Les Suspendues Al Mu Alla

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Les Suspendues (Al-Mu allaqât) Traduction et présentation par Heidi Toelle B I L I N G U E Extrait de la publication

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Les Suspendues Al Mu Alla

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  • 1241Flammarion

    Les Suspendues figurent parmi les chefs-duvre de la littrature arabe : composs il y a plus dun millnaire,au cours du sicle qui a prcd la prdication duprophte de lislam, ces pomes doivent leur nom trange la lgende qui veut quils aient t inscrits en lettres dor sur des tissus suspendus aux murs de la Kaba, La Mecque. Ces petits joyaux nous transportent dans un monde fascinant et insolite, celui des bdouins de la pninsule Arabique. Ils se font lcho dun temps oles potes taient la fois de vaillants combattants il arrivait quune joute potique tienne lieu de batailleentre deux tribus! et des oracles respects; dune poqueo le courage et la gnrosit taient les vertus du preux,avec le got du vin et lamour des femmes. Lamentationssur les vestiges du campement dsert par laime etrflexion sur la fuite du temps, priples dos de chamelle,chasses la gazelle, vocations rotiques, bravades, beuveries : tels sont les thmes qui hantent ces textesfulgurants, dont la splendeur potique, mille cinq centsans plus tard, demeure intacte.

    Traduction, prsentation, notes, chronologie et bibliographie

    par Heidi Toelle

    LES SUSPENDUES(AL-MU ALLAQT)

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    ISBN : 978-2-0807-1241-7

    editions.flammarion.com

    09-I

    Texte intgralIllustration :

    Virginie Berthemet Flammarion

    Prix France : 10,50

    Les Suspendues(Al-Mu allaqt)Traduction et prsentation par Heidi Toelle

    dition bilingue

    B I L I N G U EB I L I N G U E

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    AL-MUALLAQT

    Traduction, prsentation, notes,chronologie et bibliographie

    parHeidi TOELLE

    Traduction publie avec le concoursdu Centre national du livre

    GF Flammarion

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  • Heidi Toelle est professeur de littrature arabe luniversitParis III-Sorbonne Nouvelle. Elle est notamment lauteur, avec KatiaZakharia, d la dcouverte de la littrature arabe (Flammarion, 2003 ;rd 2009), et dirige, avec Boutros Hallaq, lHistoire de la littraturearabe moderne dont le premier volume a paru en 2007 chez Actes Sud.

    ditions Flammarion, Paris, 2009.ISBN : 978-2-0807-1241-7

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  • PRSENTATION

    Les sept pomes ici prsents, vritables chefs-duvre,figurent parmi les plus clbres de la littrature arabe.Composs il y a un millnaire et demi, au cours dusicle qui a prcd la prdication du prophte delislam, ces Muallaqt (au singulier Muallaqa) 1, cesSuspendues ou ces Pendentifs, comme on les appelle aussien franais, se composent dun peu plus de soixantevers pour les plus courts et dun peu plus de cent pourles plus longs. Chacune de ces odes est luvre dunpote diffrent. Selon linterprtation la plus ancienne 2,elles porteraient le nom de Muallaqt (littralement suspendues , du verbe allaqa, suspendre ) parceque les Arabes paens les auraient crites en lettres dorsur des tissus quils auraient suspendus sur les murs dela Kaba qui, ds avant lislam, tait dj un sanctuaire.Selon une interprtation plus rcente 3, ce nom renver-rait lide que ces pomes, comme autant de bijouxsuspendus une chane, forment un collier (iqd, en

    1. Ce terme est fminin en arabe.2. Cette interprtation est dfendue notamment par le pote Ibn

    Rachq (1000-1063/1064 ou 1070/1071), le clbre historien IbnKhaldn (1332-1406) et le polygraphe al-Suyt (1445-1505). Voir,entre autres, lEncyclopdie de lIslam, Leyde, Brill, et Paris, Maison-neuve et Larose, t. VII, 1993, entre al-Muallaqt .

    3. Celle des arabisants contemporains, depuis louvrage deC. Lyall, Ancient Arabic Poetry, Londres, 1885.

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    arabe), do la traduction possible du titre par Penden-tifs. Transmis pendant environ un sicle et demi orale-ment avant dtre mis par crit 1, maintes foiscomments par la suite, ils ont, avec dautres pomesde la mme poque, servi de modles la majorit despotes arabes ; jusquau dbut du XXe sicle, en effet,ceux-ci en ont respect le cadre formel cest direlimpact quils ont eu sur lvolution ultrieure de laposie arabe. De nos jours encore, bien des Arabes enrcitent volontiers par cur de longs passages.

