Lettre Scientifique de l’ - alimentation-sante.org · ment forte pour déclencher une réponse....

8
Lettre scientifique IFN n° 144 - mai 2010 Lettre Scientifique de l’ ISSN 1629-0119 Mai 2010 - N° 144 Institut Français pour la Nutrition Alimentation et rythmes circadiens Bertrand KAEFFER UMR 1280, Phan, INRA & Université de Nantes, CHU - Hôtel-Dieu HNB1, Place Alexis Ricordeau, 44093 Nantes cedex 01 Bertrand Kaeffer est chargé de recherche au sein de l’unité Physiologie des adaptations nutritionnelles située au cœur du Centre de recherche Inra d’Angers-Nantes. Cette unité, rattachée au Département Alimentation humaine, a pour objectif général d’élu- cider les mécanismes par lesquels les nutriments produisent des effets à long terme sur les circuits neuronaux hypothalamiques impliqués dans la régulation de la prise alimentaire, d’une part, et le développement de la sphère gastrointestinale d’autre part. Conférence du 27 mai 2010 La Lettre Scientifique de l’IFN engage la seule responsabilité de son auteur. RéSUMé Cet article présente l’organisation du système des horloges circadiennes chez l’Homme (physiologie, génétique des gènes de l’horloge). Leur principale fonction serait d’adapter l’organisme aux signaux périodiques qui proviennent de l’environnement (alternance du jour et de la nuit, rythmes alimentaires ou encore sociaux) et d’entraîner de nombreux processus parmi lesquels l’alternance veille/sommeil, la régulation de la température corporelle, la régulation des fonctions neuroendocriniennes ou digestives. Les travaux de recherches sur les relations entre obésité, horloges circadiennes et développement d’un syndrome métabolique sont discutés.

Transcript of Lettre Scientifique de l’ - alimentation-sante.org · ment forte pour déclencher une réponse....

LettrescientifiqueIFNn144-mai2010

LettreScientifiquedel

ISSN1629-0119

Mai2010-N144

InstitutFranais

pour la Nutrition

Alimentationet rythmes circadiens

Bertrand KAEFFERUMR 1280, Phan, INRA & Universit de Nantes, CHU - Htel-Dieu HNB1, Place Alexis Ricordeau, 44093 Nantes cedex 01

Bertrand Kaeffer est charg de recherche au sein de lunit Physiologie des adaptations nutritionnelles situe au cur du Centre de recherche Inra dAngers-Nantes. Cette unit, rattache au Dpartement Alimentation humaine, a pour objectif gnral dlu-cider les mcanismes par lesquels les nutriments produisent des effets long terme sur les circuits neuronaux hypothalamiques impliqus dans la rgulation de la prise alimentaire, dune part, et le dveloppement de la sphre gastrointestinale dautre part.

Confrencedu27mai2010LaLettreScientifiquedelIFNengagelaseuleresponsabilitdesonauteur.

RsumCet article prsente lorganisation du systme des horloges circadiennes chez lHomme (physiologie, gntique des gnes de lhorloge). Leur principale fonction serait dadapter lorganisme aux signaux priodiques qui proviennent de lenvironnement (alternance du jour et de la nuit, rythmes alimentaires ou encore sociaux) et dentraner de nombreux processus parmi lesquels lalternance veille/sommeil, la rgulation de la temprature corporelle, la rgulation des fonctions neuroendocriniennes ou digestives. Les travaux de recherches sur les relations entre obsit, horloges circadiennes et dveloppement dun syndrome mtabolique sont discuts.

2 LettrescientifiqueIFNn144-mai2010

IntRoductIon

Lalternance du jour et de la nuit a rythm lorganisation de la vie sur Terre. Au cours de lvolution, les rythmes circadiens ont t internaliss au niveau du gnome dans un systme appel horloge circadienne (ou oscillateur circadien). Cette horloge synchronise la rythmicit circadienne de certains procaryotes (Cyanobactries) ; elle se retrouve depuis le niveau cellulaire jusqu celui de lorganisme chez la plupart des eucaryotes dans les rgnes animal et vgtal (Harmer et al., 2001 ; Bell-Petersen et al., 2005).

