Lettre d'information de l'InSHS n°29

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la l ettre de I InSHS VIE DES RESEAUX Quantilille. Ecole d’été de Lille en Méthodes Quantitatives des Sciences Sociales L’école d’été de Lille en Méthodes Quantitatives des Sciences Sociales est aujourd’hui la plus ancienne école thématique du CNRS. C’est l’une des rares formations récurrentes en Méthodes des Sciences Sociales recon- nue officiellement par l’European Consortium for Poli- tical Research […] EN DIRECT DE L'ESF La Fondation européenne de la science (ESF) célèbre son 40e anniversaire Grâce à son rôle dans la coordination de multiples actions de formulation des politiques, de programmes de mise en réseaux, de conférences de recherche, d’ateliers et d’activités prospectives, l’ESF, depuis sa création en 1974, a soutenu la science à travers un large spectre d’activités couvrant l’ensemble des dis- ciplines […] LA TRIBUNE D’HUMA-NUM Le Web sémantique pour les Sciences Humaines et Sociales Huma-Num organise, avec le soutien de l'InSHS et de la formation permanente du CNRS, une Action Natio- nale de Formation […] L’histoire des sciences pour les robots : les humanités numériques aux Archives Henri Poincaré Depuis l’apparition des moteurs de recherche, les cher- cheurs ont trouvé de nouveaux lecteurs, pas comme les autres. sites web […] Ivan le terrible ou le métier de tyran, Pierre Gonneau, Tal- landier, 2014 Premier tsar de Rus- sie, Ivan le Terrible est le personnage noir par excellence, et pourtant bien aimé, de l'histoire russe. Marié sept fois, infanticide, tyrannique et paranoïaque, il incarne néan- moins la figure paternelle du souverain, proche du peuple, imposant le respect aux ennemis de l'extérieur et châtiant les abus des puissants […] voir toutes les publications Espaces et Sociétés est une revue à co- mité de lecture en sciences humaines et sociales, inter- disciplinaire, inter- nationale et fran- cophone. Elle se propose de faire la synthèse des mul- tiples savoirs sur les rapports des socié- tés à leurs espaces. Elle s’est définie à sa naissance, en 1970, comme une « revue critique internationale de l’aménage- ment, de l’architecture et de l’urbanisation » […] voir toutes les revues LIVRE REVUE PHOTO © CNRS Photothèque - BEAUJARD Philippe À LA UNE www.cnrs.fr Mananjary (Madagascar). Fêtes de circoncision du Sambatra en octobre 1986. L’Institut des Sciences Humaines et Sociales a souhaité, depuis 2010, mettre en place une série de priorités scien- tifiques destinées à orienter ses actions et ses investisse- ments sur plusieurs années […] © CNRS / Nicole Tiget Édito de Patrice Bourdelais, Directeur de l'InSHS N° 29 l mai 2014 NOUVELLES DE L'INSTITUT La participation et le portage des projets et programmes de re- cherches financés par contrat des chercheurs CNRS de l’InSHS […] OUTILS DE LA RECHERCHE Persée. Valoriser le patrimoine scientifique au bénéfice de la re- cherche Persée est un service d’appui à la recherche dont les missions sont la valorisation numérique du patrimoine scientifique, la recherche et l’innovation en matière d’outils et de méthodes pour développer des corpus numériques, la diffusion de compétences et d’expertise dans ce domaine […] ZOOM SUR… La déconnexion volontaire aux technologies de l’information et de la communication ILe développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) a été accompagné, ces vingt dernières années, par une opinion générale- ment très positive à leur égard […]

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la lettre de i’inshs

VIE DES RESEAUXQuantilille. Ecole d’été de Lille en Méthodes Quantitatives des sciences socialesL’école d’été de Lille en Méthodes Quantitatives des sciences sociales est aujourd’hui la plus ancienne école thématique du CNRs. C’est l’une des rares formations récurrentes en Méthodes des sciences sociales recon-nue officiellement par l’European Consortium for Poli-tical Research […]

EN DIRECT DE L'ESFLa Fondation européenne de la science (EsF) célèbre son 40e anniversaireGrâce à son rôle dans la coordination de multiples actions de formulation des politiques, de programmes de mise en réseaux, de conférences de recherche, d’ateliers et d’activités prospectives, l’EsF, depuis sa création en 1974, a soutenu la science à travers un large spectre d’activités couvrant l’ensemble des dis-ciplines […]

LA TRIBUNE D’HUMA-NUMLe Web sémantique pour les sciences humaines et sociales huma-Num organise, avec le soutien de l'inshs et de la formation permanente du CNRs, une Action Natio-nale de Formation […]

L’histoire des sciences pour les robots : les humanités numériques aux Archives henri Poincaré Depuis l’apparition des moteurs de recherche, les cher-cheurs ont trouvé de nouveaux lecteurs, pas comme les autres. sites web […]

Ivan le terrible ou le métier de tyran, Pierre Gonneau, Tal-landier, 2014Premier tsar de Rus-sie, ivan le Terrible est le personnage noir par excellence, et pourtant bien aimé, de l'histoire russe. Marié sept fois, infanticide,

tyrannique et paranoïaque, il incarne néan-moins la figure paternelle du souverain, proche du peuple, imposant le respect aux ennemis de l'extérieur et châtiant les abus des puissants […]voir toutes les publications

Espaces et Sociétés est une revue à co-mité de lecture en sciences humaines et sociales, inter-disciplinaire, inter-nationale et fran-cophone. Elle se propose de faire la synthèse des mul-tiples savoirs sur les rapports des socié-tés à leurs espaces.

Elle s’est définie à sa naissance, en 1970, comme une « revue critique internationale de l’aménage-ment, de l’architecture et de l’urbanisation » […]voir toutes les revues

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Mananjary (Madagascar). Fêtes de circoncision du sambatra en octobre 1986.

L’institut des sciences humaines et sociales a souhaité, depuis 2010, mettre en place une série de priorités scien-tifiques destinées à orienter ses actions et ses investisse-

ments sur plusieurs années […]

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Éditode Patrice Bourdelais,Directeur de l'inshs

N° 29 l mai 2014

NOUVELLES DE L'INSTITUTLa participation et le portage des projets et programmes de re-cherches financés par contrat des chercheurs CNRs de l’inshs […]

OUTILS DE LA RECHERCHEPersée. Valoriser le patrimoine scientifique au bénéfice de la re-cherchePersée est un service d’appui à la recherche dont les missions sont la valorisation numérique du patrimoine scientifique, la recherche et l’innovation en matière d’outils et de méthodes pour développer des corpus numériques, la diffusion de compétences et d’expertise dans ce domaine […]

ZOOM SUR…La déconnexion volontaire aux technologies de l’information et de la communicationiLe développement des technologies de l’information et de la communication (TiC) a été accompagné, ces vingt dernières années, par une opinion générale-ment très positive à leur égard […]

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L’institut des sciences humaines et sociales a souhaité, depuis 2010, mettre en place une série de priorités scientifiques desti-nées à orienter ses actions et ses investissements sur plusieurs années. Certaines sont thématiques, comme sur la santé, le travail ou le genre, alors que d’autres sont transversales. Ces dernières s’inscrivent aujourd’hui dans des dispositifs mul-tiples qu’il n’est sans doute pas inutile de rappeler.

L’internationalisation des shs françaises constitue la première d’entre elles. La visibilité de la production dépend de celle des revues et des traductions dans la langue scientifique interna-tionale du moment, l’anglais. Nous avons ainsi accompagné dans la publication en anglais, en ligne — sans que la version papier, ou/et en ligne, en français, soit abandonnée — cinq grandes revues nationales qui étaient prêtes à adhérer à notre cahier des charges.

Un bilan des effets de ce changement a été récemment dressé. il conclut à un élargissement très net du lectorat mais aussi, et il s’agit d’un résultat aussi important à nos yeux, d’une mon-tée en qualité des revues, ainsi que d’une modification des aires géographiques d’exercice des collègues qui soumettent des articles.

En ce qui concerne les points permanents de la présence française à l’étranger, le réseau des Unités Mixtes internatio-nales et Unités Mixtes des instituts Français de Recherche à l'Etranger (que nous co-pilotons avec le Ministère des Affaires Etrangères) offre la possibilité à nos collègues enseignants-chercheurs et chercheurs d’effectuer des séjours longs grâce à la délégation au CNRs ou à l’affectation directe dans l’une de ces trente équipes qui ceinturent la planète (certes avec quelques lacunes !). Conscients des limitations de ces possibi-lités, un accompagnement financier à la mobilité de moyenne durée (4-9 mois), qui permet l’accès au terrain ou/et la col-laboration de recherche, a été mis en place pour les ensei-gnants-chercheurs et les chercheurs. Enfin, afin de favoriser la formation de jeunes docteurs dans ces unités, nous y affec-tons, chaque année, quatre contrats doctoraux, qui sont les seuls que met en place l’inshs.

Cela me conduit à la deuxième priorité transversale de l’inshs : l’investissement sur les régions du monde extérieures à l’Eu-rope, et le soutien à la construction de connaissances nou-velles sur l’ensemble des aires culturelles qui sont aujourd’hui, du fait de la globalisation, aux portes de l’Europe. Nous avons beaucoup plaidé en faveur du recrutement au CNRs de jeunes

chercheuses (eurs) qui travaillent sur l’Extrême-Orient, le Pacifique, le sud-Est asiatique, l’inde, le Proche et le Moyen Orient, l’Afrique et les Amériques. il a parfois fallu flécher ou colorier des postes au concours mais, progressivement, les communautés ont adhéré à cette priorité au point qu’au cours des deux dernières années, cinquante pour cent des nouveaux recrutés travaillent sur ces différentes « aires culturelles », avec, cependant, encore des inégalités selon les sections.

il s’agit ici d’une complémentarité voulue avec les universi-tés, d’une plus-value majeure du CNRs, qui permet que ces zones lointaines soient étudiées, dans un grand nombre de disciplines, de l’archéologie à la science politique, en passant par l’histoire, le droit, la sociologie, l’anthropologie et la géo-graphie. Le temps de recherche qu’offre le CNRs pour étudier ces terrains parfois difficiles, et son dispositif international qui ouvre des possibilités d’accueil dans de nombreuses régions du monde, sont un atout considérable pour la recherche fran-çaise.

L’inter et la pluri-disciplinarité constituent la troisième priorité scientifique transversale de l’inshs. il s’agit bien d’encoura-ger, encore et toujours, les regards croisés au sein des shs mais aussi de nouer des relations de recherche fructueuses avec les autres champs disciplinaires. Les linguistes et les spé-cialistes de sciences cognitives travaillent avec les collègues de neurosciences, partageant parfois les mêmes plateformes techniques. ils participent au progrès de la recherche dans la compréhension du fonctionnement du cerveau, des méca-nismes d’apprentissage, des usages de la langue et des mul-tiples dimensions de la communication interpersonnelle. Des sociologues travaillent sur les relations entre l’homme et les machines, aux limites des sciences cognitives et de l’ergo-nomie ; ils participent à la réflexion sur les environnements ambiants destinés à sécuriser la vie quotidienne des personnes les plus fragiles. Economistes, sociologues, géographes sont confrontés au déferlement des « big data » que les spécialistes d’informatique et des sciences de l’information ne peuvent gérer seuls et que nous ne pouvons exploiter seuls. Pour la première fois, les shs vont être confrontées à la nécessité de mobiliser des puissances de stockage et de calcul sans précé-dent. Au-delà de ces quelques exemples, les collaborations se multiplient sur les questions d’énergie, de développement du-rable, d’homme « augmenté », ce dont nous nous réjouissons.

La quatrième de nos priorités transversales est donc fort logi-quement le soutien au basculement de nos disciplines dans

Éditode Patrice BourdelaisDirecteur de l’inshs

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Retour sur les priorités scientifiques transversales de l’inshs du CNRs

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l’ère du numérique et de la formalisation, modélisation, simu-lation. Au cours des dernières années, les Très grandes infras-tructures de recherche (TGiR) ont été stabilisées, en finance-ment comme en postes. Adonis et Corpus ont été fusionnées et se retrouvent aujourd’hui dans huma-Num qui permet l’im-plantation en France du centre de l’ERiC (European Research Infrastructure Consortium) DARiAh, dispositif en charge d’une harmonisation des formats et des standards de la numérisa-tion dans nos disciplines (ce qui avait été préparé dans le cadre de Corpus et d’Adonis), afin que l’interopérabilité soit garantie. Ce sont toutes les « humanités numériques » qui ont été fortement soutenues depuis quatre ans et ce soutien sera poursuivi au cours des années prochaines par une attention particulière accordée aux Maisons des sciences de l’homme dans leur rôle d’organisatrices d’une offre transversale et mu-tualisée.

Le mouvement de formalisation, de modélisation et de simu-lation qui, au cœur du numérique, concerne aujourd’hui de nombreuses disciplines de shs, trouve un appui de notre part dans l’affectation d’ingénieurs adaptés à ces nouvelles com-pétences, dans les grosses unités mais aussi dans les Msh ainsi que dans les instituts des systèmes complexes. Qu’il s’agisse

de la musicologie, des arts ou de la littérature, bien peu de disciplines restent aujourd’hui à l’écart de ce mouvement. Le choix de l’inshs est de déployer, dans ce domaine aussi, des actions complémentaires de celles des universités.

Ces quatre priorités, qui ont marqué les dernières années de notre politique, seront aussi au cœur des actions que nous déploierons au cours des prochaines années. Plus qu’un sou-tien marqué à telle ou telle discipline qui serait moins bien développée du côté des universités, notre politique de sub-sidiarité est transversale à l’ensemble de ces disciplines, elle a l’ambition de les accompagner vers une meilleure visibilité internationale, dans un investissement plus fort sur les aires culturelles, en faveur d’une meilleure collaboration avec les autres sciences, et enfin dans la pleine utilisation des possi-bilités sans limite, ou presque, du monde numérique d’au-jourd’hui. il s’agit d’un rôle ambitieux pour le CNRs, le seul qui vaille pour un organisme national.

Patrice Bourdelais, Directeur de l'inshs

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Au nombre des transformations récentes de l’activité de re-cherche, on entend souvent commenter la croissance rapide du financement des projets sur contrat, tant pour le temps que les chercheurs consacrent à les obtenir, les administrer et les gérer, que pour les incidences que ce mode de financement pourrait avoir sur la nature des recherches menées (du fait du fléchage des appels à proposition, de la nature des collaborations à afficher, des « livrables » à produire ou encore de la multiplication des délais à respecter). Pour autant, si on peut, quoique difficilement, évaluer les sommes distribuées dans ces programmes, que ce soit par l’ANR, le Conseil européen, les régions, les Msh, les iDEX, LABEX, etc., on ne sait pas grand-chose sur ceux qui participent à ces dispositifs.

Les données présentées ici sont issues des déclarations des cher-cheurs CNRs de l’inshs dans leur dossier RiBAC 2012. Elles concernent leurs activités de l’année 2012. Elles portent sur la quasi-totalité des chercheurs statutaires shs du CNRs (97,9 %), soit 1798 chercheurs qui ont complété leur fiche RiBAC.

