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L’évacuation des populations aux Maldives après le tsunami du 26 décembre 2004 Alexandre Magnan Résumé.— L’évacuation des populations est une conséquence bien particulière du tsunami ayant frappé l’ensemble de l’océan Indien le 26 décembre 2004. L’exemple de l’archipel corallien des Maldives est très didactique dans le sens où les effets de la catastrophe naturelle y ont d’autant plus résonné que ce territoire, par ses caractéristiques naturelles, affrontait déjà de lourdes contraintes de développement. L’analyse de la variété des schémas d’évacuation des îles est en ce sens riche d’enseignements. Impact • Maldives • Tsunami • Vulnérabilité Abstract.— Population evacuation in the Maldives after the tsunami of 26 December 2004.— Population evacuation is a highly specific consequence of the tsunami that swept across the Indian Ocean on 26 December 2004. The case of the coral archipelago of the Maldives is instructive because of the major impact the disaster had there, owing to the natural features of the land and the serious development challenges already facing the country. An analysis of the variety of evacuation plans for the islands offers valuable lessons. Impact • Maldives • Tsunami • Vulnerability Resumen.— La evacuación de las poblaciones de la Maldives despuès del tsunami del 26 de diciembre de 2004.— La evacuación de las poblaciones es una consecuencia muy peculiar del tsunami que afecto al conjunto del océano Indico el 26 de diciembre 2004. El ejemplo del archipiélago coralino de las Maldives es muy didáctico en el sentido que los efectos del fenómeno natural han sido especiales en este territorio donde los fuertes limites para el desarrollo resultan de sus características naturales. En este sentido, el análisis de la variedad de los esquemas de evacuación de las islas es muy rico de enseñanza. Impacto • Maldives • Tsunami • Vulnerabilidad A près le tsunami de décembre 2004, de nombreux problèmes se sont posés à propos de l’évacuation des îles les plus touchées de l’archipel des Maldives. La complexité du processus d’évacuation reflète les contraintes auxquelles doit faire face le pays, inhérentes à la fois aux caractéristiques naturelles du territoire et au fait que les Maldives sont un pays en voie de développement. L’analyse des modes d’évacuation des communautés sinistrées apporte beaucoup d’enseignements sur le fardeau de la micro- insularité archipélagique et du sous-développement. On présentera les principaux effets, matériels et économiques, de la catastrophe, car ils sont à l’origine de l’évacuation de certaines communautés et en expliquent aussi les difficultés (manque de bateaux, par exemple). Malgré un nombre relativement faible de victimes, l’archipel maldivien est l’une des plus grandes victimes de ce tsunami, notamment parce que ses centres économiques vitaux ont été lourdement et durablement affectés. La petite échelle (le pays, les atolls) a été privilégiée pour mettre en relief les conséquences matérielles et économiques, alors que la grande (celle des îles au sein des atolls) est utilisée pour l’analyse des stratégies d’évacuation. M@ppemonde 84 (2006.4) http://mappemonde.mgm.fr/num12/articles/art06403.html 1 M@ppemonde

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L’évacuation des populations aux Maldives après le tsunami du 26 décembre 2004

Alexandre Magnan

Résumé.— L’évacuation des populations est une conséquence bien particulière du tsunami ayant frappél’ensemble de l’océan Indien le 26 décembre 2004. L’exemple de l’archipel corallien des Maldives est trèsdidactique dans le sens où les effets de la catastrophe naturelle y ont d’autant plus résonné que ce territoire,par ses caractéristiques naturelles, affrontait déjà de lourdes contraintes de développement. L’analyse de lavariété des schémas d’évacuation des îles est en ce sens riche d’enseignements.

Impact • Maldives • Tsunami • Vulnérabilité

Abstract.— Population evacuation in the Maldives after the tsunami of 26 December 2004.— Populationevacuation is a highly specific consequence of the tsunami that swept across the Indian Ocean on 26December 2004. The case of the coral archipelago of the Maldives is instructive because of the major impactthe disaster had there, owing to the natural features of the land and the serious development challengesalready facing the country. An analysis of the variety of evacuation plans for the islands offers valuable lessons.

Impact • Maldives • Tsunami • Vulnerability

Resumen.— La evacuación de las poblaciones de la Maldives despuès del tsunami del 26 dediciembre de 2004.— La evacuación de las poblaciones es una consecuencia muy peculiar del tsunami queafecto al conjunto del océano Indico el 26 de diciembre 2004. El ejemplo del archipiélago coralino de lasMaldives es muy didáctico en el sentido que los efectos del fenómeno natural han sido especiales en esteterritorio donde los fuertes limites para el desarrollo resultan de sus características naturales. En estesentido, el análisis de la variedad de los esquemas de evacuación de las islas es muy rico de enseñanza.

Impacto • Maldives • Tsunami • Vulnerabilidad

Après le tsunami de décembre 2004, de nombreux problèmes se sont posés à proposde l’évacuation des îles les plus touchées de l’archipel des Maldives. La complexitédu processus d’évacuation reflète les contraintes auxquelles doit faire face le pays,

inhérentes à la fois aux caractéristiques naturelles du territoire et au fait que les Maldivessont un pays en voie de développement. L’analyse des modes d’évacuation descommunautés sinistrées apporte beaucoup d’enseignements sur le fardeau de la micro-insularité archipélagique et du sous-développement.

On présentera les principaux effets, matériels et économiques, de la catastrophe, car ilssont à l’origine de l’évacuation de certaines communautés et en expliquent aussi lesdifficultés (manque de bateaux, par exemple). Malgré un nombre relativement faible devictimes, l’archipel maldivien est l’une des plus grandes victimes de ce tsunami, notammentparce que ses centres économiques vitaux ont été lourdement et durablement affectés.

La petite échelle (le pays, les atolls) a été privilégiée pour mettre en relief lesconséquences matérielles et économiques, alors que la grande (celle des îles au sein desatolls) est utilisée pour l’analyse des stratégies d’évacuation.

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1. Un pays durement touché par la catastrophe

Le 26 décembre 2004, à peine quatre heures après qu’un mouvement de subduction del’écorce terrestre eut provoqué, au large de Sumatra, un puissant séisme (magnitude 9,3 surl’échelle de Richter), lui-même générateur d’une onde de tsunami ayant traversé l’océanIndien jusqu’aux côtes somaliennes et tanzaniennes (Beltrando, 2005 ; Chamard, 2005 ;Mottet, 2005), les Maldives ont subi une montée des eaux de 1 à 2 mètres. Près de 86% des1200 îles de cet archipel corallien ne s’élevant pas à plus d’un mètre d’altitude, les autoritésavançaient pour les 200 îles habitées (1) l’impressionnant chiffre de 187 ayant été au moinspartiellement envahies par les eaux (fig. 1), dont 29% sur plus du tiers de leur surface et35% dans leur intégralité. Au total, 57% de la surface habitée du pays ont été plus ou moinssubmergés. Ces quelques chiffres traduisent la vulnérabilité accrue aux risques naturels liésà la mer d’un territoire cumulant les contraintes (Cazes-Duvat, 2005) : (a) surfacesrestreintes des îles (entre 0,3 et 0,7 km2 en moyenne) ; (b) faible altimétrie ; (c) éclatementterritorial qui démultiplie le linéaire côtier exposé aux houles ; et (d) isolement océanique quilimite les effets de freinage des ondes liés à la rencontre préalable d’une autre terre. Ce sontces mêmes caractéristiques — notamment (a) et (c) — qui expliquent, nous le verrons plusloin, les complications liées à l’évacuation des communautés les plus sinistrées.

