Les Vivants Et Les Morts Dans La Civilisation Médiévale
-
Upload
georges-j-f-bertin -
Category
Documents
-
view
8 -
download
0
description
Transcript of Les Vivants Et Les Morts Dans La Civilisation Médiévale
Les vivants et les morts dans la civilisa0on médiévale
Mar0n Aurell Université de Poi0ers -‐ CESCM
Dis0nc0on floue entre les vivants et les morts: un tableau pré-‐raphaëlite; la con0nuité du thème
Avalon; les fées aimantes; le Graal et l’ange « chré0en »
James Archer, La Mort d’Arthur, huile sur bois, 1860. 43,2 x 50,9 cm Manchester City Galleries.
Le débat de la survie d’Arthur au XIIe s. • Geoffroi de Monmouth, clerc d’Oxford, en la0n:
– Histoire des rois de Bretagne (1136-‐1137) : Prophé0e de Merlin : exitus ejus dubius erit, §112 ; à la bataille de Camlan, « Arthur est blessé à mort et porté sur l’île d’Avalon pour y être guéri », §178. Son épée Caliburn avait été forgée au même endroit, §147.
– Vie de Merlin (1149-‐1151) : l’île aux Pommes ou île Fortunée que neuf sœurs gouvernent. L’aînée, Morgane examine aden0vement sa plaie et lui promet, grâce à ses herbes, la guérison, pourvu qu’il reste longtemps sur l’île et qu’il accepte ses remèdes.
• Le Normand Wace, Roman de Brut (1155), en français : « Arthur est encore à Avalon, mais les Bretons l’adendent, comme ils le disent et ils le croient ; il en reviendra et il pourra encore vivre. »
• L’Anglo-‐Saxon Guillaume de Newburgh (1136-‐1198), Histoire des affaires anglaises : D’après Geoffroi, Arthur survit, « n’osant pas le dire mort par peur de ces “brutes de Bretons” [Isidore de Séville] qui adendent toujours son retour ».
• Probléma0que du colloque: « Le rapport au vivant n’est pas dénué de toute dimension imaginaire et mythique. » Y compris de nos jours: « santé parfaite », « homme bionique » à la longévité infinie…
• Le Moyen Âge, d’autres formes de percevoir le vivant (et le mort). Peu d’empirisme (fausse accusa0on portée contre Frédéric II). Reprise d’une culture orale et d’une tradi0on écrite. – « Pensée sauvage » de Claude Lévi-‐Strauss ≠ « Mentalité primi0ve » de Lucien Lévy-‐Bruhl
• Nostalgie? Non pas, même si certaines dérives de la science du vivant de nos sociétés « hypertechnicisées » ont de quoi inquiéter.
« Histoires », thème du colloque
• Le pourquoi de la méthode historique – « L’historien sert à poser des problèmes », Carlo Ginzburg. – « Seule la théorie décide de ce qui doit être observé », Albert Einstein
• Histoire(s) [History≠story] et récit – « On peut dire que la fic0on est quasi-‐historique, tout autant que l’histoire est quasi-‐fic0ve. L’histoire est quasi-‐fic0ve dès lors que la quasi-‐présence des événements placés “sous les yeux” du lecteur par un récit animé supplée, par son intui0vité, sa vivacité, au caractère élusif de la passéité du passé, venant raconter les événements comme s’ils s’étaient produits ainsi. », Paul Ricœur
Sources d’inspira0on
• Dede envers l’école de J. Le Goff (1924-‐2014, in memoriam) à l’EHESS: ses propres travaux sur le Purgatoire, J.-‐C. Schmid et revenants, J. Baschet sur la dualité âme-‐corps.
• Vaste bibliographie arthurienne.
• Plan à l’envers (du moins pour la première par0e, en termes de « progrès »), mais les défini0ons et nos représenta0ons contemporaines viendront ainsi en premier pour la clarté de l’exposé. Trois formes de savoir: – Théologie, philosophie: notre percep0on moderne, même « cartésienne », en est condi0onnée.
– Mythe: vieux fond païen, préchré0en – Légende: réinterpréta0on chré0enne, jusqu’à nos jours.
