Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

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Mathieu Sabourin Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 et 1870 Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.) Département d'histoire Faculté des Lettres Université Laval Québec 2010 © Mathieu Sabourin, 2010

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Mathieu Sabourin

Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 et 1870

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en histoire pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.)

Département d'histoire Faculté des Lettres Université Laval

Québec

2010

© Mathieu Sabourin, 2010

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«[. . . ] le jour n'est pas éloigné où les habitants de l'est et de l'ouest

de l'Amérique canadienne se visiteront les uns les autres en passant par l'Outaouais [...] »

Arthur Buies L'Outaouais Supérieur. 1889.

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Résumé

Au XIXe siècle, la région de l'Outaouais est en plein essor économique, principalement propulsé par le développement effréné de l'industrie forestière. En moins d'un demi-siècle, le confluent des rivières Gatineau et des Outaouais passe d'un endroit largement inhabité à l'une des plus importantes plaques tournantes du commerce du bois au Bas-Canada. En marge de l'exploitation forestière, un certain nombre de colons osent s'aventurer en Haute-Gatineau pour occuper les tenes nouvellement accessibles. Ces squatters s'installent donc illégalement sur un territoire appartenant essentiellement à la Couronne. Lorsque les autorités décident finalement d'explorer les rives de la rivière Gatineau aux alentours de 1840, les arpenteurs rencontrent alors ces poches de population installées depuis plusieurs décennies. Peu de choses sont donc connues sur ces squatters, tant sur leurs origines que sur la nature des entretiens avec les autres groupes sociaux présents sur la rivière Gatineau à la même époque.

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Avant-propos

La rédaction d'un mémoùe de maîtrise est avant tout un combat contre soi-même. Cependant, ce travail n'aurait pu voù le jour sans l'aide et la collaboration de plusieurs personnes qui m'ont permis de vaincre cet affrontement.

Tout d'abord, je souhaite exprimer ma reconnaissance envers Monsieur Laurier Turgeon, professeur titulaire au département d'histoire de l'Université Laval. Malgré les contraintes de temps et de localisation engendrés par mon éloignement du campus universitaire, il eut la patience et la détermination de m'appuyer jusqu'à la fin de ma rédaction.

Je tiens également à remercier quelques personnes qui ont été à l'origine de cette aventure. Merci à mes anciens collègues et amis de chez Cùcare Consultants, David, Julie, Louis-Pascal et Michel pour m'avoir fait découvrir les joies des rapports de missionnaùes et du Cil A! Merci à Jocelyn Gadbois sans qui je ne serais probablement pas où je suis présentement sans ses encouragements. Finalement, merci à Réal Léveillée pour m'avoir apporté une stabilité à une époque quelque peu instable.

J'aimerais exprimer ma gratitude envers ma belle-famille, Pierre, Denise, Stéphanie, Marco, Fabien et Claudie pour leur soutien et leurs conseils. Vous êtes les meilleurs!

Merci à Mireille et Lise. Vous êtes à l'origine de mon intérêt pour la lecture et les études. Je ne pourrai jamais vous remercier suffisamment. Vous êtes tout simplement ma famille.

J'adresse à mes parents, Conrad et Nicole, mes plus sincères remerciements. Vous m'avez encouragé dans tous mes projets et je sais que vous avez sacrifié beaucoup pour mon bien-être personnel. Je vous serai éternellement reconnaissant. Merci mille fois.

Finalement, j'aimerais dédier ce mémoùe à ma femme, Corinne. Tu m'as épaulée dans les moments les plus difficiles et tu as toujours été présente pour me remonter le moral lorsque j'étais prêt à jeter l'éponge. Cette aventure universitaire n'aurait pu être possible sans ta présence réconfortante. Merci de tout mon cœur.

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Table des matières

Résumé iii

Avant-propos iv

Table des matières v

Liste des figures vii

Introduction 1

1. Le XIXe siècle au Bas-Canada; une mise en contexte 19 1.1. La nouvelle priorité du pouvoir britannique : la colonisation 20

1.1.1. L'importance des alliances 20 1.1.2. De l'alliance à la nuisance 23

1.2. Situation socio-économique du Bas-Canada 25 1.2.1. La réalité agricole de l'époque 26 1.2.2. Les mouvements de population 29

1.2.2.1. L'immigration au Bas-Canada 30 1.2.2.2. L'émigration au Bas-Canada 32

1.3. L'Outaouais : terre en émergence 34 1.3.1. Philemon Wright et le système de colonisation «Leader et associés» 34 1.3.2. L'Outaouais et l'émergence de l'industrie forestière 37

2. Les squatters de la rivière Gatineau 44 2.1. Les archives d'arpentage 45

2.1.1. La source et l'importance de John Newman 45 2.1.2. Les squatters : une présence incontestable 48

2.2. Le coup d'œil missionnaire 53 2.2.1. La source, ses limites et la futilité du Père Laverlochère 54 2.2.2. Les ordres religieux et les squatters 56

2.2.2.1. Les missions catholiques avant 1844 56 2.2.2.2. L'établissement officiel des Oblats et la suite des missions 59

2.3. Qui sont ces squatters? 63 2.3.1. Origine et statut social 64

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2.3.2. Le cas du Lac Sainte-Marie 70

3. Relations et interactions 77 3.1. Relation avec le gouvernement 78

3.1.1. Rencontre sur le terrain 78 3.1.2. Rencontre au parlement 83

3.2. Relation avec les compagnies forestières 89 3.2.1. Le système agro-forestier 89 3.2.2. Les suites du système agro-forestier 94

3.3. Relation avec les Autochtones 97 3.3.1. Réciprocité ou animosité? 98

3.3.1.1. Les propos de la Commission Bagot 98 3.3.1.2. Edward Burk et la création de la réserve de Maniwaki 102 3.3.1.3. Le mécontentement des Algonquins 110

Conclusion 114 Annexes 121 Bibliographie 139

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Liste des figures

Figure 1 : Territoire à l'étude 6

Figure 2 : Début approximatif du commerce du bois équarri dans l'est du Canada 40

Figure 3 : La vallée de la Gatineau 51

Figure 4 : Démographie dans le nord de l'Outaouais 65

Figure 5 : Ethnicité dans les cantons de Bois-Franc, Egan South, Montcerf et Deléage 66

Figure 6 : Nombre d'entrées concernant la Haute-Gatineau dans «Registraires paroissiaux d'Aylmer et Gatineau, comté de Wright, 1841-1853 » 71

Figure 7 : Plan de la jonction des rivières Gatineau et Désert 105

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Introduction

Le phénomène de colonisation est intrinsèque au développement social et culturel de l'Amérique du Nord. Naturellement, l'arrivée de millions d'Européens à partir du XVIIe

siècle explique l'importance de ce concept à l'intérieur des différentes sociétés qui se sont épanouies sur le nouveau continent. Cependant, le goût de nouveaux horizons ne s'est pas dissipé une fois le débarquement de ces nouveaux arrivants sur la côte est de l'Amérique. Les terres peu densément occupées de l'ouest ont rapidement été convoitées et un mouvement migratoire fait lentement mais sûrement son apparition, entraînant la colonisation graduelle des terres de l'intérieur.

Lorsqu'il est question de la conquête de l'ouest de l'Amérique du Nord, il est difficile de mettre de côté l'histoire des États-Unis. En 1893, l'historien Frederick Jackson Turner propose sa théorie du Frontier, qui essentiellement tente de tisser un lien entre les particularités du développement américain et l'avancement continuel de colons vers l'ouest1. Théorie grandement critiquée au cours du dernier siècle, le concept de frontier reste aujourd'hui malgré tout un point de repère pour les historiens contemporains. Cette théorie a naturellement subi quelques modifications au cours des années. John C. Weaver définit son interprétation : «[...] frontiers occurred when migratory Europeans entered a region where a government that claimed sovereignty had scarcely any practical authority.

1 William Cronon, «Revisiting the Vanishing Frontier: The Legacy of Frederick Jackson Turner», The Western Historical Quarterly, vol. 18, no. 2 (avril 1987), p. 157.

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Seeing this fragility, yet having faith in the inevitability of order, some risk-takers - a spectrum of operators ranging from the impoverished to the rich - moved beyond "the limits."»2.

Au cœur de ce groupe de « risk-takers », nous retrouvons le squatter qui, par définition, est un individu qui occupe illégalement la terre3. Au cours du XLXe siècle, ce phénomène d'occupation prend progressivement de l'ampleur, et ce, un peu partout à travers les colonies occidentales. En général, on observe l'apparition de squatters lorsque le gouvernement au pouvoir est incapable de maintenir la cadence entre l'allocation de lots de terre et l'expansion coloniale4. Dans certains autres cas, l'appât du gain est un motif suffisant pour attirer les spéculateurs dans ces régions peu ou pas développées. Aux Etats-

Unis, les squatters, ou les «backwoodsmen», étaient couramment associés à cette dernière catégorie. Us étaient perçus comme des moins que rien, «the scum of America, shunned by white man and red alike, and worthless to themselves and their fellow men» . A cette époque, l'Amérique est en pleine expansion vers l'Ouest et ces squatters représentent une société différente, ayant sa propre culture ainsi que son système de valeurs distinct qui ne fait pas l'unanimité chez l'élite6. Comme les squatters américains ne semblent pas s'identifier aux valeurs de la côte atlantique, ils sont tout simplement ostracises par la bourgeoisie de l'est et, conséquemment, par la majorité de la population. Ce n'est cependant pas le cas d'autres colonies d'origine britannique. En Australie, un autre endroit connaissant le squattage de terres inoccupées, ces habitants illégaux ont un tout autre statut.

Néanmoins, les squatters américains et australiens sont habités par le même désir, soit la possession de territoires, sentiment consolidé par le vieil adage européen dictant que la

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terre est ultimement synonyme de pouvoir . Cependant, l'activité commerciale et le climat

2 John C. Weaver, The Great Land Rush and the Making of the Modern World, 1650-1900, Québec, McGill-Queen's University Press, 2003. p. 73. 3 John C. Weaver, « Beyond the Fatal Shore : Pastoral Squatting and the Occupation of Australia, 1826 to 1852 », The American Historical Review, vol. 101, no. 4 (octobre 1996), p. 983. 4 Weaver, « Beyond the Fatal Shore », p. 982. 5 Ray Allen Billington, Land of Savagery Land of Promise; The European Image of the American Frontier in the Nineteenth Century, New York, W.W. Norton & Company, 1981, p. 162. 6 Robert W. McCluggage, «The Pioneer Squatter», Illinois Historical Journal, vol 82, no. 1 (printemps 1989), p. 51.

Weaver, « Beyond the Fatal Shore », p. 982.

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ont des répercussions directes sur le fond et la forme des squatters. En effet, en Australie, la commercialisation de la laine et l'aridité de l'environnement poussent les squatters à occuper de grands territoires afin d'accommoder leur cheptel. Cette occupation à grande échelle et le soutien des métropoles font en sorte que vers la moitié du XIXe siècle, le terme « squatter » change formellement de signification et est maintenant davantage associé aux riches propriétaires de bétails qu'aux brigands . Nous comprenons donc qu'à l'inverse des États-Unis, les squatters australiens sont une partie intégrante de la société, voire même de la bourgeoisie locale.

Le Bas-Canada9 n'échappe pas au phénomène des squatters. Des groupes d'individus s'installent et occupent des terres un peu partout dans la colonie britannique. Dans les Cantons-de-1'Est, l'attribution de grands territoires à une poignée d'individus au début du XLXe siècle favorise le squattage de terres laissées en friche par ces propriétaùes1 . Selon les données du recensement du Bas-Canada de 1842, 46 % des familles de cette région ne sont pas propriétaire des terres qu'elles occupent11. Il n'est donc pas étonnant de voir les squatters et les propriétaires terriens des Cantons-de-1'Est s'affronter en justice afin d'éclaircir les questions de titres sur la terre. Cependant, outre les quelques notes provenant des déclarations de la Cour, le manque d'information nous empêche de connaître l'identité de ces squatters12.

Le Saguenay connaît aussi une période d'occupation illégale de son territoire. Bien que cette région s'ouvre officiellement à la colonisation en 184213 suite à l'expiration de l'entente commerciale avec la Compagnie de la Baie d'Hudson (CBH) limitant tout accès au Domaine du Roi14, plusieurs familles ont eu l'opportunité de s'établir sur ces terres

8 Weaver, « Beyond the Fatal Shore », p. 983. 9 Malgré le fait que l'Acte de l'Union unisse le Haut-Canada et le Bas-Canada en 1841, le terme « Bas-Canada » sera employé tout au long de ce mémoire, car il reste tout de même courant à l'époque de l'union. 10 John I. Little, «Contested Land : Squatters and Agents in the Eastern Townships of Lower Canada», The Canadian Historical Review, vol 80, no. 3 (septembre 1999), p. 388. 11 Little, «Contested Land », p. 387. 12 Little, «Contested Land », p. 410. 13 Christian Pouyez et Yolande Lavoie, Les Saguenayens : Introduction à l'histoire des populations du Saguenay XVIe-XXe siècles, Québec, Presses de l'Université du Québec, 1983, p. 130. 14 Le Domaine du Roi, ou Postes du Roi, était un « vaste territoire s'étendant du nord du Saint-Laurent jusqu'à la ligne de partage des eaux de la baie d'Hudson, entre la limite est de la seigneurie des Éboulements (à l'est

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avant cette date d'ouverture. Donc, en 1837, la CBH échoue lamentablement à s'introduire dans le marché lucratif du bois, soit un an après avoù obtenu l'autorisation de couper 60 000 billots sur le territoire qu'elle occupe. Elle se voit donc obligée de vendre sa licence de coupe à la société des Vingt et Un, dirigée par Thomas Simard de Charlevoix 5. Plusieurs membres de cette société, au lieu de s'en tenir à la coupe de bois, ont décidé de coloniser la région. Selon les explorations de l'agent des terres Georges Duberger en 1843, M. Simard est bien installé à la rivière des Petites-Bergeronnes et a construit « trois maisons, une grange, un magasin et des établis »16. En 1845, près de 3000 squatters occupent fermement les terres du Saguenay, qui sont à l'époque à peine arpentées17.

Comme le Saguenay, la région de l'Outaouais connaît une période de développement intense au XLXe siècle grâce à l'explosion du commerce du bois. L'ouverture de l'intérieur des terres perpétrée par les exploitants forestiers offre aux squatters un accès privilégié à la rivière Gatineau, l'un des plus importants cours d'eau s'écoulant dans la rivière des Outaouais. Contrairement aux colonisateurs des plaines américaines, des pâturages australiens ou du Domaine du Roi, l'identité des premiers habitants permanents qui s'établissent tant bien que mal en Haute-Gatineau, c'est-à-dire ces squatters, est imprécise. L'histoùe de ces pionniers mérite d'être attentivement étudiée.

Problématique et hypothèse Le présent mémoire porte sur les squatters de la rivière Gatineau, entre 1812 et 1870.

Ces dates ne sont pas arbitraires. 1812 représente le changement d'attitude de l'Empire britannique envers ses colonies d'Amérique du Nord. De plus, environ à la même époque, l'Outaouais devient un joueur d'importance dans le commerce du bois canadien. Pour ce qui est de 1870, l'occupation illégale des terres de la Couronne en Haute-Gatineau est largement en déclin. Le phénomène est bien évidemment toujours présent, mais à ce moment, il est encadré par le gouvernement. Notre objectif est essentiellement d'observer

de Québec) et le cap Cormorant ». « Postes du Roi », dans www.thecanadianencyclopedia.com, page consultée le 4 mai 2010. 15 Pouyez et Lavoie, Les Saguenayens, p. 130-131. 16 Pierre Frenette, « Pionniers et squatters de la Haute-Côte-Nord : les explorations de Duberger », Revue d'histoire de la Côte-Nord, no. 24-2 (1997), p. 5-9. 17 Pouyez et Lavoie, Les Saguenayens, p. 132.

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ces pionniers qui ont été en mesure de tuer profit de la déréglementation. Tout en cherchant à apporter une nouvelle vision au développement de l'Outaouais au XLXe siècle, ce mémoire a entre autres pour objectif de redonner à cette population quasi oubliée sa place dans l'histoùe socio-économique de la région de la Vallée de la Gatineau.

Qui sont les squatters de la rivière Gatineau? Voilà la question élémentaùe au centre de notre étude. Cette interrogation, qui à première vue semble évidente, voire simpliste, a à peine été effleurée par les études précédentes portant sur l'histoire de l'Outaouais au XLXe siècle. Cependant, avant d'analyser les caractéristiques à la base de l'identité du « squatter », il est primordial de prouver leur existence sur le territoùe à l'étude qui se définit autour de la rivière Gatineau, des cantons d'Al win et Hincks au sud aux cantons de Lytton et Sicotte au nord18. Comment ces squatters sont-ils représentés dans les fonds d'archives? Quelle est l'ampleur démographique de ce groupe en Haute-Gatineau? Est-il assez important pour être considéré comme un acteur social d'envergure dans la région? Ces questions devront être explorées avant de poursuivre notre analyse. Par la suite, une image générale de ces squatters pourra être établie. Les spécificités sociales de ces derniers, tels que leur niveau de vie, demeurent largement inconnues. Leur origine reste également obscure. Conséquemment, nous avons peu d'informations sur la langue de la majorité des squatters de la Haute-Gatineau. Ces deux éléments, soit l'origine et la langue, irrémédiablement reliés, devront être analysés en conséquence.

18 Pour un aperçu de l'ensemble du territoire sélectionné dans le cadre de cette recherche, consulter la figure 1 à la page 6.

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Figure 1 : Territoire à l'étude 19

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Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, Cantons, Seigneuries et Bassins du Québec, Québec, Bureau de l'arpentage et du cadastre, février 2004.

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Outre les caractéristiques fondamentales mentionnées précédemment, l'étude d'une population peut se faire à travers l'analyse des relations qu'elle entretient avec ses voisins qui, en Outaouais, sont multiples et distincts. En d'autres mots, quelle était la place des squatters dans le tissu social de la Haute-Gatineau? Est-ce que les « Autres » percevaient cette présence comme un bienfait pour le développement de la région ou bien comme une nuisance? Ce questionnement, qui cherche essentiellement à mettre en lumière ces habitants occupant illégalement les terres de la Couronne, nous permettra finalement de comprendre l'impact de ces squatters sur le développement politique, économique et social de la rivière Gatineau.

Malgré l'absence apparente des colons illégaux dans l'historiographie de l'Outaouais du XLXe siècle, nous croyons que le squattage des terres de la Couronne a indéniablement eu lieu sur la rivière Gatineau entre 1812 et 1870. Bien qu'il ne soit pas possible de précisément quantifier ce phénomène, les sources sont en mesure de nous informer sur la provenance de ces squatters. Deux hypothèses sont plausibles lorsqu'il est question de leur origine. Une présence majoritaùement francophone sur les rives de la Gatineau pourrait expliquer la migration interne en provenance du Bas-Canada; la situation précaire causée par le surpeuplement de la vallée du Saint-Laurent au XLXe siècle aurait contribué au développement des régions limitrophes, telle que l'Outaouais. La deuxième théorie reposerait sur l'arrivée massive d'immigrants en provenance d'Europe qui, au lieu de s'établir à l'intérieur du couloir laurentien, auraient opté pour certaines localités moins industrialisées, ayant plus de potentiel au développement durable. Dans ce cas, nous serions en mesure d'observer une population culturellement plus hétérogène, peut-être même majoritairement anglophone. Dans les deux cas, nous estimons que les squatters ne sont généralement pas fortunés, que l'occupation des terres n'est pas un choix stratégique, mais bien une nécessité. Naturellement, pour répondre adéquatement à cette interrogation, il sera nécessaire d'élargù notre recherche afin d'inclure à notre analyse le contexte historique du Bas-Canada à cette époque.

Nous croyons que les squatters de la Haute-Gatineau sont généralement marginalisés par les autres acteurs sociaux présents sur le territoire. Lorsque nous identifions les

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« Autres », nous parlons ici du gouvernement, de l'industrie forestière et des Amérindiens, ce dernier groupe étant fortement appuyé par le clergé. Tout imposants dans leur propre domaine, ces piliers de la Haute-Gatineau ont vraisemblablement les moyens d'imposer leur volonté aux squatters. Nous prévoyons donc être en mesure d'observer cette domination, laissant peu de place aux besoins et aux volontés des squatters.

Historiographie La colonisation est un sujet considérable dans l'historiographie québécoise. Pendant

près de 300 ans, l'expansionnisme était beaucoup plus qu'une simple politique gouvernementale, mais bien une réalité sociale. Plusieurs historiens de renom se sont penchés sur les questions entourant ce sujet et leurs réflexions ont permis de façonner de nombreuses thèses, certaines toujours pertinentes aujourd'hui. Quelques régions démontrant plus de spécificités historiques que d'autres ont davantage attiré l'attention des chercheurs; c'est le cas du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Dès 1972, Gérard Bouchard s'intéresse au développement démographique d'une douzaine de villages du Saguenay. En peu de temps, ce modeste projet prend de plus en plus d'importance pour finalement créer en 1978 le Programme de Recherches sur la Société saguenayenne qui, entre autres, se concentre sur l'histoire socio-culturelle ainsi que sur l'analyse des structures sociales et de l'industrialisation . L'Outaouais n'a malheureusement pas joui de ce traitement privilégié. Outre l'apport au développement de l'histoire culturelle du Québec, les travaux de Bouchard et de ses acolytes sur les Saguenayens démontrent le potentiel historique d'un projet analogue centré sur la Haute-Gatineau.

Il ne va pas sans dire que les cours d'eau ont eu une importance capitale dans la colonisation du territoire québécois, et ce, depuis les premières incursions européennes au XVIe siècle. Le Saint-Laurent est certainement le couloir maritime le plus important au Québec, voire en Amérique du Nord. D est donc naturel que les historiens aient été en mesure d'élaborer des théories historiques fusionnant ces deux éléments, soit le mouvement de colonisation au XLXe siècle et le fleuve. L'une de ces théories est la thèse laurentienne avancée par Donald G. Creighton qui affirme principalement que le fleuve

20 Pouyez et Lavoie, Les Saguenayens, p. 1.

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Saint-Laurent, voie d'accès permettant une ouverture vers l'intérieur du continent, est à la

base de l'unité canadienne. Cette thèse est cependant critiquée, notamment lorsqu'il est

question du rôle joué par les Canadiens-Français dans la trame historique du fleuve Saint-

Laurent. Creighton repousse ces derniers à l'arrière-plan, les Franco-canadiens étant de

simples spectateurs au déroulement de l'histoire . Les historiens Normand Séguin, Serge

Courville et Jean-Claude Robert effectuent dans les années 1980 un retour sur le sujet en

s'éloignant de la vision « durhamienne » de l'histoùe canadienne, dont celle de Creighton,

pour favoriser une approche rationnelle du développement socio-économique de la vallée

du Saint-Laurent22. En d'autres mots, Courville et ses collègues tentent de remettre le terme

« socio » dans « socio-économique ». Serge Courville approfondit d'ailleurs ses propos

dans son ouvrage Immigration, colonisation et propagande . L'auteur s'attarde

principalement à expliquer l'évolution du XLXe siècle québécois à travers les grands

changements démographiques qui s'opèrent à cette époque. Il est même question des

efforts entrepris par certains membres influents de la société canadienne-française pour

mousser la colonisation vers l'Outaouais. Ce mémoire ne concerne pas le couloir

laurentien. Toutefois, l'approche historique de ces chercheurs nous sera donc grandement

utile, car dans l'historiographie du développement de la Haute-Gatineau au XLXe siècle,

l'aspect social n'est pas profusément exploité. Dans l'optique d'une étude portant

essentiellement sur le peuplement de la région de la Haute-Gatineau, les œuvres de ces

derniers historiens permettent de bien encadrer l'analyse des sources retrouvées lors des

recherches en archives.

Les études historiques sur les squatters au Québec sont peu nombreuses. Plusieurs

auteurs font vaguement référence à ce phénomène sans y porter une attention particulière.

Deux chercheurs, Eric Whan24 et John Irving Little, ont cependant touché directement au

sujet. Ces derniers, se concentrant exclusivement sur le phénomène du « squattage » dans

la région des Cantons-de-1'Est, utilisent une approche plus juridique pour traiter de la

21 Serge Courville, Jean-Claude Robert et Normand Séguin, Le pays laurentien au XIXe siècle, Trois-Rivières, Centre d'études québécoises, Université du Québec à Trois-Rivières, 1992, p. 3. 22 Courville et als, Le pays Laurentien, p. 5. 23 Serge Courville, Immigration, colonisation et propagande : Du rêve américain au rêve colonial, Québec, Éditions MultiMondes, 2002, 699 p. 24 Eric Whan, «Improper Property: Squatters and the Idea of Property in the Eastern Townships of Lower Canada 1838-1866», Mémoire de maîtrise, Montréal, Université McGill, 1996, 126 p.

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question. Les squatters de cette région, qui occupaient essentiellement des terres privées,

ont défendu leurs « acquis » en cour en affrontant les véritables propriétaires. Ces auteurs

observent tout de même un dialogue entre les propriétaires terriens et les occupants

illégaux, même s'il passe davantage par l'intermédiaire de la justice. L'analyse de Whan

sur l'intervention de l'état dans la gestion du problème causé par les squatters est valable et

utile à notre compréhension du rôle du gouvernement. La situation dans la région de la

Haute-Gatineau reste tout de même différente. Dans cette région, les terres occupées par les

squatters n'appartiennent généralement pas à un propriétaùe laissant sa terre en friche. Ces

terres sont la propriété de la Couronne britannique. Le dialogue entre les colons illégaux et

le propriétaùe foncier, qui dans le cas de la Haute-Gatineau est effectivement le

gouvernement, est donc bien différent de celui présent dans les Cantons-de-1'Est. L'intérêt

de ces travaux réside donc dans le fait qu'ils prouvent l'existence de problèmes reliés aux

squatters dans d'autres régions du Bas-Canada au XLXe siècle.

Certains articles et ouvrages généraux seront aussi nécessaùes pour répondre

adéquatement au questionnement de recherche. Bien que l'histoire du peuplement de

l'Outaouais n'a pas fait couler autant d'encre que la colonisation du Saguenay ou de la

vallée du Saint-Laurent, lorsqu'il est question de l'histoire de l'Outaouais il est impossible

d'ignorer l'ouvrage imposant de Chad Gaffield . Les travaux de ce dernier s'inscrivent

immanquablement dans le mouvement de régionalisation de l'histoire du Québec des

années 1980, appuyé par l'Institut québécois de recherche sur la culture. Malgré le fait que

ce volume reste une œuvre générale, l'auteur dresse un portrait assez complet de

l'évolution historique de l'Outaouais. En ce qui concerne la période du XLXe siècle,

Gaffield y consacre plus de 150 pages, passant par les premières années de colonisation à

l'âge d'or du commerce du bois et du développement socioculturel de la région. Cet

ouvrage est incontestablement une base importante de cette étude. Il est possible d'en dire

de même de l'ouvrage de John W. Hughson et Courtney CJ. Bond, Hurling Down the

25 Chad Gaffield, dir, Histoire de l'Outaouais, Louiseville, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, 876 p.

10

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Pine26. Ce livre est probablement le document le plus complet de l'histoire de l'industrie forestière en Outaouais, particulièrement en Haute-Gatineau. Les deux premiers chapitres sont littéralement une mine d'information sur les grands personnages de l'Outaouais et leur implication dans le développement de la région. Les auteurs ont lors de leurs précédentes recherches, méticuleusement identifié la toponymie de la Haute-Gatineau, par exemple en démontrant l'étendue des installations forestières de la famille Wright et Gilmour. Ce travail permet donc de correctement visualiser le territoire autour de la rivière Gatineau et de bien situer géographiquement la provenance des sources à l'étude. De plus, Hughson et Bond abordent les questions sociales entourant la vie de chantiers et, indirectement, informent sur les squatters de la rivière Gatineau. Cet ouvrage est indispensable à la compréhension de l'histoire économique de la rivière Gatineau.

En définitive, il est possible de constater que l'histoire de l'Outaouais, depuis le dernier cinquante ans, n'est pas particulièrement un sujet de prédilection pour les historiens canadiens. Cependant, les sources existent bel et bien. Elles dissimulent une multitude d'informations pertinentes pouvant contribuer à la compréhension du Québec du XLXe siècle. Ce mémoùe fut donc produit afin de combler ce vide historique en commençant à débroussailler ces fonds d'archives.

Choix et justification des sources L'étude des squatters de l'Outaouais renferme pour l'historien des défis singuliers. Le

chercheur doit naturellement se baser sur les écrits afin de tirer des conclusions sur son sujet d'étude. Toutefois, en ce qui concerne les squatters, il est particulièrement difficile de trouver des documents provenant de cette communauté. La plupart de la recherche doit, faute de choix, s'appuyer sur des sources indirectes. Celles-ci proviennent donc de personnes ayant eu des contacts assez importants avec la communauté squatter de la rivière Gatineau pour que ceux-ci soient notés ou décrits dans un ouvrage quelconque. Les archives utilisées dans le cadre de cette recherche sont en général de deux types : les

26 John W. Hughson et Courtney CJ. Bond, Hurling Down the Pine: The story of the Wright, Gilmour and Hughson Families, Timber and Lumber Manufacturers in the Hull and Ottawa Region and on the Gatineau River, 1800-1920, Old Chelsea, The Historical Society of the Gatineau, 1964, 130 p.

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sources produites dùectement sur le terrain et les sources institutionnelles provenant du

gouvernement colonial.

Les sources provenant du terrain sont de première importance, car elles contribuent à

mettre la lumière sur le mode de vie des squatters. L'un des groupes ayant eu des contacts

soutenus avec cette population est les missionnaires, particulièrement les Oblats de Marie-

Immaculée. La rivière des Outaouais et la rivière Gatineau furent pendant de nombreuses

années la voie privilégiée par les missionnaires Oblats pour atteindre les populations

amérindiennes de l'Abitibi, de la baie d'Hudson et de la Haute-Mauricie. Pratiquement à

chaque année, une expédition quittait Montréal afin de répandre la Bonne Nouvelle chez

les Autochtones. Vers le milieu du XLXe siècle, les Oblats ont même établi une résidence

permanente à rivière Désert, maintenant connue sous le nom de Maniwaki . Afin de

démontrer le progrès de leur travail à leurs supérieurs, les missionnaires ont constamment

mis sous écrit leurs observations. La présence missionnaire dans la région est donc

indéniable. Malgré le fait que leur but premier était l'évangélisation des communautés

autochtones, les rapports de missions produits par les missionnaires contiennent une

abondance d'information sur les mœurs et coutumes des Amérindiens, sur leurs

explorations à l'intérieur des terres et, notamment, sur les populations blanches établies sur

le territoùe. Les lettres du père Desautels, du père Andrieux et du missionnaire jésuite

Dominique du Ranquet28 apportent une quantité importante de renseignements sur les

habitudes de vie et l'organisation sociale des squatters.

