Les Techniques de conservation de masse des ouvrages...

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Les techniques de conservation de masse des ouvrages de bibliothèque et des archives Programme général d'information et UNISIST Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture PGI-89/WS/14 Paris, 1991

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Les techniques de conservation de masse des ouvrages de bibliothèque et des archives

Programme général d'information et UNISIST

Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture

PGI-89/WS/14

Paris, 1991

Original anglais PGI-89/WS/14 PARIS, septembre 1989

LES TECHNIQUES DE CONSERVATION DE MASSE DES OUVRAGES DE BIBLIOTHEQUE ET DES ARCHIVES

étude réalisée par le Centre régional du Programme fondamental PAC de l'IFLA

Deutsche Biicherei Leipzig (République démocratique allemande)

rédigée par Wolfgang Wachter sous la supervision de Helmuth Rotzsch

Programme général d'information et UNISIST

Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture

Notice recommandée :

Les techniques de conservation de masse des ouvrages de bibliothèque et des archives : étude réalisée par le Centre régional du Programme fondamental PAC de l'IFLA, Deutsche Bücherei Leipzig (République démocratique allemande), rédigée par Wolfgang Wachter sous la supervision de Helmuth Rbtzsch [pour le] Programme général d'information et l'UNISIST. - Paris : UNESCO, 1989. - 25 p. ; 30 cm - (PGI-89/WS/14)

I - Wachter, Wolfgang

II - Rbtzsch, Helmuth

III - UNESCO, Programme général d'information et UNISIST

IV - Programme de gestion des documents et des archives (RAMP)

© UNESCO, 1989

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PREFACE

Afin de mieux répondre aux besoins des Etats membres, et plus particulièrement des pays en développement, dans ce domaine spécialisé qu'est la gestion des documents et l'administration des archives, la Division du Programme général d'information de l'UNESCO a mis au point un programme à long terme, le Programme de gestion des documents et des archives (Records and Archives Management Programme, RAMP).

Les grands éléments du programme RAMP correspondent aux thèmes généraux du Programme général d'information et contribuent à sa réalisation. Aussi le RAMP comporte-t-il des projets, études et autres activités visant à :

- élaborer des normes, règles, méthodes et autres instruments normatifs pour le traitement et le transfert de l'information spécialisée et la création de systèmes d'information compatibles ;

- permettre aux pays en développement de créer leurs propres bases de données et d'accéder à celles qui existent déjà de par le monde de façon à intensifier l'échange et la circulation de l'information par la mise en oeuvre des technologies modernes ;

- promouvoir la mise en place de réseaux régionaux spécialisés d'information ;

- contribuer au développement harmonieux de services et systèmes internationaux d'information compatibles ;

- créer des systèmes nationaux d'information et améliorer les divers éléments de ces systèmes ;

- formuler des politiques et des plans de développement dans ce domaine ;

- former les spécialistes et les utilisateurs de l'information et développer le potentiel national et régional d'éducation et de formation en sciences de l'information, en bibliothéconomie et en archivistique.

Le propos de cette étude est de faire le point sur les méthodes qui existent pour la restauration et la conservation en masse des documents de toute nature ; on y analyse les différents aspects - techniques, économiques et autres - et l'importance du rôle à accorder à la protection physique des documents dans les politiques de gestion des bibliothèques et des archives.

On examinera successivement, en se fondant notamment sur les résultats de l'enquête effectuée en 1986 auprès des bibliothèques et archives par 1'Unesco, l'IFLA et le CIA, les différents types de dommages (d'origine mécanique, biologique ou chimique) infligés aux ouvrages de bibliothèque, la situation dans les bibliothèques et les méthodes de restauration. Une courte bibliographie complète l'étude.

Toute observation ou suggestion concernant cette étude sera la bienvenue et doit être adressée à la Division du Programme général d'information, UNESCO, 7 place de Fontenoy, 75700 Paris. On pourra se procurer à la même adresse d'autres études réalisées dans le cadre du RAMP.

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TABLE DES MATIERES

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ETUDE DE L'IFLA

1. INTRODUCTION 1

2. LA DEGRADATION DES OUVRAGES DE BIBLIOTHEQUE ET SES CAUSES 2

3. LA SITUATION DANS LES BIBLIOTHEQUES 7

4. LA CONSERVATION MATERIELLE : LES METHODES 9

4.1 La méthode au diéthylzinc (DEZ) 10 4.2 La méthode Wei T ' o 12 4.3 Le système de désacidification de la Bibliothèque nationale ... 13 4.4 Méthodes utilisées par la British Library à Londres 14 4.5 La méthode "viennoise" 14 4.6 Nouvelles méthodes 15

5. METHODES DE RESTAURATION 16

5.1 Le traitement par voie humide 16 5.2 Possibilités offertes par la technique du colmatage

des lacunes par repulpage 19 5.3 Possibilités offertes par le procédé de dédoublement

du papier 20 5.4 La lamination : différents procédés 21

6. REMARQUES DE CONCLUSION 22

BIBLIOGRAPHIE 25

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1. INTRODUCTION

De nombreux articles, publiés ces dernières années dans les revues spécialisées, ont montré qu'il fallait mettre au point des méthodes de conser­vation et de restauration de masse si l'on voulait sauvegarder le contenu des bibliothèques et des archives. Devant la gravité de la situation où se trouvent ces établissements, différentes tentatives ont été faites de par le monde par des chimistes, des conservateurs et des restaurateurs pour trouver des moyens de sauver ce patrimoine culturel en péril.

On s'efforcera ici de faire brièvement le point sur les méthodes de restauration et de conservation de masse en étudiant la situation du point de vue économique, technique et esthétique. Comme foyers de la science et de la culture, les bibliothèques remplissent des fonctions aussi précises que variées. En même temps, elles servent à réunir, traiter et entreposer des documents graphiques. Le matériau de base le plus répandu dans les biblio­thèques reste le papier, qui est pour l'essentiel composé de cellulose. Dans les dernières années, la reproduction des documents sur un support en matériau plastique - ce que l'on a coutume d'appeler les microformes, qui sont venues s'ajouter aux documents papier - n'a cessé de gagner du terrain. Quoi qu'il en soit et quelle que soit la nature de leur support, les pièces réunies dans les bibliothèques sont exposées, surtout lorsqu'elles demeurent dans les dépôts pendant de longues périodes, à des changements qui peuvent avoir sur elles un effet dommageable. Ces transformations, qui ne doivent rien au hasard, peuvent se résumer en un mot : "vieillissement". Chaque type de document subit des modifications spécifiques, mais le processus de vieillissement du papier est la conséquence de réactions chimiques dont la rapidité dépend de facteurs "intrinsèques" et "extrinsèques" variables. Il s'ensuit que la survie des ouvrages de bibliothèque est indissolublement liée aux méthodes utilisées pour leur conservation matérielle et leur restauration. Il serait absurde d'accu­muler à grands frais, année après année, d'importantes quantités d'ouvrages, sans se préoccuper de savoir s'ils resteront utilisables à l'avenir. Voilà pourquoi la conservation matérielle occupe une place de plus en plus impor­tante dans la gestion des bibliothèques.

Par "conservation", nous entendons ici toutes les mesures et procédures qui, en agissant sur les facteurs extrinsèques de vieillissement, visent à prolonger la vie des ouvrages. L'un de ces facteurs a une influence considé­rable : il s'agit des conditions qui régnent dans les magasins - température, hygrométrie, lumière. Le bon état des magasins - propreté, rangement approprié des articles sur des rayonnages fonctionnels et solides, surveillance des micro-organismes et des insectes, lutte contre la pollution atmosphérique, etc. - est aussi un aspect qui doit être pris en considération.

Une autre tâche importante du point de vue de la conservation incombe aux bibliothécaires, à savoir organiser l'utilisation des collections. Les ques­tions essentielles en la matière : la fréquence de consultation, les utilisa­tions particulières des ouvrages par les lecteurs, la fréquence de reproduc­tion et, surtout, le transport des ouvrages entre les magasins et les lecteurs par les soins du personnel de la bibliothèque.

Pour que les mesures requises soient prises, il est de plus en plus nécessaire de former l'ensemble des employés, et non pas seulement les restau­rateurs ou les conservateurs, aux tâches de conservation matérielle. Les bibliothécaires et le personnel des magasins doivent eux aussi posséder des connaissances élémentaires en la matière si l'on veut assurer aux collections les conditions de stockage et d'utilisation dans lesquelles ils se conser­veront le mieux.

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L'expression "conservation" désigne aussi ici toutes les mesures qui visent à stopper la dégradation des ouvrages en agissant sur les facteurs intrinsèques de vieillissement pour prolonger leur durée de vie et en réparant les dommages visibles, de manière à ce que l'ouvrage puisse continuer de servir.

Une très grande partie du travail consiste, par exemple, à analyser les dégâts, à désacidifier et à tamponner, à renforcer des parties ou la totalité de l'ouvrage, à remplacer les reliures ainsi qu'à prendre note de tous les travaux de restauration effectués.

On ne fera, qualitativement et quantitativement, du bon travail en res­tauration que si l'on dispose des matériaux de base appropriés, dont le type dépendra de la nature des dommages le plus fréquemment observés dans la bibliothèque. Il faudra aussi des spécialistes qualifiés, qui soient capables de répondre aux besoins spécifiques de l'établissement.

2. LA DEGRADATION DES OUVRAGES DE BIBLIOTHEQUE ET SES CAUSES

Pour pouvoir déterminer les différents types de dégradation subis par les ouvrages et effectuer les travaux de restauration correspondants, il faut pou­voir se référer à un système de classification des dommages en fonction de leurs causes.

On trouvera dans les pages qui suivent une typologie des dommages réelle­ment observés.

I. Dommages d'origine mécanique

Nous classons ici tous les dommages de type "physique". Ceux-ci se carac­térisent par le fait qu'ils sont ponctuels, et les dégâts légers de type diffus sont peu fréquents dans ce cas. Il s'agit de dommages qui se produisent lorsque l'ouvrage est exposé à des forces de désintégration supérieures à sa propre résistance. Les dommages mécaniques peuvent être dus :

(a) à la fabrication même du livre (b) à une manipulation fautive du livre (c) à des agressions venant de l'extérieur.

Par exemple, lorsqu'un livre tombe d'un chariot en cours de transport, sa couverture peut être arrachée. Tourner très fréquemment les pages d'un livre est aussi source de dégradation.

