LES VIKINGS DE LA GUADELOUPE - klkom. · PDF fileque de la biguine, du jazz et des cadences...

2

Click here to load reader

Transcript of LES VIKINGS DE LA GUADELOUPE - klkom. · PDF fileque de la biguine, du jazz et des cadences...

Page 1: LES VIKINGS DE LA GUADELOUPE - klkom. · PDF fileque de la biguine, du jazz et des cadences coloniales acclimatées aux latitudes tropicales (valse créole, mazurka créole, etc.).

Les Vikings sont les premières rockstars de Guadeloupe. Ilsincarnent le même élan de liberté anticonformiste que LedZeppelin dans le rock anglais dans les années 1960, The Im-pressions pour la soul américaine à la même période, et Or-nette Coleman dans le jazz quelques années plus tôt. S’ils nejouent pas vraiment du rock, ces jeunes branchés aux modesvestimentaires insolites réinventent la musique des tropiques eten bousculent les codes culturels avec une telle vigueur que leurschansons sonnent comme la B.O. d’une société en pleine mé-tamorphose. Leur popularité explose dès leurs premiers concertsà la Cocoteraie, un des clubs les plus populaires de Pointe-à-Pitre au Gosier.

“Toute notre génération donnait un coup de main, explique Ca-mille Sopran’n Hildevert, saxophoniste et leader des Vikings.Le cycliste Alain Pauline (deux fois vainqueur du tour de la Gua-deloupe en 1966 et 1967-ndr) nous adorait, et son manager était lebeau-frère d’Henri Debs, des disques Debs, le label le plus importantde l ’île avec Célini. La connexion entre le sport et la musique étaitévidente. On donnait des concerts dans des stades de football remplisà craquer avant les matchs des joueurs du Red Star de Pointe-A-Pitre, que les gens ont fini par surnommer aussi “Les Vikings du RedStar”. Le trio Vikings-Red Star-Pauline était célèbre, les gens di-saient que ces trois associations de jeunes portaient la Guadeloupe.”

La nouvelle génération de musiciens va rompre avec la tradi-tion des grands orchestres de bals qui n'interprétaient autrefoisque de la biguine, du jazz et des cadences coloniales acclimatéesaux latitudes tropicales (valse créole, mazurka créole, etc.). Dansces nobles orchestres, les vertus de l’écoute et la dextérité du gestese transmettaient de pères en fils, au sein de longues lignées demusiciens, dans les familles Siobud, Stellio, Fanfant, Gengoul,Mavounzi, Antile par exemple, dont les enfants faisaientconsciencieusement leurs gammes au conservatoire et à l’Or-chestre Philharmonique de Pointe-à-Pitre. Mais au milieu desannées 60, les rues de la capitale se peuplent peu à peu d’étu-diants qui déambulent sur les trottoirs avec une guitare dans ledos, attachée en bandoulière sur leur veste en cuir. Autodidactesdécomplexés, ils répètent dans les arrière-cours, forment de pe-tits groupes qui rejouent ce que crachent les transistors aux an-tennes pointées vers les îles voisines et le continent américain.

Les jeunes Antillais reproduisent un phénomène déjà observa-ble dans d’autres capitales de l’arc caribéen : la réduction de lataille des orchestres. En Haïti par exemple, c’est la folie du “mini-jazz” qui doit son nom à l’apparition de nouvelles formationsresserrées au strict minimum : un set de percussions (ou une bat-terie) accompagné d’une basse et d’une ou deux guitares suffisentpour animer les bals pendant des nuits entières. La notion de“combo” (de l’anglais combinaison) éclipse l’idéal du “big band”façon New Orleans. Les cuivres, saxophones et claviers ne sontplus indispensables, et l’importance de la guitare redouble. L’es-sentiel étant, avant tout, d’avoir du style. “C’était l ’époque des yéyés,de l ’émission “Salut les Copains”, et on suivait la mode française, sesouvient encore Camille Sopran’n. Notre musique était différente,mais on avait cette même attitude, un peu rebelle.”Des rockstars, définitivement.

Des trésors de VikingsCamille Sopran’n, parmi les premiers Vikings avec le guitaristeGuy Jacquet, le bassiste Pierre-Edouard Décimus et le chanteurFred Aucagos, a sélectionné lui-même les morceaux de cettecompilation parmi la discographie pléthorique des Vikings, unevingtaine d’albums à partir de 1967. Leur héritage demeure évi-demment les “musiques racines” (Gwo Ka), le jazz, la biguineque l’on joue sur l’île depuis la fin du XIXème siècle et quis’écoute dans une forme moderne et fulgurante sur plusieurs ti-tres. Leur musique est en prise aux vents artistiques qui traver-sent la Caraïbe : “Rumbo Melon” pour les influences latines ;“Assez Palé” qui reprend l’immense saxophoniste et compositeurhaïtien Nemours Jean Baptiste, souvent présenté comme l’in-venteur du kompa ; “Ambiance” qui revisite “Guhe Huiamo” duchanteur Amédée Pierre de Côte d’Ivoire. “Comme ils tournaientdans les bals, il avaient l’habitude d’interpréter un large éventail desalsa, kompa, kadans, soca, funk, explique le DJ Hugo Mendezayant aidé Camille Sopran’n à affiner sa sélection de titres. Ilsjouent tout, mais à leur façon, très guadeloupéenne. L’essentiel est quela piste soit pleine, car leur musique est conçue pour danser.”