Le deuxième groupe en importance ayant échangé suffisamment avec les squatters sur

le terrain pour laisser des traces en archives est les arpenteurs-géomètres. Ces derniers, qui

travaillent pour le bureau de l'arpenteur général qui à son tour répond directement au

27 Un terrain fut octroyé aux missionnaires oblats en 1851 après de nombreuses demandes au gouvernement fédéral. Une réserve sera créée au même endroit pour la population algonquine en 1853 et comptait 18 530 hectares. Jacques Frenette, «Kitigan Zibi Anishnabeg : le territoire et les activités économiques des Algonquins de la rivière Désert (Maniwaki), 1850-1950», Recherches amérindiennes au Québec, vol. 23, nos 2-3 (1993), p. 40. 28 Fernand Ouellet et René Dionne, Journal du père Dominique du Ranquet missionnaire Jésuite en Ontario de 1843 à 1900 de la mission qu'il fit en 1843 dans l'Outaouais supérieur sous la direction de l'abbé Hippolyte Moreau; Tensions socioculturelles en dehors des peuplements majoritaires blancs au milieu du XIXe siècle, Ottawa, Vermillon, 2000, 267 p.

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Gouverneur29, ont patrouillé l'ensemble des terres du Québec pour faire l'évaluation des

ressources naturelles disponibles. Les rapports se consacrent donc à décrire

l'envùonnement en général, comme la situation des cours d'eau et la qualité des sols et du

bois. Cependant, certains arpenteurs ont pris l'habitude de noter la présence

d'établissements ou de groupements de population. Ces archives, qui sont aujourd'hui

conservées au Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune du Québec (MRNFQ),

peuvent témoigner de l'emplacement des squatters sur le territoire. Les carnets des

arpenteurs peuvent aussi confirmer qu'il existe des agglomérations sur les rives de la

rivière Gatineau ou bien si les squatters cherchent à se disperser un peu plus à l'intérieur

des terres. Naturellement, la présence d'information sur les squatters dans les carnets

d'arpentage dépend exclusivement de l'intérêt de l'arpenteur à décrire davantage leur

envùonnement. C'est d'ailleurs la grande faiblesse de ces archives. Le rapport d'arpentage

reste, à la base, une source technique et essentiellement quantitative par rapport à l'histoire

du peuplement de l'Outaouais. Le recensement de la population n'étant pas le but premier

des arpenteurs, la prise de notes sur les établissements de squatters dépend donc de la

volonté de l'arpenteur d'aller au-delà de son mandat initial. U reste que l'information que

certains arpenteurs apportent pourra, dans le cadre de cette recherche, clarifier quelques

questions par rapport aux squatters, particulièrement au niveau de l'ampleur du mouvement

et par rapport à leur disposition générale sur le territoire.

Les sources institutionnelles permettent également d'aborder l'objet d'étude sous un

angle différent. Ces documents, produits loin des terres occupées par les squatters,

permettent de comprendre la réaction des politiciens face à ce phénomène particulier.

Premièrement, les documents officiels produits par le gouvernement colonial, comme les

commissions d'enquête, permettent de comprendre quel genre d'actions a été entrepris afin

de régler le « problème » des squatters. Étonnamment, d'une recommandation à l'autre,

l'opinion des hommes d'État change considérablement. Par exemple, la commission

29 Le bureau de l'arpenteur général existera pendant 80 ans, soit de 1765 à 1845. L'organisme sera absorbé par le Bureau des terres de la Couronne en 1845. Claude Boudreau, «Organisation, pratique et structure de la cartographie au Québec : 1760-1840», thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 1991, p. 161.

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Bagot30 et le rapport de Lord Durham31 proposent et aident dans l'adoption d'initiatives

faisant en sorte que les squatters obtiennent les droits de la terre qu'ils occupent alors sans

trop de complications32. Cependant, dans un Ordre du Conseil de la Commission des terres

de la Couronne de 185933, l'accessibilité à la propriété pour les squatters devient beaucoup

plus difficile, car le gouvernement ne reconnaît plus les droits reliés à l'occupation

preemptive. L'évolution des politiques concernant les squatters entre 1838 et 1859 mène

immanquablement vers certains questionnements par rapport aux positions du

gouvernement.

Lorsqu'il est question du corpus de sources de cette recherche, il est primordial de

mettre l'emphase sur le fait que la documentation est essentiellement indirecte. Le peu de

vestiges historiques laissés par ce groupe force les chercheurs à reconstituer leur histoire à

l'aide des archives d'acteurs ayant entretenu des contacts avec eux. U est donc important,

comme chercheur, d'éviter le surcodage comme en tirant des conclusions erronées ou

simplement fausses lors de la mise en commun des documents.

Démarche méthodologique

Le choix d'une méthode de travail est un exercice demandant une réflexion sur

l'orientation de cette recherche. En optant pour une méthodologie plutôt qu'une autre,

l'interprétation des données peut différer considérablement et il est fort probable que les

conclusions ne soient pas les mêmes. L'objectif de notre recherche étant d'identifier et de

comprendre le phénomène des squatters de la rivière Gatineau de 1812 à 1870, l'analyse

qualitative de contenu s'adapte le mieux aux objectifs de ce projet.

30 Cette commission d'enquête a comme principal objectif de fournir un aperçu général de la condition des Autochtones au Canada. Une partie du rapport fort révélatrice porte sur la présence de squatters d'origine euro-canadienne sur les terres réservées aux Amérindiens. Assemblée nationale du Québec, Journaux du gouvernement colonial, Rapport sur les Affaires des Sauvages en Canada, soumis à l'Honorable Assemblée Législative pour son information, 20 mars 1845. 31 John George Lambton, Report on the affairs of British North America, from the Earl of Durham, Londres, House of Commons, 1839, 126 p. 32 Whan, «Improper Property», p. 2. 33 Journal de l'assemblée legislative de la Province du Canada 17: app. 17, Commissioner of Crown Lands P.M. Vankoughnet, «Regulations for the Sale and Management of the Public Lands», 7 janvier 1859.

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L'analyse qualitative fournit aux historiens certaines techniques méthodologiques

utiles à la recherche. Selon Alex Mucchielli, cette démarche n'est pas restreinte par une

codification rigide et conséquemment, reste malléable au fil des découvertes historiques34.

La recherche qualitative prône donc davantage la description des processus, la profondeur

de l'analyse et la richesse des données35. Plus spécifiquement, cette recherche sera basée

sur une approche contextuelle qui guidera essentiellement l'analyse des sources récoltées

lors du dépouillement des fonds archives. Ce type d'analyse consiste à faire ressortir des

archives, principalement textuelles, un certain nombre de données afin de les confronter

aux spécificités du contexte historique de la région à l'étude . L'analyse contextuelle

permet donc de traiter de la question des squatters de manière ordonnée et structurée afin

de faire ressortir des résultats claùs de sources essentiellement indirectes.

La recherche en archives portant sur l'Outaouais comporte des difficultés de taille. Le

manque de systèmes de classification est généralisé lorsqu'il est question des fonds anciens

portant sur l'histoùe de l'est du Québec. À titre d'exemple, la première phrase de l'outil de

recherche du fonds RG1 Ll (Land Books) de BAC mentionne ceci : « Searching in the land

records at the Public Archives of Canada requires some background study and detective

work if one is to obtain the maximum benefit from the work ». L'auteur de cet outil de

recherche ne mâche pas ses mots. Lors du dépouillement des demandes de terres pour la

rivière Gatineau, nous avons été surpris de constater qu'une certaine partie des documents

que nous cherchions étaient classés dans la section « Haut-Canada » du fonds d'archives et

non dans la division « Bas-Canada » où ils se devraient de l'être.

Ce manque d'ordre dans les fonds d'archives nous sollicite donc d'en faùe lors de

notre classement personnel. C'est dans cette optique qu'il a été créé, à l'aide du programme

« Microsoft Access », une base de données contenant l'ensemble des documents pertinents

au questionnement de recherche. Cet outil de travail a principalement été conçu pour

structurer la recherche et faciliter l'étape de rédaction de cette étude. Chaque document a

34 Alex Mucchielli, «Pertinence de la recherche qualitative», dans Alex Mucchielli, dir., Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996, p. 159. 35 Mucchielli, «Pertinence». 36 Alex Mucchielli, «Contextuelle (analyse historique)», dans Alex Mucchielli, dir., Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 1996, p. 39.

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minutieusement été inventorié en saisissant l'auteur, le titre, la date de production, le type

de source et la notice bibliographique. Une série de mots-clés a été élaborée à partir de la

problématique dans le but de les apparier aux documents pour une consultation rapide des

sources inventoriées. De plus, une section a été confectionnée pour indiquer si certains

documents pouvaient être liés l'un à l'autre. Cette rubrique a particulièrement été utile

lorsqu'il fut question de retracer les déplacements d'un individu à travers les différentes

sources d'archives. Par exemple, cette méthode de travail a permis entre autres d'en

apprendre davantage sur Amable McDougall, résident illégal du Lac Sainte-Marie et sur

Edward Burk, squatter notable de la région de Maniwaki. Conjointement, un suivi de

dépouillement détaillé fut constitué pour encadrer la recherche archivistique qui se déroula

dans plusieurs centres d'archives à la fois.

Cette base de données comprend donc deux niveaux d'analyse. Le premier consiste à

dégager, en quelques phrases, l'idée générale du document d'archives. Cette étape a

principalement permis de faire le tri dans le corpus de sources sélectionnées. Les

documents peu pertinents ont été écartés de la recherche pour faire place aux écrits riches

en information. Le deuxième niveau d'analyse a été beaucoup plus considérable en termes

de travail. Les documents ayant été conservés lors du premier niveau d'analyse ont été

revisités, mais cette fois avec beaucoup plus de perspicacité. Chaque passage pouvant le

moindrement répondre à l'une des questions de recherche a été retranscrit ainsi qu'annoté.

La retranscription était une nécessité, car la grande majorité de notre corpus est écrit à la

main et certains auteurs ont bien évidemment une calligraphie complexe. Ce processus a

donc permis de comprendre en profondeur les propos tenus dans les sources sélectionnées.

De plus, cette retranscription nous a donné le temps d'analyser chaque document et de faùe

les liens entre les différents types de fonds documentaires, ce qui s'est avéré fondamental

pour cette recherche.

Afin de répondre adéquatement au questionnement initial de cette étude, l'élaboration

d'un plan thématique composé de trois chapitres est la solution la plus cohérente.

Toutefois, avant de s'attarder directement aux squatters de la Haute-Gatineau, il est

fondamental d'établir adéquatement le cadre contextuel du Bas-Canada au début du XLXe

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siècle. Le premier chapitre sera donc consacré à exposer les différents facteurs qui ont

contribués à l'établissement de colons sur les terres de la Couronne, soient les lots

appartenant toujours au gouvernement. Le premier chapitre se divisera donc en trois sous-

sections. La première consiste à comprendre les changements d'orientation politique

qu'entreprend l'Empire britannique par rapport à ses colonies. En effet, le Canada devient

au cours du XLXe siècle une véritable colonie de peuplement lorsque les conflits militaires

cessent. Cela entraîne certains ajustements politiques d'importance. Deuxièmement sera

explorée la situation socio-économique du Bas-Canada. Plus particulièrement, il sera

question d'examiner l'état défaillant du système agricole dans le couloir laurentien ainsi

que des mouvements de population qui en résulte, soit l'exode de Canadiens-Français vers

les États-Unis et l'arrivée massive d'immigrants venus d'Europe. Finalement, nous

conclurons ce chapitre en nous penchant sur l'émergence de l'Outaouais au début du XLXe

siècle sur l'échiquier bas-canadien. L'établissement des premiers colons officiels, dirigé

par Philemon Wright, et l'expansion soudaine du commerce forestier seront principalement

étudiés. Pour faire suite à cette démonstration, il sera possible de mieux comprendre les

raisons expliquant la présence d'habitants illégaux sur les terres de la Haute-Gatineau.

Le deuxième chapitre portera essentiellement sur deux aspects. En premier lieu, il y

aura lieu de confirmer hors de tout doute, à l'aide des archives de l'époque, que les terres

de la rivière Gatineau ont effectivement été squattées avant 1870. Cette étape permettra,

entre autres, d'extraire les premières informations de ce groupe, par exemple l'ampleur du

mouvement et leur répartition géographique sur le territoire. Par la suite, il sera possible

d'identifier les principales caractéristiques associées à ces squatters, comme l'ethnicité, la

langue et le niveau de pauvreté. D'ailleurs, l'origine de ce groupe est une question centrale

qui méritera certainement une attention particulière dans le cadre de cette recherche. Selon

la disponibilité des informations dans les fonds d'archives, nous serons capables de brosser

un portrait général des squatters de la Haute-Gatineau.

Finalement, le dernier chapitre sera dédié à comprendre la nature des relations

qu'entretenaient les autres acteurs sociaux de la région de la rivière Gatineau avec les

squatters. Trois groupes sont spécifiquement identifiés, soit le gouvernement colonial, les

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exploitants forestiers et les Amérindiens. L'analyse de ces relations aidera à déterminer si les squatters étaient perçus comme faisant positivement partie du développement de la Haute-Gatineau ou s'ils étaient plutôt une entrave au progrès de la région. Les positions de chacun des acteurs sociaux permettront d'en apprendre davantage sur les squatters et sur la place sociale qu'ils occupaient en Haute-Gatineau.

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1. Le XIXe siècle au Bas-Canada; une mise en contexte

Le Canada connaît, au XLXe siècle, des transformations notables influençant grandement les sphères économiques et sociales. La Nouvelle-France est un souvenir de plus en plus lointain. Nous assistons aux derniers combats d'envergure dans les colonies britanniques en Amérique du Nord37. Les mouvements de population s'accentuent, autant au niveau national qu'à l'international. Ces changements ouvriront une nouvelle ère pour la colonie, avec son lot d'avantages, mais aussi de problèmes.

Avant de pénétrer plus en profondeur dans l'objet de cette étude, il est important de s'attarder à quelques-unes de ces transformations, car sans une bonne compréhension de celles-ci, il est difficile de saisù ce qui se passe en Outaouais et particulièrement en Haute-Gatineau au XLXe siècle. Trois aspects de l'histoùe du XLXe siècle canadien seront donc brièvement explorés: le changement d'orientation politique des colonies britanniques en Amérique du Nord, la situation socio-économique au Bas-Canada, particulièrement par rapport à l'agriculture, et finalement l'arrivée des premiers colons ainsi que l'émergence du commerce forestier en Outaouais.

37 Le 18 juin 1812, Les États-Unis déclarent la guerre à l'Angleterre. Comme le Canada est la seule possession britannique en Amérique du Nord, la plupart des combats auront lieu sur la frontière commune des deux États. Pierre Berton, «Guerre de 1812», dans www.thecanadianencyclopedia.com, page consultée le 9 mai 2009.

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1.1. La nouvelle priorité du pouvoir britannique : la colonisation Le début du XLXe siècle représente un moment important pour l'histoire du Canada.

Ce territoire, autrefois ignoré par les puissances coloniales, se déniche de plus en plus une place sur l'échiquier mondial. Les Britanniques comprennent à cette époque que le Canada peut être un instrument clé à leur propre développement. Les terres acquises peuvent fournir une quantité de ressources maintenant indispensables comme le bois, et peuvent abriter une multitude de colons . Ces derniers, une fois établis, représentent un marché intéressant pour écouler les produits de la mère patrie. Ce changement idéologique, soit de l'expansion militaire à l'expansion via la colonisation, s'opère suite au dernier conflit armé en Amérique du Nord britannique, la guerre de 1812 entre les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Cette transformation s'observe particulièrement bien dans la relation entre le pouvoir britannique et les communautés amérindiennes39. En période de guerre, ces derniers sont des alliés indispensables. Cependant, lorsque les armes sont remplacées par la fourche, les Autochtones se métamorphosent en « nuisance ». Afin de bien comprendre les changements de priorité du pouvoir britannique, nous proposons donc d'explorer la relation que ce dernier maintient avec les Amérindiens du Canada.

1.1.1. L'importance des alliances

Lorsque les Français renoncent à leurs colonies en Amérique du Nord, ce n'est pas seulement la Nouvelle-France qui disparaît. Les Autochtones de la vallée du Saint-Laurent et des Grands Lacs perdent un système d'alliance. Effectivement, lors de leurs campagnes en Amérique, les Français cherchent davantage la collaboration commerciale et militaire des Amérindiens que la confrontation. Par exemple, une alliance en matière de commerce avec les Autochtones du Brésil au XVIe siècle a permis un accès plus facile au bois de

38 Fernand Ouellet, Le Bas-Canada 1791-1840: changements structuraux et crise, Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1976, p. 198. 39 II est important de noter que le but de cette section est de proprement imager la transformation des priorités coloniales britannique en citant l'exemple des relations avec les Amérindiens. Malgré le lien étroit entre les squatters et les Autochtones, les questions concernant les Premières Nations ne seront pas au cœur de ce mémoire.

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teinture40. Dans cette situation, les Français ont rapidement compris que les ressources du Nouveau Monde s'avèrent plus disponibles par l'établissement d'alliances que par l'utilisation de la force. Dans le cas de la Nouvelle-France où les conditions environnementales sont beaucoup plus problématiques pour les Européens, l'établissement d'alliances demeure indispensable.

Pendant le régime français et une partie de l'époque britannique, les relations euro-amérindiennes évoluent sur un terrain d'entente commun basé sur un respect de nature économique, identifié comme le Middle Ground par l'historien Richard White41. Toujours selon White, cette zone tampon située entre les territoires européens et autochtones permet l'existence d'un dialogue entre les deux cultures. Comme chaque partie a une vision très personnelle de ce qu'implique une alliance économique et militaire, ce Middle Ground offre à ces derniers la chance de mieux comprendre les objectifs de chacun4 . Il est important de mentionner que ce terrain d'entente dépend largement de la propension des différents partis à la négociation et du rejet de la force comme instrument d'intimidation. L'obtention de biens se faisait par l'entremise du dialogue qui ne pouvait exister qu'à travers la compréhension de la culture et des mœurs de l'Autre43. Il est évident que ce type de système ne peut fonctionner que lorsque chaque membre de l'alliance a matière à négocié. Pendant la majorité du régime français, les Européens étaient à la recherche de fourrures tandis que les Amérindiens cherchaient à obtenu des produits manufacturés. La victoire britannique déstabilise considérablement les réseaux commerciaux établis sur les terres jadis françaises. Le Middle Ground survit à la chute de la Nouvelle-France, mais à cause des nouvelles procédures politiques britanniques, il en sort affaibli.

Le changement de régime apporte donc du nouveau dans les relations euro-amérindiennes. Premièrement, les Anglais sont beaucoup plus réticents à formuler des alliances à la manière française. L'Angleterre préfère la rédaction de traités écrits, comme

40 Olive Patricia Dickason, Les premières Nation du Canada : Depuis les temps les plus lointains jusqu 'à nos jours, Québec, Septentrion, 1999 (1992), p. 173. 41 Richard White, The Middle Ground : Indians, Empires , and Republics in the Great Lakes Region, 1650-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 50. 42 White, The Middle Ground, p. 51. 43 White, The Middle Ground, p. 52.

2!

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le dicte la tradition européenne, afin d'établir une relation hiérarchique avec les peuples amérindiens44. Sans adversaire apparent en Amérique du Nord à la suite de la Conquête, les dirigeants britanniques se permettent d'utiliser davantage de fermeté envers les Autochtones. D'ailleurs, l'une des premières actions du commandant en chef britannique, Jeffrey Amherst, fut d'irradier le système de distribution de « présents » aux nations amérindiennes45. Cependant, les circonstances pousseront le pouvoir britannique à revoir ces politiques restrictives. Les hostilités réapparaissent en Amérique du Nord à la suite de la guerre d'indépendance américaine de 1776. L'Angleterre fait à nouveau face à un ennemi ayant la capacité de remettre en question la souveraineté de ses propres frontières territoriales. D n'est donc pas étonnant que le gouvernement colonial anglais se retourne vers les Amérindiens pour la négociation d'une nouvelle alliance militaire. Entre 1784 et 1788, chaque année, l'équivalent de £20 000 de marchandises est distribué sous forme de « présents » aux Autochtones afin d'assurer leur fidélité en cas de conflit avec les Américains46. D est cependant vrai que la victoùe britannique en 1760 provoque quelques changements dans les relations avec les Amérindiens. Contrairement aux alliances françaises, les traités anglais mettent en priorité l'importance du bien foncier tout en reléguant la paix à l'arrière-plan47. D reste que dans la vallée du Saint-Laurent et particulièrement dans les Grands Lacs, les réseaux d'alliances restent de mise grâce à l'apport incontestable au niveau économique et militaire des Autochtones. Toutefois, l'Angleterre est visiblement plus rigide dans ses relations que l'était la France.

L'inévitable se produit donc en 1812. Les forces américaines affrontent de nouveau l'Empire britannique par l'entremise de ses colonies nord-américaines. Entre les deux belligérants, cette guerre est une continuation des hostilités débutées en 1776. Cependant, pour les Amérindiens, ce conflit marque leur dernière participation active à un combat en tant qu'allié militaùe des Britanniques. Certains affirment même que dans l'Ouest, la guerre sera généralement gagnée par les Autochtones48. Le leader de ce dernier groupe est

44 Dickason, Les premières Nations, p. 173. 4 Dickason, Les premières Nations, p. 175. 46 J.R. Miller, Skyscrapers Hide the Heavens: A History of Indian-White Relations in Canada, Totonto, University of Toronto Press, 1991, p. 85. 47 Dickason, Les premières Nations, p. 185. 48 Dickason, Les premières Nations, p. 217.

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incontestablement le chef Tecumseh, de la nation Chaouanon, qui sera capable de réunir les

guerriers de 30 nations amérindiennes afin de combattre l'ennemi des Britanniques49. Par

exemple, la prise du fort Michillimackinac en juillet 1812, et subséquemment la chute de

Détroit en automne de la même année, n'aurait pu se produire sans l'intervention de la

force amérindienne50. Cependant, le groupe mené par Tecumseh s'allie à l'Angleterre pour

une raison bien simple. Les chefs amérindiens ont espoir suite au conflit de revoir naître un ' c i

Etat proprement amérindien dans la vallée de l'Ohio . Malheureusement, le traité de Ghent

en 1814, qui annonce officiellement la fin de la guerre, ne sera pas aussi favorable envers

l'allié autochtone.

1.1.2. De l'alliance à la nuisance

Deux éléments formaient le noyau de l'alliance entre l'Angleterre et le monde

amérindien au Canada : la guerre et le commerce, particulièrement la traite des fourrures.

Dans la première moitié du XLXe siècle, dans les colonies britanniques en Amérique du

Nord, ces deux composantes se transformeront considérablement à un point tel que les

nations amérindiennes seront incapables de négocier convenablement avec les autorités

britanniques.

Le traité signé entre les États-Unis et l'Angleterre en 1814 met fin aux conflits armés

en Amérique du Nord britannique. Malgré les tentatives des Britanniques à assurer un

territoire exclusivement autochtone dans le traité de Ghent, le refus catégorique des

Américains se solde par le maintien du statu quo; les frontières restent sensiblement aux

mêmes endroits qu'au début des hostilités . De chaque côté des Grands Lacs, les terres se

transforment lentement due à la présence accrue de colons. En 1817, l'accord Rush-Bagot

confirme la diminution des tensions entre les deux puissances en réduisant les forces

militaires sur les Grands Lacs53. En très peu de temps, la relation presque amicale entre les

Américains et l'Angleterre anéantit complètement l'utilité d'une alliance militaire avec les

49 Dickason, Les premières Nations, p. 215. Miller, Skyscrapers Hide the Heavens, p. 86.

51 Miller, Skyscrapers Hide the Heavens, p. 86. 52 Miller, Skyscrapers Hide the Heavens, p. 87. 53 Dickason, Les premières Nations, p. 220.

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nations amérindiennes54. De surcroît, le commerce des fourrures connaît des difficultés depuis un certain temps. Une diminution notable des exportations de fourrures est observable au port de Québec55. Le coup de grâce survient probablement en 1821 lorsque la Compagnie du Nord-Ouest est amalgamée à la Compagnie de la Baie d'Hudson56. De ce fait, le trafic des peaux ne passe plus à Montréal, détruisant un couloir commercial existant depuis plus de 200 ans. Bien que l'économie canadienne se remette relativement rapidement au moyen du commerce du bois, pour les Amérindiens, chaînon indispensable à la circulation des fourrures, les répercussions sont irrémédiables.

Le Middle Ground se dissout complètement dès la première moitié du XLXe siècle. L'Angleterre a peu d'intérêt à soutenu une relation d'égal à égal avec les nations amérindiennes, car elles ne sont plus une menace à l'intégrité territoriale britannique et leur utilité comme allié militaùe devient tout simplement négligeable57.

Une fois l'établissement d'une paix durable, le gouvernement britannique entreprend la tâche de transférer les terres occupées par les Autochtones à des colons prêts à les cultiver. Pour mettre en œuvre ce projet, le pouvoù britannique impose un nouveau système d'achat de terres qui, contrairement à l'ancienne méthode, répond adéquatement aux objectifs coloniaux de l'époque . En demandant seulement 10% du prix de la terre à l'achat, les intérêts payés au cours des années sur le reste de l'hypothèque par le colon financent le dédommagement versé annuellement aux familles amérindiennes5 . Peu à peu, l'Angleterre s'accapare des terres de l'Ouest de manière tout à fait légale et sans intervention militaire tandis que les Autochtones reçoivent des compensations monétaùes faisant écho à la distribution de cadeaux des siècles précédents. Finalement, en 1830, le

54 Sherene H. Razack, Race, Space, and the Law : Unmapping a White Settler Society, Toronto, Between the Lines, 2002, p. 37. 55 À titre d'exemple, entre 1793-1812, le Bas-Canada exporte 24% moins de peaux de castors. Dans le cas du rat musqué, les exportations ont diminuées de 66%. Fernand Ouellet, Histoire économique et sociale du Québec 1760-1850 : structures et conjoncture, Montréal, Fides, 1971, p. 175. 56 Ouellet, Le Bas-Canada, p. 175. 57 White, The Middle Ground, p. 517. 58 L'ancien système consiste à s'emparer de larges territoires à l'aide de traités, ce qui pousse l'Angleterre à payer des sommes considérables en dédommagement. Les autorités britanniques comprennent rapidement que ce système n'est pas économiquement viable. Miller, Skyscrapers Hide the Heavens, p. 92.

Miller, Skyscrapers Hide the Heavens, p. 93.

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gouvernement colonial fait passer la gestion des affaires indiennes des officiers militaires aux autorités civiles60. Ce changement définit réellement l'intention du pouvoir britannique à prendre de l'expansion sur son propre territoùe. Contrairement à la stratégie plus radicale aux États-Unis61, le gouvernement canadien cherche donc à assimiler les Amérindiens au sein de la population euro-canadienne afin d'accéder plus facilement aux terres. Comme l'explique l'historien R.S. Allen, «[...] British policy changed at this time from a utilitarian plan of using Indians as allies to a paternal programme of gradually incorporating the Indians into white society»62.

L'exemple de l'évolution des relations euro-amérindiennes démontre clairement le changement de perception qui s'opère au début du XLXe siècle chez les Britanniques par rapport à leur colonie, le Canada. Une fois la présence d'une paix persistante, la colonisation des terres à l'ouest de Montréal devient une priorité. Cependant, une expansion territoriale aussi importante doit irrémédiablement se justifier. Qu'est-ce qui pousse le gouvernement colonial à regarder vers l'Ouest pour régler ses problèmes? Afin de trouver réponse à cette question, il est important de comprendre la conjoncture socio-économique du Bas-Canada au XIXe siècle.

1.2. Situation socio-économique du Bas-Canada L'évolution économique et sociale du Bas-Canada a fait l'objet d'une multitude

d'ouvrages à la fois pertinents et volumineux. Nous n'avons qu'à penser aux nombreux ouvrages de Fernand Ouellet ou Normand Séguin. Comme il est impossible dans le cadre de cette étude de s'attarder à l'ensemble des éléments qui ont façonné le nord-est de l'Amérique du Nord du XLXe siècle, deux phénomènes historiques, centraux au développement socio-économique du Bas-Canada, ont été ciblés pour une analyse plus

60 Dickason, Les premières Nations, p. 220. 61 Selon certains historiens, comme l'Américain Howard Zinn, la conquête de l'Ouest des États-Unis s'est faite au détriment des Autochtones qui ont été la cible, au cours du XIXe siècle, de campagnes militaires ayant pour but de libérer les terres pour la colonisation. Toujours selon Zinn, «le coût en vie humaines ne peut être estimé avec précision. Quant aux souffrances, elles sont purement et simplement incommensurables». Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis : de 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002 (1980), p. 149. 62 R.S. Allen, «The British Indian Department and the Frontier in North America, 1775-1830», Occasional Papers in Archaeology and History, vol. 14 (1975), p. 91.

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poussée. D s'agit donc de la précarité de la situation agricole au début des années 1800

ainsi que la nature des mouvements migratoires au Bas-Canada.

1.2.1. La réalité agricole de l'époque

La crise agricole de la première moitié du XLXe siècle, qui touche particulièrement le

Bas-Canada, restructurera la face économique de la colonie. Plusieurs facteurs sont

responsables de la chute vertigineuse des profits reliés à l'agriculture. Il est cependant

important de comprendre que ces difficultés s'inscrivent dans un cadre beaucoup plus

grand qui, ultimement, viendra rejoindre les squatters au nord de la rivière des Outaouais.

Avant d'aller plus loin, il faut tout d'abord analyser les adversités en matière d'agriculture

que connaît le couloir laurentien.