    Ces chefs-duvre, qui tmoignent dune rare finessedobservation ainsi que dune tonnante capacit mettre les richesses et les sonorits de la langue au ser-vice dun projet potique, nous transportent dans unmonde la fois fascinant et insolite celui des Bdouinsde la pninsule Arabique du VIe sicle. Comme tels, ilsfournissent des renseignements prcieux sur le mode devie de ces hommes et de ces femmes qui nomadisaient,au rythme des saisons, travers le dsert arabique enqute de pturages ou sinstallaient pour un tempsautour des rares points deau : lvocation descroyances, des rites, des arts du combat et des us etcoutumes contribue faire vivre sous nos yeux unesocit qui, malgr les conditions de vie prcaires impo-ses par le milieu ambiant, ne semble jamais perdrecourage.

    Et pourtant, ltranget de ces pomes ne manquepas de susciter de nombreuses questions. Qui taientces potes et quel tait prcisment le milieu gogra-phique, social, historique dans lequel ils ont volu ?Quelles contraintes cet environnement imposait-il

    1. La premire recension de six de ces pomes aurait t luvredu philologue al-Asma (741-828). Mais la mme poque le philo-logue Ab Ubayda (728-824) se rfrait dj un recueil de septpomes. propos des diverses recensions, voir infra, p. 60.

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  • PRSENTATION

    lhomme ? Qui sont ces chefs dillustre ligne que nospotes apostrophent ou dont ils font lloge ? Quelstaient exactement les us et les coutumes, les croyanceset les rites qui avaient cours lpoque ? Pourquoi doncles potes sont-ils si attachs leur cheval et leur cha-melle, si fiers de les avoir pour montures ? Enfin, quesignifient au juste ces prologues amoureux, ces voyages dos de chameau, ces bravades, ces louanges, ceschasses la gazelle ?

    LARABIE ANTISLAMIQUE,TERREAU DES MUALLAQT

    Le milieu gographique

    Le territoire des tribus bdouines et, parmi elles,celles dont sont issus les potes des Muallaqt, estimmense. Les dserts dArabie couvrent en effet plusdun million six cent mille kilomtres carrs 1. Ilsstendent de la mer Rouge, louest, aux steppes enbordure de lEuphrate (actuel Irak) lest, de locanIndien au sud au dsert syrien au nord.

    Au sud-ouest de la pninsule, le Ymen dresse sesmontagnes escarpes au-dessus dune troite bandectire, appele Tihma, qui se prolonge le long de lacte de la mer Rouge, longeant lAsir et le Hidjz(actuelle Arabie Saoudite). Au sud et au sud-est,dnormes dunes pouvant atteindre plus de deux centsmtres de hauteur sparent la cte dOman et la valleymnite du Hadramaout, parallle locan Indien, dudsert central. Celui-ci est form dun haut plateau,

    1. W. Thesiger, Le Dsert des dserts, Paris, Plon, Terre humaine ,1978, p. 44.

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    appel Nedjd (actuelle Arabie Saoudite), o alternentdserts rocheux et steppes pourvues dune maigre vg-tation. Ce haut plateau est travers douest en est parune valle souvent sec le Wd-l-Rumma , dbou-chant sur les plaines qui dlimitent de nos jours la fron-tire entre lIrak et louest du Kuwait. Au nord stendle dsert du Nefoud, prolong lest vers lEuphrate parles steppes de la Samwa, au nord-ouest par celles dela Palestine et, plus au nord, par le Bdiyat al-Chm, ledsert syrien.

    Le climat dans ces rgions est torride, les tempra-tures pouvant atteindre jusqu quarante-six, voire cin-quante degrs lombre. Et de lombre, il ny en agure. En hiver et au printemps, de fortes pluies, parfoisdvastatrices, transforment les valles en vritables tor-rents et font miraculeusement clore, pour un temps,des herbes et des fleurs dans les vastes steppes, voiredans le sable des dunes. lpoque des potes desMuallaqt, des puits souvent trs profonds, parfois dif-ficiles daccs et dont leau tait amre et saumtre,quelques trs rares rivires prennes, quelques tangspermettaient de survivre pendant les saisons sches 1.