II. Dommages d'origine biologique

On englobe dans cette catégorie tous les types de dommages causés par des organismes vivants. Les dommages d'origine biologique diffèrent des précédents quant à la manière dont ils se produisent et à leurs effets. Ils peuvent être causés par différents agents :

(a) Micro-organismes

Bactéries : Celles-ci provoquent des taches (dont la couleur peut varier suivant l'organisme pathogène) ainsi qu'une décomposition enzymatique de la substance du matériau.

Moisissures : Il s'agit de la cause la plus courante de dégradation. On a établi à ce jour l'existence de plus de 300 espèces différentes de moisis­sures sur les livres et le papier. Les taches, qui diffèrent par la couleur, envahissent les types de matériaux les plus variés, où elles provoquent une décomposition enzymatique plus ou moins poussée qui s'apparente à une détério­ration chimique.

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Les micro-organismes sont omniprésents sur terre. On trouve en particu­lier des spores pratiquement partout, donc tout logiquement aussi sur les ouvrages de bibliothèque. Si les conditions favorables sont réunies, par exemple si la température et l'humidité sont suffisantes et en présence du milieu de culture approprié, ces micro-organismes se mettent à proliférer et à se propager, tandis que le milieu de culture, en l'occurrence les matériaux cellulosiques, commence à se décomposer. Outre que l'eau peut être présente à la suite d'accidents - inondations, lutte contre un incendie, fuite ou écla­tement d'une conduite d'eau ou de chauffage, par exemple -, il y a toujours assez d'eau dans les magasins pour qu'y prolifèrent les moisissures dès lors que les conditions de température et d'humidité y sont mauvaises. Comme le papier est un matériau hygroscopique, il peut contenir suffisamment d'eau pour permettre aux spores de se développer (même lorsque les conditions atmosphé­riques recommandées sont respectées). Dans les cas extrêmes, les micro­organismes sont capables de décomposer la cellulose en glucose en un cycle de vie. Ces modifications chimiques conduisent à des types graves de dommages comportant des altérations irréversibles du matériau.

(b) Insectes

Ils laissent des traces de morsure différentes selon l'espèce, lesquelles appartiennent donc à la catégorie des dommages d'origine mécanique. Pratique­ment aucun des matériaux qui composent un livre n'est à l'abri des insectes.

Les insectes sont capables de s'adapter rapidement à l'évolution de leur environnement, ce qui explique qu'ils soient si répandus et que leurs inva­sions se renouvellent constamment malgré les modifications apportées au milieu. Ils se plaisent davantage dans les pièces closes habitées par des humains que dans le milieu naturel. Ce sont des "parasites de la civilisation" qui trouvent là une protection contre leurs ennemis naturels, un climat plus favorable et une nourriture plus abondante. Leur prolifération dans les collections et les magasins dépend à la fois des conditions climatiques et géographiques générales (les régions subtropicales offrent un milieu qui leur est plus favorable) et des conditions écologiques régnant sur place. L'état de l'édifice, le microclimat, le substrat de culture, l'éclairement, l'ordre et la propreté, autant d'éléments qui ont une influence considérable sur leur développement et leur multiplication, par migration active (par pénétration à partir de l'extérieur, par exemple, en période de pullulation) ou passive, par l'intermédiaire de livres ou d'emballages infestés. Les insectes holométaboles (dont le développement va de l'oeuf à l'imago, ou insecte adulte, en passant par la larve et la nymphe) représentent le groupe le plus important parmi ceux qui s'attaquent aux livres. Les dommages provoqués (excoriations, galeries, etc.) ne sont pas toujours assez caractéristiques pour permettre de déterminer le type d'insecte qui en est la cause. La découverte de nouveaux trous ou de nouvelles zones mangées, de restes de larves, de mues de nymphes ou de cocons doivent inciter à l'action.

(c) Rongeurs

Les rats et les souris sont les types les plus courants de rongeurs nuisibles qui infligent, en particulier à la partie extérieure des ouvrages de bibliothèque, des dommages d'origine mécanique - endroits grignotés et traces de dents. Ils pénètrent apparemment dans les magasins par les trous ou fis­sures des plafonds et des sols. Lorsque les documents sont conservés dans des réserves rarement fréquentées ou inspectées, on peut s'attendre à ce que les rongeurs y fassent des dégâts.

III. Dommages chimiques

Cette catégorie regroupe tous les types de dommages qui, au sens le plus large, sont provoqués par des réactions chimiques et dont les causes sont les suivantes :

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(a) réactions naturelles lentes, (b) réactions accélérées par la présence d'éléments instables, (c) réactions provoquées par des substances venues de l'extérieur.

Tous les types de dommages chimiques ont pour caractéristique commune de provoquer des modifications irréversibles dans la structure des matériaux. Il n'est possible d'isoler clairement ce type de réactions que dans de très rares cas, car les différentes catégories de dommages se superposent et se conjuguent.

Le restaurateur rencontre ce genre de problème le plus souvent sur des documents originaux et le traitement à appliquer exige beaucoup d'adresse et de compétence de sa part.

Le vieillissement du papier est dû aux phénomènes chimiques qui s'y produisent sans interruption. Sa rapidité dépend de différents facteurs, qu'il ne nous est pas encore possible, en l'état actuel de nos connaissances, d'expliquer complètement. Voyons ce que nous savons des phénomènes en cause et de la manière dont ils réagissent les uns sur les autres.

L'élément de base, la cellulose, qui constitue l'essentiel des parois de la cellule végétale, est l'hydrate de carbone le plus répandu dans la nature.

La cellulose ((C5H10O5)11) e s t u n e substance incolore, insoluble dans l'eau et dans la plupart des solvants organiques.

Des ponts oxygène p-glucosidiques-1,4 unissent de grandes quantités de restes glucosidiques en longues chaînes. Dans les macromolécules, le motif (^6^10^5) s e répète. Le n placé après la parenthèse indique le nombre de motifs dans la chaîne.

Le degré moyen de polymérisation (polymérisation : combinaison de plu­sieurs petites molécules en macromolécules, les dimensions de la molécule restant identiques) indique le nombre de motifs CgH^o^S présents dans la molécule de cellulose.

La production de fibre de cellulose comme matériau de base pour la fabri­cation du papier a été pendant des siècles un processus essentiellement physique. Le lin, la ramie, le coton et autres fibres végétales sont composés de cellulose plus ou moins pure. Les fibres de lin contiennent de 0,5 à 2 % de lignine, suivant leur provenance. Les fibres de cellulose sont extraites soit directement des végétaux, soit indirectement des textiles, par séparation mécanique. Elles sont ensuite, si nécessaire, soumises à un traitement alcalin, mais conservent dans une large mesure leur forme naturelle. De véritables bouleversements sont intervenus à la fin du XIXe siècle. La produc­tion de fibres de cellulose à partir du bois et la séparation chimique ont changé la matière première utilisée dans la fabrication du papier, dont les techniques ont aussi beaucoup évolué par rapport aux procédés en usage jusque-là.

Lorsque le papier vieillit, les polysaccharides des parois de la fibre subissent des altérations du point de vue à la fois de la résistance mécanique et de l'aspect. La décomposition des polysaccharides (cellulose et hémi­cellulose) ainsi que l'accroissement du nombre des groupes carbonyles et hydroxyles provoquent une diminution de la résistance à la pliure. Les recherches sur ce phénomène ont révélé que lorsque l'on plie du papier, si celui-ci est neuf, les liaisons entre les fibres se détendent, tandis que s'il s'agit de vieux papier, les fibres se cassent.

Les groupes carbonyles, qui sont les plus instables, ont, de même que les produits de la dégradation oxydative, un effet sur la réactivité des groupes voisins (par exemple, rupture des liaisons R-glucosidiques) et jouent un rôle

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décisif dans la formation des chromophores (responsables du jaunissement). L'action des acides sur la cellulose se traduit par une attaque des liaisons B-glucosidiques par les ions hydrogènes, ainsi que par des ruptures au niveau des zones de moindre résistance qui sont disposées en strates régulières, d'où séparation des éléments constituant la fibre.

C'est ainsi que des fractures se produisent dans la paroi des fibres, que le degré moyen de polymérisation diminue fortement et qu'apparaît 1'hydro­cellulose, homologue du polymère initial. Les caractéristiques de 1'hydro­cellulose dépendent du poids de la molécule et, en fait, au fur et à mesure que la décomposition se poursuit, la solubilité en milieu alcalin et la réactivité augmentent, mais la résistance diminue. La mesure du degré moyen de polymérisation et la solubilité en milieu alcalin livrent un grand nombre d'informations sur l'état et la résistance de la cellulose. Elles permettent de déterminer les dommages subis par les fibres. La décomposition par hydro­lyse acide est un risque qui guette tout papier fabriqué en milieu acide. La cellulose se transforme très facilement en oxycellulose au cours du blanchi­ment, lorsque celui-ci a lieu en milieu acide ou à très haute température. L'oxycellulose, dont les fibres sont superficiellement attaquées, présente une résistance réduite en raison de la formation de groupes carboxyles et de l'oxydation des groupes hydroxyles secondaires en cellulose dialdéhyde. Pour vérifier s'il y a oxydation, on se sert habituellement de liqueur de Fehling, la qualité étant d'autant plus mauvaise que les valeurs obtenues sont plus élevées. Un autre facteur influe considérablement sur le vieillissement de la cellulose : le raffinage de la matière semi-finie.

Au cours du raffinage, la structure interne de la paroi des fibres se distend et se fragmente davantage encore, laissant l'eau pénétrer plus aisé­ment, ce qui rend les fibres plus souples et plus malléables. Par ailleurs, le traitement met à nu les fibrilles, ce qui a pour effet d'agrandir considéra­blement la superficie de liaison et de renforcer l'adhérence entre les fibres. La décomposition des polysaccharides qui assurent la résistance s'accélère du fait du relâchement de la structure et le degré de polymérisation des produits de décomposition décroît.

La plus grande résistance initiale du papier recherchée lors du raffinage n'est pas une garantie de durabilité. Les substances qui provoquent le jaunis­sement de la cellulose blanchie sont des sous-produits à faible poids molécu­laire des polysaccharides comportant une forte concentration de groupes carbonyles et de carboxyles. La formation de groupes de chromophores est grandement facilitée par les effets mécaniques du raffinage.

