Les tout petits pas de la sécurité vers l'uberisation

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Toute rinformation et l'analyse stratégique de la profession enquête exclusive Les tout petits pas de la sécurité vers l'uberisation La sécuritéfaitses premiers pas vers l'uberisation des presta tions de gardiennage ; si la profession multiplie les déclarations sur le sujet, les initiatives concrètes sont très restreintes et les contrats signés totalement marginaux, selon une enquête exclusive réalisée par En Toute Sécurité. Le CNAPS se penche sur la question depuis plusieurs mois déjà et organise même un colloque sur ce sujet spécifique le 8 no vembre prochain. « L'uberisation correspondà une attente du mar- chéetsondéveloppements'appuiesurlavolonté d'une jeunegénération d'entrepreneurs décidés à accélérer la transformation digitale de notre profession », nous déclare Claude Tarlet, pré sident de l'USP. Celui-ci estime «plusintelligent d'accompagnercemouvementpourlecontrôler plutôt qued'essayerdel'interdire.-quellequesoit la loi, le marché sera leplus fort y, ajoute-t-il. Pour sa part, Jean-Pierre Tripet, président du SNES, nous explique qu'en matière de priorité, « l'effort doit porter sur l'innovation sociale et managériale et cela passe par la valorisation des ressources humaines et des prestations. Sidans ce contexte etdans le respect de ces exigences préalables, l'uberisation de divers moyens et outils mais aussi le big data et les objets connectés peuvent apporter en toute sécurité juridique et en dehors de tout discount social des avancées, cela sera positif pour le secteur, ses salariés et ses clients ». Le SNES « se félicite que cette nouvelle donne ouvre des perspectives importantes à des en treprises innovantesetagiles telles des TPE-PME, tanttinnovation au sens large n'estaucunement Patrick Senior (GettGuar(l):«0/7r?e peutplus continuer à faire le métier de la sécurité de façon traditionnelle, il faut entrer dans l'ère de la digitalisation >y. l'apanage des grands groupes. Au contraire, c'est une opportunité considérable pour desentrepreneursindépendantsetambitieux», précise le président de l'organisation. « Cette nouvelle approche n'est pas en oppo sition frontale avec le modèle économique actuel : elle est complémentaire. Les pers pectives de développement sont rapides », estime Patrick Senior, président de la société de gardiennage BSL qui a également créé l'application de mise en relation GettGuard (voirETSn''606). La clientèle n'est en effet pas la même que pour des prestations de gardiennage clas sique. Ainsi, Guardio, l'un des pionniers des sites Internet de mise en relation d'agents de sécurité, indique que les donneurs d'ordre sont à 70%des professionnels (des magasins de proximité, des entrepôts, des bureaux, etc) et 30% des particuliers qui ont recours à cetteformuiepourdes événements femiliaux (anniversaire, mariage ou mémefunérailles). Les prestations sont de courte durée (mini mum quatre heures chez Guardio, avec une moyenne de huit heures), ce qui n'a donc rien àvoiravecune mission habituelle d'un agent de sécurité classique. En fait, il s'agit plutôt de prestations pour un événement particulier (une soirée, une inauguration, par exemple). Conséquence : le montant des contrats est sans commune mesure. Il varie d'une cen taine d'€ à quelques centaines d'€ avec un agent uberisé alors que la fourchette varie de plusieurs milliers d'€ ou plusieurs M€pour des contrats faisant intervenir un certain nombre d'agents classiques. Dans un avenir proche, on peut imaginer que l'uberisation concernera des prestations por tant sur plusieurs semaines et sur plusieurs dizaines ou centaines d'agents, estime Patrick Senior de GettGuard. D'ici cinq ans, l'uberisation pourrait repré senter environ 1% de la totalité du marché du gardiennage qui s'est élevé à 3,5 milliards d'€en 2015, selon les estimations d'Enloute Sécurité. Soit un potentiel d'environ 35- 40 M€ à l'horizon 2021, compte tenu de la croissance du coeur du marché. L'uberisation se heurte à la méfiance d'une partie des donneurs d'ordre, si bien que les partisans du modèle Uber devront les sorrinnaire 15 OCTOBRE 2016 618 I 28® ANNÉE Dovop lance la vidéo-verbalisation \VT Security s'organise pour une reprise de la croissance Euro 2016 : bilan positif pour la sécurité privée etsy