La cartographie des submersions est difficile à interpréter, car ce ne sont pas forcémentles îles les plus petites qui ont été les plus submergées, ni d’ailleurs celles qui étaient«protégées» par une couronne récifale. De même que celles de la façade orientale desatolls (d’où venait l’onde de tsunami) n’ont pas été davantage affectées que les autres, nicelles situées directement en bordure de l’atoll plutôt que celles localisées plus en retraitvers l’intérieur. Enfin, une analyse fine révèle que la bathymétrie semble ici n’avoir jouéaucun rôle significatif, les faibles profondeurs autour des îles n’ayant pas spécifiquementfavorisé la submersion (Cazes-Duvat, 2005). On peut néanmoins constater que ce sont lesatolls centraux de l’archipel qui ont été les plus touchés par la montée des eaux (de Baaau nord à Laamu au sud).

Cette submersion a bien entendu provoqué de multiples dégâts, notamment sur les sys-tèmes de production (surfaces agricoles, bateaux de pêche et hôtels). On évoquera aussi lesdégâts causés au bâti (structures administratives, écoles… mais surtout logements), ce quinous permettra de mieux appréhender les problèmes qui se sont posés lors des évacuations.

1.1 L’affaiblissement des centres économiques: la question de l’impact d’ensemble

Les dégâts causés à l’appareil productif ont fortement obéré l’effort de reconstructionimmédiate, et ainsi inscrit les conséquences du tsunami dans la durée.

La structure économique des Maldives.— L’économie des Maldives repose sur trois piliersdont le plus moderne, le tourisme, domine largement ceux de l’agriculture et de la pêche,à la fois plus traditionnels et moins rentables. Moins rentables, car de lourdes contraintesnaturelles — étroitesse des îles et pauvreté des sols, notamment — expliquent que lesarchipels coralliens n’aient pu supporter de productions agricoles de grande ampleur et quelocalement, leurs habitants aient très tôt utilisé les îles inhabitées voisines des leurs commezones d’agriculture, d’élevage et de réserve de bois (Pyrard de Laval, 1606-1611 ;Doumenge, 2005). Ainsi, avec moins de 3% du PNB et 3% des actifs, le secteur agricolerelève surtout d’une fonction semi-vivrière (qui ne doit pas pour autant être sous-estimée !).

Parallèlement, la pêche contribuait en 2000 à 6% du PNB et employait 11% des tra-vailleurs, contre respectivement 16% et 30% vingt ans plus tôt. Malgré ce déclin, le secteurreste un pilier du système de vie maldivien car le poisson constitue la composante

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Donnée non disponible

0 15 30 km

Partiellement submergée (moins du 1/3 de leur surface S)Largement submergée (entre 30% et 90% de S)Entièrement submergée (100% de S) Source: National Disaster Management Center

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V.

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Malé Sud

HAA ALIFU

HAADHAALU

SHAVIYANI

NOONU

RAA

BAA LHAVIYANI

KAAFU

Malé Nord

ARI Nord

ARI SudVAAVU

FAAFU

MEEMU

DHAALU

THAA

LAAMU

GAAFU ALIFU

GAAFU DHAALU

GNAVIYANI

SEENU

1. L’archipel des Maldives

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principale de l’alimentation : avec une consommation annuelle de 186 à 191 kg/pers,l’archipel présente l’un des taux les plus élevés du monde (2) (FAO, 2004), et le poissonest la principale source de protéines pour les habitants. Enfin, la pêche représentait en2001 près de la moitié de la valeur des exportations.

Face à l’essoufflement des secteurs traditionnels, l’essor du tourisme depuis une tren-taine d’années a constitué un puissant moteur de développement. Il apportait en 2004 letiers des ressources de l’État et trois quarts des entrées de devises du pays, un apportévidemment crucial.

Cependant, cette faible diversification économique rendait évidemment le paysvulnérable. C’est également ce qui explique que l’économie maldivienne ait été pro-bablement la plus affectée par le tsunami, contrairement au Sri Lanka ou à l’Indonésie, dontles centres vitaux n’ont finalement peu ou pas été touchés (Cosaert, 2005 ; Fau, 2005 ;Landy, 2005 ; Stern, 2005).

Les dégâts à l’appareil de production.— Selon les sources officielles, le tsunami auraitaffecté 35 « îles agricoles» inhabitées et 112 îles habitées, dont 1/3 dans lesquellesl’agriculture représentait une source majeure de revenus pour la communauté (RoM, 2005).Or, à part la noix de coco, les principales plantes cultivées aux Maldives sont extrêmementsensibles à la salinité (bananes, papayes, fruit à pain…) (UNEP, 2005), ce qui explique quele pays n’ait retrouvé un niveau correct de production qu’entre juillet et septembre 2006.Mais le gouvernement estime que cinq à six années seront nécessaires pour atteindre leniveau de production antérieur au tsunami. Et à l’échelle des familles, qui vendent de plusen plus fréquemment une partie de leur production (pour acheter du riz, du sucre et diversautres produits d’importation) (RoM, 2005), la catastrophe a provoqué une réduction desstocks de consommation et une baisse du pouvoir d’achat, d’autant plus que les prix ontaugmenté sur les marchés locaux (+ 67% pour la noix de coco, + 80% pour le lot debananes et + 150% pour le piment), au cours du premier semestre 2005.

Les conséquences sur la pêche sont d’autant plus graves que les bateaux ont subi desérieux dégâts. Au cours des deux à trois semaines qui ont suivi l’événement, le gouver-nement estimait que 25% des îles habitées avaient perdu l’intégralité de leur flotte depêche, ce qui représentait près de 12% du total national. Près d’un pêcheur sur dix auraitainsi perdu sa source principale de revenus (RoM, 2005). Là encore, c’est l’engrenage,puisque la perte des moyens de production se traduit par une chute des revenus qui limitela capacité des communautés les plus affectées à réparer leurs bateaux. Outre que lapériode de janvier à avril correspond au pic annuel des captures, d’autres dégâts ontparallèlement affecté la production. En l’occurrence, des édifices portuaires ont été endom-magés sur 104 îles, ainsi que des aménagements réalisés sur les platiers récifaux pouraméliorer l’accessibilité des îles (UNEP, 2005).

Enfin, les îles-hôtels (en moyenne, 0,57 km2) n’ont pas moins subi les effets de lasubmersion que les îles habitées, bien qu’elles disposent, contrairement à celles-ci,d’ouvrages de défense (brise-lames notamment). Plus d’une île-hôtel sur trois a été tou-chée et un peu moins de 2% des 17000 touristes alors présents ont dû être évacués. Au29 décembre, on dénombrait officiellement 19 îles-hôtels pour lesquelles les dommagesoccasionnés imposaient une fermeture complète et ce pour plusieurs mois, et 13 autresdans lesquelles les dégâts avaient été modérés. Au mois de mars 2005, 17 îles-hôtelsétaient encore fermées, amputant le potentiel d’accueil (17618 lits avant le tsunami) de25%. Quelques établissements étaient toujours clos fin 2005, et l’aboutissement du projetShangri-La Maldives dans l’atoll d’Addu prenait plusieurs mois de retard. Parallèlement, enjanvier 2005, le pays a enregistré une chute de fréquentation de 70% par rapport à

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janvier 2004. Si bien que le taux d’occupation général n’était que de 33% en janvier 2005,contre 84% juste avant le tsunami et 87% en janvier de l’année précédente (RoM, 2005).Dans les mois suivants, la fréquentation a retrouvé son niveau antérieur au tsunami, maisce retour à la normale restait précaire car l’image de la vulnérabilité hantait les touristes,notamment du fait de l’occurrence d’autres événements sismiques dans la régionAsie/Pacifique (le 28 mars 2005, par exemple). Enfin, il faut rappeler que le tsunami estsurvenu en haute saison, ce qui a aggravé les pertes financières.

