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Françoise Létoublon La personne et ses masques : remarques sur le développement de la notion de personne et sur son étymologie dans l'histoire de la langue grecque In: Faits de langues n°3, Mars 1994 pp. 7-14. Citer ce document / Cite this document : Létoublon Françoise. La personne et ses masques : remarques sur le développement de la notion de personne et sur son étymologie dans l'histoire de la langue grecque . In: Faits de langues n°3, Mars 1994 pp. 7-14. doi : 10.3406/flang.1994.900 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/flang_1244-5460_1994_num_2_3_900

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Françoise Létoublon

La personne et ses masques : remarques sur le développementde la notion de personne et sur son étymologie dans l'histoire dela langue grecqueIn: Faits de langues n°3, Mars 1994 pp. 7-14.

Citer ce document / Cite this document :

Létoublon Françoise. La personne et ses masques : remarques sur le développement de la notion de personne et sur sonétymologie dans l'histoire de la langue grecque . In: Faits de langues n°3, Mars 1994 pp. 7-14.

doi : 10.3406/flang.1994.900

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LA PERSONNE ET SON HISTOIRE

La personne et ses masques :

remarques sur le développement

de la notion de personne

et sur son etymologie

dans l'histoire de la langue grecque

FRANÇOISE LÉTOUBLON*

La notion de personne, objet de nos débats, nous vient en tant que terme grammatical technique des grammairiens grecs : l'histoire de sa transmission sera analysée dans ce volume par un spécialiste.1 Mais les grammairiens grecs n'ont pas construit leur terminologie à partir de rien : je voudrais pour ma part examiner brièvement, à partir de l'examen des emplois du terme qu'ils ont adopté comme terme technique, rcpooœîtov, comment la personne grammaticale se dégage progressivement en grec de la notion essentielle de « visage », « figure humaine » : en somme, ce sont les soubas-

* Université Stendhal (Grenoble 3), Centre d'études homériques. Adresse personnelle : 38410 Villeneuve d'Uriage. Je remercie pour leur collaboration et leur remarques le comité de rédaction, en particulier Laurent Danon-Boileau, ainsi que Jean Lallot, Michel Maillard, Irène Tamba et divers interlocuteurs au cours du colloque. Le travail avec Bernard Colombat a été pour moi particulièrement précieux.

1. Bernard Colombat. Nos articles ont été rédigés dans un esprit de suite, même s'ils ont dû être séparés secondairement pour des raisons de clarté.

Faits de langues, 3/1994

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sements anthropologiques de la notion dans les mentalités, préalable nécessaire à l'élaboration d'une terminologie grammaticale, qui m'intéresseront.

La filiation latine de persona, « masque de théâtre » à persona > personne au sens de « personne grammaticale » me semble avoir produit sur le public, même chez les linguistes, un effet pervers, ou au moins une illusion : on croit souvent que la notion de personne grammaticale provient directement du nom du masque et de l'expérience du théâtre. J'essaierai de montrer que la « personne » en grammaire, avant d'être liée au personnage de théâtre, se rattache à l'expérience collective du face à face avec autrui, à la rencontre de l'autre et la découverte en lui d'un autre soi-même. En effet, avant la persona des grammairiens romains, les grammairiens grecs utilisent le terme rcpóacorcov1, que les grammairiens latins ont transcrit par le terme cité.

1 I DU VISAGE OU DU MASQUE A LA PERSONNE : LE PROSÔPON GREC ET LA PERSONA ROMAINE

Le terme grec KpocFomov désigne toujours à l'époque archaïque le « visage », la figure humaine, ou dans un emploi architectural la façade d'un bâtiment2. Le sens de « masque » ne semble pas attesté avant le IVe siècle avant J.C., c'est-à-dire bien tard par rapport aux premiers exemples du mot. L'ordre d'apparition des sens associés aux différents lexemes dans les textes3 n'est certes pas un critère sûr de l'ordre de filiation sémantique, mais c'est le seul critère objectif sur lequel on puisse fonder une histoire de la langue qui se veuille scientifique. Il faut donc bien admettre que le sens de « masque » a pu se développer à partir du sens de « visage », mais non l'inverse. Quant au sens de « personne » en grammaire, quelle que fût la passion des Grecs pour le théâtre, il n'existe aucun indice sûr en faveur de son origine dans la désignation du masque, et j'estime qu'une autre filiation sémantique est probable, du visage à la personne humaine, à l'individu, et de là à la personne grammaticale, à peu près en même temps que la notion de masque donnait naissance à celle de « personnage de théâtre ». Si les