Théologie
Exégèse biblique et philosophie scolas0que
Connaissance de type « savant »
– En la0n, langue cléricale d’une civilisa0on pres0gieuse perdue; de la Vulgate et de la liturgie aussi
– Pensée écrite ou prêchée (parole en posi0on d’autorité)
– Commentaire de la Bible, livre révélé – Ou0ls intellectuels d’une certaine argumenta0on (fondée sur l’œuvre logique d’Aristote, traduite par Boèce).
Vie = auto-‐mo:on = anima:on Des concepts familiers,
usuels dans la philosophie occidentale • Anima, « âme »; mort, sépara0on de l’âme et du corps.
• Trois sortes d’âmes ou les trois niveaux du vivant: – Âme végéta0ve: croître, grandir, se reproduire. – Âme sensi0ve: sen0r, se déplacer. – Âme ra0onnelle: intelligence et volonté.
• Dans l’aristotélisme, qui s’impose au XIIIe s., l’âme de l’homme englobe les trois autres en une seule. La connaissance n’est plus celle du souvenir platonicien, mais elle commence par l’âme sensi0ve. Dans la scolas0que la0ne (≠ averroïsme), l’âme est individuelle.
Exégèse médiévale d’un texte fondateur: Gn 2,7
Dieu insuffle l’âme (enfant) à Adam: « Yahweh Dieu forma l'homme de la poussière du sol, et il souffla dans ses narines un souffle de vie, et l'homme devint un être vivant. » Mosaïque de la Basilique de Saint-‐
Marc de Venise (XIIIe siècle)
La descrip0on « poé0que » ou « métaphorique» d’Hildegarde de Bingen — Inspira0on
d’en haut; mise en forme masculine (tablede de cire ≠ version sur parchemin)
Livre des Œuvres divines. Biblioteca statale, Lucca (Toscane), ms 1942, fol 1v.
« Le vent vivant qu’est l’âme entre dans l’embryon [...], le for0fie et se répand en toutes ses par0es, comme un ver qui 0sse sa soie : il s’y installe et s’y enferme comme dans une maison. [...] Il emplit de son souffle tout cet assemblage, de même qu’une maison tout en0ère est illuminée par le feu qu’on y fait [...] ; l’âme garde la chair, grâce au flux du sang, dans une humidité permanente, de même que les aliments, grâce au feu, cuisent dans la marmite ; elle for0fie les os et les fixe dans les chairs, de façon que ces chairs ne s’effondrent pas : tout comme un homme bâ0t sa maison avec du bois pour qu’elle ne soit pas détruite ». Hildegarde de Bingen, Les causes et les remèdes, trad. P. Monat, Paris, Millon, 1997, p. 81-‐82.
La représenta0on ternaire (contre les dualismes manichéens)
• « Esprit, âme, corps », I Thes 5, 23. Supériorité de l’esprit sur l’âme: « C'est pourquoi il est écrit: Le premier homme, Adam, devint une âme vivante. Le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant. », 1 Cor, 15, 45.
• Trilogie reprise par Augus0n d’Hippone (354-‐430), mais encore au XIIe siècle par Hugues de Saint-‐Victor. – L’âme (anima, ψυχή= Nephesh, ַנֶּפֶׁש) « anime » le corps des animaux et des hommes.
– L’esprit (spiritus, πνεῦμα), appar0ent à l’homme seul qui peut s’élever par lui à Dieu: « l’homme spirituel est plus haut que l’homme psychique » (I Cor 15, 40-‐50).
– Le corps
Anima0on et hylémoprhisme: deux coprincipes
« Certains ont lu dans ce texte (Gn 2, 7) que le corps de l’homme avait été formé d’abord, et qu’ensuite, à ce corps déjà formé, Dieu avait infusé une âme. Mais c’eût été contraire à la perfec0on de la créa0on ini0ale des choses, si Dieu avait fait soit le corps sans l’âme, soit l’âme sans le corps, puisque l’un et l’autre sont une par0e de la nature humaine. Et cela est encore plus inexact pour le corps, qui dépend de l’âme, que pour l’âme elle-‐même. Aussi, pour exclure cede interpréta0on, certains ont-‐ils soutenu que lorsque le texte dit : “Dieu modela l’homme”, il faut entendre la produc0on du corps et de l’âme tout ensemble [...]. Ainsi donc, par “haleine de vie” il faut entendre l’âme ; et les paroles ; “il insuffla sur sa face une haleine de vie” sont comme une explica0on de ce qui précède, car l’âme est la forme du corps », Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, 91, 4.
