Leucémie myélomonocytaire chroniqueCorrespondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n 6 -...

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Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n° 6 - novembre-décembre 2015 222 dossier Hypercytoses singulières RÉSUMÉ Summary La leucémie myélomonocytaire chronique est un néoplasme myéloprolifératif (NMP)/syndrome myélodysplasique (SMD) qui a longtemps été négligé ou associé aux SMD. Le diagnostic repose sur la découverte d’une monocytose chronique inexpliquée. L’augmentation de la fraction des monocytes classiques CD14+CD16– en cytométrie en flux et la mise en évidence d’anomalies cytogénétiques ou moléculaires clonales facilitent le diagnostic. Aucune altération moléculaire n’est spécifique de la maladie. Il existe en moyenne 14 mutations somatiques dans les régions codantes du génome des monocytes de chaque patient. La découverte d’une mutation d’ ASXL1 est de mauvais pronostic, au même titre que l’âge avancé, une leucocytose élevée et la présence d’une anémie ou d’une thrombopénie. L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques est le seul traitement curatif, mais elle est rarement proposée du fait de l’âge avancé des patients. Les agents déméthylants sont les médicaments les plus efficaces dans les formes sévères : la correction des désordres de l’hématopoïèse s’accompagne d’une diminution de la méthylation de l’ADN, mais les anomalies génétiques persistent. Il est donc nécessaire d’identifier de nouvelles approches thérapeutiques capables d’éradiquer le clone leucémique. Mots-clés : Leucémie myélomonocytaire chronique - Néoplasme myéloprolifératif - Syndrome myélodysplasique - Monocyte. Chronic myelomonocytic leukemia (CMML) is a myelo- proliferative neoplasm (MPN)/myelodysplastic syndrome (MDS) that has long been associated with MDS in clinical trials. Diagnosis is based on a unique biological abnormality, namely an unexplained and chronic monocytosis. Identification of an increase in the fraction of classical CD14+CD16– monocytes by flow cytometry and a clonal cytogenetic or molecular alteration further argue for a CMML diagnosis. None of the molecular alterations are specific of this disease. The mean number of somatic alterations in the coding sequences of the genome is 14. Somatic mutations in the ASXL1 gene, an age over 65, a leukocytosis higher than 15 G/l, anemia and thrombocytopenia are independent, poor prognostic factors. Allogeneic bone marrow transplantation is the only potentially curative therapeutic approach but is rarely feasible because of the patients’ age. Demethylating agents are the most efficients drugs in severe CMML : they restore a more balanced hematopoiesis, which is associated with a decrease in global DNA methylation, but have no impact on somatic mutations allele burden, indicating that new therapeutic approaches are needed to eradicate the leukemic clone. Keywords: Chronic myelomonocytic leukemia - Myelo- proliferative neoplasm - Myelodysplastic syndrome - Monocyte. Leucémie myélomonocytaire chronique Chronic myelomonocytic leukemia A. Labois*, É. Solary** * Inserm U1170, Institut Gustave-Roussy, Villejuif. ** Faculté de médecine Paris-Sud, Le Kremlin-Bicêtre. L’ OMS regroupe, sous la dénomination de néoplasmes myéloprolifératifs (NMP)/syndromes myélodysplasiques (SMD), un ensemble hétéro- gène d’hémopathies myéloïdes (1) . La leucémie myélo- monocytaire chronique (LMMC) est la plus fréquente de ces maladies (tableau I) . Sa composante proliférative porte principalement sur les monocytes et les granu- leux ; sa composante dysplasique peut affecter toutes les lignées. L’incidence de la LMMC, normalisée pour l’âge, est de 0,4 pour 100 000 habitants par an. Elle est probablement sous-estimée du fait des difficultés dia- gnostiques et de l’impact thérapeutique encore limité de la distinction entre LMMC et SMD. La maladie touche 2 à 3 fois plus souvent l’homme que la femme, en moyenne autour de 70 ans. Elle est très rare avant 50 ans. Reconnaître une LMMC Le diagnostic de LMMC repose classiquement sur un seul critère positif : l’existence d’une monocytose au moins égale à 1 000/mm 3 , représentant plus de 10 % des leucocytes. Comme tous les NMP/SMD, la LMMC est également définie par ce qu’elle n’est pas. Son diagnostic impose d’éliminer une leucémie myéloïde chronique (LMC) en vérifiant l’absence de chromo- some Philadelphie et de réarrangement BCR-ABL , et une leucémie aiguë en s’assurant que le pourcentage de blastes dans la moelle n’atteint pas 20 %. Lorsqu’il existe une éosinophilie associée à la monocytose, il est nécessaire de rechercher un réarrangement de PDGFRA et PDGFRB, dont la présence réoriente le diagnostic vers