Problème économique d’ensemble.— À cela viennent s’ajouter les coûts directs de gestion dela catastrophe: il a fallu rétablir les communications avec les îles isolées, remédier au manquede logements (camps de réfugiés ou réquisition de bâtiments publics), éviter des dérives sani-taires (épidémies liées aux eaux stagnantes) et pallier les difficultés d’approvisionnement eneau potable (Euzen, 2005) et en nourriture. Dans un second temps, la phase de recons-truction, à proprement parler, a engendré des dépenses généralement plus élevées que lescoûts des dégâts car on a voulu reconstruire avec de meilleurs standards (3).

Au total, le coût d’ensemble était estimé, six mois après la catastrophe, à environ650 millions de US$, dont environ 60% pour les opérations de long terme. Bien que l’aideinternationale ait été non négligeable, le gouvernement a tout de même été amputé demoyens qui auraient normalement été utilisés pour lutter contre des problèmes plusstructurels (enclavement des îles habitées, mise en place des pôles de développementrégional…). Si bien que les autorités ont prévu un retour à un rythme de croissancegénérale de 6 à 7% seulement entre 2006 et 2010.

1.2 Des dégâts matériels considérables

Le bâti général et le logement.— Le bilan national réalisé fin mars faisait état de près de4000 bâtiments endommagés (tabl. 1), soit 14% des constructions du pays. Parmi eux,1850 ont été intégralement détruits. Si les chiffres officiels ne permettent pas de distinguerl’habitat à proprement parler du bâti en général, il est néanmoins possible d’estimer, confor-mément au bilan officiel, que 20000 à 25000 personnes (4) ont été privées de logement.Mais d’autres destructions ont accentué les difficultés d’un retour à «une vie normale». Lesbâtiments administratifs de 47 îles ont été endommagés, voire intégralement détruits dans36 cas ; dans 29% des îles submergées, les écoles ont souffert au point parfois d’être inutili-sables. Cela a indéniablement compliqué l’organisation de l’aide (manque de relais locaux,de bâtiments susceptibles de servir de refuge) et, dans le domaine sanitaire, le fait que 50îles aient vu leur unique pharmacie détruite a plutôt aggravé les risques sanitaires résultantsdes destructions et des pollutions consécutives (mobilisation des déchets de toutes sortes).Enfin, dans un pays où l’islam est la religion d’État, la destruction de 32 mosquées a cer-tainement constitué un traumatisme non négligeable.

Une analyse affinée de quelques cas montre que les îles les plus submergées n’ont pasforcément subi le plus de dégâts sur le bâti, ce en raison de la nature des constructions.En effet, en 2000, dans l’ensemble des atolls maldiviens, seulement 52% des maisonsétaient faites de murs (blocs de corail ou parpaings) cimentés, donc relativement solides,alors que dans la capitale, plus développée, cette proportion était de 86%. Les dégâts dutsunami s’expliquent donc autant par la vulnérabilité des constructions que par lapuissance de la montée des eaux.

Si l’on ne tient pas compte de la gravité des dégâts, qui vont de la simple dégradation à ladestruction totale, on constate que ce sont les atolls centraux qui ont été les plus affectés. Siles atolls périphériques comme Haa Dhaalu, Shaviyani ou encore Gaafu Dhaalu,Gnaviyani et Addu n’ont eu que moins de 1% de leurs bâtiments endommagés, 30 à 50%

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des constructions ont été touchées sur Raa, Thaa, Meemu ou encore Kaafu. Le cas le plusextrême est celui de Vaavu (80% de bâtiments touchés). Dans l’ensemble, les atolls les plusdirectement exposés à la montée des eaux ont essuyé le plus de dégâts, Ari, Dhaalu et plusencore Faafu ayant probablement bénéficié d’un affaiblissement du phénomène. Mais, àniveau de submersion équivalent, l’ampleur des dégâts n’est pas toujours la même. Jouentlà à l’évidence des facteurs locaux tant naturels — délicats à évaluer, on l’a vu, en l’état actueldes données — qu’anthropiques (matériaux de construction utilisés, position plus ou moinsexposée des villages dans l’espace insulaire).

D’ailleurs, si l’on se place à l’échelle des atolls, on constate que des îles ayant connudes submersions comparables sont très inégalement touchées. Sur Meemu, par exemple,les îles habitées de Kolhufushi, Muli, Naalaafushi et Maadhifushi, toutes entièrementenvahies par les flots, présentent pourtant des taux de dommage respectifs (de la simpledégradation à la destruction) de 46%, 70%, 72% et 92%. Toutes les quatre étant situéesau sein de vastes surfaces récifales de la façade orientale de l’atoll, l’explication desdifférences est à rechercher dans la nature des matériaux de construction de l’habitat.Quant aux densités de population — on pourrait s’attendre à une corrélation (directe oupas) entre compacité de l’occupation spatiale et niveau de dégât —, elles n’expliquent rien :Muli (1100 hab/km2) est moins densément peuplée que Naalaafushi (3800 hab/km2),mais davantage que Madhifushi (1600 hab/km2).

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Tableau 1. Quelques dégâts du tsunami de Sumatra (26 décembre 2004) sur les Maldives

Atolls *Nombre d'îles où le bâti

est endommagé **Dégâts quantitatifs sur le bâti Population affectée

(1) (2) (3)Nonid.

Nombre debâtiments avant

le tsunami

Nombre debâtimentsaffectés

%Population(mi-2004)

Pop. concernéepar bâtiments

endommagés ***%

HAA ALIFU 14 2 0 0 2253 180 8 13 733 1101 8

HAA DHAALU 11 2 0 3 2959 38 1 17 141 220 1

SHAVIYANI 9 1 0 5 2023 8 < 1 11807 45 < 1

NOONU 8 3 0 2 1693 138 8 10 044 818 8

RAA 9 0 1 5 2497 854 34 15 331 5280 34

LHAVIYANI 2 3 0 0 1126 25 2 8158 182 2

BAA 7 3 1 2 1392 69 5 9344 471 5

KAAFU (Nord et Sud) 0 2 6 1 952 482 51 8485 4874 57

ARI (Nord et Sud) 9 9 0 0 1580 194 12 12 058 1517 13

VAAVU 0 2 2 1 272 210 77 1580 1338 85

FAAFU 4 1 0 0 553 2 < 1 3864 14 < 1

MEEMU 2 2 5 0 781 346 44 4845 2252 46

DHAALU 2 4 2 0 810 172 21 4939 1111 22

THAA 0 9 2 2 1406 563 40 8513 3428 40

LAAMU 5 2 5 0 1871 285 15 11318 1777 16

GAAFU ALIFU 6 2 1 1 1375 401 29 8187 2392 29

GAAFU DHAALU 8 1 0 1 1884 0 0 10 505 0 0

GNAVIYANI 1 0 0 0 1259 0 0 7645 0 0

ADDU 5 1 0 0 2448 20 1 17 980 188 1

Total (avecHulhumalé)

102

49 25 23 29 135 3997 14186 950

(188 450)27 008

(27 508)14

(15)Source : National Disaster Management Center of Maldives.* Malé, Villingili et Hulhumalé ne sont pas comptabilisées (données manquantes)** (1) : peu à pas de bâtiments de l'île endommagés ; (2) : près de la moitié des bâtiments de l'île endommagés ; (3) : Pratiquement tous les bâtiments del'île ont été endommagés.*** Estimations personnelles à partir du nombre moyen de personnes par logement et par atoll.