Elles correspondent aux déclarations des chercheurs relatives à leur participation à des programmes ou projets de recherche, ainsi qu’aux responsabilités qu’ils y exercent. Dans ces fiches, 2/3 environ des chercheurs — 1154 (soit 64 %) — ont déclaré être membres ou/et porteurs d'un programme de recherche qu’il soit international, européen, national ou encore régional. On observe qu’aucun des 610 programmes dont les chercheurs disent assu-mer la responsabilité n’est déclaré sans financement alors que le formulaire le prévoit explicitement (même si dans 59 cas, le mon-tant du financement n’est pas précisé). Quant aux participations, seuls 5 projets sur 2176 ont été déclarés « sans financement ». il semble donc que l’assimilation entre projet ou programme de recherche et financement contractuel soit (désormais) largement faite par les chercheurs. Dans ce texte, nous utiliserons donc sans vraiment les distinguer, même si nous avons bien conscience que la question mériterait d’être posée, les mots projet, programme et contrat de recherche.

Une pratique diversifiée selon les disciplinesComme toujours, la répartition par section du comité national des chercheurs responsables ou/et participant à un programme de recherche (Tableau 1) fait apparaître une grande diversité de pratiques d’une discipline à l’autre1. Les économistes (section 37) sont de loin les chercheurs les moins impliqués dans ces pro-grammes de recherche. Pour une fois, l’économie n’apparaît pas à l’avant-garde des évolutions survenues dans les shs, alors que c’est le cas lorsqu’on parle de formats ou de supports de publica-tion par exemple, ou encore de financement et durée des thèses.

NOUVELLES DE L'INSTITUTLa participation et le portage des projets et programmes de recherches financés par contrat des chercheurs CNRS de l’InSHS :Exploration des informations du formulaire RiBAC

section 31 - hommes et milieux : évolution, interactionssection 32 - Mondes anciens et médiévaux section 33 - Mondes modernes et contemporainssection 34 - sciences du langage section 35 - sciences philosophiques et philologiques, sciences de l'artsection 36 - sociologie et sciences du droitsection 37 - Economie et gestion section 38 - Anthropologie et étude comparative des sociétés contemporainessection 39 - Espaces, territoires et sociétés section 40 - Politique, pouvoir, organisation

Sections

Nombre de chercheurs

membres ou responsables de

programmes

Nombre de chercheurs total RIBAC

2012

%

31 80 97 82,5%

39 109 135 80,7%

32 160 225 71,1%

34 137 195 70,3%

40 135 196 68,9%

autres sections2 13 21 61,9%

36 117 192 60,9%

33 113 188 60,1%

35 113 202 55,9%

38 91 166 54,8%

37 86 181 47,5%

Total 1154 1798 64,2%

Tableau 1

1. La répartition par grand domaine disciplinaire, choisi par les répondants dans une liste correspondant à la classification de la Fondation européenne pour la science, ne fait que confirmer les enseignements de la répartition par section.2. Ces sections sont celles des chercheurs affectés dans une unité shs mais évalués par une section non shs. Par exemple par la section 26 « cerveau, cognition et comportement » (typologie 2012).

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NOUVELLES DE L'INSTITUT

Pour une fois, l’économie semble proche de l’anthropologie et des humanités. Mais on peut faire l’hypothèse que les recherches en économie sont financées par d’autres moyens que les cher-cheurs n’assimilent pas à des contrats de recherche. A l’inverse, l’archéologie, l’histoire ancienne, la géographie et la linguistique ont massivement adopté le financement sur contrat.

On note par ailleurs que ces différences disciplinaires perdurent quand on observe séparément le profil des porteurs de projets et de ceux qui ne font qu’y participer (Tableau 2). Comme on pouvait s’y attendre, les premiers sont nettement moins nom-breux que les seconds. suivant les disciplines, les porteurs de pro-jets représentent entre 40,7% des chercheurs de la section 39 et 10,5% de la section 37 ; de leur côté, 77,3% des membres shs de la section 313 ont déclaré participer à un ou des projet(s) encadré(s) par un contrat contre 44,2% des économistes.

Dans nos tableaux, les chercheurs porteurs de projet sont res-ponsables de programmes de recherche ou/et responsables du comité de pilotage. Les chercheurs membres participent aux programmes, à divers titres : experts, conseillers, coordinateurs, membres du comité de pilotage, etc. sans assurer la responsa-bilité du programme. Ces données font l’objet d’un recodage conséquent, les chercheurs ayant la possibilité de renseigner le formulaire RiBAC de façon relativement ouverte4.

Un cumul limitéLe cumul de la participation à des projets de recherche finan-cés par contrat reste limité. C’est particulièrement vrai pour les chercheurs qui en portent la responsabilité. si près du quart des chercheurs CNRs-shs (416 sur 1798) sont responsables d’un pro-gramme de recherche, environ 70% d’entre eux ne sont investis que dans un seul projet et 15 chercheurs en portent plus de 3 (soit moins de 4%). Le cumul est évidemment un peu plus fré-quent pour les simples membres de projets. Près de 60% des

chercheurs shs (1045 sur 1798) participent à au moins un pro-gramme de recherche pour l’année 2012. 88 % d’entre eux ne sont impliqués que dans 1, 2 ou 3 contrats et, à l’inverse, 12,5 % d’entre eux répartissent leur investissement dans au moins quatre projets (Tableau 3). Ces résultats interrogent sur la conception que les chercheurs se font de ce qu’est un « projet » ou un « pro-gramme », ce qui constitue une limite certaine à l’usage de ces données.

sections

nombre de chercheurs res-ponsables de programmes

nombre de chercheurs membres d'un pro-gramme

nombre de chercheurs total RIBAC

2012

% de chercheurs responsables de

programme

% de chercheursmembres d'un

programme

39 55 103 135 40,7% 76,3%

31 30 75 97 30,9% 77,3%

32 62 145 225 27,6% 64,4%

autres sections 5 10 21 23,8% 47,6%

40 44 121 196 22,4% 61,7%

36 43 105 192 22,4% 54,7%

33 40 103 188 21,3% 54,8%

38 28 82 166 16,9% 49,4%

35 34 98 202 16,8% 48,5%

37 19 80 181 10,5% 44,2%

Total 416 1045 1798 23,1% 58,1%

Tableau 2

3. La section 31 est une section co-pilotée par l’inshs et l’iNEE (environnement et écologie). seuls les chercheurs relevant de shs sont censés remplir le formulaire RiBAC, les autres continuant de déclarer leurs activités via la fiche CRAC, comme le reste des chercheurs du CNRs. Ceci explique l’effec-tif assez faible, comparativement, des chercheurs de la section 31 pris en compte dans cette présentation. Rappelons que le formulaire RiBAC a été conçu pour mieux prendre en compte les activités des chercheurs shs dont les publications ne sont pas, ou très mal, répertoriées par les grandes bases bibliographiques internationales. L’autre section co-pilotée par l’inshs est la section 26 (cognition).4. Au fil des années, le Comité scientifique et technique de RiBAC, chargé par ailleurs du contrôle de l’accès aux données, fait évoluer le formulaire pour faciliter l’usage du questionnaire et améliorer la qualité des données.

nombre de projets

nombre de chercheurs porteurs

nombre de chercheurs membres

1 287 471

2 87 289

3 27 154

4 11 66

5 1 34

6 2 13

7 1 8

8 0 5

9 0 2

10 0 2

19 0 1

Nombre total de chercheurs

416 1045

Tableau 3

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Profil des porteurs et des membres de projets il serait plus exact de parler du profil des porteuses de projets puisque les femmes sont plus nombreuses à prendre la respon-sabilité des contrats de recherche : c’est le cas de 27,2% d’entre elles contre 19,8% des hommes. Leur engagement est égale-ment plus soutenu quand il s’agit de simple participation : 62,8% contre 54,3% (Tableau 4). Rappelons que les femmes représen-tent 45% des chercheurs de shs.

La répartition par âge (Tableau 5) montre que ce sont les cher-cheurs les plus jeunes qui sont le plus investis dans les pro-grammes de recherche soit comme responsables soit comme membres. sans doute observe t-on notamment ici l’effet de la socialisation des plus jeunes qui ont fait l’expérience des contrats de recherche au cours de leurs années de post-doctorants.

nombre de chercheurs

responsables de

programmes

nombre de chercheurs

membres d'un programme

chercheurs totaux

% des chercheurs responsables

% de chercheurs membres

Femmes 221 510 812 27,2% 62,8%

hommes 195 535 986 19,8% 54,3%

Total général 416 1045 1798 23,1% 58,1%

Tableau 4

Tableau 5

âgenombre de chercheurs

responsables

nombre de chercheurs membres

nombre total de

chercheurs

% de chercheurs responsables

% de chercheurs membres

28-34 31 81 123 25,2% 65,9%

35-39 87 168 266 32,7% 63,2%

40-44 102 198 317 32,2% 62,5%

45-49 65 134 228 28,5% 58,8%

50-54 44 120 205 21,5% 58,5%

55-59 43 139 255 16,9% 54,5%

60-64 43 192 374 11,5% 51,3%

>64 1 13 30 3,3% 43,3%

Tableau 6

Grades

nombre de chercheurs

membres d'un programme

nombre de chercheurs

responsables de projets

nombre de chercheurs total RIBAC

2012

% de chercheurs membres

% de chercheurs responsables

CR2 - Chargé de recherche de 2ème classe titulaire

113 52 164 68,9% 31,7%

CR1 - Chargé de recherche de 1ère classe titulaire

506 207 885 57,2% 23,4%

DR2 - Directeur de recherche de 2ème classe titulaire

306 114 523 58,5% 21,8%

DR1 - Directeur de recherche de 1ère classe titulaire

94 33 172 54,7% 19,2%

DRCE - Directeur de recherche de classe exceptionnelle

9 2 22 40,9% 9,1%

Autre (CDi, Directeur Etude, émérite)

1 1 4 25,0% 25,0%

MC - Maître de conférences des universités classe normale

16 7 28 57,1% 25,0%

Total général 1045 416 1798 58,1% 23,1%

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mai 2014 | la lettre de i’inshs

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Cet investissement différencié recoupe celui qu’on observe en termes de statut. Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, prendre en charge un contrat de recherche n’est pas l’apanage des chercheurs les plus gradés, bien au contraire : l’investisse-ment des CR2 dans le portage comme dans la participation à des contrats de recherche est particulièrement fort. Mieux, la répartition des chercheurs porteurs de programmes de recherche est inversement proportionnelle à leurs grades (Tableau 6) : les CR2 et les CR1, ainsi d’ailleurs que les rares MDC5 qui remplissent le questionnaire RiBAC, sont les plus impliqués, du moins tant qu’on raisonne sur ces contrats comme une totalité. La jeunesse dans la carrière n’est pas un handicap pour créer ou se faire ac-cepter dans un partenariat, ce qui tendrait à valider l’idée que le financement de la recherche par appel à projet a bien des effets stimulants en début de carrière. Reste à savoir si cette sur-partici-pation des chargés de recherche aux formes nouvelles d’organi-sation de la recherche correspond à des engagements volontaires et bénéfiques en termes de recherche et de publication, ou si elle est le fruit des pressions de leurs collègues dans les laboratoires, ou encore de leur anticipation quant à ce qui leur sera demandé au moment de candidater à une promotion.

Nature des projetsLes membres et porteurs de projets diffèrent en âge, sexe, grade et discipline. Mais les projets eux-mêmes sont très diversifiés. Le nombre de membres d’un programme s’échelonne de 1 à 450 selon les projets. Les financements, eux, varient de 320 euros à 10 millions d’euros environ (à l’exception d’un projet exception-nel pesant 65 millions d’euros) ; la moyenne sur 604 projets est d’environ 540 000 euros même si certains peuvent monter bien au-delà (10 millions d’euros). Les montants obtenus pour les pro-jets européens et les investissement d’avenir sont nettement plus conséquents que les autres, les projets ANR représentant une catégorie intermédiaire (jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros) entre ces très gros contrats et des financements plus mo-destes distribués par le CNRs, les Msh ou les Universités (Tableau 7). ici encore, on note que la notion de « projet » devrait être analysée de plus près. Les moyennes présentées sont purement arithmétiques. Les financements CNRs sont principalement les PEPs (Programme Exploratoire Premiers soutiens), les PiCs (Projet international de Coopération scientifique), les LiA (Laboratoire international Associé) et les GDR (Groupement de Recherche) et GDRi (Groupement de Recherche international).

De fait, les financements par appel à projets sont d’origines plus diverses que ne le laisse à penser la visibilité de l’ANR — qui de fait finançait, jusqu’en 2012, mais on sait que cette situation est amenée à évoluer à très court terme, le plus grand nombre de projets en shs — et des programmes européens. La typologie construite à partir des déclarations des chercheurs est présentée dans le tableau 8.

5. RiBAC est un formulaire réservé aux chercheurs CNRs. Les Maitres de conférences qui le remplissent sont principalement des MDC accueillis sur chaires.6. On a catégorisé le financement comme provenant du laboratoire quand le chercheur l’a déclaré comme tel. Dans deux cas de portage de projet, celui-ci est déclaré sans financement, et cinq fois dans le cas d’une participation.

Typologie des projets

Moyenne financement par

programme (en euros)

ANR 334 411

CNRs 18 185

Divers international 113 904

Divers national 54 295

Europe 2 230 585

Fondation 118 053

investissement d'avenir 2 920 576

Laboratoire6 10 740

Ministère 65 178

Mission Archéologique 181 250

Msh 42 046

Privé 30 000

Région 145 399

Université 39 591

Tableau 7

Typologie des projetsnombre de

responsablesnombre de membres

ANR 182 537

Divers national 81 335

Ministère 58 143

Europe 54 202

CNRs 51 112

investissement d'avenir 46 131

Région 44 89

Divers international 27 333

Fondation 24 31

Université 16 44

Laboratoire 12 97

Msh 11 25

Mission archéologique 9 59

Privé 1 58

Total 616 2196

Tableau 8

Page 8: Lettre d'information de l'InSHS n°29

la lettre de i’inshs | mai 2014

8

Une façon d’organiser cette diversité est de distinguer ces pro-jets en fonction de la proximité du financeur. si les financements internationaux, européens et régionaux sont loin d’être négli-geables, il reste que les financements nationaux, dont l’ANR, oc-

cupent une place essentielle dans le financement de la recherche par appel à projets puisqu’ils constituent plus de la moitié de l’origine des projets en cours (Tableau 9).

Tableau 9

Financement

chercheurs membres : nombre de

projets

% des finan-cements des projets des chercheurs membres

chercheurs responsables :

nombre de projets

% des finan-cements des projets des chercheurs porteurs

international 582 25,7% 127 20,8%

Europe 214 9,4% 54 8,9%

National 1173 51,8% 365 59,8%

Laboratoire 95 4,2% 11 1,8%

Régional 112 4,9% 52 8,5%

Privé 89 3,9% 1 0,2%

Total 2265 610

si on raisonne de nouveau par chercheur et non plus par projet, le degré d’internationalisation de la recherche encadrée par ce type de financement apparaît sensiblement plus fort. Parmi les 1045 chercheurs membres de projets financés par contrat, 568 (soit 54 %) participent à des projets internationaux (financement Europe ou international) ; et parmi les 416 chercheurs respon-sables de programmes, 153 (soit 37 % des chercheurs) sont por-teurs d’un projet à financement international.