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Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n° 6 - novembre-décembre 2015222

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La leucémie myélomonocytaire chronique est un néoplasme myéloprolifératif (NMP)/syndrome myélodysplasique (SMD) qui a longtemps été négligé ou associé aux SMD. Le diagnostic repose sur la découverte d’une monocytose chronique inexpliquée. L’augmentation de la fraction des monocytes classiques CD14+CD16– en cytométrie en flux et la mise en évidence d’anomalies cytogénétiques ou moléculaires clonales facilitent le diagnostic. Aucune altération moléculaire n’est spécifi que de la maladie. Il existe en moyenne 14 mutations somatiques dans les régions codantes du génome des monocytes de chaque patient. La découverte d’une mutation d’ ASXL1 est de mauvais pronostic, au même titre que l’âge avancé, une leucocytose élevée et la présence d’une anémie ou d’une thrombopénie. L’allogreff e de cellules souches hématopoïétiques est le seul traitement curatif, mais elle est rarement proposée du fait de l’âge avancé des patients. Les agents déméthylants sont les médicaments les plus effi caces dans les formes sévères : la correction des désordres de l’hématopoïèse s’accompagne d’une diminution de la méthylation de l’ADN, mais les anomalies génétiques persistent. Il est donc nécessaire d’identifi er de nouvelles approches thérapeutiques capables d’éradiquer le clone leucémique.

Mots-clés : Leucémie myélomonocytaire chronique − Néoplasme myéloprolifératif − Syndrome myélodysplasique − Monocyte.

Chronic myelomonocytic leukemia (CMML) is a myelo-proliferative neoplasm (MPN)/myelodysplastic syndrome (MDS) that has long been associated with MDS in clinical trials. Diagnosis is based on a unique biological abnormality, namely an unexplained and chronic monocytosis. Identifi cation of an increase in the fraction of classical CD14+CD16– monocytes by fl ow cytometry and a clonal cytogenetic or molecular alteration further argue for a CMML diagnosis. None of the molecular alterations are specifi c of this disease. The mean number of somatic alterations in the coding sequences of the genome is 14. Somatic mutations in the ASXL1 gene, an age over 65, a leukocytosis higher than 15 G/l, anemia and thrombocytopenia are independent, poor prognostic factors. Allogeneic bone marrow transplantation is the only potentially curative therapeutic approach but is rarely feasible because of the patients’ age . Demethylating agents are the most effi cients drugs in severe CMML : they restore a more balanced hematopoiesis, which is associated with a decrease in global DNA methylation, but have no impact on somatic mutations allele burden , indicating that new therapeutic approaches are needed to eradicate the leukemic clone.

Keywords: Chronic myelomonocytic leukemia − Myelo-proliferative neoplasm − Myelodysplastic syndrome − Monocyte.

Leucémie myélomonocytaire chronique Chronic myelomonocytic leukemia A. Labois*, É. Solary**

* Inserm U1170, Institut Gustave-Roussy, Villejuif. ** Faculté de médecine

Paris-Sud, Le Kremlin-Bicêtre.

L’OMS regroupe, sous la dénomination de néoplasmes myéloprolifératifs (NMP)/syndromes myélodysplasiques (SMD), un ensemble hétéro-

gène d’hémopathies myéloïdes (1) . La leucémie myélo-monocytaire chronique (LMMC) est la plus fréquente de ces maladies (tableau I) . Sa composante proliférative porte principalement sur les monocytes et les granu-leux ; sa composante dysplasique peut aff ecter toutes les lignées. L’incidence de la LMMC, normalisée pour l’âge, est de 0,4 pour 100 000 habitants par an. Elle est probablement sous-estimée du fait des diffi cultés dia-gnostiques et de l’impact thérapeutique encore limité de la distinction entre LMMC et SMD. La maladie touche 2 à 3 fois plus souvent l’homme que la femme, en moyenne autour de 70 ans. Elle est très rare avant 50 ans.