Chez lHomme comme chez tous les mammifres de labo-ratoire, une douzaine de gnes participent la boucle rtroactive de rgulation qui dfinit une horloge. Les com-posants molculaires de cette horloge orchestrent la vie de la cellule et intgrent les signaux priodiques de lenviron-nement (synchroniseurs) via des transducteurs sensoriels. Parmi les synchroniseurs, lalternance jour / nuit a t histo-riquement le premier tudi. Son influence sur le cycle du sommeil a des consquences profondes sur la qualit de vie et la facult de rcupration leffort. Plusieurs synchro-niseurs sont activement explors : lalimentation, lactivit physique ou les interactions sociales.

Cette courte revue de synthse prsentera plus particuli-rement lalimentation comme synchroniseur des rythmes circadiens.

1. HoRlogEs cIRcAdIEnnEs : un RsEAu molculAIRE En dE multIplEs sItEs AnAtomIquEs EntRAnABlEs pAR unE lARgE gAmmE dE syncHRonIsEuRs dE pRIodIcIt voIsInE dE 24 HEuREs

Chez les mammifres, le sige anatomique de lhorloge centrale se situe dans les noyaux suprachiasmatiques de lhypothalamus (localis la base du cerveau). Les variations circadiennes sont aussi gnres par des hor-loges dites priphriques. Elles sont situes dans dautres noyaux hypothalamiques, dautres structures crbrales et mme au niveau des organes (par exemple, la peau, le foie, lintestin ou les reins). Lactivit de toutes ces horloges priphriques est cependant sous le contrle de lhorloge centrale. Il est noter que les horloges sont endognes et fonctionnent en conditions constantes. Ainsi, mme si un individu est soumis un environnement dpourvu din-dicateurs temporels et sans changement de luminosit, ses rythmes physiologiques seront maintenus. Les stimuli environnementaux peuvent cependant influencer lhorloge centrale en ajustant sa priode la longueur du jour ou en changeant sa phase pour la synchroniser avec un nouvel environnement (Figure 1).

Un synchroniseur est un signal priodique de lenviron-nement. Pour quil puisse tre pris en compte, sa priode doit tre voisine de 24 heures et son amplitude suffisam-ment forte pour dclencher une rponse. Lenvironnement

Figure 1 : Fonctionnement du rseau doscillateurs (horloges) circadiens.Les signaux reus de lenvironnement sont relays par divers transducteurs sensoriels vers des neu-rones tels que ceux des noyaux suprachiasmatiques (Pardini & Kaeffer, 2006). Le ou les transducteurs sensoriels de lalimentation sont encore inconnus, la zone crbrale implique comme oscillateur principal pour ce synchroniseur serait le noyau hypothalamique baso-mdian (Fuller et al., 2008).

LettrescientifiqueIFNn144-mai2010 3

est particulirement riches en signaux dont la priode est voisine de 24 heures. Le tri entre tous ces synchroniseurs est ralis par un transducteur sensoriel. Pour le signal jour / nuit, le transducteur est tout simplement la rtine, plus prcisment une population de cellules rtiniennes, les cel-lules mlanopsine. La cellule mlanopsine ne reconnat que les transitions lumineuses (aube ou crpuscule). Elle transduit le signal lumineux en impulsions nerveuses signi-fiantes pour les neurones des noyaux suprachiasmatiques. Ces neurones transmettent le signal lpiphyse dont les cellules synthtisent la mlatonine pendant la nuit. Lhor-mone mlatonine est scrte dans la circulation sanguine et porte le message jour / nuit lensemble de nos cellules corporelles.

Ce schma nest pas connu pour tous les synchroniseurs. En particulier pour lalimentation, nous ignorons lorgane des sens ou la structure cellulaire qui sert de transducteur sensoriel ainsi que la zone du cerveau qui jouerait pour ce synchroniseur un rle quivalent celui des noyaux suprachiasmatiques. Des expriences dablation de cer-taines zones cervicales ou lutilisation de rongeurs mutants ou transgniques pour un gne de lhorloge circadienne ont permis daffirmer quune telle zone crbrale existait bien pour lalimentation. Des scientifiques amricains ont ainsi propos le noyau baso-mdian de lhypothalamus (Fuller et al., 2008) mais leurs travaux font encore lobjet de controverses.

