L'Ésotérisme fascisant de Mircea Eliade

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  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    1/11

    Actes de la recherche ensciences sociales

    L'sotrisme fascisant de Mircea EliadeMonsieur Daniel Dubuisson

    Citer ce document Cite this document :

    Dubuisson Daniel. L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 106-107, mars

    1995. Histoire sociale des sciences sociales. pp. 42-51;

    doi : 10.3406/arss.1995.3134

    http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1995_num_106_1_3134

    Document gnr le 12/05/2016

    http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1995_num_106_1_3134http://www.persee.fr/author/auteur_arss_317http://dx.doi.org/10.3406/arss.1995.3134http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1995_num_106_1_3134http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1995_num_106_1_3134http://dx.doi.org/10.3406/arss.1995.3134http://www.persee.fr/author/auteur_arss_317http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1995_num_106_1_3134http://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/collection/arsshttp://www.persee.fr/
  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

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    an iel

    ubuisson

    Usotrsme fascisant

    de

    Mircea

    liade

    [. . .]

    un public,

    restreint

    certes,

    mais d'lite. M. Eliade

    e

    no-platonisme tait l 'origine ; l'lment hermtique,ystique, cabalistique

    apporta

    aussi

    sa contributiont c'est

    ainsi

    que je me

    construisis

    un

    univers

    d'un aspect

    ssez

    trange.

    Goethe'entends dire

    que

    les philosophes allemands ont

    invent

    e

    mot

    de mtapolitique, pour

    tre

    celui de

    politique

    ce

    que

    e

    mot

    mtaphysique est celui de physique. Il semble

    que

    ette nouvelle expression est fort

    bien

    invente pour exprimer

    a

    mtaphysique de

    la politique.

    I. de

    Maistre

    'histoire

    des religions ne ressemblera jamais

    tout

    fait aux autres sciences humaines. La complexit

    et parfois mme

    l'tranget

    des faits qu'elle tudie,

    l'imparfaite et

    sans

    doute

    l'impossible

    lacisation

    de

    tous

    les

    problmes

    qui se

    posent

    elle,

    les

    rsonances

    profondes,

    mtaphysiques , de certaines

    de

    ses

    interrogations

    et

    les

    interprtations

    cruciales

    que

    celles-ci

    entranent

    leur suite,

    favorisent

    invitablement la

    composition

    d'uvres

    ambigus qui, sous le couvert

    de

    son

    nom

    et de son

    autorit scientifique, se livrent sans

    retenue l'apologie de

    thses

    bizarres et partisanes. C'est

    ainsi que, dans un premier examen

    de

    l'oeuvre

    d'Eliade,

    j'ai

    deux ou

    trois reprises signal1

    qu' ct de son

    ontologie d'inspiration paenne, de ses nostalgies archa-

    santes pour

    une socit

    agraire

    et de

    ses

    relents

    antismites,

    cette

    uvre manifestait une troublante sympathie

    pour les mouvements occultes, les

    mystres,

    les gnoses,

    les

    socits initiatiques,

    ainsi que pour les individus

    (tel

    Ren Guenon2)

    qui

    se

    rclamaient de traditions secrtes,

    invariablement rserves

    un petit

    nombre d'lus,

    quand

    ils

    ne

    soutenaient

    pas ouvertement en

    plus des

    idaux

    de

    type

    fasciste

    ou national-socialiste (comme

    Julius Evola3).

    D'TRANGES FASCINATIONS

    Mon

    propos, aujourd'hui,

    se

    limitera

    complter

    et

    dvelopper ces dernires indications en analysant

    la conception eliadienne

    de la

    religion la lumire de

    tout ce que supposent ces notions,

    souvent

    obscures et

    mal

    connues,

    que les historiens relguent gnralement

    en marge

    des principaux

    courants

    et des

    grands

    problmes

    religieux.

    En

    somme,

    je souhaiterais que le

    lecteur en

    vienne

    se

    poser

    cette question : n'est-ce pas

    dans

    ce fatras mtaphysico-politique situ

    en

    ralit

    1

    -

    Cf .

    D.

    Dubuisson,

    Mythologies

    du

    xxe

    sicle,

    Lille,

    PUL,

    1993,

    p.

    217-

    303, spcialement p.

    256.

    2

    -

    Celui

    qu'Eliade appelle le plus autoris des reprsentants de

    l'so-

    trisme moderne

    (M.

    Eliade,

    Occultisme, Sorcellerie et Modes

    culturelles, Paris,

    Gallimard,

    1978, p.

    89),

    un esprit

    savant

    et rigoureux

    (ibid.,

    p.

    70, 71).

    3

    - J'admirais

    son

    intelligence et, surtout, la densit

    et

    la clart de sa

    prose

    (M.

    Eliade,

    Les

    Moissons du solstice. Mmoires, II,

    Paris,

    Gallimard,

    1988, p. 153). Pour une meilleure

    comprhension

    de la suite, je

    signale

    simplement ici

    que

    le

    jugement

    admiratif port par Evola

    sur

    Codreanu, le

    fondateur

    de

    la

    froce

    Garde

    de

    fer

    roumaine,

    rejoignait

    le

    sinistre respect

    que

    ne

    cessa

    de lui tmoigner Eliade (ibid.,

    p.

    35

    et

    40) ;

    cf. P.

    -A. Taguieff, Julius Evola penseur de la dcadence , Poltica

    hermtica,

    1, Paris,

    L'ge

    d'Homme, 1987, p. 38, note 12,

    et F.

    Ferraresi,

    Julius Evola

    et

    la droite radicale

    de l 'aprs-guerre,

    ibid., p. 100, 101.

    Evola

    et

    Eliade

    se

    sont

    rencontrs

    chez

    Nae

    Ionescu

    en 1937

    et

    ont

    ensuite

    correspondu

    rgulirement

    (M.

    Eliade, Fragments

    d'un

    journal,

    II,

    Paris, Gallimard, 1981, p. 192-194).

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    3/11

    L'SOTRISME

    FASCISANT

    DE MlRCEA

    ELIADE

    43

    au carrefour de

    l'sotrisme

    et du fascisme qu'Eliade, en

    dfinitive, situait l'essence

    mme

    des faits religieux,

    de

    l'authentique

    vie

    religieuse

    ?

    Avant d'aborder cette dmonstration,

    sans doute

    me permettra-t-on d'numrer

    les

    trois types de faits,

    incontestables (puisqu'une simple lecture cursive de

    cette uvre permet de

    les

    retrouver immdiatement),

    qui me conduisent formuler

    cette hypothse.

    a)

    On doit tout d'abord noter

    la

    place centrale que

    tient dans son uvre et la

    fonction capitale

    qu'y joue

    le thme platonicien du double sens (littral/secret;

    visible/invisible) et

    du

    double

    niveau de

    ralit

    (mondain/transcendant), qui

    semble

    tre lev

    par lui

    la

    dignit

    de

    principe

    suprme4.

    C'est

    pourquoi

    on

    le

    retrouve aussi

    bien

    dans sa production

    romanesque

    qu'au cur

    de

    sa

    dfinition

    du phnomne religieux,

    la comprhension duquel il fournit la cl

    ultime

    : Je

    voulais utiliser

    certains faits

    rels

    (l'existence

    historique

    de Honigberger, mes expriences personnelles Rishi-

    kesh)

    en les camouflant dans une

    nouvelle fantastique

    de telle sorte que seul un lecteur averti pourrait

    distinguer la

    vrit

    de la fantaisie. . . Les hirophanies, c'est--

    dire la manifestation du

    sacr dans

    des

    ralits

    cosmiques (objets ou processus

    relevant

    du monde

    profane),

    ont

    une

    structure

    paradoxale

    parce

    qu'elles

    montrent

    et

    camouflent

    en

    mme

    temps

    la

    sacralit

    5.

    b) Trs

    logiquement,

    partir de

    ce mme

    principe

    qu'il

    applique astucieusement sa propre uvre

    d'historien des religions, conue

    d'ailleurs

    la manire d'une

    qute

    initiatique

    6,

    Eliade dfinit ensuite l'attitude, la

    posture interprtative

    qu'il

    attend

    de ses lecteurs. Ces mmes

    lecteurs qui, du moins le pensait-il, ont

    retrouv

    dans ses

    livres une dimension de la sacralit cosmique qui ne

    soit ni

    une cration

    lyrique, ni

    une

    invention

    philosophique

    7

    . Cette uvre

    ne prsente-t-elle

    pas

    une

    structure ambivalente, comparable celle

    qu'elle attribue

    tout

    phnomne

    religieux,

    en

    offrant

    la

    fois

    un sens

    littral,

    accessible au plus grand nombre, et

    en dissimulant

    un message secret8

    , spirituel,

    rserv aux lecteurs plus

    aviss? C'est pour cela qu'Eliade, la manire de

    Heidegger9, refuse

    a

    priori

    toute interprtation

    de son

    uvre qui n'en respecterait pas la vocation mystique.

    Lui-mme prtend situer sa dmarche hors de toute

    actualit,

    de

    tout

    prsent, in

    Mo tempore: J'ajoute

    que

    j'aborderai mon sujet en historien des religions, c'est--

    dire sans chercher en discuter les

    contextes,

    les

    sens ou

    les

    fonctions psychologiques, sociologiques ou

    polit iques , laissant ce

    soin

    plus qualifi que moi10.

    En

    d'autres

    termes,

    en mme

    temps

    qu'il

    compose

    ses

    livres, Eliade dfinit

    les conditions

    de leur

    rception

    et de

    leur interprtation, qui sont justement celles qu'il attribue

    galement aux faits religieux

    qu'ils tudient.

    Un postulat

    identique,

    d'origine

    ou

    de nature

    mtaphysique, fonde la

    structure smiotique de l'objet religieux et l'activit

    hermneutique de

    l'uvre

    qui

    se

    consacre

    son

    interprtation. Bien qu'il s'agisse l d'un procd

    rhtorique

    assez

    grossier, qui

    consiste simplement

    plaider

    l irrductibilit

    des crations

    spirituelles

    un systme de

    valeurs

    prexistant11,

    il faut

    reconnatre que son efficacit est

    redoutable.

    Combien de

    lecteurs n'ont-ils pas t abuss

    par lui

    et n'ont-ils pas, la suite d'Eliade, reconnu dans

    sa pense un message

    qui

    transcendait

    toute

    dtermination historique

    ?

    Il est

    probable

    aussi,

    encore que la chose

    surprenne

    au

    premier abord,

    que

    ces mmes

    lecteurs aient

    t

    sduits par le

    style

    lyrique d'Eliade que ridiculisent pour-

    4

    -

    P.

    -A.