Reconnaître une LMMC

Le diagnostic de LMMC repose classiquement sur un seul critère positif : l’existence d’une monocytose au moins égale à 1 000/mm 3 , représentant plus de 10 % des leucocytes. Comme tous les NMP/SMD, la LMMC est également définie par ce qu’elle n’est pas. Son diagnostic impose d’éliminer une leucémie myéloïde chronique (LMC) en vérifi ant l’absence de chromo-some Philadelphie et de réarrangement BCR-ABL , et une leucémie aiguë en s’assurant que le pourcentage de blastes dans la moelle n’atteint pas 20 %. Lorsqu’il existe une éosinophilie associée à la monocytose, il est nécessaire de rechercher un réarrangement de PDGFRA et P DGFRB, dont la présence réoriente le diagnostic vers

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Leucémie myélomonocytaire chronique

l’ensemble des néoplasmes lymphoïdes et myéloïdes avec éosino philie (tableau I) . Le diagnostic de LMMC impose d’écarter également une monocytose réaction-nelle, infl ammatoire, infectieuse ou paranéoplasique. L’existence d’une dysplasie des précurseurs myéloïdes au myélogramme est en faveur de la LMMC. Lorsque ce dernier critère est ambigu, l’OMS considère que le diag-nostic peut être posé quand une monocytose sanguine persiste et reste inexpliquée pendant plus de 3 mois (1) . Il existe désormais 2 façons de renforcer ce diagnostic. La première est l’analyse par cytométrie en fl ux des sous-populations de monocytes circulants. Il s’agit d’un test relativement simple, sensible et spécifi que. Une analyse multiparamétrique des cellules mono-nucléées du sang circulant permet de distinguer, chez les sujets normaux, 3 sous-populations de monocytes, appelés “classiques” (CD14+CD16–), “intermédiaires” (CD14+CD16+), et “non classiques” ( CD14faibleCD16+ ). Les monocytes classiques, les plus nombreux, repré-sentent environ 90 % des monocytes. La LMMC est caractérisée par une augmentation de ce pourcentage au-delà de 94 %, et ce paramètre est sensible et spé-cifi que. En revanche, les monocytoses réactionnelles induisent une augmentation de la fraction des mono-cytes intermédiaires et, parfois, des non classiques (2) . La seconde façon de poser le diagnostic est l’identifi ca-tion d’anomalies cytogénétiques clonales (présentes dans 30 à 40 % des cas dans les cellules mononucléées de la moelle) ou d’anomalies moléculaires clonales (toujours présentes, en moyenne 14 mutations dans les séquences codantes du génome des monocytes circulants) [tableau II, p. 225] (3) .

Expression clinique et biologique

Le début d’une LMMC est insidieux, et le diagnostic souvent fortuit. Les symptômes, lorsqu’ils existent, sont la conséquence de cytopénies ou d’une alté-ration de la réponse immunitaire. Il peut exister des signes généraux (asthénie, fi èvre, sueurs nocturnes, amaigrissement), une splénomégalie, rarement une hépatomégalie ou des adénopathies. Une atteinte cutanée spécifi que est possible, souvent tardive. Des épanchements des séreuses compliquent parfois les formes prolifératives. L’incidence des manifestations auto-immunes est augmentée. Une hémopathie lym-phoïde B peut être associée. L’hémogramme révèle une monocytose très variable, allant de 1 à 80 G/l. Les monocytes sont hétérogènes et diffi ciles à distinguer cytologiquement des cellules granuleuses immatures. Il peut exister une polynucléose neutrophile et une

