Les trésors qui flambent

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L e s tresors qui flambent

par JEAN DE BELCAYRE

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— Alex, as-tu transcrit le conte des Trésors cachés...? les trésors enfouis soit par leurs pro- priétaires légitimes en des temps troublés, soit par des voleurs et des assassins poursuivis.

« J'aime cette croyance venue du fend des âges et que nous a narrée hier Baba (1) Kiva. »

— J'ai relaté de mon mieux le récit de ta dé- vouée gouvernante.

— Oh ! gouvernante ! la nourrice de mon père dont je suis l'idole? Cette dénomination ne lui convient guère ; mieux vaut dire esclave.

« Mais fais-moi donc la lecture de ta prose »,

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ordonna Georges Couzca, du ton impérieux d'un enfant débile et trop gâté.

Docilement, son cousin, habitué à accéder quand il le pouvait à tous ses désirs, saisit les feuillets recouverts d'une écriture ferme et bien personnelle. De sa voix déjà grave il narra comment des flammes sortent de terre, là où des hommes d'autrefois ont caché des pièces d'or et d'argent ou des joyaux, parfois même des vases sacrés dérobés aux églises pillées :

— Les flammes s'échappant des trésors qui furent légitimes sont bleues ; celles désignant des richesses mal acquises, toutes blanches.

« Avant d'atteindre ces dernières, tant elles s'aperçoivent de loin, on risque de tomber épuisé ; de plus, le diable les fait garder par de terribles dragons. Il faut beaucoup de courage pour les attaquer, car on risque fort d'être vaincu par eux. »

Quand la voix prenante cessa de dire les phrases poétiques, pleines d'images heureuses, le pâle adolescent demanda :

— Tu y crois, aux trésors qui flambent? — Certes non, je n'y crois point comme le fait

Baba Kiva, mais je vois là un enseignement des- tiné à prouver que les biens mal acquis pro- . fitent rarement à leurs détenteurs... A un autre point de vue, ces feux qui, parfois, jaillissent bien réellement du sol indiquent la présence d'une richesse nationale, puis-je dire : le pétrole.

— Du pétrole! ce liquide huileux et nauséa- bond, voici ce que tu mets en parallèle avec les

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monnaies rutilantes, rarissimes, capables de ten- ter le roi d'Italie, ce grand numismate, avec les joyaux byzantins décrits par Baba Kiva!... Tu éteins, par ton prosaïsme pratique, tout ce que mon imagination se plaisait à rêver de féerique.

Et, boudeur comme il se montrait à la plus lé- gère contrariété, Georges prit un livre, le rejeta bien vite, fit de même d'une revue, puis or- donna :

— Prie grand'mère et miss Ellen de venir : je veux entendre de la musique.

Nul ne résistait à un désir du jeune comte, en cette élégante demeure de Dinaïa, édifiée à faible distance des ruines imposantes de l'aire des princes Cantacuzo.

Bien vite, les deux femmes entrèrent dans ce qu'on nommait le salon sonore, une vaste pièce aux soieries et aux tapis persans, aux boiseries grises encadrant des panneaux sur lesquels des harpes dorées reposaient parmi les fleurs.

Une de ces femmes, la comtesse Elza Couzca, avait un profil altier, des yeux très sombres sous des cheveux blancs, tandis que les prunelles de sa demoiselle de compagnie étaient d'un bleu céleste, et sa chevelure, d'un blond très doux, s'accordant bien avec le teint un peu fané, mais encore clair.

Elle s'assit devant le piano à queue, tandis que la châtelaine accordait son violon, et l'une et l'autre étant des artistes consommées, des flots d'harmonie emplirent toute cette partie du blanc palais.

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Les yeux mi-clos, Georges écoutait, extasié. Après un moment, Alex se leva et sortit sans

attirer l'attention de personne. Ce jeune garçon de dix-sept ans, qui venait

d'achever très brillamment ses études, éprou- vait, après des heures de claustration, un impé- rieux besoin d'air et de mouvement, et puis il désirait visiter Basile Coral, le fils de Kiva.

Très malade, le garde-chasse avait fait prier secrètement le prince Alex de venir jusqu'à lui.

Et, non sans curiosité. et étonnement, ledit prince, si dénué de biens, se demandait pourquoi ce mystère...

Prestement, il dévala l'avenue tracée dans le parc feuillu et prit la route conduisant au village qui, vu de loin, comme à peu près tous ceux de Roumanie, avait l'air d'une vaste saulaie. Les saules aux feuilles argentées longeaient la pe- tite rivière, ombrageaient les cours, bordaient les champs et les prairies, donnant au paysage un aspect très particulier, mais auquel Alexandre était trop habitué pour y accorder grande atten- tion.

Tout en faisant du footing, le jeune prince fredonnait une chanson tzigane :

Quand l'ours, sur deux pieds, devenu vacher, traira les génisses,

Quand le renard en pantoufles gardera les oies, Quand le lièvre aveugle comptera les grains de

mais,

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Quand les canards percheront sur les arbres et que les dindes se mettront à nager,...

Alors, pour femme je te prendrai.

Une bande de canards, blancs comme les murs peints à la chaux des étables et des mai- sons, blancs comme les chemises de laine des hommes, s'enfuit en criant ; un chien aboya.

Des femmes, à jupes plissées, à longues nattes, saluèrent l'adolescent.

Affable, il répondait avec empressement à Joana, la veuve, à Marie, la cabaretière, à Ani- contza-du-Jardin, désignée ainsi, son mari étant jardinier au château; puis, tournant à droite, il poussa une barrière.

Au. fond de la cour se dressait une maison précédée par une rustique véranda.