    Taguieff (Julius

    Evola... ,

    loc.

    cit., p. 44, note 50)

    a

    parfaitement raison de

    dire

    qu'il

    s'agit l du prsuppos fondamental de

    l'esprit

    traditionnel. Est

    platonicienne, aux yeux d'Eliade,

    toute

    opposition

    entre

    des formes idales, archtypes, exemplaires,

    suprieures, et

    des objets

    historiques, concrets. Toujours

    selon lui,

    toutes les

    ontologies

    archaques

    et traditionnelles

    possdent

    une

    structure

    platonicienne

    (M. Eliade, L'preuve du labyrinthe

    :

    entretiens avec

    CL-

    H. Rocquet, Paris,

    Gallimard,

    1985,

    p.

    102,

    165

    ;

    Aspects

    du mythe, Paris,

    Gallimard, 1963, p. 157),

    puisqu'elles

    reposent

    sur des mythes

    immuables, indfiniment

    rpts

    dans des

    rituels

    destins

    rgnrer

    le cosmos, et qu' ces mythes ternels s'opposent

    les crations

    historiques,

    le

    monde

    bas

    et

    profane.

    On

    verra

    plus

    loin

    qu'il

    tait

    facile

    de

    traduire cette

    opposition en

    termes sociopolitiques :

    l'lite

    qui

    possde ou incarne

    les

    qualits relevant

    exclusivement d'un

    monde

    transcendant doit se

    soumettre

    la masse ordinaire, inculte, de tous ceux qui

    sont incapables de s'lever jusqu' cette ralit suprieure (M. Eliade,

    Mphistophls et Androgyne, Paris,

    Gallimard,

    1962, p.

    197).

    Ce

    platonisme

    n'est

    toujours que la forme sublime, mtapolitique, puisqu'il

    prtend

    dpendre

    d'un

    ordre

    cosmique

    de nature

    religieuse

    (M. Eliade, Briser

    le

    toit de la maison

    (la

    crativit des

    sym,boles), Paris,

    Gallimard,

    1986, p. 317), d'une

    vision litiste et

    arrogante des

    rapports

    sociaux.

    De plus qualifis

    y

    verraient avec

    raison

    l'expression d'une

    nostalgie

    anachronique pour un

    pass mythique, aristocratique

    et

    fodal, comparable

    celle

    qui, en Allemagne, imprgna l'esprit vlkisch

    des rvolutionnaires-conservateurs dont Eliade

    fut

    pleinement

    contemporain

    (cf. P.

    Bourdieu, L'Ontologie

    politique

    de Martin

    Heid egger,

    Paris, d. de Minuit, 1988,

    p.

    36, 37,

    et

    notes 39

    et

    76 ci-dessous).

    5

    -

    M.

    Eliade,

    Les

    Moissons

    du

    solstice,

    op.

    cit., p.

    59

    et

    60

    ;

    de

    mme

    Fragments

    d'un ournal, I, Paris, Gallimard,

    1973,

    p.

    353,

    400 et 443.

    6

    - M. Eliade, Fragments d'un ournal, I, op. cit., p.

    306.

    7

    -

    Ibid.,

    p.

    334.

    8

    C'est--dire

    la

    thologie

    implique dans

    l'histoire des religions

    comme

    je

    la dchiffre et interprte moi-mme

    (Fragments

    d'un

    journal, ,

    op. cit., p.

    305).

    9 - Je

    renvoie

    naturellement aux

    remarquables

    analyses que

    Pierre

    Bourdieu a consacres au

    dvoilement des prsupposs

    mtapolitiques

    qui se

    dissimulent

    sous la

    rhtorique

    heideggerienne (L

    'ontologie

    politique. . .,

    op.

    cit.). Voir in D.

    Dubuisson,

    Mythologies du xxe sicle

    (op.

    cit., p.

    291-303), l'esquisse de quelques

    rapprochements

    entre Eliade

    et

    Heidegger.

    10

    -M.

    Eliade, Occultisme, Sorcellerie...,

    op.

    cit., p.

    65.11

    - M. Eliade, La Nostalgie

    des

    origines.

    Mthodologie et

    histoire

    des

    religions, Paris,

    Gallimard,

    1971, p.

    274.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    4/11

    44 Daniel

    Dubuisson

    tant toutes ces expressions ronflantes

    (

    l'exprience de

    la saintet cosmique

    ,

    l'univers sacr , le

    cosmos

    nouveau

    et

    charismatique,

    un mode

    d'tre

    surhumain,

    etc.)

    qui

    ne possdent pas d'autre rfrent que

    celui

    que

    leur interprte

    inventera. Parce qu'elle

    est

    essentiellement projective,

    une

    telle exgse rclame

    un prtexte

    aussi

    creux,

    aussi vide

    que

    possible,

    puisque,

    de toute

    manire, elle

    ne

    pourra

    gure

    sortir de la

    tautologie

    qui

    la

    fonde presque

    exclusivement

    (les phnomnes

    religieux

    possdent un sens religieux

    qui

    ne peut se

    comprendre

    que

    religieusement).

    c) Or, parmi les phnomnes ou les faits

    religieux

    contemporains

    ou plus

    anciens

    qui intressaient Eliade,

    on remarque plusieurs

    lments

    inhabituels ou

    imprvus12. C'est

    ainsi

    que

    l'on

    note

    la

    prsence

    de

    l'astrologie13, de la parapsychologie14, des rves

    prmonitoires15, de l'alchimie, de la revue Plante, qui

    propageait

    en somme,

    une science salvatrice

    ,

    de toutes

    les socits secrtes et initiatiques17, de la gnose de

    Princeton18, du

    spiritisme

    et de la socit

    thosophique

    19,

    des

    mystres

    d'Osiris 20,

    de la

    plupart des

    rvlations 21

    ,

    des

    courants souterrains

    de l'Occident

    chrtien

    22 et

    mme

    des aspects religieux

    de la

    contre-culture

    contemporaine 23.

    Ce faisant, Eliade ne

    se contente

    pas de nous confier

    le

    dtail

    saugrenu

    de

    ses

    curiosits

    personnelles.

    Ailleurs,

    et trs srieusement,

    il

    parle

    de la

    tradition

    spirituelle de

    l'sotrisme

    dont la

    recherche

    contemporaine a rvl

    la

    cohrente

    signification

    religieuse

    24

    . Et que

    trouve-ton,

    toujours selon Eliade, dans cette tradition unique?

    vrai dire,

    un

    incroyable bric--brac, puisque l'on y

    rencontre ple-mle l'alchimie, le yoga, le

    tantrisme,

    le gnos-

    ticisme,

    l'hermtisme

    alexandrin

    (retrouv

    l'poque

    de la

    Renaissance),

    la kabbale

    25, les socits

    secrtes et

    les

    loges maonniques du

    xvme

    sicle, la sorcellerie26

    et le chamanisme,

    qui

    reprsente la

    tradition la

    plus

    archaque

    et

    la

    plus

    rpandue de

    l'occultisme

    27

    .

    Les

    spcialistes apprcieront

    (ou

    plutt,

    auraient

    d

    apprcier) cet

    amalgame

    irrecevable

    :

    que

    peuvent bien

    faire ensemble l'alchimie, la

    kabbale

    et le yoga ? Quels

    lments

    anhistoriques,

    universels28, possdent-ils en

    commun? Il faut ajouter aussitt que,

    s'il

    est inadmissible

    au regard de l'histoire ou de la science des

    religions,

    ce

    stupfiant

    syncrtisme29 possde en contrepartie une

    sorte de cohrence implicite. En

    effet,

    deux

    proccupations

    majeures

    dominent, selon moi, ce fatras.

    Il

    permet

    en premier lieu Eliade

    de

    clbrer les

    connaissances secrtes,

    les

    mystres,

    les socits

    occultes

    et

    les

    initiations qui

    possdent toutes ses yeux

    l'inestimable privilge de

    produire

    des

    lites

    spirituelles.

    Or

    la

    conception eliadienne de la religion

    est

    aussi

    talement aristocratique

    qu'hostile

    la dmocratie,

    tentative

    dsespre de trouver dans

    la masse

    des gens

    ordinaires

    les

    qualits

    d'un

    petit

    nombre30,

    et,

    d'une

    faon

    plus gnrale

    encore,

    la

    plupart

    des

    valeurs

    qui

    ont

    faonn l'hritage

    des

    Lumires (liberts individuelles,

    dmocratie, rationalit, progrs social,

    citoyennet,

    ducation,

    tolrance)

    l'lite

    des

    prophtes inspirs,

    des

    spcialistes de l'extase, Eliade oppose

    les

    masses bornes

    qui en mconnaissent et en dforment

    les

    messages.

    D'autre part, mais cet

    aspect n'est gure

    loign du

    prcdent, Eliade clbre dans

    tous ces

    mouvements

    occultes (quand ils sont ns en

    Occident)

    un refus ou

    une critique

    de la tradition

    (morale,

    spirituelle, sociale.

    .

    .)

    du judo-christianisme:

    [...]

    tous ces groupes

    initiatiques

    et

    secrets manifestent leur

    dception

    l'gard

    de

    l'glise chrtienne,

    tant

    catholique que

    protestante.

    En

    termes

    plus gnraux, on parlera de rvolte

    contre

    l'ensemble des

    religions

    tablies de tradition

    occidentale 31

    .

    12

    Inversement, on pourrait

    signaler l'absence de la foi, de la morale,

    de la prire, de la charit, de la

    grce,

    de la vertu, de

    l'tude,

    de l 'amour

    du prochain, de l'examen de conscience, de la

    contrition,

    du repentir,

    etc.

    13

    -

    M.

    Eliade,

    Occultisme, Sorcellerie.

    .

    .,

    op.

    cit., p.

    80.

    14 - M. Eliade,

    Fragments

    d'un

    journal, II,

    op. cit., p. 147.

    15

    - M. Eliade, L'preuve du labyrinthe,

    op.

    cit., p.

    82.

    16-M. Eliade,

    Occultisme, Sorcellerie...,

    op. cit., p. 21, 22.

    17 - M. Eliade, La Nostalgie

    des

    origines, op. cit., p. 189.

    18

    -M. Eliade,

    L'preuve du

    labyrinthe,

    op. cit., p.

    151.

    19 - M. Eliade, La Nostalgie

    des

    origines, op. cit., p. 78-81.

    20 - M. Eliade, Fragments

    d'un

    journal, II,

    op.

    cit.,

    p.

    295.

    21

    - Ibid.,

    p.

    196.

    22 -M. Eliade, Fragments d'un ournal, I,

    op.

    cit.,

    p.

    569.

    23

    -M.

    Eliade, Occultisme, Sorcellerie..., op. cit., p. 124;

    Fragments

    d'un ournal,

    I, op. cit.,

    p.