Pour avoir ambiancé des centaines de soirées “tropicales” sur levieux continent, Hugo Mendez connaît le décalage horaireentre les dancefloors occidentaux et caribéens, mais aussi entreles bals des années 1970 et les clubs de ce nouveau millénaire.

LES VIKINGS DE LA GUADELOUPE

Page 2: LES VIKINGS DE LA GUADELOUPE - klkom. · PDF fileque de la biguine, du jazz et des cadences coloniales acclimatées aux latitudes tropicales (valse créole, mazurka créole, etc.).

Il a constitué ici un kaléidoscope hallucinogène de “kadans »,rythme proche du kompa d’Haïti dont les danseurs raffolaientà l’époque. Parmi les trésors des Vikings, on peut entendre parexemple la batterie nerveuse de “Ahi Na’ma” élégamment tem-pérée par le chant cajoleur de Max Severin, le kadans-lypso de“Gadé Douvant” avec son saxophone trafiqué, ainsi qu’un ins-trumental éloquent, “Retour au Pays” dont la nostalgie parle aucœur des ultramarins ayant connu l’exil et évoque un épisodedouloureux de l’épopée des Vikings.

Pour comprendre la nostalgie qui étreint la composition de “Re-tour au Pays”, il faut replonger dans la décennie des années 60,traversée par des ouragans d’espoirs et de tempêtes révolution-naires. Au printemps 1968, les étudiants et les ouvriers cherchentla plage sous les pavés des rues de Paris, alors qu’aux Etats-Unis,à deux heures d’avion seulement, Sidney Poitier a déjà ébranléles hiérarchies raciales à Hollywood. Curtis Mayfield chante “ThisIs My Country”, et les slogans égalitaires du Mouvement desdroits civiques résonnent jusque dans les appendices insulairesdes Caraïbes. Aux Antilles, les musiciens obtiendront bientôt ledroit de s’inscrire à la sécurité sociale, et l’horizon de la jeunesseentière s’élargit soudainement lorsque Jean-Louis Debré fondeen 1963 le Bumidom, le Bureau des Migrations des Départe-ments d'Outre-Mer ayant pour mission d’inciter un transfertmassif de main-d’oeuvre des anciennes colonies vers la métro-pole. Pour l’immense majorité de la population constituée de des-cendants d’esclaves, encore passablement exploités par les békésaprès l’abolition, voyager était alors un luxe hors de prix, inabor-dable. Le Bumidom offre du rêve : un ticket en bateau pour Pariset un emploi dans l’administration sur le continent. Jusqu’à safermeture en décembre 1981, le Bumidom encadre pas moins de160 000 migrations, ce qu’Aimé Césaire dénonce comme uneforme de “déportation” des forces productives des territoires d’Ou-tre-Mer. Les Vikings succombent aussi au fantasme métropoli-tain, encouragé par le succès de leurs premiers concertscontinentaux. Lorsqu’ils débarquent à Paris en 1970, une meutede 18 000 spectateurs, majoritairement composée des jeunes exi-lés du Bumidom, se presse pour assister à leurs deux représenta-tions aux Halles de Châtelet. “Quand j’ai vu la file, j’ai demandépourquoi tous ces gens étaient là, se rappelle Camille Sopran’n. L’or-ganisateur du concert m’a répondu : “Pour vous voir.” A neuf heures,les policiers et leurs chiens ont été obligés de fermer les portes, la salleétait pleine à craquer. Ma tante et ma sœur, qui résidaient alors àParis, sont restées dehors avec des milliers d’autres personnes, et elles ontdû revenir le lendemain pour notre second concert. Ce fut la même his-toire en province, à chaque concert, à Bordeaux, Marseille, Lyon, LeHavre… Les Antillais avaient nos disques, ils emmenaient leurs amisà nos concerts, et le bouche-à-oreille fonctionnait.”

Les prémices du zoukAu début des années 1970, les Vikings déménagent donc à Parisavec femmes et enfants. S’ils se produisent parfois à l’HôtelMontparnasse, au Trianon, ou dans les bals de la mairie du14ème arrondissement, la fréquence des demandes n’est pas suf-fisante pour remplir les caisses. Les places sont chères à LaCréole, la Canne à Sucre et dans la dizaine de cabarets antillaisqui exigent, en outre, la fidélité de leurs musiciens et ne peuventsupporter les absences provoquées par les tournées. “On avait dumal à finir les mois, se souvient Sopran’n. Et puis le pays nous a rap-pelés : Lucien Bernier, responsable au département, nous a envoyéun télégramme en nous demandant de revenir “pour la Guade-loupe”. Que faire ? C’était un dilemme, qui nous a franchement di-visés, car certains voulaient rester et d ’autres voulaient rentrer.Personnellement, l ’appel du pays a retenti dans mon cœur, et j’ai faitle bon choix. Monsieur Bernier nous a donné ensuite un très boncontrat à l ’hôtel Méridien, que nous avons gardé dix ans.”

