Lettre I Tésé juillet 2015

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La lettre de l'Itésé Numéro 25 Eté 2015 10 Eclairages L’hydrogène : vecteur de la transition énergétique ? par Laurent Kalinowski Député de la Moselle, Membre de l'Office Parlementaire d'évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques L orsqu’en 2012 je me suis vu confier par l’OPECST , avec mon collègue JeanMarc Pastor, sénateur du Tarn, une étude sur les usages énergétiques de l’hydrogène, nous ne mesurions pas à quel point ce sujet pouvait coïncider avec les enjeux du débat, à l’époque tout juste annoncé, sur la transition énergétique, et ceux du projet de loi qui le suivait. Notre étude s’inscrivait dans la continuité des travaux menés au sein de l’Office parlementaire, depuis sa création en 1986, sur les questions énergétiques. Initialement, elle visait, conformément à la saisine de la commission des Affaires économiques du Sénat, à faire le point sur les progrès technologiques réalisés sur la chaîne qui va de la production de l’hydrogène à son utilisation, en passant par son transport et son stockage. Au terme d’une investigation qui nous a conduits à rencontrer, en France et à l’étranger, près de deux cents spécialistes directement impliqués dans les usages énergétiques de l’hydrogène ou, plus largement, les questions énergétiques, nous avons pu mesurer le chemin parcouru dans la dernière décennie pour lever les nombreux verrous technologiques qui avaient, jusquelà, freinés le développement de cette filière. Désormais, les technologies de l’hydrogène énergie sont sorties du laboratoire pour commencer à se substituer, sur quelques marchés de niche, aux solutions préexistantes. Mais audelà de cette question fondamentale de la viabilité de l’hydrogène en tant que vecteur énergétique, nous avons constaté que celuici était susceptible d’apporter une réponse, au moins partielle, à deux écueils majeurs de la transition énergétique à venir : la variabilité des énergies renouvelables et la persistance de notre dépendance aux énergies fossiles. En effet, comme l’avaient déjà montré les rapports de l’Office parlementaire sur l'avenir de la filière nucléaire en France et sur la transition énergétique à l'aune de l'innovation et de la décentralisation , le développement à grande échelle des énergies variables que sont l’éolien et le solaire impose de mettre en œuvre, en complément d’autres solutions, telles les « réseaux intelligents » et l’effacement, des dispositifs permettant un stockage massif de l’énergie. En effet, seuls ces derniers sont en mesure de compenser dans la durée des fluctuations importantes de la production des énergies renouvelables. Associer énergies renouvelables variables et dispositifs de stockage de l’énergie permet de réduire de façon très sensible les àcoups de sollicitation du réseau électrique, donc les besoins de mise à jour de ses infrastructures. Ces dispositifs de stockage ont bien entendu un coût, mais celuici présente l’avantage d’être quantifiable à l’avance. Dans ce domaine, nous estimons que l’hydrogène est en position de jouer, à terme, un rôle complémentaire à celui des batteries électrochimiques et des stations de pompages (STEP). Deux avis récents, l’un de sur la transition énergétique, publié le 6 janvier 2015 par l’Académie des sciences, et l’autre intitulé «Le stockage de l’énergie électrique, une dimension incontournable de la transition énergétique», adopté le 9 juin 2015 par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), rejoignent très exactement ce constat. Par rapport à d’autres technologies de stockage de l'énergie, l’intérêt de l’hydrogène est double. D’une part, il n’impose aucune contrainte en termes de localisation

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Article de Laurent Kalinowski, l'H2 vecteur de la transition énergétique. Lettre I-Tésé de juillet 2015

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  • La lettre de l'Its Numro 25 Et 201510

    Eclairages

    Lhydrogne : vecteur de la transitionnergtique ?par Laurent KalinowskiDput de la Moselle,Membre de l'Office Parlementaire d'valuation des ChoixScientifiques et Technologiques

    Lorsquen 2012 je me suis vu confier par lOPECST ,avec mon collgue JeanMarc Pastor, snateur duTarn, une tude sur les usages nergtiques delhydrogne, nous ne mesurions pas quel point ce sujetpouvait concider avec les enjeux du dbat, lpoquetout juste annonc, sur la transition nergtique, et ceuxdu projet de loi qui le suivait.Notre tude sinscrivait dans la continuit des travauxmens au sein de lOffice parlementaire, depuis sacration en 1986, sur les questions nergtiques.Initialement, elle visait, conformment la saisine de lacommission des Affaires conomiques du Snat, faire lepoint sur les progrs technologiques raliss sur la chanequi va de la production de lhydrogne son utilisation,en passant par son transport et son stockage.Au terme dune investigation qui nous a conduits rencontrer, en France et ltranger, prs de deux centsspcialistes directement impliqus dans les usagesnergtiques de lhydrogne ou, plus largement, lesquestions nergtiques, nous avons pu mesurer le cheminparcouru dans la dernire dcennie pour lever lesnombreux verrous technologiques qui avaient, jusquel,freins le dveloppement de cette filire. Dsormais, les