    La priphrie de ce vaste territoire tait parsemedoasis o le palmier-dattier tait roi et o les sdentairessadonnaient lagriculture. Ces oasis jouaient souvent lerle de ports caravaniers, terminant ou jalonnant lesgrandes voies naturelles. lest, les oasis sgrenaientdans la rgion du golfe Persique et dans la plaine de laYamma, laquelle le pome de Amr Ibn Kulthm fait

    1. On trouvera une passionnante description des dserts mridio-naux, et notamment de la rgion des normes dunes au nord duHadramaout, dans W. Thesiger, Le Dsert des dserts, op. cit., et unedescription du Nedjd et du Nefoud dans Ch. Doughty, Arabia deserta,Paris, Payot, Petite Bibliothque Payot , 2001.

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    allusion 1 ; louest, dans le Hidjz, elles agrmentaientle Wd-l-Qur, une valle situe non loin de Mdine.Cest aussi dans cette rgion que se trouvait dj LaMecque, qui tait cette poque un important centrede commerce, et ds avant lislam, le principal lieu deplerinage. Enfin, la pninsule tait cerne et en mmetemps convoite car la route de la soie et celle desaromates passaient par l par deux grandes puis-sances : lEmpire byzantin dune part, la Perse sassanidede lautre.

    Les structures sociales

    lpoque recule laquelle ont vcu les potes desMuallaqt, la vie des nomades pasteurs tait seuleadapte cet environnement majoritairement dser-tique ; car il fallait sans cesse se dplacer et nul ne pou-vait survivre en dehors du cadre de sa tribu. Aussi, lasocit bdouine tait elle lest aujourdhui encore une socit tribale. Une tribu pouvait parfois compterplusieurs milliers de tentes et autant de chameaux. Sesmembres taient tous apparents et se rclamaient dunseul et mme anctre, do limportance de la gnalo-gie. Les potes se vantent ainsi volontiers de leursillustres aeux 2. Plus le lien de parent tait troit, plusla loyaut dun homme envers son groupe tait grande,et, sauf exception, elle lemportait toujours sur ses pro-jets personnels. La Muallaqa de Tarafa Ibn al-Abd estla seule mettre en scne un rebelle qui, en raison deses incessantes foucades, se voit passagrement frappdexclusion par les siens 3. Mais lhistoire de ce rebelle

    1. Voir v. 22.2. Voir la Muallaqa de Amr Ibn Kulthm, v. 61-65.3. Voir v. 53 et 68-79.

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    nen rvle pas moins, comme en contrepoint, les vertusque la socit tribale exigeait de chacun de sesmembres.

    Lorganisation de chaque tribu tait passablementcomplexe. En effet, une tribu tait subdivise demanire arborescente en groupes, eux-mmes subdivi-ss en sous-groupes, eux-mmes subdiviss en dautressous-groupes, lensemble comprenant sept niveaux,depuis le groupe le plus important en nombre jusquauxsous-groupes les plus petits. Chacun de ces groupestait dsign par un terme diffrent, selon la taille et laplace quil occupait dans la structure de lensemble, lechab dsignant la tribu dans sa totalit 1. la tte dechaque tribu se trouvait un conseil (mala). Cest luiquil appartenait de discuter de toutes les affairesconcernant la collectivit : alliances, dclarations deguerre, stratgies de combat, ngociations de paix,mesures en temps de disette, mouvements de transhu-mance. sa tte se trouvait un sayyid, un chef, certes,mais qui tait dans lobligation de se conformer auxdcisions prises par le mala, et qui ntait donc jamaisquun primus inter pares. Ce fonctionnement relative-ment dmocratique de la socit tribale tait propice lpanouissement dune certaine forme dindividua-lisme, limit, comme dans toutes les socits anciennes,par le respect des rgles et des valeurs qui rgissaient lavie en communaut. Enfin, les tribus disposaientdesclaves, parfois dorigine africaine, quelles achetaient

    1. Voici les noms de ces groupes et sous-groupes par ordre crois-sant du nombre de leurs membres : le fakhidh tait la subdivision dunbatn qui tait lui-mme une subdivision de la imra. La imra taitune subdivision de la fasla, elle-mme subdivision de la qabla. Laqabla, enfin, tait une subdivision du hayy, lui-mme subdivision duchab. La langue franaise ne possdant pas de mots adquats pourtraduire ces termes, nous nous contenterons de parler de familles ,de clans , de tribus et de subdivisions .

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    sur les marchs environnants ou quelles emportaienten guise de butin loccasion de razzias. Elles pouvaientpar la suite les affranchir pour peu quils eussent donnsatisfaction, voire se fussent illustrs dans les combats.