    549.

    24

    -

    M.

    Eliade,

    Occultisme, Sorcellerie.

    .

    .,

    op.

    cit., p.

    74

    et

    79.

    25

    II

    faut

    savoir que certains thosophes ou ariosophes, tels Helena

    P.

    Blavatsky ou

    Guido von

    List, ont

    ni son

    origine juive ; cf.

    G.

    L. Mosse,

    The Mystical Origins of National Socialism Journal of

    the

    History of

    Ideas, 22 (1), \%\,

    p.

    86.

    26

    - M. Eliade,

    Occultisme,

    Sorcellerie.

    .

    ., op. cit., p. 98,

    99 et

    103.

    27

    -

    Ibid., p. 76.

    28 -M. Eliade, Fragments d'un journal, I,

    op.

    cit.,

    p.

    539.

    29 -

    Qui

    est l'un des traits

    les

    plus constants de

    tous les

    courants sot-

    ristes. Chaque groupe, et c'est

    pour

    cela qu'ils sont si

    nombreux

    et si

    rivaux, compose son

    propre

    cocktail base d'alchimie, d'hermtisme,

    de gnosticisme, de vednta, de kabbale, de numrologie, etc.

    30 - M. Eliade, Fragments d'un journal, I, op. cit., p. 394.

    31

    -M.

    Eliade,

    Occultisme,

    Sorcellerie...,

    op.

    cit., p.

    87;

    de

    mme,

    ibid.,

    p. 78

    et

    80 ; Aspects du mythe,

    op.

    cit., p. 221 ; La Nostalgie

    des

    origines,

    op. cit., p. 73, etc.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    5/11

    L'SOTRISME

    FASCISANT

    DE MlRCEA EllADE 45

    L'SOTRISME

    D'ElIADE

    Ces

    premires indications

    permettent-elles

    d'affirmer

    qu'Eliade, lorsqu'il parle des religions en

    gnral,

    lorsqu'il

    clbre

    la vie, les

    valeurs,

    les

    univers

    religieux, le

    fait en ayant l'esprit un modle, un type

    gnral

    dont le

    meilleur quivalent ou

    mme

    la meilleure expression

    correspondrait

    ce que l'on trouve

    en

    Occident sous la

    dnomination d'sotrisme? Pour rpondre

    cette

    question, il est bien entendu

    indispensable

    de se

    mettre

    d'accord

    sur le sens du mot

    sotrisme

    et,

    surtout,

    sur ce

    qu'il

    recouvre. Pour cela il

    suffit

    de se

    reporter

    au systme de

    critres dfini par Antoine Faivre32. Selon le grand

    spcialiste

    franais de

    cette

    question,

    quatre critres

    intrinsques

    (auxquels

    s'ajoutent

    deux

    autres,

    secondaires)

    permettent de

    reconnatre cette forme

    de

    pense, en

    ce sens que leur prsence simultane

    est

    une

    condition

    ncessaire et suffisante pour qu'un matriau tudi res-

    sortisse l'sotrisme 33.

    a) Le plus important de ces

    critres est

    la croyance en

    l'existence

    de correspondances voiles reliant autant

    les

    diffrentes

    parties

    de l'univers entre elles que celles-ci

    aux grands textes rvls.

    b) Dans

    ces

    conditions,

    la nature

    apparat

    comme

    un

    livre qu'il

    faut

    dchiffrer. Elle

    est pareille

    un recueil de

    signes, un

    rseau

    de

    symboles

    que

    l'homme

    doit

    apprendre dcrypter.

    c) L'ide de ces

    correspondances

    suppose

    celle

    d'intermdiaires

    (images, symboles,

    rituels,

    esprits) que

    l'imagination utilise des fins de

    gnose, c'est--dire

    afin

    de percer les

    mystres sparant le monde

    divin

    de

    la

    crature.

    d) La possession de

    cette

    gnose dbouche son

    tour

    sur une seconde naissance, sur

    une mtamorphose

    de

    l'individu.

    Grce

    elle,

    celui-ci exprimente une

    vritable transmutation

    qui

    modifie son tre intrieur.

    e) Le premier des deux derniers

    critres, optionnels,

    concerne

    la

    notion

    de

    tradition

    primordiale

    ,

    qui

    aurait

    prcd et pour cela laiss des traces dans toutes les

    traditions

    religieuses de l'humanit.

    f) L'ultime critre retenu par Faivre est celui de la

    transmission.

    Toute gnose,

    toute connaissance salvatrice,

    suppose une

    initiation qui

    ne peut

    tre

    confre

    que par

    celui qui sait, le matre, celui qui

    se

    soumet son

    enseignement34.

    Si l'on applique

    chacun

    de ces critres l'uvre

    d'Eliade, on constate

    qu'ils

    ne

    sont

    pas loin

    d'en

    former

    l'ossature

    principale.

    a) II

    ne

    fait pas de doute qu'aux yeux d'Eliade

    l'univers

    possde

    un sens

    35

    et

    qu'il

    existe

    des

    ralits

    absolues,

    un

    plan surhumain36. L'homme (en tout cas

    l'homme

    traditionnel

    des socits primitives et rurales)

    baigne (oserait-on dire naturellement

    )

    dans cet univers

    et

    peut

    accder

    ces

    ralits,

    puisque

    les

    hirophanies,

    les

    manifestations du sacr,

    par leur

    structure

    paradoxale, manifestent dans des objets

    profanes, visibles

    (la

    lune, la terre,

    les

    eaux, l'arbre...), le plus souvent

    naturels37,

    ce

    mystrieux

    et

    indicible

    au-del: Dans son

    ensemble, le cosmos est la fois un organisme

    rel,

    vivant et sacr :

    il

    dcouvre la fois

    les

    modalits de

    l'tre et

    de

    la sacralit. Ontophanie et hirophanie se

    rejoignent 38.

    Pendant la

    jeunesse

    et

    les

    annes de

    formation

    d'Eliade,

    une

    telle

    mystique

    naturaliste fournissait aux

    penseurs du

    courant vlkisch, influencs

    ou non

    par

    la

    thosophie

    et

    l'sotrisme,

    une

    rfrence

    prcieuse

    o se

    mlait

    la nostalgie

    d'une

    socit agraire et traditionnelle

    une

    virulente

    apologie

    des

    hirarchies

    et des catgories

    naturelles

    39.

    Ces

    nbuleuses

    de thmes idologiques

    articuls autour

    des

    ides de

    nature (sang,

    peuple, sol.

    . .),

    d'lite (secrte, spirituelle, hroque...) et de retour (aux

    origines

    de

    la tradition,

    de

    la race, etc.) sont

    peut-tre

    32 - Cf .

    A.

    Faivre,

    L'sotrisme, Paris,

    PUF,

    coll.

    Que sais-je?

    ,

    1992.

    Du mme auteur

    on lira

    galement Accs

    l 'sotrisme occidental,

    Paris, Gallimard,

    1986. On rappellera simplement ici que les principales

    sources

    de cet sotrisme

    occidental

    sont reprsentes par le corpus

    hermeticum

    (cf.

    M.

    Eliade,

    La

    Nostalgie

    des

    origines,

    op. cit.,

    p.

    74),

    le

    no-pythagorisme des deux

    premiers

    sicles,

    le

    no-platonisme, la

    kabbale

    juive, l'sotrisme et le gnosticisme chrtiens, les thologies

    sotrisantes

    du

    Moyen ge

    (en particulier Joachim de Fiore

    qu admirait Eliade ;

    cf. Aspects

    du mythe, op. cit., p. 220, 221), l'astrologie,

    l'alchimie, ainsi que la chevalerie

    et les

    socits

    initiatiques

    mdivales.

    L'influence

    diffuse de ces uvres et de ces courants divers nourrira

    ensuite cet sotrisme occidental qui va du

    no-platonisme

    de la

    Renaissance (M.

    Eliade,

    La Nostalgie des origines,

    op.

    cit., p.

    71-73;

    Fragments

    d'un journal, II,

    op.

    cit.,

    p.

    291 ; Forgerons et Alchimistes,

    Paris, Flammarion, 1977, p. 148) ... Ren Guenon, en

    passant

    par

    l 'a lchimie (Paracelse,

    1493-1541),

    la thosophie

    chrtienne

    (J. Bhme,

    1575-1624),

    l'illuminisme (E.

    Swedenborg, 1688-1772, et

    F.

    C. Oetinger,

    1702-1782),

    et

    la Naturphilosophie allemande. ..

    33 - Cf . D. Dubuisson, Mythologies du

    xxe

    sicle,

    op.

    cit.,

    p.

    14.

    34

    -

    Ce

    critre (cf.

    note

    4)

    s'ajuste

    toujours

    une

    conception

    litiste

    qui

    a facilement

    pris

    aux

    xrxe et

    xxe

    sicles

    une

    tournure raciste

    lorsqu'elle

    s'est teinte

    d'aryanisme

    (List, Blavatsky, etc.) ; cf.

    N. Goodrick-Clarke,

    The Occult Roots

    of Nazism,

    Wellingborough,

    The Aquarian Press,

    1985,

    p.

    21

    et

    63, 64.

    35 - M. Eliade, L'preuve du

    labyrinthe,

    op. cit., p.

    83.

    36 - M. Eliade,

    Aspects

    du mythe,

    op.

    cit.,

    p.

    174.

    37

    -

    Cf .

    M. Eliade, Le Sacr

    et le

    Profane,

    Paris, Gallimard,

    1965, p.

    18,

    27, 32, 101, 102, 112, 120, 127, 128, 134,

    154 et

    155; Mphistophls et

    VAndrogyme,

    op. cit., p. 258, etc.

    38

    - M. Eliade, Le Sacr

    et le

    Profane, op. cit., p. 101, 102.

    39 - Cf . O.

    Spengler,

    L'Homme

    et

    la Technique, Paris,

    Gallimard,

    1958,

    p. 121;

    voir

    galement

    P. Bourdieu,

    L'Ontologie politique..., op.

    cit.,

    p.

    26;

    G. L. Mosse, The

    Mystical

    Origins...,

    loe.

    cit., p. 84-86;

    N.

    Goodrick-Clarke,

    The

    Occult

    Roots...,

    op.

    cit., p.

    50

    :

    A

    close

    identity

    with

    one's

    folk

    and

    race

    was reckoned

    a

    logical

    consequence

    of

    this

    closeness to nature.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    6/11

    46

    Daniel

    Dubuisson

    celles

    qui ont

    permis

    la rencontre

    et, chez certains, le

    mlange

    des spculations sotriques et des idaux

    fascistes

    40.