Jusqu'à la moitié du XLXe siècle, la majorité des terres exploitées au Québec sont

régies par le système seigneurial, legs du régime français et maintenu par le pouvoir

britannique63. Relativement bien adaptées au style colonial de la Nouvelle-France dû au

faible taux de population, les seigneuries du Bas-Canada commencent à éprouver certains

problèmes au début du XLXe siècle. Les exportations céréalières du Bas-Canada

s'écroulent; en comparant avec les données de 1801-1802, l'année 1803 inscrit une

diminution des exportations d'environ 50 %M. Cette chute n'est pas attribuable à une baisse

de la demande des produits céréaliers à l'international. Au contraire, le Bas-Canada se

retrouve dans une situation avantageuse. Les relations économiques avec l'Angleterre et les

Antilles sont florissantes. De plus, les provinces bordant le Bas-Canada ne sont pas des

compétiteurs sérieux en matière de céréales. Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ecosse

sont davantage impliqués dans les commerces de la pêche et de l'exportation de viande de

boucherie. Pour ce qui est du Haut-Canada, au début du XLXe siècle, sa population totale

équivaut seulement au quart de celle du Bas-Canada65. La production agricole bas-

canadienne se concentre donc sur l'exploitation du blé, élément essentiel à la composition

63 Plus spécifiquement, le régime seigneurial sera aboli au milieu du XIXe siècle, soit en 1853. Bernard Bernier, «La pénétration du capitalisme dans l'agriculture», dans Normand Séguin, dir., Agriculture et colonisation au Québec, p. 77. 64 Ouellet, Histoire économique, p. 184. 65 Ouellet, Histoire économique, p. 181-182.

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du pain qui est à la base de l'alimentation de l'époque66. À la base de ces informations, le Bas-Canada devrait être un joueur majeur dans l'économie occidentale ce qui ne s'avère pas être le cas. En réalité, la situation agricole de la vallée du Saint-Laurent est de moins en moins reluisante. Comme le problème semble ne pas provenir de la demande, il doit se retrouver dans l'offre. Deux facteurs sont principalement responsables des déboires des agriculteurs au début du siècle : une série de mauvaises années de récolte et les pratiques agraires désuètes des Canadiens-Français.

Tel que précédemment mentionné, les exportations en provenance du Bas-Canada fléchissent sérieusement à partir de 1803. Le début du siècle marque le commencement d'une longue série de récoltes lamentables qui continueront à être de moins en moins productives67. Ces faibles rendements peuvent être entre autres attribués à la détérioration des conditions climatiques de la vallée du Saint-Laurent au début du siècle 8. La malchance des agriculteurs ne s'arrête cependant pas au mauvais temps. Les ravages causés par les insectes, comme la « wheat midge » et la mouche de Hesse, ont détruit tout au long du XLXe siècle les labeurs des paysans69. U est donc vrai que le blâme de la crise agricole ne réside pas entièrement sur les épaules des fermiers et des dirigeants de la colonie du Bas-Canada. La plupart des historiens étudiant le XIXe siècle sont d'accord pour affirmer que ces éléments sont davantage des causes conjoncturelles. Certes, le mauvais temps et les infestations n'ont pas aidé la cause des agriculteurs, mais pour réussir à comprendre cette crise, il faut également considérer le facteur humain. Le maintien de techniques agraires dépassées par le biais de la décision britannique de 1760 de conserver le système seigneurial est à la base de cette crise. En d'autres mots, la mauvaise gestion agricole peut être considérée comme la cause structurelle.

Au début des années 1800, les terres longeant le Saint-Laurent sont cultivées de la même manière depuis bientôt 200 ans. Le régime seigneurial survit à un changement de

66 Fernand Ouellet, Élément d'histoire sociale du Bas-Canada, Montréal, Hurtubise HMH, 1972, p. 42. Collection histoire.

Ouellet, Histoire économique, p. 184. 68 John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Québec, Septentrion, 1995, p. 196. 69 Robert Leslie Jones, «French-Canadian Agriculture in the St. Lawrence Valley, 1815-1850», Agricultural History, Vol. 16, No. 3 (juillet 1942), p. 141.

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régime malgré le fait qu'il ne cadre aucunement avec la conception anglaise de la propriété terrienne . Le système seigneurial demeure tout de même présent au Bas-Canada, conservant sa hiérarchie et ses mœurs au sein de la société bas-canadienne . Selon la tradition européenne, il était interdit de semer du blé sur un même lot de terre deux années successives. Cette méthode a pour objectif la régénérescence des sols et éviter leur épuisement. Toutefois, au fil des générations, les colons du Bas-Canada ont délaissé cette pratique. Comme les terres autour du Saint-Laurent sont relativement abondantes à l'époque française, il est plutôt de commun usage de semer le blé dans une section fraîchement déboisée de sa terre lorsqu'une section démontrait des signes de fatigue72. Dans l'éventualité où un fermier respecte les vieilles traditions, les terres en jachère sont rarement bonifiées d'engrais. Peu de colons sèment de l'herbe ou du trèfle sur leurs terres en repos . L'épandage de fumier n'est pas une pratique commune. En fait, jusqu'en 1860, la majorité des colons de la vallée du Saint-Laurent préfèrent, une fois l'hiver venu, entasser le fumier sur la rivière gelée et laisser couler ce fertilisant dans les cours d'eau 4. D n'est donc pas difficile d'imaginer que ce système agraùe a appauvri les sols à un point tel qu'au début du XLXe siècle, les récoltes se sont complètement effondrées.

Durant le régime français, l'interaction avec les marchés voisins n'est pas une priorité, faute de demande. La production intérieure répond en général aux besoins de la population. De plus, la précarité de l'époque entraîne la formation d'une société ayant l'habitude d'être autosuffisante, autant en matière de nourriture qu'en matière d'objets de consommation75. Toutefois, le régime britannique vient brouiller les cartes du système actuel qui est davantage tourné vers l'isolationnisme économique. Un marché international s'ouvre

70 Suite à la conquête de 1760, les Britanniques attribuent au système seigneurial la responsabilité du sous-développement de la colonie, au même niveau que le monopole existant dans le commerce des fourrures. La survie des seigneuries comme pratique agricole est due aux gouverneurs anglais qui voient chez les seigneurs une figure d'autorité. Le système seigneurial maintient, dans l'ancienne colonie française, une structure hiérarchique, essentielle dans la conjoncture sociale de l'époque. Ouellet, Élément d'histoire sociale, p. 96-98. 71 Le système seigneurial obtient officiellement la sanction légale des Britanniques en 1766, quelques années après la conquête. Morris Altman, « Land Tenure, Ethnicity, and the Condition of Agricultural Income and Productivity in Mid-Nineteenth-Century Quebec», Agricultural History, vol. 72, no. 4 (automne 1998), p. 708. 72 Ouellet, Le Bas-Canada, p. 189. 73 Jones, «French-Canadian Agriculture», p. 140. 74 Jones, «French-Canadian Agriculture», p. 141. 75 Jones, «French-Canadian Agriculture», p. 139.

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graduellement aux Canadiens-Français. Afin d'y participer, ces derniers se tournent

naturellement vers leur matière première, le blé. Pendant plus de quarante ans, soit à partir

de la conquête de 1760, la production massive et presque exclusive de blé a permis au Bas-

Canada de s'extirper de l'agriculture de subsistance et de s'intégrer à ce marché

international. Cependant, les terres de la vallée du Saint-Laurent s'épuisent dès le début du

XLXe siècle. La demande sur le marché augmente, mais la production de blé du Bas-

Canada est incapable de répondre aux besoins, tant au niveau de la qualité que de la

quantité. Au cours des années 1820, les récoltes de blé se sont tellement dégradées que les

produits céréaliers du Bas-Canada ne peuvent pas égaler ceux des États-Unis en terme de

qualité. Dans les Journaux de l'Assemblée législative du Bas-Canada (JALBC) de 1823, un

témoin explique que « les blés du district de Montréal ne peuvent produùe une assez bonne

farine (pas assez blanche) pour concurrencer la farine américaine sur le marché des Indes

occidentales »7 .

En définitive, la situation agricole de la vallée laurentienne dans la première moitié du

XLXe siècle est moins que reluisante. Les bouleversements climatiques et les pratiques

agraires vétustés affaiblissent considérablement le système seigneurial du Bas-Canada.

Cependant, l'agriculture n'est pas le seul élément à modifier le visage socio-économique

du territoire laurentien. Les mouvements migratoires, autant à l'extérieur qu'à l'intérieur du

Bas-Canada, sont également significatifs au XLXe siècle. Cette mouvance des masses va

non seulement altérer considérablement la vie dans la vallée du Saint-Laurent, mais elle va

ultimement permettre l'ouverture de nouveaux foyers de population dans les colonies de

l'Amérique du Nord britannique.

7.2.2. Les mouvements de population

Le XLXe siècle, pour les colonies britanniques, mais aussi pour le reste de l'Amérique

du Nord, est synonyme de mouvements migratoires. Comme nous l'avons vu

précédemment, le gouvernement colonial, se sentant de moins en moins menacé par un

envahisseur provenant de l'extérieur, se concentre sur le potentiel en ressources naturelles

76 Journaux de l'assemblée législative du Bas-Canada (1823), app. G, rapport de la société d'agriculture. Cité dans Ouellet, Le Bas-Canada, p. 179.

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que recèlent ses propres terres. Cependant, l'exploitation de ces nouvelles richesses doit se faire par l'entremise de la colonisation de peuplement.

Dans le cas du Bas-Canada, deux types de mouvements migratoires sont particulièrement pertinents. Le premier auquel il sera important d'y porter attention est celui de l'immigration d'Européens vers le Bas-Canada et la vallée du Saint-Laurent. Ce mouvement de population, outre le fait d'imposer une pression énorme sur un système agraùe déjà déficitaùe, est d'une importance capitale dans le cadre de la présente recherche. Le deuxième mouvement migratoire observé est celui du départ d'habitants canadien-français vers des contrées à l'extérieure de la colonie, particulièrement au nord des États-Unis. D est indéniable que l'exode de Canadiens-Français au XLXe siècle peut être lié aux multiples problèmes de nature agraire que connaît le Bas-Canada. Un survol rapide des mouvements migratoires au Bas-Canada est de mise pour comprendre davantage la crise que connaît cette société.

1.2.2.1. L'immigration au Bas-Canada

Tout au long du XLXe siècle, l'Amérique du Nord accueille des millions d'immigrants,

généralement en provenance de l'Europe. Ces gens quittent leur demeure pour différentes

raisons et ont certainement des objectifs différents une fois la traversée de l'Atlantique

complétée. Le Bas-Canada accueille un bon nombre de ces nouveaux arrivants, du moins,

assez pour significativement changer l'allure démographique de la colonie.

L'Europe, comme le reste de la planète, connaît une poussée démographique fulgurante tout au long du XLXe siècle. En un peu plus de 100 ans, la population mondiale double soit de 874 millions d'humains en 1800 à 1,7 milliard d'habitants à l'aube de la Première Guerre mondiale77. Cette augmentation soudaine peut être expliquée par le déclin important du taux de mortalité78. Certains facteurs comme une meilleure hygiène ou la diminution des épidémies et des campagnes guerrières sont responsables de ce changement

Courville, Immigration, colonisation, p. 10. 78 II est tout de même intéressant de noter que le taux de natalité est aussi en chute libre à cette époque. La plupart des pays de l'Europe occidentale connaissent une légère baisse ou, comme en Grande-Bretagne, une relative stabilité. Courville, Immigration, colonisation, p. 11.

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démographique. On estime donc qu'entre 1815 et 1914, 35 millions d'Européens ont quitté le Vieux Continent pour le Nouveau Monde79. D est donc vraisemblable de croire que la pression démographique soit responsable de cette migration massive. Cependant, selon l'historien Dudley Baines, il est encore difficile de saisù les raisons derrière cet exode vers les Amériques, surtout en relation avec l'ampleur du mouvement . Contrairement aux Mandais, les immigrants européens ne font pas tous face à un bouleversement social tel que la famine. Toujours selon Baines, une étude plus locale pourrait permettre de mieux répondre à ces questions que les analyses quantitatives de grandes envergures81. Les historiens étudiant les mouvements migratoires s'entendent toutefois pour identifier trois grandes vagues d'immigration au XLXe siècle vers l'Amérique du Nord : 1815 à 1860, 1861 à 1890 et 1891 à la Première Grande Guerre82. Comme ce mémoire porte sur la période ente 1812 et 1870, la première vague sera donc analysée plus en détail.

Le premier mouvement migratoire est en grande partie composé d'individus en provenance des îles Britanniques. On dénombre entre autres une grande quantité d'immigrants ùlandais. Ceci n'a rien d'étonnant. Cette première vague coïncide notamment avec deux épisodes de famines en Irlande, soit de 1821 à 1823 et de 1846 à 184883. Dans ce geme de cùconstances, il est claù que les Irlandais voyaient l'Amérique comme une échappatoire à leur misère, une chance de recommencer leur vie dans un environnement moins hostile. La première vague d'immigration démontre donc l'intérêt de la classe populaùe anglo-saxonne pour l'émigration84. Plusieurs immigrants verront leur rédemption dans les terres quasi vierges des États-Unis. II reste qu'un petit pourcentage d'immigrants préférera tenter leur chance au Bas-Canada.

Selon YHistorical Atlas of Canada, l'immigration vers l'Amérique du Nord britannique pour la période de 1831 à 1836 se chiffre à environ 243 000 Européens. Sur ce

79 Courville, Immigration, colonisation, p. 14. 80 Dudley Baines, «European Emigration, 1815-1930: Looking at the Emigration Decision Again», Economic History Review, vol 47, no. 3 (août 1994), p. 525. 81 Baines, «European Emigration», p. 540. 82 Courville, Immigration, colonisation, p. 16. 83 Ce dernier épisode de famine a été tellement sévère qu'elle a poussée plus de 2 millions d'Irlandais à quitter l'île en destination de l'Amérique. Michel Mourre, Le petit Mourre, «Irlande», p. 589. 84 Courville, Immigration, colonisation, p. 16.

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nombre, 19 000 choisissent de s'établù dans la région de la vallée de l'Outaouais85. Ce chiffre n'est pas à prendre à la légère. Toujours selon la même source, pour cette même période, la vallée de l'Outaouais représente la destination la plus populaire pour les immigrants britanniques au Bas-Canada86. Certes, les travaux du canal Rideau ont probablement contribué à attirer un grand nombre de travailleurs, mais il est intéressant de noter qu'à la même époque, le commerce forestier est en pleine expansion et les chantiers de bois font leur apparition sur les rives de la rivière Gatineau. Il est donc possible que l'abondance de travail dans la région de l'Outaouais et la présence de terres non occupées ont été des facteurs primordiaux à l'établissement de ces immigrants.

1.2.2.2. L'émigration au Bas-Canada

Parallèlement à l'arrivée massive d'immigrants au Bas-Canada, la vallée du Saint-Laurent est aux prises avec le départ de plusieurs milliers de Canadiens-Français vers les États-Unis, particulièrement en Nouvelle-Angleterre. Entre 1840 et 1860, on estime à 22 000 le nombre d'individus qui quittent définitivement leur demeure pour tenter leur chance de l'autre côté de la frontière87. L'exode des Canadiens-Français s'inscrit dans une suite logique de problèmes que subit le Bas-Canada depuis le début du XLXe siècle. D n'est pas difficile de croire que la crise agricole et l'immigration d'origine européenne dans la vallée du Saint-Laurent sont des facteurs clés ayant provoqué ce phénomène social.

L'émigration de Franco-canadiens vers les États-Unis se produit à un moment où le Bas-Canada est incapable de subvenir aux besoins de la population qui subit une poussée démographique sans précédent. Entre 1815 et 1840, le taux de natalité se maintient autour des 50 par 1000 habitants88. D'un point de vue quantitatif, la population du Bas-Canada augmente de 400 % entre 1784 et 1844. Cependant, la superficie des terres occupées ne

85 R. Louis Gentilcore, dir., Historical atlas of Canada : Volume II, The land Transformed 1800-1891, Toronto, University of Toronto Press, 1993, Plate 9. 86 Voici le nombre approximatif d'immigrants par région : Québec, 18 000; Montréal, 14 000; les Cantons-de-l'Est, 9000 et 2000 pour Trois-Rivières. Gentilcore, Historical atlas, Plate 9. 87 Yves Roby, Les franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre : Rêves et réalités, Québec, Septentrion, 2000, p. 18. 88 Ouellet, Le Bas-Canada, p. 214.

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s'accroît que de 275 %89. En combinant ce dernier élément à l'appauvrissement du sol et à l'immigration, la vallée du Saint-Laurent ne peut simplement plus assurer le bien-être de ses occupants.

Le mouvement migratoire débute lentement. Comme les nombreux travailleurs qui se déplaceront vers les chantiers de bois dans l'ouest du Bas-Canada, plusieurs jeunes hommes vont tenter leur chance dans les forêts du Maine ou les briqueteries du Vermont

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afin de trouver du travail saisonnier . Comme il est de plus en plus difficile de trouver une terre à cultiver dans les seigneuries, on cherche des alternatives pour soutenir sa famille. Par exemple, plusieurs seront incapables de résister au salaire offert aux nouvelles recrues par l'armée américaine lors de la guerre de Sécession91. On estime à 40 000 le nombre de soldats canadiens-français ayant combattu au côté de l'Union pendant ce conflit92. Malgré le fait que cette guerre eut peu ou pas de répercussions en Amérique du Nord britannique, elle reste charnière à l'exode canadienne-française. Avant la guerre civile américaine, le mouvement migratoire des Canadiens Français est davantage saisonnier, ceux-ci profitent principalement d'opportunités d'affaires rapides, telles que le travail de chantier forestier. Suite à la victoire des nordistes en 1865, la migration redouble d'intensité et les séjours sont de plus en plus longs. En effet, il semble y avoù une corrélation entre la fluctuation des marchés et l'émigration canadienne-française. On observe une augmentation d'immigrants en Nouvelle-Angleterre en période de prospérité économique (comme en 1865-1873 et 1879-1882) et une augmentation du retour de Canadiens Français au Bas-Canada en période de récession (comme en 1873-1879)93. À la fin du XLXe siècle, certains estiment le nombre de Canadiens-Français aux États-Unis à plus d'un demi-million94. Ds ont quitté leur patrie dans l'espoù de trouver ailleurs une vie meilleure, comme les immigrants européens espéraient le découvrir à leur arrivée en Amérique.

89 Roby, Les Franco-Américains, p. 18. 90 Roby, Les Franco-Américains, p. 19. 91 «Guerre civile qui déchira les États-Unis de 1861 à 1865, en opposant les États du Nord (Union) et les États du Sud (confédérés)». Mourre, Le petit Mourre, «Sécession (guerre de)», p. 1071. 92 Iris Saunders Podea, «Quebec to « Little Canada » : The Coming of the French Canadians to New England in the Nineteenth Century», The New England Quarterly, vol. 23, no. 3 (septembre 1950), p. 367. 93 Roby, Les Franco-Américains, p. 28. 94 Podea, «Quebec to « Little Canada » », p. 379.

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Le Bas-Canada se transforme considérablement au cours du XLXe siècle. La mauvaise

gestion agricole cause des dommages inouïs à l'économie de la vallée du Saint-Laurent. Le

système seigneurial est incapable d'absorber la poussée démographique que connaît le pays

à cette époque. L'arrivée massive d'immigrants en provenance de l'Europe n'aide pas la

situation de la vallée laurentienne. Le pouvoù colonial doit donc trouver des alternatives

pour accommoder ces nouveaux arrivants. Du point de vue des Canadiens-Français, la

main-d'œuvre locale, qui est de moins en moins capable de subvenir à ses besoins, quitte

tout simplement la colonie afin de profiter de l'expansion économique de la Nouvelle-

Angleterre. Dans ce climat d'incertitudes économique et politique95, une nouvelle industrie

se développe basée sur les ressources forestières. Certaines régions du Bas-Canada en

profitent. D'autres, comme l'Outaouais, sont presque exclusivement fondées sur le

commerce du bois.

1.3. L'Outaouais : te r re en émergence

Les mouvements migratoùes sont au cœur de l'histoire de l'Outaouais. Les premiers

colons à s'installer sur ces terres ont comme objectif de forger une nouvelle société à

l'extérieur des balises socio-économiques quelque peu contraignantes de la vallée du Saint-

Laurent. Étonnamment, le tout premier groupe à fouler le sol de la Gatineau n'est pas

directement originaùe des îles Britanniques, contrairement à la majorité des nouveaux

arrivants au Bas-Canada de cette époque. Malgré le fait que les colons de l'Outaouais aient

les mêmes intentions et inspirations que leurs congénères européens débarquant au port de

Québec, ces nouveaux habitants proviennent plutôt de cette nouvelle république située au

sud du Bas-Canada : les États-Unis.

1.3.1. Philemon Wright et le système de colonisation « Leader et associés »

Les premiers pionniers à coloniser le confluent de la rivière des Outaouais et de la

rivière Gatineau sont originaires du Massachusetts avec comme leader Philemon Wright.

95 II est important de mentionner que les rébellions de 1837-38 ont été l'une des réactions face à ces transformations. L'économie locale défaillante, l'émigration et la dépendance grandissante au travail salarié (notamment dans le secteur forestier) ont été à l'origine de ce mouvement. Dickinson et Young, Brève histoire, p. 130.

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Ce dernier, issu d'une lignée habituée à travailler la terre, décide de quitter le giron familial pour tenter sa chance ailleurs. À la suite de plusieurs visites au Bas-Canada à partir de 179696, Wright fixe son choix sur les terres qui deviendront plus tard la ville de Hull.

Philemon Wright arrive donc le 20 mars 1800 sur ses nouvelles terres accompagnées d'une soixantaine de personnes, toutes prêtes à construire un nouveau village et à travailler le sol97. D est important de mentionner que Wright et sa troupe n'ont pas choisi la vallée de l'Outaouais pour sa richesse forestière; Philemon Wright a comme but premier de former une nouvelle société basée sur l'activité agricole et la propriété foncière, comme ses ancêtres l'ont fait au Massachusetts pendant plus de 200 ans98. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont poussé Wright à entreprendre une migration vers le Bas-Canada. Ce dernier cherchait entre autres un endroit où sa famille pourrait prendre de l'expansion sans restriction. Les anciennes colonies britanniques sur la côte de l'Atlantique, dont le Massachusetts, subissent une pression démographique importante et certains habitants préfèrent quitter leur terre natale pour un endroit ayant un plus grand potentiel en termes d'expansion territoriale pour les générations futures. Ce même phénomène aura lieu dans la vallée du Saint-Laurent quelques décennies plus tard.

La présence de Philemon Wright en Outaouais n'est donc pas le fruit du hasard. Il profite en plus d'une politique britannique pour s'établù : le système de colonisation des Leaders and Associates. Dès la fin du XVIIIe siècle, cette mesure incitative sera l'outil de prédilection du régime anglais afin d'occuper et de coloniser les terres de l'ensemble de l'Amérique du Nord britannique. Ce système attribue donc à un leader la responsabilité d'organiser et de distribuer une étendue de terres dans le but de développer un canton, libérant ainsi complètement le gouvernement britannique de cette tâche, particulièrement au niveau financier de l'entreprise . Il est intéressant de noter que ce genre plutôt discret

96 Chad Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 125. 97 Fernand Ouellet et Benoît Thériault, «Philemon Wright», dans Dictionnaire biographique du Canada en ligne. 98 Ouellet et Thériault, «Philemon Wright». 99 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 124.

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de gestion coloniale n'est pas étranger aux autorités britanniques. D n'est pas difficile de tisser des liens entre ce système de colonisation et la politique de l'indirect rulei0°.

La présence des Wright sur la rivière des Outaouais permet de tuer certaines conclusions. En premier lieu, le gouvernement britannique a un réel désù de coloniser son territoùe. Réalité socio-économique oblige, le gouvernement colonial doit offrir aux colons une alternative aux problèmes rencontrés dans la vallée du Saint-Laurent. Cependant, le système du Leader and Associates connaît de sérieuses ratées. À l'époque où Philemon Wright entreprend son périple du Massachusetts à la rivière Gatineau, le courant migratoire n'en est pas encore à son apogée. Il faudra attendre en 1815 avant d'effectivement parler d'une vague d'immigration ayant une répercussion notable sur la démographie de l'Amérique du Nord101. Peu de colons sont donc intéressés en 1800 au projet de Wright. En deuxième lieu, comme les autorités britanniques cherchent à avoir le moins de responsabilités financières dans ces nouveaux développements coloniaux, les leaders sont automatiquement propriétaùes de grandes quantités de terres qu'ils doivent généralement redistribuer à de nouveaux colons pour former « des communautés structurées dans le style de la hiérarchie britannique »102, c'est-à-dire sous la forme de cantons. Toutefois, en concentrant une majorité des sols entre les mains de quelques individus, il n'est pas

10^ v

impossible que certains individus voient en cela une opportunité financière alléchante . A cet effet, plusieurs leaders sont directement accusés d'être de simples spéculateurs ayant peu d'intérêts pour la colonisation. Si nous prenons comme exemple l'Outaouais, Philemon Wright et Archibald McMillan104 sont éventuellement accusés de garder pour eux les

100 Les Britanniques ont utilisés cette méthode de colonisation, qui implique de surélever politiquement et socialement une section de la population colonisée pour gouverner sur le reste. En associant les conquis au pouvoir, les autorités britanniques peuvent donc gouverner indirectement. Cette technique fut particulièrement utilisée avec les populations amérindiennes domiciliées sur les rives du Saint-Laurent suite à la conquête de 1760. Jean-Pierre Sawaya, Alliance et dépendance : Comment la couronne britannique a obtenu la collaboration des Indiens de la vallée du Saint-Laurent entre 1760 et 1774, Québec, Septentrion, 2002, p. 12. 101 Serge Courville, Immigration, colonisation, p. 16. 102 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 124. 103 Ouellet, Le Bas-Canada, p. 237. 104 Archibald McMillan, d'origine écossaise, fait traverser plus de 400 Écossais pour s'établir non loin des installations de la famille Wright, soit dans les cantons de Templeton, Lochaber et Grenville à l'est de Hull. Visiblement, ces 400 immigrants n'ont pas été suffisants pour combler les attentes du système des Leaders and Associates. Comme Philemon Wright, il se lancera dans le commerce du bois au courant du X K e siècle. Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 129-130.

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meilleures terres et de ne distribuer que les moins productives105. Rongé par la critique, le

système Leader and Associates est donc définitivement abandonné par le pouvoir

britannique en 1809106.

Malgré l'échec du système Leader and Associates, la colonisation de l'Outaouais

débute malgré tout en 1800 avec l'arrivée du groupe de Wright. Certains phénomènes

sociaux vont progressivement favoriser une expansion territoriale vers l'ouest de la

province, mais le travail des premiers pionniers aura permis d'établir une base solide

propice à une colonisation beaucoup plus substantielle et permanente. Sans Wrightville

et plus tard Bytown108, agglomération établie sur le côté sud de la rivière des Outaouais, le

développement de la rivière Gatineau n'aurait pu se faire durant cette période. Ce centre

« urbain » devient alors essentiel au type d'économie que connaîtra la Haute-Gatineau :

l'exploitation forestière.

1.3.2. L'Outaouais et l'émergence de l'industrie forestière

L'est du Bas-Canada ne se développe donc pas grâce à ses terres abondantes et fertiles.

C'est plutôt l'explosion du commerce du bois au début du XLXe siècle qui va attirer

l'attention des colons et des immigrants vers la rivière des Outaouais. L'abondance de la

ressource et l'établissement d'un climat commercial propice ont pennis à certains individus

d'occuper une place de choix sur les terres de l'Outaouais.

Quand Wright a choisi de s'installer près des chutes de la Chaudière sur la rivière des

Outaouais, sa décision repose alors essentiellement sur le potentiel agricole des terres de la

105 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 130. 106 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 130. 107 Nom donné au village formé par Philemon Wright qui, dans les années 1870, devient la ville de Hull. Donald Mackay, «The Canadian Logging Frontier», Journal of Forest History, vol. 23, no. 1 (janvier 1979), p. 6. 108 Nom originalement donné à la ville d'Ottawa. L'appellation «Bytown» provient du fondateur, lieutenant-colonel John By, qui fait construire, en 1826, un campement près de la rivière des Outaouais afin de loger les travailleurs qui creuseront le canal Rideau. Ce campement attire rapidement marchands et commerçants et en quelques années, il n'est plus question d'installations provisoires, mais bien d'une ville. Bytown deviendra en peu de temps le centre économique de la région, supplantant même Wrightville, fondé l'autre côté de la rivière par Philemon Wright au début du XKe siècle. «Ottawa», dans www.thecanadianencyclopedia.com, Site consultée le 21 septembre 2008.

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région. Malgré la présence d'interminables forêts de pins rouge et blanc, il a cru

impensable de tuer un profit acceptable de cette ressource. Le bois de l'Amérique du Nord

ne peut tout simplement pas concurrencer avec les forêts des pays longeant la mer f AQ

baltique . Même si le bois en provenance du Canada est de bonne qualité, les

Britanniques s'approvisionnent aisément en Russie, en Prusse et au Danemark. Le système

de transport entre l'Europe et l'Amérique n'est pas tellement développé, faute de besoin.

Un voyage de bois en provenance du Canada coûte trois fois plus cher que celui arrivant de

l'Europe de l'Est et, à cette époque, une seule traversée de l'Atlantique est possible par

saison110. Toutefois, cette situation ne durera pas.

Le 21 novembre 1806, l'empereur français Napoléon 1er proclame le décret de Berlin

en réponse au blocus maritime britannique limitant les importations de marchandises sur le

territoùe français. Le nouveau blocus continental de Napoléon stipule entre autres que :

Tout magasin, toute marchandise et toute propriété appartenant à un sujet anglais sont déclarés de bonne prise; le commerce des marchandises anglaises est défendu, et toute marchandise appartenant à l'Angleterre ou provenant de ses fabriques est déclarée de bonne prise; aucun bâtiment anglais ou venu des possessions anglaises ne peut être reçu dans les ports de la France et de ses alliés.111

Ce décret, qui à première vue ne semble en aucun cas relié à la colonisation de la vallée de

l'Outaouais, aura pourtant un impact majeur sur le commerce canadien. Comme le pouvoir

britannique n'a plus accès aux forêts européennes, il se tourne vers ses colonies. Dans son

ouvrage sur le Bas-Canada, l'historien Fernand Ouellet nous présente les moyennes

annuelles d'exportation de produits forestiers au port de Québec. En ce qui concerne le pin

équarri du Bas-Canada, présent en grandes quantités sur la rivière Gatineau et ses environs,

il est possible de constater une augmentation prononcée des exportations en seulement

trente ans. En effet, au début du XLXe siècle, la ville de Québec exporte un peu moins de

40 000 tonnes de pin. Cependant, en 1842, les exportations pour le même produit passent à

310 982 tonnes112.