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Autres dégâts matériels.— Le principal problème qui s’est posé a été l’approvisionnement en eaupotable, parce que les sources ont été souillées, mais aussi et surtout parce que la situation anté-rieure au tsunami était précaire. Certes, tous les foyers des atolls disposaient d’eau potable en2000: mais 12% d’entre eux la puisaient encore dans la nappe souterraine, par nature limitée etexposée aux risques de salure et de pollution, et 73% étaient approvisionnés grâce aux cuvesde récupération mises à disposition par le gouvernement. La situation était meilleure dans lacapitale Malé, qui regroupe plus du quart des Maldiviens — les citadins sont essentiellement ali-mentés par une eau en bouteille importée du Sri Lanka. Une catastrophe sanitaire était d’autantplus à craindre à la suite du tsunami qu’il est survenu pendant la saison sèche. Pourtant, legouvernement annonçait au 5 janvier 2005 que l’eau potable était disponible dans 84% des îleshabitées, mais les données qualitatives (eau traitée ou pas) étaient et restent mal connues (5).

Par ailleurs, les systèmes de production électrique ont été sérieusement endommagés dans95 îles, mais le niveau d’équipement atteint avant le tsunami a été retrouvé le 15 janvier. Lesréseaux de communication (entre la capitale du pays et les capitales d’atoll) ont eux aussi ététrès rapidement rétablis (UNOCHA, 2004). Mais les données disponibles dans ces domainesne sont accessibles qu’à l’échelle du pays ou éventuellement des atolls, jamais à celle desseules îles habitées, ce qui empêche de faire un bilan affiné de la réalité du terrain. Toutes lesîles ont-elles pu faire part de la nature et l’ampleur de leurs dégâts réels? Quels problèmesspécifiques se sont posés dans les îles les plus touchées? Au-delà, la conséquence principalede ces dégâts a été l’obligation de procéder à de nombreuses évacuations.

2. L’évacuation des populations et ses enseignements

Deux aspects sont ici à considérer. Le premier est d’ordre quantitatif : on peut démontrer queles conséquences humaines de la catastrophe sont, aux Maldives, très impressionnantes.L’autre aspect, plus qualitatif, s’appuie sur une comparaison des schémas d’évacuation desîles lourdement touchées des Maldives et de l’archipel indien d’Andaman et Nicobar. Cettecomparaison permet de montrer que les contraintes territoriales (configuration naturelle etstatut politique) sont pour les Maldives un facteur majeur de vulnérabilité.

2.1. Un bilan humain global « finalement» impressionnant

Les Maldives font figure de miraculé parmi les pays touchés, avec seulement 82 morts(moins de 1% des habitants du pays, 0,04% des 180000 décès liés au tsunami) et 26disparus (0,05% du total régional). Des pays comme l’Indonésie, le Sri Lanka et l’Indeprésentent des bilans plus lourds : respectivement 73%, 17% et 6% du total des morts et44%, 8% et 11% du total des disparus. En matière de personnes déplacées, également,les Maldives représentent moins de 1% du total de la région (1,7 million de personnes).

Le miracle s’estompe pourtant lorsque l’on s’affranchit de l’effet de taille : si les personnesdécédées ou disparues ne comptent que pour moins de 0,01% de la population nationaleen Inde, en Birmanie et en Malaisie, l’archipel maldivien, avec une valeur de 0,04%, faitpartie du peloton de tête, derrière l’Indonésie (0,08%) et le Sri Lanka (0,2%). Il est mêmeloin devant s’agissant des personnes déplacées : 4% de sa population, contre 2,7% pour leSri Lanka, 0,2% pour l’Indonésie et moins de 1% pour l’Inde, la Birmanie et la Malaisie. Sibien que finalement, les Maldives ont été l’un des pays les plus affectés sur le plan humain.

2.2 Différents schémas d’évacuation : le tribut de l’éclatement territorial et de l’indépendance

Le gouvernement estimait qu’environ 30000 Maldiviens (1/10 de la population totale) ont étédirectement concernés, à des degrés divers, par les dégâts occasionnés sur le bâti. Si une

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partie n’a pas eu à quitter son logement, cela n’a pas été le cas pour 20000 à 25000personnes. Plus de 50% ont dû se réfugier hors de leur île de résidence. 10000 d’entre ellesétaient originaires des 14 îles intégralement évacuées. Trois à quatre mois après l’événement,10000 à 13000 personnes vivaient encore dans des logements temporaires (RoM, 2005).

Au-delà de ces chiffres, il est intéressant d’analyser les « trajectoires d’évacuation», carcelles-ci illustrent tous les problèmes du développement aux Maldives. La comparaisonavec la situation des îles Andaman et Nicobar, archipel dépendant de l’Inde, s’avère alors

riche d’enseignements.

Aux Maldives: quitter l’île, maispour aller où?— Les évacués sontoriginaires de 28 îles répartiesdans tout l’archipel (tabl. 2), maisles données sont complètes(nombre d’évacués et lieu(x) dedestination) pour seulement neufde ces îles. L’analyse de ces neufexemples a permis d’établir unetypologie des schémas d’éva-cuation, avec trois cas de figureprincipaux. Mais, comme lesdonnées globales sont incom-plètes — ainsi dans les atollsLhaviyani ou Vaavu, par exemple,on ne sait pas où sont allées lespersonnes évacuées —, il n’a pasété possible d’établir, à l’échelle del’ensemble des Maldives, quellesont été les solutions les plusfréquemment retenues. On neprésentera donc ici que des étudesde cas, pour des îles dont lapopulation a été évacuée au seinmême de l’atoll. L’analyse àl’échelle de l’île permettra ainsi unemodélisation à l’échelle de l’atoll.D’un point de vue méthodologique,cinq types de facteurs ayant puavoir une influence sur lesmodalités de déplacement et,indirectement, sur le choix desdestinations, ont été éprouvés. Ilsfont référence (a) à la proximité(évacuation vers l’île la plusproche), (b) à la taille (vers l’île laplus grande), (c) à la densité depopulation (vers une île moinsdensément peuplée), (d) à lasécurité (vers une île ayant subi

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Tableau 2. Les déplacements de population au 31 décembre 2004