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Page 1: Les tout petits pas de la sécurité vers l'uberisation

Toute rinformation et l'analyse stratégique de la profession

enquête exclusive

Les tout petits pasde la sécurité vers l'uberisationLa sécuritéfaitses premiers pas

vers l'uberisation des presta

tions de gardiennage ; si la

profession multiplie les déclarations

sur le sujet, les initiatives concrètes

sont très restreintes et les contrats

signés totalement marginaux, selon

une enquête exclusive réalisée par

En Toute Sécurité.

Le CNAPS se penche sur la question

depuis plusieurs mois déjà et organise même

un colloque sur ce sujet spécifique le 8 no

vembre prochain.

« L'uberisation correspondà une attente du mar-

chéetsondéveloppements'appuiesurlavolonté

d'une jeunegénération d'entrepreneurs décidés

à accélérer la transformation digitale de notre

profession », nous déclare Claude Tarlet, pré

sident de l'USP. Celui-ci estime «plusintelligent

d'accompagnercemouvementpourlecontrôler

plutôt qued'essayerdel'interdire.-quellequesoit

la loi, le marché sera leplus fort y, ajoute-t-il.

Pour sa part, Jean-Pierre Tripet, président

du SNES, nous explique qu'en matière de

priorité, « l'effort doit porter sur l'innovation

sociale et managériale et cela passe par la

valorisation des ressources humaines et des

prestations. Sidans ce contexte etdans le respect

de ces exigences préalables, l'uberisation de

divers moyens et outils mais aussi le big data et

les objets connectés peuvent apporter en toute

sécurité juridique et en dehors de tout discount

social des avancées, cela sera positif pour le

secteur, ses salariés et ses clients ».

Le SNES « se félicite que cette nouvelle donne

ouvre des perspectives importantes à des en

treprises innovantesetagiles telles des TPE-PME,

tanttinnovation au sens large n'estaucunement

Patrick Senior

(GettGuar(l):«0/7r?e

peutplus continuer

à faire le métier de

la sécurité de façontraditionnelle,

il faut entrer dans l'ère

de la digitalisation >y.

l'apanage des grands groupes. Au contraire,

c'est une opportunité considérable pour

desentrepreneursindépendantsetambitieux»,

précise le président de l'organisation.

« Cette nouvelle approche n'est pas en oppo

sition frontale avec le modèle économique

actuel : elle est complémentaire. Les pers

pectives de développement sont rapides »,

estime Patrick Senior, président de la société

de gardiennage BSL qui a également créé

l'application de mise en relation GettGuard

(voirETSn''606).

La clientèle n'est en effet pas la même que

pour des prestations de gardiennage clas

sique. Ainsi, Guardio, l'un des pionniers des

sites Internet de mise en relation d'agents de

sécurité, indique que les donneurs d'ordre

sont à 70%des professionnels (des magasins

de proximité, des entrepôts, des bureaux,

etc) et 30% des particuliers qui ont recours à

cetteformuiepourdes événements femiliaux

(anniversaire, mariage ou mémefunérailles).

Les prestations sont de courte durée (mini

mum quatre heures chez Guardio, avec une

moyenne de huit heures), ce qui n'a donc rien

àvoiravecune mission habituelle d'un agent

de sécurité classique. En fait, il s'agit plutôt de

prestations pour un événement particulier

(une soirée, une inauguration, par exemple).