La décomposition de la cellulose et de 1'hémicellulose par des enzymes microbiennes produit un système à composantes multiples. De nombreux micro­organismes cellulolitiques produisent de la cellulase qui transforme le substrat du papier en glucose. Trois éléments associés en un complexe enzy-matique sont nécessaires pour cela. La Cj-cellulase, la Cjj-cellulase et la ^-glucosidase ont été détectées dans des cultures de trichoderma viride mvro-thecium verucaria. chez différents aspergillus et chez d'autres champignons et bactéries. Ce n'est que lorsqu'elles sont associées que ces trois enzymes sont capables de décomposer la cellulose en glucose.

La Cj-cellulase attaque la cellulose native, provoquant un clivage des liaisons, qui contribue par hydratation du substrat à accroître l'absorption d'eau, disjoignant les denses faisceaux des chaînes. La C^-ceHulase opère par hydrolyse et attaque la cellulose amorphe et les dérivés cellulosiques. La p-glucosidase agit sur le cellobiose (élément de la structure de la cellulose) et autre p-dimère-glucoses.

Si l'on utilise du papier filtre comme substrat de culture, la cellulase de six espèces d'aspergillus en provoque la décomposition dans la proportion

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de 55 à 88 %. Dix espèces de champignons lignicoles le décomposent dans une proportion de 3 à 91 %, quatre espèces de pénicillium jusqu'à 61 %, quatre types de trichoderma jusqu'à 53 %. Outre le système enzymatique de décomposi­tion des micro-organismes, le fait qu'il puisse y avoir formation d'acides organiques, doit sûrement avoir aussi un effet destructeur. L'aspergillus, par exemple, est utilisé à l'échelle industrielle dans la production d'acide citrique et gluconique. Ces processus chimiques de décomposition doivent impérativement être considérés dans leurs rapports avec les conditions externes liées à un emmagasinage prolongé. La température, l'humidité, 1'éclairement et la pollution atmosphérique influent fortement sur le rythme de vieillissement des produits cellulosiques. Dans la mesure où elles sont liées aux conditions naturelles, la température et l'humidité sont les princi­paux facteurs qui agissent sur les matériaux hygroscopiques que sont le papier, le cuir et le parchemin. Il y a tout lieu de penser que les processus chimiques ont des chances de s'intensifier avec l'accroissement de la tempé­rature et de l'hygrométrie ; 25°C et 32°C semblent être des seuils critiques de température, à partir desquels le vieillissement du papier s'accélère progres­sivement. A haute température, les molécules d'eau contenues dans le papier se présentent sous forme isolée et sont relativement actives, alors qu'aux basses températures, elles restent groupées en concentrations inertes. Le degré d'humidité dépend des quantités de vapeur d'eau présentes dans l'air. L'humi­dité relative est le rapport entre l'humidité absolue et le point de saturation de l'air, autrement dit l'humidité maximale possible à une température donnée. Cette information peut être obtenue en lisant les valeurs en pourcentage indi­quées par l'hygromètre.

Le degré de saturation peut être vérifié à partir des tableaux existants - par exemple :

à 15°C : 12,8 g/m3 d'air 20°C : 17,3 g/m3 d'air 25°C : 23,0 g/m3 d'air.

Lorsque la température s'élève, passant, par exemple, de 15°C à 25°C, l'humi­dité relative de l'air demeurant constante, l'humidité absolue augmente de près de 100 %, passant de 7,68 g/m3 à 13,8 g/m3. Il s'agit là de rapports particulièrement intéressants du point de vue des microclimats régnant dans les magasins ou les salles d'exposition, et il faut en tenir compte dans toute décision concernant la régulation de l'humidité atmosphérique. Les matériaux fortement hygroscopiques comme le parchemin réagissent très vivement aux chan­gements et peuvent, dans les cas extrêmes, être très gravement endommagés. La capacité d'absorption de l'eau atmosphérique varie beaucoup, à la fois à l'intérieur d'une même catégorie de matériaux (par exemple d'un papier à l'autre) et d'une catégorie à l'autre. L'influence néfaste de la pollution atmosphérique - présence de dioxyde de soufre, d'oxyde nitrique et de chlorures - sur la durée de vie des objets est particulièrement bien illustrée par la dégradation des monuments de pierre. Les facteurs d'agression atmosphé­riques sur les livres et le papier ont pour effet d'intensifier le processus de décomposition. L'effet destructeur des rayons ultraviolets sur les chaînes moléculaires du papier est particulièrement redoutable dans les longueurs d'onde allant de 300 à 500 nanometres. C'est dans le rayonnement solaire et la lumière du jour que ces rayons ultraviolets se trouvent dans les plus grandes proportions. Les réactions photochimiques peuvent se traduire, d'une part, par le jaunissement du papier, et de l'autre, par une décoloration des encres et des pigments. L'énergie qui s'accumule sous l'action des rayons ultraviolets conduit, à des degrés divers, à une rupture des liaisons chimiques au sein des matériaux et, par voie de conséquence, à l'apparition de radicaux libres. Le réaction de ces derniers au contact de l'oxygène déclenche des réactions en chaîne qui peuvent conduire à la destruction complète du papier (photolyse).

On notera que la diffusion de substances nocives par contact direct du papier avec d'autres matériaux est également possible. Les matériaux utilisés

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dans les passe-partout, les colles, les feuilles de protection et autres sont susceptibles, par leur présence, de propager des substances nuisibles. Des produits tels que les agents assouplissants ou les sous-produits acides des matériaux de contact peuvent aussi provoquer des dommages.

Pour le restaurateur, le vieillissement, d'origine interne ou externe, du papier et de façon plus générale, des documents historiques, peut être consi­déré comme un phénomène qui, outre les altérations physiques et chimiques qu'il provoque dans le matériau, peut conduire à des modifications esthétiques de l'objet.

3. LA SITUATION DANS LES BIBLIOTHEQUES

Personne ne met plus en doute aujourd'hui le fait que la détérioration des ouvrages de bibliothèque est un problème d'envergure internationale. Mais les divergences d'avis quant à l'étendue des dommages ne contribuent pas à le résoudre. Les collections de nos bibliothèques font tout autant partie de notre patrimoine culturel que les monuments historiques, les oeuvres pictu­rales et les sites archéologiques. Mais les livres ont ceci de particulier qu'ils sont utilisés quotidiennement, ce qui veut dire qu'ils doivent être en état de servir. Si la qualité du papier et des matériaux entrant dans la fabrication des reliures baisse, la durée de vie du livre diminuera elle aussi.

Plus de 90 % des ouvrages conservés dans les bibliothèques et les archives datent du XIXe et du XXe siècle. Le fameux Laboratoire de recherche William J. Barrow a établi, lors d'une étude complète sur le contenu des bibliothèques modernes, que plus de la moitié des ouvrages imprimés entre 1900 et 1945 auront disparu d'ici à l'an 2000.

Cette hypothèse a été confirmée par les recherches effectuées par la British Library et la Bibliothèque nationale de France, qui sont parvenues à des résultats identiques concernant le vieillissement progressif du papier, à savoir :

Environ 97 % de tout le papier produit depuis 1850 est acide ; 50 % du papier fabriqué depuis 1850 contient de la lignine. La perte de résistance, à la pliure en particulier, de ce papier est de 82 % en 21 ans, soit 4,66 % en moyenne par an.

Si les livres à base de pâte mécanique acide perdent 82 % de leur résis­tance initiale en l'espace de 21 ans, le problème de leur maintien dans les circuits de consultation se pose avec acuité aux conservateurs. Seul un trai­tement des plus minutieux permettra d'éviter qu'ils ne se détériorent et soient perdus. Des instructions particulières devraient être données en ce qui concerne l'utilisation de ces catégories d'ouvrages afin de réduire autant que possible les dommages d'origine mécanique.

En 1986, une enquête UNESCO/IFLA/CIA sur la conservation des ouvrages de bibliothèque et des archives a été effectuée auprès de 300 établissements d'archives et 550 bibliothèques. Les réponses reçues ont permis d'établir ce qui suit :

- 66 % des établissements interrogés vérifient régulièrement les condi­tions atmosphériques dans leurs locaux - seuls 45 % d'entre eux ana­lysent les résultats ;

- 34 % de l'ensemble des établissements ont des problèmes de locaux et de climat ;

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- dans 50 % des établissements, la situation n'a pas changé au cours des 10 années précédentes ; elle s'est améliorée dans 36 % des cas et dégradée dans 11 % ;

- 88 % des établissements observent que leurs fonds se détériorent en raison de l'utilisation qui en est faite. Les quatre principaux fac­teurs à l'origine de ce phénomène sont : la fréquence de consultation, l'insuffisance des instructions données aux usagers, un mauvais usage de la photocopie et l'absence d'installations de microfilmage ;

- environ 60 % des établissements ont un atelier de restauration à leur disposition. Des visites ultérieures ont révélé que, par leurs dimen­sions, leur dotation en personnel et leur équipement, ces ateliers ne correspondaient pas à leurs besoins.

Les résultats de l'enquête UNESCO/IFLA/CIA ont mis en lumière quelques aspects de l'état de conservation du patrimoine culturel dans le monde. Il est évident qu'il faut prendre sans tarder des mesures très efficaces pour amélio­rer à la fois l'état des fonds des bibliothèques et leurs conditions de conservation matérielle et de classement.

Force est de se demander, devant la situation des bibliothèques, comment préserver le patrimoine culturel manuscrit et imprimé. Dans les années 70, l'IFLA a mis au point un certain nombre de programmes fondamentaux. En 1984, un groupe spécial a recommandé qu'aux trois groupes qui existaient déjà (UAP, UBCIM, UDT) soient ajoutés d'autres programmes, parmi lesquels le nouveau pro­gramme fondamental Préservation et conservation (PAC).