    technologies de lhydrogne nergie sont sorties dulaboratoire pour commencer se substituer, sur quelquesmarchs de niche, aux solutions prexistantes.Mais audel de cette question fondamentale de laviabilit de lhydrogne en tant que vecteur nergtique,nous avons constat que celuici tait susceptibledapporter une rponse, au moins partielle, deux cueilsmajeurs de la transition nergtique venir : la variabilitdes nergies renouvelables et la persistance de notredpendance aux nergies fossiles.En effet, comme lavaient dj montr les rapports delOffice parlementaire sur l'avenir de la filire nuclaire enFrance et sur la transition nergtique l'aune del'innovation et de la dcentralisation , le dveloppement grande chelle des nergies variables que sont lolien etle solaire impose de mettre en uvre, en complmentdautres solutions, telles les rseaux intelligents etleffacement, des dispositifs permettant un stockagemassif de lnergie. En effet, seuls ces derniers sont enmesure de compenser dans la dure des fluctuationsimportantes de la production des nergies renouvelables.Associer nergies renouvelables variables et dispositifs destockage de lnergie permet de rduire de faon trssensible les coups de sollicitation du rseau lectrique,donc les besoins de mise jour de ses infrastructures. Cesdispositifs de stockage ont bien entendu un cot, maisceluici prsente lavantage dtre quantifiable lavance.Dans ce domaine, nous estimons que lhydrogne est enposition de jouer, terme, un rle complmentaire celuides batteries lectrochimiques et des stations depompages (STEP). Deux avis rcents, lun de sur latransition nergtique, publi le 6 janvier 2015 parlAcadmie des sciences, et lautre intitul Le stockagede lnergie lectrique, une dimension incontournable dela transition nergtique, adopt le 9 juin 2015 par leConseil conomique, social et environnemental (CESE),rejoignent trs exactement ce constat.Par rapport dautres technologies de stockage del'nergie, lintrt de lhydrogne est double. Dune part,il nimpose aucune contrainte en termes de localisation

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    Eclairagesgographique ou de dimensionnement. Dautre part,lhydrogne nest pas quun moyen de stocker llectricitpour la restituer un peu plus tard. Il permet un usagedirect de lnergie emmagasine pour des applicationsdiversifies : comme combustible pour vhicules ou pourla micro cognration dans les btiments, pour linjectiondirecte dans le rseau gazier, dans des proportions delordre de 5 % voire de 20 % en adaptant lesinfrastructures existantes pour enrichir desbiocarburants, pour crer des carburants de synthse ouencore comme composant pour la chimie. Or, ces usagesdirects de lhydrogne correspondent des besoins ennergie qui dpassent ceux satisfaits par la productionlectrique.Cest pourquoi dans notre rapport sur Lhydrogne :vecteur de la transition nergtique nous avons propos5 orientations majeures destines crer les conditions dudveloppement d'une filire hydrogne nationaleconcurrentielle et cratrice demploi. Nosrecommandations portent sur un engagement clair duGouvernement pour fdrer et coordonner les efforts delensemble des acteurs de cette nouvelle filire, sur lasuppression des obstacles dordre rglementaire linnovation, en complment dautres mesures requisespour assurer lmergence de nouveaux marchs delhydrogne, comme celui des vhicules utilitairesdcarbons, ainsi que sur le rle essentiel des territoiresdans lessor de ce vecteur nergtique et la prise encompte la dimension europenne de celuici.Aprs la publication de notre rapport en dcembre 2013,conformment la dmarche de lOffice parlementaire,avec les autres dputs et snateurs qui en sont membres,jai continu suivre la mise en uvre de cesrecommandations. cet gard, la version initiale duprojet de loi sur la transition nergtique pour lacroissance verte, dpose lt 2014, ignorait trslargement le potentiel de lhydrogne nergie. Ainsi, dansson volet mobilit propre, elle ne sintressait quauxseuls vhicules lectriques et hybrides, en cartantl'hydrogne, tout comme les autres technologies faiblemission de CO2.Au fil des lectures successives dans les deux chambres duParlement, plusieurs des amendements que nous avonsdposs visaient obtenir une meilleure prise en comptedes atouts de lhydrogne pour la transition nergtique.Ainsi, la version du texte issue de la dernire discussionen commission lAssemble nationale prsentaitelleplusieurs avances importantes, telles que la neutralittechnologique des articles du projet portant sur larduction des missions de CO2 dans les transports, ouencore la remise par le Gouvernement, dans lannesuivant la promulgation de la loi, dun rapport portantsur le dveloppement des applications nergtiques delhydrogne.Mais il faudra attendre ladoption dfinitive de ce projetde loi la prochaine tape tant prvue au Snat, du 9 au

    17 juillet 2015, pour sa discussion en sance publique , etsans doute la publication de ses dcrets dapplication,pour mesurer le chemin parcouru et celui restant parcourir en direction dune reconnaissance dupotentiel de lhydrogne nergie dans notre pays.