myélémie modérée. L’anémie est fréquente, normo- ou macrocytaire, et une thrombopénie existe dans 50 % des cas. La leuco cytose peut augmenter rapidement en cas d’infection et redescendre spontanément lorsque l’épisode infectieux est contrôlé. On observe parfois une hyperuricémie, une augmentation de la vitamine B12 plasmatique, une élévation du lysozyme sérique et urinaire, ou une hypergammaglobulinémie polyclonale. La ponction médullaire fait le plus souvent état d’une moelle riche, comportant par défi nition moins de 20 % de blastes. La prolifération monocytaire est souvent modérée (10 à 15 % des cellules nucléées) et parfois diffi -cile à identifi er. Les promonocytes peuvent être diffi ciles à distinguer des cellules blastiques. On observe habi-tuellement des signes de dysplasie qui peuvent toucher toutes les lignées. La biopsie médullaire identifi e une myélofi brose de degré variable chez 30 % des patients et des îlots de cellules plasmocytoïdes dendritiques. Le caryotype médullaire identifi e des anomalies cyto-génétiques clonales dans un tiers des cas. Aucune n’est spécifi que de la maladie. La trisomie 8, la perte du chro-mosome Y et les anomalies du chromosome 7 sont les plus fréquentes. Les caryotypes complexes et les translocations réciproques sont très rares. Les analyses moléculaires assurent de l’absence de réarrangement BCR-ABL . En cas d’éosinophilie supérieure à 1 500/mm 3 , elles permettent de rechercher un réarrangement de PDGFRB . De plus en plus, ces analyses moléculaires per-mettent également d’identifi er la présence de mutations somatiques, dont certaines ont un intérêt pronostique.

Physiopathologie

Caractéristiques du clone La LMMC est issue de la transformation d’une cellule souche hématopoïétique ou d’un progéniteur très immature, conduisant à l’accumulation de monocytes,

Tableau I. Classifi cation des néoplasmes myéloprolifératifs/syndromes myélodysplasiques (NMP/SMD) selon l’OMS 2008.

Classiques

Leucémie myélomonocytaire chroniqueLeucémie myéloïde chronique atypiqueNMP/SMD inclassableLeucémie myélomonocytaire juvénile

À titre provisoire

Anémie réfractaire sidéroblastique avec thrombocytose

Exclu

Monocytoses clonales avec éosinophilie > 1,5 G/l et réarrangement de PDGFRB

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Hypercytosessingulières

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en majorité CD14+CD16– (2) . L’accumulation de ces cellules peut traduire un biais de la diff érenciation et un défaut de mort cellulaire. La transformation peut aussi conduire à la production de cellules granuleuses, matures ou immatures, en excès. Les cellules granu-leuses immatures ont des propriétés immunosuppres-sives. Elles bloquent la diff érenciation des monocytes en macrophages (mécanistiquement, elles sécrètent des α défensines qui interagissent avec le récepteur purinergique P2Y6 à la surface des monocytes) [4] . Elles tuent les lymphocytes T activés (par un mécanisme dépendant de la production de radicaux libres de l’oxy-gène). Le clone leucémique génère donc des cellules myéloïdes suppressives. Cette production excessive de cellules granuleuses est favorisée par une hypersensibi-lité des progéniteurs myéloïdes au GM-CSF (Granulocyte Macrophage-Colony Stimulating Factor) qui dépend de la voie STAT5 (5, 6) . Les altérations de l’hématopoïèse peuvent aussi comporter divers degrés de dysplasie des lignées rouge et plaquettaire induisant anémie et thrombopénie et, beaucoup plus rarement, une sur-production de plaquettes.

Mutations somatiques Au moment du diagnostic, il existe en moyenne 14 gènes mutés dans les monocytes circulants. Toujours en moyenne, un peu plus de 3 de ces gènes sont mutés de façon récurrente dans les hémopathies myéloïdes, les autres étant mutés de façon passa-gère (2) . Dans l’ensemble du génome, on détecte en moyenne 475 anomalies somatiques par patient, mais aucune anomalie récurrente n’a été identifi ée dans les régions non codantes. Aucune mutation soma-tique n’est spécifi que de la LMMC. L’accumulation de monocytes est probablement le refl et de combi-naisons particulières de mutations. Certaines d’entre elles sont directement responsables du phénotype : thrombopénie lorsqu’il existe une mutation de RUNX1 , thrombocytose lorsqu’il existe une mutation de JAK2 , anémie avec sidéroblastose lorsque SF3B1 est muté (7) . Ces mutations récurrentes peuvent être regroupées en fonction de leur fréquence. Les plus fréquentes aff ectent TET2, SRSF2 et ASXL1, mutés respectivement chez 60 %, 50 % et 40 % des patients (8-10). Les ano-malies de fréquence intermédiaire, identifi ées chez 10 à 30 % des patients, aff ectent RUNX1, DNMT3A, CBL, K-Ras, N-Ras, U2AF1 et SF3B1. Les autres sont obser-vées chez moins de 10 % des patients et aff ectent une trentaine de gènes diff érents, parmi lesquels EZH2 , IDH2 , ASXL2 , TET3 , SETBP1 , NPM1 , ZRSR2 , LUC7L2 , JAK2 , FLT3 , CSF3R , RIP1 , SH2B3 , DOCK2 , ETNK1 , PHF6 , BCOR et HUWE1. Ces anomalies peuvent aussi être regroupées