Lorsqu’on observe ce qui distingue les porteurs et les membres de projets en fonction de l’origine géographique de leur finan-cement, peu de choses nouvelles apparaissent : la répartition disciplinaire varie peu, que les projets soient financés par des programmes internationaux ou nationaux ; les femmes restent

plus investies dans le portage comme dans la participation à ces projets (Tableau 10). A une nuance près : le surinvestissement des chercheurs les moins gradés dans la participation et le portage des projets se révèle concentré sur les programmes nationaux (Tableau 11). Pour ce qui est des financements européens et in-ternationaux, même si l’écart reste mince, la part des chercheurs porteurs de projet augmente régulièrement avec le grade (de 7 à 10% en passant des CR2 aux DR1) tandis qu’elle décroît régu-lièrement (de 26 à 13%) pour les financements nationaux – les DRCE s’investissant globalement peu dans ce type de responsabi-lités. Notons pour finir que près de 12% des porteurs de projets sont responsables à la fois d’un projet international et d’un projet national (47 chercheurs sur 416).

Tableau 10

Nombre de

chercheurs

RIBAC 2012

Nombre de

chercheurs

membres de

projets interna-

tionaux

Nombre de

chercheurs

membres de

projets natio-

naux

Nombre

chercheurs

responsables

projets inter-

nationaux

Nombre de

chercheurs

responsables de

projets natio-

naux

% des

chercheurs

membres pro-

jets internatio-

naux

% des cher-

cheurs membres

de projets

nationaux

% des

chercheurs

responsables de

projets interna-

tionaux

% de

chercheurs

responsables

de projets

nationaux

Femme 812 274 370 80 164 33,7% 45,6% 9,9% 20,2%

homme 986 294 360 73 146 29,8% 36,5% 7,4% 14,8%

Total

général1798 568 730 153 310 31,6% 40,6% 8,5% 17,2%

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mai 2014 | la lettre de i’inshs

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Conclusion : une question à creuserCe premier survol des données RiBAC concernant la participation et le portage de projets pose évidemment de nombreuses ques-tions, tant sur la nature des données collectées — qu’est-ce que les collègues entendent vraiment par un « projet » ou un « pro-gramme » de recherche ? — que sur les raisons qui les poussent à y participer. Pour autant, cela permet d’avoir une première idée de l’ampleur, réelle, du phénomène : deux-tiers des collè-gues sont de fait investis dans des projets financés sur contrat et l’ANR a bien pris une place importante dans leurs activités. ses transformations récentes vont donc avoir des conséquences éga-lement fortes sur la recherche en shs. La place que les jeunes, les femmes et les chargés de recherche occupent dans ce dispositif est également à prendre en considération : est-ce leur socialisa-tion, leurs attentes en terme d’évaluation, la pression de leurs pairs ou une certaine façon de faire de la recherche qui est au motif de leur investissement ?

Etant donné le caractère relativement récent du formulaire RiBAC, les données ne permettent pas de faire ce qui aurait sans doute été le plus intéressant : voir si la pratique du financement de la recherche sur appel à projets est aussi nouvelle qu’on le pense — du fait de la création et de la visibilité rapidement acquise par l’ANR — et comment elle s’est implantée dans les différentes communautés de shs. Mais RiBAC devrait permettre d’observer, dans l’avenir, les conséquences sur l’activité des chercheurs, des nouveaux changements qui se profilent en matière d’appels à projets, tant pour ce qui concerne la diminution de l’intervention de l’ANR, la transformation de la programmation européenne ou l’émergence des idex et des Labex7.

Michèle Dassa et Sophie Duchesne

contact&infou Michèle Dassa, inshs

[email protected]

Tableau 11

Grade

Nombre de

chercheurs

total RIBAC

2012

Nombre de

chercheurs

membres de

projets inter-

nationaux

Nombre de

chercheurs

membres de

projets natio-

naux

Nombre de

chercheurs

responsables

de projets

internatio-

naux

Nombre de

chercheurs

responsables

de projets

nationaux

% de

chercheurs

membres de

projets inter-

nationaux

% de

chercheurs

membres de

projets natio-

naux

% de

chercheurs

responsables

de projets

internationaux

% de

chercheurs

responsables

de projets

nationaux

CR2 - Chargé de

recherche de 2ème

classe titulaire

164 46 83 12 43 28,0% 50,6% 7,3% 26,2%

CR1 - Chargé de

recherche de 1ère

classe titulaire

885 280 356 71 158 31,6% 40,2% 8,0% 17,9%

DR2 - Directeur de

recherche de 2ème

classe titulaire

523 178 203 50 78 34,0% 38,8% 9,6% 14,9%

DR1 - Directeur de

recherche de 1ère

classe titulaire

172 54 69 18 23 31,4% 40,1% 10,5% 13,4%

DRCE - Directeur de

recherche de classe

exceptionnelle

22 4 7 1 1 18,2% 31,8% 4,5% 4,5%

MC - Maître de

conférences des

universités classe

normale ou autre

32 6 12 0 7 18,8% 37,5% 0,0% 25,0%

Total 1798 568 730 153 310 31,6% 40,6% 8,5% 17,2%

7. Nous remercions Marie-Odile Goulet-Cazé et Cécile Michel pour leur relecture attentive de ce texte et leurs nombreuses suggestions d’amélio-ration ainsi que sylvie Lacaille pour la mise en conformité des données.

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la lettre de i’inshs | mai 2014

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Persée est un service d’appui à la recherche dont les missions sont la valorisation numérique du patrimoine scientifique, la recherche et l’innovation en matière d’outils et de méthodes pour déve-lopper des corpus numériques, la diffusion de compétences et d’expertise dans ce domaine. initié par le Ministère de l’enseigne-ment supérieur et de la recherche et nouvellement constitué en Unité Mixte de services (UMs 3602), Persée réalise le programme du même nom dédié aux revues en sciences humaines et sociales. Dans la continuité du travail réalisé depuis plusieurs années, la période actuelle ouvre de nouvelles perspectives irriguées par

quatre idées-forces :

u le patrimoine scientifique défini comme objet et comme outil de la recherche ; u le choix d’une numérisation intelligente qui associe respect du document original et enrichissement documentaire ; u les chercheurs identifiés comme public cible avec des besoins documentaires spécifiques ; u l’ouverture et le partage pensés comme instruments de visibi-lité et de circulation scientifique.

Le portail Persée, une bibliothèque numé-rique « pour et avec les chercheurs »En janvier 2015, nous fêterons le 10ème anniversaire de l’ouver-ture du portail Persée. Tout a commencé avec sept revues1 qua-lifiées de « pionnières » ce qui souligne l’aventure entreprise sur des terrains encore peu explorés en France et la prise de risque portée par l’ambition d’ouvrir de nouvelles voies. L’enjeu était tout à la fois scientifique, politique et technologique.

u scientifique car il s’agissait de rendre accessible sur un site web dédié des collections complètes de revues scientifiques en sciences humaines et sociales et de valoriser ce patrimoine.

u Politique car le projet devait favoriser la visibilité de la recherche francophone au sein de l’offre scientifique internationale et le libre accès de la communauté scientifique à l’information qu’elle produit et qui est indispensable pour la poursuite de ses travaux.

u Technologique enfin car l’objectif était d’assurer l’indexation des revues au niveau de l’article et de déployer des outils de navi-gation et de recherche équivalents à ceux proposés par les por-tails d’édition électronique. Pour les éditeurs scientifiques, le pari était également élevé dans la mesure où ils acceptaient le prin-cipe d’un portail fédérateur proposant un bouquet de revues et une diffusion en libre accès des métadonnées et du texte intégral sans aucune restriction.

Avec le recul, il faut rendre hommage à cette vision et surtout aux personnes qui l’ont défendue. Le portail Persée est devenu l’une des principales bibliothèques numériques pour les shs fran-cophones. son périmètre s’est élargi aux publications en série, aux actes de colloques et aux livres. Actuellement, Persée pro-pose un accès à plus de 490 000 documents en texte intégral et en libre accès. L’ensemble des sciences humaines et sociales est représenté ainsi que la diversité des acteurs de l’édition scienti-fique2. Cette bibliothèque s’enrichit constamment de nouveaux

OUTILS DE LA RECHERCHE

1. Les Annales, Bibliothèque de l’école des Chartes, L’Homme, Matériaux pour l’histoire de notre temps, Revue de l’art, Revue économique, Revue française de science politique.2. Editeurs scientifiques publics, éditeurs privés, sociétés savantes.

PerséeValoriser le patrimoine scientifique au bénéfice de la recherche

Giraux Louis. Gravures coloriées sur dents de morse des Esquimaux de l'Alaska. in: Journal de la Société des Américanistes. Tome 18, 1926. pp. 90-102.

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titres et de nouveaux documents : chaque année, environ 50 000 nouveaux documents sont mis en ligne, en moyenne 500 000 pages sont traitées par l’UMs Persée et 45 000 pages par la Bi-bliothèque des shs Descartes CNRs (UMs 3036, CNRs / Univer-sité Paris Descartes) qui est partenaire de Persée et qui participe à l’enrichissement du portail Persée depuis 2008.

Les collections qui intègrent le portail Persée font l’objet d’une sélection selon des critères scientifiques et documentaires. A titre d’exemple, les revues doivent avoir une politique éditoriale clai-rement identifiée, s’adresser à un public de chercheurs et publier des travaux de recherche originaux. Les revues de vulgarisation ne relèvent pas du périmètre de Persée. Les articles font l’objet d’une évaluation par les pairs avec l’intervention d’experts exté-rieurs au comité de rédaction. Par ailleurs, les revues sont dotées d’instances (comité scientifique, comité de rédaction) qui sont

responsables du bon fonctionnement de la publication au niveau scientifique et éditorial (organisation de la sélection des articles, choix des experts, parution régulière, etc.). Enfin, la notoriété des revues est évaluée par leur disponibilité dans les bibliothèques (sUDOC), l’indexation dans des bases bibliographiques nationales et internationales et le signalement dans les listes AEREs, ERih, scopus, Wos, etc. Dans la mesure où la démarche de Persée est patrimoniale, des critères matériels et juridiques complètent les critères précédents. L’éditeur actuel doit notamment disposer des droits sur l’intégralité de la publication et d’une collection com-plète à numériser.

Les statistiques de consultation témoignent de l’intérêt porté à cette ressource documentaire. En 2013, on a dénombré près de 32 millions de consultations du portail Persée et 4,2 millions de do-cuments PDF ont été téléchargés. En moyenne, une consultation sur 8 aboutit au téléchargement d’un document. La qualité des contenus diffusés, l’exigence qualitative, le choix de l’open access et la compréhension de l’enjeu de la visibilité sur le web sont des éléments clefs pour appréhender les raisons de ce succès. il faut souligner le positionnement original de Persée qui diffuse des col-lections patrimoniales (le plus ancien document diffusé date de 1840) et propose des outils riches de recherche, de navigation et de réappropriation. Dans la stratégie mise en œuvre, la libre diffu-sion constitue un fondement sur lequel se déploient des services à haute valeur ajoutée. Recherche en texte intégral, restitution de l’organisation éditoriale et de la logique des documents, export des métadonnées, récupération de format détachable, rebonds entre documents sont autant de possibilités qui permettent aux chercheurs d’exploiter des fonds patrimoniaux grâce à des outils habituellement utilisés pour les documents nativement électro-niques. En complément, Persée met en œuvre une politique de référencement très active afin d’accroître la visibilité des contenus au niveau national et international. L’analyse des provenances des visites montre l’impact de cette action : en 2013, 48% des visites provenaient d’autres pays que la France.

sélectionner des contenus, numériser, structurer et enrichir les documents, s’assurer de leur qualité, les diffuser et les rendre visibles sur le web mais aussi s’engager dans la préservation des métadonnées et des documents numériques constituent le cœur de métier de Persée. Le Centre informatique National de l'en-seignement supérieur (CiNEs) assure – sur la plateforme PAC – l’archivage à long terme des contenus numérisés et documentés par Persée. Actuellement, l’ensemble de ces données archivées représente une volumétrie de 14 Téraoctets.

Portail Persée - Disciplines

anthropologie, archéologie, arts, démographie, droit, économie, études classiques, études des grandes aires culturelles, études régionales, géographie, histoire, histoire des sciences et des tech-niques, linguistique, littérature, philosophie, psychologie, religion et théologie, sciences de l’éducation, science politique, science de l’information et de la communication, sociologie

Laning A., Emperaire José. Découvertes de peintures rupestres sur les hauts plateaux du Parana. in: Journal de la Société des Américanistes. Tome 45, 1956. pp. 165-178.

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Mutualiser les compétences et les ressources Quelles perspectives pour l’avenir ? Une réflexion stratégique por-tée par l’ensemble des partenaires de Persée a visé à capitaliser sur l’expertise et l’expérience acquises et à préparer ce que serait Persée à l’horizon 2020. Cette réflexion s’inscrit dans un contexte évolutif où le numérique interroge la démarche scientifique, les savoir-faire des professionnels de l’isT, et dessine une nouvelle approche du patrimoine. Le concept de patrimoine longtemps peu considéré dans le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche est désormais abordé favorablement notamment sous l’influence du numérique et de ses potentialités pour la for-mation et la recherche. La numérisation apparaît non seulement comme un moyen de faciliter l’accès aux résultats de la recherche française mais aussi de donner de la visibilité à la richesse docu-mentaire des établissements et des organismes et de favoriser l’émergence de nouvelles pratiques de recherche.

Dans son rapport 2011, la commission « Bibliothèques numé-riques » établissait avec pertinence une distinction entre les pro-jets de numérisation patrimoniale et les projets de numérisation s’inscrivant dans une logique de recherche. Ces derniers réu-nissent deux caractéristiques : les contenus sont particulièrement pertinents pour les chercheurs qui participent à leur sélection et les outils d’exploitation sont conçus en fonction de leurs besoins spécifiques. il s’agit là d’une numérisation à valeur ajoutée telle

qu’elle a été éprouvée dans le programme Persée et telle qu’elle est sollicitée par BsN5 dans les appels à projets lancés en 2013 et en 20143.

Comme cela a été indiqué précédemment, Persée est une Unité Mixte de services. Depuis 2013, elle réunit le CNRs, l’Université de Lyon et l’ENs de Lyon et bénéficie du soutien du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette organisation institutionnelle conforte Persée dans son rôle d’opérateur natio-nal et inscrit durablement son action dans une politique de site. Par ailleurs, elle ouvre des possibilités très fructueuses d’interdis-ciplinarité. En effet, les tutelles représentent un spectre très large de disciplines (il faut noter que Persée est rattaché à la Direction de l’information scientifique et Technique du CNRs) et encou-ragent fortement les perspectives disciplinaires croisées. Dans ce nouveau contexte, Persée — jusqu’à présent centré sur les revues en shs — est amené à s’ouvrir. L’accent n’est plus seulement mis sur un champ disciplinaire donné (les shs) et sur une type de do-cuments (les revues) : Persée s’ouvre à l’ensemble des disciplines et s’engage dans la construction d’un dialogue élargi entre patri-moine, recherche actuelle et recherche un peu plus ancienne.

