superficie de 27 800 metres carres,

representant un espace suffisamment vaste

permettant une presentation didactique et aeree

38. Le Musee d’Art islamique de Doha (Qatar), construit sur la baie.

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dans l’esprit du « musee global ». On y trouve, en

effet, non seulement les salles consacrees aux

diverses civilisations qui se sont succedees a

Bahreın et qui occupent trois grands espaces, mais

aussi l’ethnographie et les traditions populaires,

l’histoire recente du royaume, l’histoire naturelle

de meme qu’une galerie d’art contemporain.

Les autorites du Royaume du Bahreın ont

mis l’accent, depuis quelques annees, et des lors

que les ressources provenant de l’industrie

petroliere ont ete en nette diminution, sur la

valorisation du patrimoine culturel de l’ıle et la

mise en chantier de sept nouveaux musees. En

2005, le site archeologique de Qala’at Al Bahreın,

ancien port et capitale de Dilmun a ete reconnu par

l’UNESCO comme site du patrimoine mondial.

Fouille depuis 1954 par des equipes

d’archeologues du Bahreın, du Danemark et de

France, ce site datant de plus de 2000 ans avant

l’ere chretienne, est considere par l’archeologue

francais Pierre Lombard comme l’un des sites

majeurs du royaume, « site cle du Golfe et de

l’archeologie orientale ». Ce n’est donc pas sans

raison que la Ministre de la Culture du Bahreın,

Sheikha Mai bint Mohamed Al Khalifa, s’est

engagee dans la construction d’un musee de site a

proximite immediate du Qala’at Al Bahreın

inaugure en 2008. Plusieurs autres projets de

construction de musees et de rehabilitation du

patrimoine architectural traditionnel dans la vieux

centre urbain de Muharraq pres de Manama ont

justifie de l’attribution, le 7 juin 2010, par la

Directrice generale de l’UNESCO, Mme Irina

39. Lee Musee d’Art islamique de Doha (Qatar).

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Bokova, a la Ministre de la Culture du Bahreın du

Prix Colbert qui recompensent « les personnalites

qui dans le monde œuvrent au developpement

d’une economie fondee sur la diversite culturelle ».

La creation des Grands Musees d’Abu Dhabi

Dans les Emirats Arabes Unis on distinguera les

projets de tres grande envergure signes par des

architectes de renom comme par exemple dans

l’Emirat d’Abu Dhabi et ceux d’ envergure plus

modeste realises au cours des 15 dernieres annees

dans l’Emirat de Sharjah. A Abu Dhabi, il a ete fait

appel a des « signatures » d’architectes les plus en

vue dans le domaine de la construction de grands

musees dans le monde : Tadao Ando, Norman

Foster, Frank Gehry, Zaha Hadid et Jean Nouvel.

Ce que nous observons, avec cette nouvelle

tendance a faire appel a de grands noms de

l’architecture contemporaine mondiale pour

realiser des institutions museales dans une region

jusque la peu connue par ce genre de

40. Un musee abrite dans un ancien fort a Dubaı.ª

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constructions, est probablement lie a une volonte

politique de redonner une nouvelle identite a ces

pays et de developper, dans l’elan d’une

modernisation de la societe, de nouvelles

destinations a caractere culturel.

C’est ainsi qu’a Abu Dhabi plusieurs grands

chantiers viennent d’etre lances pour realiser, dans

des delais relativement courts, des musees

prestigieux. En debut d’annee 2012 il a ete decide

par le Conseil Executif de l’Emirat d’Abu Dhabi la

mise en œuvre des projets pour les trois grands

musees, le Guggenheim, le Louvre d’Abu Dhabi et

le Musee National Sheikh Zayed. En premier lieu,

et a l’exemple de la ville de Bilbao, l’Emirat d’Abu

Dhabi a demande a l’architecte Frank Gehry de

concevoir un musee qui sera une annexe du

« Guggenheim Museum » de New York, a la seule

difference qu’il sera 12 fois plus grand que ce

dernier, et qu’il necessitera pour un achevement

prevu en 2017, un budget global de 800 millions

de dollars. Dans cette meme logique, il a ete fait

41. Vue de la cour interieure du musee du fort de Dubaıª

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appel a l’architecte Jean Nouvel pour la conception

du « Louvre-Abu Dhabi », qui a l’ambition d’etre

un musee universel, developpe dans le cadre d’une

cooperation avec la France pour un budget total de

plus d’un demi-milliard de dollars. Pour le

nouveau Musee National Sheikh Zayed, dont le

cout a ete evalue a un milliard de dollars, c’est

l’architecte Norman Foster qui a ete selectionne

et qui le realisera sur l’ıle Saadiyat, destinee a etre

le « District Culturel » de l’emirat.