en fonction de l’activité des protéines codées par les gènes mutés : il s’agit d’un régulateur épigénétique (TET2, ASXL1, DNMT3A, EZH2, IDH2, TET3, ASXL2) chez plus de 90 % des patients, d’un acteur de l’épissage des pré-ARN messagers (SRSF2, SF3B1, U2AF1, ZRSR2, LUC7L2) dans plus de 70 % des cas, d’une molécule de la signalisation intracellulaire (N-Ras, K-Ras, CBL, JAK2, FLT3, CSF3R, RIP1, SH2B3) dans plus de la moitié des cas, et d’un régulateur de la transcription (RUNX1, NPM1, BCOR) dans 40 % des cas . Les altérations géné-tiques observées dans une partie des leucémies aiguës myéloïdes (LAM), en particulier chez les sujets âgés ou dans les mastocytoses systémiques, sont proches de celles de la LMMC. Il est possible que ces phéno-types distincts de la LMMC soient générés par une seule mutation, par exemple dans le gène IDH1 ou dans le gène KIT .

Organisation du clone leucémique Des analyses réalisées à l’échelle unicellulaire ont permis de préciser l’organisation des mutations récurrentes dans le clone. La plupart des cellules hématopoïé-tiques immatures CD34+CD38– CD90+ sont mutées : on parle de dominance clonale précoce. L’analyse des cellules immatures à l’échelle unicellulaire montre que les mutations s’accumulent de façon linéaire. Le plus souvent, la première aff ecte un régulateur épigé-nétique − principalement TET2 −, puis une protéine d’épissage – principalement SRSF2 –, puis un acteur de la signa lisation. Mais toutes les autres combinai-sons semblent possibles. Dans les cellules plus matures (progéniteurs granulo-monocytaires, puis monocytes), toutes les mutations sont dans toutes les cellules, ce qui suggère que les cellules les plus mutées prennent l’avantage sur les cellules moins mutées au cours de la diff érenciation (11) .

Anomalies épigénétiques

La délétion du gène TIF1γ dans les cellules hémato-poïétiques murines génère aussi avec l’âge un tableau évocateur de LMMC. Dans la pathologie humaine, le pro-moteur de ce gène est hyperméthylé chez plus de 35 % des patients. Cette observation suggère une compo-sante épigénétique dans la maladie. Cette assertion est renforcée par l’observation d’une altération presque constante d’un gène régulateur épigénétique dans le clone leucémique. Enfi n, il existe constamment une hyperméthylation globale de l’ADN dans les cellules du clone, en accord avec le rôle de TET2 dans l’oxydation de la 5-méthylcytosine en 5-hydroxyméthylcytosine,

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Leucémie myélomonocytaire chronique

ce qui conduit à la déméthylation. Les agents démé-thylants, comme la 5-azacytidine et la décitabine, ont un eff et thérapeutique attesté par une hématopoïèse plus équilibrée chez 30 à 50 % des patients. Cet eff et est associé à une réversion de l’hyperméthylation de l’ADN qui n’est pas observée chez les non-répondeurs. En revanche, ces médicaments, même lorsqu’ils sont effi -caces, n’ont aucun impact sur les anomalies génétiques, indiquant qu’ils corrigent les conséquences des anoma-lies génétiques sans éliminer les cellules mutées (3) . Ces observations suggèrent que la correction des anomalies épigénétiques, sans réversion des altérations génétiques, peut suffi re à corriger le phénotype de la maladie.