L’ambition est double : d’une part, faire prospérer le programme historique Persée en poursuivant l’enrichissement de son contenu et en développant de nouvelles fonctionnalités dans une logique

3. BsN5, extrait de l’appel à projets 2014 : « Les projets visent à constituer, enrichir et valoriser sous forme numérique des ensembles structurés de documents. (…) Les projets doivent montrer l’impact de la mise à disposition de corpus numérisés au niveau national voire international ainsi que les potentialités en termes d’usages pour les communautés scientifiques visées.

Gaggadis-Robin Vassiliki. Jason et Médée sur les sarcophages d'époque impériale. Rome : École Française de Rome, 1994, 264 p. (Publications de l'École française de Rome, 191)

Malavialle L. La carte de l'inde d'après Pomponius Méla. in: Annales de Géographie. 1900, t. 9, n°45. pp. 251-257.

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d’amélioration permanente du service rendu aux chercheurs ; d’autre part, accompagner la constitution de corpus numériques composés de documents scientifiques publiés, de littérature grise et de documents iconographiques. L’ampleur de la demande est avérée sans pour autant que les chercheurs et les bibliothèques mobilisés par ces enjeux disposent de ressources et de compé-tences pour mettre en œuvre et faire vivre dans la durée leurs projets de numérisation, de diffusion et de valorisation du patri-moine scientifique. Persée envisage de proposer une plate forme intégrée et complète permettant de gérer l’ensemble du cycle de vie du corpus documentaire numérique, de sa construction à sa sauvegarde en passant par sa documentation et sa diffusion. La structuration et l’enrichissement documentaire sont au cœur du processus et constituent une valeur ajoutée majeure. Le modèle retenu est celui de la mutualisation et de la répartition et non celui de la centralisation, antagoniste par essence avec les usages actuels du web. Des sites de diffusion spécifiques préservent l’au-tonomie de chaque projet et leur visibilité institutionnelle (des thématiques particulières peuvent également être mises en valeur comme l’éducation ou les sites de fouilles archéologiques, etc.) alors qu’un système d’information (si) partagé et commun est co-construit par Persée et l’ensemble des porteurs de projet. La valeur de ce si résiderait non seulement dans l’agrégation pro-gressive de contenus mais surtout dans le maillage de données et de métadonnées tissé.

Une telle solution intermédiaire permet la production à une échelle industrielle de corpus numériques, elle garantit la visibi-lité, la pérennité et l’interopérabilité ainsi que la diversité des réa-lisations qui est source de richesse. Elle s’inscrit par ailleurs dans une logique de complémentarité des métiers de la recherche : les chercheurs s’attachent à la sélection et l’exploitation des corpus ; les professionnels de l’isT au signalement et à la structuration des contenus ; les ingénieurs informaticiens à la conception et au développement d’applications génériques et mutualisables.

Un comité scientifique aura pour responsabilité de sélectionner les projets en se fondant sur un ensemble de critères de nature

scientifique, stratégique et juridique. Les collections de docu-ments ou les corpus devront notamment présenter deux carac-téristiques essentielles. D’une part, ils devront être structurant pour un site, à l’échelle nationale ou pour une communauté de chercheurs ; d’autre part, ils devront être disponibles en open access sans restriction a priori avec le souhait d’encourager les réutilisations des éléments constituant la collection ou le corpus.

Le paysage de la numérisation dans l’enseignement supérieur et la recherche est foisonnant et caractérisé par la multiplicité des initiatives, des acteurs et des sources de financements. Persée est depuis son lancement un acteur de cet environnement. Les développements actuels sont pensés dans une logique de com-plémentarité, respectueux des périmètres d’ores et déjà couverts et attentifs à une articulation avec les principaux acteurs de l’isT.

Portail Persée - Chiffres clefs

u nombre de collections de revues, de publications en série et de livres en ligne (avril 2014) : 157u nombre total de documents en ligne (avril 2014) : 494 341u nombre de consultations du portail Persée en 2013 : 31 982 016u nombre total de documents téléchargés en 2013 : 4 189 823u volumétrie de données archivées au CiNEs en 2013 : 2To

contact&infou Nathalie Fargier, Persé[email protected]

u Pour en savoir plus www.persee.fr

secteur actuel de l'ancien port

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ZOOM SUR...La déconnexion volontaire aux technologies de l’information et de la communication

Le développement des technologies de l’information et de la communication (TiC) a été accompagné, ces vingt dernières an-nées, par une opinion généralement très positive à leur égard. En dehors du secteur économique et professionnel, où elles sont de-venues les outils indispensables du raccourcissement des délais, de coordination des actions et de généralisation de la simultanéi-té dans un environnement de chrono compétitivité généralisée, les TiC ont rencontré un immense succès dans le grand public. Elles sont en effet synonymes d’immédiateté, de connaissances à portée de clics, de sécurité, d’ouverture et d’évasion. Mais au fur et à mesure que la connexion devient de plus en plus per-manente dans le quotidien de chacun, ces mêmes technologies s’avèrent aussi porteuses d’informations non désirées, d’appels intempestifs, de surcharge de travail, de confusion entre urgence et importance, de nouvelles addictions et de contrôles non auto-risés, la sécurité des uns se faisant aux dépens de la surveillance des autres.

C’est face à ces effets non désirés que de nouvelles conduites de déconnexion apparaissent. Les TiC étant le vecteur par lequel la surinformation, l’urgence ou la surveillance transitent, l’espoir d’échapper aux unes en mettant au moins provisoirement les autres de côté se développe. La presse s’en fait régulièrement écho et plusieurs ouvrages relatant des expériences de décon-nexions ont été des succès de librairie. Mais qu’en est-il vraiment de ces conduites, quelle est leur importance, quelles en sont les formes et qu’est-ce qu’elles nous disent de nos sociétés dites de communication ? C’est pour répondre à ces questions qu’une recherche intitulée DEVOTiC (déconnexion volontaire aux TiC) a été menée pendant quatre ans. Coordonnée par Francis Jaurégui-berry1 et financée par l’ANR, elle a réuni une vingtaine de cher-cheurs appartenant à cinq laboratoires de recherche2.

Méthodologie et terrains d’interventionLa difficulté de cette recherche tenait en ce que les conduites de déconnexion sont très récentes... parce que les technologies de communication prises en compte le sont elles-mêmes (la géné-ralisation des téléphones portables date de moins de 15 ans, les smartphones sont apparus en 2007 et l’usage des tablettes s’est étendu... pendant notre recherche). Une sociologie très interve-nante, au plus près du terrain, a donc été employée pour capter ce qui est en train d’apparaître et de se mettre en place. De plus, comme dans tout phénomène émergeant, il existe potentielle-ment de grosses différences entre les représentations dont ces conduites sont l’objet et leur effectivité. C’est pourquoi la mé-thodologie adoptée a été à la fois quantitative (trois enquêtes à grande échelle dont une longitudinale) et qualitative (entretiens

approfondis, focus groups, technique des incidents critiques, observation participante, captures d’écrans). Les populations plus particulièrement concernées ont été les cadres, les chefs d’entre-prise, les directeurs de ressources humaines, les universitaires, les étudiants et les voyageurs3.

La déconnexion comme fuiteLes cas de déconnexion les plus spectaculaires et qui ont don-né lieu aux témoignages les plus diffusés sont aussi les plus extrêmes. ils relèvent tous d’une tentative d’échapper à une sorte d’overdose de connexion. il s’agit de conduites de fuite, de crise, de ras-le-bol dans des situations de sur-sollicitations, de trop-plein informationnel, de débordement cognitif, de harcèle-ment ou de surveillance dans lequel l’individu se sent dépassé ou soumis. Dans les cas extrêmes de burn out, le rejet des TiC fait partie intégrante d’attitudes de défenses ultimes qui permettent

1. Francis Jauréguiberry est sociologue, professeur à l’Université de Pau et directeur du laboratoire société Environnement Territoire au CNRs (sET - UMR 5603).2. il s’agit des laboratoires société, Environnement, Territoire (sET, UMR 5603, CNRs / Université de Pau et des Pays de l'Adour), Laboratoire interdis-ciplinaire, solidarités, sociétés, Territoires, (LissT, UMR 5193, CNRs / Université Toulouse2-Le Mirail / EhEss), Médiation, information, Communica-tion, Art (MiCA, EA 4426, Université de Bordeaux 3), Laboratoire de Changement social (LCs, EA 2375, Université Paris Diderot Paris 7) et GRiCO Groupe de Recherche interdisciplinaire en Communication Organisationnelle (GRiCO, Université d’Ottawa).3. Avoir une présentation détaillée de ces terrains

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à l’individu de survivre quand il ne peut plus lutter. Ces cas sont heureusement rares et relèvent moins d’une déconnexion volon-taire cherchant à maîtriser des flux communicationnels que d’une déconnexion mécanique visant à ne pas se laisser emporter par un mouvement incontrôlable. À l’image d’un disjoncteur qui saute lorsque l’intensité électrique devient trop importante, la déconnexion est ici purement réactive. Les témoignages des per-sonnes ayant traversé un épisode de burn out montrent tous que la déconnexion n’est pas volontaire mais automatique, au même titre que l’arrêt immédiat du travail.

Les burn out sont souvent présentés comme des formes d’effon-drement de soi sous le poids de surcharges de travail ou sous la pression de sur-sollicitations. Mais les cas cliniques montrent qu’ils relèvent surtout de l’accumulation du sentiment de ne pas pouvoir y faire face ou de l’absence de raisons d’y faire face. « Ne pas pouvoir y faire face » signifie manquer de temps, de res-sources cognitives, de capital culturel, d’énergie pour traiter un nombre d’e-mails ou de sMs manifestement trop grand pour être raisonnablement gérés, ou pour répondre à un nombre d’appels téléphoniques trop fréquents pour ne pas être perturbants, ou encore pour entretenir de façon satisfaisante ses réseaux sociaux sur internet, c’est-à-dire sans avoir constamment l’impression d’être en retard. « L’absence de raison de le faire » signifie qu’à force d’être sollicité pour des choses urgentes et importantes de-vant être traitées toute affaire cessante mais se révélant ensuite insignifiantes, à force de subir l’injonction paradoxale de s’inves-tir pleinement et durablement dans des projets dans un monde dominé par la flexibilité et l’adaptation, les raisons de croire s’érodent et celles d’espérer disparaissent. C’est dans cet état dépressionnaire que les burn out apparaissent. Les TiC ne les pro-voquent pas mais leur usage inconsidéré, c’est-à-dire constant, à flux tendu et sans aucune prise de recul, oui.

La déconnexion volontaireLes conduites de déconnexion volontaires que nous avons ob-servées se situent toutes en deçà de telles réactions extrêmes. Elles visent précisément à éviter de rentrer dans la zone rouge du burn out et de subir des situations de surcharge information-nelle insupportables. Les déconnexions volontaires apparaissent à partir du moment où le désir de déconnexion va au-delà d’une plainte ou d’une fatigue (« Je suis débordé », « Je n’en peux plus », « Je croule sous les e-mails ») et se traduit par des actions, des conduites et des tactiques effectives. il s’agit par exemple de mettre sur off son téléphone portable dans certaines circons-tances ou plages horaires, de déconnecter son logiciel de courrier électronique en choisissant de ne l’interroger que de façon spo-radique, d’accepter de ne pas être constamment branché sur ses réseaux sociaux ou de refuser d’être géolocalisable où que l’on soit. Dans tous les cas, la décision apparaît après une prise de conscience, soit par accumulation (la situation n’est plus tenable, il faut faire quelque chose), soit par un incident critique (un évé-nement qui décale d’un coup son point de vue).

La déconnexion n’est jamais définitive mais toujours ponctuelle, partielle et située dans des contextes où « trop » est trop, où « encore » ne fait plus sens et où « plus » devient insupportable... il ne s’agit pas de renoncer aux TiC mais d’essayer d’en maîtriser l’usage en instaurant des coupures, des sas temporels, des mises à distance. Une forme de déconnexion, très souvent évoquée, consiste à mettre son téléphone portable sur silencieux (et, sou-lignent certains, de le laisser dans son sac de façon à ne pas voir l’écran s’allumer lorsqu’il y a un appel entrant), une autre à laisser

son ordinateur portable au bureau. sortir pour faire ses courses, prendre un café ou faire son jogging sans portable sont autant de façons de se déconnecter, tout comme décider de ne pas rele-ver ses e-mails le temps d’un week-end. il s’agit là de « petites déconnexions », non spectaculaires et dont on ne parle pas dans les médias mais qui constituent l’essentiel, pour ne pas dire la quasi-totalité, des déconnexions.

La lecture des retranscriptions des dizaines d’heures d’entretiens menés auprès de ceux qui se déconnectent permet de dégager toute l’importance que ceux-ci accordent au thème du temps dans leur motivation à se déconnecter. Les TiC sont de fantas-tiques outils de gestion du temps. Elles permettent en effet de mieux coordonner nos actions, rendent nos emplois du temps beaucoup plus agiles et précis. Le fait de pouvoir être immédiate-ment informé d’aléas de dernière minute, des horaires des trans-ports en commun, de rendez-vous déplacés, etc. est synonyme de gain de temps, d’économie d’énergie et souvent soldeur de stress. Pour s’en tenir au smartphone, il devient un agenda intel-ligent : taper une heure ou une date dans un e-mail y renvoie automatiquement, évitant ainsi oublis ou recherches fastidieuses. Pour peu que l’on soit sur un Cloud, l’information circule sur l’en-semble des terminaux que l’on utilise. Au total, les TiC devraient donc permettre de gagner du temps. Pourtant, c’est exactement de l’inverse dont se plaignent ceux qui se déconnectent !

Car, en ne cessant de « pousser » vers eux des informations et sollicitations non attendues, les TiC obligent leurs utilisateurs à les traiter. Cette obligation peut être imposée : par sa hiérarchie, son conjoint ou ses amis. L’obligation est professionnelle, statutaire ou relationnelle. Les TiC ne créent pas ces liens de dépendance mais les densifient au point de les rendre parfois trop lourds à porter. Ainsi les e-mails et sMs trop pressants d’un supérieur ou d’un collègue, les appels trop fréquents d’un conjoint ou d’une mère inquiète, ou encore les notifications trop nombreuses de ses réseaux sociaux produisent à la longue une usure, une fatigue, une érosion qui se traduisent par des moments d’exaspération, des sautes d’humeur, un sentiment de trop-plein ou de déborde-ment. C’est dans ce cadre-là qu’un temps déconnecté en vient à être pensé. Un « temps à soi » dans lequel l’individu peut retrou-ver ses propres rythmes, le sens de la durée et de l’attente, de la réflexion et de l’attention.

Déconnexions professionnellesProfessionnellement, il y a des emplois pour lesquels la décon-nexion n’est tout simplement pas possible pendant les heures de travail. Tous les emplois liés à la veille commerciale (appels de clients potentiels), aux renseignements et réservations, ou à des fonctions d’intervention rapide répondent par exemple de cette obligation. Mais les TiC ont en l’espace de quelques années été le vecteur par lequel une surcharge informationnelle s’est ajoutée à des emplois qui, normalement, demandent une certaine concen-tration, nécessitent une continuité d’exécution et n’impliquent en rien une connexion continue. La mise en demeure de rendre compte quasiment au fil de l’eau de la progression de son travail, les contrôles multiples en cours même d’exécutions des tâches et le culte de l’information tous azimuts dans l’entreprise perturbent et souvent déstabilisent au point qu’un nouvel enjeu est apparu : le droit à la déconnexion. De timides expériences commencent à aller dans ce sens, par exemple Volkswagen qui en Allemagne interdit tout e-mail professionnel après 18 h et les week-ends ou, tout derniè-rement en France, l’accord de branche concernant les sociétés d’in-génierie et de conseil spécifiant une « obligation de déconnexion ».