Les activités de ce programme PAC ont pour objet la coopération entre l'IFLA et les autres organisations, l'élaboration de stratégies, la réalisa­tion d'études et de projets de recherche, la formation et le perfectionnement de personnel qualifié ainsi que la réalisation de projets pilotes. Le centre international pour le PAC a son siège au bureau de la conservation de la Library of Congress, à Washington, et s'appuie sur des centres régionaux situés respectivement à Sablé (Bibliothèque nationale de France), à Leipzig (Deutsche Biicherei, République démocratique allemande) et à Caracas (Bibliothèque natio­nale du Venezuela). Le programme PAC a vu le jour lors de la première Confé­rence internationale sur la conservation des collections de bibliothèques (Vienne, 7-10 avril 1986), organisée par la Conférence des directeurs de bibliothèques nationales (CDNL) avec le concours de l'IFLA et de 1'UNESCO. Plus de 120 directeurs de bibliothèques nationales et de spécialistes du monde entier ont participé à cette conférence, qui a été suivie d'un séminaire sur l'enseignement de la conservation matérielle dans les écoles de bibliothé­caires. Ce séminaire a également été soutenu par 1'UNESCO. Le programme fonda­mental PAC a démarré avec une série de projets importants. Les 45 projets et recommandations de la Conférence de Vienne ont été publiés par le Centre international dans la série de publications de l'IFLA. Les centres régionaux se sont attaqués en premier lieu à la formation des techniciens spécialisés dans les travaux de conservation-restauration.

D'autre part, des accords ont été passés concernant la publication d'une feuille d'information, "International Preservation News", par le Centre inter­national avec le concours des centres régionaux. Un certain nombre d'études, également soutenues par 1'UNESCO, sont en cours sur les sujets suivants :

- les moisissures dans les archives et les bibliothèques - la protection contre les sinistres - les techniques de conservation de masse - comment protéger les fonds de bibliothèques et d'archives des insectes.

On travaille actuellement à la mise en place d'une banque de données qui réunira des informations sur la situation des bibliothèques dans le monde en

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matière de conservation-restauration. Dans les centres régionaux, il est pos­sible d'emprunter des séries de diapositives, avec commentaire en français, en espagnol ou en allemand, sur des sujets tels que le traitement des livres des fonds généraux et la planification d'un programme de conservation, qui ont été réalisées par la Library of Congress. Des efforts considérables ont donc été engagés pour mettre en oeuvre le programme PAC, avec pour principaux objectifs de :

- faire en sorte que les documents de toutes formes, publiés ou non, détenus par les bibliothèques, restent utilisables aussi longtemps que possible ;

- encourager les formules susceptibles de contribuer à la solution du grave problème posé par l'usure physique des ouvrages de bibliothèque ;

- favoriser l'élaboration de normes nationales et internationales de production, de conservation et de traitement des ouvrages de biblio­thèque, tâche qui sera désormais assurée dans le cadre d'un plan unifié.

Il faut avant tout, pour qu'une stratégie de sauvegarde atteigne ses objectifs, qu'il existe une conscience sociale du problème, c'est-à-dire que la société soit sensibilisée aux difficultés rencontrées dans les biblio­thèques et les archives. Il serait peu réaliste de croire qu'une bibliothèque puisse préserver son contenu par ses seuls moyens. Une stratégie nationale de sauvegarde, associée à la coopération internationale, est chose indispensable, si l'on veut conserver le patrimoine culturel de l'humanité. Beaucoup de pays travaillent actuellement à l'élaboration d'un programme national. En Répu­blique démocratique allemande, on songe à intensifier, à l'échelle nationale, les activités visant à résoudre les problèmes rencontrés dans le domaine de la conservation et de la restauration, et un programme a été mis au point pour le développement des techniques de traitement de masse dans les bibliothèques du pays.

4. LA CONSERVATION MATERIELLE : LES METHODES

La durée de vie des ouvrages conservés dans les bibliothèques peut être considérablement allongée par une bonne politique de protection fondée sur la mise en oeuvre de techniques et de méthodes appropriées. On retarde ainsi, ou même on évite, le recours au restaurateur.

Les services spécialisés passent une bonne partie de leur temps à chercher les moyens de rénover pour un prix modique de vastes collections détériorées par l'acidité. Depuis 1850 environ, et de nos jours encore, à quelques exceptions près, on utilise en effet pour l'impression des papiers qui sont acides. De plus en plus d'informations nous parviennent du monde entier sur l'état inquiétant des documents de bibliothèque. La Bibliothèque du Congrès estime que 25 % de ses ouvrages risquent de devenir bientôt inutili­sables. La British Library à Londres craint que ses collections ne soient tou­chées dans les mêmes proportions. La Bibliothèque nationale à Paris évalue à 800.000 le nombre des ouvrages dégradés. En République démocratique allemande, les bibliothèques universitaires ont depuis longtemps conscience du problème. Il n'est pas possible d'estimer pour l'instant les sommes qui seraient néces­saires pour procéder à une opération de traitement d'une telle ampleur car on voit mal quelles sont les méthodes les plus efficaces. Il existe actuellement plusieurs procédés de désacidification qui sont en usage ou font l'objet de recherches.

On entend par "désacidification" l'élimination ou la neutralisation des substances acides qui exercent une action destructrice sur le papier. L'adjonction d'un tampon alcalin est indispensable pour maintenir l'effet de

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cette désacidification le plus longtemps possible. Le tampon, ou réserve, pro­tège le papier en empêchant la formation secondaire de substances acides ou leur pénétration à partir de l'extérieur.

Quiconque s'intéresse à la durée de vie du papier se doit de faire réfé­rence aux travaux de William Jame Barrow. Les résultats de ses recherches, controversés sur certains points, peuvent être résumés comme suit : la longé­vité du papier dépend de la présence ou de l'absence de terres alcalines. Si le papier en contient suffisamment, les dommages exercés par l'acide peuvent être évités. S'il y a trop peu de terres alcalines par rapport aux acides ou s'il y a plus de molécules acides qu'il ne peut s'en combiner, le pH diminue.

Il existe de nombreuses substances alcalines mais très peu sont utili­sables pour la désacidification du papier. Les bases particulièrement fortes ne conviennent pas car elles attaquent trop énergiquement la cellulose et provoquent une tendance analogue au vieillissement. Les agents désacidifiants les plus utiles sont les sels alcalino-terreux :

- le carbonate de calcium (CaCC^), - le carbonate de magnésium (MgCC>3) et - l'hydroxyde de baryum (Ba(0H>2).

Pour la désacidification de masse, le papier doit se trouver neutralisé à pH 7-8 à la fin du traitement. Du point de vue technique, cela suppose que les livres ou les liasses de papier soient imprégnés rapidement au moyen d'un agent neutralisant qui se dépose en concentration suffisante dans la structure du papier, en formant la réserve alcaline. Les produits utilisés ne doivent pas endommager les livres. Ils doivent être atoxiques et ne laisser aucune odeur. Dans les techniques de conservation de masse qui ont été mises au point jusqu'ici, le traitement se fait en phase gazeuse ou en phase liquide. Des méthodes plus récentes emploient aussi bien des solutions aqueuses que des solutions non aqueuses.

La désacidification constitue une mesure exclusivement préventive. Elle ne permet pas de rendre au papier la solidité qui est indispensable pour que l'ouvrage puisse être lu, que les pages puissent être tournées, ni la solidité que lui ont enlevée les phénomènes chimiques, d'où une différence avec le vieillissement. La désacidification a seulement pour effet de ralentir ces processus le plus possible.

4.1 La méthode au diéthylzinc (DEZ)

Après avoir procédé pendant cinq ans à des recherches exhaustives, la Bibliothèque du Congrès a opté pour la méthode en phase gazeuse qui fait intervenir une substance appelée diéthylzinc (en abrégé DEZ). Cette méthode a été expérimentée en laboratoire sur des témoins.

En raison de ses propriétés réactives, le DEZ ne doit pas être mis en contact direct avec un excès d'eau ou d'oxygène. L'opération doit donc avoir lieu dans une enceinte hermétiquement close. Le diéthylzinc est doté de pro­priétés désacidifiantes supérieures à celles des autres composés.

Premièrement, les vapeurs de DEZ à l'état gazeux circulent librement entre les pages du livre à traiter, elles se répandent dans les fibres du papier, entrant en contact moléculaire étroit avec les chaînes cellulosiques et réagissant avec tous les acides, faibles ou forts, qu'elles neutralisent.

Deuxièmement, le DEZ réagit en même temps sur l'eau présente dans les fibres et forme de l'oxyde de zinc qui constitue la réserve alcaline. Cette réaction entre les molécules de DEZ et l'eau permet une distribution uniforme de la réserve alcaline sous forme de fines particules dans les fibres du papier et accroît la longévité de chaque ouvrage traité ; l'effet obtenu peut être reproduit.

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Troisièmement, le tampon d'oxyde de zinc confère au papier des propriétés fongicides qui empêchent toute prolifération ultérieure de micro-organismes. Cette méthode est exécutée en trois phases et 17 étapes comme suit :

On remplit de livres l'enceinte qui servira pour le traitement. A l'aide d'une pompe, on évacue la totalité de l'air présent afin d'obtenir une atmosphère d'azote pur. On crée dans l'enceinte un vide de 0,2 torr environ, à une température de 45°C afin d'éliminer la majeure partie de l'eau contenue dans les livres à traiter. Il doit rester environ 0,5 % d'eau dans le papier. On vérifie la teneur en eau du papier en mesurant la perte de poids de l'enceinte contenant les livres. Cette phase préliminaire dure 20 heures.

Le DEZ est extrait par condensation de son milieu de transport (une huile minérale) à l'aide d'un système fermé relié à l'enceinte à vide et ou le fait pénétrer lentement à l'état gazeux dans les livres à traiter. La pression à l'intérieur de l'enceinte augmente jusqu'à 20 torrs. La réaction qui s'opère entre le DEZ gazeux et les 0,5 % d'eau produit de l'oxyde de zinc et de l'éthane. Cette réaction est fortement exothermique. Il faut éliminer constam­ment l'éthane ainsi produit et refroidir l'enceinte jusqu'à ce qu'une tempéra­ture de 80°C puisse être maintenue. La transformation du DEZ en sels de zinc et en oxyde de zinc prend quatre heures environ, après quoi on peut vérifier le poids de l'enceinte à vide.

Pour éliminer en toute sécurité le DEZ gazeux qui n'a pas été utilisé, on rétablit les conditions de la phase préliminaire : une pression de 0,2 torr, une atmosphère d'azote et une température de 40°C. Ces conditions étant rem­plies, on introduit de l'eau pour réhydrater les livres, puis on injecte du dioxyde de carbone à l'aide d'une pompe et la pression intérieure s'élève jus­qu'à 550 torrs. Au bout de 24 heures, la majeure partie de l'oxyde de zinc s'est transformée en carbonate et les livres ont absorbé suffisamment d'eau pour retrouver leur souplesse.