Deux cigognes perchaient sur son toit et des porcs grognants semblaient garder le seuil de la porte, à laquelle on accédait par quelques marches.

Alex les gravit prestement et les redescendit, une heure plus tard, à la façon d'un homme qui marche sans savoir s'il rêve ou s'il est bien éveillé.

D'un geste presque convulsif, sa main s'appuyait sur la poche intérieure de. son blou- son pour être bien certain que le pli que venait de lui remettre le mourant y était encore.

Il pénétra en ce même état d'esprit dans le parc de Dinaïa.

Sur le large perron seulement il s'arrêta et

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examina le domaine, encore très vaste, qui fut le noyau du fief de ces Cantacuzo, sans cesse prêts à défendre la Croix contre le Croissant et à lutter pour délivrer la patrie sur laquelle, un moment, ils régnèrent.

Avec un sentiment très différent de celui qu'il éprouvait une heure auparavant, il contem- pla les fermes blanches, les prairies où pais- saient tant de vaches, les saules dont l'automne commençait, par endroits, à dorer le feuillage d'argent.

Au loin, une forêt moutonnante avec, sur la gauche, des landes que des sondages permet- taient de croire pétrolifères.

Tout ceci, comme les terres de Bukodem, un peu diminuées par des lois récentes, avait été légué à la comtesse Elisabeth par son frère, le prince Nicolas Cantacuzo, mécontent du mariage de son neveu Jean, le fils de son cadet Alexandre, avec une Parisienne simple employée de banque.

Alex n'avait pas connu ce Jean qui était son père, mais il se souvenait de sa chère maman, si bonne, si tendre, morte à la peine ; elle avait dû travailler si durement pour élever son enfant, qui était aussi celui de ce beau prince roumain, que son cœur fidèle ne pouvait oublier.

M Couzca eut pitié de l'orphelin : elle le re- cueillit, lui fit donner une solide instruction et constamment se montrait généreuse pour lui sans oser, cependant, empêcher son unique pe- tit-fils de la tyranniser quelque peu.

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Elle était tellement faible pour cet enfant, tout ce qui lui restait d'un passé heureux!... Son époux, ses fils étaient morts lors de la Grande Guerre, sa belle-fille, ayant aussi voulu servir comme infirmière, était allée au bout de ses forces; elle survécut peu à son mari, et la com- tesse Elza n'eut plus que Georges à chérir.

Or, il était nerveux, frêle, et une paralysie in- fantile lui laissait une légère boiterie ; la moindre contrariété le jetait dans des colères violentes, au point de lui donner des accès de fièvre ; alors, au lieu de chercher à combattre ces fureurs in- justifiées, la faible aïeule, trop bien secondée par l'idolâtre Kiva, s'ingéniait à éviter tout ce qui pouvait lui déplaire.

En dépit de cette éducation lamentable, l'en- fant si gâté demeurait attachant par sa fran-. chise, sa générosité et ses élans du cœur.

A cause de cela, Alex l'aimait. De même, il éprouvait une reconnaissante ten-

dresse pour la vieille comtesse. Grâce à son intervention, les derniers jours

de sa chère maman furent adoucis, et elle mou- rut rassurée sur le sort de son enfant.

A mi-voix, il murmura : — Je dois beaucoup, beaucoup à tante Elza. Et, soudain, il trouva très lourde sa dette de

reconnaissance. Durant la soirée, en face des caprices de

Georges qui, tour à tour, voulut jouer au cartes, aux échecs et au ping-pong, sa patience fut plus vite à bout.

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Il ne réprima point quelques mouvements d'impatience, qui lui valurent cette phrase mur- murée par la comtesse :

— Je t'en supplie, Alex, ne le contrarie pas. Mille fois, le jeune garçon avait entendu cet

appel suppliant, sans penser à s'en formaliser. Ce soir-là, il éprouva un agacement qui amena

un pli de colère sur son front si pur et si droit sous des cheveux très noirs.

Mais vite il pensa, non sans une amertume très nouvelle chez lui :

« On a le droit de demander tous les sacrifices à l'enfant élevé par charité. »

Il répéta : « par charité », tandis qu'un ric- tus ironique relevait sa lèvre altière.

Cependant, comme au moment où son petit- neveu prenait congé d'elle, la faible, mais très bonne châtelaine l'attirait afin de l'embrasser bien maternellement, les beaux yeux d'Alex n'exprimèrent plus qu'une vraie tendresse pour la sœur de son aïeul.

Seul dans sa chambre aux cretonnes fleuries, au lieu de gagner son lit il vint s'accouder au balcon.

La nuit, douce encore, était sombre ; on ne distinguait rien d'autre que la masse noire des arbres du parc quand, soudain, dans le lointain, des lueurs trouèrent les ténèbres.

Alex murmura : — Les trésors qui flambent! Mais les flammes, d'abord bleutées, devenaient

toutes blanches.

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à fond son métier de planteur et attendre que sa santé fût complètement raffermie, et, bien en- tendu, son aïeule et la bonne miss Ellen, si heu- reuses de sa transformation, ne le quittèrent point.

Alors, Alexandre voulut emmener Marius : celui-ci ferait un séjour en France où il suivrait les cours d'une école de commerce de Marseille et, en même temps, apprendrait des galéjades, prétendait le comte Couzca... Puis il reviendrait afin de s'occuper spécialement de Kapapa dont on ferait une merveilleuse concession.

Alex aussi reviendrait... Les charmes des îles Hawaï sont bien prenants et aussi ceux d'une blonde Française dont il comptait bien faire, un jour, la plus charmante des princesses Canta- cuzo.

Jean DE BELCAYRE.

FIN

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