L'espace entre les objets archéologiques africains et son...

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L'ESPACE ENTRE LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES AFRICAINS ET SON DEVENIR GCrard QUÉCHON * On a deja beaucoup parle - e t l'on parlera encore- du manque de moyens de l'archeologie africaine et de ses consequences en matière de musCographie, de sauvegarde du patrimoine et de conservation des tkmoignages du passe ; bref, de toutes les menaces qui pksent sur l'existence et l'avenir des objets archtologiques, donc sur la @remite des connaissances qu'ils sous-tendent. Il paraît important d'aborder une question connexe, Cvoquee en titre sous le vocable A dessein simplificateur d'"espace entre les objets", qu'illustre particulièrement bien le nkolithique de Tetnrit au Niger oriental. On entamera le dCbat avec la representation d'objets archCologiques isoles, non pas quelconques, mais assez spectaculaires pour figurer dans les vitrines d'un musee ceux du faciès tCnCrCen dit de Gosso/o/ont feront très bien l'affaire ; il suffit de se baisser pour les ramasser sur le sable et, dans le meilleur cas, les confier B un musCe. A ce stade de la reflexion, ils ne constituent que des items incontextuels. De la même manière, toute photographie d'une dune vide de t6moins du passe presente par definition une surface non-archkologique. Reunir, sur une seule image, un ou plusieurs objets non contigus - e n introduisant donc la notion d'espace entre les objets- n'est pas pour autant dCcisif ; s'il s'agit d'une nfiguration aleatoire d'outils ou de tessons dCpIacCs, on n'est toujours resence que d'une addition. Mais dès que l'on a affaire B un sol Cologique en place et a fortiori, B des structures groupees ntairement par les hommes prehistoriques (photos 1 et 2), l'espace les objets devient archkologiquement aussi significatif que les o n admettra volontiers le manque d'originalitC de ce paradigme et Ia

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L'ESPACE ENTRE LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES AFRICAINS ET SON DEVENIR

GCrard QUÉCHON *

On a deja beaucoup parle - e t l'on parlera encore- du manque de moyens de l'archeologie africaine et de ses consequences en matière de musCographie, de sauvegarde du patrimoine et de conservation des tkmoignages du passe ; bref, de toutes les menaces qui pksent sur l'existence et l'avenir des objets archtologiques, donc sur la @remite des connaissances qu'ils sous-tendent.

Il paraît important d'aborder une question connexe, Cvoquee en titre sous le vocable A dessein simplificateur d'"espace entre les objets", qu'illustre particulièrement bien le nkolithique de Tetnrit au Niger oriental.

On entamera le dCbat avec la representation d'objets archCologiques isoles, non pas quelconques, mais assez spectaculaires pour figurer dans les vitrines d'un musee ceux du faciès tCnCrCen dit de Gosso/o/ont feront très bien l'affaire ; il suffit de se baisser pour les ramasser sur le sable et, dans le meilleur cas, les confier B un musCe. A ce stade de la reflexion, ils ne constituent que des items incontextuels. De la même manière, toute photographie d'une dune vide de t6moins du passe presente par definition une surface non-archkologique. Reunir, sur une seule image, un ou plusieurs objets non contigus - e n introduisant donc la notion d'espace entre les objets- n'est pas pour autant dCcisif ; s'il s'agit d'une

nfiguration aleatoire d'outils ou de tessons dCpIacCs, on n'est toujours resence que d'une addition. Mais dès que l'on a affaire B un sol Cologique en place e t a fortiori, B des structures groupees ntairement par les hommes prehistoriques (photos 1 et 2), l'espace

les objets devient archkologiquement aussi significatif que les

o n admettra volontiers le manque d'originalitC de ce paradigme et Ia

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GBRARD Q U ~ C H O N

pratique prolongCe entraîne la conviction qu'elle n'est pas inutile, particuli2rement ti propos de prkhistoire saharienne. Dans le dCsert, en effet, les sites de suiface sont trks ekquemment retrouves dans une configuration proche de celle de leur abandon, où l'espace n'est plus simplement un lieu de rCcolte, mais un tkmoin culturel comme un autre, lieu d'enregistrement des Cchos dle la vie. Il n'est 18 rien de nouveau, mais ce langage reste difficilement admis d2s qu'il s'agit de sites de surface. Car nombreux sont ceux dont des archCologues exp&imentes, mais sp5cialistes d'autres temps et endroits- qui tombent dans le pi2ge de la fausse Quation :

site enterre = site scelle = site en place : site de surface = site boulevers&

I1 suffit d'un instant d'examen p u r se convaincre de la fausset6 de l'une comme de l'autre de ces deux Cquivalences, mais les rCflexes restent parfois plus forts que la reflexion, provoquant la mise en doute d'dvidentes evidences ...