    Les

    personnalits

    et,

    surtout,

    les uvres

    d'Evola

    et

    d'Eliade sont cet gard tout

    fait

    exemplaires.

    b)

    Dans

    ces conditions,

    il est

    vident que pour

    l'homme religieux,

    la nature n'est

    jamais exclusivement

    "naturelle" : elle est toujours

    charge

    d'une

    valeur

    religieuse. Ceci s'explique,

    puisque

    le cosmos

    est

    une

    cration

    divine

    : sorti

    des

    mains

    des

    dieux, le

    monde reste

    imprgn

    de sacralit. [...] [Ces

    dieux]

    ont manifest

    les

    diffrentes modalits

    du

    sacr dans

    la

    structure

    mme du

    monde et des phnomnes

    cosmiques

    41.

    Pour Eliade, la nature entire

    est

    sature

    d'tre42,

    un

    souffle sacr l'anime.

    Cette

    ontologie

    dbouche sur

    une

    sorte

    de

    no-paganisme

    tant

    donn

    qu'elle

    ne

    dcouvre la

    plnitude de son sens que dans les

    manifestations des phnomnes

    naturels,

    comme

    si ceux-ci

    possdaient le

    privilge

    exclusif de la dire

    fidlement43.

    Retrouvant

    l'occasion

    des accents trs plotiniens,

    Eliade prcisait que les dieux crent par un excs

    de

    puissance, par dbordement d'nergie. La cration

    se

    fait

    par un surcrot de

    substance

    ontologique 44 . Et lui-

    mme

    se

    flattait de

    compter

    parmi

    les

    rares

    Europens

    qui ont russi revaloriser la "nature", en dcouvrant la

    dialectique des hirophanies et

    la structure

    de la

    religiosit cosmique45.

    c)

    Puisque

    les

    hirophanies,

    les

    symboles

    et

    les

    images,

    du fait de leur

    origine

    et de leur

    statut

    transcendants,

    possdent

    une valeur mtaphysique et mme

    ontologique46,

    ils possdent un

    sens ou une

    s ignification ternelle. En premier lieu pour l'homme : Mais

    quand il s'agit

    de ces

    grands

    symboles qui mettent

    en

    relation

    la

    vie cosmique

    et l'existence

    humaine, dans

    leur cycle

    de

    mort

    et de renaissance

    [...], il

    y a quelque

    chose

    de

    fondamental,

    et qui

    se retrouvera dans les

    diffrentes cultures : un secret de l'univers qui

    est

    aussi le

    secret de la condition humaine47.

    Symboles, hirophanies

    et

    images

    reprsentent

    donc

    bien autant d'intermdiaires qui ncessitent

    qu'on

    leur

    applique une hermneutique

    particulire48.

    Cette

    phase

    hermneutique est, pour

    Eliade comme pour

    l'sotrisme

    en

    gnral,

    capitale. Si le

    monde

    possde

    un sens voil, si

    ce

    sens

    se

    manifeste

    par l'intermdiaire

    de

    signes naturels, encore

    faut-il que

    les

    hommes

    (les

    plus dous d'entre

    eux

    en tout cas) les dchiffrent afin

    d'en comprendre le message. Malheureusement pour

    nous,

    si Eliade

    revient sans cesse sur l'importance de

    cette tape hermneutique, s'il en souligne la valeur

    gnosologique, en

    revanche

    il ne

    nous

    dit rien

    de

    trs

    prcis

    propos

    de

    la dmarche

    que

    l'homme

    est

    cens

    suivre

    pour l'atteindre et la parcourir. Comme on

    serve

    trop souvent dans

    son

    uvre

    de phnomnologue,

    l'invocation prophtique, l'exaltation de l'exprience

    immdiate

    et

    la

    clbration

    de

    l'intuition tiennent

    lieu

    de

    mthode et

    remplacent

    avantageusement

    le difficile

    travail de conceptualisation.

    d)

    Parce qu'elle

    vise les secrets

    de

    l'univers

    et de

    la condition humaine, cette

    phase

    hermneutique

    dbouche sur une vritable gnose, c'est--dire

    sur

    un

    type

    de connaissance

    susceptible

    de

    transformer

    l'individu.

    Voil pourquoi Eliade l'appelle

    cratrice

    :

    De

    mme, une

    hermneutique

    cratrice

    dvoile

    des

    significations

    qu'on

    ne saisissait pas

    auparavant,

    ou

    les

    met en

    relief avec

    une telle

    vigueur qu'aprs

    avoir assimil cette

    nouvelle interprtation la conscience n'est plus la

    mme.

    En

    fin

    de

    compte,

    l'hermneutique

    cratrice

    change l'homme ; elle

    est

    plus

    qu'une

    instruction, elle

    est

    aussi

    une

    technique spirituelle

    susceptible

    de

    modifier

    la

    qualit

    mme de l'existence

    49.

    Ds lors, l'histoire des

    religions

    devient avec Eliade

    une sorte de

    discipline

    magique, de propdeutique

    mystrieuse

    charge

    de

    s'occuper du rveil et du renouveau

    spirituels de l'humanit. Les historiens des religions,

    condition qu'ils

    aient plac Eliade

    et

    ses principes

    leur

    tte, deviendront une vritable lite charge de guider

    spirituellement les hommes

    sur

    le

    chemin de

    la

    Vrit

    50.

    En quelque sorte,

    cette

    hermneutique

    issue

    de l'histoire

    des

    religions

    est

    appele

    tenir

    une

    place

    comparable

    celle des

    initiations, des rites

    de passage

    dans les

    socits traditionnelles, rites auxquels

    Eliade

    accordait

    une

    valeur

    irremplaable

    51

    ;

    elle permettra un changement

    40 - Cf .

    G.

    L. Mosse,

    The

    Mystical Origins. .. ,

    loe.

    cit., p. 87 : Such a

    linkage

    between

    theosophy

    and

    the vlkisch

    world

    view

    will

    remain

    throughout the

    movement 's

    history.

    41 - M. Eliade, Le Sacr et

    le

    Profane, op. cit., p. 101.

    42 - M. Eliade, Les Moissons du solstice,

    op.

    cit.,

    p.

    218 et

    222.

    43

    -

    Cf .

    D.

    Dubuisson, Mythologies

    du

    xxe

    sicle, op. cit.,

    p.

    246, note

    7.

    44

    -

    M.

    Eliade,

    Le

    Sacr

    et le

    Profane,

    op.

    cit., p.

    87.

    45

    - M. Eliade,

    Fragments

    d'un

    journal,

    I, op. cit., p.

    334.

    46

    M. Eliade, Lmages

    et Symboles. Essais

    sur

    le

    symbolisme magico-

    religieux, Paris,

    Gallimard, 1952, p. 12, 14 et 24 ;

    Mphistophls

    et V

    Androgyne,

    op.

    cit., p.

    258

    et

    262

    ; Le Sacr et

    le

    Profane,

    op.

    cit., p. 179.

    47 - M. Eliade, L'preuve du labyrinthe,

    op.

    cit., p. 149; de mme,

    cf.

    Mphistophls

    et

    VAndrogyne,

    op.

    cit.,

    p.

    254, 255.

    48 - M. Eliade, La Nostalgie

    des

    origines, op. cit.,

    p.

    11.

    49 -

    Ibid.,

    p.

    108; voir

    aussi p. 11, 12,

    106 et

    110; de mme,

    L'preuve

    du

    labyrinthe,

    op. cit.,

    p.

    147-149,

    169

    et

    170

    ; dans

    Fragments

    d'un

    journal, I

    (op.

    cit.),

    p.

    547 et

    548, Eliade parle

    de transmutation.

    50 -M. Eliade, Fragments d'un journal, I,

    op.

    cit.,

    p.

    537.

    51

    -M.

    Eliade, Le Sacr

    et le Profane,

    op. cit., p. 117, 124, 156, 159, l60,

    163,

    170

    et

    177;

    Naissances

    mystiques.

    Essai

    sur

    quelques

    types

    d'initiation,

    Paris,

    Gallimard,

    1959,

    p. 268

    ;

    Aspects

    du

    mythe,

    op.

    cit.,

    p.

    248;

    Forgerons

    et

    Alchimistes,

    op.

    cit., p. 136.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    7/11

    L'SOTRISM

    E FASCISANT

    DE

    MlRCEA ELIADE 47

    radical

    de rgime ontologique

    52

    : De

    ce

    fait, ce n'est

    que dans la mesure o l'historien des

    religions

    russira,

    par

    l'hermneutique,

    transmuter

    ses matriaux en

    messages

    spirituels

    qu'il remplira son rle

    dans la

    culture

    contemporaine

    53.

    e) II est peu probable qu'Eliade, la manire

    de

    Guenon54,

    ait

    cru en l'existence d'une (de la) tradition

    primordiale. En fait, il a donn cette superstition un

    contenu

    et une dfinition

    personnels,

    qu'il

    est utile de

    rappeler

    ici.

    Pour Eliade, ce qui

    est

    originaire, fondateur,

    c'est l'exprience du

    sacr

    55

    ;

    elle

    ouvre

    la

    communication entre les

    niveaux cosmiques (la Terre et le Ciel)

    et rend possible le

    passage

    d'ordre ontologique,

    d'un mode d'tre un autre56, tout en faonnant en

    quelque

    sorte

    les contenus

    et

    les

    structures

    inconscients

    de

    l'esprit

    humain57. C'est elle encore

    qui

    explique

    l'homologie spcifique

    de toutes

    les ontologies

    archaques58, que l'on pourrait

    certes

    assimiler une

    sorte de tradition commune, qui

    permet elle-mme

    aux

    phnomnes

    sacrs

    de possder

    une

    signification

    originelle 59

    ,

    celle que l'hermneutique cratrice a

    prcisment pour vocation

    de

    redcouvrir.

    f)

    Dans

    cette

    dernire

    tche, le rle des matres qui

    ont

    su prserver le

    sens de

    la rvlation primordiale,

    et

    qui

    la transmettent au

    sein de socits

    secrtes

    et

    par

    le biais de

    rites

    parfois cruels,

    est

    capital.

    Ces

    vieux

    matres

    constituent

    les

    lites

    6o

    spirituelles

    des socits

    archaques61. Eliade regrette d'ailleurs

    qu'aujourd'hui

    on

    tale

    au grand jour

    des textes, des ides, des

    croyances, des rites, etc., qui

    normalement

    eussent d

    rester cachs, et

    leur

    accs rserv aux seuls initis.

    Il s'agit l cependant

    d'un

    fait

    aussi

    passionnant

    que

    paradoxal :

    les doctrines

    et

    les

    mthodes secrtes,

    c'est--dire sotriques

    [...],

    ne

    peuvent

    dsormais

    qu'tre mal comprises

    et

    mal

    interprtes,

    par

    des

    non-

    initis

    62 .