Les avantages de cette méthode sont les suivants :

- L'utilisation d'une substance sous forme gazeuse permet généralement d'éviter les effets secondaires qui risquent d'endommager gravement certaines parties des livres.

- La réserve alcaline ainsi créée a une réaction pratiquement neutre.

- Il n'est pas nécessaire de faire un tri des documents avant le traitement.

Dans sa version actuelle, cette méthode présente des inconvénients :

- Les coûts d'installation et de fonctionnement d'un atelier de désacidi-fication par le DEZ sont très élevés.

- L'instabilité réactive du DEZ gazeux introduit certains éléments d'incertitude.

- Ce type d'atelier ne peut être confié qu'à des spécialistes.

- Les experts s'interrogent sur les réactions chimiques qui interviennent dans le processus.

- Au stade actuel, ce procédé n'est pas encore commercialisable.

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4.2 La méthode Hei T'o

La méthode Wei T'o, pour la désacidification en solution non aqueuse des livres, a été inventée par Richard D. Smith au Canada et mise au point par les Archives nationales canadiennes. Les travaux expérimentaux ont commencé en 1974 et se sont poursuivis jusqu'en 1978. Après cette date, des essais appro­fondis ont été pratiqués au Canadian Book Exchange Centre de la Bibliothèque nationale et en décembre 1981, la méthode était prête à l'emploi. Elle est appliquée comme suit : on fait tremper les livres à désacidifier dans un mélange frigorifique (difluorodichlorométhane, frigorigène chlorofluorocarboné) qui sert de milieu de transport et un désacidifiant, le carbonate de méthyl magnésium dissous dans une solution de methanol à 5 %.

Les acides du papier se trouvent neutralisés par la formation de sulfate de magnésium et le dépôt d'un tampon de carbonate de magnésium de pH compris entre 7 et 8. L'aérosol Wei T'o No 10 contient à peu près ce mélange ; il est largement utilisé par la désacidification des feuilles volantes.

Les livres qui sont destinés à la désacidification en masse sont disposés dan des paniers de treillis métallique et séchés pendant 36 heures dans un dessicateur à vide pour éliminer l'eau normalement présente dans le papier. Deux paniers contenant de 20 à 30 livres sont placés dans l'enceinte ; on injecte la solution de désacidification et on élève la pression jusqu'à ce que les livres soient totalement saturés de solution. Le solvant est ensuite éliminé (pour être réutilisé ultérieurement) grâce à un second séchage. A la fin du traitement, on fait entrer de l'air chaud, on rétablit la pression normale et on sort les livres.

Le cycle de désacidification exige environ une heure. Les paniers sont déposés dans des conteneurs à fond ondulé pour que les documents reviennent à la température ambiante et reprennent leur teneur en eau normale. Après avoir été contrôlés, les livres sont retournés à leurs départements respectifs. Le laboratoire installé dans les caves de la Bibliothèque nationale du Canada fonctionne seulement à titre expérimental. Il est utilisé en permanence depuis 1982, avec un rendement qui dépend des crédits et du personnel disponibles.

Pour l'instant, les deux employés peuvent traiter 800 livres environ pendant leurs 37 heures et demie de travail hebdomadaire, ce qui correspond à près de 40.000 livres par an. Cette production doit être doublée car il est prévu de soumettre à un traitement préventif les 80.000 livres qui entrent dans la bibliothèque canadienne. Le rendement maximal, si le travail était assuré par sept employés en équipe pendant 12 heures par jour, correspondrait à près d'un million de livres par an. Une extension du laboratoire, par exemple l'installation de plusieurs systèmes à enceinte unique, éviterait d'avoir à transférer les livres de l'enceinte du dessicateur à vide à l'enceinte inter­médiaire puis à l'enceinte de traitement, comme c'est le cas actuellement et réduirait le nombre d'employés nécessaires pour un rendement équivalent.

Les avantages techniques de la méthode Wei T'o sont liés aux substances chimiques utilisées :

- Le composé organométallique (méthylate de magnésium) est soluble dans l'alcool méthylique.

- Au contact du papier, la solution se décompose en donnant de l'hydroxyde de magnésium et du carbonate de magnésium ainsi que de l'alcool méthylique qui s'évapore très rapidement.

- L'hydroxyde de magnésium et le carbonate de magnésium restent imprégnés dans le papier, formant une réserve alcaline qui retarde l'oxydation.

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- Il n'y a aucune restriction à formuler quant à l'innocuité de ces deux substances chimiques.

La méthode présente les inconvénients suivants :

- Compte tenu des résultats relativement bons qui ont été obtenus, il serait possible d'optimiser le procédé. Malheureusement, les améliora­tions du mode opératoire annoncées il y a déjà quelque temps par l'in­venteur ne se sont pas encore concrétisées.

- Les solvants produits ou employés au cours de la réaction sont soit toxiques (alcool méthylique) soit dangereux pour l'environnement (agents réfrigérants).

- Un grave inconvénient des installations actuelles tient à la récupéra­tion incomplète du solvant.

- Les documents à désacidifier doivent faire l'objet d'un tri préalable.

- La quantité de methanol contenue dans la solution de désacidification peut dans le cas de certains documents entraîner des modifications indésirables.

- L'inconvénient le plus sérieux tient au fait que la solution de désaci­dif ication est un produit déposé que l'utilisateur éventuel est tenu de se procurer auprès du son unique fabricant.

4.3 Le système de désacidifi cation de la Bibliothèque nationale

Par rapport aux autres pays européens, c'est en France que les recherches visant à mettre au point une méthode de désacidification de masse à but pré­ventif sont le plus avancées. La Bibliothèque nationale a installé au château de Sablé, à 250 km au sud-ouest de Paris, un centre de conservation-restaura­tion qui fonctionne depuis le milieu de 1987.

Le procédé utilisé est semblable à la méthode canadienne Wei T'o. Les livres sont neutralisés par du carbonate de méthylmagnésium dans une solution de methanol et de réfrigérants.

Cependant, la méthode française comporte une récupération par distilla­tion de la solution utilisée. La mise en oeuvre est à peu près identique elle aussi. L'installation du Centre a coûté 2 millions de francs français. Les livres sont sèches sous vide à 50°C, pendant 24 heures, puis placés successi­vement dans une enceinte de refroidissement, dans une enceinte intermédiaire pendant 48 heures, enfin avec 1 % d'humidité, pendant 10 minutes, dans une enceinte à vide qui est saturée de la solution de désacidification. L'excès de solution est ensuite éliminé par aspiration et les livres saturés sont chauffés pour les débarrasser du methanol. L'enceinte à vide peut être remplie trois fois par jour avec 200 livres. Le rendement précis de l'installation n'est pas encore connu. Les avantages de cette méthode sont exactement les mêmes que ceux de la méthode Wei T'o du point de vue de la réaction chimique de neutra­lisation et de la constitution d'une réserve alcaline. Un avantage supplémen­taire tient à la récupération du solvant dont le prix est élevé.

Les inconvénients de la méthode française sont actuellement les suivants :

- Il s'agit encore d'une installation expérimentale.

- Un certain nombre de modifications techniques doivent être apportées pour que le système, pour l'instant commandé manuellement, puisse être exploité de façon semi-automatique.

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- Il arrive que l'encre des tracés coule, mais le problème pourrait être résolu si l'on diminuait la quantité de methanol.

- Il n'a pas été possible de trouver au voisinage du Centre une entre­prise susceptible de fournir la solution de désacidification.

4.4 Méthodes utilisées par la British Library à Londres

La British Library a patronné des recherches sur d'autres méthodes de traitement du papier qui pourraient prolonger son utilisation en retardant sa décomposition et en en augmentant la solidité. On pourrait pour cela faire pénétrer des polymères dans le substrat afin de renforcer et de protéger chaque fibre. Il ressort des essais effectués en laboratoire que le traitement doit comporter les étapes suivantes :

- On empile les livres à traiter dans un conteneur approprié.

- On introduit de l'azote dans le conteneur pour éliminer l'air et l'oxy­gène libre.

- Une certaine quantité de composé monomère, qui est fonction du poids des livres, est introduite dans le conteneur.

- On laisse reposer quelques heures afin que le composé monomère qui diffuse dans le papier se répartisse uniformément.

- Les livres imprégnés de monomère sont exposés à une source de rayons gamma peu puissante jusqu'à obtention de l'intensité voulue de rayon­nement. Le composé monomère se trouve ainsi polymérisé et chimiquement fixé au papier.

- Le résidu monomère est éliminé avec l'air du conteneur afin d'éviter les risques de toxicité pour les manipulateurs.

- Les livres sont ensuite sortis du conteneur et placés pendant quelques jours dans un local bien ventilé pour achever l'élimination des traces de monomère avant que les livres ne soient retournés pour être triés et remis sur les rayons.

Il est possible aussi d'utiliser un comonomère basique (un méthacrylate aminosubstitué, par exemple le méthacrylate de diméthylaminoéthyle) pour neutraliser les acides éventuellement présents dans le papier ; on augmente ainsi la résistance à une agression acide ultérieure et on associe en une seule opération la neutralisation et le renforcement. Ce comonomère basique est facile à polymériser et il suffit de faibles quantités pour obtenir la neutralisation.

Le traitement de livres témoins par le composé polymère habituel et par une petite quantité d'aminé polymérisée fait apparaître les différences sen­sibles, sur une certaine période, de la résistance du papier et de sa neutra­lité. Récemment, on a constaté que l'adjonction de plusieurs comonomères insaturés au composé monomère donnait des résultats encore meilleurs : la résistance du papier à la pliure est de trois à cinq fois supérieure par rapport aux résultats obtenus avec le composé polymère initial, ce qui augmente la durée de vie des livres ainsi traités. Ce procédé devrait per­mettre de réaliser à la fois une désacidification et une stabilisation. Toute­fois, il n'est pas encore suffisamment au point pour être commercialisable.