1. Voir les références à la Technè de Denys de Thrace dans l'article de B. Colombat ci-dessous.

2. Voir P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, s.v. Tous les exemples homériques sauf un sont au pluriel.

3. D'autant que les textes conservés pourraient ne représenter qu'un échantillon peu représentatif de la langue de leur époque.

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indices probants manquent pour attester formellement le sens de « personne humaine », non technique, du moins a-t-on quelques témoignages d'un usage quasi-adverbial du mot : npooémp, à peu près équivalent de notre locution « en personne », s'oppose à l'idée de représentation par un tiers. Il s'agit de se montrer « devant les yeux », physiquement.

C'est l'origine du sens « visage » du mot qui probablement explique toute sa polysémie à l'époque classique et ensuite : le mot rcpóccmov se décompose en effet aisément en un composé par hypostase d'une préposition rcpoç qui signifie « devant » et d'un très ancien nom de l'œil1 : le npóoamov c'est donc étymologiquement en grec « ce que l'on a devant les yeux », le « vis-à-vis », qu'il s'agisse d'un être humain ou d'un monument. Quant à l'emploi au sens de « masque », il peut s'expliquer directement par « devant les yeux », mais on peut aussi faire l'hypothèse d'une évolution moins directe : le sens de « personnage de théâtre » est assez bien attesté à partir de l'époque alexandrine, moins tôt et moins souvent toutefois que celui de « masque » ; si l'on refuse de se fier directement à l'ordre d'apparition des sens, on peut supposer à la rigueur que la personne humaine, incarnée sur scène par un acteur, a donné naissance à la notion de « personnage », et ensuite, puisque les acteurs de l'Antiquité portaient un masque qui servait à les identifier comme « types » humains (le jeune homme et la jeune fille, le vieillard, la servante etc.), que le nom qui faisait référence à leur incarnation de tel ou tel personnage dans une pièce a pu devenir spécifiquement celui de leur signe d'identification. Cette dernière hypothèse est probablement purement théorique, sans soutien réel dans l'histoire de la langue. Nous avons voulu toutefois la développer, non pas par plaisir du jeu gratuit, mais pour illustrer ce que les évidences des lexicographes ont parfois d'arbitraire et de dangereux : sur la scène dramatique grecque, le passage du sens de « masque » à celui de « personnage » ne nous semble en tout cas pas plus aller de soi que celui de « personnage » à « masque ».

Mais en latin en revanche, le mot persona, parfois rapproché de l'étrusque phersu « masque », désigne bien à l'origine le masque de l'acteur, puis le personnage joué par cet acteur. La notion grammaticale de « personne » semble donc s'élaborer à Rome à partir de l'analyse du spectacle de théâtre, suivant un modèle que la linguistique semble avoir tendance à adopter fréquemment, par exemple quand on parle des « rôles » « joués » par les « actants-acteurs » d'une phrase, ou quand on représente une unité linguistique, phrase ou discours, comme un « drame » ou une « scène ». En utilisant le nom du masque de théâtre pour exprimer la notion grammaticale de personne, les grammairiens latins ont certainement cru traduire l'usage des

1. Voir Chantraine, loc. cit.

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grammairiens grecs puisque le mot grec Tipocrûmov qui désigne chez eux la personne grammaticale se rencontre aussi à la même époque en grec dans le sens de « masque de théâtre ». Mais cela n'implique pas pour autant que la filiation ait été la même dans les faits en grec qu'en latin. Pour résumer les paragraphes précédents, d'après les filiations attestées par les textes, on peut poser les évolutions sémantiques sous forme d'un tableau :