Atolls et îles Population évacuée Lieu de destination

Nombred'individus

de l'atollde l'île

HAA ALIFUFilladhoo

625625

4,5100 Kelaa

RAAKadholhudhoo

29702970

19,4100

Alifushi, Rasgetheemu,Agolhitheemu,

Hulhudhuffaaru,Ugoofaru, Maakurathu,

Rasmaadhoo,Iguraidhoo, Kinolhas,Maduvvari, Meedhoo

LHAVIYANINaifaru

114114

1,43,1 —

KAAFU (sans Malé)Dhiffushi

Guraidhoo

1360640720

16,174,261,6

——

ALIFUMathiveri

270270

2,258,1 —

VAAVUThinadhooKeyodhoo

Rakeedhoo

664106450108

42,192,978,972,1

———

MEEMUMadifushi

VeyvahMuli

NaalaafushiKolhufushi

148299

152400331500

30,610010053,3100100

Mulah (40) + autre îleDans l’île

———

DHAALURibudhoo

GemendhooVaanee

871341290240

17,6100100100

KudahuvadhooKudahuvadhooKudahuvadhoo

THAAMadifushi

Vilufushi

1660504

1156

19,5100

100

—Buruni, Veymandhoo,

Guraidhoo, Dhiyamilgili

LAAMUDhabidhoo

MundhooKalhaidhoo

Gamu

1449464504433

48

12,81001001002,2

Dans l’île (écoles)GamuGamu

Dans l’île

GAAFU ALIFUViligili

MaamendhooNilandhoo

Dhaandhoo

1252250250427325

15,311,423,810027,6

—— — —

SEENUHulhudhoo

8585

0,57,4

Dans l’île (familles)Gan (structure

hôtelière) Meedhoo

TOTAL 12 802

6,5 % du pays(sans Malé)

Moins de 5 %(avec Malé)

Source : National Disaster Management Centre (Government of Maldives).

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moins de dégâts), et (e) à l’attrait exercé par la capitale de l’atoll (île censée être la mieuxéquipée). Trois grands modèles d’évacuation ont donc été distingués en fonction de la ou desdestinations de refuge (fig. 2).

Le premier concerne des îles dans lesquelles la population sinistrée a pu rester surplace. Il s’agit d’une configuration relativement rare puisqu’elle ne concerne que 2 des 9îles retenues, soit 512 personnes (7% de l’échantillon). Il s’agit des deux îles de l’atoll deLaamu (fig. 3), dont 7 des 12 îles habitées ont été submergées sur plus du tiers de leursurface (5 dans leur intégralité). Sur la petite île de Dhabidhoo, 77 bâtiments ont étéendommagés, surtout des habitations, ce qui a obligé l’ensemble des 460 habitants à seréfugier dans l’école. Sur l’île plus méridionale de Gamu, moins touchée par le tsunami,nettement plus grande que la précédente et moins densément peuplée, les 48 personnesévacuées ont également pu rester sur place, relogées probablement par des voisins et/oude la famille. Ce modèle de déplacement au sein même du lieu de vie semble relever d’unelogique «de taille» — cas de Gamu qui offre une certaine superficie — et de commodité.

Le deuxième cas de figure correspond à l’évacuation vers une autre et unique île dedestination. Le cas le plus parlant est celui de Filladhoo dans l’atoll de Haa Alifu (fig. 4).L’intégralité de sa population (625 personnes) a été évacuée et envoyée sur Kelaa. Celle-cicumulait par rapport aux autres destinations possibles (Vashafaru, Muraidhoo, Baarah, maisplus encore Uthemu et Dhidhdhoo) quatre avantages : épargnée par le tsunami, elle est trèsproche de Filladhoo, très grande et peu peuplée. Mais la proximité ou la taille ne jouent pastoujours. À Dhaalu par exemple (fig. 5), les populations de Ribudhoo, de Gemendhoo et deVaanee ont été entièrement évacuées vers la capitale Kudahuvadhoo. Bien que relati-vement distante et peuplée, celle-ci présentait le triple avantage d’être l’île la moinsdensément peuplée, la plus grande et l’une des deux seules de l’atoll dont le bâti n’avait subiaucun dégât. Ici, on se rapproche d’un schéma qui privilégie les espaces urbanisés.

Enfin, un dernier modèle, plus réticulé, est présenté par les cas de Kadholhudhoo (atoll deRaa) et de Vilifushi (Thaa). Le premier, le plus spectaculaire, montre la «diaspora» des 2900habitants d’une île d’à peine 4 ha sur 11 îles différentes (fig. 6). L’île de Kadholhudhoo étantrelativement isolée au sein de Raa, on ne saurait invoquer la proximité comme raison à cetécartèlement de la communauté sinistrée. Quant aux différences de densités de population,toutes les autres îles proposent de bien meilleures conditions que Kadholhudhoo. Maisl’explication principale est à rechercher dans le fait que seule cette dernière a été lourdementfrappée par le tsunami, et que le flux élevé de réfugiés (presque 3000) ne pouvait êtreconcentré sur une ou deux îles seulement. Moins extrême est le cas de Vilufushi (fig. 7) : ses

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Îles de l’échantillond’analyse

Nombre de personnes concernéesau sein de l’échantillon d’analyse(total de 7 071 personnes)

Dhabidhoo (Laamu)Gamu (Laamu)

512 (7,2 % de l’échantillon)

2 433 (34,4 % de l’échantillon)

4 126 (58,4 % de l’échantillon)

© A. Magnan, 2006

Filhadhoo (Haa Alifu)Ribudhoo (Raa)Gemendhoo (Dhaalu)Mundhoo (Laamu)Kalhaidhoo (Laamu)

Kandholhudhoo (Raa)Vilufushi (Thaa)

Déplacementen interne(dans l'île)

Déplacementhors de l'île

(vers une autre île)

Déplacement hors de l'île

(vers plusieursautres îles)

2. Trois grands modèles de déplacement des populations sinistrées

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1156 habitants ont tous été évacués vers les îles de Buruni, Dhiyamigili, Guraidhoo etVeymandhoo. Ici, parce que toutes les îles de l’atoll ont été relativement affectées, c’estprincipalement la logique de proximité qui a joué. En effet, les trois premières destinationssont les plus proches de Vilufushi, et si l’île de Madifushi n’a pas été visée, c’est parce qu’elle-même a été très touchée (tous ses bâtiments ont été endommagés). L’influence du facteur«proximité» (a) semble ensuite se limiter à un rayon d’une vingtaine de kilomètres, au-delàduquel « l’effet capitale» (e) prend le relais : Gaadifushi et Thimarafushi n’ont pas étédestinataires, alors que Veymandhoo l’a été.

Trois modèles ressortent donc clairement de cette analyse, mais il est difficile de leurattribuer à chacun un ou plusieurs facteurs d’explication dominants, bien que des logiquesfaisant référence à la faible distance (a) et/ou à l’attrait des capitales (e) semblent récurrentes.Il conviendrait également de tenir compte de la présence sur les îles de destination demembres de la famille des personnes évacuées (6). Ce « facteur familial», plus largementcommunautaire, a pu jouer sur les trois modèles, peut-être davantage d’ailleurs sur le premieret sur le troisième (on retiendra l’étrange éclatement des habitants de Kadholhudhoo).

Le constat d’ensemble est donc à une relative complexité dans le «choix» des des-tinations, peut-être même à une relative anarchie. Une comparaison avec les îles Andamanet Nicobar (Union Indienne), archipel moins étriqué que les Maldives, amène ainsi à poserla question du poids de l’éclatement territorial et du statut d’indépendance sur les modesde gestion des catastrophes naturelles.