Il convient de souligner que les synchroniseurs ne sont pas toujours bien compris. Aux variations lumineuses de notre environnement correspondent aussi des alternances ther-miques (chaud / froid) ou hygromtrique (humide / sec). Les consquences de cette imbrication de phnomnes environnementaux tous capables dentraner un oscillateur circadien sont parfois cruciales. Ainsi, chez les plantes, le principal synchroniseur est lalternance de priode sche et humide et non uniquement lalternance jour / nuit (Mas & Yanovsky, 2009). De mme, lespce humaine tait consi-dre comme peu sensible aux variations lumineuses (donc peu entranable sur lalternance jour / nuit suite des travaux des annes soixantes). Un r-examen rcent des donnes et des expriences complmentaire ont dmontr que lespce humaine tait au contraire extrmement sensible aux variations lumineuses. Les conditions des expriences avaient simplement satur nos transducteurs par exposi-tion une luminosit excessive (Czeisler & Gouley, 2007). Un synchroniseur est un signal cod en frquence et en amplitude dont la capacit dentranement dpend non seulement de la bande passante entre synchroniseur et horloge mais aussi de la force du couple entre synchro-niseur et transducteur. Pour tudier lalimentation en tant que synchroniseur, les exprimentateurs ont d sefforcer de distinguer la frquence de la composition des apports

alimentaires, et tenir compte de la facult danticipation de recherche de la nourriture.

La plupart des donnes molculaires ou physiologiques ont t obtenues par de nombreuses expriences ralises chez ladulte ou lanimal sexuellement mature, maintenu dans des environnements totalement contrls afin disoler tel ou tel synchroniseur. Ces observations sont confortes par des situations particulires chez ltre humain (aveugle profond par exemple) et des manipulations dablations et de greffes dorganes chez les rongeurs de laboratoire.Ainsi, chaque adulte, sil est mis en condition disolement, a une priode quasi circadienne den moyenne 24,2 heures, avec une variance observe entre les individus selon le sexe ou lge (bien que les rythmes soient trs robustes au phnomne de vieillissement). La variabilit individuelle est assez large, ainsi, une personne sur quatre aurait une priode de dure infrieure (Czeisler & Gooley, 2007).

En rsum, les horloges circadiennes auraient pour prin-cipale fonction dadapter lorganisme aux conditions externes. Elles sont indispensables pour assurer une bonne rcupration aux efforts intellectuels ou physiques, mais ne constituent quune partie des phnomnes rythmiques ncessaires la vie. Ainsi il existe un rythme annuel du quotient respiratoire dont le pic se situe en aot-septembre ; lorganisme human brle plus de sucres en fin dt et plus de graisses en hiver (Reinberg, 2003).

2. HoRlogEs cIRcAdIEnnEs : un mcAnIsmE molculAIRE EncoRE mystRIEux

Le concept dhorloge a t intgr dans la dfinition de lho-mostasie. Lhomostasie dune structure vivante est, non seulement la capacit dadapter les conditions internes aux changements progressifs ou soudains de lenvironnement, mais aussi celle danticiper la survenue des vnements qui rapparaissent priodiquement (ce qui correspond la notion dhomostasie ractive ; Moore-Ede, 1986 ; Boissin-Canguilhem, 1998). Par contre, le mcanisme de fonction-nement exact des horloges circadiennes est encore vague, en particulier le processus qui conduit une priodicit proche de 24 heures.

Au niveau molculaire, les horloges circadiennes regrou-pent trois composantes : 1) loscillateur proprement dit constitu par Clock et les autres facteurs de transcription impliqus dans la boucle de rtrocontrle ngative de lhor-loge ; 2) des voies dentre qui relient loscillateur lenviron-nement ; 3) des voies de sortie par lesquelles loscillateur contrle la rythmicit circadienne de diverses fonctions physiologiques (Figure 2).

4 LettrescientifiqueIFNn144-mai2010

Figure 2 : gnes des horloges circadiennes, dfinition et concept.