109 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 6. 110 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 6. 111 Michel Mourre, Le petit Mourre, «Blocus continental», p. 121. 112 Ouellet, Le Bas-Canada, p. 197.

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D est toutefois pertinent de comprendre pourquoi le bois du Canada, suite à la fin du blocus continental, a été en mesure de maintenir sa compétitivité face aux produits forestiers des États-Unis, du Nouveau-Brunswick et du bois de l'Europe du Nord. En effet, en novembre 1811, soit cinq ans après l'instauration des mesures répressives de Napoléon, les deux camps relâchent leur blocus . Les forêts Scandinaves redeviennent donc accessibles à l'Angleterre. Cependant, pendant ces cinq années de mesures coercitives, les ports du Saint-Laurent se sont graduellement adaptés aux particularités du commerce forestier. De surcroît, le pouvoir britannique mesure, pendant le blocus, le plein potentiel économique du Haut et du Bas-Canada. L'Angleterre comprend rapidement que les colonies peuvent être un excellent débouché pour l'exportation de produits britanniques et surtout, un endroit pouvant accueillir les surplus de population. Suite à l'implantation d'un système de transport transatlantique fiable, le bois de l'Amérique du Nord devient assurément plus accessible. Afin de garantir son approvisionnement en produits forestiers, l'Angleterre instaure un système de tarifs préférentiels favorisant ses propres colonies114. Une taxe est d'ailleurs instaurée en 1811 sur le bois en provenance de pays étrangers115. D ne va pas sans dire que ce nouveau prélèvement vise essentiellement les produits forestiers Scandinaves. En d'autres mots, entre 1795 et 1842, le bois en provenance de l'Amérique du Nord britannique entre en Angleterre tout à fait gratuitement, à l'exception d'une petite taxe douanière entre 1821 et 1842116. C'est entre autres pourquoi les tarifs préférentiels ont été maintenus en période de paix et pourquoi l'industrie du bois au Bas-Canada ne s'est pas éteinte à la suite de l'arrêt des conflits entre l'Angleterre et la France.

113 Michel Mourre, Le pet it Mourre, «Blocus continental», p. 121. 114 Ouellet, Le Bas-Canada, p. 198. 115 II est intéressant de noter que ce n'est pas la majorité des marchands britanniques qui sont en faveur des mesures protectionnistes face au bois canadien. Plusieurs affirment que le bois Scandinave est de meilleures qualités pour la construction de navires. A.N. Ryan, «Trade with the Enemy in the Scandinavian and Baltic Ports During the Napoleonic War: For and Against», Transactions of the Royal Historical Society, vol. 12 (1962), p. 134. 116 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 8.

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Figure 2 : Début approximatif du commerce du bois équarri dans l'est du Canada 117

ATLANTIC OCEAN

Mackay, «The Canadian Logging Fronder», p. 9.

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Revenons donc plus précisément aux premiers balbutiements du commerce forestier en Outaouais. Philemon Wright est présent à Québec en novembre 1806 avec son premier train de bois. Ce dernier, ayant investi une somme considérable d'argent dans son projet de colonisation, cherche à trouver des fonds pour financer le développement agricole de

11X

Wrightville . D sait maintenant qu'il est possible, grâce aux conjonctures économiques, de faire un peu d'argent à Québec avec le bois. Il quitte alors la rivière Gatineau le 11 juin 1806 et, selon ses obligations contractuelles, doit amarrer son radeau composé de 6000 billots à Québec à la fin du mois de juillet119. Malgré certaines embûches, Wright réussit à atteindre sa destination, mais avec un peu de retard. Comme il arrive le 12 août, le contrat qu'il a signé au début de l'été 1806 est résilié et il doit maintenant démanteler et vendre son radeau de bois autrement. Wright termine sa tâche au mois de novembre grâce à l'arrivée

170

d'un convoi maritime à Québec . Le premier train de bois de la famille Wright n'est donc pas très profitable. Les choses ne tardent cependant pas à changer, donnant du même coup un net avantage à la famille Wright dans l'exploitation des ressources forestières de l'ouest du Bas-Canada.

Le commerce du bois s'installe donc dans la vallée de l'Outaouais avec à sa tête ï ")\

Philemon Wright et quelques autres industriels intrigués par le potentiel de la région . Comme nous pouvons le voù à la figure 2, l'exploitation classique du bois commence entre Montréal et la région de l'Outaouais entre 1806 et 1820. Il est possible de voù une progression similaire du niveau d'activités dans les ports du Saint-Laurent, particulièrement à Québec. Comme mentionnée précédemment, la vocation portuaire de cette dernière ville se transforme considérablement à partù de 1806 afin d'accueillir les ressources forestières et surtout d'accommoder un trafic maritime qui ne cesse d'augmenter. En effet, en 1812, 362 navires de marchandises quittent la ville de Québec. En 1825, le nombre de vaisseaux augmente à 796 contenants près de 9000 hommes 118 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 131. 119 Mackay, «The Canadian Logging Frontier», p. 6. 120 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 6. 121 Pour nommer quelques acteurs importants dans le commerce du bois : la famille McMillan dans la région du canton de Lochaber; la famille Papineau dans la seigneurie de la Petite-Nation; les frères Hamiltons sur la rivière Gatineau; la famille Gilmour également sur la Gatineau et la famille McLaren sur la rivière la Lièvre. Sur ces derniers, voir Pierre Louis Lapointe, La vallée assiégée; Buckingham et la Basse-Lièvre sous les MacLaren, 1895-1945, Gatineau, Vents d'Ouest, 2006, 278 p.

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d'équipage122. Le commerce du bois est alors en pleine expansion. Le voyagement du bois est cependant long. Entre le point initial de coupe, par exemple la région du Baskatong au nord de Maniwaki, et son point d'arrivée, le port en Angleterre, plus de deux ans peuvent s'écouler1 3. Malgré cela, la première moitié du XLXe siècle est synonyme d'essor commercial pour le Bas-Canada et particulièrement pour l'Outaouais, grâce entre autres à la modification relativement rapide des ports du Saint-Laurent. En moins de quarante ans, la région à l'embouchure des rivières Outaouais et Gatineau est passée d'un endroit totalement inhabité à l'un des plus grands producteurs de matière première de la colonie. La majorité de ce développement est due aux actions de Philemon Wright.

Les développeurs forestiers se tournent officiellement vers le haut de la rivière Gatineau au début des années 1830. Philemon Wright, qui siège à l'Assemblée législative du Bas-Canada en tant que représentant du nouveau comté d'Ottawa, travaille pour le bien-être de ses concitoyens, mais aussi pour celui de sa famille. En effet, en 1832, la Crown Timber Office octroie à la famille Wright124 et à quelques exploitants la « Gatineau Priviledge », mesure assurant le monopole de la coupe de bois sur la rivière Gatineau125. Certains commerçants exclus de cette entente, tels que Nicholas Sparks126 de Bytown, critiquent et contestent la Gatineau Priviledge en tenteront même de s'accaparer le bois de la rivière Gatineau . Ce privilège est néanmoins maintenu jusqu'en 1843. Dans le cadre de cette recherche, l'époque de la Gatineau Priviledge et les années subséquentes est d'une importance significative. Les chantiers et les bûcherons font graduellement leur apparition sur le territoire128. Il reste que les terres autour de ces chantiers sont toujours la propriété de

122 Ouellet, Le Bas-Canada, p. 199. 123 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 33. 124 II est particulièrement question des fils de Philemon Wright : Tiberius, Ruggles et Christopher Columbus. Selon la Gatineau Privilege, chacun avait le droit de prendre 2000 pins rouge par an sur la rivière Gatineau. Hughson, Hurling Down the Pine, p. 22. 125 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 79. 126 Nicholas Sparks est un immigrant Irlandais qui, en 1816, s'est engagé au service de Philemon Wright. Son nom est toujours connu aujourd'hui grâce ses initiatives commerciales. En 1821, Sparks achète de l'arpenteur John Burrows Honey 200 acres de terrain qui, peu de temps après, devienne le centre-ville de Bytown. Ce lot de terre fait de Sparks un homme fortuné et de haut rang. Une artère principale du centre-ville d'Ottawa est nommée en son nom. «Nicholas Sparks», Dictionnaire biographique du Canada. 27 David Lee, «Logging and Lumbering on the Gatineau River», Up the Gatineau!, vol. 34, 2008, p. 34.

128 II est tout de même intéressant de noter que nous parlons d'une entrée officielle sur le territoire. Il est fort probable que certains cantons du nord de la Gatineau ont été exploités avant même l'instauration de la Gatineau Privilege.

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la Couronne. Cette ouverture partielle au territoire intérieur, toujours à l'encontre d'une possible colonisation officielle menée par le gouvernement ou les institutions religieuses, limite techniquement l'entrée de colons sur la rivière Gatineau. Toutefois, certains habitants prennent tout de même le risque d'occuper illégalement les terres de la Couronne dans l'espoir de suivre les traces de Philemon Wright.

Malgré les nobles intentions agraires de Philemon Wright, qui vont d'ailleurs perdurer jusqu'à sa mort en juin 1839, le commerce forestier devient rapidement la principale source de revenues dans l'ouest du Bas-Canada. L'activité forestière intense est cependant éphémère. Comme le démontre toujours la figure 2, en moins de cinquante ans, la « frontière » forestière a déjà outrepassé la région de l'Outaouais pour atteindre les terres dans la région des Grands Lacs. Le périple de Philemon Wright démontre bien l'évolution du commerce forestier en Outaouais. En très peu de temps, cette industrie explose et devient le moteur du développement économique de la région.

Wright offre toutefois le point de vue d'un membre actif de la société, voue d'un pionnier soutenu par les réglementations de l'État. Ses actions, principalement dans le domaine forestier, ainsi que celles de ses contemporains, ont ouvert une brèche dans la Haute-Gatineau qui, peu de temps avant, était une région pratiquement inaccessible. Les terres, maintenant à portée de main, restent malgré tout la propriété de la Couronne. Légalement, personne ne peut s'y installer sans le consentement du pouvoir colonial. À la suite de ce retour historique sur le développement socio-économique du Bas-Canada au XLXe siècle, nous proposons donc d'explorer la région de la rivière Gatineau dans le but de vérifier si elle est effectivement totalement inhabitée ou bien si quelques individus ont bravés la loi ainsi que la nature afin de profiter des attributs de ce nouveau territoire maintenant accessibles.

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2. Les squatters de la rivière Gatineau

Le Bas-Canada du XLXe siècle, comme nous l'avons vu au chapitre précédent, est un milieu en pleine effervescence. Plusieurs phénomènes historiques, à la fois aux niveaux national et international, ont permis à certaines régions, dont l'Outaouais, de connaître une époque de développement hors du commun. Grâce à l'accroissement du niveau d'activités économiques, notamment promulgué par les compagnies forestières, nous présumons un certain nombre d'individus ou de familles semble profiter de cette ouverture territoriale dans le but de coloniser, certes illégalement, les terres aux abords de la rivière Gatineau. Cependant, l'étude de ces squatters129, une population essentiellement clandestine, peut s'avérer délicate.

Qui sont-ils? Que connaissons-nous d'eux? Ces questions seront au cœur de ce chapitre. Notre premier constat lors de l'étude des squatters de la rivière Gatineau au XLXe siècle est le manque de vestiges archivistiques laissés par ce segment de la population. Il est presque impossible de consulter des sources directes pouvant nous éclaùer sur leurs espérances, leurs déceptions ou leurs motivations personnelles d'avoir choisi la Haute-Gatineau comme terre d'accueil. Afin de saisir quelques bribes de ces états d'âme, il a fallu donc chercher ailleurs, trouver des acteurs ayant été en contact dùect avec les squatters et

129 Selon le dictionnaire Larousse, un squatter, dans le contexte de cette étude, est un «[...] pionnier qui s'aventure et se fixe dans les territoires non encore occupés ». « Squatter », Larousse.fr, site consulté le 12 avril 2010.

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qui ont eu le temps, ou la bienveillance, de noter leurs expériences. Dans ce chapitre, nous

cherchons premièrement à prouver l'existence d'une population de squatters dans la vallée

de la rivière Gatineau au XLXe siècle tout en présentant les principales sources utilisées.

Pour ce faire, nous avons consulté deux groupes de sources qui s'avèrent essentielles à

cette recherche : les archives d'arpentage ainsi que les rapports de missionnaires.

En deuxième lieu, la consultation de certaines sources telles que les listes de squatters

laissées par certains arpenteurs et l'ouvrage de référence intitulé «Liste des terrains

concédés par la Couronne dans la province de Québec de 1763 au 31 décembre 1890 » ,

permet de mieux définir ce segment de la population. Cette méthode de travail permet entre

autres d'établir la répartition des squatters en Haute-Gatineau. De plus ont été rapiécées les

informations qualitatives portant sur ces squatters afin d'élaborer un portrait général de

cette population. Cet exercice doit cependant se faùe en étant amplement conscient des

limites de nos sources qui, malgré leur importance, restent tout de même indirectes.

2.1. Les archives d 'arpentage

Le premier acteur indirect présent sur le territoùe à cette époque est l'arpenteur-

géomètre. Ce dernier, envoyé sur le terrain afin de mettre en place un ordre logique à un

environnement dit « sauvage », est en quelque sorte le premier représentant du

gouvernement à débuter le processus de légitimation de la terre. Ce témoin oculaire permet

donc d'avoir une image relativement précise du lieu visité avant l'ouverture officielle des

terres à la colonisation. Comme nous le verrons, à quelques reprises, l'image captée par

l'arpenteur contient plus que des données techniques, telles que la richesse du bois et des

sols, mais bien de l'information sur les habitants déjà établis sur les terres de la Couronne.

2.1.1. La source, ses limites et l'importance de John Newman

Les archives d'arpentages disponibles au MRNFQ peuvent être divisées en trois

groupes, soit les carnets, les rapports et les cartes géographiques. Ces groupements

130 J.C. Langelier, Liste des terrains concédés par la Couronne dans la province de Québec de 1763 au 31 décembre 1890, Québec, Charles-François Langlois, 1891, 1921 p.

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présentent chacun des avantages intéressants en termes d'information sur les squatters, mais aussi des inconvénients inévitables.

Les carnets d'arpentages ont été les premiers documents dépouillés dans le cadre de cette étude portant sur les squatters du XLXe siècle. Ces documents, produits directement sur le terrain, contiennent généralement les calculs d'arpentages permettant à l'arpenteur de produire éventuellement une carte géographique de l'espace visité et mesuré. Dans la grande majorité des carnets, une rubrique intitulée « remarques » figure au côté de la colonne de calculs d'arpentages. À cet endroit, l'arpenteur y note ses observations qui concernent généralement le type de bois présent sur le terrain et la qualité du sol. Ces remarques permettent aussi à l'arpenteur de décrire brièvement l'environnement du territoùe visité. C'est dans cette rubrique qu'il est potentiellement possible de trouver des informations sur l'établissement des squatters. Malheureusement, peu d'arpenteurs ont délibérément outrepassé leur mandat pour inclure dans leurs remarques des données démographiques. Les quelques arpenteurs ayant noté leurs observations sur les habitants illégaux ont cependant laissé suffisamment d'information, permettant d'avoir tout de même un bref aperçu de la répartition démographique des colons illégaux de la région de la rivière Gatineau.

Le deuxième groupe de sources disponibles aux archives d'arpentages est composé des rapports produits par les arpenteurs une fois leurs tâches sur le terrain terminées. Comme c'est le cas des carnets, la majorité des rapports suivent une certaine logique préétablie. Il est premièrement question du travail accompli. L'auteur relate les moindres faits et gestes concernant l'arpentage du territoire donné. Par exemple, lors de l'arpentage du canton de Bouchette en 1857, John Holmes explique ses démarches. «On the 14th July last, where after determining by astronomical observation the variation of the magnetic [middle], I run the center line of the said Township to intersect the rear line run by M. Sinclair [ . . . ] » . Ces explications, qui occupent en moyenne la moitié des rapports, restent sommes toutes compliquées et moins pertinentes pour l'étude d'une population. L'arpenteur poursuit en

131 Archives d'arpentage MRNFQ, dossier 101570, John Holmes, «Explanation of the Amount Surveyed in the [Residue] of the Township of Bouchette», 4 décembre 1857.

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décrivant l'envùonnement du territoùe sondé. Encore une fois, il est principalement question de la qualité du sol et du type de bois. Cependant, une bonne partie des auteurs se prononcent également sur le potentiel de colonisation de la région explorée. La fin du rapport contient généralement l'ensemble des informations qualitatives. Si l'arpenteur croise lors de son séjour un groupe de squatters, c'est à cet endroit dans le rapport qu'il nous renseignera sur leur nombre ou sur l'étendue des terres qu'ils occupent. Cependant, comme dans le cas des carnets, tout repose sur le sens d'observation de l'auteur et son intérêt personnel à identifier ce segment de la population.

Finalement, des cartes géographiques et topographiques produites par les arpenteurs forment le troisième groupe de sources disponibles au MRNFQ. Dans le cadre de cette étude, ces plans viennent principalement soutenir comme aide visuelle les carnets et les rapports d'arpentages. Les cartes géographiques permettent d'avoir un aperçu du découpage territorial de la Haute-Gatineau au XLXe siècle. De plus, l'étude approfondie de ces documents nous éclaire sur le jargon employé par les arpenteurs dans les autres sources. Enfin, ces représentations géographiques nous permettent de tracer des liens entre l'établissement de squatters dans une région précise et l'envùonnement physique qui les entoure. Malgré le fait que les groupements de populations clandestines sont souvent inexistants sur les cartes, ce n'est pas le cas des chantiers de bois, des campements de missionnaires et des réserves amérindiennes qui sont clairement définis. En effectuant un croisement de sources, il est possible de constater certains liens, potentiellement à des fins de coexistence.

Bref, en recourant à ce type de sources, il est important de comprendre qu'elles restent essentiellement hermétiques. Les carnets, les rapports et les cartes géographiques laissent définitivement peu de place à l'originalité des auteurs, car ces derniers ont reçu des ordres précis du gouvernement leur demandant de délimiter un territoire donné. Les arpenteurs ne sont aucunement mandatés à faùe une étude ethnologique du territoùe qu'ils explorent. Cependant, de rares exceptions existent. Dans le cas des expéditions en Outaouais, John Newman, arpenteur ayant travaillé grandement à l'exploration et au catalogage de nombreux cantons au Québec et particulièrement dans la vallée de la rivière Gatineau, est

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l'un des seuls à avoir pris en considération dans ses écrits la population établie sur les

terres. En plus de produire des notes sur l'emplacement spécifique de certaines fermes ou

maisonnées, il a, à quelques reprises, compilé des listes nominatives identifiant claùement

les squatters. Ces listes nous donnent habituellement le nom de la personne ainsi que le

nombre d'acres de terre occupés, soit sur la rive est ou ouest de la rivière Gatineau. Par

exemple, il est possible de lire que Thomas Fitzgerald, en 1846, occupait 40 acres de terre

sur la division numéro 15 de la rive ouest de la rivière132. Selon les estimations de

Newman, les squatters nommés sur cette même liste occupaient près de 1500 acres. Les

seules notes de cet arpenteur confirment la présence de squatters sur le territoire délimité

par cette recherche133. Maintenant il reste à savoir s'il est seulement question de petits

groupes isolés cherchant à profiter des ressources naturelles de la région ou bien d'une

population plus substantielle ayant pour but l'établissement d'une communauté et d'un

réseau social.

2.7.2. Les squatters : une présence incontestable

Comme l'arpentage d'un territoire exige un travail à la fois coûteux et laborieux, le

gouvernement du Bas-Canada engage un arpenteur seulement dans le besoin. Très peu de

rapports d'arpentages traitent donc de l'exploration de l'Outaouais avant les années 1840.

Les documents amassés lors du dépouillement au bureau du MRNFQ s'étalent donc de

1846 à 1875.

Il est clairement possible d'affirmer qu'une population de squatters habite aux abords

de la rivière Gatineau au XLXe siècle. De nombreux rapports font état de fermes occupées,

de lots à moitié défrichés et même de conflits entre certains colons et les communautés

amérindiennes de la région. Le cas d'Edward Burk est particulièrement saisissant. Le 29

mars 1849, ce dernier envoie une pétition au Procureur général demandant qu'il puisse

132 Archives d'arpentage MRNFQ, John Newman, «River 18 River Gatineau», 1846. 133 Dans une note insérée dans le carnet intitulé «River 18 River Gatineau», Newman mentionne qu'il existe une communauté considérable de colons sur les abords du Lac Sainte-Marie, situé à l'est de la rivière Gatineau. Sans se prononcer clairement sur la taille de cette «colonie», il explique qu'elle doit être assez considérable, car un missionnaire semble être établi à cet endroit. Newman, «River 18 River Gatineau» 1846.

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garder ses terres défrichées malgré le projet de donner aux Algonquins du Lac des Deux-

Montagnes le futur canton de Maniwaki134. Burk s'explique :

In the year Eighteen hundred and thirty your petitioner settled on the River Desert on the West side of the Gatineau [...], that your petitioner has cleared twenty acres of land at this place, has built a house and barn thereon; and intends making the place his home during the remainder of his life135.

Probablement que le récit de Burk a été quelque peu embelli afin de s'attirer la sympathie

du gouvernement , mais il reste que ce personnage occupe cette terre dès 1830, ce qui fait

de lui un véritable squatter, établi avant même l'instauration de la Gatineau Priviledge en

1832. D'autres secteurs de la rivière Gatineau sont de plus en plus peuplés, et ce, avant

même l'ouverture officielle des terres. John-Laurence-P. O'Hanley affirme à propos du

canton d'Egan : «There are already many settlers along the River Gatineau [...] many have

made small patches of improvements in favourable localities [ . . . ] » . Le canton d'Egan a

été officiellement érigé le 16 juillet 1864, soit plus d'un an après la rédaction du rapport de

O'Hanley, écrit en mai 1863138. Les propos de l'arpenteur semblent démontrer que les

colons d'Egan ont apporté des améliorations sur leur terre. Il est donc possible à partir de

ces informations, de spéculer que la colonisation du territoire n'est pas récente, que les

habitants occupent cet endroit depuis un certain temps.

Comme mentionné précédemment, John Newman produit trois listes identifiant les

noms de colons habitants illégalement les terres de la Couronne139. La liste la plus

imposante, produite lors de l'exploration de la rivière Gatineau en 1846, contient environ

une quarantaine de noms de squatter ainsi que le nombre d'acres défrichés par personne.

D'un point de vue strictement nominatif, ce registre indique qu'à l'arrivée des arpenteurs

en Haute-Gatineau, une population de squatters les attendait. Qui plus est, il est intéressant

34 MRNFQ, Edward Burk, «[Pétition d'Edward Burk adressée au Procureur général]», 29 mars 1849. 135 MRNFQ, Burk, «[Pétition d'Edward Burk]», 1849. 136 Dans la correspondance portant sur le conflit avec les Algonquins, le nom de Burk est associé à un certain M . Gilmour. Il est fort probablement question de Allan Gilmour, propriétaire de la compagnie internationale Gilmour œuvrant dans le bois et la construction de navires, ayant obtenu au début des années 1840 les droits de coupe dans la région de la rivière Gatineau. Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 167. 137 MRNFQ, John-Laurence-P. O'Hanly, «Carnet E. 16 Eagan O'Hanley 1863», 1863. 138 Langelier, Liste des terrains concédés, p. 717. 139 Ces listes sont présentées dans le dossier MRNFQ 114362, concernant principalement le canton de Masham, et dans les carnets intitulés «N.10 Northfield» et «River 18 River Gatineau».

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de noter que cette liste concerne seulement les rives de la rivière Gatineau. Selon la description de l'auteur, ce rapport porte sur le «scaling of the River Gatineau from the rear line of the Township of Wakefield to the highest actual settlement [...]»140. Les squatters identifiés dans la liste sont donc exclusivement des riverains. Le phénomène des squatters dans la vallée de la Gatineau se limite-t-il aux abords des cours d'eau? Les archives d'arpentage ne peuvent malheureusement nous éclairer sur la question. Finalement, dans la liste de squatters du canton de Northfield datant de 1852, un patronyme se démarque. Sur treize personnes identifiées comme des squatters, six portent le nom de famille « Eaky »141. Le regroupement entre familles de mêmes origines était donc possiblement de mise. Selon l'historien Chad Gaffield, la famille Eaky n'était pas seule à partager ce sentiment isolationniste. L'arrivée d'immigrants suisses, belges et même italiens en Outaouais force les regroupements sur une base ethnique ou religieuse, au point où les cantons semblent « divisé[s] en groupes passablement distinct »142.

140 La mention de «highest actual settlement» est intéressante dans le contexte de cette recherche. Le mot «settlement» est-il employé pour désigner une colonie, ce qui présupposerait que l'arpenteur, et par conséquent le gouvernement, s'attendait à retrouver des squatters ou bien est-il question d'établissements commerciaux, comme les chantiers de bois, établis depuis longtemps sur les rives de la rivière? Newman, «River 18», 1846. 141 MRNFQ, « N.10 Northfield; J. Newman 1852 », 5 juillet 1852. 142 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 182.

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Figure 3 : La vallée de la Gatineau 143

Hughson, Hurling Down the Pine, p. iv.

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En consultant ces archives, il est difficile d'admettre que la population de squatter s'est répartie également sur le territoire de la vallée de la rivière Gatineau, encore moins sur l'ensemble de la région de l'Outaouais. Il est possible d'observer deux pôles d'attraction en Haute-Gatineau, soit la région de Maniwaki et le canton de Northfield. D est intéressant de constater que certains personnages proéminents du commerce du bois possèdent de grandes quantités de terres dans ces deux mêmes endroits. La famille Wright est entre autres installée dans Northfield tandis que M. McGoey et M. Gilmour détiennent des terres dans les environs de Maniwaki144. Dans le cadre de cette recherche, il est possible de constater un rapprochement entre les chantiers dirigés par ces exploitants forestiers et les regroupements de squatters. En effet, il ne semble pas être une coïncidence que le village de la Visitation, aujourd'hui Gracefield, se soit formé de l'autre côté de la rivière de la Victoria Farm145, un des principaux chantiers de la famille Wright sur la rivière Gatineau. D en est de même pour le village de Maniwaki qui se situe à proximité des installations de Thomas McGoey et des Gilmour. Il est cependant vrai que l'établissement permanent des Oblats et la présence d'un poste de traite de la CBH ont contribué au développement du village, mais ces éléments n'ont probablement qu'accentué l'intérêt des colons à s'y implanter. L'établissement d'une relation entre les squatters et les compagnies forestières est tout à fait logique dans une perspective d'entraide économique.

Dans certains rapports d'arpenteurs, on note une quasi-absence de population dans certains secteurs de la rivière Gatineau. Lors de son exploration du canton de Lytton en 1862, James McArthur affirme «[...] there are no settlers in Lytton; nor is there any possibility of to being settled soon as it is so difficult of access at all seasons [...]»146. Sans pouvoù avancer le compte exact de colons, il est toutefois possible d'affirmer que la population squatter de la rivière Gatineau, selon les archives d'arpenteurs, semble plus localisée à certains endroits qu'à d'autres. En examinant davantage les sources disponibles,

144 Pour obtenir plus d'information sur les terres de la famille Wright, consulter archives MRNFQ, plan N8, John Newman, « Plan of the Survey of Part of the Township of Northfield », 1852. Pour les possessions de McGoey et Gilmour, consulter MRNFQ, John Newman, «Plan of the Outlines of the Townships of Maniwaki and Egan », 1850. 145 Voir la carte de la rivière Gatineau à la figure 3. Il est intéressant de noter que ce site a été aussi utilisé comme « bush farm », soit comme une ferme agricole ayant comme utilité de desservir exclusivement les chantiers forestiers. Lee, « Logging and Lumbering », p. 34. 146 MRNFQ, plan B014d, James McArthur, « L. 34 Lytton J. McArthur 1862 », 1862.

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il est possible d'avancer une réponse partielle pouvant expliquer cette colonisation inégale.

D est question dans plusieurs exposés d'arpenteurs de la difficulté d'accès de nombreux

cantons. Lors de son exploration du canton d'Aumond en 1856, J.-L.-P. O'Hanley

mentionne que rien n'empêche une colonisation rapide comme le manque d'une route

reliant le territoire au marché147. Outre la confirmation d'une population inégalement

répartie sur le territoire, ce type de remarque expose un fait fort intéressant. Lors de

l'ouverture des terres, la vallée de la Gatineau n'est aucunement surpeuplée. Les squatters

n'occupent pas l'ensemble des lots de terre disponible sur le territoire. Nous ne sommes

pas en présence, durant la première moitié du XLXe siècle, d'un exode vers l'ouest du Bas-

Canada, ou du moins, pas dans la vallée de la Gatineau.

Lorsque la Gatineau Privilege prend fin en 1843, les projets de colonisation reprennent

timidement et les arpenteurs, mandatés par le gouvernement, se mettent définitivement au

travail. Comme mentionnés précédemment, lorsque ces derniers explorent en profondeur le

territoùe, ils découvrent des poches de population déjà en possession de certaines terres.

Cependant, malgré la valeur inestimable des informations recueillies, les arpenteurs ne

peuvent que constater des faits déjà accomplis. Contraùement aux archives essentiellement

quantitatives du MRNFQ, les rapports et la correspondance des missionnaires présentent un

portrait beaucoup plus qualitatif des squatters de la vallée de la Gatineau.

2.2. Le coup d'œil missionnaire

Comme les archives provenant des arpenteurs, les rapports de missionnaires

permettent, à quelques reprises, d'entrevoù la réalité sociale des squatters de la vallée de la

Gatineau. Les données accumulées dans ces documents complètent relativement bien les

archives du MRNFQ, principalement lorsqu'il est question de déterminer l'étendue du

phénomène de l'occupation illégale de terres sur la rivière Gatineau. Cependant, comme

dans le cas des arpenteurs, les squatters ne sont pas la priorité des missionnaùes, signifiant

que les rapports de ces derniers sont souvent, à notre point de vue, incomplets.