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Maavah

FONADHOO

Île habitée

Capitale de l’atoll

0 10 km

Aucun bâtiment dégradé

Part des bâtiments frappés par le tsunami

Entre 1 et 30 %Entre 31 % et 90 %Entre 91 % et 100 %Donnée non disponible

Population (voir tableau)

Représentation simplifiée des récifs coralliens

Mouvement d’évacuationdes populations sinistrées

© A

. Mag

nan,

200

6

DHAALU MEEMU

KAAFUARI NORD

ARI SUD

LAAMU

NOONU

HAA ALIFU

SHAVIYANIHAA

DHAALU

RAA

BAA

FAAFU

THAA

GAAFUALIFU

GAAFUDHAALU

GNAVIYANI

SEENU

LHAVIYANI

MALÉNORD

MALÉSUD

VAAVU

Nom de l'île Surface (km2) Population Densité

0,47 601 1 2791,59 1 740 1 0940,69 268 3885,17 2 244 4341,07 694 6482,94 1 432 4870,18 433 2 4050,81 528 6520,43 793 1 8440,19 896 4 7160,32 1 351 4 2220,20 601 2 585

DhabidhooFonadhooGaadhooGamuHitadhooIsdhooKalhaidhooKunahandhooMaabaidhooMaamendhooMaavahMundhoo

N.B. : (1) Seules les îles habitées ont été représentées;(2) Les densités de population sont celles de 2000.

Isdhoo

Dhabidhoo

Maabaidhoo

Mundhoo

Kalhaidhoo

FONADHOO

Gaadhoo

Maavah

Maamendhoo

Hitadhoo

Kunahandhoo

Gamu

3. Schémas d’évacuation dans l’atoll de Laamu (1449 personnes déplacées)

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Sur Andaman et Nicobar: rôles de la ville principale et du continent d’appartenance.—L’archipel d’Andaman et Nicobar compte plus de 500 îles et îlots répartis en deux groupesprincipaux s’étirant du Nord au Sud sur près de 800 km, au nord-ouest de Sumatra. Sa surfaceémergée totale est de 8250 km2, et sa population était en 2001 de 356100 personnes, dont88% habitaient le groupe d’Andaman, notamment l’île South Andaman qui abrite la villeprincipale de l’archipel, Port Blair. La localisation de ces îles, si proches de l’épicentre, expliquequ’elles ont été touchées de plein fouet par le tremblement de terre, puis par le tsunami. Lebilan humain est lourd: 436 morts et 3058 disparus, et plus de 10000 maisons détruites,affectant ainsi entre 11 et 16% de la population. Si bien que 19609 personnes (7) ont étéévacuées de leur île d’origine, dont plus de la moitié à partir du groupe Nicobar, alors que38000 autres ont trouvé refuge dans des camps installés sur leur île de résidence.

L’appartenance d’Andaman et Nicobar à l’Inde a eu pour conséquence directe unestructuration du schéma des évacuations à trois échelons territoriaux : micro-local (l’îled’origine), local (l’archipel, via son point nodal Port Blair), national (le continent indien). Eneffet, dès lors qu’il était impossible de rester sur place, les sinistrés ne se sont pas réfugiésdans les îles voisines, mais directement sur Port Blair. Ce flux a concerné 70% des per-sonnes ayant quitté leur île. L’engorgement progressif des capacités d’accueil de Port Blair

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MaavahFONADHOO

Île habitée

Capitale de l’atoll

0 10 km

Aucun bâtiment dégradé

Part des bâtiments frappés par le tsunami

Entre 1 et 30 %Entre 31 % et 90 %Entre 91 % et 100 %Donnée non disponiblePopulation (voir tableau)

Représentation simplifiée des récifs coralliens

Mouvement d’évacuationdes populations sinistrées

Thurakunu

Uligamu

Berinmadhoo

MulhadhooHatifushi

Hoarafushi

Ihavandhoo

Kelaa

Filladhoo

Muraidhoo

Baarah

Maarandhoo

Thakandhoo

Nellaidhoo

Faridhoo Hodaidhoo

Hanimaadhoo

Hirimaradhoo

Finey

DHIDHDHOO

Naivaadhoo

Uthemu

HAAALIFU

Vashafaru

HAADHAALU

DHAALU MEEMU

KAAFUARI NORD

ARI SUD

LAAMU

NOONU

HAA ALIFU

SHAVIYANIHAA

DHAALU

RAA

BAA

FAAFU

THAA

GAAFUALIFU

GAAFUDHAALU

GNAVIYANI

SEENU

LHAVIYANI

MALÉNORD

MALÉSUD

VAAVU

Nom de l'île Surface (km2) Population Densité

2,49 1 276 5120,15 124 8270,51 2 776 5 423Dhidhdhoo0,23 159 6912,26 659 2911,18 327 2772,60 1 009 3880,04 150 3 750

375 8720,63 2 221 3 3250,17 135 7940,61 2 062 3 3802,13 1 196 5610,41 520 1 2681,18 264 2240,5 483 9660,26 469 1 8040,30 749 2 4970,45 507 1 1270,22 412 1 837

Uligamu 1,13 326 2880,47 483 1 2420,31 597 1 925

0,43

BaarahBerinmadhoo

FaridhooFilladhooFineyHanimaadhooHatifushiHirimaradhooHoarafushiHodaidhooIhavandhooKelaaMaarandhooMuladhooMuraidhooNaivaadhooNellaidhooThakandhooThurakunu

UthemuVashafaru

4. Schémas d’évacuation dans l’atoll de Haa

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et/ou d’autres raisons (familiales, par exemple) ont incité les autres réfugiés (5700personnes) à rejoindre directement le continent indien (8).

Du fait d’être un archipel éclaté et d’avoir à se débrouiller seul.— Ce schéma d’évacuation«simple», du moins plus structuré, des îles Andaman et Nicobar contraste évidemmentavec l’extrême complexité — anarchie? — constatée aux îles Maldives, alors que les pre-mières semblent avoir subi davantage de dommages directs. Deux éléments peuvent alorsêtre avancés pour expliquer ce contraste.

Le premier fait référence à la configuration étriquée et éclatée des Maldives. Celle-ci a d’autantplus réduit les réserves d’espace pour l’accueil des sinistrés qu’elle a accentué, par la destructiondes bateaux et des infrastructures portuaires, les problèmes initiaux d’enclavement des îles.