Créa:onisme Les parents, la Trinité et l’infusion de l’âme lors de la concep0on de l’enfant (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 5206, fol. 174, vers 1490). Triomphe sur la préexistence de l’âme (dans le plérôme) ou sur le traducianisme (âme dans la semence des parents). Augus0n admet les trois thèses.
La mort L’âme sort du corps (Leyde, Bibliothèque Universitaire, BPL 74, fol. 92, Pèlerinage de l’âme, c. 1400-‐1410). — La mort, le diable et l’ange autour d’elle.
Âme au paradis L’âme sainte de Thomas d’Aquin élevée jusqu’au ciel par saint Pierre et saint Paul (fresques de l’église Santa Maria in Piano à Loreto Apru0no, Abruzzes, vers 1420). Images extraites de J. Baschet, « Âme et corps dans l’Occident médiéval : une dualité dynamique, entre pluralité et dualisme », Archives de sciences sociales des religions, 2000.
« Entrelacer corps et âme » J. Baschet La résurrec0on de la chair au jugement final (Bourges)
Conclusions • Une philosophie élaborée autour de la dualité et de la complémentarité âme et corps. L’âme supérieure apporte la vie: créée, semi-‐éternelle.
• La mort comme sépara0on; le jugement par0culier (de l’âme) et le jugement final (du corps et de l’âme).
• Enfer, purgatoire (de plus en plus mis en avant et « spacialisé », J. Le Goff), ciel.
• Pas de place au monde pour l’âme en peine ou pour le mort-‐vivant? C’est aussi complexe et débadu que la survie d’Arthur à Avalon.
Mythe
Le mort en double du vivant et cohabitant avec lui
Savoir « archétypal », une religion naturelle, première
• Un récit offert en sacrifice aux dieux pour leur rappeler leurs exploits et obtenir leurs faveurs: – la survie d’Arth (« ours »), gwr (« homme ») et les cultes d’ursidés, liés à la fin de l’hiberna0on et au retour du printemps.
• Registre non pas tant de l’argumenta0on ou de la logique, mais de la narra0on, des « histoires » sur les vivants et les morts.
• Un système cohérent de croyances qui se perpétue au Moyen Âge depuis l’An0quité: dans les marges du chris0anisme de plus en plus diffusé.
Le paganisme romain
• Proximité des défunts – Lares: divinités domes0ques d’origine étrusque: ancêtres déifiés protégeant le foyer.
– Lémures: âmes damnées ayant connu une fin tragique; elles hantent les vivants.
• L’Au-‐delà des morts – Les Enfers avec leurs champs Elysées « mollement » paradisiaques; la catabase très interpolée de l’Odyssée, et celle de l’Énéide.
Les plaques peintes de Cerveteri (Louvre). Génie ailée et âme?
La survie corporelle du guerrier germanique ou de son double quasi-‐physique (draugar )
≠ dualité âme-‐corps chré:enne
• Asmund se fait descendre dans la tombe de son ami Aswid, qui revient toutes les nuits à la vie. Il a dévoré son cheval et son chien et il adaque Asmund, mangeant son oreille. Asmund se résout à lui trancher la tête et à lui planter un pieu dans le corps pour l’immobiliser. – Saxo Gramma0cus (1149-‐1216), Geste des Danois, éd. Holder, p. 162.
Le tombeau de Childéric Ier (457-‐481) à Tournai, découvert en 1653
Les 300 abeilles ou cigales du manteau: métamorphose et immortalité
Une trentaine de chevaux dans les fosses autour
La traversée de la mer ou de l’Au-‐delà
Bateau-‐tombe anglo-‐saxon de Sudon Hoo (Suffolk): chêne, 30 m., début VIIe s., mis à jour en 1939.