147 MRNFQ, dossier 100513, John-Laurence-P. O'Hanly, « Report of the Survey of the Township of Aumond in the County of Ottawa », 1856.

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2.2.1. La source, ses limites et la futilité du Père Laverlochère

Contrairement aux arpenteurs, les missionnaires, peu importe leur allégeance, s'intéressent à l'homme, non comme un numéro ou une chose occupant un espace quelconque, mais bien comme un être humain. Qui plus est, ces personnages religieux s'intéressent davantage au Salut des hommes qu'au bien-être général de ces derniers. Comme la région de l'Outaouais attire un grand nombre de travailleurs et est à proximité de regroupements amérindiens148, ce territoire devient au XLXe siècle un endroit de prédilection pour les missions religieuses.

Les rapports de missions permettent d'observer la rivière Gatineau d'une nouvelle manière, beaucoup plus orienté sur l'évolution socio-culturelle de cet environnement que sur l'administration foncière présentée par les archives d'arpentage. Dans leurs exposés, écrits de manière très linéaùe, les prêtres décrivent en détail la richesse des bourgeois, la pauvreté des habitants, le scepticisme des bûcherons au message des missionnaires et la ferveur religieuse des Autochtones. Afin de pouvoir considérer ces documents comme de véritables sources historiques, il est nécessaire de voir au-delà des préconceptions personnelles de l'auteur et d'y déceler les éléments d'information pertinents à la recherche. Il ne va pas sans dire que ces documents contiennent effectivement des renseignements sur les squatters, mais ils peuvent être rares et difficiles à identifier. Il est tout d'abord intéressant de comprendre l'intérêt des missionnaùes pour l'ouest du Bas-Canada. Après un certain essoufflement des missions catholiques au XVIUe siècle, la colonisation agricole de l'Ontario, l'expansion du commerce forestier et les avancées de mouvements religieux ultramontains forcent l'Église catholique à revoir sa position sur le travail des missionnaùes, particulièrement en Outaouais149. Deux types de missions existent donc au XLXe siècle : la mission dite «sauvage» et la mission de chantier. La première cherche à atteindre les groupes amérindiens afin de les évangéliser ou de maintenir le catholicisme. En ce qui concerne les squatters, ces rapports comportent peu d'information, les

148 L'Outaouais est peu fréquenté par les Amérindiens durant la première moitié du XIXe siècle. La région est principalement un territoire de chasse pour les Algonquins du lac des Deux-Montagnes. Ce n'est qu'à l'arrivée des Oblats en 1851 que l'on voit un établissement plus permanent d'Autochtones sur la rivière Gatineau, à la hauteur de la rivière Désert. Les groupes plus sédentaires sont d'avantages dans la région de l'Abitibi et du lac des Deux-Montagnes. Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 88. 149 Ouellet et Dionne, Journal du père Dominique du Ranquet, p. 29.

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missionnaùes s'intéressant davantage aux problèmes d'ordre religieux des Autochtones.

Comme nous l'avons vu, les Algonquins utilisant le territoire de l'Outaouais résident au

Lac des Deux-Montagnes, donc au début du XLXe siècle, les missionnaùes de passage en

Haute-Gatineau cherchent davantage à atteindre les groupes amérindiens de l'Abitibi.

Certains prêtres peuvent potentiellement faire mentions de la présence de populations euro-

canadiennes, principalement lorsqu'ils sont sur le chemin d'allée ou du retour de leur

voyage vers les missions amérindiennes.

Les missions de chantiers offrent un autre point de vue du développement socio-

économique de l'ouest du Bas-Canada. Au sein des communautés religieuses, il semble

cependant y avoir existé une réticence face à ce type de missions, ou du moins une

préférence pour les missions « sauvages ». Dans un rapport datant de 1853, le père Brunet

mentionne :

Quoique les missionnaires des chantiers n'aient pas pour but d'évangéliser les infidèles, ils ont cependant le bonheur de procurer à une bonne portion de la jeunesse du Canada les secours religieux dont elle se trouve totalement privée une grande partie de l'année. Si c'est une chose glorieuse et très méritoire d'amener les peuples infidèles à la connaissance de J.C. et à la pratique des vertus chrétiennes; il est également digne du zèle du missionnaire de travailler au salut des fidèles les plus abandonnés [...] .

Comme il est question de communautés essentiellement d'origine euro-canadienne, les

rapports de chantiers peuvent renfermer des indices sur l'étendue des regroupements de

squatters sur le territoire de la rivière Gatineau et même sur le mode de vie de ces derniers.

Comme il est possible d'observer un rapprochement entre les bassins de population de

squatters et les chantiers de bois, il est fort probable que la frontière séparant les deux

camps soit passablement floue et que le missionnaire de chantier desserve aussi les

maisonnées à proximité.

Dans les deux types de missions, il reste que les colons illégaux ne sont pas le centre

d'intérêt, possiblement à cause du nombre restreint de squatters à cette époque. Comme

dans le cas des archives d'arpentage, les squatters se retrouvent en marge des documents; la

150 Auguste Brunet, « Mission des chantiers de l'Ottawa - Lettre du R.P. Q. Brunet O.M.I. à père de la même Société », Rapport sur les missions du diocèse de Québec, no. 11, mars 1855, p. 17.

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Page 63: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

présence d'information sur ce groupe dépend toujours de l'intérêt de l'auteur à noter ses

observations. Par exemple, lorsque les Oblats de Marie Immaculée prennent le contrôle des

missions de l'Outaouais en 1844, le Père Laverlochère est l'un des premiers de sa

congrégation religieuse à s'aventurer à l'intérieur des terres dans le but d'atteindre les

Algonquins de la région de l'Abitibi. La route du retour lors de ces missions consiste

habituellement à la descente de la rivière Gatineau afin de se rendre plus rapidement vers

Bytown. Dans son rapport de 1846, qui contient une douzaine de pages portant

principalement sur la rivière des Outaouais et les Amérindiens de l'Abitibi, voici ce qu'il

réserve pour l'ensemble de son voyage sur la rivière Gatineau :« [ . . . ] après avoir descendu

pendant neuf jours la rivière Gatineau, sur une pùogue que m'offrit le chef

Otichkawagami, j'arrivai à Bytown, le 14 à onze heures du soù » .

2.2.2. Les ordres religieux et les squatters

L'Outaouais, et particulièrement la vallée de la rivière Gatineau, connaît au milieu du

XLXe siècle un changement relativement important concernant la présence religieuse sur ce

territoire. À partù de 1844, les Jésuites laissent le contrôle des missions de l'Outaouais et

de l'Abitibi aux Oblats. Les deux organisations offrent leurs observations sur la présence

de squatters sur les rives de la Gatineau.

2.2.2.1. Les missions catholiques avant 1844

Deux sources attirent l'attention lorsqu'il est question des missions catholiques en

Outaouais avant 1844. Chacune offre une vision différente de la région, tout en confirmant

la présence de colons euro-canadiens en Haute-Gatineau. Dans le premier document, une

lettre du père Joseph Desautels152 à l'évêque de Montréal, Mgr. Ignace Bourget, l'auteur

151 Nicolas Laverlochère, « Lettre du P. Laverlochère, Missionnaire Oblat de Marie Immaculée, au R.P. Bellon, de la même Société [Longueuil] », Annales de la propagation de la foi éd. Lyon, tome 18, 1846, p. 460. 152 Joseph Desautels, né à Chambly en 1814, est ordonné prêtre le 29 avril 1838. En 1840, il accompagne Mgr Ignace Bourget dans une visite pastorale dans la région de l'Outaouais. Lorsque ce dernier constate la pénurie des services pastoraux dans la région, Mgr Bourget fonde la paroisse de Saint-Paul, à Aylmer. Le père Desautels prend en charge cette mission ainsi que le travail ardu de desservir les chantiers et les poches de population en Haute-Gatineau. Il restera en poste pendant huit ans pour ensuite être muté à la paroisse Sainte-Marguerite, à Rigaud. « Joseph Desautels », Dictionnaire biographique du Canada.

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décrit la situation du catholicisme dans chaque canton de la région de Bytown établi au nord de la rivière des Outaouais153. Le deuxième document est beaucoup plus traditionnel. D est question du voyage du père jésuite Dominique du Ranquet sur la rivière des Outaouais en 1843. Suite à sa mission auprès des Autochtones de l'Abitibi, il redescend à Bytown par la rivière Gatineau, décrivant, dans son journal, ses rencontres et ses observations.

Le document du père Desautels a comme but d'informer les autorités de Montréal sur les progrès de la religion catholique dans la région de Bytown et de certains cantons sur la rivière Gatineau 4. Quelques passages de son rapport rédigé en 1842 indiquent que la population de la Haute-Gatineau s'est organisée en quelques petits rassemblements. Les passages les plus notoùes dans le cadre de cette recherche sont les sections consacrées au Lac Sainte-Marie, à la Pointe à Deltier et aux chantiers de bois. Au Lac Sainte-Marie, situé dans le canton de Hincks, au sud-ouest de Gracefield, Desautels mentionne que l'endroit est habité par 14 familles canadiennes155. Même scénario pour la région de la Pointe à Deltier, par laquelle, selon l'auteur, se retrouve à 10 lieues au nord du Lac Sainte-Marie. Cet endroit accueille 17 familles canadiennes156. Finalement, le passage sur les chantiers de bois retient l'attention. Le père Desautels, en parlant des difficultés rencontrées dans ces lieux, mentionne : « Je sais bien qu'il n'y a rien à faire dans les chantiers mêmes; mais il y a presque toujours près de là des maisons et des hangars, où il serait facile de les réunù [les bûcherons] [...] » . Lorsque l'auteur parle de « maisons », est-il question d'habitations de colons ou de bâtiments appartenant aux chantiers? D est impossible de clarifier les propos de Desautels, mais il est peut-être possible que ce dernier fasse référence à des établissements de squatters choisissant de vivre à proximité des chantiers de bois.

153 Joseph Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 de M. Desautels à Mgr. de Montréal », Rapport de l'Association de la Propagation de la Foi établie à Montréal en vertu d'un induit du Saint-Siège et annoncée au Diocèse par le mandement du 18 avril 1838, Montréal, Bureau des mélanges religieux, 1843. 154 L'auteur consacre à chaque canton un paragraphe. Il est donc question des cantons de Hull, Aylmer, Chelsea, Templeton, Eardley, Bristol et Onslow, Wakefield, Rivière à la pêche, Lac Sainte-Marie et la Pointe à Deltier. Desautels écrit aussi sur l'état des chantiers de la région. Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 ». 155 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 61. 156 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 61. 157 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 62.

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Le récit du jésuite Dominique du Ranquet est moins explicite, mais tout de même

pertinent. Contraùement au père Laverlochère, du Ranquet fournit considérablement de

descriptions et d'observations lors de son passage dans la région de la rivière Gatineau. Le

missionnaire nous renseigne sur trois localités : rivière Désert (aujourd'hui Maniwaki),

Notre-Dame-de-la-Visitation (aujourd'hui Gracefield) et le Lac Sainte-Marie. Ces trois

endroits semblent récurrents dans les archives lorsqu'il est question de colonisation de la

région de la Haute-Gatineau. Lors de l'arrivée du père du Ranquet au poste de rivière 1 CQ

Désert , il rencontre premièrement trois Amérindiens provenant du lac des Deux-

Montagnes, installés provisoùement à cet endroit. Une « sauvagesse mariée à un

Canadien » les accompagne15 . D est donc question de métissage, phénomène relativement

commun dans l'arrière-pays, mais tout de même intéressant de constater en Haute-

Gatineau. S'il est possible de retrouver ce même geme de renseignements dans d'autres

sources d'archives, le métissage pourrait répondre à plusieurs interrogations en rapport aux

squatters, par exemple sur les relations entretenues avec les Autochtones de la rivière

Gatineau. Lors de la visite du missionnaire à Notre-Dame-de-la-Visitation, il est question

de la construction d'une chapelle et du rassemblement d'«une bonne troupe de

Canadiens » . Encore une fois, la présence de squatters à cet endroit est indéniable. De

plus, il est possible à l'aide des informations fournies par le missionnaire du Ranquet

d'observer les balbutiements d'une organisation communautaùe autour de la construction

de la chapelle. Cependant, le missionnaire ne donne aucune indication sur l'ampleur du

regroupement de colons. Finalement, au Lac Sainte-Marie, du Ranquet constate également

la présence de métissage entre femmes amérindiennes et Canadiens161. Le missionnaire jésuite parle davantage du cas de James Now, marié à une Algonquine. Il le qualifie

« d'ancien hivernant du lac La Truite »162. U est possible que cette référence fasse allusion

aux déplacements des squatters sur le territoire, peut-être dans le but d'éviter d'être

158 Avant l'arrivée des Oblats en 1851, la région de rivière Désert est occupée par un poste de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Un avant-poste a été construit en 1819 à cet endroit dans le but d'éliminer les petits commerçants de fourrures. Ce poste sera actif jusqu'à la fin des années 1840. Il est fort probable que le père du Ranquet faisait référence, dans son rapport, à ce poste. Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 159. 159 Ouellet et Dionne, Journal du père Dominique du Ranquet, p. 239. 160 Ouellet et Dionne, Journal du père Dominique du Ranquet, p. 239. 161 II fait référence à « quelques autres sauvagesses mariées à des Canadiens [...] ».Ouellet et Dionne, Journal du père Dominique du Ranquet, p. 239. 162 Ouellet et Dionne, Journal du père Dominique du Ranquet, p. 239.

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définitivement chassé des terres ou bien simplement pour des raisons de chasse et de pêche. D. se peut que ce personnage soit un spéculateur, soit un squatter qui vend ses installations, qui ultimement ne lui appartient pas, pour s'établù ailleurs dans le but s'améliorer son sort. Finalement, il est aussi possible que ce James Now soit lui-même d'ascendance mixte, ce qui pourrait expliquer en partie les déplacements fréquents. Ce fait reste à être vérifié à l'aide d'archives provenant de sources différentes.

Peu de temps après les visites des pères Desautels et du Ranquet, les Oblats de Marie Immaculée prennent le contrôle des missions de la région de l'Outaouais. Leur présence continue dans la région amène une nouvelle ère pour la Gatineau, principalement grâce à l'établissement d'une maison permanente en 1851 à rivière Désert163.

2.2.2.2. L'établissement officiel des Oblats et la suite des missions

L'arrivée des Oblats de Marie-Immaculée sur la rivière Gatineau change considérablement le paysage social de la région. Dans le cadre de cette recherche, ce nouvel élément est fort appréciable, car une présence plus accrue des missionnaires sur le territoùe génère une documentation plus abondante et de meilleure qualité. Comme dans le cas des archives missionnaires de la première moitié du XLXe siècle, les foyers de population observés dans les archives des Oblats se situent principalement dans la région de Maniwaki et de Gracefield.

L'établissement des Oblats dans la région de la rivière Désert permet de comprendre l'importance que ces derniers occupent dans la mise en place de la mémoùe régionale de la Haute-Gatineau. En étant continuellement présents dans la région, les pères Oblats sont en mesure d'atteindre plus facilement les populations amérindiennes, les chantiers forestiers ainsi que les colons de la rivière Gatineau164. À partù de 1849, les missions de Lac Sainte-Marie, la Visitation et de Saint-Gabriel du Lac-Bouchette, pour n'en nommer que

1 3 « Maniwaki », dans www.thecanadianencyclopedia.com, Site consulté le 8 décembre 2008. 164 Selon le Codex Historicus de Maniwaki, le but de cette mission « était de fournir les secours de la religion aux Algonquins, aux jeunes gens des chantiers, et aux colons [...] ».Deschâtelets, JC 3301, C21C vol. 1, Codex Historicus de Rivière Désert (Maniwaki); 1848 à 1876, p. 2.

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quelques-unes, ont commencé à recevoir régulièrement la visite d'un missionnaire165. Par exemple, en 1852, il est mentionné dans le Codex Historicus de Maniwaki que le frère Brady, qui voyage constamment entre rivière Désert et Bytown, remarque que plusieurs familles occupent les rives de la Gatineau. Le frère Brady loge parmi eux lors de ses nombreux déplacements166. Ces visites ponctuelles permettent donc d'observer l'évolution de ces poches de colons qui, éventuellement, deviendront de petites agglomérations toujours présentes aujourd'hui en Haute-Gatineau. Comme nous venons de le voir, les missions ne portant pas sur l'évangélisation des Autochtones semblent moins appréciées par les missionnaùes. II est donc évident, comme le reste des archives des missionnaùes, que les documents des Oblats se concentrent davantage sur les Amérindiens. Cependant, dans des milieux comme Maniwaki, où tous les acteurs de la Haute-Gatineau se côtoient (missionnaires, colons, Amérindiens et bûcherons), les marges de la documentation oblate renferment parfois des données très pertinentes.

Il est indéniable que la plus grande réalisation des Oblats en Haute-Gatineau a été la mission permanente au confluent des rivières Désert et Gatineau, c'est-à-dùe Maniwaki. Ce projet se fait parallèlement aux négociations avec le pouvoù colonial afin de former une réserve destinée aux Autochtones dans la même région. Naturellement, nombreux sont les pères oblats qui ont activement milité pour la formation de cette réserve, particulièrement destinée aux Algonquins du Lac des Deux-Montagnes qui depuis longtemps utilisent ces terres, ainsi que celles dans les diocèses de Kingston et Toronto, comme lieu de chasse . Par exemple, à plus d'une reprise, Mgr Guigues, au nom des Amérindiens de la Haute-Gatineau, transmet à la commission des terres de la Couronne leurs inquiétudes face aux multiples délais concernant la formation officielle de la réserve . Le 10 octobre 1848, l'évêque de Bytown appuie dans sa correspondance la demande des Algonquins réclamant les terres qu'ils occupent aux abords de la rivière Désert. Cette demande comporte entre

165 Gaston Carrière, Histoire documentaire de la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie-Immaculée dans l'Est du Canada; 1" partie : De l'arrivée au Canada à la mort du Fondateur (1841-1861), Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1962, p. 99. 166 JC 3301, Codex Historicus de Rivière Désert, p. 9. 167 Carrière, Histoire documentaire, p. 89. 168 Nous aurons la chance d'examiner plus en profondeur la correspondance de 1850 entre l'évêque de Bytown et le commissaire des terres de la Couronne au chapitre 3. Archives d'arpentage MRNFQ, dossier 127765, Joseph-Eugène-Bruno Guigues, « [Lettre de Bruno Guigues à M. Boutillier] », 8 avril 1850.

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Page 68: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

autres quelques passages invoquant la perte de territoùe au profit de colons blancs169. Cette

même réclamation renferme une requête en faveur des missionnaùes oblats :

Nous voulons des prêtres pour nous enseigner la religion et aussi pour nous aider de leurs conseils dans la culture des champs. Nous vous demandons, en conséquence, d'accorder aux prêtres que Mgr l'Évêque de Bytown nous enverra une étendue de 600 arpents de terre à prendre sur notre territoire dans le lieu que Mgr de Bytown jugera le plus convenable170.

Ce type de déclaration, tout comme la demande de Mgr Guigues que les titres des terres de

la réserve lui soient donnés afin d'assurer une saine gestion171, va attùer plusieurs critiques,

et ce, même aujourd'hui. Certains historiens contemporains, tels que Gérard L. Fortin et

Jacques Frenette, dénoncent les pratiques douteuses des Oblats qui, selon eux, s'attardent

avant tout à leurs concessions tout en cherchant à s'approprier les terres environnantes172. D

reste que malgré ces inconvénients entourant la gestion des terres dans la région de

Maniwaki, il est possible de trouver, dans les archives des Oblats, certains passages sur les

colons habitants la région.

En 1854, Monseigneur Guigues se penche directement sur les petits groupes de

squatters de la Haute-Gatineau. D organise un voyage en février de la même année, qui

s'effectuera en 24 jours, afin de constater « par lui-même l'état dans lequel se [trouvent] les

petites colonies que se [forment] dans plusieurs localités où il lui était impossible de se

rendre pendant l'été à cause du mauvais état des chemins »173. Ce périple le fait passer,

entre autres, par La Visitation, le Lac Sainte-Marie, à la rivière Désert, au Lac Rond, au lac

des Sables, à la Chute, à la rivière du Lièvre, à Buckingham et à la Blanche174.

Premièrement, il est intéressant de noter qu'une congrégation religieuse s'attarde

exclusivement aux colons de la région au lieu de se concentrer sur les populations

169 Carrière, Histoire documentaire, p. 87. 170 Carrière, Histoire documentaire, p. 87. 171 Carrière, Histoire documentaire, p. 91. 172 Fortin et Frenette donnent comme exemple la situation en 1853 où un groupe d'Aukamekw a défriché un lot de terre à Maniwaki pour éventuellement l'abandonner suite à une dispute avec les Algonquins. Ces derniers ont donc tenté d'occuper le lot laissé vacant, mais se sont heurté à une opposition notable provenant des missionnaires. Gérard L. Fortin et Jacques Frenette, « L'acte de 1851 et la création de nouvelles réserves amérindiennes au Bas-Canada en 1853 », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 19, no. 1 (1989), p. 36. 173 A. D., JC 3301, Codex Historicus de Rivière Désert, p. 11. 174 A. D., JC 3301, Codex Historicus de Rivière Désert, p. 11.

61

Page 69: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

amérindiennes. De plus, il est question de l'évêque de Bytown, ce qui apporte une certaine

notoriété au projet. Deuxièmement, ce passage dans les annales des Oblats vient à nouveau

confirmer que ces endroits sont considérablement peuplés en 1854, du moins assez pour

attùer l'attention d'un membre élevé du clergé.

Cependant, le meilleur exemple prouvant l'implication des Oblats dans la question des

squatters de la Haute-Gatineau provient probablement d'une lettre écrite par le père

Andrieux le 1er août 1859. Dans ce document, le missionnaire parle principalement de sa

dernière mission sur le Saint-Maurice. Cependant, quelques paragraphes attirent notre

attention, car il est dùectement question des squatters habitants dans les environs de la

mission de Maniwaki :

Ayez la bonté de consulter Monseigneur pour voir ce qu'il pense touchant le règlement qui fut passé lliyver dernier au gouvernement touchant les droits des squatters. D'après le règlement ils perdraient tout droit au premier septembre prochain, et s'il est nécessaire de faire application auprès du gouvernement pour l'achat des lots qu'on veut garder, pour ne pas courir le risque de perdre l'ouvrage fait dessus. Ayez la bonté de me donner une réponse aussi vite que possible vu que le temps presse, à cause des lots du moulin, aussi

17 D

pour avertir les habitants s'il était nécessaire .

Ce passage démontre qu'en premier lieu, les missionnaires oblats semblent préoccupés

par les politiques entourant les squatters. Le message du père Andrieux semble être chargé

d'inquiétude. Deuxièmement, ces lignes indiquent qu'il existe indéniablement une relation

entre les colons de la rivière Gatineau et les Oblats de Maniwaki. Effectivement, le

missionnaire mentionne que ce serait désolant de «perdre l'ouvrage» produit sur ces

terres. D est donc possible de comprendre que cette relation repose essentiellement sur une

base économique. D est d'ailleurs intéressant de noter que l'auteur semble s'attarder

davantage aux intérêts de la congrégation religieuse qu'au bien-être des squatters. Les

inquiétudes du père seraient donc peut-être plus orientées sur le matériel que sur l'aisance

des habitants. On cherche à sauvegarder les acquis d'abord et ce n'est qu'à la fin du

message que le père suggère qu'il serait important d'avertir les squatters; les premiers

concernés. Le paragraphe suivant est aussi révélateur :

175 APOMI, Maniwaki, 2D9/11-7, « Lettre du père Andrieux », 1 août 1859. Le « droit » dont il est question dans cet extrait fait référence au système de préemption établi en 1838 à l'égard des squatters des terres de la Couronne. Il en sera question plus en détail au chapitre 3.

62

Page 70: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

J'ai écrit aussi par la même malle a monsieur O'Hanley l'arpenteur pour le prier de faire application pour conserver un lot ou deux situés sur la [?] petite rivière, que les Gilmor voudraient tâcher d'accrocher; il y a dessus un magnifique pouvoir d'eau, et le p. Déléage y avait déjà pas mal travaillé pour ramasser le bail d'une maison qu'ils avaient commencé à bâtir ainsi qu'une digue, on avait laissé cela en arrière parce que on ne voulait pas se surcharger d'ouvrage; mais aussi ce serait perdre une belle place que de la sacrifier .

Selon les propos de l'auteur, les Oblats et la compagnie forestière de la famille Gilmour

cherchent à acquérir les mêmes terres. Du moins, cette citation semble démontrer qu'il

existe un certain sentiment de compétition entre eux. Pourrait-on conclure, à l'aide des

commentaires de Fortin et Frenette, que la Congrégation oblate et les exploitants forestiers

occupaient essentiellement le même rôle en Haute-Gatineau, soit des entités s'efforçant

d'obtenir le contrôle sur de larges portions de terres afin d'y faire une quelconque

exploitation?

L'occupation de terres de la Couronne par des groupes de squatters est indéniable

lorsqu'il y a juxtaposition de l'ensemble des sources présentées jusqu'à maintenant. Plus

d'un acteur social présent en Haute-Gatineau, soit les arpenteurs et les missionnaires, a été

en mesure d'identifier ces populations squatters sur le territoire de la Haute-Gatineau.

Malgré leur nombre restreint et leur manque apparent d'organisation à plus grande échelle,

les squatters de la rivière Gatineau méritent une reconnaissance historique. Toutefois,

prouver leur existence n'est qu'une étape dans ce processus d'identification. La prochaine

section consiste donc à peindre une image de cette communauté, et ce, malgré le peu

d'archives disponibles.

2.3. Qui sont ces squatters?

Comme nous l'avons mentionné à plusieurs reprises, l'obtention de documents

d'archives produits directement par des squatters est difficile, voire irréalisable. L'analyse

des sources indirectes a tout de même permis d'élaborer une mosaïque des squatters de la

rivière Gatineau du XLXe siècle. Plusieurs tangentes culturelles semblent être récurrentes à

travers les documents consultés lors de cette recherche ce qui permet de tirer certaines

conclusions, particulièrement sur l'origine et le statut social des colons présents en Haute-

176 2D9/11-7, « Lettre du père Andrieux », 1859.

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Page 71: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Gatineau à cette époque. Un examen plus approfondi de nouvelles sources a permis de

trouver quelques spécificités inattendues par rapport à certains de ces squatters. Il en sera

notamment question à la section dédiée au Lac Sainte-Marie.

2.3.1. Origine et statut social

Contrairement à ce qu'il aurait été possible de supposer, la population squatter de la

rivière Gatineau n'est pas majoritairement francophone. En effet, lors de la première moitié

du XLXe siècle, il est possible de constater à partù les rapports d'arpenteurs qu'il existe une

concentration d'anglophones sur les berges de la rivière Gatineau. La liste de squatters

établie par John Newman en 1846 le démontre clairement. Ce document énumère 37

individus, probablement des chefs de famille, comme étant des occupants illégaux sur les

rives de la Gatineau. Sur l'ensemble de cette liste, 26 patronymes sont effectivement

anglophones.

L'image qui semble se dessiner à l'aide des rapports d'arpenteurs concorde

directement avec les observations plus générales faites sur l'ouest du Bas-Canada.

Premièrement, comme mentionnée précédemment, une première vague d'immigration

apporte dans la région de l'Outaouais un grand nombre de colons, massivement originaire

des îles Britanniques. En analysant la figure 4, il est permis de constater que selon les

recensements officiels canadiens, le nord de l'Outaouais est majoritairement anglophone et

ce, presque jusqu'à la fin du XLXe siècle. En poussant l'analyse plus spécifiquement à

l'ensemble des cantons à l'étude, il est possible d'observer les mêmes tendances. La figure

5, tuée de l'ouvrage A Historical Source Book for the Ottawa Valley, expose, sous forme

graphique l'ethnicité des habitants des cantons de Kensington, Egan et du village de

Maniwaki. L'analyse de ce tableau démontre qu'en 1860, près de 65 % de la population de

ces cantons est d'origine britannique (représenté par la ligne « BR ») et que moins de 30 %

des habitants sont français (représenté par la ligne « FR »)17 . Il n'est pas difficile

d'imaginer que cette tendance démographique était similaire dans la première moitié du

XLXe siècle. Donc, ces données viennent confirmer ce qui a été observé dans la

177 Enoch Padolsky et Ian Pringle, A Historical Source Book for the Ottawa Valley; The Linguistic Survey of the Ottawa Valley, Ottawa, Carleton University, 1981, p. 331.

64

Page 72: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

documentation archivistique, soit une présence d'habitants francophones, mais une

majorité de squatters anglophones. E est important de noter que 25 ans plus tard, soit vers

1885, ces positions s'interchangeront et que cette région restera majoritairement

francophone par la suite.

Figure 4 : Démographie dans le nord de l'Outaouais 178

CF.3355 CA9063

«90 mi\ C.FR. 35.1*6 C.ANQL

54.899 170.510 45.903 I W90

99309 38.340

113.106 40367

D est même possible de voir que ces nouveaux arrivants, une fois débarqués à Québec après

la traversée de l'Atlantique, sont redirigés vers des terres à peine arpentées, donc à la limite

ou l'extérieur de la vallée du Saint-Laurent. D'ailleurs, dans une correspondance datant de

1833 entre un membre du Committee of Management of the Emigrant, E.B. O'Callaghan,

et le Civil Secretary, Colonel Craig, on cherche à savoù s'il est possible de transférer les

nouveaux colons « to townships and other country parts » du Bas-Canada où ils seront en

Le Nord de l'Outaouais; Manuel-Répertoire d'Histoire et de Géographie régionales. Le Droit, Ottawa, 1938, p. 38. La figure en noir représente les Canadiens-Français (CF.) et la figure en blanc représente les Canadiens-Anglais (C.A.). Les données démographiques proviennent des recensements du Bureau de la Statistique du gouvernement canadien, ancêtre de Statistique Canada.

65

Page 73: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

mesure de trouver du travail adéquat179. De plus, l'auteur de ce document cherche à savoù

si ces colons peuvent se procurer des terres de la Couronne sans nécessairement débourser

d'argent. D est donc clair que l'objectif de O'Callaghan est de désengorger les

communautés déjà surpeuplées du Saint-Laurent en envoyant les immigrants vers les

régions en développement, comme l'Outaouais et la rivière Gatineau.