Chez les Mammifres, les lments cl du systme de lhorloge sont les protines Clock (Circadian Locomotor Output Cycles Kaput) et Bmal1 (Brain and Muscle Arnt-like Protein 1). Ces protines fonctionnent comme des facteurs de transcription en se fixant sur une squence dADN par-ticulire, la bote E, situe dans la rgion promotrice des gnes cibles de lhorloge. Parmi ceux-ci se trouvent les gnes period (Per1-3) et cryptochrome (Cry1-2). Lorsque lexpression des protines Per et Cry atteint un certain seuil dans le cytoplasme, ces deux protines sassocient et sont transfres dans le noyau o, en empchant la fixation du dimre Clock/Bmal1 sur lADN, inhibent lexpression de leurs propres gnes. Par la suite, llimination du complexe inhibiteur Per/Cry par le protosome, libre le frein sur lac-tivit transcriptomique de Clock/Bmal1. Cette boucle dau-torgulation ngative est la base de ltablissement et du maintien des rythmes biologiques chez la plupart des organismes (Figure 2). On estime que grce ce mca-nisme, lhorloge contrle lexpression cyclique au cours de la journe denviron 10 % des transcrits (Panda et al., 2002) et 20 % des protines (Reddy et al., 2006) prsents dans une cellule. La rgulation fine des horloges circadiennes se fait plusieurs niveaux qui peuvent tre imbriqus (seul le transcrit ou la protine oscille comme au niveau de lpi-thlium de lintestin grle pour certains transporteurs, soit les deux composants oscillent).

La dmonstration dexistence dun systme oscillant chez lanimal de laboratoire a ncessit des expriences dabla-tions de certaines zones du cerveau ou la slection dani-

maux mutants pour tel ou tel gne de lhorloge circadienne. Chez la souris, la mutation nulle du gne Clock entrane le dveloppement de lobsit et de lintolrance au glucose (Turek et al., 2005). De faon similaire, les souris dans les-quelles lexpression du gne Bmal1 a t abolie prsentent des altrations dans le cycle circadien de la glycmie. Des altrations du rythme circadien ont t galement dcrites dans divers modles animaux dobsit dont le rat Zucker (fa/fa) et la souris Ob/Ob.

La multitude des modles de rongeurs de laboratoire devrait permettre lexploration fine des liens entre alimen-tation et rythme circadien, nanmoins lemploi de modles animaux ne pourra pas remplacer totalement les tudes chez ltre humain.

3. lAlImEntAtIon (HoRAIREs dEs REpAs Et AppoRts nutRItIonnEls) IntERAgIt AvEc lE RsEAu dEs HoRlogEs cIRcAdIEnnEs

En chrononutrition, il se dgage un principe valable pour tout mammifre : lorsque la nourriture est abondante, lhor-loge centrale est prdominante et entrane lorganisme sur lalternance jour / nuit. Mais lorsque la nourriture est rare ou lorsquelle est disponible lors dune fentre temporelle res-treinte, beaucoup des rythmes circadiens endognes des organes lis la digestion se dcouplent des signaux en provenance de lhorloge centrale pour que la phase active de recherche de nourriture concide avec la disponibilit relle. Lheure du repas au sens strict naurait pas deffet (Reinberg, 2003) ; par contre, la frquence des repas et leur rpartition dans la journe par rapport aux efforts deman-ds lorganisme ont un effet certain, non seulement chez le rat mais aussi chez lHomme lors de jene.

Lhypothse selon laquelle lalimentation serait un synchro-niseur aussi puissant que lalternance jour / nuit repose sur de nombreuses observations ralises sur des rongeurs de laboratoire. Un des plus beaux exemples dans le domaine a t ralis avec des rats transgniques pour un des gnes principaux des horloges circadiennes, le gne period1 (Stokkan et al., 2001). Lorsque des animaux sont soumis une fentre temporelle qui leur donne accs la nourriture uniquement pendant 4 h au cours de la phase lumineuse du cycle jour / nuit, des changements dans le profil circa-dien dexpression des gnes de lhorloge ont t constats dans le foie et dautres tissus priphriques mais pas au niveau des noyaux suprachiasmatiques. Les oscillations de period1 dans les organes (foie par exemple) ne sont plus synchrones avec celles des noyaux suprachiasmatiques. Ainsi, lorsque la nourriture est abondante, lhorloge centrale

LettrescientifiqueIFNn144-mai2010 5

est prdominante et entrane lorganisme sur lalternance jour / nuit. Mais lorsque la nourriture est rare ou lorsquelle est disponible lors dune fentre temporelle restreinte (seu-lement le jour pour le rat qui mange la nuit) beaucoup des rythmes circadiens endognes des organes lis la diges-tion (le foie, par exemple) se dcouplent des signaux en provenance de lhorloge centrale pour que la phase active du mammifre permettant la recherche de nourriture cor-responde la disponibilit relle. Les rats dcalent leur jour-ne pour suivre une rythmicit correspondant la fentre daccs la nourriture.