Grec npóoojrTOV sens 1

(étymologique): "ce qui est devant les yeux", "visage, façade"

i (TTpóooJTTOV sens 2, (mal attesté): "personne physique"

1 npóowrrov sens 3: "masque" et 4: "personnage"

1 npóowrrov sens 5: -♦ "personne grammaticale"

Latin

(influence étrusque?) persona sens 1 et 2: "masque de théâtre, personnage"

1 1 persona sens 3: "personne j humaine, individu"

» A persona sens 4: "personne grammaticale

La constatation par les Romains de l'ambiguïté sémantique du mot grec, qui désignait pour eux à la fois le masque et le personnage, la personne humaine et la personne grammaticale, et l'existence en latin d'un mot qui avait le sens de « masque » en même temps que la représentation de la langue sur le modèle du théâtre, ont pu entraîner l'usage de persona pour traduire les usages secondaires du mot grec (les sens 2, 3, 4 et 5 du grec), mais en latin à partir du sens 1 de « masque » : le sens 4 « personne » du latin persona est au confluent d'influences diverses.

En héritant de l'ambiguïté initiale du mot avec déplacement (grec visage/personne/masque, latin masque/personne) le français a oublié le sens de masque. Mais les avatars de la négation en français ont abouti à ce phénomène étrange que le même mot qui désigne de manière très ambiguë la personne humaine et la personne grammaticale finit aussi par désigner l'absence totale de tout individu : les puristes auront beau jeu de rejeter comme aberrantes ou elliptiques les phrases comme «j'ai vu personne », en alléguant que le sens négatif du mot n'est admissible qu'avec négation explicite, encore que la langue parlée ait ses droits que la raison grammaticale ne peut

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continuer à ignorer. Mais le mot à lui tout seul a son sens négatif et absolu au moins quand il est employé en réponse à une question : « Qui as-tu vu ? — Personne ».

Comment rendre compte de ce renversement radical ? Les historiens de la langue allèguent le parallèle de rien, qui a historiquement subi le même phénomène d'inversion à partir du latin rem, « chose ». Mais la différence est que rien n'a pas gardé en français son sens positif ; tandis que personne continue à vivre dans la langue avec sa polarité permanente, du tout au rien.1

Nous avons jusqu'à présent tenté de voir dans les usages de la langue, respectivement en grec et en latin, les sources de l'application à la terminologie technique d'un mot du vocabulaire courant. Il semble bien que dans les cultures anciennes, la terminologie de la personne repose sur la notion de « personne humaine », soit comme être humain caractérisé par un visage en grec, soit comme analogue d'un personnage de théâtre en latin. Il me semble dès lors intéressant de poser à la suite de J.P. Vernant2 la question des fondements anthropologiques de la notion de personne : en Grèce archaïque, à l'époque où le крооюкоу ne désigne pas encore la « personne » mais seulement la « façade » il semble pourtant que la langue et les textes attestent une représentation cohérente, que des textes théoriques plus tardifs explicitent parfois.

2 I LA PERSONNE AVANT LA LETTRE

La classification des espèces chez Aristote semble retenir le visage, le jtpÓCTGmov, comme une caractéristique de l'être humain, avôpoorcoç, qui l'oppose aux autres espèces animales (Сфсс), lesquelles ont (comme l'homme) une « tête », кара3. Pour les penseurs grecs, le visage humain, impliquant une orientation du corps dans la dimension verticale (tête : haut/ pieds : bas) et horizontale (devant/derrière) à la fois, semble lié à la station debout, et un élément important pour définir ce que l'on pourrait appeler le

1. Sur personne et rien en français, voir G. Moignet, 1973, en particulier 166-186. 2. Vernant, 1973, 1989, 1990. On citera aussi les travaux de Détienne, 1973 et Graz, 1960. 3. Voir HistAn. 1,8, 491b « La partie qui est au-dessous du crâne s'appelle la face

(ôvouaÇetai тгроасотсоу) mais seulement chez l'homme, à l'exclusion des autres animaux. On ne dit pas, en effet, la face du poisson, ni d'un bœuf ». Je remercie L. Danon-Boileau d'avoir attiré mon attention sur la référence que J.P. Vernant faisait à Aristote (1989, 118-119). Suivant l'analyse de F. Frontisi-Ducroux (1987, 1991), les monstres n'ont pas non plus de visage : c'est peut- être pour cette raison que la Gorgone est toujours vue de face, monstrueux visage sans profil.