Figure 5 : Ethnicité dans les cantons de Bois-Franc, Egan South, Montcerf et Deléage180

UJ CJ CC UJ O-

■Z-

S

3 Q_ s Q_

ETHNICITY I D : 1 5 0 9 9 9 9 90 r

«QU

70

SO

50

40

30

20

10

T R

SNR ♦

O 1840

B R

1360 ISSO 1900 1920 1940 1960 U GO , PR |

1980

De manière plus précise, outre le commerce du bois, certains anglophones viennent

dans la vallée de l'Outaouais pour y trouver des terres cultivables. À titre d'exemple, une

pétition datant de 1833 d'un ancien soldat du 19th Regiment of Lancers, Richard Jones,

expose bien la situation. Après neuf ans et demi de service dans les colonies britanniques

en Amérique du Nord, ce dernier demande au gouverneur général de l'époque, Lord

179 BAnQ, E9 S101, SS2, SSS1, « [Lettre de E.B. O'Callaghan au Colonel Craig] », dans Vieux Dossiers 1833 (2), doc. 1006, 21 mars 1833. 180 Padolsky et Pringle, A Historical Source, p. 330. Il est important de noter que le canton de Kensington a changé de nom en 1931 pour «Deléage». De plus, certaines précisions doivent apportées lorsqu'il est question de ce graphique. Voici la signification des abréviations : FR = French; BR= British; BNA = British North American; ENG = English; SCOT = Scottish; IR = Irish; GD = German-Dutch et PR = Polish-Russian. Selon les auteurs de cet ouvrage, la ligne BR représente le total des lignes ENG, SCOT, IR et BNA. Pringle, A Historical Source, p. xiii.

66

Page 74: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Aylmer, « a small portion which is one lot of the west lands of the Crown [•••] to be a support to myself and famely [...]» .Le cas d'Edward Burk a aussi déjà été évoqué. La pétition de ce squatter de la région de la rivière Désert, dont la documentation est la plus complète en termes de données personnelles sur un colon illégal, ne fait aucun doute sur son origine. Burk explique qu'il est « an Emigrant from Ireland now twenty seven years in this country [...] »182. En contre-vérifiant les renseignements de cette pétition avec les recensements effectués en 1861, il est possible de confirmer que Edward Burk, alors âgé de 66 ans, originaùe de l'ùlande, habitait la région de Maniwaki. Toujours selon ce même recensement, il se dit fermier et n'est pas marié183. Ce document indique aussi qu'à la même époque, un certain John Baker, protestant originaùe des États-Unis, habite le canton de Maniwaki, et ce, malgré la création de la réserve amérindienne au même endroit quelques années plus tôt .

La prédominance anglophone en Haute-Gatineau n'exclut cependant pas la présence de squatters francophones. Les archives démontrent que certaines agglomérations, particulièrement La Visitation et le Lac Sainte-Marie, sont peuplées par des familles dites « canadiennes ». Par exemple, le père Desautels, dans sa lettre à l'évêque de Montréal, mentionne à plusieurs reprises la présence de familles canadiennes, faisant une distinction

1 RS

notable avec les « personnes parlant la langue anglaise » . Selon lui, les plus grands regroupements de Canadiens sont à Sainte-Cécile de rivière à la Pêche, au Lac Sainte-Marie et à La Pointe à Deltier, ces trois lieux rassemblant près de 50 familles . En outre, les recensements permettent de confirmer cette présence francophone en Haute-Gatineau. En consultant directement les recensements de 1861 de certains des cantons à l'étude187, on remarque que sous la rubrique « place of birth », plusieurs entrées portent la mention

181 BAnQ, E9 S101, SS2, SSS1, « [Pétition de Richard Jones au Gouverneur général, Lord Aylmer] », dans Vieux Dossiers 1833 (2), doc. 1011, 27 mai 1833. 182 MRNFQ, Burk, « [Pétition d'Edward Burk] », 1849. 183 BAnQ, bobine C-1303 (4M00-3524), « [Recensement canton Kensington] », 1861. 184 Bobine C-1303 (4M00-3524), « [Recensement canton Kensington] », 1861. Pour ce qui est de la réserve de Maniwaki, il en sera question plus en détail au chapitre 3. 185 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 60-61. 186 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 60-61. 187

B est quesUon des cantons de Wright, Kensington, Egan, Aumond, Cameron, Bouchette et Sicotte. BAnQ, C-1303 (4M00-3524), Recensement Canada, 1861.

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Page 75: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

1 RR

« L.C. » indiquant leur naissance au Lower-Canada . D est peu probable que l'ensemble de ces colons soit exclusivement francophone, mais comme ils sont originaires du Bas-Canada, il est possible de supposer qu'une majorité l'est. Cependant, comme le démontre la figure 5, le pourcentage de francophones de ces cantons augmente radicalement entre 1860 et 1880. D n'est pas étonnant d'apprendre qu'environ au même moment, soit approximativement en 1872, le Curé Antoine Labelle, figure emblématique de la colonisation du territoire québécois à la fin du XLXe siècle, débute ses activités de repeuplement du Nord-Ouest du Québec189. Certains intellectuels de l'époque, tels que Arthur Buies1 , chercheront à ce moment à mousser le mouvement du Curé Labelle en produisant des pamphlets vantant la colonisation de l'ouest de la province. En 1889, Buies publie un ouvrage portant sur la région de l'Outaouais191. Cependant, dans le cadre de ce mémoire, ce mouvement de colonisation distinctement canadien-français n'est malheureusement pas à l'étude, car il débute réellement au-delà de 1870.

Il est donc possible d'affirmer, à la suite des précédentes observations, qu'une bonne partie de la population squatter de la rivière Gatineau est anglophone et qu'un large segment de ce groupe est arrivé en provenance de l'archipel britannique lors d'une première vague d'immigration.

Plusieurs éléments semblent indiquer que les squatters de la rivière Gatineau sont généralement pauvres. Les observations des missionnaires ayant parcouru la région sont révélatrices. Lors de son passage au Lac Sainte-Marie et dans les environs en 1853, le père Desautels est sans ménagement : « ils sont presque tous pauvres »192. Selon le géohistorien

188 Pour les résidents anglophones de ces cantons, les autres lieux de naissance sont presque exclusivement U. C. (pour Upper-Canada), Ireland ou Scotland. 189 Gabriel Dussault, Le Curé Labelle; Messianisme, utopie et colonisation du Québec 1850-1900, Montréal, HutibiseHMH, 1983, p. 36. 190

Arthur Buies (1840-1901) est l'un des personnages les plus intriguant de l'histoire canadienne-française. Contestataire du cléricalisme, il exprime ses idées dans plusieurs œuvres, dont Lettre sur le Canada (1864 et 1867) et dans son journal La Lanterne Canadienne (1868). Contre toute attente, il s'allie au Curé Labelle à partir de 1879 dans son projet de colonisation des régions éloignées de la province (l'Outaouais, les Laurentides, le Saguenay, etc.). Il publie donc plusieurs ouvrages dans le but de promouvoir ces destinations dont L'Outaouais Supérieur en 1889. Arthur Buies meurt le 26 janvier 1901 à Québec. Arthur Buies, Anthologie ; Introduction et choix de textes par Laurent Mailhot, Saint-Laurent, BQ, 1994, p. 9-44.

91 Arthur Buies, L'Outaouais supérieur, Québec, Imprimé par C. Darveau, 1889, 309 p. 192 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 61.

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Cole Harris, ayant entre autres écrit sur la situation socio-économique de la seigneurie de la Petite-Nation qui se trouve à proximité de la vallée de la Gatineau, les vagues migratoùes du XLXe siècle sont particulièrement définies par le mouvement «of poor people, and each characteristically involved individuals or nuclear families rather than groups or communities» . E ajoute, en parlant des Canadiens Français s'établissant à l'extérieur de la vallée du Saint-Laurent au XLXe siècle, qu'ils étaient généralement «young, illeterate [and] often destitute [...]»194. Les observations de Harris sur la Petite-Nation semblent s'appliquer aussi à la situation des colons de la rivière Gatineau. D'ailleurs, plusieurs observateurs de l'époque, particulièrement les missionnaùes, semblent noter un haut taux d'analphabétisme. Dans un registraùe paroissial produit entre 1841 et 1853 majoritairement par le père Desautels195, toutes les entrées de baptême ou de mariage, sauf deux exceptions, se terminent de la même façon : les concernés ont tous déclaré ne pas savoir signer196. Le même missionnaire fait la remarque suivante à propos des squatters de La Pointe à Deltier : « J'y ai rencontré de grands enfans qui n'avaient jamais vu de prêtre; l'on peut en juger par là de leur ignorance; il n'y a là, je crois, qu'une seule personne qui sache lue, et qui puisse par conséquent, enseigner le catéchisme » .

À cause de la limite de ces sources, il est difficilement possible d'aller plus loin par rapport aux caractéristiques sociales de la vie des squatters de la rivière Gatineau, du moins dans le cadre de cette recherche. Ces sources indirectes nous ont tout de même permis d'établir les grandes lignes de l'« Identité» des squatters de la Haute-Gatineau. Il est cependant arrivé de rencontrer certaines « variables historiques » fort intéressantes lors des recherches. Les archives de la localité du Lac Sainte-Marie présentèrent certaines particularités qui méritent de s'y attarder.

193 Cole Harris, « Of Poverty and Helplessness in Petite-Nation », Canadian Historial Review, vol. 52, no. 1 (mars 1971), p. 23. 194 Harris, « Of Poverty and Helplessness », p. 50. 195 Le registraire sera analysé plus en détails dans la prochaine section. 196 Bibliothèque Archives Canada, bobine C-2978, Registraires paroissiaux d'Aylmer et Gatineau, comté de Wright, 1841-1853. 197 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 61.

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2.3.2. Le cas du Lac Sainte-Marie

La communauté du Lac Sainte-Marie, à mi-chemin entre la rivière Gatineau et la Lièvre, présente des caractéristiques similaires aux autres foyers de population de la région : groupes restreints de familles, présence de pauvreté et d'analphabétisme et constitution en grande partie d'un même groupe linguistique. D est possible de retrouver aisément plusieurs fonds d'archives prouvant que ces habitants étaient effectivement des squatters. Cependant, la majorité de ces fonds semblent aussi indiquer la présence de métissage au sein des familles présentes au Lac Sainte-Marie.

Selon l'historiographie, le Lac Sainte-Marie accueille la visite de missionnaires depuis 1841198. Le père Desautels a parcouru l'ensemble de la région de l'Outaouais entre 1841 et 1853. Lors de ces missions, le prêtre a annuellement produit un registre des mariages, baptêmes et sépultures pour chacune des missions visitées199. La majorité du registre porte sur les localités entourant Bytown. Cependant, le trajet du missionnaùe l'amène à faire escale en Haute-Gatineau, particulièrement à La Visitation et au Lac Sainte-Marie. Lors de ces visites, le père Desautels note copieusement les actions religieuses qu'il exécute200. Ces annotations permettent de tirer plusieurs conclusions par rapport à la présence de squatters sur la rivière Gatineau.

D'un point de vue structurel, les entrées contenues dans le registre sont toutes écrites sous le même format. Par exemple, dans le cas d'un baptême, l'auteur nomme dans cet ordre précis la date, le nom de l'enfant, son âge, le nom des parents, leur lieu de résidence et finalement, le nom du parrain et de la marraine. Ces entrées, produites dans une optique purement administrative, deviennent un condensé d'information permettant d'évaluer l'ampleur des différentes communautés de squatters. Prenons quelques instants pour faire un survol à caractère quantitatif des données sélectionnées. Dans l'ensemble du registre, produit majoritaùement par le père Desautels, on y retrouve 56 entrées qui concernent directement la Haute-Gatineau. Selon ce registre, pour le Lac Sainte-Marie, l'on observe,

198 Le Nord de l'Outaouais, p. 225. 199 Ce registre est disponible, sous forme de micro-film, chez Bibliothèque et Archives Canada, bobine C-2978, Registraires paroissiaux d'Aylmer et Gatineau, comté de Wright, 1841-1853. 200 Pour consulter l'ensemble des notices de la bobine « Registraires paroissiaux d'Aylmer et Gatineau, comté de Wright, 1841-1853 » portant sur notre terrain d'étude, consulter la transcription à l'annexe 1.

70

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entre 1841 et 1853, 26 baptêmes, 6 mariages et 2 sépultures. En comparant le total du nombre d'entrées avec celles portant uniquement sur le Lac Sainte-Marie, il est possible d'observer que cette dernière communauté est citée dans près des deux tiers des notices, soit 34 fois sur 56. Ces chiffres force le constat que la région du Lac Sainte-Marie a été un endroit relativement « actif » où plusieurs familles semblent y avoir élu domicile.

Figure 6 : Nombre d'entrées concernant la Haute-Gatineau dans «Registraires paroissiaux d'Aylmer et Gatineau, comté de Wright, 1841-1853 201

Lac Ste-Marie La Visitation Haute-Gatineau Total

Baptêmes 26 9 6 41

Mariages 6 6 0 12

Sépultures 2 1 0 3

Total 34 16 6 56

Plusieurs des sources consultées, dont le registre du père Desautels, indiquent que le Lac Sainte-Marie a été un lieu propice au métissage. L'exemple suivant démontre clairement cette affirmation. Selon le registre, le 19 janvier 1844, le père Desautels performe deux cérémonies, soient un baptême et un mariage. Le baptême concerne clairement une jeune femme Amérindienne :

On the nineteenth day of January, one thousand eight hundred and forty four, we the undersigned priest baptized Marie Angélique Masawakomikotowive, wife of Joseph Lavallée, aged thirty seven years.

J. Desautels ptre. 202

La note suivante est encore plus révélatrice :

Le dix neuf janvier, mil huit cent quarante-quatre, nous prêtre soussigné avons reçu le mutuel consentement de mariage de Joseph Lavallée, fils majeur de Jean Baptiste Lavallée et de défunte Louise Paule d'une part, et de Marie Angélique

C-2978, Registraires paroissiaux. Trois lieux ont été répertoriés lors du dépouillement de la bobine et identifiés dans le présent tableau. Les deux premiers lieux sont le Lac Sainte-Marie et La Visitation; les missionnaires y faisaient annuellement un arrêt et décrivaient leurs actions. La troisième colonne représente les entrées décrivant une action cléricale en Haute-Gatineau, sans qu'une localité soit proprement définie.

C-2978, Registraires paroissiaux, fol. 154.

71

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Masawakamikokive fille majeure de Paul [Dijimikozol] et de défunte [Cibadj nawokikive] d'autre part; tous deux du Lac Ste. Marie en présence de François Xavier Viau qui a déclaré ne savoir signer et de Messire Terence McGuerney, soussigné et ont aussi les dits Joseph Lavallée et Marie Angélique Masawakamikokive reconnu en présence de témoins sus-mentionnés, Louise, Angèle, Marguerite et Julie comme leurs enfants légitimes. T. McGuerney J. Desautels ptre.203

Les deux dernières citations exposent une situation d'une limpidité inattendue : afin de

légitimer le mariage entre Joseph Lavallée et Marie Angélique Masawakomikotowive, le

père Desautels a baptisé cette dernière avant la cérémonie. Selon les notes du missionnaùe,

la mariée est amérindienne, comme le confirme son nom ainsi que celui de ses parents. De

plus, il est intéressant de noter que plusieurs enfants sont nés avant même le mariage des

parents. D est donc claù que cette famille, et fort probablement leur descendance, est le

portrait type du métissage entre Euro-canadiens et Autochtones en Haute-Gatineau. Dans

l'ensemble du registre, on décèle pas moins de 10 unions du même genre.

Un dernier élément de ce registre mérite une attention particulière. En juin 1845, le

père Desautels marie un certain Amable McDougall à Marguerite [Ridjinakawe], tous deux

du Lac Sainte-Marie204. Le nom de l'époux n'est pas étranger. Deux arpenteurs ont

rencontré cet individu lors de leurs explorations. Premièrement, en 1848, John Allan Snow

l'identifie sur sa liste de squatters occupants le Lac Sainte-Marie. Snow mentionne qu'il

habite ce lopin de terre depuis six ans et qu'il a envùon 10 acres de défrichés

Deuxièmement, dans un rapport rédigé en 1851, l'arpenteur A.J. Russell raconte son

exploration de la rivière Jean de Terre :

From the mouth up to seventy miles the Jean de Terre receives eight tributaries capable of carrying lumber. The only information I was able to gather about them was from Amable McDougall a well known halfbred who has been many years in the service of the Hudson Bay Company as a travelling trader.207

203 C-2978, Registraires paroissiaux, fol. 154. 204 C-2978, Registraires paroissiaux, fol. 240. 205 MNRFQ, John Allan Snow, G. 25 « Aylwin & Hincks J. A. Snow 1848 », 1848, p. 75. 206 Cette rivière est située à l'ouest du Lac Baskatong. voir la figure 3 à la page 51. 207 MNRFQ, dossier 128424, « [Exploration de la rivière Jean de Terre] », 1851, p. 7.

72

Page 80: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Donc, Amable McDougall serait un « halfbreed », nom autrefois utilisé pour désigner une

personne d'ascendance mixte. D est intéressant de noter que la famille McDougall est très

présente au Lac Sainte-Marie. D est possible de compter 12 entrées au registraire du père

Desautels qui font dùectement mention à ce groupe familial. Le fait qu'une autre source

que les archives missionnaires confirme que Amable McDougall est effectivement un métis

entérine la présence de ce groupe en Haute-Gatineau et particulièrement au Lac Sainte-

Marie. À la lumière du dernier exemple, il serait même possible que la famille McDougall

de la rivière Gatineau soit entièrement d'origine mixte. Des recherches supplémentaires

seraient nécessaires pour répondre adéquatement à ces nouvelles interrogations.

D'autres sources d'arpentage permettent également d'affirmer que le Lac Sainte-Marie

est un lieu particulier en Haute-Gatineau. Les arpenteurs semblent tous indiquer que la

région est considérablement active. John Newman, dans son rapport de 1846, inscrit une

note concernant le village : «Theù are a great many settlers on the banks of Lake St. Mary

and its outlet which was not convenient to estimate but must be something considerable as

there is a Mission established there»208. Il confirme donc ce qu'il est possible d'observé

dans les archives missionnaires : le Lac Sainte-Marie ressemble de plus en plus à une

communauté et non à un simple regroupement arbitraire de squatters. L'année suivante, les

missionnaùes de chantiers réitèrent l'ampleur du village, tout en ajoutant une distinction

ethnique entre les villageois :

En remontant la Gatineau jusqu'à 20 lieues de son embouchure, on trouve à deux milles de la rive gauche, un petit lac nommé Walliag Kang auquel on donne aussi le nom de Ste. Marie, à cause d'une petite chapelle élevée sur ses bords depuis cinq ans par les soins de M. Desautels et dédiée à la Ste. Vierge. Seize familles canadiennes, métisses et sauvages, y ont fixé leur demeure2 .

Cependant, c'est à nouveau le père Joseph Desautels qui présente un élément de preuve qui

confirme la présence de familles métisses dans cette localité. Dans son rapport au

Monseigneur de Montréal datant de 1843, le missionnaire explique que la plupart des

familles occupant le Lac Sainte-Marie ne pratique pas l'agriculture, mais « vivent de la

m Newman, « River 18 River Gatineau », 1846. 209 Codex Historicus de Longueuil, 1847, p. 79. Cité dans Carrière, Histoire documentaire de la Congrégation, p. 103.

73

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chasse et la pêche, qu'ils font dans les grands lacs voisins, qui sont très poissonneux » .

L'arpenteur John Allan Snow confirme :

As a general remark it may be said that the land on both sides of the River & Lake St. Mary is of the best quality. [...] The inhabitants there [?] have subsisted chiefly by hunting & fishing of which the lakes & vicinity afford a super abundance. They are commencing however, to pay more attention to the improvements of their farms21 .

Deux choses s'illustrent à la suite de la lecture de ces passages. Premièrement, et bien

évidemment, le mode de subsistance diffère largement des villages proprement euro-

canadien, et ce, malgré la présence de terres visiblement très fertiles. La chasse et la pêche

comme principal moyen de se nourrir sont davantage associées à un rythme de vie

autochtone. Ces sources nous poussent donc à croire que les squatters du Lac Sainte-Marie

sont partiellement composés de familles d'origine amérindienne ou métisse.

Deuxièmement, le père Desautels mentionne que les habitants s'adonnent à ces pratiques

dans «les grands lacs voisins ». Encore une fois, la chasse et la pêche sur un terrain

considérablement large ne sont pas caractéristiques des colons d'origine européenne. Outre

le métissage proprement génétique, ces deux exemples portent à conclure qu'il existe,

spécifiquement dans la région du Lac Sainte-Marie, un système d'échange des

connaissances entre Autochtones et Euro-canadiens, voue même un certain métissage

culturel.

Lorsque l'on combine l'ensemble de ces sources, il est possible d'affirmer

indéniablement qu'il y a au XIXe siècle, une activité de métissage entre Euro-canadiens et

Amérindiens au Lac Sainte-Marie. Cependant, il est beaucoup trop tôt dans la recherche

pour prétendre que cette époque présente les signes de l'ethnogenèse d'une communauté

Métis distincte. En ce qui concerne les conclusions de cette recherche, la population de ce

village reste malgré tout un groupe certes métissé, mais tout de même squatter. La présence

de métis, particulièrement concentré dans un même lieu, permet de comprendre un peu

mieux les dynamiques des habitants de la rivière Gatineau. Des recherches plus exhaustives

210 Desautels, « Lettre du 3 mai 1842 », p. 61. 21 ' Snow, G. 25, « Aylwin & Hincks », p. 76.

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sur les colons du Lac Sainte-Marie seraient à envisager afin d'établir l'existence, ou non, d'une communauté distinctement métisse.

Selon les archives d'arpentage et les documents des missionnaires, il est possible d'affirmer que la région de la vallée de la rivière Gatineau a été peuplée de squatters avant l'ouverture officielle des terres, qui se produit durant la deuxième moitié du XLXe siècle. Cependant, cette population est distribuée inégalement sur le territoire, certains cantons accueillent un grand nombre de colons tandis que d'autres semblent, selon les arpenteurs, inhabités ou inhabitables. Même s'il est difficile de chiffrer précisément les groupes de squatters, il est probable que leur nombre a été relativement restreint avant 1845, assez pour être identifié par les autorités, mais trop peu à cette époque pour réellement influencer le développement économique de la région de l'Outaouais. En évaluant les informations des différentes sources consultées, la population squatter de la rivière Gatineau est estimée à quelques centaines d'âmes, tout au plus. Étant formés majoritairement d'Anglophones, les colons de la Haute-Gatineau, ayant récemment immigré en Amérique du Nord, proviennent essentiellement des îles Britanniques, dont particulièrement de l'Irlande. Malgré la présence de squatters français, l'arrivée massive de Francophones sur la rivière Gatineau ne se fera seulement qu'après 1860, grâce entre autres aux interventions du curé Labelle. Cependant, la communauté du Lac Sainte-Marie présente un élément fort intéressant. Il semblerait que cet endroit soit un lieu de prédilection pour le métissage entre Amérindiens, généralement Algonquins, et colons d'origine européenne. Sans affirmer qu'il est question de l'ethnogenèse d'une communauté proprement métisse au Lac Sainte-Marie, il est intéressant d'exposer ce fait historique dans le cadre de cette étude sur les squatters de la rivière Gatineau. D est certain que des recherches plus approfondies sur cette localité mériteraient une attention particulière. Finalement, la situation socio-économique des squatters n'est guère reluisante. La pauvreté et l'analphabétisme sont criants et, comme il en sera question dans le chapitre suivant, certains acteurs de la région ont intérêt à maintenir le statu quo.

Malgré l'emploi de sources presqu'exclusivement indirectes, il a été possible, jusqu'à présent, d'identifier l'existence du phénomène du squattage sur la rivière Gatineau entre

75

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1812 et 1870. De plus, il a été possible d'élaborer une description géographique et qualitative de ce groupe. Quelle est la place sociale de ces squatters en Haute-Gatineau? Comment s'inscrivent-ils dans l'organisation socio-économique de la région? Ont-ils réellement un poids dans la balance? C'est à ces questions que le prochain chapitre tentera de répondre.

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3. Relations et interactions

Jusqu'à présent, les recherches en archives ont permis d'avoir une idée d'ensemble de la communauté de squatters de la rivière Gatineau, et plus particulièrement au niveau de la répartition de cette population et son origine. Les sources ont aussi permis de démontrer que les squatters n'étaient pas seuls sur le territoùe. Dans la majorité des cas, le corpus de document primaùe est essentiellement composé d'écrits provenant de ces autres groupes qui ont côtoyé de près ou de loin les squatters de la Haute-Gatineau. Afin de mieux comprendre la place qu'occupaient ces habitants illégaux dans le tissu social de la rivière Gatineau, il est important d'analyser la relation qu'ils entretenaient avec ces autres acteurs sociaux interagissant dans un même environnement.

Dans la vallée de la Gatineau entre 1812 et 1870, outre les squatters, trois groupes semblent particulièrement se démarquer. Premièrement, il y a le gouvernement. La relation entre les squatters et le pouvoù est captivante, principalement car elle est présente à divers niveaux. D'un côté, les squatters interagissent avec des représentants gouvernementaux lors de l'arpentage des terres. Comme il a été démontré précédemment, certains rapports d'arpenteur font dùectement référence à la présence de colons illégaux. D est clair que l'information recueillie est retransmise aux différents paliers du gouvernement et qu'éventuellement, les élus sont mis au courant de la situation sur le terrain.

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Conséquemment, l'appareil gouvernemental vote une multitude de lois et de règlements

s'appliquant à la gestion du « problème » des squatters212.

Deuxièmement, les compagnies forestières forment le second groupe qui semble

maintenu des liens avec les squatters de la rivière Gatineau. L'ouverture des terres se fait

grâce à la création de chantiers de bois et comme nous l'avons mentionné, l'établissement

des squatters suit étroitement cette progression. Il sera entre autres question dans ce

chapitre du rapprochement de ces deux groupes et de vérifier si leur relation reste la même

tout au long du XLXe siècle. Troisièmement, les échanges entre les squatters de la rivière

Gatineau et les Autochtones de la région seront à l'étude. Par exemple, il sera intéressant

de voir si le fondement de cette relation est la même en Haute-Gatineau que dans la région

voisine, la Mauricie, qui connaît une ouverture territoriale similaire à la même époque.

3.1. Relation avec le gouvernement

Au XLXe siècle, le gouvernement colonial est parfaitement au courant de la présence

de colons illégaux sur les terres de la Couronne, et ce, sur l'ensemble du Bas-Canada. Une

multitude de rapports ont été produits à même le terrain et ont atteint les sphères politiques

supérieures. Il est intéressant comment les squatters de la Haute-Gatineau sont perçus par

les différents acteurs gouvernementaux.

3.1.1. Rencontre sur le terrain

Le contact entre le Pouvoir et les squatters se fait tout d'abord sur le terrain. Les

arpenteurs-géomètres, mandatés par le gouvernement pour délimiter et inventorier les

ressources des terres de la Couronne, font leur première apparition en Haute-Gatineau aux

alentours des années 1840. Certains arpenteurs consacrent une partie de leur rapport à la

présence d'habitants illégaux, fournissant une quantité appréciable d'information sur ces

derniers.

212 Entre 1839 et 1853, pas moins de 5 actes ont été émis par l'Assemblée législative concernant la réglementation des terres publiques. U en sera davantage question au point 3.1.2.

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D est cependant curieux que ces travailleurs gouvernementaux soient capables d'acquérir le moindre renseignement sur les squatters de la rivière Gatineau. D serait logique de croire que ces colons fuiraient la présence des arpenteurs sur le territoùe de peur d'être chassés de leur demeure. Dans le même ordre d'idées, une communauté clandestine ne cherche habituellement pas à se rapprocher d'un représentant du gouvernement. Contre toute attente, dans le cas des squatters de la rivière Gatineau, les rapports d'arpenteurs semblent peindre un portrait toutefois différent. Afin d'éclaircir le tout, nous examinerons entre autres le rapport de l'arpenteur John Allen Snow qui s'est aventuré en Haute-Gatineau en 1848.

Avant d'analyser les écrits de Snow, il est intéressant de comprendre qui est le personnage. Les actions de John Allan Snow dans l'Ouest canadien permettent d'en connaître un peu plus l'homme, contrairement à plusieurs autres arpenteurs qui ont laissé peu ou pas de traces de leur vie privée. Le père de John Allan Snow, John Snow, est recruté en Angleterre en 1817 par la famille Wright afin de travailler comme charron214 sur leurs propriétés215. D a à l'époque 23 ans. Malheureusement pour lui, ce dernier meurt quelques années plus tard par noyade à la Chute des Chats sur la rivière des Outaouais Cependant, entre son arrivée en Amérique et son fâcheux accident, John Snow met au monde en 1824 un fils dans le canton de Hull au Bas-Canada, John Allan Snow217. Peu d'éléments sont connus de son enfance, mais il est possible de retrouver la trace du personnage lors de sa formation générale. À la suite de ses études à la St Lawrence Academy de Potsdam, New York, John Allan Snow revient au Bas-Canada pour apprendre

213 Plusieurs années après son passage en Haute-Gatineau, John Allan Snow sera choisi en 1868 par le tout nouveau gouvernement canadien pour la construction d'une route reliant le lac des Bois à Upper Fort Garry (plus tard nommé Winnipeg) afin de fournir du travail aux habitants souffrant d'une mauvaise récolte. Il ne va sans dire que ces travaux répondaient largement aux demandes des expansionnistes canadiens réclamant de meilleures communications avec l'Ouest. Toutefois, Snow rencontre une certaine résistance chez les travailleurs, résultant en une grève qui coûta presque la vie de l'arpenteur (on l'a menacé de le noyer s'il ne payait pas la journée de grève des employés). Il a été considéré à l'époque que les travaux de Snow et des équipes d'arpentage de John Stoughton Dennis ont été responsable de l'établissement d'un mouvement de résistance à l'expansion vers l'ouest qui éventuellement a débouché au soulèvement de la Rivière-Rouge. « John Allan Snow », Dictionnaire biographique du Canada. 214 À titre d'information, un charron est une personne qui fabrique et répare des chariots. « Charron », dans Le petit Larousse illustré 2007, Paris, Larousse, 2007, p. 29. 215 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 12. 216 Hughson, Hurling Down the Pine, p. 12. 217 « John Allan Snow », Dictionnaire biographique du Canada.