En revanche, lorsquune restriction nutritionnelle est associ une restriction calorique, cest--dire lorsque des rats nor-maux reoivent uniquement 50-60 % de leur consommation journalire de nourriture une seule fois par jour, le rythme circadien de lhorloge centrale est galement affect comme lindiquent les avances de phase aussi bien dans lactivit locomotrice que dans la temprature corporelle et lexpression de gnes (Challet 2003 ; Mendoza et al., 2008).

La relation entre composition des apports alimentaires et rgulation circadienne est plus dbattue en raison de la multiplicit des altrations possibles. Pour ce qui est des signaux molculaires sortants qui pourraient faire le lien entre lhorloge et la rgulation du mtabolisme, des tudes du profil circadien de lexpression de gnes par des techniques danalyse du gnome haut dbit, ralises essentiellement dans le foie et le noyau suprachiasmatique de souris, ont permis didentifier plus dune centaine de gnes dont lexpression serait directement rgule par lhorloge (Panda et al., 2002). On sait que la fixation du dimre Clock/Bmal1 sur lADN, et par consquence son activit transcriptionnelle, est largement dtermine par le rapport entre la forme rduite (NAD+) et oxyde (NADH) du cofacteur Nicotinamide Adnine Di-nuclotide (NAD), ce rapport tant lui mme directement li au statut ner-gtique de la cellule. La dpendance de lactivit de Clock vis--vis des apports en nergie est certainement lorigine des altrations du cycle circadien observes chez lanimal lors des diverses manipulations nutritionnelles. En dehors des apports en nergie, lactivit du complexe Clock/Bmal1 peut tre module par des facteurs de transcription impli-qus dans la rgulation du mtabolisme. Cest le cas du facteur PGC-1alpha qui joue un rle central dans le main-tien de lhomostasie du glucose et des lipides dans de nombreux tissus. PGC-1alpha, dont lexpression augmente rapidement en rponse au jene chez le rat, est un co-activateur de la transcription qui possde la capacit de stimuler Bmal1 (Berthold, 2008).

En rsum, les horloges circadiennes se trouvent au cur du dispositif qui permettent dadapter les apports nerg-tiques aux besoins mtaboliques de lindividu.

4. RytHmEs cIRcAdIEns, consquEncEs dunE AltRAtIon suR lA sAnt

Le sommeil et lalimentation sont des besoins biologiques communs tous les Mammifres. Les troubles du sommeil ont t largement dcrits sous leur abord circadien. Le Syndrome familial de lavance de la phase de sommeil, ou les variations normales gens du matin gens du soir ont t relies diverses mutations sur period2-3, clock, casine-kinase... Les tudes en gntique de ces dernires annes ont aussi mis en vidence des variations des gnes clock correspondant un polymorphisme gntique (Soo-kvian et al., 2008) avec le dveloppement de plusieurs modles animaux qui se traduisent par des dsordres psychiatriques ou des dfaillances de la mmoire et des capacits dapprentissage.Dans le domaine mdical, le fonctionnement de lhorloge circadienne humaine dans les tissus centraux et priph-riques est activement tudi pour amliorer la rcupration et le confort des travailleurs en poste de nuit ou le person-nel naviguant soumis aux effets dimportants dcalages horaires. Ce fonctionnement est aussi trs tudi en chro-nopharmacologie pour augmenter lefficacit thrapeutique de ladministration de drogues ou de rayonnements en sui-vant la rythmicit circadienne (Lvi & Schibler, 2007).