Le second facteur relève du statut d’État indépendant des Maldives. En effet, l’appar-tenance d’Andaman et Nicobar à un État plus puissant s’est traduite par une structurationde la réponse, même dans l’urgence : on reloge sur place en établissant des camps et sice n’est pas possible (faute d’espace épargné sur l’île), on évacue directement sur l’île prin-cipale de l’archipel. Ceci contraste avec les mouvements anarchiques, car spontanés, desMaldiviens sinistrés qui n’ont finalement bénéficié d’aucun plan d’évacuation à l’échellenationale, et surtout d’aucun soutien en matière de transport (avions ou bateaux des

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Maavah

FONADHOO

Île habitée

Capitale de l’atoll

0 10 km

Aucun bâtiment dégradé

Part des bâtiments frappés par le tsunami

Entre 1 et 30 %Entre 31 % et 90 %Entre 91 % et 100 %Donnée non disponiblePopulation (voir tableau)

Représentation simplifiée des récifs coralliens

Mouvement d’évacuationdes populations sinistrées

Hulhudheli

Maaeboodhoo

Gemendhoo

Meedhoo

BadidhooRibudhoo

KUDAHUVADHOO

Vaanee

DHAALU MEEMU

KAAFUARI NORD

ARI SUD

LAAMU

NOONU

HAA ALIFU

SHAVIYANIHAA

DHAALU

RAA

BAA

FAAFU

THAA

GAAFUALIFU

GAAFUDHAALU

GNAVIYANI

SEENU

LHAVIYANI

MALÉNORD

MALÉSUD

VAAVU

0,20 578 2 8900,05 322 6 4400,16 524 3 2750,64 1 232 1 9250,18 597 3 3170,09 908 10 0890,16 420 2 6250,11 346 3 145

BadidhooGemendhooHulhudheliKudahuvadhooMaaeboodhooMeedhooRibudhooVanee

Nom de l'île Surface (km2) Population Densité

5. Schémas d’évacuation dans l’atoll de Dhaalu (871 personnes déplacées)

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autorités). À tel point d’ailleurs que ce sont les militaires indiens qui sont venus secourir lestouristes évacués des îles-hôtels maldiviennes, et ce sont eux qui ont organisé des survolsde l’archipel pour aider au recensement des dégâts. Enfin, on peut largement imaginer quela faible marge de mobilisation de financements d’urgence propres (poids du sous-développement) a retardé la mise en place de camps de réfugiés et la réactivité dugouvernement en général — alors que, par ailleurs, l’effort d’aide internationale a, au-delàdes promesses, mis un certain temps à s’enclencher.

Cet événement a donc mis en avant d’un seul coup toutes les contraintes de déve-loppement de l’archipel maldivien, soulevant ainsi de nouveau la question de savulnérabilité aux risques naturels et donc du devenir de sa population.

3. Conséquence indirecte des déplacements de population et perspectives d’avenir

Les évacuations, qui provoquent une augmentation des densités de population dans lesîles d’accueil, obligent à s’interroger sur les solutions pouvant être mises en œuvre dans lecontexte maldivien.

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Maavah

FONADHOO

Île habitée

Capitale de l’atoll

0 10 km

Aucun bâtiment dégradé

Part des bâtiments frappés par le tsunami

Entre 1 et 30 %Entre 31 % et 90 %Entre 91 % et 100 %Donnée non disponible

Population (voir tableau)

Représentation simplifiéedes récifs coralliens

Mouvement d’évacuationdes populations sinistrées

Rasgetheemu

Alifushi

Kadholhudhoo

Agolhitheemu

Hulhudhuffaru

Innamaadhoo

Iguraidhoo

Fainu

Maakurathu

Rasmaadhoo

Meedhoo

Maduvvari

Kinolhas

Vaadhoo

UGOOFARU

DHAALU MEEMU

KAAFUARI NORD

ARI SUD

LAAMU

NOONU

HAA ALIFU

SHAVIYANIHAA

DHAALU

RAA

BAA

FAAFU

THAA

GAAFUALIFU

GAAFUDHAALU

GNAVIYANI

SEENU

LHAVIYANI

MALÉNORD

MALÉSUD

VAAVU

0,32 345 1 0780,46 1 737 3 7760,50 249 4980,49 939 1 9160,36 1 274 3 5390,28 492 1 7570,04 2 717 67 9250,45 362 8040,43 810 1 8840,16 1 530 9 6000,31 1 430 4 6130,30 587 1 9570,23 544 2 3650,28 1 089 3 8890,31 319 1 029

Agolhitheemu

Alifushi

Nom de l'île Surface (km2) Population Densité

FainuHulhudhuffaruIguraidhooInnamaadhooKadholhudhooKinolhasMaakurathuMaduvvariMeedhooRasgetheemuRasmaadhooUgoofaruVaadhoo

6. Schémas d’évacuation dans l’atoll de Raa (2970 personnes déplacées)

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3.1 Le problème de l’augmentation des densités de population

Concernant l’accentuation de la pression démographique, il faut préalablement remarquerque Kadholhudhoo (modèle 3) est l’île dont l’effectif de déplacés est le plus important denotre étude, et qu’inversement, ceux de Gamu et de Dhabidhoo (modèle 1) sont parmi lesplus modestes. Cette apparente corrélation entre le nombre de personnes à déplacer et lemodèle d’évacuation tient au fait que les îles d’accueil ne peuvent généralement accueillirun grand nombre de réfugiés, obligeant ainsi à la segmentation du flux. Se pose malgrétout la question des effets de ces déplacements sur les densités des espaces d’accueil. Lecas de la capitale de Dhaalu (fig. 5) est sur ce point évocateur. En accueillant 871 réfugiés,la densité démographique de Kudahuvadhoo est passée de 1925 hab/km2 à 3286. Or,cette île souffrait déjà de problèmes d’accessibilité — comme plus de la moitié des îleshabitées du pays —, du manque de personnel de santé et d’un certain sous-équipementen moyens de communication (UNDP-MPND, 1998). Des cas d’îles plus grandes et àl’origine moins densément peuplées comme Kelaa dans l’atoll de Haa Alifu et Gaamu danscelui de Laamu, dont les densités sont respectivement passées de 561 hab/km2 à 855 etde 434 hab/km2 à 615, sont plus rassurants. On peut penser que le problème del’accroissement des densités de population se pose surtout dans les îles d’accueil les

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Maavah

FONADHOO

Île habitée

Capitale de l’atoll

0 10 km

Aucun bâtiment dégradé

Part des bâtiments frappés par le tsunami

Entre 1 et 30 %Entre 31 % et 90 %Entre 91 % et 100 %Donnée non disponible

Population (voir tableau)

Représentation simplifiée des récifs coralliens

Mouvement d’évacuationdes populations sinistrées

Madifushi

Buruni

DhiyamigiliGuraidhoo

Gaadifushi

Thimarafushi

VEYMANDHOOKididhoo

Omadhoo

Kadoodhoo

Hirilandhoo

Vilufushi

Vandhoo

DHAALU MEEMU

KAAFUARI NORD

ARI SUD

LAAMU

NOONU

HAA ALIFU

SHAVIYANIHAA

DHAALU

RAA

BAA

FAAFU

THAA

GAAFUALIFU

GAAFUDHAALU

GNAVIYANI

SEENU

LHAVIYANI

MALÉNORD

MALÉSUD

VAAVU

0,31 304 9810,12 484 4 0330,11 312 2 8360,17 1 433 8 4290,25 759 3 0360,78 390 5000,31 833 2 6870,15 664 4 2270,33 395 1 1970,15 1 537 10 2400,23 273 1 1870,41 763 1 8610,14 1 155 8 250

Buruni

DhiyamigiliGaadifushiGuraidhooHirilandhooKadoodhooKididhooMadifushiOmadhooThimarafushiVandhooVeymandhooVilufushi

Nom de l'île Surface (km2) Population Densité

7. Schémas d’évacuation dans l’atoll de Thaa (1660 personnes déplacées)

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moins grandes — car celles-ci disposent de peu de réserves d’espace —, et ce d’autantplus que les réfugiés y restent longtemps. L’accroissement des densités de population estun problème qui se pose au-delà de la phase d’urgence.