    Le patriarcat semble avoir t dominant, mme si lonconstate dans certaines tribus des survivances matriar-cales. Ainsi, lors dun mariage entre les membres de tri-bus diffrentes, le mari allait parfois sinstaller dans cellede son pouse. Les femmes, surtout celles qui taientmaries, semblent avoir joui dune certaine libert, ycompris sexuelle, et avoir eu un certain nombre de pr-rogatives. Elles avaient le droit de rpudier leurs poux,et tout fugitif ayant trouv asile sous lune de leurstentes tait assur de navoir plus rien craindre de sesennemis. Cest elles galement que revenait lhonneurde chanter les hros tombs au combat 1.

    En cas de dtresse ou de menaces auxquelles ils ne sesentaient pas capables de faire front, des clans, voire destribus entires, pouvaient se mettre sous la protectiondune tribu plus puissante. Celle-ci sengageait alors protger ces clients 2 , comme on les appelle, et sub-venir leurs besoins. Il arrivait aussi que certaines tribusse constituent pour un temps en confdrations lacohsion cependant fragile. En tmoigne le pome deZuhayr Ibn Ab Sulm, en partie consacr lloge dal-Hrith Ibn Awf et de Harim Ibn Sinn, deux chefs dela tribu des Murra une subdivision des Dhubyn ,qui avaient mis fin une guerre de quarante ans ayantoppos les Dhubyn aux Abs, deux tribus pourtantmembres de la confdration des Ghatafn.

    1. Voir la Muallaqa de Tarafa Ibn al-Abd, v. 93-95.2. Voir la Muallaqa de Amr Ibn Kulthm, v. 41, celle de Labd

    Ibn Raba, v. 74, et celle dal-Hrith Ibn Hilliza, v. 18.

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    Les trois royaumes de lArabie antislamique

    Il arrivait galement que certaines tribus russissent fonder des royaumes, plus ou moins durables. Troisdynasties les Lakhmides, les Ghassnides et les Kinda ont ainsi jou un rle important dans lhistoire militaire,politique et culturelle de lArabie au cours des sicles quiont prcd lislam. Les unes comme les autres ontcontribu lurbanisation des franges de lArabie et lapropagation de lcriture, acclrant par l le dveloppe-ment dune langue commune au-del des diffrences dia-lectales. Celles dentre elles qui taient chrtiennes ontconstruit des glises, des monastres et des fortins en bor-dure du dsert. Le dernier de nos pomes, celui dal-Hrith Ibn Hilliza, fait allusion linimiti qui opposaitles Ghassnides aux Lakhmides dal-Hra et se rfre,notamment, au roi le plus connu des Lakhmides, al-Mundhir III, ainsi qu son fils et successeur, Amr IbnHind. La Muallaqa de Amr Ibn Kulthm fait galementallusion aux guerres qui ont oppos ces deux dynasties.Aussi nest-il pas inutile de prsenter celles-ci un peu plusen dtail, dans le but de faciliter au lecteur la comprhen-sion des pomes.

    Les LakhmidesCest vers 300 aprs J.-C. quune tribu dorigine

    ymnite fit dal-Hra, ville situe au sud-est delactuelle Nadjaf (Irak), dans une rgion irrigue parlEuphrate, la capitale dun royaume celui des Lakh-mides. Avec des fortunes diverses, celui-ci allait subsis-ter pendant trois sicles jusquen 602. cette date, lesouverain persan Chosros Parviz (591-628) fit excu-ter leur dernier roi, al-Numn IV, qui rgnait depuis580, mettant ainsi dfinitivement fin leur domination.

    Les Lakhmides taient les vassaux des rois sassanides,leur fer de lance contre Byzance, leur bouclier contre