Les Vikings, sans doute l’un des groupes les plus créatifs de sagénération, se retrouvent donc à jouer pour les touristes en cla-quettes. Un triste constat s’impose : les radios métropolitainesdiffusent les clichés d’un doudouisme musical assumé par lecrooner David Martial (“Célimène” en 1976), mais passent àcoté du panache et de l’éclectisme qui sédimentent le grooveavant-gardiste des Vikings. Sur les disques enregistrés à leurretour, on trouve des tapis volants de spiritual jazz qui virevol-tent au dessus des nuages (“Magdalena”, “Ka nou pé fé”), dufunk créole rappelant que Camille Sopran’n et les siens écoutentautant Earth, Wind & Fire que d’autres groupes américains(d’où la création du mot et la chanson “Zagalakatéléman”), duguaguanco et du son montuno ayant voyagé de Cuba à NewYork, en passant par Porto Rico (“Claro Que Si” chanté en es-pagnol par Max Severin, révérence évidente à la Fania All-Stars). Sans jamais perdre la kadans antillaise, les compositionsde la fin des années 1970 et du début des années 1980 esquis-sent les prémices du zouk, la boite à rythme du titre “Mikola-sie” donne le tempo des décennies à venir. “C’est le même morceauque “Ambiance” dans les années 1970, sauf que la batterie a été rem-placée par un beat, explique encore Hugo Mendez. Débuter et finirpar le même refrain dans deux orchestrations différentes, ça montretout le chemin que les Vikings ont parcouru, et leur participation trèsimportante à l ’évolution de la musique depuis la biguine roots enre-gistrée de façon sommaire, avec deux petits micros à la fin des années1960, jusqu’au digital.”

Les fondateurs des Vikings se séparent lentement mais sûre-ment à partir de 1982. Ils enregistrent encore quelques mor-ceaux, dont “Mikolasie”, mais Camille Sopran’n s’évade dans lejazz et Pierre-Edouard Décimus initie un nouveau collectif avecJacob Desvarieux et Freddy Marshall : Kassav’. Ils ramasserontl’héritage des Vikings pour le présenter au monde dans un styleexplosif, le zouk, que Miles Davis considérera être “le futur de lamusique” la première fois qu’il l’entendra. “Les Vikings jouaientdifféremment des autres, mais on n’appelait pas ça du zouk, se sou-vient encore Camille Sopran’n. Je travaillais avec notre batteurPhilippe Menade dans notre salle de répétition, rue de la République,à Pointe-à-Pitre. On cherchait à dénaturer les autres rythmes, àtrouver un truc qui ne serait pas le kompa et qui serait davantageque la kadans. On voulait que le zouk devienne le style particulierdes Antilles françaises. La base vient de la musique haïtienne, avecla main droite de la biguine sur la feuille, et quelques astuces bien dechez nous. Quand Kassav’ a percé grace à ces techniques, j’étais ravi.Ils sont comme nos petits frères, nous leurs avons transmis le relaisavant de poursuivre notre propre chemin.” Le nouveau zouk ouvreenfin les ondes FM et les charts métropolitains aux Domiens,mais referme paradoxalement l’âge d’or de la musique antillaiseacoustique non midifiée. Son avènement sonne l’épilogue dedeux décennies d’une formidable liberté artistique, dont les Vi-kings demeurent les flamboyants ambassadeurs jusqu’à au-jourd’hui.Cinquante ans plus tard, le chef d’orchestre Camille Sopran’nvient de reformer de nouveaux Vikings. Outre la présence de fi-gures historique (Guy Jacquet, Max Severin, Fred Aucagos,Hippomène Leauva...), il s’est entouré de jeunes musiciens ho-norés d’avoir à exhumer ce répertoire de thèmes classieux de-venus standards du patrimoine antillais. Déjà programmés dansplusieurs festivals en métropole en 2016, les Vikings repren-nent la route, et une autre histoire (re)commence à peine...

David Commeillas

Contact promo : Fréderique Miguel +33 6 14 73 62 69 [email protected] Spé : Karine Lagrenade / +33 6 09 08 95 89 [email protected]

Contact Tourneur : En Même Temps / Dorothée Oury +33 1 48 58 39 15 [email protected] label : Franck Descollonges +33 6 13 02 60 43 [email protected]

SORTIE EN CD / LP / DIGITAL LE 1ER AVRIL 2016

heavenly-sweetness.com