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le métier d'arpenteur. Le 11 septembre 1847, il devient l'un des arpenteurs provinciaux

adjoints218. D entreprend

Gatineau à l'âge de 24 ans.

adjoints218. D entreprend donc l'une de ces premières missions d'exploration sur la

Comme les rapports de l'arpenteur John Newman, les travaux de John Allan Snow sur

la rivière Gatineau informent sur la présence de squatters. Cependant, les informations

fournies par Snow permettent d'en connaître davantage sur ces habitants. Comme dans les

autres listes d'habitants illégaux consultées, l'arpenteur compile le nom des squatters ainsi

que le nombre d'acres occupés ou défrichés. Toutefois, les notes de Snow diffèrent

principalement de celles de Newman sur la présentation des renseignements. Snow, au lieu

d'utiliser des tableaux sous forme de grille, préfère une approche plus qualitative. Il écrit

donc l'équivalent d'un court paragraphe pour chaque squatter rencontré en expliquant

brièvement s'il y a des constructions sur la terre ainsi que le nombre d'années

d'occupation. Voici donc deux exemples tirés de ses notes d'arpentage portant sur les

squatters de la région du Lac Sainte-Marie, situé à environ 30 km au sud-est de La

Visitation, aujourd'hui Gracefield:

Andrew Sabourain. On lot No. 27 in the 5th range. Has 15 acres cleared with buildings thereon. Is the first person who settled at the lake [Sainte-Marie] in 1837.

Issac Truchon. On the lot no. 27 in the 4th range. Has 30 acres cleared a part of which 219

about 4 acres on lot no. 28. Has been settled here 9 years .

Les notes détaillées de Snow permettent entre autres, dans le cadre de cette recherche, de

mieux comprendre l'évolution de l'établissement des squatters dans la Haute-Gatineau.

Selon les informations répertoriées par John Allan Snow, l'occupation du territoire au Lac

Sainte-Marie débute donc en 1837. De plus, cette colonie semble contenir une forte

majorité de francophones. En effet, sur une liste de 20 squatters, 17 ont des patronymes à

connotation française. Il est intéressant de noter que la présence d'un grand nombre de

francophones au Lac Sainte-Marie diverge avec les trouvailles archivistiques jusqu'à

présent qui ont semblé démontrer une présence majoritairement anglophone dans la Haute-

Gatineau durant la première moitié du XLXe siècle. D'un autre point de vue, les

218 « John Allan Snow », Dictionnaire biographique du Canada. 219 Snow, « G. 25 Aylwin & Hincks », p. 73.

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informations fournies par le rapport de Snow ne font que renforcer ce que l'historiographie

mentionne à propos de la colonisation au XLXe siècle et ce qui a été observé dans le nord

de l'Outaouais à l'effet qu'il y a eu une sectorisation des colons selon leurs origines

linguistiques et/ou ethniques.

Revenons maintenant sur la relation entre les squatters de la rivière Gatineau et

l'arpenteur qui reste tout de même particulière. Snow mentionne dans son rapport qu'il a

«Completed the survey of the Lake [Sainte-Marie] also obtained the names of the persons

squatted on the land and the time they have lived on the same»220. La nature des

informations obtenues par Snow porte à croire qu'il a été en étroit contact avec les

squatters établis sur la rivière Gatineau en 1848. De plus, le type d'information recueillie

implique une interaction directe, basée sur un climat d'ouverture et de confiance. Les

squatters n'auraient probablement pas communiqué avec cet individu sans croire qu'il

pourrait leur apporter quelque chose en retour, par exemple le titre de la terre qu'ils

occupent. L'interaction entre ces deux groupes, soit les squatters et les représentants du

pouvoir gouvernemental, serait donc basée sur une quête de légitimation. D'un côté, les

squatters occupant les terres et pour certains depuis presque une décennie, cherchent à

justifier et régulariser leur présence. De l'autre côté, le gouvernement, par l'entremise de

l'arpenteur, officialise sa mainmise sur le territoùe en créant de nouveaux cantons dans la

région de la Haute-Gatineau.

La légitimation des squatters sur leurs terres peut être une tâche ardue et de longue

haleine. En contre-vérifiant les noms de la liste de squatters du Lac Sainte-Marie produit

par Snow avec l'ouvrage de référence intitulé Liste des terrains concédés par la Couronne

dans la province de Québec de 1763 au 31 décembre 1890, il est possible d'apparier cinq 991 999

individus . Le canton de Hincks est officiellement érigé le 25 octobre 1864. Certains

habitants font légalement reconnaître leur présence plusieurs années suite à leur

220 Snow, « G. 25 Aylwin & Hincks », p. 91. 221 D s'agit de Francis Nault (achat de 159 acres le 11 novembre 1861), Louis Foumier (achat de 76 acres le 3 décembre 1867, Pierre Barbier (achat de 166 acres le 18 mai 1869), John Little (achat de 202 acres le 27 juin 1870 et de 286 acres le 26 novembre 1875) et Andrew Leamy (achat de 200 acres le 3 novembre 1868 et de 200 acres le 15 octobre 1870). Langelier, Liste des terrains concédés, p. 723. 222 Le Lac Sainte-Marie fait partie du canton de Hincks.

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établissement. Par exemple, Louis Foumier, qui en 1848 a envùon 30 acres de défrichés et

qu'il occupe depuis 10 ans, achète officiellement sa terre en 1867223. Plus étonnant encore,

dans le cas d'Andrew Leamy, établie depuis 1845 selon J.A. Snow, les terres occupées

seront acquises en 1870 seulement . Selon une note dans la Liste des terrains concédés,

l'achat des lots 8 et 9 du rang 8 se fait par les représentants légitimes d'Andrew Leamy,

donc après la mort de ce dernier . Malheureusement, il est impossible, à l'aide des

informations présentement disponibles, de retracer les autres individus figurant sur la liste

de John Allan Snow. Néanmoins, sans avoir de réponses définitives, quelques idées

peuvent être élaborées afin d'expliquer l'absence notable de ces squatters dans la Liste des

terrains concédés. D est possible que certaines personnes sur cette liste aient été des

spéculateurs fonciers, défrichant les terres de la Couronne dans le but de les revendre avec

une marge de profit des plus appréciables. Il est toutefois fort probable qu'une majorité des

habitants présents au passage de l'arpenteur en 1848 aient quitté une fois l'ouverture

officielle du canton réalisée.

Le rapport de 1848 de John Allan Snow sur les cantons de Hincks et Aylwin permet de

comprendre la relation entre le pouvoir étatique et le squatter directement sur le terrain.

Contraùement à ce que l'on aurait pu croire, les deux parties semblent davantage

collaborer; chacun cherchant une reconnaissance sur le territoùe. Malgré l'évolution de la

législation sur les squatters au Canada, les arpenteurs ne démontrent aucune appréhension

face à la présence d'habitants illégaux sur les terres de la Couronne. D'un point de vue plus

personnel, il est possible de voù que John Allan Snow, arpenteur de renommée, semble

également avoir plusieurs racines le rattachant à la région de l'Outaouais. Son père y est

établi depuis 1817 et, en 1824, il se fait octroyer 200 acres de terres dans le canton de Hull.

D était précédemment impossible de savoir pourquoi certains arpenteurs choisissaient de

produire des listes de squatters à la fin de leurs rapports d'arpentage. À la suite de

l'exposition des liens unissant la famille Snow à la Gatineau, il est peut-être plausible

:23 Snow, « G. 25 Aylwin & Hincks », p. 74, et Langelier, Liste des terrains concédés, p. 723. 4 Langelier, Liste des terrains concédés, p. 723.

225 II est intéressant de noter que M. Leamy se retrouve aussi dans la liste de squatters de John Newman, Newman, « River 18 River Gatineau », 1846.

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d'avancer comme hypothèse que le zèle de ces arpenteurs est nourri par un attachement plus personnel, voue une connexion émotionnelle.

La relation squatter/arpenteur sur le terrain est, selon ce qui peut être observé dans les archives, cordiale, voue même solidaire. Examinons maintenant la perception des sphères supérieures du gouvernement par rapport au phénomène du squattage au Bas-Canada, particulièrement dans le domaine législatif. Est-il possible de retrouver le même lien amical observé précédemment?

3.1.2. Rencontre au parlement

Le premier constat, lorsqu'il est question de l'octroi de terres publiques, est que ce sujet a fait couler beaucoup d'encre au cours du XLXe siècle. Entre 1837 et 1860, il y a eu plusieurs recommandations, dont la plus importante provient probablement du rapport Durham de 1839. De plus, trois actes suivront le rapport Durham qui influenceront considérablement la situation des squatters présents sur les terres de la Couronne. Il est cependant important de clarifier que dans le cadre de cette étude, l'analyse portera uniquement sur le rapport entre les squatters de la rivière Gatineau et l'évolution de la législation entourant les terres publiques, écartant dans son ensemble la question des terres privées. Comme la Haute-Gatineau ne comporte peu ou pas de propriétaires légitimes avant la deuxième moitié du XLXe siècle, il n'est pas utile de s'attarder à la progression de la législation entourant ce type de terres226.

Débutons par les propositions de John George Lambton, Earl of Durham. Dans son rapport sur l'état de l'Amérique du Nord britannique, ce dernier semble avoir une faible opinion des choix faits par le gouvernement colonial face à la gestion des terres publiques. En effet, il s'attaque dùectement au système du Leader and Associates qui est un programme gouvernemental grandement utilisé par les premiers colons de l'Outaouais. Durham mentionne que malgré la limite maximale de 1200 acres de terre accordée à un

226 Comme mentionné dans l'introduction, pour plus de renseignements sur les problèmes encourus par la présence de squatters sur les terrains privés, il est conseillé de consulter l'article de John I. Little, ou bien le mémoire de maîtrise d'Eric Whan.

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individu, certains personnages ont été en mesure d'obtenu de 10 000 à 50 000 acres sans

trop de problème227. Le 30 octobre 1838, Lord Durham émettra une proclamation qui

influencera pendant plus de deux décennies la gestion gouvernementale des squatters

présents sur les terres de la Couronne :

And whereas the acquisition of Crown lands within the province of Lower Canada, either by grant or purchase, has, in respect of persons of little property or influence, been subject to numerous obstacles and harassing delays, so that it has been always difficult and often impossible for such persons to obtain possession of Crown lands, upon which they might settle themselves, except by an occupation, [...] I do hereby certify and declare, that in any and every case in which any person shall have actually settled upon, improved and cultivated any waste lands, the property of the Crown, in the province of Lower Canada, previously to the tenth day of September last, such person being an actual and bona fide settler, or his legal personal representative, shall have an absolute right of pre-emption in respect of the lot whereupon he has so settled [...]228.

Par cette déclaration, Durham instaure une politique de préemption qui permet non

seulement aux squatters du Bas-Canada d'acquérir prioritaùement les terres qu'ils

occupent, mais aussi d'éviter la lourdeur administrative et le système d'enchère en place à

l'époque, ce qui facilite sérieusement l'ensemble du processus d'obtention de titres.

Durham veut agir dans l'intérêt du développement colonial du Canada. Dans une lettre

adressée à Lord Glenelg, il explique que cette décision est basée sur le fait que les

anciennes règles entourant l'attribution de terres de la Couronne sont responsables du 99Q

retard de la colonisation du territoire au Bas-Canada . Jusqu'en 1859, soit la fin de la

politique de préemption de Durham, les actes émis par le gouvernement concernant les

terres de la Couronne seront donc appliqués dans le but d'encadrer la proclamation du 30

octobre 1838.

Trois actes viendront limiter la politique de préemption de Durham. En 1842, Y Acte

pour disposer des Terres publiques stipule que l'octroi gratuit de terre sera limité à 50

27 Le Leader présentait au Conseil exécutif une pétition contenant les signatures de plusieurs colons afin de demander 1200 acres par personne. Dans la majorité des cas, le Leader récupérait l'ensemble des terres demandées. Denis Bertrand et André Lavallée, Le rapport Durham, Montréal, Editions de Sainte-Marie, 1969, p. 96. 228 «Enclosure in No. 72; By his Excellency the Right honourable John George Earl of Durham, Viscount Lambton, &c. &c. &c; A proclamation», dans British North America copies or extracts of correspondence relative to the affairs of British North America, Londres, HMSO, 1839, p. 237. 229 «Copy of a DESPATCH from Earl Durham, G.C.B., to Lord Glenelg», dans British North America, p. 235.

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9 ■ifl

acres . Les squatters peuvent cependant toujours débourser pour obtenu les titres du

terrain qu'ils occupent au-delà de 50 acres. L'acte de 1849 cherche à mieux encadrer le

processus de vérification d'un colon cherchant à obtenir les titres d'une terre de la

Couronne. En effet, on impose certaines conditions relatives à l'occupation du territoùe.

Les terres octroyées peuvent maintenant être reprises si l'habitant est incapable de prouver

hors de tout doute qu'il a apporté au lot en question des améliorations significatives231.

Finalement, en 1853, le gouvernement arrête officiellement la pratique d'octroi gratuit de

terres. De plus, on fixe à 200 acres la limite vendue à un seul individu232. En 1859, le

système de préemption est aboli par le commissaire des terres de la Couronne, P.M.

Vankoughnet, afin d'instaurer une procédure plus stricte à l'égard des squatters, mais

beaucoup plus encadrée et saine d'un point de vue administratif, sans toutefois revenir au

système précédant 1838 . Il est indéniable que les différents amendements mentionnés ci-

dessus cherchent à mieux superviser la distribution de terres publiques afin d'éviter tout

type d'abus. On cherche à se distancer des programmes inéquitables, tel que le Leader and

Associates, pour favoriser une colonisation plus simple et efficace. Cependant, plusieurs

hommes d'affaire sont grandement intéressés pas ces terres nouvellement disponibles,

surtout pour les ressources qu'elles contiennent. Les restrictions des années 1850 tentent de

limiter l'avarice de ces derniers, mais en vain. Sur la Gatineau, un homme « occupant »

plusieurs lots de terre est un homme potentiellement riche, ayant la possibilité d'exploiter,

entre autres, une quantité considérable de bois.

Lors des recherches dans les archives d'arpentage, il a été possible de constater que

certains noms de squatters sont récurrents dans la documentation. L'un d'eux est Thomas 9^4

McGoey. Ce dernier figure à la fois sur les listes de John Newman et de John Allan

230 Statut provincial du Canada, Ie Sess., 4e &5e Vie. Cap. 100, Acte pour disposer des Terres Publiques, 1842, p. 129-136. 231 Canada, assemblée législative, seconde session, 3e parlement, 12 Victoria, Bill acte pour amender un acte mentionné, et pour établir de nouvelles dispositions pour l'administration et la vente de terres publiques, et pour limiter la période dans laquelle il sera fait des octrois gratuits de terres, 1849, p. 698-702. 232 Canada, assemblée législative, première session, 4e parlement, 16 Victoria, Bill acte pour amender la loi pour la vente et l'établissement des terres publiques, 1853, p. 885-890 233 JLAC 17, P.M. Vankoughnet, «Regulations for the sale and management of the Public Lands », 1859,

Newman, « River 18 River Gatineau », 1846.

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Snow . D est done normal que les recherches aient été orientées dans l'optique d'en apprendre davantage sur M. McGoey et sur la nature de sa présence sur les abords de la rivière Gatineau. Des recherches additionnelles ont donc été entreprises dans le fonds d'archives RG 1-L 1 (Executive Council Office; Québec, Lower Canada, Upper Canada and Canada : Executive Council, Minute Books (on Land Matters) 1787-1867) de BAC, communément appelé les Land Books. Le but lors de ces recherches était de trouver des demandes de terres produites par certains squatters notoires de la vallée de la Gatineau, dont Thomas McGoey. En plus des pétitions de demandes de terres, ce fonds d'archives contenait une série de correspondance concernant la validité de la présence de M. McGoey sur certains lots. Voici un bref résumé de l'échange en question.

Thomas McGoey est un exploitant forestier présent sur la rivière Gatineau depuis l'ouverture de cette dernière, n est un joueur important à l'époque même de la Gatineau Priviledge, pratiquement au même niveau que les familles Wright ou Gilmour. Dans une lettre datée du 4 février 1851, McGoey transmet au Gouverneur général de l'époque, Lord Elgin, sa demande de terres. Cette requête concerne spécifiquement Turtle Creek, sur la rivière aux Aigles, et les abords de la rivière Tomasine, non loin de la rivière Désert. McGoey explique qu'il est établi dans la région de la Haute-Gatineau depuis maintenant 20 ans et qu'il a été l'un des premiers à apporter des améliorations à ses terres, telles que des routes, des glissoires à bois et des fermes236. Il demande donc officiellement les terres ci-haut mentionnées, car il les occupe depuis 10 ans. Il juge avoù considérablement développées ces terres, ayant dépensé £5000 en améliorations de toutes sortes. Il estimerait dommage que l'ensemble de ses investissements soit perdu si un autre individu venait à se procurer légalement ce même lot. Jusqu'à ce point, il n'y a rien de surprenant à cette demande, car la politique de préemption est toujours en vigueur sur le territoire du Bas-Canada, donc il est toujours possible d'acquérir une terre d'une telle façon.

Afin d'homologuer sa présence sur les terres demandées, McGoey joint à son mémoire quelques affidavits de personnages influents. Il est donc possible de retrouver une lettre

235 Snow, « G. 25 Aylwin & Hincks », p. 78. 236 BAC, RG1, L3, vol. 320 (a), Upper Canada Land Petitions « Mc » Bundle 6, 1850-1852, [Lettre de Thomas McGoey au Gouverneur général de l'Amérique du Nord britannique], 4 février 1851, folio 105a.

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d'un ancien employé de McGoey, Joshua M. Wyman, ainsi qu'une lettre de l'arpenteur

John Newman. Tous deux confirment que Thomas McGoey occupe dûment les terres

sollicitées. Newman mentionne même qu'au total, 500 acres de terre sont cultivées par

McGoey sur les sites de la rivière aux Aigles et de la rivière Tomasine237. Finalement,

McGoey annexe à son dossier une pétition, signée par nul autre que le maire de Bytown de

l'époque, Charles Sparrow, qui allègue essentiellement les mêmes arguments ci-haut

mentionnes .

Toutefois, tous ne sont pas d'accord avec ces affirmations. Dans une lettre du 15 juin

1852, l'arpenteur AJ. Russell expose son point de vue par rapport aux demandes de

Thomas McGoey. Il réfute catégoriquement la majorité des arguments avancés par le clan

McGoey. Selon Russell, il est de notoriété publique que les améliorations mentionnées

dans le mémoire de McGoey ne concernent pas les terres demandées, mais bien ses autres

propriétés foncières sur la rivière Gatineau. Voici ce que A.J. Russell rapporte :

It is well known however and Mr. McGoey in his explanations to me states that the farm in question is on one of his old berths - that there is no farm whatever on any of the new berths he applies for - and that the sum of £5000 - spoken of is the value of all the improvements he has made on the River Gatineau upon, and for the use of the timber berths previously held by him239.

Russell met aussi en doute l'occupation du territoire sollicité par McGoey. n ne semble pas

convaincu que ce dernier ait exploité autant de territoùe pendant une aussi longue période.

Selon lui, McGoey cherche principalement à récupérer 600 pins rouges gisant depuis un

certain temps sur les berges de la rivière Tomasine. D aurait fait couper ces arbres avant

l'abolition de la Gatineau Priviledge en 1843240. Comme ce bois lui appartient, Russell

concède qu'il serait acceptable de laisser à Thomas McGoey une parcelle de terre « of the

usual size and form preserved by regulations » sur la rivière Tomasine. Cependant, il rejette

unilatéralement les arguments d'améliorations proposés par McGoey et ses partisans241.

237 RGl, L3, vol. 320 (a), « [Affidavit de John Newman] », 6 février 1851, folio 105d. 238 RGl, L3, vol. 320 (a), « [Pétition en faveur de Thomas McGoey] », 4 février 1851, folios 105h - 105i. 239 RGl, L3, vol. 320 (a), « [Lettre de A.J. Russell] », 15 juin 1852, folio 105q. 240 RGl, L3, vol. 320 (a), « [Lettre de A.J. Russell] », 15 juin 1852, folio 105s. 241 RGl, L3, vol. 320 (a), « [Lettre de A.J. Russell] », 15 juin 1852, folio 105t.

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La documentation ne pennet malheureusement pas d'élucider cette situation délicate, mais il est cependant évident que l'une des deux positions est clairement fausse. D se pourrait que McGoey cherche à tirer avantage de la politique de préemption pour mettre la main sur des territoires propices à la coupe de bois. A.J. Russell, étant arpenteur et ayant exploré la région de la rivière Gatineau , tenterait donc d'apporter un peu de lumière sur les allégations d'occupation de McGoey. Sans en avoù la certitude, l'exemple de Thomas McGoey démontre comment les spéculateurs pouvaient opérer afin d'accumuler une grande quantité de terres de la Couronne, et ce, malgré la présence de lois de plus en plus restrictives.

À première vue, les squatters de la rivière Gatineau, généralement pauvres et sans ressource, peuvent sembler dépourvus et laissés à eux-mêmes. Ds ont toutefois un allié de taille : le pouvoir colonial, dont principalement Lord Durham. Entre 1838 et 1859, dates qui correspondent généralement à l'«âge d'or» des squatters en Haute-Gatineau, les colons illégalement installés sur les terres de la Couronne peuvent, en y mettant un peu d'effort, se procurer un titre, du coup protégeant les améliorations faites aux lots. De son côté, le gouvernement y trouve la satisfaction de peupler son territoire sans trop investir de capitaux. Le travail effectué par les arpenteurs symbolise en quelque sorte la mainmise du gouvernement sur les territoires explorés. L'arpentage n'est donc pas synonyme d'exclusion pour les squatters. Cette opération annonce plutôt l'inclusion de ces habitants à la société proprement dite. L'arpentage des cantons transporte les squatters de l'illégalité à la légalité. Comme les deux partis retirent ultimement des avantages, peu de friction existe entre eux. Dans le cas des restrictions à la politique de préemption, elles s'adressent plutôt aux spéculateurs qui cherchent à profiter de la lourdeur administrative du pouvoir gouvernemental.

Malgré le bon rapport entre le gouvernement et les squatters, le contact entre les deux groupes reste relativement restreint. Les squatters ne sont néanmoins pas seuls sur le

242 Lors de cette recherches, il fut possible d'identifier deux rapports d'arpentage produits par A.J. Russell : l'un en 1851 portant sur l'exploration de la rivière Jean de Terre (au nord-ouest de Maniwaki) et l'autre datant de 1859 où l'auteur rapporte au commissaire des terres de la Couronne sur l'état des terres sur la rivière Saint-Maurice, tout en faisant grandement référence aux terres de l'Outaouais.

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territoire. Les compagnies forestières occupent une place de choix dans le microcosme de

la rivière Gatineau. D sera maintenant question de la cohabitation des squatters avec cette

industrie prolifique.

3.2. Relation avec les compagnies forestières

Comme dans le cas des régions du Saguenay et de la Haute-Mauricie, la vallée de la

Gatineau a été disponible aux squatters grâce entre autres au développement de l'industrie

forestière. Les multiples chantiers de bois, localisés parfois jusqu'à 200 km au nord de

Bytown, ont permis l'étalement d'une population squatter sur les terres de la Couronne;

ceux-ci vivant souvent en proximité de ces mêmes chantiers. Ce phénomène n'est

naturellement pas exclusif à l'Outaouais. La région de Madawaska243, située à la frontière

du Québec et du Nouveau-Brunswick et la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, ont tous

connus au cours de leur histoire ce que l'historiographie désigne comme étant le « système

agro-forestier », soit une coexistence du développement agraire et de l'industrie forestière.

La prochaine section permettra de mieux comprendre ce que cette période signifie pour les

squatters de la Haute-Gatineau.

3.2.1. Ix système agro-forestier

Avant d'analyser les implications de ce système sur les squatters de la Haute-Gatineau,

il est essentiel d'adéquatement définù ce concept historique. Normand Séguin, dans son

bref, mais édifiant article intitulé L'économie agro-forestière : genèse du développement au

Saguenay au 19e siècle, le définit ainsi :

D s'agit d'une économie d'un type particulier définie par la coexistence d'un secteur agricole et d'un secteur forestier, uni dans le même espace par des liens de complémentarité : 1) absence ou grande faiblesse d'intégration du secteur agricole aux circuits commerciaux; 2) dépendance plus ou moins poussée du secteur agricole aux activités forestières.244

243 Béatrice Craig démontre que le système agro-forestier tel que décrit par Normand Séguin a été à l'origine du développement de la région de Madawaska au XIXe siècle. Béatrice Craig, «Agriculture and the Lumberman's Frontier in the Upper St. John Valley, 1800-70», Journal of Forest History, vol. 32, no. 3 (juillet 1988), p. 127. Special Issue: A Collaborative Effort on Forest History in Canada. 244 Normand Séguin, « L'économie agro-forestière : genèse du développement au Saguenay au 19e siècle », dans Normand Séguin (dir.), Agriculture et colonisation au Québec; Aspects historiques, Boréal Express, Montréal, 1980, p. 159-160.

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Donc, selon l'explication de Séguin, les terres cultivées sur la rivière Gatineau devraient

être à la fois coupées des marchés principaux, tels que Bytown ou Montréal, et devraient

principalement desservir les chantiers environnants. Afin de répondre au premier critère de

M. Séguin, au risque de se répéter, il fut précédemment mentionné que dans le rapport de

l'arpenteur O'Hanly datant de 1856, ce dernier attire l'attention sur le manque flagrant de

routes sur la rivière Gatineau. L'auteur ajoute que malgré les terres arables du canton

d'Aumond, les habitants « [are] cut off from all communication with the outer world

except in winter when Nature provides the material for roads» 45. O'Hanly n'est pas le seul

à arriver à ces conclusions. Près de dix ans après le rapport d'arpentage du canton

d'Aumond, James McArthur décrit le même problème lors de son passage dans le canton

de Dorion.

Settlement has advanced more rapidly on the Gatineau River for the last ten years than in any other section of the Ottawa County. The principal drawback [souligné dans le texte] is the want of good roads the river is so much obstructed by rapids as to render its navigation even by Canoes extremely hazardous and difficult, very few immigrants come to settle themselves on the Gatineau river the inhabitants are principally composed of French Canadians from Lower Canada and British Canadians from the adjacent Townships in Upper Canada246.

Ces deux passages démontrent claùement la présence d'un problème de taille

concernant le manque de bonnes routes sur la Gatineau. De plus, il n'y aura également pas

d'amélioration avec le temps. Plus d'un arpenteur souligne cette insuffisance et, en 1864,

ce qui est relativement tard dans le développement socio-économique de la région, les

routes sont toujours quasi inexistantes. Sans accès direct aux marchés, même de Bytown, il

est impensable de croire que les petits producteurs ont la chance d'écouler convenablement

les surplus de leurs récoltes. Il est donc clair qu'une relation de type économique doit

exister entre les agriculteurs et les campements forestiers. Dans un rapport sur le Saint-

Maurice destiné au commissaire des Terres de la Couronne247, l'arpenteur AJ. Russell qui

œuvre aussi en Haute-Gatineau, explique l'interdépendance qui se développe entre les

MRNFQ, « Report of the Survey of the Township of Aumond », 1856. 245

246 MRNFQ, James Mac Arthur, « D.41 Dorion J. McArthur 1864 », 27 octobre 1864, p. 14. 247 U est important de souligner qu'à travers son rapport, l'auteur se base grandement sur des données provenant de l'Outaouais afin de faire un comparatif avec la situation des bois de la Couronne en Haute-Mauricie.

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colons et les chantiers de bois. D réitère le besoin d'une intervention gouvernementale pour

réglementer cette relation :

Le commerce de bois et la colonisation sont d'une égale importance pour le pays. Par le marché qu'il crée pour les produits agricoles, le commerce du bois est un des moyens les plus puissants pour favoriser la colonisation; car, plus le colon est éloigné de tout autre marché, plus le prix qu'il obtient pour ses produits est élevé. Dans les chantiers, et pour le surplus de leurs produits, les colons les plus éloignés obtiennent un bien plus haut prix qu'ils obtiendraient sur le meilleur des marchés de la province. Au moins, c'est le cas depuis bien des années. Bien que la colonisation et la fabrication des bois marchent de pair, et comme les terres qui restent à vendre sont principalement situées dans des contrées que le commerce du bois exploitera il est maintenant plus que jamais nécessaire de définir et de garantir les droits respectifs des colons et des fabricants de bois248.

Mgr Guigues, évêque de Bytown, exprime la même idée dans son rapport de 1860 sur les

chantiers en Outaouais : « Les fermiers y trouvent [dans les chantiers] un débouché facile

et avantageux pour le produit de leurs terres, une occupation bien rémunérée pour eux et

leurs animaux pendant les cinq mois que leurs champs sont couverts de neige [...] »249.

Finalement, James McArthur, dans son même rapport sur le canton de Dorion, en vient aux

mêmes conclusions que A J . Russell et Mgr Guigues 50. Les commentaùes de ces derniers

confirment qu'il existe, du moins en Outaouais et sur la rivière Saint-Maurice, un lien

économique, mais aussi social entre les chantiers de bois et les foyers de population qui

peut se définù selon la notion historique de Normand Séguin.

Afin de proprement imager la présence d'un système agro-forestier en Haute-Gatineau

au XLXe siècle, le cas suivant sera examiné. Lors des recherches dans la documentation de

la famille Wright, deux dépositions d'employés ont été trouvées; celle de Léon Johnson et

Cristopher Crues datant de 1850. Les auteurs de ces documents décrivent un apparent

conflit entre quelques membres de la famille Wright, soient Ruggles Wright et la

descendance de Tiberius Wright. Il y a donc dispute autour de la division de ballots de foin

248 Journaux de l'Assemblée législative de la Province du Canada, 1863, 21: App. 8. Rapport au commissaire des terres de la couronne. Mars 1859, p. A8-[39]. 249 Joseph-Bruno Guigues, « Missions du Canada, Lettre de Mgr. Guigues, évêque de Bytown, aux Conseils centraux de la Propagation de la Foi », Annales de la propagation de la foi éd. Lyon, tome 32, 1860. p. 367. 250 McArthur, « D.41 Dorion J », p. 14.