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  • PRSENTATION

    les incursions nomades, les protecteurs de leurs intrtscommerciaux. Ils nen menaient pas moins une poli-tique en partie indpendante, gouvernant entre autrespour leur compte le Bahrayn et lOman. Leurs vellitsdindpendance narrangeaient pas toujours leur grandvoisin, ni dailleurs les empereurs romains. Au VIe sicle,leur roi al-Mundhir III (503-554), vassal de Chos-ros Ier Ancharvn (531-579), mena des guerres inces-santes, la fois contre les rois de lArabie du Sud etcontre les provinces frontalires. En 531, il participa la bataille de Callinice, qui se termina par la victoire desPerses sur lempereur byzantin Justinien (527-565). En539, il sen prit aux Ghassnides, entranant de la sorteles deux empires rivaux dans une guerre qui devaitdurer cinq ans (539-544). La paix une fois conclue, al-Mundhir III nen poursuivit pas moins son combatcontre les Ghassnides, mais en 554 il fut tu dans labataille de Qinnasrn qui lopposa au roi de ces derniers,al-Hrith Ibn Djabala (529-569). Son fils, Amr IbnHind (554-569), dont la mre tait issue des Kinda,lana en 560 des expditions contre la frontire byzan-tine. Il fut assassin par lun de nos potes, Amr IbnKulthm, pour avoir manqu de respect la mre decelui-ci. Son frre Qbs (569-573) reprit le flambeau,mais la puissance des Lakhmides tait dsormais surson dclin. En 570, Qbs fut vaincu par les Ghass-nides la bataille de Ayn Ubgh, et deux ans plus tardles Perses occupaient le sud de lArabie. En 578, sousal-Mundhir IV (573-580), la capitale des Lakhmides futpassagrement conquise par les Ghassnides. Al-Numn IV (580-602), leur dernier roi, eut beau vouloirreprendre le flambeau, ce fut en vain. Ses prtentions lindpendance scellrent sa perte.

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  • LES SUSPENDUES

    Les GhassnidesLes Ghassnides, quant eux, taient les adversaires

    acharns des Lakhmides. Tout comme ces derniers, ilstaient originaires du sud de lArabie. la fin duVe sicle, ils traversrent la pninsule vers le nord soitun parcours denviron deux mille cinq cents kilo-mtres et sinstallrent vers 490 aux frontires delEmpire byzantin, sur les franges de la Palestine et dela Syrie. Ils adoptrent le christianisme dans sa versionmonophysite 1 et, partir du dbut du VIe sicle,sallirent Byzance. Leurs chefs eurent droit au titrede phylarques 2 et de porter la couronne des roisclients 3. Pendant une quarantaine dannes, de 529 569, ils fournirent larme byzantine des troupes cheval extrmement mobiles et protgrent la route desaromates. Depuis leurs bases en Palestine et en Syrie,ils empchrent les incursions des nomades et lancrentdes oprations militaires contre les tribus juives de largion du Hidjz. Sous lgide de leur roi, al-HrithIbn Djabala, ils participrent, comme nous venons dele voir, aux guerres de lempereur Justinien contre lesPerses et triomphrent des Lakhmides en 554 et en 570.

    1. Les monophysites, qui comprennent les coptes dgypte,lglise apostolique grgorienne dArmnie et les jacobites de Syrie,professent lunit de la nature du Christ, sa nature humaine se trou-vant, selon eux, absorbe dans sa nature divine. Par opposition, lesorthodoxes considrent que le Christ est parfait en humanit, parfaiten divinit, en deux natures qui se rencontrent en une seule personne,ou hypostase. Ces subtilits thologiques ainsi que quelques autresont pendant longtemps empoisonn lempire dOrient, depuis leconcile de Nice en 325 jusquen 681, date de la fondation de lglisemaronite (actuel Liban).

    2. Titre donn au commandant dun corps de cavalerie fourni parune tribu.

    3. Les souverains locaux qui staient mis sous la protection delempereur byzantin avaient droit au titre de roi client.

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    Mais leur esprit dindpendance, ainsi que lopposi-tion entre le monophysisme la propagation duquel ilsavaient particip et lorthodoxie qui avait fini par treadopte par Byzance, conduisit des frictions. En 580,Tibre II Constantin (578-582) fit arrter leur roi quifut conduit Constantinople. Un sort identique futrserv son fils par lempereur Maurice qui rgna de582 602. Enfin, linvasion persane (613-614) leurporta le coup de grce. Ils sen remirent cependantpuisque, en 636 encore, ils participrent dans larmede Hraclius (610-641) la bataille du Yarmk contreles musulmans. Affaibli par dincessantes guerres, Hra-clius, pourtant lun des plus grands empereurs byzan-tins, fut battu, et la victoire ouvrit aux musulmans lesportes de la Syrie : leur conqute de ce pays mit dfiniti-vement fin linfluence des Ghassnides.