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il semble qu’après une vingtaine d’années d’injonction à « com-muniquer plus » et de pression à être constamment connecté, soit venu le temps d’une réflexion sur ce qui paraît soutenable en termes de capacités psychologiques et souhaitable d’un point de vue social et organisationnel. C’est au demeurant davantage ce second point (danger de contre-performance) que le premier (risques psychosociaux) qui a motivé les premières études mana-gériales sur la déconnexion. Les cas de dysfonctionnement com-mençant à très sérieusement inquiéter quant à leur coût, les di-rections en sont venues à se poser la question de la déconnexion pour des raisons de stricte performance managériale. Leurs pré-occupations rejoignent en cela les conclusions des études menées en sciences de la gestion autour de la notion de surcharge infor-mationnelle (information overload). La surcharge information-nelle et cognitive est envisagée comme ayant un impact sur la rationalité des décisions organisationnelles et la stratégie globale des entreprises dont il s’agit de mesurer les aspects négatifs.

Mais pour l’instant, et c’est ce que tous nos terrains en milieux professionnels ont montré, chacun improvise comme il peut des usages professionnels soutenables des TiC impliquant des mo-ments de déconnexion… Or tous les employés et cadres ne sont pas égaux dans leur latitude et leur capacité à mettre ces pra-tiques en œuvre. si l’on voulait forcer le trait, on pourrait écrire qu’il y a, d’un côté, ceux qui ont le pouvoir de se déconnecter, et donc d’imposer aux autres leur (relative si répondeur) inaccessibi-lité et, de l’autre, ceux qui ne l’ont pas ; d’un côté, ceux qui ont le pouvoir d’imposer aux autres une disponibilité d’écoute per-manente et de l’autre, ceux qui doivent se plier à cette volonté ; d’un côté donc, ceux qui ont le pouvoir de se déconnecter et, de l’autre, ceux qui ont le devoir de rester connecté. Les nouveaux pauvres des télécommunications ne sont plus ceux qui n’ont pas accès à la connexion, mais ceux qui vivent désormais dans l’obligation de répondre immédiatement et qui ne peuvent pas échapper à la situation de vivre dans une sorte d’interpellation continue. Tandis que les nouveaux riches des télécommunications sont ceux qui ont la possibilité de filtrer et donc d’instaurer de la distance vis-à-vis de cette même interpellation.

Bien entendu, ce ne sont pas les TiC qui créent de toutes pièces cette inégalité. Celle-ci dérive de la hiérarchie, des rapports de force, des statuts et, en définitive, des types de pouvoir déjà existants au sein des entreprises, organisations ou réseaux. La question n’est donc pas de considérer les technologies de com-munication comme producteurs sui generis de nouvelles formes d’exploitation, mais de savoir si la simultanéité télécommunica-tionnelle qu’elles autorisent tend plutôt à renforcer les inégali-tés existantes (sous la forme du couple contrôle/dépendance) ou au contraire à les émousser (en permettant d’expérimenter de nouvelles formes d’organisation dans le sens d’une plus grande autonomie et responsabilité de chacun).

Déconnexions privéesC’est sur ce point que les terrains menés pour le projet DEVOTiC nous ont le plus surpris. Enquêtant sur des pratiques de décon-nexion, nous ne pensions pas recueillir des considérations aussi graves et profondes. La déconnexion ne renvoie rien moins qu’au sens de la vie, aux questions existentielles et à la force des en-gagements. Nous ne nous attendions pas du tout à l’irruption de ces thèmes, en tout cas pas avec une telle force et avec une telle constance. Bien sûr, ils n’apparaissent pas d’entrée dans les témoignages. Ce qui est d’abord massivement décrit comme ali-mentant les pratiques de déconnexion, c’est (pour reprendre le

vocabulaire employé par nos interviewés) la volonté de « souf-fler », de « prendre du recul », de « faire le vide », de « se mettre à l’écart du tumulte » et même « d’arrêter d’être sonné ». Ce qui est recherché s’inscrit alors dans la même logique de distancia-tion, de mise à l’écart provisoire, de repos et de silence que l’on peut observer sur le plan professionnel.

Lorsqu’elle n’est pas commandée par ces attitudes de défense ou de recul face à trop d’interpellations ou de sollicitations non dési-rées, la déconnexion est toujours présentée comme le fruit d’un choix. La déconnexion est alors volontaire et proactive. La décon-nexion est dans ce cas souvent expliquée par la défense d’un temps à soi dans un contexte de mise en synchronie généralisée, par la préservation de ses propres rythmes dans un monde pous-sant à l’accélération, par le droit de ne pas être dérangé dans un environnent télécommunicationnel intrusif, et à la volonté d’être tout à ce que l’on fait dans un entourage portant au zapping et à la dispersion. L’attente, l’isolement et le silence, longtemps combattus, car synonymes de pauvreté, d’enfermement ou de solitude, réapparaissent dans ce cadre non plus comme quelque chose de subi mais de choisi.

Ces déconnexions peuvent être très éphémères et sont la plu-part du temps partielles et situées (choisir de ne pas relever ses e-mails mais laisser son téléphone ouvert, mettre sur silencieux mais regarder de temps en temps qui a appelé, enclencher son service de géolocalisation pour trouver une adresse mais l’enlever aussitôt après). il semble que nos contemporains fassent en la matière preuve d’un savoir-faire de plus en plus original au fur et à mesure où les TiC se complexifient. Chacun puise dans son ex-périence quotidienne pour instaurer des formes de déconnexion adaptées aux situations rencontrées. Toutes relèvent d’une éco-nomie de l’attention et mobilisent à la fois un ensemble de règles quasi techniques (connaissance des potentialités de son smart-phone et de ses applications), un art de l’évaluation (en termes stratégiques ou de bienséance) et une capacité d’action (choix). il s’agit d’articuler différents types d’engagements sous la forme soit de successions (connexion-déconnexion) soit de modulation (déconnexion e-mails mais pas téléphone, ou déconnexion totale sauf trois numéros entrants, ou filtre visuel, etc.), tout devenant une question de choix et de priorité.

La déconnexion comme épreuve de soiLorsque la déconnexion n’est pas vécue comme un simple mou-vement de repli face à trop d’interpellations, comme une pause ou un instant de repos, et lorsqu’elle n’est pas non plus prin-cipalement motivée par la volonté d’être « tout à ce que l’on fait » ou « tout à son interlocuteur » ou encore « tout au spec-tacle auquel on assiste », alors elle est décrite comme une « cou-pure », une « prise de distance », une « retraite », visant à « se retrouver », à « faire le point ». Elle ouvre un moment ou une période de dialogue de soi à soi, de réflexivité, Cette expérience de l’intériorité n’est jamais simple. Elle se pose en tension avec les logiques de reconnaissance et de gain qui motivent la connexion. Lors des déconnexions de ce type, il n’y a en effet plus d’e-mails, plus d’appels ou plus de réseaux sociaux pour attester de son existence aux yeux des autres, plus de tweets ou d’internet pour informer de la marche de ce monde ! il n’y a plus de stimula-tions extérieures, plus de notifications, plus de distractions et d’occupations immédiates. il n’y a plus rien en dehors des seules empreintes que tout cela a laissé sur soi et qu’il s’agit justement d’ordonner afin de leur donner du sens. Le choix, de l’aveu même de nos interviewés, est toujours délicat et difficile à faire. il s’agit

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en effet et en particulier de renoncer, même si ce n’est que pour cinq minutes, à tout ce qui, potentiellement, pourrait parvenir à eux, précisément par ces canaux qu’ils décident de momentané-ment couper.

Ce à quoi il leur est difficile de renoncer est exactement la même chose que ce qui les pousse à interroger de façon frénétique leur boîte e-mail, leur répondeur ou leurs réseaux sociaux. À cet endroit, beaucoup évoquent des conduites d’addiction et le voca-bulaire même employé par nos interviewés pour s’y référer (« je suis accro », « c’est une véritable dépendance », « je ne peux pas m’en passer ») peut porter à le penser. Mais il y a dans la plupart des cas contresens en la matière. il s’agit bien plutôt de curio-sité et d’un énorme désir d’advenance. Une attente diffuse mais constante de se laisser surprendre par de l’inédit et de l’imprévu, par un appel ou un sMs qui va changer le cours de sa journée ou de sa soirée en la densifiant ou en la diversifiant, et en rendant, finalement, sa vie plus intéressante et plus intense. Ce n’est donc pas un phénomène d’addiction qui rend la déconnexion difficile, mais bien plutôt la peur de rater quelque chose. Les Américains ont créé un acronyme pour désigner cette crainte : FOMO (Fear Of Missing Out).

Le résultat d’une telle déconnexion peut alors se révéler saisis-sant : à partir du moment où l’état de connexion quasi perma-nent devient la normalité du quotidien (à tel point que ne pas répondre immédiatement à son téléphone relève désormais de la justification), la déconnexion (si celle-ci se prolonge au-delà de quelques heures) représente une telle rupture qu’elle fait presque automatiquement émerger des questions de fond. Le contraste est tel que l’ennui n’y a souvent plus sa place : la confrontation brutale avec le sens de sa vie occupe tout l’espace. Alors le silence interpelle, la distance questionne et le passé resurgit. La recherche d’une cohérence et d’une continuité de soi, ce travail incessant d’une signifiance intime auquel la modernité a condamné les hommes en leur donnant la conscience de leur autonomie dans

un monde changeant, se pose dans toute son acuité.

il n’y a pas de raison d’opposer mécaniquement connexion à déconnexion : il semble même que l’une n’aille pas sans l’autre. Ou plus exactement la connexion maîtrisée (ou en tout cas sa re-cherche) implique des formes de déconnexion, de la même façon que la déconnexion n’a de sens que parce que, le reste du temps, il y a connexion. Les extrêmes se réunissant, une connexion non maîtrisée peut conduire à une dissolution de soi dans une hyper-connexion déstructurante ou à une déconnexion implosive (burn out). La Boétie décrivait la servitude volontaire comme la part de ce que l’on délègue de notre liberté pour pouvoir vivre dans un monde praticable par le plus grand nombre. ici, la déconnexion volontaire renvoie à ce à quoi l’on accepte de renoncer en sécu-rité, en informations ou en distractions pour pouvoir préserver un quant-à-soi, un espace privé, un anonymat, une distance réflexive dans lesquels l’individu peut se penser comme sujet. si, rapporté aux TiC, l’acteur est celui qui communique dans les réseaux, le su-jet est celui qui donne un sens à cette communication. Mais pour cela, il doit être capable de se déconnecter de temps en temps. Et c’est en cela que le va-et-vient entre connexion et déconnexion est un parfait indicateur de l’hypermodernité et de l’incertitude qu’elle ne cesse de produire.

contact&infou Francis Jauréguiberry,

[email protected]

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VIE DES RÉSEAUX

Ecole d’été de Lille en Méthodes Quantitatives des Sciences Sociales

initialement créée par Frédéric Bon à Grenoble, elle a été reprise par Annie Laurent, directeur de recherche CNRs au Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et sociales2

(CERAPs). son organisation à sciences Po Lille et sa pérennité ont ainsi été assurées pendant près de 20 ans. Depuis 2008, l'orga-nisation de Quantilille est assumée par une nouvelle équipe. En 28 ans, elle a accueilli près de 1 000 stagiaires, à raison d’une quarantaine par an, qui suivent l’un des deux modules proposés lors de chaque session annuelle.

Elle se donne un triple objectif :u Permettre à des chercheurs, enseignants-chercheurs et futurs chercheurs d’approfondir leurs connaissances en matière de don-nées quantitatives, en les formant aux techniques traditionnelles ou en les initiant aux méthodologies les plus avancées, le plus souvent anglo-saxonnes – et ce dans une optique pluridiscipli-naire et internationale. u Resituer ces techniques quantitatives dans leur environnement scientifique national et international afin de permettre aux sta-giaires une insertion plus aisée dans des réseaux, notamment européens et/ou pluridisciplinaires. u Favoriser les échanges scientifiques entre participants fran-çais et étrangers et entre participants et intervenants, en vue de contribuer à la constitution ou au renforcement de réseaux scien-tifiques dans la communauté française et internationale.

Certains modules reviennent régulièrement et sont relativement génériques : analyses multivariées, analyses des correspondances, modèles loglinéaires, méthodes de régression, méthodes de modélisation… D’autres sont centrés sur certaines techniques plus spécifiques : Lisrel, analyse multi-niveaux, QCA. D’autres se veulent plus épistémologiques (mesurer et analyser les attitudes et les opinions), d’autres encore plus méthodologiques (conduite d’enquêtes quantitatives, méthodes d’enquêtes par question-naires, données manquantes et sans-réponses, comparaison des données d’enquêtes, typologies et classifications). Les derniers, fi-nalement, se veulent plus rattachés à certains types de matériaux ou de questionnements et techniques (analyse statistique des données textuelles, introduction à l’analyse des réseaux sociaux, traitement quantitatif des données biographiques ; séquences, carrières, trajectoires ; analyse quantitative des données de l’internet…). Ajoutons, enfin, que certains modules s’adressent

à des stagiaires qui n’ont qu’une faible connaissance des tech-niques quantitatives, tandis que d’autres s’adressent à un public déjà plus confirmé.

De cette expérience de longue durée, on peut tirer un ensemble d’enseignements quant à la place des méthodes quantitatives dans les sciences sociales francophones actuelles, aux conditions de leur apprentissage et à la variété des usages de ce type de formation.

Des méthodes quantitatives pas si marginaliséesLors du Congrès de l’Association Française de science Politique de Toulouse en 2007, la table ronde « Réflexion sur les méthodes en science politique des deux côtés de l’Atlantique » s’ouvrait sur une présentation intitulée « Le croisement des approches quali-tatives et quantitatives ». D’après les interventions, on pouvait déduire que croiser les approches qualitatives et quantitatives revenait à croiser les méthodes utilisées des deux côtés de l’At-lantique, comme si, côté français, n’existaient que les méthodes qualitatives et, côté états-unien, que les méthodes quantitatives. On pourrait du reste objectiver assez facilement cette opposition en comparant l’usage des méthodes quantitatives dans les revues les plus centrales dans la science politique française et dans la science politique états-unienne.

L’école d’été de Lille en Méthodes Quantitatives des Sciences Sociales est aujourd’hui la plus ancienne école thématique du CNRS. C’est l’une des rares formations récurrentes en Méthodes des Sciences Sociales reconnue officiellement par l’European Consortium for Political Research. Il s’agit également de la seule de ces formations qui soit francophone et l’une de celles qui s’efforcent de rassembler doctorants et chercheurs confirmés, sur une base à la fois disciplinaire et pluridisciplinaire1.