Conséquence : le montant des contrats est

sans commune mesure. Il varie d'une cen

taine d'€ à quelques centaines d'€ avec un

agent uberisé alors que la fourchette varie

de plusieurs milliers d'€ ou plusieurs M€pour

des contrats faisant intervenir un certain

nombre d'agents classiques.

Dans un avenir proche, on peut imaginer que

l'uberisation concernera des prestations por

tant sur plusieurs semaines et sur plusieurs

dizaines ou centaines d'agents, estime Patrick

Senior de GettGuard.

D'ici cinq ans, l'uberisation pourrait repré

senter environ 1% de la totalité du marché

du gardiennage qui s'est élevé à 3,5 milliards

d'€en 2015, selon les estimations d'Enloute

Sécurité. Soit un potentiel d'environ 35-

40 M€ à l'horizon 2021, compte tenu de la

croissance du cœur du marché.

L'uberisation se heurte à la méfiance d'une

partie des donneurs d'ordre, si bien que les

partisans du modèle Uber devront les

sorrinnaire

15 OCTOBRE 2016

N° 618 I 28® ANNÉE

► Dovop lancela vidéo-verbalisation

► \VT Security s'organisepour une reprisede la croissance

► Euro 2016 : bilan positifpour la sécurité privée

etsy

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enauête exclusive

Les tout petits pas de la sécurité... (suite)• convaincre de la justesse de leur approche

et de la qualité des prestations. « Nousavons

100% de retours positifs sur nos prestations »,

nous déclare Laurent Selles, président de

Guardio.

Des freins importantsCette nouvelle formule suscite également

de nombreuses interrogations de la part des

sociétés de sécurité. Certaines pourraient

trouver que les plateformes de mise en re

lation ne respectent pas la loi et pourraient

Intenter une action en concurrence déloyale

et intervenir auprès du CNAPS.

Les sociétés uberisées devront s'assurer

qu'elles n'enfreignent pas la loi. Le dirigeant

de Guardio insiste par exemple sur le fait que

son entreprise n'est pas une

société de sécurité, quil n'a

pas d'agrément délivré par

le CNAPS, mais qu'il respecte

le cadrejuridtque puisque les

agents de sécurité employés

disposent des autorisations ■;nécessaires. De même, v JPatrick Senior explique que .# -^1GettGuard « respecte totale-ment la réglementation». LaurentSelIl n'empêche, des points <iNousavorirestent à éclaircir, notam- positifssur,ment la nature de la relation

de travail entre l'agent de sécurité et l'entreprise utilisatrice et/ou la plateforme de miseen relation, explique Thibault du Manoir deJuaye, avocat (voir ETS n°608]. Existe-t-il unrisquede requalification du contratdetravall?sinterroge-t-il. La réponse n'est pas encorevraiment tranchée. De plus, Il faudrait revoirle statut de l'autoentrepreneur sur lequels'appuient bon nombre d'agents sinscrivantsur les plateformes de mise en relation.En outre, le phénomène rencontre l'hostilité

ou la méfiancedes syndicats. FO,parexemple,se déclare opposé à l'uberisation, car elleintroduirait une « précarisation de l'emploi etune concurrence déloyale faite aux salariés àcause de la baisse des coûts générés ».Acejour,ilexisteseulementunedizained'en-treprises en France proposant une solutionde mise en relation entre agents de sécuritéet clients. GettGuard, créé par Patrick Senior,également PDG de BSL, revendique la posi-

Laurent Selles (Guardio) :« Nous avons 100% de retours

positifs sur nos prestations ».

tion de seule application existante en France :elle a nécessité un investissement d'environ

1,2 M€et dispose de plus de mille agents danssa base. Plus d'une centaine de missions ont

été réalisées sur le seul mois de septembre,avec une prise de décision dans un délai trèscourt, allant d'une heure à une journée. Lesmissions d'une durée de douze heures sont

attribuées rapidement à la différence deceilesde quelques heures seulement.