Cependant, jusquaux travaux rcents sur le syndrome mtabolique, aucune pathologie ntait clairement relie une altration des rythmes circadiens. Le syndrome mtabolique est dfini par la coexistence dau moins trois des anomalies suivantes : obsit (surtout obsit abdo-minale), lvation des triglycrides sanguins, hypertension artrielle, faible taux de cholestrol HDL ( bon cho-lestrol), et lvation de la glycmie jeun au-dessus de 6,1 mmol/l (110 mg/dl). Bien que de multiples facteurs soient en cause dans la survenue dun syndrome mtabolique, il traduit lvidence un dsquilibre entre apports caloriques et dpenses nergtiques. Le travail en horaires dcals, la privation de sommeil, lexposition nocturne des lumires intenses ont t associs une plus grande obsit (Garau-let & Madrid, 2009). Les rsultats sur rat Zucker (fa/fa) et souris (Ob/Ob) concordent avec des donnes pidmiolo-giques et cliniques chez lhomme indiquant que le travail de nuit et des perturbations du cycle veille/sommeil aug-mentent le risque de dvelopper le syndrome mtabolique caractris par la prsence dobsit abdominale, dune hypertension, dune lvation des triglycrides sanguins, et une rsistance linsuline, avec glycmie leve et vo-lution possible vers des maladies cardiovasculaires et un diabte de type 2. Il existe donc une relation troite entre des perturbations de lhorloge et certaines manifestations pathologiques du syndrome mtabolique.Rcemment Sutton et al. (2010) ont montr que chez la souris C57BL/6J, un rgime hypoprotique appliqu seu-

6 LettrescientifiqueIFNn144-mai2010

lement durant la gestation de la mre induit des altrations des rythmes circadiens de lindividu bien avant lappari-tion de troubles lis au dveloppement dun syndrome mtabolique.Ainsi, une altration dans la rgulation circadienne de la physiologie serait un marqueur dexposition un environ-nement suboptimal durant la vie foetale. Chez ces souris, le ratio efficacit respiratoire, un indicateur dutilisation prfrentielle du gras sur le sucre, indique que les souris dnutries ont une oxydation des acides gras plus faible que les souris tmoins en dbut de la phase diurne. Ainsi, les souris dnutris feraient du gras pendant les 4 premires heures du jour - sans corrlation avec une rduction de lactivit physique.

En outre, des tudes rcentes suggrent que lvolution vers un syndrome mtabolique saccompagne daltra-tions molculaires fines du profil pigntique (Waterland & Michels, 2007). Il est connu de longue date que lacti-vit de nombreux gnes est rgule par des modifications pigntiques, cest--dire des altrations, non pas de la squence des nuclotides dans le gne, mais des modifi-cations chimiques des nuclotides au sein de la squence dADN (par exemple, mthylation de la cytidine), ou des histones qui environnent le gne (par exemple, actylation ou mthylation de lhistone H-3). Ces modifications condi-tionnent laccessibilit des gnes donc leur capacit tre soit transcrits (donc exprims), soit peu accessibles donc rduits au silence et non exprims. Ces modifications sont transmissibles aux cellules filles lors de la multiplication cellulaire.Chez ladulte, en rponse un apport nutritionnel donn, un profil pigntique se traduit par une activation des voies mtaboliques qui dpend non seulement de lorgane mais aussi du systme horloge. Le complexe rgulateur de lhorloge circadienne au niveau de la cellule somatique est constitu des dimres CLOCK:BMAL1 et NPAS2:BMAL1 qui sont en comptition pour la fixation sur lADN (Gallego & Virshup 2007). CLOCK porte une activit actyltrans-frase et fonctionne dans un complexe molculaire avec SIRT1 (dsactylase ; Asher et al., 2008 ; Nakahata et al., 2009) et les protines rgulatrices PERIOD et CRYPTO-CHROME ainsi que Casine kinase I epsilon. Cette activit actyltransfrase sur les rsidus lysine de lhistone 3 per-met aux dimres de se fixer sur le promoteur dun gne pour en activer la transcription. En outre, la fixation des dimres CLOCK:BMAL1 ou NPAS2:BMAL1 dpend du ratio NADP(H) rduit / oxyd (Rutter et al., 2001) qui est li directement lutilisation dans la voie de la glycolyse du glucose ingr. Lactylation des histones est soumise une rgulation circadienne (Alenghat et al., 2008). Par consquent, certains facteurs de transcription de lhorloge circadienne comme CLOCK sont susceptibles de modu-

ler lacquisition dun profil pigntique temporaire et din-terfrer avec lacquisition dun profil long-terme. Lavenir dira si la protine CLOCK peut servir de traceur dune empreinte nutritionnelle particulire ou de rvlateur des effets dune alimentation sur lempreinte.

pERspEctIvEs

Depuis la premire description de limportance de lali-mentation et du rythme circadien en levage par Johnson (1992), de nombreux travaux ont confirms lexistence chez toutes les cellules somatiques dun systme gnique et informationnel cohrent permettant une coordination fine du mtabolisme cellulaire et une organisation temporelle de lindividu. Ltre humain doit sadapter aux synchroniseurs environnementaux mais, de par la complexit des socits quil a cres, on peut se demander si le synchroniseur prin-cipal ne serait pas de nature sociale (Mistelberger, 2004). Cette possibilit difficile tester est en voie dexploration (par exemple, par la description dune interrelation entre le rythme circadien de la mre et de ses enfants ou en impli-quant les circuits de la rcompense et de la motivation dans les activits circadiennes des individus).