Quantilille en faits

u 28 années d’existence

u 1 000 stagiaires, sur les quatre dernières années, plus de 17 disciplines et 26 pays représentés parmi les stagiaires

u Une quarantaine de stagiaires par an

u Une demande 4 fois supérieure à l’offre

u Reconnue par l’European Consortium for Political Research

u Un caractère pluridisciplinaire et international affirmé

1. Par exemple, la session de juillet 2013 a reçu près de 120 candidatures pour 40 places. Elles émanaient de doctorants en début de thèse comme de chercheurs ou enseignants-chercheurs confirmés, relevant de 13 nationalités et d’au moins 17 disciplines différentes. sur la période 2010-2013, au-delà même des nationalités des candidats, on a compté des représentants de 26 pays parmi les participants.2. Centre d'Etudes et de Recherches Administratives, Politiques et sociales (CERAPs), UMR8026, CNRs/Université de Lille 2.

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Toutefois, l’expérience de Quantilille nous enseigne que cette opposition doit être nuancée. En témoigne l’importance de la demande adressée à cette formation : 120 candidatures en moyenne depuis 2008. Un autre exemple est le nombre de can-didats au CNRs section 40 qui, de manière au moins marginale, recourent à des analyses quantitatives dans leur travail doctoral ou leur projet. L’internationalisation des recherches, des réseaux et des publications, comme le poids croissant de la recherche contractuelle qui incite aux travaux quantitatifs, rendent en effet nécessaire l’appropriation des méthodes quantitatives par tout chercheur, jeune ou moins jeune.

Pour autant, les cursus universitaires, notamment dans certaines sciences sociales, ne laissent qu’une place réduite à ces méthodes.L’une des principales difficultés d’une formation telle que Quanti-lille est précisément de répondre à ce besoin, en faisant cohabiter des stagiaires qui ont déjà une certaine compétence en matière de travaux quantitatifs, et d’autres qui n’y ont pas eu recours depuis des périodes parfois très longues.

De l’art d’enseigner les méthodes quantita-tives à des populations hétérogènessi l’on compare une école d’été à des formations proposées en premier cycle universitaire ou dans un iEP, on doit insister sur trois grandes différences.

La première tient à l’hétérogénéité des publics : non seulement en termes de niveaux en méthodes quantitatives, mais aussi d’âge, de niveaux d’expérience et, en l’occurrence, de disciplines et d’objets de recherche.

La deuxième tient à l’articulation presque directe entre les besoins des stagiaires et leurs recherches en cours. Le projet de recherche qui justifie la demande de participation à l’école d’été est en effet un des éléments importants dans la sélection.

La troisième tient au fait que les stagiaires ne viennent pas cher-cher un « diplôme » à l’école d’été (bien que le fait de l’avoir suivie devienne un élément non négligeable dans un curriculum vitae). ils viennent chercher un savoir-faire et, pour participer à cette école, ils s’investissent en termes de temps (une semaine au mois de juillet à Lille) et d’argent (même si les organisateurs font tout pour rendre la formation aussi peu coûteuse que possible3).

Ces caractéristiques influent bien sûr directement sur les ma-nières d’enseigner les méthodes dans ce cadre spécifique. Elles supposent notamment de trouver un savant équilibre – toujours fragile et toujours différent en fonction des thématiques choisies – entre diverses modalités.

Équilibre entre disciplinarité, multidisciplinarité et interdisciplinaritéL’une des ambitions de cette formation est de faire circuler les méthodes entre les disciplines, tant au niveau des intervenants que des participants. Cette pratique n’est pas sans vertu, mais elle suppose que chacun fasse l’effort de s’approprier les méthodes présentées à partir d’autres terrains disciplinaires et de les trans-

poser à son propre terrain. Le fait de demander aux participants de venir avec leurs données et de proposer des sessions consa-crées à leur étude est un instrument pour faciliter ces processus d’appropriation. Les échanges avant, pendant et après les ses-sions entre stagiaires, intervenants et organisateurs en sont un autre.

Équilibre entre vocabulaire spécifique à l’univers statis-tique et vocabulaire des sciences socialesLes sessions organisées ces dernières années ont notamment montré la difficulté de la rencontre entre certains intervenants is-sus des milieux les plus habitués à l’univers statistique, et certains stagiaires qui raisonnent essentiellement à partir de leurs objets et de leurs questions. D’où la nécessité d’un travail de traduction qui permette de conserver la technicité du langage statistique tout en illustrant suffisamment le propos, pour que les stagiaires puissent y retrouver des réalités proches de leur terrain d’enquête – quand la « valeur moyenne de l’ordonnée à l’origine » devient la « note moyenne qu’obtient un élève d’origine sociale modeste ». Ce tra-vail de traduction est souvent le fait de l’intervenant lui-même ou d’une intervention à deux têtes, l’une plus statistique et l’autre plus « sciences sociales ». il peut être lié à la présence d’un des organisateurs qui contribue à la traduction si nécessaire. il peut aussi être facilité par le recours à la littérature4. il repose enfin le plus souvent sur l’émulation au sein de la communauté des stagiaires.

Équilibre entre la nécessité de présenter les bases et celle de présenter les derniers développementsLà encore, il s’agit de s’adapter à l’hétérogénéité du public. Les sessions sont conçues de la sorte : rappel des bases, augmenta-tion progressive du niveau de difficulté et dernier jour consacré à une synthèse. Lorsqu’on choisit de ne pas sélectionner les sta-giaires sur la base de compétences antérieures, la gageure est de ne pas ennuyer les uns, sans perdre les autres. En réalité, les évaluations tendent à montrer que la variété des intervenants et des interventions permet à chacun d’en tirer des profits et ensei-gnements spécifiques. Aussi, il n’est pas rare que ce ne soit pas les mêmes interventions qui retiennent l’attention des uns et des autres. De surcroît, cette hétérogénéité conduit les plus avancés à assister ceux qui le sont moins et à développer des compétences pédagogiques utiles à leur retour dans leurs laboratoires respec-tifs pour diffuser les méthodes apprises lors de la formation. il y a toutefois aussi quelques cas — très rares, jusque-là, heureuse-ment — d’abandons, faute d’un niveau suffisant, ou de stagiaires déçus de ne pas avoir tiré assez avantage d’enseignements qui s’avéraient déjà maîtrisés.

Équilibre entre souci d’opérationnalité et souci de réflexivité, entre épistémologie, méthodologie et pratique opérationnelleLe rêve de beaucoup de stagiaires serait de revenir à leur labo-ratoire avec une méthode « clés en mains » pour traiter leurs données d’enquêtes, de leur production jusqu’à leur analyse. Malheureusement (ou heureusement), la science, quantitative comme qualitative, ne fonctionne pas ainsi. Dès lors, un des dif-ficiles arbitrages que suppose l’organisation de chaque module concerne le temps relatif accordé à la théorie par rapport à la

3. C’est l’occasion de remercier les différentes institutions qui permettent la pérennité de cette formation depuis 28 ans, à savoir, selon les périodes, le CNRs, l’European Consortium for Political Research (ECPR), l’Université Lille 2, science Po Lille, le Collège Doctoral Européen, le Conseil régional du Nord-Pas de Calais, l’Association française de science politique (AFsP) et le CERAPs.4.Depuis quelques années, l’école s’est dotée d’une bibliothèque, de sorte que les stagiaires peuvent emprunter des livres spécialisés le temps de la formation. De plus, chacun(e) dispose d’une clé UsB sur laquelle il (elle) retrouve notamment l’essentiel des ressources bibliographiques. L’usage d’un outil collaboratif a été testé pour la première fois en 2013 sous la forme d’un pad ou éditeur de texte en ligne.

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pratique. il est à cet égard significatif que le module biographique proposé en 2009 et 2010 se voyait reproché de ne pas être as-sez pratique, tandis que certains estimaient que le module de 2011 était trop dans les savoir-faire au détriment de questions plus épistémologiques. En tout cas, depuis sa création, l’un des principes de l’école a toujours été de ne pas laisser de côté les aspects théoriques, épistémologiques et même historiques d’une question. il s’est toujours agi de faire cohabiter des séances plus théoriques, d’autres plus pratiques et des séances illustrant la fécondité des méthodes envisagées à partir de travaux et terrains très diversifiés, en imposant une pluralité d’intervenants. Ce choix se paie sans doute au niveau de l’opérationnel. Mais il a été tenté depuis quelques années de compenser ce manque éventuel par l’envoi, voire la mise en ligne, de tutoriels, afin d’offrir aux sta-giaires les moyens de mettre en forme et « en logiciel » leurs don-nées après la formation. Le recours à des « exercices » permettant aux stagiaires de tester par eux-mêmes telle ou telle potentialité méthodologique est aussi un instrument qui contribue au même objectif.

Équilibre entre la nécessité de ne pas multiplier les logiciels utilisés et l’existence en pratique de logi-ciels très diversifiésLa question de la variété des logiciels utilisés est en effet une des problématiques auxquelles on se trouve confronté année après année, chacun des intervenants travaillant souvent à partir de logiciels différents. Cela présente l’avantage de permettre une comparaison entre les différents logiciels et leurs convivialités res-pectives. Du reste, tous les logiciels n’ont pas les mêmes qualités et les mêmes défauts. Ce n’est pas sans poser de problème aussi, dans la mesure où tous les logiciels ne sont pas libres d’accès, où il est difficile pour de nouveaux utilisateurs de se familiariser à de nouveaux logiciels et où le choix n’est pas aisé pour qui débute dans de nouvelles méthodes. Là encore, on s’efforce de privilégier le « mono-logicialisme » et les logiciels libres (R, par exemple), tout en soulignant auprès des stagiaires l’intérêt de connaître dif-férents univers et leurs qualités.

Pour terminer, on se permettra de rappeler une métaphore sou-vent utilisée lors de cette école pour illustrer son esprit : celle du stage de ski. On peut en effet en quelque sorte comparer cette

école d’été à un stage avec des moniteurs, des organisateurs, des stagiaires et des pistes vertes, bleues, rouges ou noires. L’enjeu est, non pas d’explorer toutes les pistes existantes, mais de don-ner aux stagiaires les bases suffisantes pour qu’ils se débrouillent par la suite devant n’importe quelle piste, voire pour qu’ils puissent eux-mêmes transmettre ces bases à d’autres apprentis skieurs. Dans cette optique, l’un des enjeux est de donner aux stagiaires le goût du ski en leur permettant de gagner en auto-nomie, de prendre de la vitesse, de se relever rapidement s’ils tombent. Parce que, s’ils ont ce goût, ils iront ensuite plus loin… Tout juste notera-t-on, néanmoins, que les stagiaires sortent sou-vent de la formation moins bronzés qu’ils ne seraient sortis d’un stage de ski… Encore que…

L’école thématique Quantilille reçoit chaque année un soutien financier de l’InSHS.

Prochaine session de Quantilille

u 26 juin au 3 juillet 2014 (date limite de candidature : 11 mai 2014)

u 2 modules : comment utiliser les grandes enquêtes internationales ; articuler analyses factorielles et modé-lisations

u 6,5 jours avec ateliers informatiques

contact&infou Jean-Gabriel Contamin, [email protected]

[email protected] Pour en savoir plus

http://quantilille.free.fr/

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Grâce à son rôle dans la coordination de multiples actions de for-mulation des politiques, de programmes de mise en réseaux, de conférences de recherche, d’ateliers et d’activités prospectives, l’EsF, depuis sa création en 1974, a soutenu la science à travers un large spectre d’activités couvrant l’ensemble des disciplines. Ces actions ont eu un impact très positif sur les carrières et les réalisations des chercheurs et ont été bénéfiques à la science comme à la société, non seulement en Europe mais également à un niveau mondial.

La définition large que l’EsF a de la science (des sciences phy-siques et de la vie à l’ingénierie en passant par les humanités et les sciences sociales) a permis, au fil des années, de soutenir la recherche collaborative entre tous les domaines de recherche dans les humanités et les sciences sociales ainsi que dans des activités transdisciplinaires.

Cet anniversaire est l’occasion idéale de mettre en exergue quelques-unes des réalisations de la Fondation dans les domaines des humanités et des sciences sociales. sont ébauchés ci-dessous certains des accomplissements majeurs auxquels sont parvenus ou ont contribué, depuis leur mise en place le 1er novembre 1977, les Comités permanents pour les humanités (sCh) et pour les sciences sociales (sCss). Ces Comités permanents ont été remplacés par les Groupes d’examen scientifique en novembre 2012.

European Social Survey / Enquête sociale euro-péenne – Ess (2001)L’Ess est née dans les années 1990, dans le cadre du programme EsF « Beliefs in Government / Les croyances dans le gouverne-ment », lequel a conduit à un autre programme intitulé « Plan directeur pour l’Enquête sociale européenne » (1997-1999). De celui-ci en a résulté l’Ess, une enquête sociale conduite par le mi-lieu universitaire, destinée à observer et à expliquer l’interaction entre les changements institutionnels en Europe et les attitudes, les croyances et les modèles comportementaux de ses diverses populations. Le premier tour de ces séries chronologiques a eu lieu en 2001 ; les tours suivants se sont tenus bi-annuellement depuis. L’Ess a été soutenue financièrement par les programmes-cadre de la Commission européenne, l’EsF et par les conseils nationaux de financement des pays participants (36 pays au total y ont pris part).Un évènement marquant a été la remise du Prix Descartes de la recherche en 2005 ; l’Ess a été le premier projet en sciences sociales à obtenir cette distinction. Le dernier développement en date est la mise en place, début 2014, de l’Ess en tant que « Eu-ropean Research Infrastructure Consortium / Consortium euro-péen pour une infrastructure de recherche » ; ce statut « ERiC » va permettre à l’Ess d’obtenir la stabilité financière dont elle a

tant besoin et d’être reconnue en tant qu’infrastructure euro-péenne de recherche de premier plan dans les sciences sociales.u En savoir plus

European Collaborative Research Projects Scheme / Programme de projets européens de recherche col-laborative – ECRP (2001)Le programme de Projets européens de recherche collabora-tive (ECRP) a été lancé en 2001 afin de soutenir une recherche collaborative internationale, menée par des chercheurs dans le domaine des sciences sociales. Des scientifiques issus des pays participants avaient la possibilité de collaborer sur tout sujet dé-montrant la nécessité d’une approche internationale alors que le financement demeurait national.Parallèlement, le programme avait pour objectif d’offrir une pla-teforme aux conseils de recherche afin que ces derniers puissent concourir ensemble au développement de procédures communes pour les candidatures, d’examens et de contrôles par les pairs, présageant des futurs ERA-nets.sur ses dix années d’appels à candidatures (2001-2010), le pro-gramme ECRP a financé 54 Projets de recherche collaborative, dont le dernier s’achèvera en 2014. La migration a été un thème prédominant des projets financés pendant ces années, comme par exemple le projet TiEs (Integration of the European Second Generation / intégration de la deuxième génération européenne) dirigé par le Pr Maurice Crul, et « New Migration Dynamics / Nouvelles dynamiques migratoires » conduit par swanie Potot du CNRs. Depuis le lancement du programme, le paysage européen de la recherche a considérablement changé et a contribué de fa-çon significative à aider les agences européennes de financement à apprendre les unes des autres. Ce programme s'est achevé en 2010.u En savoir plus

Lancement du premier appel à candidatures EURO-COREs pour le programme « The Origin of Man, Language and Languages / Origine de l’homme, du langage et des langues » – OMLL » (mars 2001)Le programme a abordé trois thèmes principaux : l’évolution de l’homme anatomiquement moderne, le développement du lan-gage et la diversité linguistique.L’une des forces du programme a été son approche multidisci-plinaire. Les données recueillies dans différentes disciplines ont abouti à de nouvelles vues, que le programme OMLL a agrégées et développées par la mise en réseau d’équipes de chercheurs issus des disciplines concernées, telles que la génétique, les neu-rosciences, l’archéologie, la paléoanthropologie, les sciences co-gnitives, l’iA et la linguistique.u En savoir plus

La Fondation européenne de la science

EN DIRECT DE L'ESF

Créée en 1974, la Fondation européenne de la science (European Science Foudation / ESF) est une institution non-gouvernementale réunissant 66 organisations-membres issues de 29 pays européens.