    Il apparat ainsi

    que la

    conception eliadienne

    de

    la

    religion,

    ou

    du

    religieux,

    n'est

    rien

    d'autre

    qu'une

    vaste

    et artificielle construction inspire par

    une attitude

    et des

    thmes

    appartenant

    la tradition sotrique

    contemporaine

    et plus particulirement aux courants

    qui, la

    fin

    du xixe et au dbut du xxe

    sicle,

    rencontrrent

    (et

    parfois

    fusionnrent

    avec) ceux qui ont nourri

    les rgimes fascistes

    ns

    dans les

    annes

    trente

    (li-

    tisme,

    antimodernisme,

    antismitisme,

    naturalisme

    mystique,

    etc.).

    Il

    est

    d'ailleurs possible de confirmer la porte et le

    sens de

    cette conclusion en

    suivant

    une

    voie

    diffrente.

    Il s'agira cette fois de

    mettre

    en vidence en quoi

    cette

    conception

    eliadienne

    de

    la

    religion

    ne

    s'applique

    pas

    (ou s'applique

    mal)

    au christianisme et

    s'oppose

    mme

    celui-ci

    sur plusieurs points fondamentaux.

    Ainsi

    seront mis en lumire d'autres aspects de l'architecture

    du

    systme

    eliadien.

    52 - M. Eliade, Le

    Sacr et le

    Profane, op. cit.,

    p.

    156. propos d'un

    article d'Eliade,

    Le problme du chamanisme

    (RHR,

    1946),

    Guenon

    (.Comptes rendus,

    Paris,

    d.

    traditionnelles, 1986, p. 188) remarquait en

    1948 que

    [.

    .

    .]

    c'est seulement au Centre

    qu'on

    peut raliser la

    rupture de niveau , le

    passage

    entre

    les diffrentes

    rgions cosmiques",

    c'est--dire entre les diffrents tats de l'tre. Plus srieusement,

    on

    doit noter

    que la

    croyance

    en la

    possibilit de telles

    ruptures quivaut,

    sur

    le

    plan

    politique,

    celle

    de rvolution spirituelle . Celle-ci, qui est

    toujours conue comme un retour aux origines, comme une

    res tauration

    du pass, appartenait galement

    la mythologie de la

    rvolution

    conservatrice allemande, qui, elle aussi, ne

    voyait

    que des symptmes

    de

    dcadence

    dans les

    crations

    du monde moderne

    (cf. P.

    Bourdieu,

    L'Ontologie politique, op. cit.,

    p. 30 ; G. L.

    Mosse,

    The Mystical

    Origins...

    ,

    loe.

    cit.,

    p.

    82;

    D. Dubuisson,

    Mythologies

    du xxe

    sicle,

    op.

    cit., p. 296). Eliade

    clbra

    l'avnement d'une telle rvolution

    spirituelle dans son loge du rgime salazariste (cf. note 100)

    en

    prcisant

    qu'il tait fond sur ces ralits vivantes de la nation

    et

    de la tradition

    que sont la famille, l'glise

    et

    les corporations. Eliade prcisait

    cependant que

    only

    an

    elit

    lives truly the

    revolutionary

    message

    of Salazar

    ;

    cf.

    M.

    L.

    Ricketts, Mircea Eliade,

    the

    Romanian Roots,

    1907-1945, New York, Columbia University Press, vol. II, 1988, p. 1108,

    1109 et 1111

    (sa

    traduction). L'ouvrage de Ricketts, qui nglige l'tude

    du

    contexte

    intellectuel

    roumain

    dans

    lequel a

    grandi

    Eliade (cf.

    note

    100

    ci-dessous

    et paragraphe

    correspondant),

    doit tre utilis avec

    prcaution,

    en

    gardant

    l'esprit les

    critiques justifies que lui a adresses

    Adriana Berger (Fascism and Religion in Romania, Annals of

    Scholarship, vol. 6-4, 1989,

    p.

    455-465).

    53

    M. Eliade,

    La

    Nostalgie

    des

    origines, op. cit., p.

    70 ; de

    mme ibid.,

    p.

    120;

    Fragments

    d'un

    journal,

    I,

    op.

    cit., p.

    300, 301, 398, 502,

    515

    et

    537;

    Fragments

    d'un

    journal,

    II,

    op.

    cit., p.

    7 et

    91

    ;

    L'preuve

    du

    labyrinthe,

    op.

    cit.,

    p. 170;

    Mphistophls et

    VAndrogyne, op.

    cit.,

    p.

    10,

    etc.

    54

    -

    Cf .

    M. Eliade, L'preuve du

    labyrinthe,

    op. cit., p. 170, 171;

    Les

    Moissons

    du

    solstice,

    op. cit., p.

    153 et

    154. On

    a vu

    cependant qu'il

    parlait de

    la tradition

    spirituelle

    de l 'sotrisme .

    55

    - M. Eliade, Fragments d'un

    ournal, II,

    op. cit., p.

    223.

    56 - M. Eliade, Le Sacr et

    le

    Profane,

    op.

    cit., p. 60.

    57

    Sur cette rcupration inattendue

    de Freud,

    voir

    D. Dubuisson,

    Mythologies du xxe sicle,

    op. cit., p. 268,

    note 2.

    On

    vrifie une

    fois

    de

    plus

    quel point

    il est facile toute thse

    cosmique

    et

    globale fonde

    sur

    un postulat

    mtaphysique

    de rinterprter les dcouvertes des

    autres : il lui suff it de les simplifier

    et

    de leur

    attribuer

    une origine

    diffrente. Ainsi, dans

    le

    cas prsent, Eliade se contente de reprendre

    grands

    traits

    la

    thse

    freudienne

    sur

    l ' inconscient

    et

    lui

    confre une

    origine

    religieuse,

    les expriences archaques du sacr vcues par

    l humanit

    ses

    origines.

    L'uvre d'Eliade

    est

    truffe de tels emprunts

    indlicats

    o,

    le plus

    souvent,

    le

    nom

    du crancier

    n'est mme pas

    mentionn.

    58 Affirmation gratuite faut-il

    le prciser?

    puisque

    les

    anthropologues

    et les prhistoriens contemporains seraient

    parfaitement

    incapables de

    nous

    dire en quoi

    consistaient les ontologies archaques,

    si

    tant est

    que

    cette

    expression possde

    encore

    un

    sens intelligible

    dans

    ce contexte.

    Cf . M.

    Eliade,

    Fragments

    d'un

    ournal,

    II. op. cit.,

    p. 106.

    59 - M. Eliade, L'preuve du labyrinthe,

    op.

    cit.,

    p.

    163-

    60 - Le mythe de 1' lite occulte (N. Goodrick-Clarke,

    The

    Occult

    Roots...,

    op. cit., p.

    65), savante, capable de dvoiler

    les

    significations

    mystrieuses, se trouve au cur de toutes les

    doctrines

    sotriques.

    61

    -

    M.

    Eliade,

    La

    Nostalgie

    des

    origines,

    op.

    cit., p.

    190.

    62 - M. Eliade, Fragments d'un journal, II,

    op.

    cit., p.

    128;

    voir

    galement

    le

    dveloppement de la p. 184.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    8/11

    48

    Daniel

    Dubuisson

    Christianisme cosmique

    et

    christianisme judaise

    II

    n'est

    pas

    facile,

    reconnaissons-le

    immdiatement,

    de

    dfinir en quelques mots la

    conception

    qu'Eliade se

    faisait du christianisme,

    bien

    que cette question

    l'ait sans

    aucun

    doute

    obsd.

    Pour

    tenter d'y

    voir

    un peu plus

    clair,

    il

    est

    commode de partir de l'analyse des pages 207

    214

    d'Aspects

    du

    mythe,

    qui

    rsument assez bien

    sa

    pense

    sur ce sujet.

    Pour Eliade, le christianisme

    est une

    sorte

    d'ensemble

    composite

    dans lequel se sont

    mls

    ou superposs

    plusieurs influences ou

    courants. Il

    semble en isoler cinq

    principaux. Les quatre premiers,

    qui

    n'ont

    rien

    de

    trs

    orthodoxe ni

    de

    trs chrtien, sont considrs par lui

    comme minemment

    positifs,

    alors

    que

    le

    dernier,

    d'influence spcifiquement juive, reprsente

    une

    calamit.

    a) Comme toute religion, le

    christianisme prserve

    des catgories et des

    comportements

    mythiques

    archaques, au

    premier

    rang

    desquels figurent

    l'imitation

    et la

    rptition

    des

    modles paradigmatiques.

    Et c'est

    dans

    ce

    contexte mental prchrtien

    qu'il

    faut replacer le

    drame

    de

    Jsus-Christ. Son imitation par les

    Chrtiens

    s'inspire en ralit

    d'une attitude

    qui prexistait la

    personnalit historique du Christ. C'tait celle de l'homme

    des

    socits archaques, qui trouve dans le mythe la

    source

    mme de son existence

    63

    .

    Elle

    permet

    la

    rgnration

    personnelle

    et

    cosmique

    par la ractualisation

    in concreto de la naissance, de la

    mort

    et de la

    rsurrection du Sauveur 64 .

    b)

    Le christianisme

    a galement prserv

    un

    certain

    nombre de symboles

    cosmiques

    - l'eau,

    l'arbre 65

    et

    la

    vigne, la charrue

    et

    la

    hache,

    le

    navire,

    le char,

    etc.

    ,

    qu'il

    a replacs dans

    une perspective

    sacramentaire

    ou

    ecclsiastique

    66.

    L

    encore,

    le christianisme ne fit que

    reprendre

    ou

    rinterprter

    des thmes paens qui

    lui

    prexistaient.

    c) Pour Eliade, et il trahit ici l'influence que les

    doctrines

    sotriques

    ont d

    avoir

    sur

    la formation

    de

    sa

    pense,

    les

    premires

    formes

    chrtiennes

    taient plus

    proches

    de

    celles considres plus

    tard

    comme

    hrtiques67.

    Autrement dit,

    Eliade

    considre que

    l 'enseignement sotrique pratiqu par Jsus, les

    traditions

    sotriques des

    aptres

    68, les enseignements gnos-

    tiques,

    qui rpudiaient, en partie ou totalement, les

    principes mmes

    de

    la pense hbraque ,

    se

    trouvaient

    l'origine du christianisme

    qui,

    pourrait-on dire, n'a

    connu qu'un succs paradoxal

    puisque

    celui-ci reposait

    sur

    l'oubli ou l'touffement dans la Grande glise de

    ses

    caractres

    sotrico-gnostiques les

    plus vnrables

    69.

    d)

    Le

    quatrime

    courant

    positif,

    qui

    est

    aussi

    le plus

    important aux

    yeux d'Eliade,

    est

    reprsent

    par

    ce qu'il

    nomme le

    christianisme

    cosmique . Cette appellation

    ambigu dsigne

    la

    religion populaire de l'Europe

    prchrtienne

    70.