Les travaux de lUMR-1280 (Physiologie des Adaptations Nutritionnelles, INRA et Universit de Nantes) sont orien-ts sur la nutrition prinatale, plus particulirement celle de lenfant prmatur. Une partie de nos travaux explore le lien entre les horloges circadiennes et lalimentation (http://www.inra.fr/alimentation_humaine/recherches__1/le_point_sur/multimedia - au 26 mars 2010). Chez le bb terme, la naissance est un moment de rupture avec len-tranement sur les rythmes de la mre. En unit de soins intensifs, la rupture est dautant plus drastique pour lenfant quil nat sans avoir termin son dveloppement in utero, avec un poids de naissance souvent trs faible et dans un environnement de soins qui minimise les interactions avec les parents. Sur modle raton, nous avons montr lexis-tence dun effet long terme sur la physiologie circadienne de rats adultes nourris normalement depuis le sevrage mais qui avaient subi une rduction des apports en protines pendant la priode foetale et lallaitement (Orozco-Solis et al., 2010). Chez lenfant prmatur, nous avons dvelopp des outils non-invasifs dinvestigation de la physiologie digestive et dmontr lexistence dune horloge circadienne au niveau de cellules pithliales exfolies (Kaeffer & Roz, 2009 ; Kaeffer, 2010). Ces travaux devraient nous permettre dapporter quelques lments de rponses sur les rythmes circadiens chez lenfant prmatur et les interactions avec les nutriments.

LettrescientifiqueIFNn144-mai2010 7

REFEREncEs

Alenghat T, Meyers K, Mullican SE, Leitner K, Adeniji-Adele A, Avila J, Bucan M, Ahima R, Kaestner KH, Lazar MA. (2008) Nuclear receptor corepressor and histone deacetylase 3 govern circadian metabolic physiology. Nature 456: 997-1001.

Asher G, Gatfield D, Stratmann M, Reinke H, Dibner C, Kreppel F, Mostoslavsky R, Alt FW, Schibler U. (2008 SIRT1) Regulates Circadian Clock Gene Expression through PER2 Deacetylation. Cell 134, 317-328.

Bell-Pedersen D, Cassone VM, Earnest DJ, Golden SS, Hardin PE, Thomas TL, and Zoran MJ. (2005) Circadian rhythms from mul-tiple oscillators: lessons from diverse organisms. Nat Rev Genet 6: 544556. doi:10.1038/nrg1633.

Bechtold DA. (2008) Energy-responsive time keeping. J Genet 87, 447-458.

Boissin J, Canguilhem B. (1998) Les Rythmes du vivant. Origine et contrle des rythmes biologiques. Edition CNRS / Nathan, 320 p.

Challet E, Caldelas I, Graff C, Pvet P. (2003) Synchronization of the molecular clockwork by light- and food-related cues in mammals. Biol Chem 384: 711-719.

Czeisler CA, Gooley JJ. (2007) Sleep and Circadian Rhythms in Humans. Cold Spring Harbor Symposia on Quantitative Biology, Vol LXXII, 579-597.

Fuller PM, Lu J, Saper CB. (2008) Differential Rescue of Light- and Food-Entrainable Circadian Rhythms. Science 320, 1074; DOI: 10.1126/science.1153277.

Gallego M, Virshup DM. (2007) Post-translational modifications regulate the ticking of the circadian clock. Nat Rev Mol Cell Biol 8: 139-148.

Garaulet M, Madrid JA. (2009) Chronobiology, genetics and meta-bolic syndrome. Curr Opin Lipidol 20:127-134.

Harmer SL, Panda S, Kay SA. (2001) Molecular bases of circadian rhythms. Annu Rev Cell Dev Biol 17: 215-253.

Johnson B. (1992) Nutrient intake as a time signal for circadian rhythm. Journal of Nutrition 122: 1753-1759.