Devenir des patients

La survie des patients atteints de LMMC varie de quelques mois à plusieurs années, avec une médiane entre 2 et 3 ans. La survie est plus longue chez les sujets âgés de moins de 65 ans, plus courte quand il s’agit d’une LMMC secondaire, par exemple à une exposition toxique. Le décès est le plus souvent la conséquence de complications infectieuses ou hémorragiques, notamment lorsque la maladie se transforme en leu-cémie aiguë, ce qui est observé chez 25 % des patients. Compte tenu de l’âge avancé de ces sujets, les comorbi-dités jouent un rôle important dans l’espérance de vie. Dans les années 1990, la classifi cation FAB distinguait les formes dysplasiques et les formes prolifératives

en fonction du nombre de globules blancs dans le sang périphérique (± 13 G/l). Cette distinction, dont la pertinence en clinique comme en biologie est tou-jours l’objet de controverses, n’a pas été retenue par l’OMS, qui, en revanche, met en avant l’infl uence du pourcentage de blastes dans la moelle sur le pronostic en distinguant les LMMC de type 1 (blastes < 5 % dans le sang et < 10 % dans la moelle) des LMMC de type 2 (5 à 19 % de blastes dans le sang et/ou 10 à 19 % dans la moelle, ou bien blastes moins nombreux mais com-portant des corps d’Auer). Les LMMC associées à une éosinophilie supérieure à 1,5 G/l sont habituellement la conséquence d’un réarrangement clonal du gène PDGFRB , situé en 5q33, fusionné à divers partenaires, dont TEL/ETV6 , HIP1 , H4/D10S170 , RAB5 , CEV14 et NDE1 . Ces entités exception-nelles répondent aux inhibiteurs de tyrosine kinase comme l’imatinib. Elles ont été exclues des NMP/SMD par l’OMS en 2008 (1) . De très nombreux scores pronostiques ont été propo-sés dans la LMMC, les plus récents intégrant la cyto-génétique ou les anomalies moléculaires (tableau II) . Parmi ces dernières, les mutations du gène ASXL1 sont les plus délétères et ont été intégrées au score pro-posé par le Groupe francophone des myélodyspla-sies (7) . Ce score, qui prend aussi en compte l’âge, la leuco cytose et les cytopénies, est parmi les plus performants. Un eff ort international est en cours pour tenter d’améliorer la valeur prédictive de ces scores pronostiques.

Tableau II. Scores pronostiques incorporant les données moléculaires.

Score Description Risque

GFM (Groupe francophone des myélodysplasies)

2 Âge > 65 Faible : 0-4

3 Leucocytes > 15 G/l Intermédiaire : 5-7

2 Hémoglobine < 110 (H) ou 100 g/l (F) Élevé : 8-12

2 Plaquettes < 100 G/l

2 Mutation de ASXL1

CPSS (CMML-specifi c prognostic scoring system)

1 LMMC-2 dans la classifi cation OMS Faible : 0

1 Leucocytes ≥ 13 G/l Intermédiaire-1 : 1

1 Risque cytogénétique intermédiaire Intermédiaire-2 : 2-3

2 Risque cytogénétique élevé Élevé : 4-5

1 Dépendance des transfusions

• Risque cytogénétique faible : normal et –Y ; intermédiaire : autres ; élevé : trisomie 8, caryotype complexe (≥ 3 anomalies) et anomalies du chromosome 7. • Dépendance des transfusions : au moins une transfusion de globules rouges toutes les 8 semaines sur une période de 4 mois.

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Hypercytosessingulières

d o s s i e r

1. Vardiman JW, Thiele J, Arber DA et al. The 2008 revision of the World Health Organization (WHO) classifi cation of myeloid neoplasms and acute leukemia : rationale and important changes. Blood 2009;114(5):937-51. 2. Selimoglu-Buet D, Wagner-Ballon O, Saada V et al. Characteristic repartition of monocyte subsets as a diagnostic signature of chronic myelomonocytic leukemia. Blood 2015;125(23):3618-26. 3. Merlevede J, Droin N, Qin T et al. Mutation allele burden remains unchanged in chronic myelomonocytic leukemia responding to hypomethylating agents. En révision .

4. Droin N, Jacquel A, Hendra JB et al. Alpha-defensins secre-ted by dysplastic granulocytes inhibit the diff erentiation of monocytes in chronic myelomonocytic leukemia. Blood 2010;115(1):78-88. 5. Kotecha N, Flores NJ, Irish JM et al. Single-cell profi ling identifi es aberrant STAT5 activation in myeloid malignancies with specifi c clinical and biologic correlates. Cancer Cell 2008;14(4):335-43. 6 . Padron E, Painter JS, Kunigal S et al. GM-CSF-dependent pSTAT5 sensitivity is a feature with therapeutic potential in chronic mye-lomonocytic leukemia. Blood 2013;121(25):5068-77.