    Derrire

    cette

    expression,

    qui ne

    recouvre videmment

    pas un

    ensemble

    homogne

    de

    cultes et de croyances, Eliade regroupe

    les

    folklores

    populaires

    et

    les

    rituels

    paens

    centrs sur

    les rythmes

    cosmiques,

    les cultes de la fertilit. Or

    il

    s'agit pour

    lui

    d'une

    cration religieuse

    originale 71 et de

    trs grande

    valeur,

    puisque, indiffrente

    au

    christianisme

    "historique" et moral72

    , qui n'est autre que le christianisme

    63 - M. Eliade, Aspects du mythe, op. cit., p.

    208.

    64 - M. Eliade, Le Mythe de l'ternel

    retour.

    Archtypes

    et rptition,

    Paris,

    Gallimard,

    1969,

    p.

    150.

    65

    -

    Sur

    ce

    symbole

    kabbalistique,

    voir

    N.

    Goodrick-Clarke, The Occult

    Roots. .., op.

    cit.,

    p.

    64 et

    236,

    note 19.

    D'un

    point de vue plus gnral, il

    serait indispensable de comparer la conception eliadienne du symbole

    celle

    de

    Guenon

    (ainsi

    Symboles

    de

    la

    science

    sacre,

    Paris,

    Gallimard, 1962, en particulier les

    pages

    63-72

    rdiges en

    1926) ;

    d'ailleurs,

    ce

    dernier

    dclarait ds 1948 : [...] il nous semble qu'il

    est

    peine

    besoin

    de souligner leur [ces citations

    d'Eliade]

    rapport avec certaines

    des considrations qui

    ont

    t

    exposes par A.

    K. Coomaraswamy

    et

    par

    nous-mme

    ,

    Comptes rendus, op. cit., p. 189.

    66 - M. Eliade,

    Aspects

    du mythe,

    op.

    cit., p. 209,

    210;

    de mme,

    Images

    et Symboles, op. cit., p.

    212;

    Le

    Sacr

    et

    le

    Profane, op. cit.,

    p. 118, 119.

    6l - Cf . M. Eliade, Histoire

    des

    croyances et des ides religieuses, Paris,

    Payot,

    3

    vol.,

    1976,

    1978 et

    1983,

    notamment t. II,

    p.

    379. Les lments

    qui, au

    contraire,

    ont

    contribu

    au triomphe

    de

    l 'orthodoxie

    :

    fidlit

    l 'Ancien

    Testament,

    dvalorisation

    de

    l'imaginaire

    mythique

    et,

    inversement,

    rvrence

    l'gard

    de la

    pense

    systmatique (grecque),

    importance

    accorde aux institutions sociales

    et

    politiques (M. Eliade,

    Histoire des

    croyances. ..,

    II,

    op. cit., p. 380) sont, partout dans

    l'oeuvre

    d'Eliade, considrs comme

    des facteurs de rgression et de

    dsacralisation. Et c'est ce titre d'ailleurs

    qu'ils

    ont

    contribu

    l appauvrissement

    de la tradition primitive (ibid.).

    Prcisons

    encore que

    le

    gnosti-

    cisme d'Eliade n'est jamais pessimiste la manire de celui de

    l'Antiquit.

    Pour lui,

    la nature est bonne et c'est l'histoire,

    invention

    juive, qui

    tient le

    rle nfaste au centre du

    drame

    mtaphysique qui se

    joue dans

    le monde

    ; sur ce dernier point, voir D. Dubuisson,

    Mytho log ies

    du

    xxe

    sicle, op. cit., p. 270-276,

    et

    ci-dessous note

    70.

    68 Comme

    il

    arrive souvent, Eliade considre comme des

    faits

    indiscutables (M. Eliade, Histoire des croyances..., II,

    op.

    cit., p. 351),

    des donnes controverses qui

    sont

    loin de faire l'unanimit parmi les

    spcialistes.

    69 - M. Eliade, Histoire des croyances. . ., II,

    op.

    cit., p. 351,

    352 et

    380.

    70

    -

    Cf . M.

    Eliade,

    Aspects

    du

    mythe,

    op. cit., p.

    210.

    Je

    serais tent d'y

    reconnatre

    la

    version

    eliadienne du

    christianisme

    aryen

    (R.

    Wagner,

    H. S. Chamberlain, J. Langbehn, etc.),

    c'est--dire d'un

    christianisme

    dbarrass de

    ses

    origines hbraques

    et

    de son message universaliste

    et moral (sur ce

    Christ

    blond, voir G. L. Mosse, The

    Mystical

    Origins.

    .. , loe. cit.,

    p. 92,

    93 ; M. lender, Les Langues du paradis, Paris,

    Gallimard/d.

    du Seuil, 1989, p. 98, notes 46

    et

    47). propos de ce que

    j'ai

    appel

    l'ontologie antismite

    d'Eliade

    (cf.

    D. Dubuisson,

    Mytho log ies

    du

    xxe

    sicle, op. cit.,

    p. 263-276), il suff it de savoir qu'elle

    consiste

    attribuer

    au judasme tout ce qu'Eliade

    range

    du

    ct

    du monde

    profane

    (l'histoire, la science, la matire, la

    morale, etc.) et, ainsi, en

    faire

    le ple ngatif d'une

    opposition

    de nature mtaphysique dont le

    terme

    symtrique est reprsent par la sacralit

    cosmique.

    71

    -M.

    Eliade,

    Aspects

    du

    mythe,

    op.

    cit., p.

    212.

    12 -Ibid., p. 211.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    9/11

    L'SOTRISME

    FASCISANT

    DE MlRCEA ElIADE 49

    judas

    issu du Nouveau Testament, elle

    est

    tout entire

    domine par la nostalgie

    d'une

    nature

    divinise

    et

    sanctifie

    73.

    Il

    est

    important

    de

    comprendre

    que

    ce

    christianisme

    cosmique,

    loin d'impliquer une

    "paganisation"

    du

    christianisme, tait, au

    contraire, une

    "christianisa-

    tion" de la religion de leurs anctres [les paysans de

    l'Europe orientale]

    74

    . Eliade,

    renversant

    le sens et la

    signification de la

    perspective habituellement admise, voit

    dans le

    triomphe

    du christianisme romain, moral et

    dogmatique,

    une catastrophe

    qui

    a contribu la

    dsacralisation de la

    nature,

    cette

    nature

    porteuse

    d'une

    nergie

    vitale que

    clbraient

    au contraire,

    toujours

    selon Eliade,

    les

    religions

    prchrtiennes75.

    Il est

    certain

    que le

    christianisme

    cosmique d'Eliade,

    par

    ses

    thmes majeurs

    (conception mtapolitique

    du

    monde

    social,

    antijudasme,

    vision

    mtaphysique

    de la

    culture rurale, anhistoricisme,

    exaltation du gnie ou de

    l'me populaire, du Volkstum, dfinition spirituelle

    de

    la

    vie organique, importance des

    croyances et des

    coutumes

    paennes,

    clbration

    de la nature

    et

    des mentalits

    primitives, aversion pour toutes les crations de la

    civilisation

    occidentale moderne, importance des lites

    spirituelles et des traditions sotriques , etc.),

    doit

    une

    part

    essentielle

    de ce qui le constitue

    l'atmosphre

    intellectuelle qui rgnait

    en Roumanie

    entre

    les

    deux

    guerres.

    Or,

    ce Zeitgeist devait beaucoup

    l'Allemagne

    (F.

    Tnnies,

    L.

    Frobenius,

    O. Spengler,

    S.

    H.

    Chamberlain,

    etc.),

    en

    particulier

    l'esprit vlkisch des

    rvolutionnaires-conservateurs

    76.

    e) En revanche, Eliade

    n'a

    pas

    d'expression assez

    dramatique pour qualifier le

    cinquime

    lment

    qui

    est

    entr dans

    la composition du

    christianisme

    primitif,

    puisqu'il s'agit de l'influence

    judaque77,

    rsume

    elle-mme

    par

    l'invention

    de l'histoire,

    laquelle

    s'opposera

    dsormais au

    temps

    mythique de l'ternel retour, la

    rgnration priodique

    de la nature, qui caractrisaient le

    christianisme cosmique et

    les

    autres

    religions

    prchrtiennes

    :

    Ainsi,

    pour

    la premire

    fois,

    les

    prophtes

    valorisent l'histoire,

    parviennent

    dpasser la vision

    traditionnelle du

    cycle78

    [...], La "judasation" du

    christ ianisme primitif quivaut

    son "historicisation"

    [...]. Les

    Pres de l'glise ont

    suivi

    la mme voie79

    [...],

    La

    transformation des

    structures

    religieuses

    de

    type

    cosmique en vnements

    de l'histoire sainte

    est

    une

    caractristique du monothisme yahviste, et sera reprise et

    continue par le christianisme 80.

    Dans

    la reconstruction fantasmatique de l'histoire de

    l'humanit

    qu'opre Eliade, cette invention de l'histoire

    a entran plusieurs consquences dramatiques :

    -

    La

    dsacralisation

    du

    cosmos

    et

    de

    la

    nature

    81

    et,

    par voie de

    consquence, l'invention

    du

    matrialisme,

    de la science et de la technologie modernes :

    [...]

    j'ai

    compris que la science moderne n'aurait pas t possible

    sans

    le judo-christianisme,

    qui a

    vacu

    le

    sacr

    du

    cosmos et l'a ainsi "neutralis" et

    "banalis"

    82

    .

    - La

    disparition

    de la religion cosmique,

    c'est--dire

    de

    la participation aux

    mystres de

    la

    nature, sous

    les

    coups des

    prophtes

    de

    l'Ancien

    Testament

    :

    Ce

    qui

    frappe

    d'abord

    chez les prophtes, c'est

    leur

    critique

    du

    culte et

    la

    frocit

    (sic) avec laquelle ils attaquent le syn-

    73 Au contraire, dans

    le

    rcit biblique, la

    relation

    entre l'homme et

    Dieu, fonde sur la

    loi

    puis sur la foi

    et

    l 'amour,

    ne passe

    pas

    par

    la

    nature;

    cf.

    L. Poliakov, Le Mythe

    aryen,

    Paris,

    Calmann-Lvy,

    1971,

    p.

    350,

    351.

    74

    -M.

    Eliade, Aspects

    du

    mythe,

    op.

    cit., p.

    212.

    75 - Voir

    galement

    M.

    Eliade,

    Histoire des

    croyances...,

    II,

    op.

    cit.,

    p. 383-387.