Bouclier et heaume de Sudon Hoo
Recons0tu0on
Retour à Avalon: Immrama, « naviga0on »
• L’Autre Monde cel0que, pays de cocagne situé au-‐delà des mers, qu’habitent des fées aux pouvoirs étendus et des âmes à l’éternelle jeunesse, suscep0bles de revenir parmi les mortels, avec lesquels ils n’ont jamais cessé de communiquer. On y trouve: – Le pommier (aval, apple) nourrit à jamais et de donner même l’immortalité
– Le forgeron, fabriquant les armes des dieux – Le chaudron d’immoralité – Des prisonniers (âmes à libérer; à faire revenir au monde des vivants; la mauvaise fée qui les re0ent)
Bu'n de l’Autre Monde: Preideu Annwfyn Arthur navigue sur Prydwenn pour prendre le chaudron d’abondance, dans une forteresse, carrée et en verre, où Gwair est emprisonné. Enigme par le por0er et lude avec 6000 guerriers. Refrain: « Ils par0rent sur trois bateaux, mais seulement sept survivants revinrent. » 60 vers, moyen gallois, Livre de
Taliesin (Aberystwyth, NLW, Peniarth MS 2, 1300-‐1350)
Le registre de l’inquisiteur Jacques Fournier à Montaillou (1294-‐1324)
Persistance des croyances païennes – Les armiers: Arnaud Gélis, domes0que d’un chanoine, qui rencontre les défunts qui lui demandent des messes; une défunte le charge de réconcilier sa fille et son gendre… Chris0anisa0on.
– Omniprésence des morts qu’on heurte si on étend trop brusquement les jambes ou les pieds en marchant.
– Errance des revenants proches des vivants, propre au « folklore horizontal » selon Emmanuel Le Roy Ladurie, par opposi0on à la « ver0calité » de la théologie.
Survie du chamanisme? • Une cousine d’Arnaud Gélis part régulièrement trois ou quatre jours chez les morts et en revient adristée
• Modèle chamanique du voyage astral de Carlo Ginzburg et BenandanP du Frioul au XVIe siècle, qui ludent contre les sorciers dans leur sommeil = sabbat des sorcières. Grande chasse de l’époque moderne.
Conclusions
• Sur le plan théorique, incompa0bilité avec la théologie chré0enne (dualité du mort-‐vivant et
• Pourtant, no0on de « Mythème » du structuralisme: des éléments per0nents d’un système cohérent, signifiant, qui perdent sens séparés de celui-‐ci.
• Des « mythèmes », séparés, ayant perdu leur sens, du moins par0ellement, mais qui survivent.
Légende
Hagiographie, miracle, exemplum
A la confluence de la théologie la0ne et du mythe oral, païen
• Différence : « Les païens prient les morts; les chré0ens prient pour les morts », Salomon Reinach.
• Le savoir de la légende: un amalgame. – Oralité et récit en vernaculaire – Ecriture en la0n pour être lu: le gérondif legenda
• Aussi bien « merveille » (mirabilia et défi naturel de l’ordre du monde) que « miracle », voulu par Dieu.
La « normalisa0on » ou le rejet des morts sauf martyrs et saints
• As-‐tu mangé des idolothytes [viandes offertes aux idoles], c’est-‐à-‐dire les offrandes qui sont faites en certains lieux près des sépultures des morts, ou près des sources, des arbres, des pierres ou aux croisées des chemins; as-‐tu amoncelé des pierres, ou placé des rubans de coiffure auprès des croix érigées à la croisée des chemins? « As-‐tu fait ou as-‐tu consen0 à ces vanités que des femmes stupides ont l’habitude de faire: pendant que le cadavre d’un homme mort se trouve encore à la maison, elles courent chercher de l’eau; elles apportent en silence un récipient d’eau et au moment où l’on soulève le cadavre, elles répandent l’eau sous le brancard; et pendant que l’on porte le défunt hors de la maison, elles observent à ce qu’on ne le soulève pas plus haut que la hauteur des genoux; et elles font ceci pour une guérison? », Burchard de Worms, PénitenPel, c. 1000
Le retour d’un damné vénéré par erreur, d’après Sulpice Sévère (c. 397)
« L’évêque Mar0n de Tours s’y rendit, et, se tenant sur le sépulcre. Il pria le Seigneur de lui faire connaître quel homme avait été enterré dans ce lieu, et quels pouvaient être ses mérites. Alors il voit se dresser à sa gauche un spectre affreux et terrible. Mar0n lui ordonne de déclarer qui il est et quels sont ses mérites devant le Seigneur : le spectre se nomme, avoue ses crimes, dit qu’il est un voleur, mis à mort pour ses forfaits et honoré par une erreur populaire ; qu’il n’a rien de commun avec les martyrs, qui sont dans la gloire, tandis qu’il est dans les tourments. Ceux qui étaient présents entendirent cede voix étrange sans voir personne. » On détruit son autel.