Si la stratégie est de reconstruire l’habitat sur les îles affectées, elle se heurte à l’émiette-ment des foyers d’habitation, facteur d’augmentation des coûts. Ce n’est pas un problèmenouveau dans cet archipel dont l’histoire a été ponctuée d’événements tempétueux accom-pagnés de houles et de submersions (Rufin-Soler, 2004; Cazes-Duvat, 2005) et, de fait,d’épisodes de migrations temporaires. C’est pourquoi depuis fort longtemps, diverses ten-tatives de regroupement des populations isolées ont eu lieu, sans succès d’ailleurs, la plusrécente datant des années 1970 (9). Depuis lors, cette politique migratoire, qui vise à fairepasser le nombre d’îles habitées de 200 à 80 a été revue dans le cadre du «plan de déve-loppement régional» dont l’objectif est, à travers la mise en place de deux pôles régionaux(Addu dans le Sud, Haa Dhaalu dans le Nord), de réduire les contraintes inhérentes à l’écla-tement territorial ainsi qu’à la domination de Malé. Si quelques concrétisations ont aujourd’huivu le jour sur Addu (amélioration des infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires),les responsables politiques affirment que l’un des principaux effets du tsunami du26 décembre sera d’accélérer la concentration démographique. La question se pose alors desavoir si celle-ci sera accompagnée de la mise en place d’un plan national d’évacuationd’urgence (mobilisation de moyens de transport à grande capacité, identification de lieux derefuge…), car les problèmes que nous venons d’identifier pour de petits foyers de peu-plement risquent d’être amplifiés si l’on est obligé d’évacuer des îles plus peuplées. Cettequestion n’a bien entendu pas échappé aux autorités qui, suivant le vieux principe «mieuxvaut prévenir que guérir», semblent avoir davantage opté pour la concentration et la pro-tection de quelques îles, afin de limiter l’évacuation en cas de nouveau sinistre.

3.2 L’avenir dans les «safety islands »?

C’est dans cette optique que sont évoquées les « safety islands » (RoM, 2005). Ce sont desîles relativement vastes (généralement les plus grandes des atolls) qui proposeront en leurcentre des surfaces surélevées sur lesquelles seront construits l’habitat et les infra-structures communautaires (écoles, mosquée et administration) (fig. 8). Ceinturant cesélévations artificielles, une dépression favorisera le drainage en cas de submersion, cerisque étant déjà limité par la création d’une dune artificielle et végétalisée qui entoureral’île à l’exception de la zone portuaire et de quelques trouées.

Si l’objectif est de disposer d’une « île d’accueil » par atoll, le gouvernement en a déjàproposé cinq. Quatre d’entre elles ont pour caractéristique commune d’être l’île la plusgrande de l’atoll : Dhuraafaru (atoll de Raa) est la seule qui est inhabitée, alors queMaamigili (Ari Sud), Kudahuvadhoo (Dhaalu) et Gaamu (Laamu) présentent des densitésrespectives de 2433, 1925 et 434 hab/km2. Le choix de Kudahuvadhoo est intéressant :malgré sa forte population actuelle, elle présente néanmoins au sein de son atoll le meilleurpotentiel. Ce dernier cas illustre très bien la faible marge de manœuvre des aménageurset, indirectement, les effets d’engrenage et les limites posées au développement del’archipel maldivien (Cazes-Duvat, 2001).

Bien que le tsunami n’ait mis que quelques secondes à envahir l’archipel des Maldives,la gestion de ses conséquences va durer plusieurs années (retour aux niveaux de pro-duction initiaux, reconstruction…). On a vu que des facteurs généraux tels que laconfiguration territoriale et le niveau de développement jouent un rôle fondamental(Dupont, 1987 ; D’Ercole, 2003). Plus précisément, l’éclatement territorial et un contexte de

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sous-développement sont deux puissants démultiplicateurs, dans l’espace et dans letemps, des effets matériels et économiques d’une catastrophe naturelle. L’analyse de leurpoids dans l’impact d’un événement conjoncturel (qu’il soit d’origine naturelle ou pas)permet de montrer, d’une part, que de multiples facteurs de nature variée (physiques etanthropiques) interagissent et que, d’autre part, les spécificités locales (type de matériauxde construction, type de récif sous-jacent au rôle protecteur variable, nature des moyensde transport traditionnels, positionnement culturel par rapport à l’événement…) jouent unrôle majeur dans l’explication des conséquences des phénomènes exceptionnels. Ladiversité des schémas d’évacuation de quelques-unes des îles maldiviennes sinistrées etla relative difficulté à expliquer leurs logiques offrent un exemple très didactique de cettecomplexité. C’est principalement ce que l’on voulait montrer dans cet article.

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Île

I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I

Lagon intérieur

I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I I

I I I I I I Limite du récif corallien

Surface originelle de l’île

Niveau moyende la mer

Portartificiel

Bâtiment administratif

Maisons Mosquée

Vue aérienne

Source: D'après UNEP, 2005

Grand large(océan Indien)

Coupe transversale

Port artificiel(et son chenal d’embarcation)

Ceinture végétale (espace tampon)trouée de canaux de drainagePlage et plaine sableuse

sous-marineZone artificiellement surélevée(porteuse du bâti et d'autres infrastructures)

8. Schéma théorique d’une « île refuge» ou « safety island »

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Enfin, il convient ici de noter que l’étude de ces événements exceptionnels — associée à lathématique du risque en général — offre l’avantage de mêler en un temps commun, celui dela catastrophe, l’ensemble des facteurs de (sous-)développement, permettant ainsi une visionsystémique «en temps réel» (dans l’urgence, puis dans les mois et les années suivants).

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Notes

1. Si l’on compte également 87 îles vouées au tourisme, il n’en reste pas moins que 75% de la surfaceémergée de l’archipel (297 km2) est inhabitée (ce qui ne signifie pas qu’une partie ne soit pas mise en valeur :agriculture et élevage surtout).

2. La moyenne mondiale est à environ 16 kg/pers/an.

3. Dans le cas maldivien, les estimations s’élèvent en moyenne de + 15 à + 20% selon les travaux envisagés :reconstruction de l’habitat, réhabilitation des écoles, etc.

4. Les chiffres, datés du 25 décembre, varient considérablement d’une source à l’autre, bien qu’a priori tousproviennent du gouvernement maldivien.

5. Aucune évaluation de l’importance de la pollution des nappes phréatiques n’est à ce jour avancée (RoM,2005 ; UNEP, 2005)

6. De tels éléments, bien que fréquemment évoqués par les autorités maldiviennes, n’ont fait encore l’objetd’aucune étude rétrospective approfondie, donc d’aucune quantification. Mais ce lien familial etcommunautaire aurait déjà agi par le passé (Rufin-Soler, 2004).

7. Source : site Internet de l’administration d’Andaman et Nicobar (http://tsunamiandaman.tn.nic.in/).

8. Près de 50% des habitants de l’archipel ont émigré du continent indien après 1947, date del’Indépendance nationale. Par ailleurs, les personnes évacuées vers l’Inde étaient essentiellement originairesde South Andaman (72%), certainement de Port Blair.

9. C. Rufin-Soler (2004) note les cas de Faridhoo et d’Hodaidhoo vers l’île d’Hanimadhoo, dans l’atoll de HaaDhaalu.

Adresse de l’auteur

Docteur en géographie. 19 bis, rue de la Cave, 17137 Marsilly. Tél. 06 50 81 39 27. Courriel :[email protected]

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