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« sens » de l'homme, son aspiration vers le haut : l'animal se déplace généralement à quatre pattes, n'a pas de rcpóaomov et ne parle pas.1 De là à conclure que la station debout oriente l'espèce humaine vers le haut et la spiritualité, il n'y a qu'un pas, franchi par exemple dans un passage téléolo- gique des Parties des animaux d'Aristote2 ou par Plutarque, qui se réclame de Socrate et Platon.3

« J'ai un visage et je me tiens debout, donc je suis » : telle serait donc l'antécédent grec rationaliste du cogito, complété chez les spiritualistes par une aspiration métaphysique. Mais dès l'époque archaïque aussi, on a parfois défini l'homme par sa faculté de représentation, par ses aspirations religieuses et esthétiques : le poète-philosophe Xénophane, dès l'époque archaïque, tournait en dérision les dieux anthropomorphes d'Homère comme une invention de l'esprit humain qui aime se fabriquer des idoles à sa ressemblance, source à ses yeux à la fois de la religion et des arts plastiques :

« Si les bœufs et les chevaux ou les lions avaient des mains, et s'ils étaient capables de dessiner ..., les chevaux feraient des images des dieux semblables à des chevaux... » (Fr. Diels, VS 15).

L'ambiguïté du terme grec rcpóacoTcov, source de la notion de personne, nous a permis de remonter au visage humain comme origine de la notion de personne grammaticale pour les Grecs. L'analyse d'Aristote permet de comprendre comment la pensée classificatoire grecque concevait le visage comme caractéristique de l'espèce humaine, en notant l'orientation du corps humain dans l'espace à trois dimensions, et Xénophane, même s'il la dénigre comme puissance trompeuse, nous a permis d'ajouter la faculté de représentation, ce qu'il y a « derrière la tête » si l'on veut. Ces conceptions définissent l'individu humain comme exemplaire de l'espèce.

Mais la langue grecque, sans avoir de terme spécifique pour la désigner, me semble aller dans l'appréhension de la « personne » encore plus loin que

1. Р.Л.ШД, 662 b : « Ainsi donc nous avons traité des autres parties de la tête. Mais chez l'homme, la partie comprise entre la tête et le cou s'appelle la face, nom qu'elle doit, semble-t- il, à sa fonction. Car du fait que l'homme est le seul animal qui se tienne droit, il est aussi le seul qui regarde de face et qui émet sa voix en face. »

2. P.A. 11,10, 655b : « Tel est le genre humain. Seul parmi les êtres que nous connaissons, ... il a une part du divin. ... Et d'abord, il est le seul être chez qui les parties naturelles sont disposées dans l'ordre naturel : le haut de l'homme est dirigé vers le haut de l'univers. Seul en effet, de tous les animaux, l'homme se tient droit. »

3. Plut., Mor., 44, De l'exil, 600e : « Car l'homme, comme dit Platon, n'est pas une plante terrestre, rivée au sol, mais une plante céleste, une plante inversée et tournée vers le ciel, la tête, qui en est comme la racine, maintenant le corps vertical. »