    Le royaume des KindaIl nous reste dire un mot du royaume des Kinda,

    un groupe tribal, lui aussi originaire du sud, qui serpandit au cours des Ve et VIe sicles dans toute lAra-bie, en migrant dabord vers le centre de la pninsule,puis vers le nord. Les Kinda tablirent peu peu leursuprmatie sur les tribus des Maadd 1 auxquelles serfrent trois de nos pomes : ceux de Zuhayr Ibn AbSulm 2, de Amr Ibn Kulthm 3 et dal-Hrith IbnHilliza 4 , marquant ainsi la premire tentative dunionentre les tribus du nord et du centre. Cest sous al-Hrith Ibn Amr, grand-pre dImru al-Qays, lun despotes des Muallaqt, que le royaume des Kinda acquitune stature internationale, en tablissant des liens la

    1. Appellation collective des tribus du nord de lArabie.2. Voir v. 21.3. Voir v. 40 et 92.4. Voir v. 49.

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  • LES SUSPENDUES

    fois avec lEmpire byzantin, la Perse, les Lakhmides etles Ghassnides. Dans les annes 520, al-Hrith IbnAmr rgna pendant une courte priode sur al-Hra,aprs en avoir vinc le roi lakhmide Mundhir III, maisfinit par abandonner la ville et par se rallier aux Byzan-tins, qui lui accordrent le titre de phylarque en Pales-tine. Mais Al-Hrith ne sentendait gure avec le chefmilitaire romain et senfuit dans le dsert o il fut tuen 528, vraisemblablement par Mundhir III. Parce quilavait, avant de mourir, rparti les tribus des Maaddentre ses fils dont Hudjr, le pre dImru al-Qays ,des rivalits surgirent entre les quatre frres qui affai-blirent dautant le royaume. Cest alors que la tribu desAsad se rvolta contre Hudjr et le tua. Notre pote juravengeance et sy employa, mais ses tentatives finirentpar lui coter la vie. Voyant que leur puissance se dsin-tgrait, les Kinda dcidrent de retourner dans leHadramaout, leur territoire dorigine.

    LES SEPT POTES DES MUALLAQT

    Les Arabes paens pensaient que le pote (chir, aupluriel chuar) tait dtenteur dun savoir surnaturelet avait, grce ses liens avec le monde invisible, despouvoirs magiques. Du reste, le terme qui sert le dsi-gner provient dune racine signifiant la fois savoir et pressentir . Chaque pote tait rput avoir songnie (djinn) inspirateur, lequel portait un nom et assu-mait ainsi approximativement le mme rle que lesMuses de la mythologie grecque. Le pote tait donc enquelque sorte loracle de sa tribu, son conseiller enpriode de paix, mais aussi son champion en priode deguerre. Car, linstar de ce qui se passait dans la Grceantique, les batailles taient souvent prcdes par des

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  • PRSENTATION

    joutes entre les potes des tribus ennemies, et il arrivaitmme que celles-ci remplacent la bataille elle-mme.Ces joutes, dont certaines de nos Muallaqt permettentde se faire une ide 1, consistaient vanter les vertusguerrires de la tribu dont le pote tait issu. Lobjectiftait de dmoraliser ainsi ladversaire, et les menacesprofres lgard de lennemi taient rputes fatales :cest dire le prestige qui tait celui du pote.

    Aussi les sept potes des Muallaqt ne sont-ils pas lesseuls stre illustrs pendant la priode antislamique,de mme que les Muallaqt ne sont pas les seulspomes dont ils sont les auteurs. lexception dal-Hrith Ibn Hilliza, chacun deux est, au contraire,lauteur dun recueil de pomes (dwn) qui, linstardes Suspendues, a t longtemps transmis par voie orale.Quant aux biographies dont nous disposons, elles nemanquent pas dtre suspectes en raison de leur cachetpar endroits nettement lgendaire. Certaines dentreelles donnent de fait limpression davoir t recons-truites, du moins en partie, partir du contenu despomes eux-mmes.

    Imru al-Qays (mort vers 550)

    Imru al-Qays tait le fils cadet de Hudjr, dernier roides Kinda. Curieusement, il aurait t chass de la courpar son pre, en raison de sa passion pour la posie engnral et pour la posie rotique en particulier. Le preaurait mme ordonn lun de ses affranchis, du nomde Raba, de tuer le jeune pote. Pris de piti, Rabase serait content dgorger une antilope et den rappor-ter les yeux Hudjr. Celui-ci aurait fini par se repentir

    1. Cest le cas des pomes de Amr Ibn Kulthm, de Antara IbnChaddd et dal-Hrith Ibn Hilliza.

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