4.5 La méthode "viennoise"

La méthode mise au point par la Bibliothèque nationale autrichienne pour la conservation du papier journal est fondée sur un traitement par immersion

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dans une solution aqueuse qui assure simultanément la neutralisation et le renforcement du papier. Elle permet de rénover le papier fragilisé, c'est-à-dire de prolonger son utilisation en bibliothèque, mais aussi de protéger les collections encore en bon état. Comme avec le DEZ et le carbonate de méthymagnésium, l'immersion du papier a lieu dans une enceinte à vide. Le fait de procéder simultanément à la neutralisation et au renforcement présente l'avantage, en plus d'une désacidification très poussée avec dépôt d'une réserve alcaline dans le papier, d'introduire une solution de renforcement supplémentaire qui retarde la décomposition ultérieure grâce à la présence d'oxydants. Des essais préalables ont conduit à choisir l'hydroxyde de calcium pour la solution de désacidification et une méthylcellulose de faible viscosité comme agent renforçateur. Après imprégnation, les articles à protéger sont congelés rapidement à -40°C et lyophilisés. La lyophilisation empêche les feuilles de se coller l'une à l'autre au cours du séchage. Cette méthode est conçue pour le traitement de livres entiers, débarrassés de leur couverture. Son succès dépend de l'aptitude de la solution à pénétrer complè­tement dans le livre. Un livre fermé joue le rôle de filtre sélectif vis-à-vis de la solution, de la même manière que les couches absorbantes d'une plaque de chromatographic en couche mince. Il en résulte pratiquement que le solvant - ici l'eau - pénètre dans le document plus facilement que les substances dissoutes qui doivent provoquer la neutralisation et le renforcement du papier. Pour résoudre ce problème, on limite à 4 cm au maximum l'épaisseur du dos du livre. Si les livres sont plus épais, on enlève la reliure et on les divise en plusieurs éléments dont l'épaisseur ne dépasse pas 4 cm. La couture est laissée en place pour éviter que les feuillets ne glissent pendant le traitement.

On peut améliorer encore le pouvoir de pénétration de la solution en ajoutant à la solution de MC 40 une substance de renforcement de très faible viscosité. L'effet renforçateur de la MC 40 est plus faible que celui de pro­duits ayant une viscosité supérieure, comme par exemple la MC 400, mais les fibres du papier sont enrobées de manière uniforme et, d'après l'expérience acquise à ce jour et les tests effectués, le renforcement ainsi obtenu est satisfaisant. L'avantage de cette méthode est qu'elle combine la désacidifica­tion et le renforcement des feuilles reliées. L'idée du procédé et sa mise en oeuvre sont le fruit de nombreuses années d'expérience en matière de restaura­tion. Il se prête à un emploi généralisé. Son rendement, lié à la taille de l'atelier, reste pour l'instant, assez faible.

4.6 Nouvelles méthodes

A côté des méthodes de désacidification décrites ci-dessus, qui exigent des investissements considérables en raison de leur ampleur et des installa­tions techniques nécessaires, on voit apparaître des procédés de désacidifica­tion et de renforcement plus faciles à mettre en oeuvre.

Depuis peu, la société anglaise "Archival Aids" installée à Spondon, Derby, propose un "aérosol pour le traitement du papier" ainsi qu'une solution "HCMC" pour la désacidification et le renforcement. Cette solution est à base de carbonate de méthylmagnésium. L'HCMC est une solution de cellulose, alca­line, non aqueuse, incolore, qui peut être appliquée au pinceau, par immersion ou par pulvérisation, à l'aide notamment du matériel fourni par Archival Aids.

Les solutions commercialisées actuellement contiennent du trichlorotri-fluoroéthane en plus de l'alcool méthylique. Le matériel de pulvérisation proposé par la société permet le traitement manuel de feuilles séparées et de livres reliés.

Le procédé dit "Interleaf VPD" de W.H. Langwell consiste en une desacidi­ficaron en phase gazeuse. On utilise des cristaux de carbonate de cyclohexylamine qui sont imprégnés dans une feuille de papier ou enfermés dans des sachets poreux. La feuille imprégnée est intercalée entre les pages du livre ou bien, dans le cas des sachets, ceux-ci sont déposés à l'intérieur des

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boîtes où se trouvent les documents. En quelques jours, les cristaux se vola­tilisent en libérant de la cyclohexylamine gazeuse qui exerce une action désacidifiante. Ce traitement n'a pas un effet permanent. La cyclohexylamine est une substance toxique.

Le procédé de conservation de J. Kozak et Richard E. Spatz est fondé sur l'application d'une suspension non aqueuse qui imprègne les livres d'oxyde de magnésium et de fréon. Pour obtenir une meilleure imprégnation, on agite les livres dans la suspension. L'ensemble de l'opération prend trois heures. Le fréon est évaporé et récupéré sous vide pendant la phase de rénovation. Pour l'instant, des essais sont effectués dans le cadre d'un projet pilote, avec un conteneur expérimental»

Un projet mis en oeuvre conjointement par 1'American Institute et la Bibliothèque de l'Académie des sciences de Leningrad consiste à renforcer le papier au moyen de polymères du parylène utilisés sous forme gazeuse (dipa-raxylylène). Pour l'instant, cette méthode permet de renforcer le papier par association mécanique du parylène et de la cellulose. Le traitement n'est pas réversible.

5. METHODES DE RESTAURATION

Le matériel utilisé par les restaurateurs a beaucoup changé depuis dix ans, grâce aux progrès de la recherche sur certains principes scientifiques fondamentaux et à la mise en application de ces principes. Les efforts déployés pour rationaliser les procédés de sauvegarde matérielle ont produit les résultats qui sont décrits succinctement ci-dessous ; beaucoup reste à faire cependant.

C'est de toute évidence dans le domaine de la coopération internationale et de l'échange d'informations que les réalisations sont les plus impression­nantes. On constate aussi une tendance continue à mettre en oeuvre des méthodes de conservation qui réconcilient les impératifs quantitatifs et les exigences de qualité.

L'arsenal technique de base à la disposition du restaurateur ou de la restauratrice est aujourd'hui plus complet et très amélioré. Force est de constater en même temps qu'une commercialisation excessive et la diversité même des techniques et des matériels ont entravé la diffusion des méthodes efficaces.

5.1 Le traitement par voie humide

Le traitement par voie humide (qui consiste en une série d'immersions dans des solutions de nettoyage et de désacidification ainsi que dans des solutions-tampon, complétées par des opérations fondamentales de préservation) pose un problème particulièrement aigu dans le cas des ouvrages amplement et gravement détériorés parce qu'il requiert beaucoup de temps et d'énergie. Il est malgré tout d'une importance décisive pour la longévité des livres et des papiers traités et la sauvegarde de leurs qualités intrinsèques.

Les procédés manuels traditionnels de traitement par voie humide pèchent par quelques défauts d'ordre méthodologique. Il est excessivement rare que l'on puisse, par exemple, traiter une importante quantité de feuilles volantes dans des conditions qui soient absolument identiques. Le temps mis pour placer les feuilles dans les bacs et les transporter d'un bac à l'autre étant néces­sairement variable, la durée de l'action des solutions sur les différentes feuilles ou lots de feuilles l'est inévitablement aussi. Dans la pratique, il est également peu fréquent que le rinçage soit soigné et que des contrôles des opérations soient réalisés.

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La désacidification et l'incorporation préventive d'une réserve alcaline au papier sont généralement effectuées empiriquement, en l'absence de contrôles généraux et de stipulations exactes quant au dosage des solutions. La fréquente friabilité du papier en rend la manipulation plus difficile et contraint à prendre des précautions particulières qui alourdissent encore la tâche. Les risques auxquels le restaurateur s'expose en restant en contact, souvent des heures durant, avec les produits chimiques liquides ou autres utilisés posent en l'occurrence un autre problème qui ne peut être que légère­ment atténué par le port de vêtements protecteurs. S'il est possible de remé­dier à toutes les insuffisances qualitatives du traitement manuel par voie humide au prix d'un dur labeur et avec l'aide de l'appareillage des ateliers, les limites des capacités humaines s'opposent à l'amélioration quantitative des résultats.

La mécanisation du traitement par voie humide résout les problèmes tant quantitatifs que qualitatifs tout en réduisant la charge de travail globale. La Deutsche Biicherei à Leipzig possède ainsi une installation composée de six bacs larges de 50 cm, longs de 70 cm et profonds de 60 cm qui sont placés côte à côte. Un système transporteur qui permet de déplacer horizontalement et verticalement les papiers à traiter passe au-dessus des bacs, lesquels sont en acier revêtu d'ébonite. Chaque bac est équipé d'un dispositif de chauffage et de ventilation et d'un thermostat ainsi que d'une robinetterie/vidange complète avec trop-plein. Toute l'installation est alimentée en eau chaude et froide et en air comprimé. La prise d'air comprimé située tout à fait à l'avant de la série de bacs permet d'introduire du CO2. Un dispositif de réglage est placé tous les trois bacs. Chaque bac est muni d'un pH-mètre qui mesure le pH au moyen d'une électrode raccordée à un instrument gradué.

Ces précautions techniques garantissent un traitement par voie humide correct et contrôlable, conforme aux besoins du type de document traité. Voici les traitements qui peuvent actuellement être effectués, suivant des procé­dures éprouvées, dans ces installations :

1. Traitement à l'eau dans des bains de température différente (de 20 à 100°C).

2. Blanchiment par oxydation au permanganate de potassium.

3. Neutralisation et incorporation au papier d'une réserve alcaline par traitement soit au tetraborate de sodium, soit à 1'hydrogénocarbo-nate de magnésium ou de calcium.

4. Blanchiment par oxydation au peroxyde d'hydrogène.

5. Réduction de la teneur en lignine du papier de pâte de bois par traitement aux peroxycarbonates et au permanganate de potassium.

6. Dissolution des colles et principalement de celles à base d'amidon et de protéines à l'aide d'enzymes. Ce traitement permet accessoire­ment de réaliser au mieux l'enlèvement des feuilles renforçatrices après une opération de dédoublement du papier.

7. Traitement protecteur de base de toutes les feuilles au p-hydroxydi-phénylmé thane.

8. Réencollage des feuilles traitées au moyen d'esters de cellulose ou de solutions protéïques.

Ces opérations citées à titre d'exemple peuvent être variées et combi­nées, permettant d'appliquer efficacement le traitement spécifique adapté à la nature de chaque dommage et ce d'une manière à tous égards très économique. Que l'on considère le procédé du point de vue de la manipulation des produits

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chimiques, de la consommation d'eau et d'énergie ou, élément non négligeable, du règlement du problème de l'évacuation des eaux usées, ses avantages sur le procédé manuel sont incontestables.