Lors de Etude sur le terrain, l'archeologue doit donc adopter une attitude circonspecte qui tienne compte de la facilite trompeuse avec laquelle on achhera une "fouille" gCnCreusement entamCe par la nature. Il est dks lors imp6ratif de ne pas ceder a la tentation du prtlèvenient abusif, chaque opbation devant repondre A un but raisonnt et ne pas omettre l 'enregistrement le plus integre possible de l'espace archCologique "prClevC" du même coup.

A partir de quoi on peut, par exemple, reconstituer en laboratoire un bloc originel de mat2re premikre par remontage des outils lithiques qu'il avait produits, puis retrouver l'inscription dans l'aire archCologique de l'ensemble de ses composants, donc raconter son histoire. Cette dCmarche,appliquCe, Cgalement au debitage et aux poteries du même site pemiettra de retrouver des bribes de vie inaccessibles au simple travers des temoins matCriels.

C'est pour memoire qu'on rappellera que l'espace entre les figurations d'un site rupestre poss2de au moins autant de valeur discriminant que celui d'un site en place et procure une essentielle clef de comprehension. De même, la trouvaille d'un foumeau isole de metallurgie, si importante soit-elle, ne prouve-t-elle que l'existence d'une technique, qu'on ne connaîtra vraiment dans ses dCveloppements qu'A partir de batteries de foumeaux et de leur inscription dans une surface-temps.

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archeologie regionale, si fragmentaire soit-elle, presque toujours, condamnCe 9 demeurer.

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Cette attention B l 'espace d u site archdologique implique Cvidemment que l'on s'int6resse aussi 9 l'espace entre les sites et 9 ses diverses significations, en vue d'aboutir au moins 9 l'esquisse d'une

Au passage, on peut ici Cvoquer un autre problème qui devrait aussi figurer B l'ordre du jour de notre rCunion : souvent, le fruit d'une campagne archkologique africaine est la production d'un inventaire et d'une cartographie des sites r6pertoriCs dans la region CtudiCe. N'y a-t-il pas quelque inconskquence, puisqu'il est impossible d'envisager la mise en place de mesures de protection efficaces, 9 Cditer ainsi officiellement des outils d'aide au pillage ?

Corollairement, puisqu'on est en presence de sites en place, mais visibles pour tous, la question de leur conservation doit, elle aussi, être abordCe diffdremment : le pilleur qui subtilise les objets vole en même temps, de manière aussi involontaire qu'irrdmidiable, l'espace qui les separe et les informations affdrentes. Pire, il peut ,sans emporter un seul outil, detruire en très peu de temps des temoins irremplaçables, par simple deplacenient. Or, faut-il le rappeler, nous sommes dans des lieux immenses et depeuplCs, seulement parcourus par des caravaniers, où ne sont envisageables ni clbtures, ni gendarmes. Ces gisements exceptionnels sont donc en survie provisoire.

La possibilite et la necessite, pour Cviter le pillage, de sensibiliser les populations 9 la conservation de leur patrimoine ont dCjh CtC CvoquCes. Sans vouloir faire preuve d'un pessimisme exagCrC, on peut nCanmoins penser qu'il s'agit, partiellement, d'une utopie : en matière d'art rupestre, on doit pouvoir, assez aisiment, convaincre les gens de la nocivite des graffiti destructeurs qui, B terme, dkourageraient les touristes : pour les structures architecturales, il est dCj9 plus dClicat de les garder en place et de les proteger, surtout si elles sont gênantes, mais au moins ne sont-elles pas constituCes d'elements ayant une valeur marchande. En revanche, les amatures de flèches, disques, meules, recoltees sur les sites de surface sahariens sont directement nCgociab1e.s et foumissent des complements de ressources apprdciables 9 des populations parfois aux limites de la survie ; il est peu probable qu'une p6dagogie du patrimoine, si excellente soit-elle, fasse renoncer quiconque 9 son interêt immediat, dans une

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GERARD QUCCHON

situation de pknurie alimentaire ! Pour y rCussir, il suffit d'abord de changer l'ordre du monde ...

C'est alors, et alors seulement, que se posent les questions plus classiques, -sinon plus faciles 2 rksoudre- : que faire de l'objet apr& rkcolte et etude, quelles sont les garanties de sa conservation, de sa mise en valeur, etc., qui sont au coeur de notre colloque ?

Mots clés : Afrique, Sahara, archéologie, préhistoire, méthodologie, conservation.

Discussion

K.H. Sfriedrer -Il ne faut pas être trop optimiste quant A la conservation de tels sites, notre espoir est d'avoir la meilleure documentation possible car la plupart des sites seront pillés soit par les gens sur place qui les réutilisent. soit par les touristes.

G. Qu&cho~i - J'ajouterai que c'est le touriste qui le plus souvent entraîne le pillage par les populations locales.

K.H. Srriedter - Oui, aussi est4 parfois utile de se taire sur l'emplacement exact d'un site.

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Laboratoire de Recherches sur l'Afrique Orientale

UPR 311

Actes du colloque international Paris 4 au 6 Novembre 1992

"l'objet arch6ologique

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Centre National de la Recherche Scientifique O. R.S.T.O.ivi, tuiiub UUCUIIIWWF~

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