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les philosophes : il semble que certains phénomènes strictement syntaxiques bien attestés en grec archaïque doivent s'expliquer par la notion anthropologique de « sphère personnelle », impliquant celle de personne.1 La réflexion sur le nom propre2 et sur Г étymo-logie3 récurrente chez Homère et Hésiode, et en particulier les jeux de l'Odyssée sur le nom d'Ulysse et la gamme de ses pseudonymes qui va jusqu'à celui de Personne, dans le sens négatif,4 me semblent montrer que la pensée grecque a senti dès l'époque archaïque l'importance du nom propre, qui instaure un rapport bi-univoque avec une personne. Il me semble d'ailleurs cohérent dans cette pensée que tous les êtres du monde qui doivent à leur unicité d'avoir un nom propre comme le Soleil, la Lune, les rivières ou les sources, les îles etc., soient susceptibles à un moment ou un autre d'anthropomorphisme, ou au moins de recevoir la parole : c'est que le nom propre désigne la personne dans son individualité irréductible, comme « je » et « tu ».5 Des personnages de V Odyssée qui notent la permanence de l'individu sous les changements du temps et les travestissements6 aux philosophes stoïciens,7 ce problème semble avoir obsédé la pensée grecque. Il me semble que les emplois grecs du terme orjuxx « signe », et le jeu de mot si apprécié sur l'équivalence стюца afjuxx « le corps (est un) tombeau » pourraient aussi être allégués pour montrer que la conception de la personne comme individu humain dans sa particularité se

1. Voir sur le « double accusatif du tout et de la personne » B. Jacquinod, 1989. L'accusatif « de relation » est encore vivace en grec de l'époque classique : s'il est vrai que l'on peut dire « каЛлс tf|v \)toxt|v » « beau quant à l'âme », « à la belle âme », mais non *каХос toùç <piAxn)Ç « beau quant à ses amis, aux beaux amis », il doit relever d'une analyse similaire, comme le français « se laver les mains I laver ses vêtements ».

2. Le mot ovoucc désigne à l'époque archaïque uniquement le nom propre, voir mon c.r. de D. Gambarara, Aile fonti délia filosofia del linguaggio : « Lingua » e « nomi » nella cultura greca arcaica, Roma, Bulzoni, 1984 in HL 15, 1988, 410-416.

3. Le composé èxvuo-Axyyeïv signifie « étymologiquement » « dire les choses vraies, comme elles sont », et s'emploie constamment à l'époque archaïque pour justifier les noms propres, mettre en évidence le rapport non arbitraire entre les mots et les choses.

4. Remarquons d'ailleurs que l'Ulysse du chant IX de X Odyssée n'a jamais déclaré au Cyclope s'appeler Personne : il raconte lui avoir dit que c'était le nom que lui donnaient ses parents : un hypocoristique peut-être, de même que le narrateur de X Iliade dit que le fils d'Andromaque et Hector a un nom pour les Troyens et un autre dans sa famille.

5. On notera encore la tendance des noms propres à conserver longtemps une forme archaïque de vocatif, emploi privilégié du nom propre. Interpeller quelqu'un par son nom, c'est désigner la personne en tant que telle, par exemple dans le célèbre début du Banquet de Platon : « 9 Q ФаЛт|рег>с ... oStoç 'АттоЛАлоеорос... ».

6. Il faudrait citer de nombreux épisodes : les retrouvailles d'Ulysse avec son vieux chien Argos, Ménélas et Hélène reconnaissant les traits d'Ulysse rajeuni dans son fils Télémaque, le narrateur rapportant les récits d'Ulysse relatant ses travestissements avec les pseudonymes qu'il se forge.

7. D. Sedley, 1982.

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maintient jusque dans la mort : le tombeau avec son inscription portant le nom du mort correspond au souci de laisser une trace de sa personne.1 Comme l'expérience de la mort, celle du miroir a dû jouer un rôle capital dans l'élaboration de la notion de personne2 : se voir soi-même dans une eau calme ou dans la pupille d'autrui,3 c'est bien se découvrir comme personne face à une autre, comme entité physique douée de la faculté de représentation.

1. Voir Létoublon, à paraître. L'épigramme funéraire en tant que genre littéraire semble prendre sa source dans ce souci, et tout artiste qui veut laisser une œuvre à la postérité témoigne du même souci d'éterniser sa personne.

2. J.P. Vernant, 1989, 125-129 sur le miroir, 165-171 sur le mythe de Narcisse. 3. Voir J. Brunschwig, communication faite à Grenoble en mars 1993, à paraître.