— « Image du corps » selon Augus0n d’Hippone, « ombre » ou « spectre » selon Sulpice. Pas l’âme à proprement parler, mais son reflet voulu par Dieu.
• Nécromancie => Nigromancie. Saül, Samuel et sorcière d’Endor (I Rois 28) : diabolisa0on. ü Bible historiale de
Guyart des Moulins, Morgan Library, ms 394, f. 82v (1400-‐1425)
Mais souplesse: pas toujours de « diabolisa0on » : Samuel en spectre ou « fantôme »: le drap blanc (suaire) qui deviendra transparence spectrale jusqu’aux représenta0ons contemporaines. Kayserchronik, 1375-‐1380, Morgan Library
La Mesnie Hellequin (Heer, « armée », Thing, « assemblée ») selon Orderic Vital (1075-‐1142)
• Vision de Walchelin, prêtre de Bonneval, la nuit du 1er janvier 1091 [sols0ce, crépuscule, mais état de veille du passeur ou médiateur].
• L’armée d’âmes damnées, marchant selon le schéma des trois ordres (péchés professionnels, sermones ad status).
• Impossibilité de descendre de cheval, dont les selles sont atrocement brûlantes et d’autres tourments. [Cheval et cauchemar].
• Demandes de suffrages.
La condamna0on du tournoi par l’exemplum
« Cede même année 1223, un prêtre d’Hesbaye, qui voyageait la nuit d’un village à un autre, a vu, au crépuscule, dans un champ près du château du comte de Looz, un immense tournoi de morts qui appelaient fortement : « Sire Gau0er de Milene, Sire Gau0er de Milene ! » Ce Gau0er, renommé en chevalerie, venait à peine de mourir. Le prêtre ayant compris que ces morts avaient par0cipé aux foires détestables de chevaliers, il se protégea en traçant un cercle autour de lui. La vision cessait, puis revenait, et il fit de même, souffrant jusqu’à l’aube. Ces deux visions m’ont été racontés par Wigier, moine de Villiers. » Césaire de Heisterbach (1180-‐1240), Dialogue autour des miracles, XII, 17.
– Nundinæ execrabiles, repris de la condamna0on du concile de Clermont de 1130 selon le Digeste de Gra0en.
– La vision précédente parle d’un tournoi de démons au lieu où un autre chevalier a été tué.
– Le cercle iden0que dans le procès de Gilles de Rais (1440).
Le tournoi du Perlesvaus (l. 5071-‐5088), roman arthurien « chré0en »
Des âmes en peine de ceux qui ont été tués au combat sans avoir pu se repen0r. Elles prennent l’apparence de guerriers noirs qui se badent entre eux avec leurs glaives en flammes. Elles se trouvent aux alentours de l’Aître Périlleux où, en raison de sa bénédic0on par saint André, elles ne pourront jamais pénétrer afin de s’y reposer. La mort violente leur a ainsi fermé les portes du paradis.
Arthur chevauchant un bouc, cathédrale d’Otrante, Pouilles, 1165
Dessin avant la restaura0on (absence de couronne)
Arthur à Otrante: diabolique ou chris0que?
• Nain venu des profondeurs de la terre?
• Âme damnée de la chevauchée fantas0que, de la Mesnie Hellequin?
• Christ ludant contre le diable, le Chapalu?
Même ambiguïté à la cathédrale de Modène (Emilie): archivolte du portail de la Pescheria
(1100-‐1150)
L’adaque de la forteresse
Guenièvre (Wingolee) séquestrée
Artus de Bretania à sa rescousse
Vie de saint Gildas (ca. 1130) par Caradog, moine gallois de Llancarfan
Il la rédige au service du monastère anglais de Glastonbury (Somerset, sud-‐ouest de l’Angleterre), qui veut a�rer des pèlerins.
Gildas de Rhuys en pacificateur
• Caradog raconte l’histoire du rapt de Gwenhwyfar par Melwas, roi du Somerset, qui l’amène à Glastonbury (dont il dit l’étymologie: « Ville de verre »). Glastonbury protégé par les rivières et les marécages.
• Arthur l’assiège et Gildas et l’abbé s’interposent et parviennent à imposer un accord aux belligérants (Guenièvre remise à Arthur).