Des start-up encore fragilesLa société de gardiennage californienneBannerman, qui propose des prestations viaune plateforme de mise en relation, vient decréer un bureau à Paris, ce qui laisse supposerqu'elle estime le marché français prêt à utili

ser ce type de processus. Onk trouve également quelques% start-up dédiées à l'uberisationPr du gardiennage. Leurs moyens

financiers sont restreints, avecj un capital social très faible,l généralement de 1000 £ Cesk structures sont très récentes.r Rassen Kadour a créé la so

ciété Guarding en mars 2016.lardio) ; De son côté, Laurent Selles,è de retours tout juste sorti d'une école de•stations». commerce, a fondé Guardio

en mars 2015 et a mis un an

pour monter son projet. Aujourd'hui, il nousannonceêtrecapabledeproposerson servicedans vingt villes, en ayant regroupé 350 sociétés de sécurité inscrites et plus de mille agents.Ces sociétés sont des petites structures, dontla plus petite dispose de trois salariés et la plusgrosse générant un peu plus de 1 M€ de CA.Le système basé sur une formule de commis-sionnement classique a rapporté quelquesmilliers d'€ à Guardio. A la fin 2017, Laurent

Selles espère rassembler entre 750 et 1 000sociétés de sécurité et entre 5 000 et 10000

agents de sécurité. A cette date, il pense avoireffectué une levéedefondspouraccélérersondéveloppement.Pour sa part, Gwards, qui n'a pas donné suiteà plusieurs demandes dlnterviews effectuéespar EnTouteSécurité, a étécréée en mars 2016par Anas Adounis. A cette époque, il revendiquait plus de 300 agents en Ile-de-Franceet affichait déjà l'ambition de dupliquer ce

modèle à llnternational. Le n^l du secteur,Securitas, s'interroge sur la possibilité de créerun service de type Uber. « Rien ne me choquedans une telle initiative. Ce n'estpas encore notremodèle, mais siSecuritas se lançait un joursurcecréneau, ce seraitde manière extrêmementprofessionnelle », déclarait en avril dernier MichelMathieu, président de Securitas France à EnToute Sécurité {voirETS n°608).

L'uberisation va-t-elle s'étendreà d'autres secteurs ?Bien adaptée à un marché de proximitécomme le gardiennage, l'uberisation peut-ellese développer dans d'autres domaines de lasécurité. Elle pourrait par exemple s'étendreàla protection rapprochée qui propose souventdes prestations de courte durée. On peutégalement imaginer des plateformes de miseen relation avec des détectives privés, commecela existe déjà aux Etats-Unis.Lesystème pourrait probablement s'appliquerà des cabinets de conseil en sécurité pour desprestations simples.La grande question concerne l'uberisationéventuelle de la sécurité électronique. Aprèsl'auto-surveillance qui a rogné des parts demarché à ia télésurveillance classique enquelques années, verra-t-on éclore des plateformes de mise en relation pour llnstallationd'un système de sécurité électronique. D'oreset déjà certains acteurs proposent des opérateurs de télésurveillance via une mise en

relation. « Ce phénomène nepourrapas touchertous les segments de marché. Il se développeraauprès du grand public, mais probablementpas sur les gros sites ou sur les infrastructuressensibles », estime Philippe Blin, président del'organisation patronale SVDI.Même son de cloche du côté de Jean-

Christophe Chwat, président de la fédérationGPMSE qui pense que ies particuliers pourraient adopter une telle démarche, mais pasles grands donneurs d'ordre. « Néanmoins,l'uberisation de la sécurité est d'ores et déjà uneréalité. A nous de nous adapterà cephénomène,mais les géants de Tinternet devront égalements'adapteraux spécificités de notreprofession, cequine sera pas simple pour eux » estime-t-il. ■

Enquête réalisée par Patrick HaasRédacteur en chef

618 • 15 OCTOBRE 2016