Si l'on envisage la succession d'opérations qui doivent intervenir entre le démontage de l'ouvrage et la mise en oeuvre de la stabilisation, on se rend compte qu'une organisation bien conçue du travail est propre à faire gagner beaucoup de temps. Pouvoir associer le démontage et le nettoyage à sec des ouvrages endommagés à leur classement en différentes catégories permet, outre une utilisation plus pointue de l'installation de traitement par voie humide, d'améliorer les conditions d'hygiène et la salubrité microbiologique dans l'atelier. Après nettoyage à sec, les feuillets à traiter sont disposés, quel que soit leur degré de détérioration, sur des tambours à filtrer spéciaux équipés de treillis. Ceux-ci se composent d'un rouleau de bois (ressemblant à une bobine de fil) et de deux treillis de polyamide superposés de 8 m de long sur 40 cm de large. L'un, à mailles grossières, sert à étaler les feuilles de papier et laisse passer les différents liquides. L'autre, à mailles très fines, est placé au-dessus.

Les feuilles à traiter sont posées sur le treillis à larges mailles et recouverts du treillis à mailles fines. Le tambour est ensuite monté sur un appareil à enrouler tout simple et, une fois les feuilles mises en place, on enroule les treillis sur le tambour. Un nombre de feuilles qui varie selon leur format - 50 en moyenne peuvent être logées dans le rouleau (qui mesure une fois terminé 40 cm de large pour 16 cm de rayon). Le rouleau bloqué par deux cliquets est alors enlevé de l'enrouleur qui, après montage d'un nouveau tambour, servira à confectionner le rouleau suivant. Les feuillets sont placés dans le rouleau de manière qu'aucun d'eux ne puisse glisser et qu'ils soient au contraire parfaitement immobilisés ; ainsi les différentes substances appliquées à chaque étape du traitement peuvent-elles traverser les treillis pour en atteindre tous les points. De la sorte, les feuilles ne subissent aucune détérioration mécanique pendant la durée du traitement par voie humide. Les treillis permettent une pénétration et une évacuation rapides des liquides et supportent d'être utilisés continûment pendant des durées très longues. On peut placer huit de ces rouleaux (soit environ 400 feuilles) côte à côte dans des bacs simples. Une fois terminé le traitement par voie humide, on fait sécher les treillis déroulés en les suspendant à un cadre de séchage également très simple. On achève rapidement le séchage en posant les feuilles à plat pour les laisser se déshumidifier à la température ambiante.

La Bilbiothèque de l'Université d'Iéna a mis au point un procédé de trai­tement par voie humide qui permet de rendre à des livres desséchés et sur le point de se désagréger un papier nettoyé chimiquement, désinfecté, désacidifié et dont la teneur en lignine a été réduite. Ce système de traitement garantit le parfait rinçage de chaque feuillet car une adhésion régulière aux deux faces du papier est assurée ; les feuillets, qui ne subissent ainsi aucune tension mécanique, sont séchés à fond à l'air tiède.

Ce système met en oeuvre des blocs modulaires de traitement qui per­mettent d'atteindre une productivité quotidienne de 1.260 feuillets (grand in-folio) ou 2.520 feuillets (in-folio). Un bloc contient 70 sacs-filtres de polyester destinés à recevoir les imprimés détériorés. Une chaudière de 150 litres peut alimenter trois blocs. A l'achèvement du traitement par voie humide, les sacs sont déroulés par longueurs de 150 cm et maintenus tendus par des goujons. Leur séchage s'effectue sur des chariots munis de cadres à raison du contenu de quatre blocs à la fois.

Ces blocs de traitement par voie humide présentent les avantages suivants :

- absence d'entretien et haut rendement,

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- économie des panneaux de stratifié, du carton et du papier filtre ser­vant au séchage,

- réduction de la quantité des spores de micro-organismes qui s'attaquent au papier dans l'atelier même,

- présence assurée des conditions nécessaires à la réduction de la teneur en lignine et au traitement enzymatique par voie humide (la température étant augmentée régulièrement au cours de l'opération).

Dans le système classique de traitement par voie humide, le document en voie de dégradation est placé entre des feuilles de papier protecteur et des tamis. Le papier protecteur n'adhérant pas au papier à traiter sur ses deux faces, celui-ci est soumis à un rinçage irrégulier et à des courants nocifs. La méthode horizontale de traitement est en fait utilisable sur des feuillets isolés, en papier stable.

Pratiquées dans le cadre d'un traitement de masse par la voie humide horizontale classique, la réduction de la teneur en lignine du papier de pâte de bois ou l'élimination systématique de la couche de gélatine ayant servi pour le dédoublement du papier causeraient d'inévitables dommages aux docu­ments traités. Les procédures et appareillages décrits ci-dessus sont le fruit d'années d'expérience. Les deux systèmes protecteurs susmentionnés - treillis enroulés et sac-filtres - se complètent et répondent pleinement à tous les besoins pour les traitements par voie humide.

5.2 Possibilités offertes par la technique du colmatage des lacunes par repulpage

La résistance du papier tient, indépendamment de la composition des fibres, à l'action feutrante qu'elles exercent les unes sur les autres, à leur adhérence et aux liaisons chimiques qui se forment entre elles sans qu'inter­vienne aucun agent de collage. Le principe du colmatage des lacunes par repul­page est tiré des procédés de fabrication normale du papier.

Le feuillet endommagé est disposé sur une plaque de matériau perméable (toile ou treillis) comparable à la "forme" du papetier. La pâte, très diluée, coule sur le papier et est aspirée vers le bas à travers le treillis. Le papier placé sur le treillis créant un obstacle à l'écoulement de la pâte, les fibres contenues dans celle-ci ne peuvent se déposer que sur les parties du treillis libres de cet obstacle. Les lacunes du feuillet à traiter et toutes les autres parties exposées du filtre se trouvent recouvertes d'un bouchon de fibres enchevêtrées, autrement dit de nouveau papier.

Divers facteurs influent sur le manière dont ce principe entre en jeu : le type de treillis utilisé, l'état des fibres, la force de l'aspiration, etc. Ce procédé de comblage des lacunes du papier par repulpage, désormais large­ment utilisé dans le monde, est un des grands progrès de ces dernières années. Dans les années 70, on a construit, sur le principe des procédés manuels simples, des machines à pulpe qui bouchent les trous des documents en papier au moyen de fibres en suspension.

Ces appareils peuvent traiter en une seule opération autant de feuilles que le permettent les dimensions de la surface de travail. La machine dite de Leningrad est la plus efficace du genre car elle permet d'effectuer tous les travaux annexes - de la préparation des fibres aux traitements ultérieurs des feuillets restaurés et à la reliure à neuf de l'ouvrage. En tant que technique de stabilisation, le colmatage peut, surtout si les détériorations sont d'ori­gine mécanique, donner des résultats excellents à un coût acceptable. La nécessité de mécaniser les procédés pour pouvoir entreprendre des travaux de restauration de masse a conduit à la mise au point de la machine dite de Copenhague. Due à Per Laursen et Lars Grdnegafd, celle-ci facilite la réali­sation du colmatage en continu. Longue de 4 mètres, elle se compose d'un châssis contenant un treillis mobile et de l'appareil de colmatage proprement

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dit. Les feuillets endommagés sont placés sur le treillis, passent dans l'appareil de colmatage et sont enlevés du treillis entièrement réparés à l'autre extrémité de la machine. Le rapport entre la concentration de la pâte de fibres et la vitesse de cette "bande transporteuse perméable" est d'une importance décisive pour la bonne conduite de l'opération. La machine de Copenhague évite d'avoir à passer beaucoup de temps à déterminer la quantité de fibres nécessaires pour réparer chaque feuille de papier endommagée. Une cellule photo-électrique placée dans le bac à pâte maintient une concentration de matière fibreuse constante, tout en permettant cependant de la régler. Le temps de passage des feuillets détériorés dans l'appareil dépend de la vitesse de déplacement de la bande transporteuse et du format des feuillets mais est normalement de 4 à 10 secondes.

Il apparaîtra immédiatement au spécialiste que ce dispositif permet de rationaliser l'opération de colmatage, question importante vu la nécessité de procéder à des restaurations de masse.

John F. Mowery, restaurateur à la Bibliothèque Folger Shakespeare à Washington a conçu un dispositif de haute précision pour effectuer les travaux de repulpage particulièrement difficiles, la restauration des peintures par exemple. Un appareil à pulpe manuel est relié à une caméra vidéo qui repère les lacunes de l'oeuvre originale et transmet les résultats à un ordinateur, de sorte que la quantité de fibres nécessaire est calculée rapidement et avec exactitude.

5.3 Possibilités offertes par le procédé de dédoublement du papier

Le recours au dédoublement du papier pour restaurer les ouvrages en voie d'altération suscite depuis quelques années un intérêt qui croît rapidement. Le principe de cette méthode est bien connu de pratiquement tous les restaura­teurs. Plusieurs techniques sont utilisables, avec des résultats variables. Pour le restaurateur, il n'existe pas de technique plus ardue : elle suppose en effet d'effectuer une intervention complexe et délicate sur la substance même du papier. Pour garantir la remise en état de chacune des parties du document menacé, il faut des années de formation, une grande concentration et un soin extrême. Cette technique spécialisée peut être maîtrisée par des restaurateurs chevronnés.

Otto Wâchter signale plusieurs possibilités de neutraliser d'une manière générale, de stabiliser les matériaux en voie d'altération en précisant que le procédé de dédoublement du papier qui a été encore perfectionné en République démocratique allemande est "... la méthode de restauration la plus valable qui soit actuellement applicable au papier en voie de décomposition, et rongé par 1'encre ...".

Par cette remarque, il entend aussi bien la restauration respectueuse de l'intégrité originale des pièces rares et irremplaçables que la restauration en série d'autres documents.

La technique de dédoublement élaborée en République démocratique alle­mande est le fruit de longues années de travail des restaurateurs de la Deutsche Bücherei et de la Bibliothèque de l'Université d'Iéna. Le niveau atteint aujourd'hui et les avancées technologiques réalisées dans ce domaine sont à mettre entièrement à l'actif de ces deux établissements. Ce succès tient beaucoup moins au procédé de dédoublement proprement dit, qui ne demande que quelques secondes, qu'à la manière dont sont organisées toutes les tâches associées à la restauration. Des accroissements de capacité considérables sont dus aux travaux de préparation et d'évaluation effectués, à la spécialisation technologique des restaurateurs et à la détermination dont ont fait montre les plus éminents d'entre eux.