Une histoire « païenne »
• Gwenhwyfar (« Blanche fée ») séquestrée par Melwas en vers cymriques (tradi0on orale?)
• Significa0on proche de l’Immrama (eau, verre). – Une catabase? Le mari qui récupère sa femme des profondeurs de la terre (Orphée et Eurycide).
– Un mythe des origines sur les saisons, le retour de la reverdie après que la végéta0on a été anéan0e par une divinité maléfique, hivernale, de l’Autre-‐Monde
La tombe d’Arthur à Glastonbury • Elle est « inventé », au sens médiéval du terme, en 1191 (un monastère coutumier du fait: même reliques de Patrick) – Fin de l’« espoir breton », gênant théologiquement pour le clergé.
L’intérêt poli0que des rois angevins d’Angleterre
• « Les Gallois se sont bien vengés. Ils ont massacré beaucoup de nos Français. Ils ont pris quelques-‐uns de nos châteaux. C’est avec fierté qu’ils nous ont menacés. Ils disent partout ouvertement qu’à la fin ils posséderont tout. C’est grâce à Arthur qu’ils reprendront tout le territoire et qu’ils l’appelleront Bretagne à nouveau. » – DescripPon d’Angleterre (vers 1140)
Avatars courtoises de l’histoire: les amours consen0es de Guenièvre pour Lancelot
Le premier baiser (Lancelot du Lac, Ms Fr 118), 1400-‐1415
Le Pont de l’épée Lancelot le traverse
pour libérer Guenièvre et les autres cap0fs de Maleageant (Melwas).
BNF, fr 115, f. 367v Ses plaies aux mains
et aux pieds et aux genoux sont pansées par l’onguent des trois Maries, Chré0en de Troyes, Les Chevalier de la charre\e, v. 3112.
Le Pont de l’épée et la prédica0on: la mort de la martyre
• Sermon du XIIIe siècle sur le martyre de sainte Agnès: « Ce fut Agnès qui traversa le Pont de l’Epée avec Lancelot du Lac », cité par Zink, La PrédicaPon…, p. 378.
Sculpture de l’église Saint-‐Pierre de Caen, XIIIe s.
Conclusions
• Les mul0ples u0lisa0ons d’une histoire entre le paganisme, la courtoisie et le chris0anisme – Le rapt de la fée blanche libérée par la catabase de l’homme ours: un mythe de l’éternel retour de la végéta0on au printemps.
– L’histoire est associée aux guerres pour les femmes, détentrices de la souveraineté, et à leur rapt chez les celtes à tendance matrilinéaire.
– L’histoire « courtoise », autour de la fin’amour de Lancelot et Guenièvre
– L’exemplum chré0en de la martyre Agnès mourant pour sa foi et pour le salut des âmes.
Conclusion générale • Je n’oserais pas m’aventurer dans l’analyse sociologique du succès des morts vivants dans la fic0on actuelle.
• Les avatars de la Mesnie Hellequin => Armée des morts de Tolkien
Le Hollandais volant de Wagner aux Pirates des Caraïbes, en passant par Pandora
Ra0onalité contemporaine?
• Un polard récent où l’assassin profite de la crédulité générale de son village en la Mesnie Hellequin pour sévir.
Plaidoyer pro domo au terme d’un parcours broyant les fron:ères entre le vivant et le mort
• Quand ils écoutent une histoire, la plupart des médiévaux savent parfaitement faire la différence entre – Le contrat référen0el de l’historien au sens posi0viste du terme
– Le contrat fic0onnel du conteur ou romancier
Ne tut mençunge, ne tut veir, Tut folie ne tut saveir
• « Je vous parle d’une longue période de paix : je ne sais pas si vous en avez entendu parler. C’est là que furent prouvées les merveilles et trouvées les aventures, si souvent racontées d’Arthur, qu’elles ont été tournées en fables : tout n’est ni mensonge, ni vérité, ni folie, ni savoir. Les narrateurs les ont tellement racontées et les conteurs en ont fait tant des fables pour embellir les contes, que tout semble désormais de la fable. » – Wace, Roman de Brut.
• Les médiévaux savent faire la différence entre le vivant et le mort, entre l’Histoire (history) et les histoires (histories).
• Veulent-‐ils l’accepter? Ils considèrent assurément qu’une ra0onalité excessive appauvrit la percep0on du réel, qui con0ent toujours une part insaisissable de mystère.