    76 - Cf . notes

    4,

    39, 40, 52

    et 70.

    On

    se reportera l'excellent article de

    K. Hitchins,

    Gndirea

    :

    Nationalism in

    Spiritual

    Guise

    in

    K.

    Jowitt, ed.,

    Social

    Change in

    Romania,

    1860-1940,

    Institute of

    International

    Studies, Berkeley,

    University

    of California, 1978, p.

    140-173,

    ainsi

    qu'

    I. Strenski, Four

    Theories

    of

    Myth in Twentieth

    Century

    History (Cassi-

    rer, Eliade, Lvi-Strauss and Malinowski), Iowa,

    University

    of

    Iowa

    Press, 1987, p. 70-128.

    On

    trouvera une critique des concepts

    fondamentaux de la Volkskunde dans Herman Bausinger, Volkskunde ou

    l'Ethnologie allemande,

    Paris,

    d. de

    la Maison des

    sciences de

    l 'homme, 1993. Parmi les sources roumaines d'Eliade,

    ct de Nae

    Ionescu, l'idologue de la Garde de

    fer,

    (D. Dubuisson, Mythologies

    du

    xxe

    sicle,

    op.

    cit., p.

    218-220

    ;

    A.

    Berger,

    Fascism and Religion.

    ..

    ,

    loc.

    cit., p.

    455-458) ,

    il

    faut

    imprativement

    citer

    Ludan

    Blaga,

    form

    en

    Allemagne

    comme Ionescu,

    et

    dont

    on

    lira, en franais, loge du

    village roumain, Paris,

    Librairie

    du savoir, 1989 (le texte date de 1937).

    Des tudes plus dtailles permettront de

    dire

    ce qu'Eliade lui

    a emprunt , qui est

    certainement considrable.

    Il faudrait

    galement

    pouvoir

    prciser

    quelles

    influences le christianisme orthodoxe, sa

    liturgie en particulier,

    a

    exerces sur la formation de sa

    pense

    (comparez,

    par exemple, O.

    Clment, Le

    Christianisme orthodoxe,

    Paris, PUF, 1991,

    p. 90, 91, M. Eliade,

    Aspects

    du mythe,

    op.

    cit.,

    p.

    213).

    77 -

    Cf .

    n . 70 ci-dessus. Dans

    cette

    perspective,

    il faudrait

    analyser avec

    soin

    ce qu'Eliade dit

    de

    la rforme d'Esdras

    et de

    la

    notion de peuple

    lu (Histoire

    des

    croyances..., II, op. cit., p.

    247 et

    266). Si

    les

    Juifs,

    semble-t-il avancer, ont t partisans

    d'une sgrgation

    ethnique, si

    le premier devoir

    du peuple

    juif

    tait donc de maintenir intacte son

    identit ,

    en

    ce cas les autres

    peuples.

    ..

    78

    -

    M.

    Eliade,

    Le Mythe

    de

    l'ternel

    retour,

    op.

    cit., p.

    121.

    79 - M. Eliade,

    Aspects

    du mythe,

    op.

    cit., p.

    209.

    80

    -

    M.

    Eliade,

    Histoire des croyances...,

    I, op. cit., p.

    191 ; de

    mme,

    Images

    et Symboles,

    op.

    cit.,

    p.

    207 et

    222-225

    ; Mythes, Rves et

    Mystres, Paris, Gallimard,

    1957,

    p.

    29 ;

    Le

    Sacr et le Profane,

    op. cit.,

    p. 98 : Le

    christianisme

    va encore plus loin dans la

    valorisation

    du

    temps historique , etc.

    81

    -

    Cf . J.

    Evola,

    Imprialisme

    paen, p. 11

    et 12, cit par

    P.

    -A.

    Taguieff,

    Julius Evola. .. , loc. cit.,

    p.

    31 : l'Occident ne connat plus la nature.

    Celle-ci

    n'est

    plus,

    pour l'Occidental, un

    corps vivant fait de symboles,

    de dieux ou de

    gestes rituels

    une

    harmonie,

    un cosmos dans

    lequel

    l'homme se meut libre, comme

    un

    royaume dans un royaume"

    : au

    contraire, elle

    est

    tombe en

    dcadence

    dans une extriorit opaque

    et

    fatale,

    dont

    les sciences

    profanes cherchent ignorer le mystre par

    des

    petites lois

    et

    des petites

    hypothses

    .

    82

    -

    M.

    Eliade, Fragments

    d'un

    journal,

    I,

    op.

    cit., p.

    302;

    de mme

    p. 327, 328, 379,

    380 et 402.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    10/11

    50 Daniel

    Dubuisson

    crtisme, c'est--dire les influences cananennes [...].

    Jamais

    la

    religiosit cosmique

    ne fut assaillie aussi

    sauvagement

    83.

    -

    Avec la

    quasi-disparition

    de la religion cosmique,

    qui

    ne survcut

    plus que

    chez quelques peuples

    primitifs

    ou

    paysans,

    disparurent

    galement la

    "joie

    de vivre",

    solidaire de

    toute

    religion cosmique84 , les grandes

    liturgies archaques,

    tels les sacrifices

    sanglants 85 et

    les orgies

    sexuelles86,

    de

    mme

    que les

    religions

    mystres87,

    les

    traditions sotriques et gnostiques

    88.

    En contrepartie, le christianisme

    imposa

    sa

    conception

    d'une

    vie religieuse centre

    sur la

    foi, signe tragique

    de

    l'homme dchu89,

    la morale (alors que, pour

    Eliade, triste pigone de Nietzsche, la perfection

    se

    situe

    au-del

    du

    bien

    et

    du

    mal90),

    l'incomprhensible

    grce91,

    l'thique sociale92

    et,

    plus grave peut-tre que

    tout ce qui

    prcde, l'accueil

    sur

    un

    plan d'galit de

    tous les hommes.

    Or, comme le dit sans

    dtour

    Eliade

    propos du yoga, mais son

    propos

    vaut

    pour

    toutes les

    religions

    : Comme toute gnose et toute

    mystique

    qui

    se

    diffusent et triomphent, le yoga tantrique n'arrive

    pas

    conjurer la

    dgradation

    en

    pntrant

    des

    couches

    sociales de plus

    en

    plus larges et excentriques.

    .. C'est le

    risque de tout

    message

    spirituel qui

    est assimil

    et

    "vcu"

    par des

    masses sans

    une

    initiation pralable 93.

    La

    notion

    de religion cosmique comme celle de

    christianisme

    cosmique

    ne

    sont

    gure

    pertinentes

    tant

    elles

    sont imprcises et

    partielles. Il suffit, par

    exemple, de

    considrer

    les religions

    prchrtiennes de l'Europe

    (grecque, romaine,

    celtique,

    germanique, etc.)

    pour

    constater aussitt qu'elles ne se rduisent pas

    simplement des cultes de la fertilit, des mythes ou des

    liturgies naturalistes. En outre, elles prsentent entre elles

    des diffrences considrables que

    rien

    n'autorise

    ngliger,

    surtout

    pas une notion aussi

    floue

    que

    celle

    de

    religion cosmique. En revanche, on devine immdiatement

    quel profit

    Eliade

    tirait de ses reconstructions sommaires

    et

    factices

    :

    en plaant

    ces

    formes

    de religiosit

    cosmique

    sous le double patronage de la nature et des

    communauts agraires traditionnelles,

    il se

    forgeait une arme

    tourne

    la fois contre les principes religieux

    fondamentaux

    du judo-christianisme (la foi, la charit, la loi

    morale,

    l'amour

    du prochain) et contre la plupart des crations

    intellectuelles

    de l'Europe moderne (la

    science,

    la

    dmocratie, les

    droits de l'homme, la

    raison

    critique).

    Ainsi

    Eliade

    put-il

    dresser l'un

    contre

    l'autre le

    judo-chr istianisme, mais

    tel

    qu'il

    le dfigurait,

    et sa religion cosmique

    au sein

    d'une

    opposition qui

    tait

    d'autant plus radicale

    qu'elle tait parfaitement artificielle 94.

    L'influence

    des

    caractres proprement

    idologiques

    de la pense d'Eliade ne transparat pas moins dans son

    got

    pour les courants gnostiques et

    sotriques.

    S'ils

    sont globalement

    hostiles aux principes moraux de la

    Grande

    glise,

    si

    les

    premiers

    ont

    mme

    diabolis

    le

    Dieu

    crateur

    des

    prophtes de l'Ancien Testament95, la

    plupart

    dfendent

    en

    supplment une vision

    litiste. Or,

    il s'agit

    l pour

    Eliade

    d'un

    point

    absolument

    capital.

    Sa

    conception

    de la

    vie

    religieuse

    repose pour l'essentiel

    sur

    l'activit de quelques

    tres

    d'exception96. Ainsi,

    il

    affirmait

    en 1962 : Du moins ces recherches ont-elles

    mis en lumire

    le rle des

    individus

    crateurs

    dans

    l'laboration et la transmission des mythes [...]. Ce sont les

    spcialistes

    de l'extase, les familiers

    des

    univers

    fantastiques qui nourrissent, accroissent et

    laborent les

    motifs

    83

    -

    M.

    Eliade,

    Histoire des

    croyances...,

    I,

    op.

    cit.,

    p.

    368;

    de

    mme,

    ibid., p.

    194 ; Fragments

    d'un

    journal, II,

    op. cit., p.

    251 ;

    Le Sacr

    et le

    Profane,

    op. cit., p. 151,

    152; Aspects du mythe,

    op. cit., p.

    211 : La

    solidarit mystique avec

    les

    rythmes cosmiques, violemment attaque

    par les

    Prophtes

    [...].

    Ce souci obsessionnel

    de djudaser (sic) le

    christianisme

    reprsente

    un

    thme central, commun au christianisme

    aryen

    (cf.

    note

    70) et au christianisme

    cosmique

    d'Eliade.

    84

    -

    M.

    Eliade,

    Histoire

    des

    croyances. .

    .,

    I,

    op. cit., p.

    369.

    85 - M. Eliade,

    Mythes, Rves et

    Mystres, op. cit., p. 176, 177.

    86 -M. Eliade, Occultisme,

    Sorcellerie..., op.

    cit.,

    p. 119,

    121

    et

    89 : Le

    judo-christianisme ayant

    dmonis la

    sexualit

    [...].

    87

    -

    Ibid., p. 88.

    88 - M. Eliade, Histoire des croyances. ..,11,

    op.

    cit., p.