Le developpement des Musees dans l’Emirat de

Sharjah

Pour la plupart des connaisseurs des pays du Golfe

et plus particulierement des Emirats Arabes Unis,

l’Emirat de Sharjah est reconnu comme ayant ete

un precurseur dans la mise en place d’une veritable

infrastructure museale. Sous l’impulsion de Sheikh

Sultan Bin Mohamed Al Qacimi, Emir de

Sharjah, pres d’une vingtaine de Musees ont

ouvert leurs portes dans cet emirat depuis

1998, date de la proclamation sous l’egide de

l’UNESCO de ‘‘Sharjah Capitale culturelle du

Monde Arabe’’. La ville de Sharjah s’est egalement

fait connaıtre par sa Biennale internationale d’Art

contemporain, ou de jeunes artistes venus de

toutes le regions du monde ont la possibilite

d’exposer leurs œuvres et de montrer au public les

differentes formes de l’expression artistique aussi

bien dans la region arabe que dans le reste du

monde.

42. Le Musee national Koweit.

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Le departement des Musees de Sharjah

gere a present 18 Musees representant diverses

disciplines allant de l’archeologie jusqu’a l’art

contemporain, en passant par les arts et traditions

populaires, l’art islamique, l’art orientaliste,

l’histoire naturelle et la botanique, le patrimoine

maritime, sans oublier l’equivalent d’une mini-cite

des sciences et de la technologie. Le choix fait a

Sharjah est d’offrir aux visiteurs des espaces

museaux differents representant diverses

disciplines et dont l’amenagement a souvent

coıncide avec la rehabilitation et la reutilisation de

constructions d’architecture traditionnelle.

Plus d’un demi-million de visiteurs se

sont rendus dans les Musees de Sharjah au

cours de l’annee 2011, en depit de la proximite

de Dubaı et d’Abu Dhabi ou les attractions

touristiques sont bien plus developpees.

Ces resultats ont ete reconnus par le Salon du

Tourisme ITB de Berlin qui a attribue un prix a

l’emirat de Sharjah.

Le Musee National du Kuwait et Dar Al Athar

Al Islamiyah

Connu pour la qualite de ses collections,

Dar Al Athar Al Islamiyah (DAI ou Maison du

patrimoine islamique) a ete inauguree en 1983

pour presenter la collection privee de Sheikha

Hussa Sabah Al Salem Al Sabah, pretee aux

Autorites Nationales et presentees au Musee

National du Koweıt.

Le Musee National du Koweıt a ete concu

par l’architecte francais Michel Ecochard et

inaugure en 1983. Apres les gros dommages

subis par ce musee durant l’invasion irakienne de

43. Le Musee national du Koweıt.

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1990–1991, des travaux de rehabilitation et de

reamenagement des collections ont ete entrepris sur

la base de conseils fournis par l’UNESCO. Apres

plusieurs annees de travaux, la galerie consacree a

l’archeologie et notamment aux objets decouverts

dans l’ıle de Faylakah (antique Agrarum du pays de

Dilmun) a ete rouverte au public. Le site de

Faylakah est considere comme « une petite perle

archeologique ». D’autre part, un nouveau Musee

des Arts et Traditions Populaires a ete installe dans

l’une des ailes du musee.

Il y a lieu de rappeler, a propos du Musee

national du Koweıt, qu’a la suite de l’incursion

irakienne, toutes les collections ont ete transferees

au Musee de Bagdad (plus de 25.000 objets

repertories et restitues par la suite au Koweıt)

et c’est alors qu’un certain nombre d’objets de la

collection Al Sabah ont disparu. Apres le retrait

de l’armee irakienne au mois de fevrier 1991, le

Musee national a brule ainsi que le dhow (boutre

traditionnel) offert par les marins du Koweıt a

l’Etat apres sa derniere navigation en 1949. Il

44. La salle d’archeologie de l’ıle de Faylakah du Musee national du Koweıt.ª

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avait ensuite ete expose a l’entree du Musee

national.

Dans les annees qui suivirent la fin de la

premiere guerre du Golfe, l’UNESCO en

coordination avec le PNUD, a participe a une

operation d’inventaire de la collection Al Sabah et a

l’amenagement des anciens batiments de l’Hopital

Americain transforme depuis lors en Centre

culturel ouvert au public en 2011, et qui abrite

notamment la collection Al Sabah. Il comprend

egalement des espaces pour des expositions

temporaires, un laboratoire de restauration et un

Centre de formation pour les futurs responsables

de musees au Koweıt. Dans le meme quartier a

destination culturelle ou un Musee d’Art Moderne

a ete implante, un Musee Maritime, dessine par

l’architecte Dawood Al Qattan, a ete inaugure en

janvier 2010.

L’essor des Musees du Qatar

Le Musee national du Qatar etait jusqu’en 2006 le

musee le plus important du Qatar. Construit en

1901 pour la residence du gouverneur Sheikh

Abdullah Bin Jassim Al Thani, le Palais Fariq al

Salatah a ete transforme en Musee national en

1975. Entierement rehabilite au cours des annees

1980 et consacre par le Prix Aga Khan pour

l’Architecture Islamique, il va faire l’objet d’une

tres large extension. C’est ce projet qui a ete confie

a l’architecte Jean Nouvel, auteur du Musee du

Quai Branly a Paris, qui veut en faire « un

caravanserail moderne… A partir d’ici, a-t-il

indique, vous laissez derriere vous le desert, avec

ses images qui restent gravees dans la memoire,

et cet etablissement deviendra la voix d’une

culture ».