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R é f é r e n c e s

Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels

liens d’intérêts.

Traitement

Il n’y a pas encore de traitement consensuel de la LMMC, longtemps associée aux SMD dans les essais thérapeu-tiques. Des essais thérapeutiques dédiés sont mainte-nant réalisés, et des critères de réponse spécifi ques aux NMP/SMD viennent d’être proposés par un groupe de consensus international. Ces critères intègrent l’évo-lution histologique analysée par biopsie de moelle (12) . Lors de la prise en charge des patients, il est utile de rechercher au moindre doute, et particulièrement lors-qu’il existe une hyperéosinophilie, un réarrangement génique impliquant PDGFRB. Celle anomalie indique une probable sensibilité aux inhibiteurs de tyrosine kinase tels que l’imatinib. Chez les sujets les plus jeunes et

lorsque les conditions sont réunies, une intensifi cation thérapeutique avec greff e de cellules souches hémato-poïétiques allogéniques est le seul traitement off rant un espoir de guérison. Chez les sujets plus âgés, l’abstention est habituelle dans les formes peu prolifératives, tandis que l’hydroxy urée a longtemps été le traitement de choix dans les formes prolifératives. Lorsque la maladie est plus sévère, les agents hypométhylants 5-azacytidine (azacy-tidine) et 5-aza-2’déoxycytidine (décitabine) semblent avoir un eff et favorable (13) , mais seule l’azacytidine à la dose de 75 mg/m 2 /j par cycles de 7 jours mensuels a l’autorisation de mise sur le marché dans cette indi-cation. Une étude européenne de phase III est en cours pour déterminer si les agents déméthylants allongent signifi cativement l’espérance de vie des patients. ■

LE POINT - LES ESSENTIELSPAROLE D’EXPERTS

Orlando, 5-8 décembre 2015

D’après le congrès de l’ASHAMERICAN SOCIETY OF HEMATOLOGY

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Avec le soutien institutionnel deSous l’égide de

CoordonnateurDr Pauline Brice (Paris)

RédacteursDr Krimo Bouabdallah (Bordeaux)

Dr Luc-Matthieu Fornecker (Strasbourg)Dr David Sibon (Paris)

CoordonnateursPr Xavier Leleu (Poitiers)Pr Mohamad Mohty (Paris)

RédacteursDr Benjamin Hébraud (Toulouse)Dr Florent Malard (Paris)Dr Murielle Roussel (Toulouse)

Actualités sur le lymphome

de Hodgkin et les lymphomes T

Actualités sur le myélome

Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson - Rédacteur en chef : Pr Noël Milpied (Bordeaux)Attention : les comptes-rendus de congrès ont pour objectif de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées seront susceptibles de ne pas être validées par les autorités françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique. Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs et du directeur de la publication qui sont garants de l’objectivité de cette publication. Ce Flash-Infos est édité par Edimark SAS, 2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex - Tél. : 01 46 67 63 00 - Fax : 01 46 67 63 10

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Page 6: Leucémie myélomonocytaire chroniqueCorrespondances en Onco-Hématologie - Vol. X - n 6 - novembre-décembre 2015 223 Leucémie myélomonocytaire chronique l’ensemble des néoplasmes

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Hypercytosessingulières

d o s s i e r

8. Quivoron C, Couronné L, Della Valle V et al. TET2 inactivation results in pleiotropic hematopoietic abnormalities in mouse and is a recurrent event during human lymphomagenesis. Cancer Cell 2011;20(1):25-38.

9. Abdel-Wahab O, Gao J, Adli M et al. Deletion of Asxl1 results in myelodysplasia and severe developmental defects in vivo. J Exp Med 2013;210(12):2641-59.

10. Kim E, Ilagan JO, Liang Y et al. SRSF2 mutations contri-bute to myelodysplasia by mutant-specific effects on exon recognition. Cancer Cell 2015;27(5):617-30.

11. Itzykson R, Kosmider O, Renneville A et al. Clonal architecture of chronic myelomonocytic leukemias. Blood 2013;121(12):2186-98.

12. Savona MR, Malcovati L, Komrokji R et al. An international consortium proposal of uniform response criteria for myelodysplastic/myeloprolife-rative neoplasms (MDS/MPN) in adults. Blood 2015;125(12):1857-65.

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