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Le procédé de dédoublement du papier mis en point en République démocra­tique allemande est fondé sur les principes de base suivants :

- le dédoublement du papier pratiqué dans le cadre d'une restauration générale garantit que le tracé, les encres, les couleurs et la struc­ture fibreuse du papier seront sauvegardés fidèlement telles qu'à l'origine, L'épaississement du papier dû à sa stabilisation interne générale est moindre que lorsque d'autres méthodes de restauration sont employées (lamination au papier Japon, au papier-chiffon ou au moyen de matières synthétiques).

Le dédoublement du papier doit être réversible à une date ultérieure sans qu'il en coûte une perte de matériau trop importante ou de trop grandes diffi­cultés matérielles ou techniques. Entre autres impératifs, on doit s'efforcer d'utiliser des matériaux qui résistent au vieillissement.

Les connaissances actuelles sur la technique du dédoublement du papier devraient permettre d'exploiter à fond les capacités encore incomplètement utilisées dans ce domaine dans les ateliers de restauration de tous types. Le dédoublement du papier associe, pour des raisons d'efficacité et de qualité, trois sortes d'appareils qui, tout en fonctionnant séparément, sont néanmoins reliés de manière "organique". Le matériel perfectionné utilisé pour le trai­tement par voie humide, le colmatage des lacunes par repulpage et le dédouble­ment du papier est très coûteux et représente souvent un investissement exces­sivement lourd pour les petits et moyens laboratoires pauvres en ressources financières, en personnel et en locaux. L'emploi des machines à dédoubler le papier tendant à se répandre, il est impératif de tenir de plus en plus compte de critères réalistes de gestion économique tels que leur rapport coût/ avantages.

Des recherches récentes ont montré que le papier d'épaisseur et de format variables qui présente des lacunes et risque de se détériorer davantage se prête parfaitement au dédoublement par la méthode adaptable ou non adaptable. Le procédé et la stabilisation générale qui lui fait suite ont pour caracté­ristiques de permettre d'économiser beaucoup de travail et de matériaux tout en traitant en continu, étape par étape, les feuillets qui ont été soumis au colmatage.

La Deutsche Bücherei de Leipzig a mis très utilement au point une machine à dédoubler le papier. La recherche d'un partenaire pour construire un atelier spécialisé à Leipzig est en cours et le premier lot de matériaux de construc­tion spéciaux a déjà été livré. Des travaux préparatoires ont maintenant été entamés pour coupler la machine à pulpe de Per Laurson à cette machine à dédoubler le papier.

5.4 La lamination : différents procédés

L'emploi de lamination pour stabiliser les documents et ouvrages des bibliothèques et services d'archives peut être classé parmi les procédés de conservation controversés. Certains le rangent parmi les moyens à utiliser en dernier recours et d'autres parmi les méthodes de protection acceptables. Quoi qu'il en soit, la lamination du papier au moyen de différents matériaux syn­thétiques est couramment pratiquée dans le monde entier. En général, elle consiste à recouvrir la surface du papier d'un pellicule protectrice ou, plus précisément, à recouvrir l'original d'un revêtement homogène dont seule une faible partie est fondue de manière qu'elle s'agglutine à la surface du papier. Il est également possible d'imprégner l'original d'une substance renforçante. Dans ce cas, la matière thermoplastique fondue pénètre tout la structure fibreuse du papier et est à peine visible à sa surface. On ne peut recourir à cette méthode de stabilisation que si le papier est très épais et rigide car, dans le cas contraire, il perd son opacité et acquiert une trans­lucidité déplaisante. La troisième option consiste à utiliser la feuille

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laminatrice comme un adhésif fusible, par exemple si l'on veut laminer des documents ne supportant pas l'eau avec une pellicule intermédiaire et un nou­veau matériau de renfort. Les effets de la lamination, de l'imprégnation ou du revêtement dépendent toujours de certaines conditions telles que la pression, la température, la durée de l'opération, l'épaisseur de la couche de renfort et l'état de l'original.

Les originaux à laminer doivent être soumis à un traitement préalable qui influe sensiblement sur la durabilité du produit après lamination. Il s'agit tout d'abord d'appliquer le traitement normal par voie humide, de manière à tout faire pour freiner le vieillissement naturel du papier (nettoyage, neu­tralisation, incorporation d'une réserve alcaline, etc.). Les facteurs intrin­sèques de vieillissement prennent une importance primordiale dans les docu­ments qui ont subi une lamination car celle-ci élimine dans une grande mesure les facteurs externes de dégradation. En outre, la lamination est une opéra­tion irréversible en ce sens qu'elle rend l'original inaccessible même si la délamination reste praticable. En effet, si divers types de produits de lami­nation peuvent être, dans certains cas exceptionnels, dissociés avec succès de l'original au moyen de solvants organiques, ce n'est pas le cas de la majo­rité. Aussi est-il raisonnable de penser que les précautions prises en l'état actuel des connaissances par ceux qui recourent à la lamination sont conformes aux bonnes règles de la conservation. Les caractéristiques optiques des docu­ments laminés dépendent dans une grande mesure de la substance de renfort et du matériau isolant utilisés pour le traitement. Les matériaux isolants sont destinés à empêcher que la surface du document soumis à la lamination n'adhère à la plaque chauffante du laminator. Suivant sa propre texture superficielle le matériau isolant donne au document laminé un aspect lisse ou brillant, ou n'est pratiquement pas visible. L'addition d'une mince feuille de papier Japon à la pellicule laminatrice confère à celle-ci un aspect mat tout en améliorant la durabilité du résultat de l'opération.

Si l'on utilise des feuilles de papier anti-adhésif texturisé, l'épais­seur des feuilles est importante pour l'esthétique des surfaces du document après lamination. Elle ne doit pas dépasser le quart de l'épaisseur de la feuille de renfort car, dans le cas contraire, le document après traitement est trop épais et la couche de renfort trop mince par endroits.

Depuis quelques années, on observe une tendance croissante à substituer à la lamination d'autres méthodes de stabilisation du papier. Celles-ci devraient être plus conformes aux principes de la conservation et tendre à protéger le papier, à le renforcer et à en prolonger l'utilisation sans pour autant souder irréversiblement l'original au matériau de renfort. Le procédé d'encapsulation mis au point par la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis d'Amérique répond à ces exigences. L'original est placé entre deux pellicules de polyester scellés sur leurs quatre côtés. Il est ainsi protégé et renforcé tout en restant utilisable et, au besoin, tout à fait facile à retirer de son "enveloppe". Diverses variantes de cette méthode peuvent être mises en oeuvre : l'une consiste par exemple à utiliser des pochettes de polyethylene du com­merce. La faible liaison électrostatique qui s'établit entre l'original en papier et les enveloppes en matériaux de ce type empêche celui-ci de glisser à 1'intérieur.

Il ne fait aucun doute que bien employées, les méthodes de cette nature sont beaucoup plus efficaces que les procédés de lamination classiques.

6. REMARQUES DE CONCLUSION

En matière de restauration des ouvrages et documents en papier, les acquis majeurs des dernières années sont les suivants :

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- Maintien des feuillets soumis à un traitement par voie humide en posi­tion verticale pendant la durée de l'opération.

- Réalisation des opérations terminales du dédoublement du papier et du colmatage des lacunes par repulpage.

- Possibilité de conserver un aspect esthétique à des ouvrages gravement endommagés.

L'emploi de dispositifs protecteurs tels que les filtres de polyethylene et de polyester et le maintien des documents en position verticale pendant toute la durée du traitement par voie humide se sont révélés la meilleure manière de procéder. Ce fait devrait influer considérablement sur l'organisa­tion du travail et le matériel de base dans les ateliers de restauration.

Outre qu'elle permet de manipuler en toute sécurité les objets les plus fragiles, cette façon de faire donne, sur les plans tant quantitatif que qualitatif, des résultats bien supérieurs à ceux obtenus par les méthodes classiques. Les investissements élevés qu'elle suppose au départ sont très vite rentables tandis que l'allongement de la durée de vie de l'objet et la simplification de sa manipulation et de son entretien garantissent qu'il sera utilisé plus longtemps.

Le dédoublement du papier et le colmatage de ses lacunes au moyen de la machine à "treillis long" (inventée par Per Laursen) sont des procédés bien connus de stabilisation qui permettent de traiter plusieurs centaines de pages par jour. Il apparaît vite que le dédoublement du papier et le colmatage par repulpage pourraient devenir très rapidement des méthodes normales de stabili­sation. Les problèmes et réserves majeurs que suscitent ces deux procédés concernent les traitements auxquels il faut soumettre le papier avant et après leur application. L'utilisation de treillis en matériau synthétique et de feutres en polypropylene améliore l'efficacité du travail. Le couplage du colmatage et du dédoublement du papier ouvre de nouvelles possibilités de procéder à une restauration de qualité.

Pour sauvegarder l'intégrité des documents dans son état initial, il faut préserver toutes les preuves de leurs origines historiques et parmi celles-ci la texture superficielle du papier et les marques laissées par les poudres des encres et autres matières du tracé hydrosolubles.

Des découvertes récentes incitent à douter qu'il soit bon d'exposer des encres dans un état plus ou moins avancé de dégradation à un traitement par voie humide. Certains types d'encre ferrogalliques ou aux sulfates de fer se détériorent comme si elles rouillaient. Un traitement par voie humide provoque d'inévitables disparitions ou dégorgements des encres et colorants ainsi que la dispersion de particules arrachées à la surface du papier.

Le recours à la technologie éprouvée du dédoublement du papier permet de réduire tous les risques connus et éléments d'incertitude du traitement des papiers dont les éléments graphiques se dégradent. Le pâlissement des illus­trations en couleur, des cartes historiques, etc., compte parmi les dégâts les plus graves subis par les documents en papier. Le dédoublement partiel des documents de grand format, en particulier, ouvre de nouvelles perspectives à la restauration. L'opération de dédoublement et la stabilisation pratiquée ensuite par l'insertion d'un nouveau matériau ne sont effectuées que sur les zones endommagées tandis que les autres régions du papier qui sont encore intactes sont conservées dans leur état primitif.

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