    380.

    l'intrieur

    mme

    du

    judasme,

    Eliade

    prend naturellement

    parti

    pour

    la

    Kabbale

    contre

    les rigoristes

    talmudiques

    {Fragments

    d'un

    journal,

    I,

    op.

    cit.,

    p. 504, 505), pour la littrature apocalyptique, qui constituait une

    science sacre,

    d'essence

    et

    d'origine divines, inaccessible aux

    profanes

    et

    qui fut ensuite

    transmise

    quelques tres d'exception,

    contre l'ontologie

    de la Torah {Histoire

    des

    croyances...,

    II,

    op. cit.,

    p.

    262-265).

    89 - M. Eliade, Le Mythe de l'ternel

    retour,

    op. cit., p.

    181

    ; de mme,

    Mythes, Rves et Mystres,

    op. cit.,

    p.

    190,

    191.

    90 - Cf . M. Eliade, Mphistophls

    et

    l 'Androgyne,

    op.

    cit., p. 100. Sur

    l'amoralisme de Vbomo religiosus eliadien, conforme au ralisme

    hroque

    des Jnger, Evola, etc., voir D. Dubuisson, Mythologies du

    xxe sicle,

    op.

    cit.,

    p. 286-288.

    91

    M. Eliade, Fragments

    d'un

    journal, I,

    op.

    cit.,

    p.

    342.

    92

    -M.

    Eliade, Occultisme, Sorcellerie..., op. cit., p.

    87.

    93

    -

    M.

    Eliade,

    Le

    Yoga.

    Immortalit

    et

    libert,

    Paris,

    Payot,

    I960,

    p.

    293.

    94 - L'histoire religieuse de

    l 'humanit

    ne se ramne certainement

    pas

    cette caricature et l'on

    trouverait sans

    peine,

    parmi

    toutes

    les

    religions

    non

    chrtiennes, autant de religions que l'on veut - songeons

    simplement

    au

    bouddhisme

    - pour les opposer, elles aussi, cette nigma-

    tique

    religion

    cosmique .

    95 - Eliade

    parle

    volontiers de l ' intolrance et

    [du]

    fanatisme des

    prophtes {Histoire des

    croyances..., I, op. cit., p.

    194); ailleurs, on l'a

    vu, il

    voque

    leur

    frocit

    et la violence de leurs attaques

    Son

    admiration

    pour

    les auteurs gnostiques

    {Histoire

    des

    croyances...,

    II,

    op. cit., p. 358-361)

    s'explique

    sans doute aussi

    par le

    fait qu'ils taient

    hostiles la Loi

    et

    au Dieu juifs. R. Goetschel {La Kabbale, Paris,

    PUF,

    1993, p. 30)

    parle

    de leur

    antismitisme mtaphysique

    (sur ce

    point,

    on se reportera

    la brve synthse de

    J.

    Danilou, L'glise des

    premiers temps. Des origines

    la fin

    du

    nf

    sicle,

    Paris,

    d. du Seuil,

    1985,

    chap,

    v

    et

    vin).

    96 -M. Eliade, Histoire

    des

    croyances...,

    II,

    op.

    cit., p.

    263.

  • 7/26/2019 L'sotrisme fascisant de Mircea Eliade

    11/11

    L'SOTRISME

    FASCISANT

    DE MlRCEA ElIADE

    5/

    mythologiques traditionnels [...]. Les diffrents

    spcialistes du

    sacr,

    depuis

    les

    chamans

    jusqu'aux bardes,

    ont

    fini

    par imposer

    dans

    les collectivits respectives

    au

    moins

    quelques-unes

    de

    leurs

    visions

    imaginaires

    [...].

    En un mot, les expriences religieuses privilgies,

    lorsqu'elles sont communiques

    par

    le truchement

    d'un

    scnario

    fantastique

    impressionnant,

    russissent

    imposer

    la communaut

    tout entire

    des

    modles

    ou des

    sources

    d'inspiration. Dans les

    socits archaques comme

    partout

    ailleurs,

    la

    culture

    se constitue et se renouvelle grce

    aux expriences de

    quelques

    individus97.

    Sur

    ce point,

    l'opinion

    d'Eliade ne prsente aucune

    espce d'ambigut et

    n'a

    gure vari. On

    la trouvait dj

    clairement

    exprime dans ses articles

    politiques

    d'avant-

    guerre98,

    dans

    sa

    conception aristocratique^

    de

    la

    Garde de fer fonde par Codreanu, dans son apologie du

    rgime salazariste 10.

    litisme101 et sotrisme, dfinition ultra-autoritaire

    du

    pouvoir

    politique,

    conservatisme, antijudasme

    et

    antichristianisme, naturalisme et ruralisme

    mystiques,

    conception organique

    de

    la

    nation

    :

    il

    suffit d'numrer

    les thmes majeurs autour desquels s'est

    dveloppe

    l'uvre d'Eliade pour mesurer quel point,

    derrire

    sa

    rhtorique

    et sous son travestissement religieux,

    elle

    n'a

    fait que

    reprendre

    et

    transposer certains

    de ceux auxquels

    se

    rallirent,

    au cours

    des annes vingt et trente, tant

    d'intellectuels

    et

    de

    courants de

    pense

    qui

    s'opposrent

    brutalement

    la dmocratie, aux

    droits

    de l'homme, la

    notion

    de progrs et aux lumires de la science moderne.

    Ainsi,

    celui

    qui n'a

    cess de dnoncer l'histoire, de

    l accabler de toutes

    les

    tares en attribuant son

    invention

    aux

    Juifs, en

    subit

    la revanche

    et

    laisse une uvre

    profondment

    date,

    marque par les plus sombres lueurs de son

    temps.

    Dans

    ces conditions,

    on

    mesure

    mieux

    l'inanit du

    dbat qui consiste se

    demander

    si

    Eliade

    a t naf, une

    espce de Lacombe Lucien artiste et mystique, victime de

    son anticommunisme102, ou de quand date sa

    transformation

    from

    politics

    to

    religion1^.

    Eliade, aprs

    1945,

    en

    tant qu'historien des religions, n'a

    jamais dsavou ses

    convictions

    litistes, antimodernistes et

    antismites104

    d'avant-guerre ; il

    n'a

    pas non

    plus tourn

    le

    dos

    son

    got

    pour

    l'occulte et l'sotrisme.

    Il

    leur a

    simplement

    donn

    une

    ampleur et

    une

    rsonance plus vastes en

    les

    camouflant105 , c'est--dire en les transfigurant et en

    les

    sublimant

    dans

    un

    langage

    diffrent,

    celui

    de

    ses

    conceptions trs personnelles des univers religieux.

    97

    - M. Eliade,

    Aspects

    du

    mythe,

    op. cit.,

    p.

    182, 183.

    98

    The

    creative lites

    of

    modem

    Romania are the

    only ones

    who

    have

    the

    right of succession

    to the

    peasant

    class.

    Romania

    could

    dispense

    with

    every

    other social element

    save

    the peasantry and the

    creative elite. .. On

    the

    one

    hand,

    folkloric creation, collective organic

    life ;

    on

    the other, personal genius

    which

    arrives by itself at the

    consciousness

    of Romanian realities, in M.

    L.

    Ricketts, Mircea

    Eliade. .., op. cit., p.

    914

    (sa

    traduction).

    Ce texte date

    de

    1935, comme

    celui-ci : The "masses" have nothing

    to

    do with

    artistic

    creation or

    with scientific or philosophical research (ibid., p. 889). la mme

    poque,

    Julius Evola crivait que l'Occident moderne avait

    systmatiquement

    dtruit

    ce

    qui

    est

    la

    prmisse

    mme

    de

    toute

    tradition

    ;

    le

    contact avec la ralit mtaphysique par l'intermdiaire d'une

    lite

    autour de laquelle

    tout

    le

    reste

    s'organise, naturellement

    et

    hirarchiquement, cit par P.-A. Taguieff,

    Julius

    Evola... , loc.

    cit., p.

    44,

    note

    50.

    99 - M. L. Ricketts, Mircea Eliade,

    op.

    cit., p.

    927

    (texte de 1938).

    10 0

    - Publie en 1942

    (cf.

    note

    52 ci-dessus).

    Son admiration pour

    Mussolini n'tait pas moins enthousiaste

    (cf.

    M.

    L.

    Ricketts,

    ibid.,

    p. 901 ; on trouvera

    dans

    le mme

    ouvrage, p. 1393, une partie

    de

    ce

    que

    M. L. Ricketts considre

    comme

    his only article that could be

    construed as pro-hitlerist ).

    10 1

    - [...] Ce mot est celui d' lite , dont nous nous sommes servi

    pour

    dsigner quelque chose qui

    n'existe

    plus dans l'tat actuel du

    monde occidental,

    et

    dont la

    constitution,

    ou plutt la reconstitution,

    nous

    apparaissait

    comme

    la

    condition premire

    et

    essentielle

    d'un

    redressement

    intellectuel

    et

    d'une

    restauration

    traditionnelle

    ,

    R.

    Gu-

    non,

    Aperus sur l ' initiation, Paris,

    d.

    traditionnelles, d. de 1992,

    p. 272.

    Du mme,

    La Crise

    du

    monde moderne,

    Paris,

    Gallimard,

    1946,

    p.

    95. Dans ces

    conditions,

    on doit au moins

    reconnatre

    avec

    A. Faivre

    (L'sotrisme, op.

    cit., p. 115) qu'il existe

    entre

    certains

    reprsentants de la

    Tradition

    (au sens pur

    et dur) et

    certains

    mouvements d'extrme-droite une affinit naturelle .

    10 2

    - M.

    L.

    Ricketts,

    Mircea

    Eliade, op. cit., p.

    903 et

    1393.

    10 3

    -

    I. Strenski,

    Four

    Theories

    of Myth. .., op. cit., p. 212, note

    97 ; de

    mme

    N. Manea,

    Mircea

    Eliade et la

    Garde

    de fer,

    Les Temps

    modernes, 549, 1992, p.

    108.

    10 4

    - A.

    Berger,

    Fascism and Religion... , loc. cit., donne

    p.

    463,

    note 7,

    les rfrences

    des principaux articles antismites crits par

    Eliade

    entre 1932 et

    1937.

    10 5

    -

    Ce

    terme

    est

    utilis

    sans

    cesse

    par

    Eliade

    pour

    caractriser

    la

    manire

    par laquelle la

    face invisible

    des hirophanies exprime la

    sacralit cosmique ; par

    exemple Les

    Moissons du solstice, op.

    cit.,

    p. 60,

    154 et

    217; Fragments

    d'un journal, I,

    op.

    cit., p.

    427, 443

    et

    506

    ;

    Fragments

    d'un journal, II, op. cit., p. l6l,

    265 et 282

    ; L'preuve

    du

    labyrinthe,

    op. cit., p.

    203 ; Aspects

    du mythe, op. cit., p. 178, etc.