Le batiment, en forme de rose de sable,

aura comme espace pour les expositions

permanentes 86 000 metres carres dans la grande

galerie, 21 500 metres carres dans une galerie

annexe et 2000 metres carres pour les expositions

temporaires. Il sera probablement inaugure vers la

fin de l’annee 2014.

Jusqu’alors, la plus grande realisation dans

le domaine des musees reste le Musee d’Art

Islamique de Doha, œuvre de l’architecte sino-

americain Ieoh Ming Pei, construit sur une ıle

artificielle de 45 000 metres carres dans la baie de

la capitale du Qatar pour un cout total de 300

millions de dollars. Visible aujourd’hui de toutes

parts sur la corniche, il offre l’image d’un edifice

aux formes geometriques d’une grande purete

inspirees du vocabulaire architectural du monde

islamique et plus particulierement de la Mosquee

d’Ibn Touloun au Caire (Egypte) et de la mosquee

de Kairouan (Tunisie). L’architecture d’interieur de

ce musee a ete confiee a l’architecte francais Jean

Michel Willmotte.

Considere aujourd’hui comme l’un des

musees d’art islamique les plus prestigieux du

monde le Musee de Doha a ete inaugure le

22 novembre 2008. Il a pour ambition d’etre « un

centre international de dialogue et d’echanges

culturels, voire un centre d’expertise en art

islamique ».

Le 30 decembre 2010, le Qatar a procede a

l’inauguration d’un nouveau musee, denomme

« Mathaf » qui veut dire « musee » en langue

arabe. Il est entierement consacre a l’art moderne

du monde arabe, le fonds constitutif qui a permis

sa creation provenant d’une donation de Sheikh

MUSEES ET TRANSFORMATIONS SOCIALES

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Hassan Al Thani, membre de la famille regnante au

Qatar.

Quelles lecons tirer du rapide survol de

cette recente extension du domaine des musees

dans les pays du Golfe et que penser de cette

frenesie de construction de musees de plus en

plus couteux et dont les budgets ne connaissent

aucun equivalent dans le monde ? Une autre

interrogation concerne l’integration de ces

musees dans le contexte culturel de ces pays et

l’on peut effectivement se demander si l’ambition

affirmee des dirigeants d’acceder a la moder-

nite trouve reellement un echo au sein des

societes.

Un critique d’art americain, Nicolaı

Ouroussoff ecrivait dans le New York Times du

29 novembre 2010 dans un article a propos des

musees d’Abu Dhabi, qu’il a intitule « Globalism or

Colonialism », que la plupart des collections que

vont abriter ces nouveaux musees sont definies,

etudiees et presentees par des experts occidentaux.

Il pose donc la question de la realite de

l’enracinement de ces projets dans les pays

eux-memes. Car, ecrit-il, hormis les ressources

importantes mises en place pour leur realisation,

ces musees restent un produit purement

occidental.

Selon Dr. Ulrike Al Khamis, Conseillere

pour les Musees de Sharjah, « ces musees visent

a etre a la fois porteurs de sens pour une

audience locale et internationale, comme des

marqueurs de fierte nationale et d’identite arabo-

islamique d’une part, et d’autre part, d’espaces

d’engagement dans la modernite et le monde

globalise ».

Le professeur Mohamed Arkoun, eminent

chercheur du monde islamique, souligne pour sa

part, « qu’incontestablement, les pays du Golfe en

general se distinguent des autres pays arabophones

par une politique de culture ouverte a la

modernite ».

On peut lire dans l’Encyclopedie Larousse

que « l’echange culturel est au cœur du projet Le

Louvre d’Abu Dhabi qui, dans ce contexte, n’est

pas estampille « Louvre ». Il s’agit d’un projet

unique et original qui repose sur le symbole de

l’universalisme. L’ambition de ce Musee est

d’instaurer un veritable dialogue des

civilisations ».

Le sujet reste donc ouvert a la discussion et

a l’appreciation car il est encore trop tot pour

etablir des analyses plus detaillees et une

appreciation de l’impact que tous ces nouveaux

musees dans la region du Golfe vont avoir au

niveau local comme au plan international. Il est

evident que l’ampleur des investissements

consentis est exceptionnelle et qu’il en est attendu

un retour de la part de ceux qui les ont attribues.

Sans doute tous les musees evoques plus

haut s’inscrivent-ils dans un projet plus vaste dans

lequel la culture joue un role primordial. Il est donc

imperatif pour assurer leur perennite de faire en

sorte qu’ils soient integres dans une strategie

permettant la prise en compte et la prise en main de

ces institutions par les populations locales,

notamment par la formation de cadres nationaux et

la sensibilisation au patrimoine local et

international, afin qu’elles ne soient pas ressenties

comme des objets de haute valeur culturelle dont la

frequentation est limitee aux visiteurs etrangers.

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