La Fondation européenne de la science (ESF) célèbre son 40e anniversaire

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Quantitative Methods in the Social Sciences / Mé-thodes quantitatives dans les sciences sociales - QMss (2003-2007 et 2008-2012)De 2003 à 2007, le sCss a géré un Programme de recherche en réseau grandement apprécié, intitulé « Méthodes quantitatives dans les sciences sociales » (QMss) et destiné à renforcer la capa-cité, en Europe, à utiliser des techniques quantitatives dans les sciences sociales. Le programme avait pour cible les chercheurs en début de carrière, originaires des dix-neuf pays participants, et avait pour objectif de renforcer le développement d’une nouvelle génération de méthodologues et de sociologues spécialisés dans la recherche quantitative. QMss a eu un tel succès qu’un deu-xième programme (de suivi) a été lancé en 2008-2012.Cet exercice a été complété par d’autres initiatives en vue de ren-forcer les capacités et les ressources dans le domaine des mé-thodes quantitatives, en apportant par exemple un soutien per-manent à l’Enquête sociale européenne ainsi qu’au programme de recherche collaborative humViB (Cross-National and Multi-le-vel Analysis of Human Values, Institutions and Behaviour / Ana-lyse transnationale et à niveaux multiples des valeurs humaines, des institutions et des comportements). humViB s’est étendu sur trois années, de 2009 à 2011, et s’est largement appuyé sur l’ex-ploitation de l’Ess et d’autres ensembles de données.u En savoir plus sur QMss et QMss2 u En savoir plus sur humViB

Member Organisation Forum on Central and Eas-tern Europe / Forum des organisations membres sur l’Europe centrale et orientale – MOCEE (2006-2008)Le projet s’est penché sur la condition des sciences sociales dans les régions d’Europe centrale et orientale. sous les régimes communistes, un grand nombre de sciences sociales avaient été politiquement problématiques et étaient donc moins dévelop-pées que d’autres sciences dans ces pays. Trois ateliers regroupant experts et représentants des organisations membres se sont pola-risés sur différentes questions et sur la façon de les aborder. Le rapport qui s’en est suivi a dépeint la situation de l’enseignement supérieur et de la recherche dans l’ensemble des douze pays de la zone. Un document de principe / science position paper du sCss a été publié en 2010 afin de synthétiser les principaux résul-tats du projet MOCEE et de formuler des recommandations pour la communauté scientifique ainsi que pour les décisionnaires en matière de politiques scientifiques.Parmi les autres résultats du forum figurent le volume Interna-tionalisation of social sciences in Central and Eastern Europe: The ‘Catching up’ – A Myth or a Strategy? / internationalisation des sciences sociales en Europe centrale et orientale - le « rattra-page » : mythe ou stratégie ? publié par Routlege en avril 2010, ainsi qu’un Forward Look sur « Central and Eastern European Countries beyond Transition: Convergence and Divergence in Eu-rope / Les pays d’Europe centrale et orientale au-delà de la transi-tion : convergence et divergence en Europe », qui a été lancé en 2009 et a conduit à un rapport dans lequel figurent les résultats du projet ainsi que les recommandations spécifiques destinées à modeler les politiques actuelles en matière de recherche.

Conférence sur « Humans in Outer Space Confe-rence / L’être humain dans l’espace» – hiOs (oc-tobre 2007)

L a

conférence « Humans in Outer Space – Interdisciplinary Odysseys / L’être humain dans l’espace : odyssées interdisciplinaires », co-organisée par l’EsF, l'Agence spatiale européenne (EsA) et l'ins-titut européen de politique spatiale (EsPi), a été la première dis-cussion transdisciplinaire globale sur l’être humain dans l’espace. Cette conférence est allée plus loin que de considérer les êtres humains comme de simples outils exploratoires ou de meilleurs robots. Elle a enquêté sur la quête des hommes pour les odyssées extra-atmosphériques et a réfléchi sur les possibilités de déceler une vie ailleurs que sur Terre. Elle a ouvert de nouvelles perspec-tives en évaluant le présent et le futur de l’humanité en dehors de la Terre et a rassemblé celles-ci dans un document intitulé « Vien-na Vision on Humans in Outer Space ». Cette « vision stratégique » offre une perspective européenne en identifiant les besoins pertinents ainsi que les intérêts liés à l’exploration spatiale, et en tenant compte de la contribution des humanités (histoire, philo-sophie, anthropologie), des arts ainsi que des sciences sociales (science politique, économie et droit).u En savoir plus

Humanities Springs / Les printemps des humanités (2007-2011)Avec la série d’évènements « Les printemps des humanités », le

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sCh a souhaité mobiliser le potentiel créatif de la prochaine gé-nération des plus éminents chercheurs en sciences humaines, afin d’informer la coordination au niveau européen et les processus prospectifs relatifs aux activités de recherche dans ce domaine.sur les quatre évènements qui ont eu lieu, deux se sont traduits par un « Early Career Researchers Manifesto / Manifeste des cher-cheurs en début de carrière » présentant un diagnostic des pro-blèmes actuels et des opportunités existant autour des thèmes abordés, selon les chercheurs en début de carrière qui y ont pris part :u Asian Studies in the Humanities: Visions for the Future / Les études asiatiques dans les humanités: visions pour le futuru Changing Publication Cultures in the Humanities / Changer les cultures de la publication dans les humanitésu En savoir plus

European Social Cognition Network / Réseau euro-péen de la cognition sociale – EsCON (2003-2008 et 2009-2014)En 2002, le Programme de recherche en réseau sur la cognition sociale est né de la nécessité d’encourager une diminution du dé-séquilibre alors en cours (les Etats-Unis tenaient le rôle principal, ce qui avait pour conséquence de détourner ressources et cher-cheurs de l’Europe). C’est la raison pour laquelle le programme a ciblé les jeunes chercheurs dans le domaine et a grandement mis l’accent, hormis les travaux de recherche, sur les programmes d’éducation tels que les écoles d’été.Grâce à EsCON, la cognition sociale est devenue une entreprise de recherche internationale, c’est-à-dire, pour un certain nombre de sujets, dominée par les chercheurs européens dont les tra-

vaux ont été publiés uniquement dans les meilleurs journaux du domaine, et également dans les organes les plus prestigieux de la presse scientifique dans son ensemble. Une large part des jeunes scientifiques européens ayant participé à EsCON ont réussi à acquérir une visibilité remarquable au plan international, à enseigner en tant que professeurs dans les pays européens ainsi qu’en Amérique du nord ; certains sont devenus les éditeurs des publications phares dans le domaine de la psy-chologie sociale.u En savoir plus sur EsCON et sur EsCON2

Science Policy Briefing (SPB) on RIs in the Digital Hu-manities / Note de synthèse politique sur les infras-tructures de recherche dans les humanités numé-riques (octobre 2011)Le sPB offre un aperçu unique, une analyse ainsi qu’un ensemble de recommandations en matière de politique scientifique sur les humanités digitales qui n’avaient encore jamais été expérimen-tées auparavant en Europe. son public cible englobe la com-munauté scientifique au sens large du terme (sous la tutelle des humanités et incluant également les sciences informatiques, la bibliothéconomie et les sciences de l’information collaborant avec la recherche dans les humanités, ainsi que certaines branches des sciences sociales ou des e-sciences sociales) les organismes insti-tutionnels, académiques et non-académiques, ainsi que les déci-deurs politiques nationaux et internationaux.Le sCh a reçu l’avis systématique, à la fois de la part des déci-deurs politiques et de la communauté scientifique, sur la perspi-cacité et la valeur du sPB. il a également été bien accueilli par des protagonistes au Canada, au Japon et aux Etats-Unis. Le sPB a

OMLL highlights : Performers in the Rossel island songfest called tpile we. Project “Pioneers of island Melanesia” © stephen C. Levinson ; Engraved abstract pattern on a slab of ochre found in the Middle stone Age levels of Blombos Cave, south Africa, dated at 75 000 years. Project “From symbols to language: The archaeology of the origin of

language and early diversification of languages” © Francesco d’Errico ; Campbell’s monkey (Cercopithecus campbelli) © Eugen ZuberbühlerCultural Literacy sPB : Marie-Denise Villers (1774–1821, French), Young Woman Drawing, 1801

human Brain Report : © Thinkstock

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été adopté par d’importants réseaux dans les humanités tels que DARiAh (infrastructure de recherche numérique pour les arts et les humanités) ou EAsh (L’Alliance européenne pour les sciences sociales et les humanités).u En savoir plus

ESF Junior Summit ‘Water: Unite and Divide. Inter-disciplinary approaches for a sustainable future’ / sommet junior EsF « L’eau unit et divise : approches interdisciplinaires pour un avenir durable » (août 2012) Le sommet a été une initiative trans-comités unique, initiée par le sCh. Trente-six brillants jeunes scientifiques, tous domaines confondus, ont participé dans un cadre compétitif à une discus-sion de quatre jours portant sur les défis posés et les opportunités offertes par la recherche inter-(multi-, trans-)disciplinaire.L’évènement a traité du sujet particulier de l’eau douce et avait pour objectif d’être directement pertinent et bénéfique pour les travaux en cours des participants tout en servant également de prise de conscience susceptible d’exercer une influence durable : le développement d’une compréhension mutuelle et d’un respect à travers les disciplines et les méthodologies.Plusieurs Un documentaire succinct capturant la dynamique de l’évènement, un article (de type compte-rendu) rédigé par une sélection de boursiers et mettant en lumière l’expérience acquise sur le terrain par les participants, grâce au contexte interdiscipli-naire du sommet, ainsi qu’un numéro spécial du Journal of Water Resource and Protection / Journal des ressources hydriques et de la protection de l’eau, incluant une sélection des présentations faites lors de la réunion (à la fois par les conférenciers invités et par les boursiers) ont été publiés et sont disponibles sur le site internet de l’EsF.u En savoir plus

Strategic Report The Human Brain: from Cells to So-ciety / Rapport stratégique sur Le cerveau humain : des cellules à la société (novembre 2012)Cette initiative interdisciplinaire, soutenue par l’ensemble des comités scientifiques de l’EsF et par de nombreuses organisations européennes, présente les questions majeures qui se posent ac-tuellement en matière de recherche sur le cerveau humain.L’objectif de ce rapport est de fournir un cadre pour le débat sur les recherches et les pratiques futures à la lumière des change-ments qui s’opèrent au niveau de notre compréhension du cer-veau humain.u En savoir plus

Forward Look Report Personalised Medicine for the European Citizen – Towards More Precise medicine for the Diagnosis, Treatment and Prevention of Disease / Rapport sur le Forward Look Une méde-cine personnalisée pour le citoyen européen – Vers une médecine plus précise en matière de diagnos-tic, de traitement et de prévention de la maladie (décembre 2012)Une médecine personnalisée, une stratégie reposant sur un phénotypage individuel des profils plutôt que sur l’approche « unique » établie de longue date, qui identifie les éléments en prévoyant la réaction des individus au traitement et leur prédispo-sition à la maladie : ce modèle de soin de santé met l’accent sur la maintenance et l'investissement de ces cohortes, en fournissant

un système de soins de santé à l'aide d'une approche moderne, prospective ; une stratégie essentielle pour l'analyse et la com-préhension de la maladie au fil du temps auprès de populations bien caractérisées.u En savoir plus

Science Policy Briefing Cultural Literacy in Europe Today / Note de synthèse politique sur L’alphabé-tisation culturelle en Europe aujourd’hui (janvier 2013)Les sciences littéraires et culturelles (LCs) apportent une contribu-tion majeure à l’analyse des identités et des cultures européennes et ont un rôle majeur à jouer dans l’amélioration des réponses fondamentales devant être apportées à un éventail de questions plus larges auxquelles l’Europe fait face aujourd’hui. Le sPB se concentre sur sa large résonance sociétale, soulignant la perti-nence de la recherche en LCs auprès des décideurs politiques et de la société en général.u En savoir plus

science Policy Briefing science in society: caring for our futures in turbulent times / Note de synthèse politique sur La science dans la société : prendre soin de notre avenir en des temps agités (juin 2013)Le rapport prône une approche plus circonspecte de la significa-tion des notions de « science » et de « société », comme énoncé dans de nombreux programmes, activité et discours politiques, car ni la « science », ni la « société » ne sont des entités homo-gènes. il plaide également en faveur d’une modification de notre attention dans l’approche des questions science/société, et d'une évolution d’une logique de choix nets et tranchés (suggérant l’idée d’une résolution linéaire des problèmes) vers une logique de prudence, qui admet un processus adaptatif dans le traite-ment de ces questions face à la diversité et aux changements rapides présents déjà bien avant que ne soit accolée l’étiquette de « crise ».u En savoir plus

contact&infou Julia Boman, science Officer

[email protected] Pour en savoir pluswww.esf.org/human

www.esf.org/socialhttp://40years.esf.org/

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En 2014, le Web a 25 ans et il est l’un des principaux vecteurs de diffusion des données scientifiques, qu’elles soient issues notam-ment des bibliothèques numériques, des bases de données ou de publications électroniques.

il est en constante évolution depuis sa création. En effet, s’est superposé à un Web de documents (Web 1.0), devenu plus interactif ou « social » (Web 2.0), un Web de données où les informations sont désormais directement accessibles. sa dernière grande mutation est en cours et touche l’ensemble des secteurs qu’il irrigue : le Web de données, aussi nommé Web sémantique, est l’utilisation du Web non seulement comme espace de par-tage mais aussi comme lieu de stockage des données. sa mise en œuvre réinterroge les savoir-faire et les métiers de la recherche scientifique, en particulier en shs.

Là où il fallait maîtriser plusieurs systèmes informatiques et docu-mentaires fondés sur des APi (Application Programming Interface ou interface de programmation) différentes, le Web sémantique promet le décloisonnement des bases de données et offre une méthodologie commune pour enrichir, diffuser, interroger, réutili-ser les données et les informations.

La formation proposée par la TGiR huma-Num propose de faire le point sur les apports du Web sémantique pour la recherche en shs, en tenant compte des différences entre les communau-tés qui les composent. il s’agit également d’éclairer les enjeux de ce mouvement collaboratif dans sa dimension d’innovation et dans les interactions qu’il crée entre chercheurs, documentalistes, informaticiens, archivistes, bibliothécaires qui sont au cœur du mouvement des humanités numériques.