Kaeffer B, Roz JC. (2009) Base de donnes NeoExfolCel: Bio-marqueurs de cellules exfolies digestives de lenfant prmatur. Sigle: NeoExfolCel (NEC), 2009, IDDN.FR.001.230013.000.R.P.2009.000.10300.

Kaeffer B. (2010) Exfoliated epithelial cells: potentials to explore gastrointestinal maturation of preterm infants. Brazilian Journal of Mother and Child Health 10: 13-24.

Levi F, Schibler U. (2007) Circadian Rhythms: Mechanisms and Therapeutic Implications. Annu Rev Pharmacol Toxicol 47:593-628.

Mas P, Yanovsky MJ. (2009) Time for circadian rhythms: plants get synchronized, Curr Opin Plant Biol, doi:10.1016/j.pbi.2009.07.010.

Mendoza J, Drevet K, Pevet P, Challet E. (2008) Daily Meal Timing is Not Necessary for Resetting the Main CircadianClock by Calorie Restriction. Journal of Neuroendocrinology 20, 251-260.

Mistleberger RE, Skene DJ. (2004) Social influences on mamma-lian circadian rhythms: animal and human studies. Biol. Rev. 79: 533-556.

Moore-Ede MC. (1986) Physiology of the circadian timing sys-tem: predictive versus reactive homeostasis. Am J Physiol 250: R735-52.

Nakahata Y, Sahar S, Astarita G, Kaluzova M, Sassone-Corsi P. (2009) Circadian control of the NAD+ salvage pathway by CLOCK-SIRT1. Scienceexpress 1/10.1126/science.1170803.

Orozco-Slis R, Barbosa Matos RJ, Lopes de Souza S, Grit I, Kaeffer B, Manhes de Castro R, Bolaos-Jimnez F. Metabolic programming of the circadian clock by protein restriction during perinatal development. In press.

Panda S, Antoch M, Miller B, Su A, Schook A, Schultz P, Kay S, Takahashi J, Hogenesh J. (2002) Coordinated transcription of key pathways in the mouse by the circadian clock. Cell 109: 307-320.

Pardini L, Kaeffer B. (2006) Feeding and circadian clocks. Repro-duction Nutrition Development 5: 463-480.

Reddy AB, Karp NA, Maywood ES, Sage EA, Deery M, ONeill JS, Wong JKY, Chesham J, Odell M, Lilley KS, Kyriacou CP, Hasting MH. (2006) Circadian Orchestration of the Hepatic Proteome. Cur-rent Biology 16: 1107-1115.

Reinberg AE. (2003) Chronobiologie mdicale, Chronothrapeu-tique. Mdecine-Sciences Flammarion p 298.

Rutter J, Reick M, Wu LC, McKnight SL. (2001) Regulation of Clock and NPAS2 DNA binding by the Redox state of NAD cofactors. Science 293: 510-514.

Sookoian S, Gemma C, Gianotti TF, Burgueno A, Castano G, and Pirola CJ. (2008) Genetic variants of Clock transcription factor are associated with individual susceptibility to obesity. Am J Clin Nutr 87:1606-1615.

Stokkan KA, Yamazaki S, Tei H, Sakaki Y, Menaker M. (2001) Entrainment of the circadian clock in the liver by feeding. Science 291: 490-493.

Sutton GM, Centanni AV, and Butler AA. (2010) Protein Malnu-trition during Pregnancy in C57BL/6J Mice Results in Offspring with Altered Circadian Physiology before Obesity. Endocrinology. First published ahead of print February 16, 2010 as doi:10.1210/en.2009-1133.

Turek FW, Joshu C, Kohsaka A, Lin E, Ivanova G, McDearmon E, Laposky A, Losee-Olson S, Easton A, Jensen DR, Eckel RH, Takahashi JS, Bass J. (2005) Obesity and metabolic syndrome in circadian Clock mutant mice. Science 308: 1043-1045.

Waterland RA, Michels KB. (2007). Epigenetic epidemiology of the developmental origins hypothesis. Annu Rev Nutr 27: 363-388.

8 LettrescientifiqueIFNn144-mai2010

Institut Franais pour la Nutrition, 71 avenue Victor Hugo, 75116 PARIS

Tl. : 01 45 00 92 50, Fax : 01 40 67 17 76

[email protected]