Comprendre les enjeux du Web sémantique suppose que l’on s’approprie les différentes briques technologiques, normes et standards sur lesquels il repose. Prenant appui sur plusieurs réali-sations, la formation proposera un ensemble cohérent d’ateliers et de présentations plénières qui permettront d’appréhender ces technologies.

u Renseignements et inscription en ligne

Huma-Num#Actu

LA TRIBUNE D'HUMA-NUM

Le Web sémantique pour les Sciences Humaines et Sociales

Huma-Num organise, avec le soutien de l'InSHS et de la forma-tion permanente du CNRS, une Action Nationale de Formation. Cette formation se tiendra du lundi 22 septembre au jeudi 25 septembre 2014 à Fréjus (Var). Les inscriptions seront reçues jusqu’au 31 mai 2014.Cette formation est ouverte aux chercheurs, ingénieurs et techni-ciens travaillant dans des équipes de recherches SHS du CNRS. Les doctorants et post-doctorants de ces unités peuvent également y participer.

Programme prévisionnel

Dimanche 21 septembre 2014A partir de 15h30 : Accueil des participants

Lundi 22 septembre 2014Matinu Présentation de la TGiR huma-Num et mise en perspective de la for-mationu Conférence inaugurale : Les horizons du web sémantique (titre provi-soire), Emmanuelle Bermès (Centre Pompidou)

Après-midiQuelques exemples de réalisations avec le web sémantique :u Autour de semanticPedia : les projets hdLab et Joconde, Thibault Grouas (Mission langues et numériques, Délégation générale à la langue française et aux langues de France)u Exemples d’applications dans le domaine culturel, Emmanuelle Bermès (Centre Pompidou)u Le web de données à l’Agence Bibliographique de l’Enseignement supé-rieur, Michaël Jeulin (Abes)

Mardi 23 septembre 2014MatinExploitation des données du Web sémantique avec les outils d’huma-Num.u La plateforme isiDORE, stéphane Pouyllau (TGiR huma-Num)u NAKALA, Nicolas Larrousse (TGiR huma-Num)

Après-midiLes technologies du web sémantique (1) u Atelier 1 : structurer des données en RDFu Atelier 2 : explorer des Triple Store avec le langage SPARQL

Mercredi 24 septembre 2014MatinLes technologies du web sémantique (2)u Atelier 3 : le langage SPARQL (suite) et intégration des résultats dans une application Web (mashup, agrégation de contenus)

Après-midiPréparer ses données pour le Web sémantiqueu Atelier 4 : exprimer ses données pour le Web sémantiqueu Atelier 5 : mettre en œuvre le Web sémantique Les ateliers seront animés par Michel Jacobson (service interministériel des archives de France), shadia Kilouchi (TGiR huma-Num), Nicolas Larrousse (TGiR huma-Num), stéphane Pouyllau (TGiR huma-Num), Gautier Pou-peau (Antidot) Jeudi 25 septembre 2014Matin u Conférence de clôture : Les perspectives du Web sémantique pour les SHS au niveau international, Jean-Luc Minel (Université Paris Ouest Nan-terre – la Défense)

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Depuis l’apparition des moteurs de recherche, les chercheurs ont trouvé de nouveaux lecteurs, pas comme les autres. Ces nouveaux lecteurs sont des robots, des automates qui parcourent les arbo-rescences des sites web. Pour ceux qui cherchent à accroître leur lectorat, ces robots deviennent des lecteurs privilégiés. En effet, les moteurs de recherche dirigent de plus en plus les lecteurs humains vers les documents électroniques indexés lors des recherches sys-tématiques de l’espace en ligne par les robots. Or, un problème de fond se pose ici, à propos de l’écriture. À l’école, on apprend bien comment écrire pour communiquer avec les lecteurs humains mais, pour l’instant, on n’y apprend pas comment écrire pour les robots, à moins d’être roboticien.

Les choses seraient plus simples, naturellement, si les robots comprenaient le langage naturel des humains. ils font déjà des prouesses d’indexation de données textuelles, à l’aide des lin-guistes, notamment. Cependant, dans l’attente d’une indexation convenable, automatique et passive des documents en ligne, nous devons envisager comment informer les robots du contenu

de nos documents. On sait que les appareils photo numériques enregistrent des métadonnées en même temps que l’image numé-rique, de telle sorte que les robots puissent indexer chaque fichier correctement. D’une manière semblable, ce qu’il nous faut est un outil qui nous permette de créer nos textes sans nous soucier de leur lecture par les robots, avec enregistrement automatique de métadonnées.

Dans le cadre de ce « partage d’expérience », j’aimerais présenter des exemples concrets de cette problématique des humanités nu-mériques dans le contexte d’un laboratoire d’histoire des sciences et de philosophie: les Archives henri Poincaré (LhsP-AhP, UMR 7117, CNRs / Université de Lorraine). Je m’intéresse à deux types de projet numérique en particulier : la gestion et l’exploitation de fonds en histoire et philosophie des sciences et le projet d’annota-tion critique des papiers d’henri Poincaré. En fin d’article, je livre quelques chiffres de fréquentation de nos sites web.Avant d’aborder ces sujets, il convient de rappeler brièvement l’évolution des fonds concrets et virtuels aux Archives Poincaré

Partage d'expériences

LA TRIBUNE D'HUMA-NUM

L’histoire des sciences pour les robots : les humanités numériques aux Archives Henri Poincaré

Détails d’une Lettre de Poincaré à A. Potier, janvier 1901. Une transcription de cette lettre se trouve à l'adresse suivante : http://www.univ-nancy2.fr/poincare/chp/text/potier20.xml © 2014 henri-Poincaré Archives

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depuis la fondation du laboratoire en 2000. Le laboratoire pos-sédait alors une reproduction microfilm des archives de la famille Poincaré, ainsi que deux milles tirés à part, concernant surtout la logique mathématique après 1930. Par la suite, le laboratoire a acquis plusieurs fonds personnels, dont ceux des philosophes Louis Couturat, Louis Rougier, Jules Vuillemin, du psychologue Alfred Binet, du mathématicien Pierre Dugac et du groupe Bourbaki. Les archives de la famille Poincaré ont été numérisées en 600 dpi, avec des centaines de manuscrits de Poincaré déposés dans les archives privées et publiques en Europe et aux États-Unis. À ces fonds personnels s’ajoutent deux fonds virtuels et trois catalogues bibliographiques, constitués dans le cadre de projets de recherche variés. Les sites publiés par les chercheurs du laboratoire sont tous accessibles en ligne.

Gestion, mise en valeur et partage du patrimoineLa nature hétéroclite des fonds aux Archives Poincaré, aussi bien par rapport aux objets que par rapport à l’exploitation qu’on en fait actuellement, ou que l’on prévoit d’en faire dans les années à venir, implique une approche inclusive. Le recrutement d’un ingénieur d’études, Pierre Couchet, spécialisé dans la publication électronique, nous a permis de choisir une solution adaptée à nos besoins : la plate-forme Omeka, développée par le Rosenzweig Center à George Mason University.

Un grand avantage de la plate-forme Omeka, au moins pour ceux qui voudraient privilégier la communication avec les robots, est l’exposition automatique des métadonnées. A cela s’ajoute la simplicité d’utilisation et la construction LAMP (Linux, Apache, MysQL, PhP) d’Omeka ainsi que l’existence d’une communauté importante d’utilisateurs1.

Nous avons également pris en considération la question de l’inté-gration des fonds existants. Parmi les deux fonds numérisés aux Archives Poincaré – les corpora Poincaré et Bourbaki – seul ce der-nier a été porté sur Omeka. La raison principale en est que le fonds Bourbaki est composé surtout d’images et de métadonnées et se prête ainsi à l’intégration dans Omeka, alors que le corpus Poincaré comprend en outre des milliers de transcriptions en LaTeX, avec un système de gestion ad hoc.Avec les sites Poincaré et Bourbaki, deux bases de données ont été publiées sur le serveur de l’Université de Lorraine avant l’adoption d’Omeka : la Bibliographie de Poincaré et les Nouvelles Annales de Mathématiques. Le développement par Pierre Couchet de ces applications en LAMP nous a montré les avantages de ce type de construction. Les responsables de ces sites apprécient surtout la possibilité de mettre à jour en toute sécurité les données de ces bases disponibles au grand public.

Une troisième base de données, le Répertoire bibliographique des sciences mathématiques (1894-1912), a été élaborée par Laurent Rollet en collaboration avec la Cellule MathDoc. Ce répertoire ancien, construit par des mathématiciens à la fin du xixe siècle, figure parmi les bases de données bibliographiques sur le site de MathDoc ; il est hébergé par la Cellule MathDoc.

Au-delà de l’intégration des fonds anciens, c’est surtout dans la facilité de construction de nouveaux sites web que l’on peut voir un avantage de la plate-forme Omeka. Aux Archives Poincaré, de nombreux sites et bases de données figurent sur la plate-forme Omeka ‘‘ahp-numérique’’, hébergée par la TGiR huma-Num. Par-

mi ces sites, deux concernent les institutions scientifiques de Nan-cy : hisE et Archives de la Faculté des sciences de Nancy (AFsN).

Alors qu’ils traitent de la même histoire, les deux sites hisE et AFsN se distinguent par leur approche documentaire. Le site AFsN est purement textuel ; à travers le résumé d’arrêtés déposés aux archives de l’université, il permet de suivre la gestion des res-sources humaines et les carrières menées à la Faculté des sciences de Nancy, des doyens, directeurs d’institut, enseignants, agents comptables et personnel administratif et technique, des années 1870 aux années 1960. Le site hisE, en revanche, donne accès à des numérisations de documents divers, dont des procès-verbaux de la Faculté des sciences de Nancy et des photographies d’instru-ments. Un titre et des mots-clés sont associés à chaque image, ce qui facilite leur localisation, aussi bien par les lecteurs humains que par les robots (à travers l’exposition par Omeka des métadonnées).

Annotation critique du corpus PoincaréLa question de la lecture automatique se pose différemment selon qu’il s’agit de l’édition électronique de la correspondance, des images ou des documents divers avec ou sans formules mathéma-tiques. Le contenu des lettres échangées entre Poincaré et ses pairs est indexé par les robots, ce qui fait qu’une suite de mots-clés en-voyée à un moteur de recherche suffit souvent pour localiser une lettre parmi les centaines de millions de documents disponibles sur internet. Pourtant, les moteurs de recherche sont inutiles lorsqu’on cherche, par exemple, une formule mathématique précise, comme on en trouve par milliers dans les papiers de Poincaré. De même, si on cherche une illustration ou un diagramme précis dans ce cor-pus, les moteurs de recherche ne trouveront rien, à moins que l’objet en question ne soit annoté, ses métadonnées communi-quées à un dépôt adéquat, et moissonnées par les robots.

En ce qui concerne les formules mathématiques en particulier, leur publication en ligne est facilitée par l’utilisation de MathML (Mathematical Markup Language). Alors que MathML gagne la confiance des auteurs depuis sept ans, il reste deux obstacles à sa généralisation. Pour commencer, les navigateurs n’affichent pas tous correctement les formules codées en MathML. Ensuite, écrire directement en MathML est extrêmement fastidieux.

Ces obstacles peuvent être surmontés, d’abord en précisant aux lecteurs quels navigateurs affichent correctement MathML (comme Google Chrome). Ensuite, depuis fin 2013, on peut rédiger ses documents en LaTeX et les convertir en XhTML avec LaTeXML, un logiciel rédigé en langage Perl. Développé par l’institut américain NisT dans le cadre de la DLMF (Digital Library of Mathematical Functions), ce nouveau logiciel libre offre en outre la possibilité de générer des métadonnées RDFa (Resource Description Framework in attributes). Ainsi, à l’aide de LaTeX–LaTeXML, on peut produire des métadonnées facilement en RDFa non seulement pour les formules mathématiques de son document, mais aussi pour tout élément XML.

En principe, avec LaTeXML, la sémantique du markup LaTeX pour-rait être encodée automatiquement dans les métadonnées RDFa. Cette fonctionnalité est prévue par les développeurs de LaTeXML qui soulignent, en passant, qu’il s’agit d’un work in progress. Le code source de LaTeXML étant disponible sur Github, on peut dé-velopper soi-même les fonctionnalités souhaitées. Avec le tandem LaTeX–LaTeXML, on se rapproche de l’exemple de l’appareil photo

1. Pour une présentation des qualités d’Omeka, voir la présentation de Pierre Couchet.

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qui enregistre une série de métadonnées dans un fichier image, sans intervention ou effort de la part du photographe.

En tant qu’exemple de l’annotation ‘‘automatique’’ effectuée par LaTeXML, prenons une formule mathématique, comme celle que Poincaré a écrite au mois de janvier 1901 (§48.12), dans une lettre envoyée à son collègue et ancien professeur de physique Alfred Potier (1840-1905). Dans le cadre de son analyse des expériences d’un élève de Gabriel Lippmann, Victor Crémieu, qui cherchait à mettre en évidence l’effet magnétique d’une charge électrique en mouvement (ou l’effet de Rowland), Poincaré a fait appel au théo-rème de stokes, afin d’arriver à l’expression

Pour comprendre la démarche de Poincaré, le lecteur de la Cor-respondance de Poincaré veut savoir si Poincaré a jamais employé une analyse semblable, par exemple, lors de ses échanges avec Potier et d’autres physiciens ou peut-être à l’occasion d’un cours de physique mathématique ou dans les pages d’un journal. Grâce à la représentation ‘‘cachée’’ en LaTeX, produite automatiquement par LaTeXML à partir de la source en LaTeX et exposée aux robots, ce type de question peut trouver une réponse. il suffirait de chercher la représentation en LaTeX de la formule en question :

en prenant en compte, éventuellement, les variantes alphabétiques. Ainsi, la représentation en LaTeX qui est employée afin d’afficher la formule pour le lecteur humain sert à distinguer l’objet mathéma-

tique visé et, par conséquent, à le rendre accessible à l’indexation.

En somme, l’emploi du couple LaTeX–LaTeXML pour la transcrip-tion de la correspondance de Poincaré, satisfait à trois critères es-sentiels de l’édition critique menée par les chercheurs aux Archives Poincaré. D’abord, le résultat est conforme aux recommandations de la TEi (Text Encoding Initiative). Ensuite, la présentation des for-mules mathématiques est impeccable au niveau de la lisibilité sur écran. Enfin, il permet à l’équipe éditoriale de se concentrer sur la compréhension et l’annotation des textes du corpus Poincaré et de rédiger ses textes en vue des lecteurs humains, tout en réalisant des documents conformes aux standards de l’édition critique et lisibles par les robots.

Chiffres de fréquentationAfin de cerner l’effet de l’exposition de métadonnées sur le nombre brut de requêtes de page, il faudrait disposer des données quan-titatives de ces requêtes avant et après une telle exposition. Or, ces données nous manquent, hélas. Mais à leur place, je propose les chiffres de fréquentation des deux sites mentionnés en amont : ahp-numérique (depuis mai 2013, Figure 1) et la Correspondance de Poincaré (depuis mai 2013, Figure 2). sont comptabilisées pour celui-ci uniquement les requêtes de pages de transcription en XML et PDF, à l’exclusion des numérisations de manuscrits. On voit que ces deux sites attirent chaque mois des milliers de requêtes de page, jusqu’à 24 000 requêtes en juillet 2013, pour la correspon-dance de Poincaré. si on comptait les robots, ce chiffre serait plus élevé, sans doute.

Figure 1. Requêtes de page du site ahp-numérique depuis mai 2013. Figure 2. Requêtes de page du site de la Correspondance de Poincaré depuis mai 2013.

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