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à la Victoria Farm251. L'incident aurait eu lieu deux ans plus tôt, soit en 1848252. Deux

passages sont particulièrement frappants à la lecture de ces documents. Tout d'abord, les

premières phrases de la déposition de Léon Johnson sont très révélatrices : « Léon Johnson

is a married man and lives opposite the Victoria Farm on the Gatineau River. He says he

worked on the Victoria Farm upwards of two years [...] he was discharged on the [site]

March 1848. After this time he worked occasionally on the farm when required [...] »253.

Ces quelques mots contiennent une quantité impressionnante d'information constructive.

Premièrement, il est clairement identifié que M. Johnson a une vie familiale en bordure

d'un campement à vocation forestière. Le fait qu'il est mentionné que cet homme est marié

est d'une importance capitale. La grande majorité des listes de squatters récoltées lors des

fouilles archivistiques n'identifient que le nom de l'homme occupant illégalement la terre.

Cela peut signifier deux choses : l'auteur de la liste préfère n'inscrire que les chefs de

famille ou bien ces hommes sont tout simplement célibataùes. Lorsque l'on mentionne que

Léon Johnson est un homme marié domicilié sur la rivière Gatineau, il est juste de croire

que ce site, situé à l'opposé de la Victoria Farm, prend une importance particulière. La

présence d'unités familiales est incontestablement un signe de stabilité, contrairement à une

cohorte d'hommes célibataùes cherchant uniquement le gain facile afin de le rapporter à

leur ménage situé à l'extérieur de la région. De plus, lors de la rédaction de ces dépositions

en 1850, les cantons de Wright et Northfield ne sont toujours pas officiellement érigés 54.

Cette famille est donc aisément identifiée comme étant un véritable groupe de squatters,

qui cultive à la fois une étroite relation avec les exploitants forestiers.

Déduction faite, Johnson est installé à cet endroit depuis au moins 1846, car il est

mentionné dans sa déposition qu'il est employé à la Victoria Farm de façon régulière

pendant deux ans. À partù de 1848, il travaille occasionnellement à la ferme à la suite d'un

251 En 1839, la famille Wright aurait commencé à se spécialiser dans le bois de sciage, quelque peu différent du bois équarri. Leur centre des opérations, la Victoria Farm, était à la jonction des rivières Pickanock et Gatineau. La ferme serait nommée en l'honneur de la reine du même nom ayant pris le trône deux ans plus tôt. Hughson, Hurling Down the Pine, p. 80-81. 252 BAC, MG 24 D8, vol. 130, Wright Papers; Victoria Farm 1840-1850, 1850, folios 68533-68535 et 68545-68548. 253 MG 24 D8, vol. 130, Wright Papers; Victoria Farm 1840-1850, 1850, folio 68533. 254 Comme la Victoria Farm est dan le canton de Northfield, Léon Johnson habite soit dans ce même canton ou dans le voisin, le canton de Wright. Ce dernier a été érigé le 25 octobre 1854 et le canton de Northfield le 10 juin 1861. Langelier, Liste des terrains concédés, p. 766 et 804.

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licenciement. Selon la terminologie employée dans l'extrait précédemment mentionné, Johnson serait toujours, en 1850, un résidant de la rivière Gatineau (l'auteur emploie le présent de l'indicatif lorsqu'il est mention de son état civil et de son lieu de résidence tandis qu'il utilise le passé dans le restant du texte). Comme Léon Johnson n'est qu'un travailleur occasionnel à la Victoria Farm depuis mars 1848, il y a tout lieu de croùe qu'il possède une autre source de revenus pour subvenir aux besoins de sa famille. D est déjà été établi qu'il est fréquemment embauché comme main d'œuvre après son renvoi en 1848. Vu sa proximité au campement, il n'est pas impossible de penser que Johnson vend ses surplus agricoles à la famille Wright. Chose certaine, il est convenable de déclarer qu'il existe sur la rivière Gatineau des interactions entre les squatters et l'industrie forestière.

Le deuxième élément ayant attiré particulièrement l'attention porte spécifiquement sur l'objet au centre de la dispute : le foin. Dans leur déposition, Crues et Johnson affirme que «[...] the hay and other produce of the Victoria Farm was equally devided [...]»255 entre les deux belligérants. En 1848, cette ferme a produit 25 tonnes de foin256. Malgré la vocation forestière de la Victoria Farm, une grande quantité de produits agricoles y est tout de même annuellement cultivée. De plus, cet établissement emploie une main-d'œuvre locale afin d'effectuer le travail sur le terrain. Il est probable que les exploitants forestiers, tels que les membres de la famille Wright, utilisent les récoltes des squatters dans le but de combler les irrégularités de leurs propres cultures. Si les arpenteurs expriment leur désarroi face au manque de routes praticables sur la rivière Gatineau, il n'est pas difficile de croire que les marchands de bois doivent faire face aux mêmes problèmes. Dans une situation agricole précaire, les produits provenant des fermes de squatters peuvent être d'une aide inestimable.

L'inaccessibilité aux grands marchés et l'interaction économique entre les squatters et les compagnies forestières démontrent qu'un système agro-forestier est une réahté sur la rivière Gatineau au XLXe siècle. Cependant, ce type de système ne peut survivre que si le secteur forestier reste en position de dominance par rapport à la population occupant le

255 MG 24 D8, vol. 130, Wright Papers; Victoria Farm 1840-1850, 1850, folio 68545. 256 MG 24 D8, vol. 130, Wright Papers; Victoria Farm 1840-1850, 1850, folio 68534.

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territoùe. Comme le mentionne Séguin, le système agro-forestier est fondamentalement antiurbain, « ne favorisant pas l'émergence de concentrations urbaines susceptibles de

'yen

devenu des pôles intégrateurs de l'espace régional » . Il n'est donc pas étonnant d'observer que dès le début de la deuxième moitié du XLXe siècle, on voit apparaître les premiers fondements de communautés qui sont prêts à affronter les grands barons du bois afin de se faire respecter en tant que colons.

3.2.2. Les failles du système agro-forestier

Comme il est possible de le constater, la région de La Visitation est un endroit privilégié pour observer et analyser les échanges entre les squatters et le monde forestier. La proximité d'un campement d'importance semble avoir généré une grande quantité d'activités. L'exemple de Léon Johnson démontre que la Victoria Farm attùe certains squatters à s'établir en périphérie pour profiter entre autres d'un emploi occasionnel. Dans le cadre de ses observations topographiques notées dans ses carnets d'arpentage, John Newman a la bonne habitude de mentionner la présence de fermes, mais il a déjà été établi que les données brutes fournies par les arpenteurs sont parfois relativement difficiles à interpréter. Peu de points de repère sont énumérés, outre les «magnetic bearings» 58. Il peut donc être problématique de clairement identifier l'emplacement géographique d'un squatter. Toutefois, dans son carnet datant de 1847, Newman fait explicitement mention de la Victoria Farm. Dans la région entourant cet endroit clé, une quinzaine de colons ayant une quantité considérable d'acres de défrichée sont facilement identifiés. Newman constate même la présence d'une chapelle visiblement à l'extérieur des installations forestières : «Head of Victoria Farm opposite the Chapel of St. Joseph»259. Les terres autour des installations de la famille Wright sont donc de plus en plus occupées.

257 Séguin, « L'économie agro-forestière », p. 163. 58 Dans ces carnets, l'arpenteur note ses observations au fur et à mesure de son avancement sur la rivière. Par exemple, dans le cas du carnet de Newman, il indique le « magnetic bearing » «N.29.W» et ses observations sur chaque côté de la rivière Gatineau, comme l'embouchure de cours d'eau ou la présence de fermes.

59 MRNFQ, dossier 128524, « No. 73 River Du Moine, part of River du Lièvre, River Gatineau, Boom Creek, Bear River », 1847.

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En 1849, les habitants de La Visitation, aujourd'hui Gracefield, font parvenir au

Gouverneur général de la province du Canada, Lord Elgin, une requête pour lui partager

leurs inquiétudes grandissantes260. En effet, les 60 habitants de cette communauté semblent

exacerbés par le fait que leurs terres ne sont toujours pas arpentées et que le désordre

commence à s'installer entre les résidents de longue date et les nouveaux arrivants. De

plus, l'ensemble des habitants est mécontent du fait qu'aucune route ne les relie aux « lieux

habités », soient Wrightville et Bytown. Finalement, on se lamente face aux agissements

des « bourgeois des chantiers ». Selon les villageois de La Visitation :

[...] il serait nécessaire que la liberté donnée primitivement aux bourgeois des chantiers de couper tout le bois qu'ils jugeraient convenable pour leur commerce, fut restreinte et s'il était possible enlevée, car ils privent les habitants du seul moyen qu'ils auraient de se procurer quelques ressources toujours indispensables dans un commencement d'établissement et cette licence d'ailleurs est poussée si loin que les habitants ne trouvent même pas le bois nécessaire et convenable pour bâtir leurs maisons. Au commencement ils se bornaient à ne couper que le [gros] bois, mais maintenant ils coupent même le bois de huit à dix pouces261.

D est clair que le lien de confiance qui a déjà existé entre la Victoria Farm et les habitants

envùonnants est en déclin, voire totalement disparu. Cette requête, adressée à l'instance

politique la plus élevée des colonies de l'Amérique du Nord britannique, démontre le

désespoir des squatters à faire respecter leurs établissements. La politique de préemption

toujours en vigueur, ces derniers ne font qu'attendre l'arpenteur pour officialiser leur

présence sur ces terres. Comme le souligne Normand Séguin, une fois l'émergence de

concentrations urbaines, dans ce cas-ci un regroupement de 60 individus, le système agro­

forestier ne peut continuer à évoluer. Ce système est probablement viable seulement

lorsqu'il y a une répartition inégale du pouvoir; la moindre contestation soutenue provenant

d'un groupe d'agriculteurs élimine la relation symbiotique entre les deux entités, qui, à la

base, est largement plus avantageuse pour les compagnies forestières.

La famille Wright n'est pas la seule à connaître des problèmes avec une population

locale en pleine ebullition. La compagnie de Allan Gilmour sera accusée en 1868 de couper

260 Pour la requête complète, voir l'annexe 2 à la fin du présent mémoire. 261 Kathleen Mennis-de Varennes, Au Cœur de la Gatineau ou l'histoire de la paroisse de la Visitation de Gracefield (comté de Gatineau), Sainte-Foy, 1985, p. 395. L'original se trouve aux Archives du Diocèse de Mont-Laurier, dossier Gracefield.

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illégalement du bois sur des terres occupées par des colons dans le canton d'Alleyn, situé

au sud-ouest du canton de Wright. Selon les 11 signataires de la pétition adressée au

commissaire des Terres de la Couronne, Gilmour aurait envoyé 70 hommes «who are now

cutting down our Prime Timber for saw logs»262. Encore une fois, les habitants cherchent à

faire respecter leurs avoùs en faisant appel aux autorités supérieures. Malheureusement,

dans les deux exemples précédents, la documentation ne permet pas de savoir si des

sanctions ont été entreprises contre les exploitants forestiers. D est seulement possible de

voir, à l'aide de Liste des terrains concédés, que le canton de Northfield où se trouve le

village de La Visitation, a officiellement été érigé en 1861, donc 12 ans après la pétition

des squatters . En définitive, il est possible d'établù en Haute-Gatineau une corrélation

entre le développement de communautés et l'accroissement de frictions entre squatters et

exploitants forestiers.

Il est cependant possible que la discorde entre les colons de la Gatineau et les

compagnies forestières ait été ultimement inévitable. Selon l'historienne Béatrice Craig,

auteure d'un article sur le système agro-forestier de la vallée de la Saint-Jean au Nouveau-

Brunswick, les conditions économiques des fermiers s'adonnant au travail forestier l'hiver

n'étaient pas particulièrement bonnes. La production agraùe étant minime, il était plutôt

question d'une agriculture de subsistance. Les salaires octroyés par les compagnies

forestières n'étaient guère mieux. Comme les colons étaient en mesure de faire pousser leur

propre nourriture, les exploitants forestiers gardaient les gages au strict minimum264. La

situation en Haute-Gatineau ne semble guère mieux que celle de la vallée de la Saint-Jean.

Ce qui s'observe à La Visitation et dans le canton d'Alleyn ressemble davantage à l'éveil

d'une conscience collective, à l'émergence d'une communauté prête à défendre ses droits.

D est donc possible qu'à la première occasion de se regrouper, les colons de la Haute-

Gatineau aient fait front commun face aux compagnies forestières afin de briser ce système

pernicieux.

262 MG 28, UI 6, vol. 145, Gilmour & Hughson, « [Pétition des habitants du canton d'Alleyn contre Allan Gilmour] », 1er octobre 1868. 263 Langelier, Liste des terrains concédés, p. 766. Cet ouvrage ne nous indique cependant pas la date d'érection du canton d'Alleyn.

Lumberman's Frontier », p. 126.

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264 Craig, « Agriculture and the Lumberman's Frontier », p. 126

Page 104: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Comment définù la relation entre les squatters de la rivière Gatineau et l'industrie

forestière du XLXe siècle? Le mot « parasitaùe » vient rapidement à l'esprit; les squatters

s' « accrochent » aux compagnies forestières afin de profiter pleinement de l'ouverture des

terres. Au début de la relation entre les deux groupes, les fermiers doivent accepter les

conditions dictées par les exploitants forestiers afin de survivre. Peu de contestation existe,

car les barons du bois détiennent la balance du pouvoù. Certes, les squatters forment une

main-d'œuvre bon marché, mais leur présence n'est pas essentielle à la survie du commerce

forestier dans la région. Les squatters survivent grâce aux chantiers de bois et il est fort à

parier que les deux groupes soient amplement conscients de la situation. Cependant,

l'augmentation de la population squatter et la formation de regroupements de colons

mettent fin à cette relation déséquilibrée pour laisser place à un affrontement plus

classique. Chaque groupe cherche à posséder le territoire ainsi que les ressources qu'il

contient. Les hostilités prennent généralement fin lorsque le gouvernement officialise les

cantons à la suite de l'arpentage, ce qui peut tout de même prendre un certain temps.

3.3. Relation avec les Autochtones

Les Autochtones composent le dernier groupe sur lequel cette étude s'attardera afin de

mieux comprendre la place des squatters dans le tissu social de la Haute-Gatineau. A la

suite de la destruction du Middle Ground, les Amérindiens de l'Ouest du Canada

deviennent, selon le pouvoir de l'époque, une nuisance au développement économique de

la colonie. Sur le terrain, l'arrivée de nouveaux colons sur le territoùe déjà utilisé par une

communauté amérindienne peut rapidement devenir le sujet d'altercations. La Haute-

Gatineau est d'ailleurs, au XLXe siècle, au cœur des rencontres entre Algonquins et Euro-

canadiens. D est donc intéressant de comprendre la nature de cette relation afin d'élucider

un peu plus le mystère des squatters de la rivière Gatineau.

Avant d'amorcer l'analyse des sources, il est important d'apporter quelques précisions.

Lorsqu'il est question des Algonquins de la rivière Gatineau, et plus particulièrement des

résidants de la réserve de Maniwaki, il est difficile d'ignorer la présence des missionnaires.

Tout comme les squatters, les Algonquins ont laissé peu de traces documentaùes pouvant

convenablement éclaùer la relation entretenue avec les Euro-canadiens de la région. Les

97

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informations disponibles proviennent donc majoritaùement des ordres religieux, agissant

généralement comme intermédiaùes entre le monde autochtone et le reste de la société.

Selon des sources, les Oblats établis à Maniwaki semblaient parfois mettre leurs intérêts

devant ceux des Autochtones. D reste cependant que les missionnaires semblent avoù tenté

dans la mesure du possible, de protéger les Amérindiens des influences néfastes des Euro-

canadiens. Malgré cette subjectivité, ces sources peuvent tout de même être considérées

comme fiables.

3.3.1. Réciprocité ou animosité?

Selon les archives consultées, la relation entre les habitants de la vallée de la Gatineau

et les Algonquins est passablement difficile. Ce fait n'est pas tellement surprenant lorsqu'il

est question de l'histoire des contacts entre les Amérindiens et les premiers colons

permanents au début du XLXe siècle, tel que Philemon Wright. La mésentente s'installe

rapidement lorsqu'il est question de la possession de la terre . Un climat de méfiance

règne sur la rivière des Outaouais. Dans une lettre adressée à Philemon Wright en 1818,

John Hodgson explique qu'il préfère retarder son voyage entre la chute aux Chats et Hull,

car il a eu comme information que des Autochtones seront probablement sur la route266.

Pourquoi retrouve-t-on cette hostilité entre ces deux peuples? Les problèmes encourus

lors du début de la colonisation de l'Outaouais sont-ils toujours présents à l'ouverture de la

rivière Gatineau? Avant de pouvoir répondre à ces questions, il est important de revenir

brièvement sur la gestion gouvernementale des territoires réservées aux Amérindiens,

particulièrement sur la politique concernant la présence de squatters sur ces terres.

3.3.1.1. Les propos de la Commission Bagot

Depuis quelques décennies, les Autochtones du Canada se plaignent de l'empiétement

de squatters Euro-canadiens sur leur territoire. Le phénomène est en plein essor, à tel point

265 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 149. 266 BAC, MG24 D8, vol. 4, «John Hodgson to Philemon Wright», 30 juin 1818, fol. 1036. Cité dans Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 149.

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que certains rapports gouvernementaux, dont le Rapport sur les Affaires des Sauvages en Canada communément appelé la « Commission Bagot », en font spécifiquement mention.

En 1842, le Gouverneur général de l'époque, Sir Charles Bagot, ordonne le début des travaux sur une commission d'enquête ayant pour objectif de mieux comprendre la gestion des affaires indiennes au Canada . Le rapport final a été déposé en 1844 entre les mains du prochain gouverneur général, Su Charles Metcalfe, et comprend trois sections distinctes : la première est composée d'une chronologie historique des politiques indiennes au Canada, la deuxième porte essentiellement sur la condition socio-économique des Amérindiens incluant les métis, et la dernière porte sur la gestion et le personnel du département des Affaires indiennes . Dans cette troisième section, les auteurs du rapport écrivent quelques paragraphes sur la présence de squatters sur des terres réservées. Comme ce genre de situation semble vraisemblablement avoir eu lieu sur la rivière Gatineau principalement à la suite de la création de la réserve de Maniwaki, l'analyse des recommandations de cette section du rapport est pertinente.

En premier lieu, les commissaùes affirment que la présence de squatters sur les terres réservées aux communautés amérindiennes, qu'ils soient des « émigré[s] indigents] » ou des « spéculateurs] malhonnête[s] », cause plusieurs « problèmes ». Us ciblent principalement quatre maux : le mauvais exemple que donnent les squatters aux Autochtones, la destruction du bois, l'anéantissement du gibier et la ruine des pêcheries Au premier coup d'œil, les commissaùes semblent sous-entendre que ces colons occupant des terres réservées sont incontestablement une nuisance. Toutefois, la suite des recommandations n'abonde pas dans le même sens. Rapidement, les auteurs du rapport font la distinction entre deux types de squatters : le bon colon qui, malgré sa présence illégale sur le territoùe, cultive, défriche et bâtit dans l'objectif d'améliorer le lot qu'il occupe et le mauvais spéculateur qui cherche le profit en s'appropriant le bois, en volant et en

267 John Leslie, « The Bagot Commission : Developing a Corporate Memory for the Indian Department », Historical Papers / Communications historiques, vol. 17, no. 1, 1982, p. 31. 268 Leslie, « The Bagot Commission », p. 31. 269 Voir la section portant sur Edward Burk à la fin du présent chapitre. 270 « Rapport sur les Affaires des Sauvages en Canada », appendice T, Journaux de l'Assemblée législative du Canada, 1847, p. T-23.

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971

encourageant le vice chez les populations amérindiennes . On s'empresse ensuite de

mentionner que le bon squatter mérite une certaine considération, car les améliorations de

ce dernier constituent « une garantie pour la compensation qui sera finalement accordée

aux Sauvages pour l'usurpation temporaire dont ils sont les victimes »272. D est important

de noter que les commissaùes parlent uniquement de compensations et aucunement

d'expropriation.

Afin de répondre aux quatre grands problèmes causés par les squatters euro-canadiens

présents sur les terres amérindiennes, les commissaires proposent un même nombre de

recommandations. D importe de se rappeler que, selon les auteurs de ce rapport, ce ne sont

pas l'ensemble des squatters qui représentent une menace pour les Autochtones. Bien au

contraire, dans plusieurs cas, l'exclusion des Euro-canadiens des réserves « prive les

Sauvages d'avoir devant les yeux les exemples d'habileté et d'industrie que peuvent leur

donner les blancs » 73. De surcroît, dans le Bas-Canada, les commissaùes rapportent que le

contact plus fréquent entre les colons et les Amérindiens « ne paraît pas avoir résulté de

grands inconvéniens [...], au contraire, on dit qu'ils [les Amérindiens] sont presque sinon

tout à fait sur un pied d'égalité avec la basse classe de leurs voisins Canadiens »274. Pour

régler le premier problème, les commissaùes recommandent donc au gouvernement

d'évaluer la situation des squatters sur réserve et d'octroyer un titre à ceux qui ne causent 97S

pas de difficultés aux Autochtones . De plus, afin d'éviter l'établissement de nouveaux

squatters, les commissaires proposent de « réduire à des limites raisonnables toutes les

réserves qui aujourd'hui excèdent de beaucoup les besoins actuels ou probables des Tribus

[...] »276. Pour freiner la coupe illégale de bois sur ces terres, qui constitue le deuxième

grand problème, on recommande que les agents du commissaire des terres de la Couronne

puissent délivrer des permis de coupe sur les terres réservées aux Amérindiens. Les

exploitants forestiers pourraient toujours œuvrer sur ces territoires mais les profits seraient

71 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-24. 72 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-24. 73 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-24. 74 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-24. 75 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-25.

276 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-25.

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versés aux communautés autochtones affectées, moins les frais de commission277. La troisième recommandation est d'une clarté effarante. Selon les commissaùes, la disparition du gibier n'est pas nécessairement une mauvaise chose. « À mesure que le gibier disparait, les Sauvages s'appliquent à la culture des terres pour y trouver leur subsistance »278. La recommandation des auteurs de la commission se limite donc à cesser d'encourager les Autochtones à chasser et à promouvoir davantage chez ces populations le modèle agricole et la sédentarisation. Finalement, pour les pêches, les commissaires semblent satisfaits du statu quo. Selon eux, comme aucune loi n'empêche les Amérindiens de pêcher sur les « terres des blancs », il serait injuste d'interdùe ces derniers de pratiquer cette activité sur les réserves279.

D est claù qu'aujourd'hui, les propos de la commission Bagot semblent insensibles, voire machiavéliques, face au bien-être des Amérindiens du Canada. D faut cependant remettre en contexte les recommandations des commissaires. Au XLXe siècle, l'objectif fondamental des différentes politiques entourant la gestion des affaires autochtones et l'intention de la Loi sur les Indiens rédigée plus de 30 ans après la commission Bagot, donc

9R0

en 1876, est très ouvertement l'assimilation des Autochtones . La commission Bagot a quand même permis au gouvernement de réaliser l'étendue des problèmes causés par la décentralisation des activités reliées aux affaires indiennes. Les recommandations de cette commission, largement ignorées lors de son dépôt, serviront les administrateurs quelques décennies plus tard lors de la passation des responsabilités de la gestion des questions

9R1

autochtones lors de la signature de la Confédération canadienne . Plus concrètement, les commissaires font resurgir les propos de la Proclamation royale affirmant que les

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Amérindiens bénéficient de certains droits par rapport à la terre . Cependant, lorsqu'il est spécifiquement question des squatters sur les réserves, il est difficile de s'empêcher de croire que les auteurs de la Commission Bagot n'ont pas utilisé cette situation afin de faire profiter les politiques de colonisation de l'époque. D est donc possible de comprendre que 77 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-25. 78 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-24.

279 « Rapport sur les Affaires des Sauvages », p. T-24. 280 Dickason, Les premières Nations, p. 283. S1 Leslie, « The Bagot Commission », p. 52. 182 Dickason, Les premières Nations, p. 245.

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malgré la nuisance initiale des squatters, ces derniers sont tout de même un outil de taille pour le gouvernement afin de légitimer sa mainmise sur le territoùe, même celui octroyé aux Autochtones.

D n'est donc pas étonnant de retrouver un sentiment d'animosité en Haute-Gatineau. Comme la jonction de la rivière Gatineau et de la rivière Désert, site du village de Maniwaki, est un lieu ayant attiré autant d'Amérindiens que de colons de descendance européenne, la majorité des sources traitent de cette région. Qui plus est, deux exemples démontrent la nature des relations entre les Algonquins de la région de Maniwaki et les Euro-canadiens des alentours. Le premier exemple consiste en la tentative d'expropriation de résidants lors de la création de la réserve de Maniwaki. L'autre porte sur l'exclusion sociale des Algonquins sur leur propre territoire par les Euro-canadiens. Chacun a donc raison d'être insatisfait ou du moins grandement irrité par son voisin.

3.3.1.2. Edward Burk et la création de la réserve de Maniwaki

Un bref retour sur la fondation de la réserve de Maniwaki s'impose afin de mieux comprendre la dynamique entre les Algonquins et les habitants d'origine européenne en 1850. Les Algonquins fréquentant la vallée de la rivière des Outaouais au XVIIIe et XLXe siècle vivent généralement du commerce de la fourrure, ayant comme pied-à-terre la mission du Lac des Deux-Montagnes, près de l'île de Montréal283. Contrairement aux ùoquois de la même mission qui travaillent la terre, les Algonquins ont préféré garder un mode de vie plus nomadique, ce qui explique leur présence coutumière en Outaouais jusqu'au XLXe siècle284. Les missionnaires ont continué à visiter la région tout en gardant

un intérêt particulier pour les terres au confluent des rivières Désert et Gatineau où un avant-poste de la CBH est établi depuis 1819285. En effet, les Sulpiciens construisent en 1843 une petite chapelle en bois à cet endroit, marquant la première construction qui

*3 Gordon M. Day et Bruce G. Trigger, « Algonquin », dans: William C. Sturtevant, dir., Handbook of North American Indians : vol. 15 Northeast, Washington, Smithsonian Institution, 1978, p. 795. 284 Peter Hessel, The Algonkin Nation; The Algonkins of the Ottawa Valley : An Historical Outline, Arnprior, Kichesippi Books, 1993, p. 92. 285 Gaffield, Histoire de l'Outaouais, p. 159.

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9Rfi

deviendra en peu de temps le village de Maniwaki . Lorsque les Pères Oblats prennent le contrôle des missions de Bytown en 1845, le site de la rivière Désert prend rapidement de l'importance. Avec l'aide des hommes et des bœufs de la ferme des Gilmour, le travail de défrichage pour l'installation d'une mission permanente débute à la fin de 1849 et pendant

9R7

l'hiver de 1850 . Ces installations servent de point de départ pour les missions plus au Nord, comme en Haute-Mauricie et en Abitibi. La présence continuelle des pères Oblats incite donc les Algonquins du Lac des Deux-Montagnes à venir s'établir à la toute nouvelle mission de rivière Désert . Les missionnaires travaillent aussi au bénéfice des Autochtones. À la suite des nombreuses demandes de compensation territoriale promulgués par les Algonquins, avec l'aide des Oblats, le gouvernement accepte finalement de former

9RQ

une réserve «in consideration of the claims pressed by these Indians for the compensation for theù hunting grounds on the Ottawa River which had been taken possession of by the White population before they were surrendered»290.

Dès 1849, des discussions s'amorcent afin que cette réserve soit créée sur la Gatineau. L'ensemble du canton de Maniwaki y sera consacré, soit près de 46 000 acres de terrain291.

9Q9

Cependant, certaines étendues de terre sont déjà occupées . Il est intéressant de noter que dans une pétition datée du 30 mars 1850, il est mentionné que les Algonquins, autrefois du

286 Hessel, The Algonkin Nation, p. 93. 287 288

Carrière, Histoire documentaire de la Congrégation, p. 78. Day et Trigger, « Algonquin », p. 795.

289 Le 30 août 1851, le gouvernement colonial promulgue un acte mettant de côté un certain nombre d'acres de terres pour l'usage des communautés amérindiennes du Bas-Canada. « [...] qu'il soit statué par la Très-excellente Majesté la Reine [...] que des étendues de terre n'excédant pas en totalité deux cent trente mille acres pourront [...] être désignées, arpentées et mises à part par le commissaire des terres de la couronne; et les dites étendues de terres seront et sont par les présentes respectivement mises à part et appropriées pour l'usage des diverses tribus sauvages du Bas-Canada [...] ». Statuts provinciaux du Canada, vol. III, 4e Sess. 3e Parlt., 14e &15e Vie. Cap. 106, Acte pour mettre à part certaines étendues de terre pour l'usage de certaines tribus de sauvages dans le Bas-Canada, 30 août 1851, p. 2036-37. 290 William Scott, Report Relating to the Affairs of the Oka Indians, Ottawa MacLean, Rogers and Co., 1883, p. 32-33. Cité dans Hessel, The Algonkin Nation, p. 93. 91 Plus précisément 45 750 acres, ce qui équivaut à 18,5 km2. Hessel, The Algonkin Nation, p. 93.

292 Nous avons retrouvé dans les archives d'arpentage une série de lettres exposant l'évolution du problème opposant, d'un côté, les squatters du canton de Maniwaki et les Algonquins de l'autre, bien entendu supportés par Mgr Guigues. La correspondance n'est pas complète (il a été impossible de retrouver la réponse du gouvernement à la pétition de M. Burk), mais il est tout de même possible de facilement comprendre le processus décisionnel de l'ensemble des partis impliqués dans ce conflit. Cette série documentaire est composée de deux pétitions, trois lettres de l'évêque de Bytown en 1850, Mgr Guigues, et de deux lettres en provenance du département des terres de la Couronne, écrites par Joseph Bouchette, fils. L'ensemble des documents se retrouve dans les archives d'arpentage MRNFQ, dossier 127765.

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lac des Deux-Montagnes, sont déjà installés à rivière Désert avant même l'officialisation de la réserve de Maniwaki qui ne se fera qu'en 1854293. Cette pétition a été entre autres envoyé au Commissaire des terres de la Couronne afin que la distribution « d'équipements » se fasse dorénavant à Bytown ou rivière Désert au lieu du lac des Deux-Montagnes, ce qui nécessite un voyage long et inutile294. Toutefois, deux individus semblent gêner les projets des Algonquins : Edward Burk et un M. Gilmour. Selon les missionnaires oblats, Burk, ce « vieil irlandais », avait « claire une dizaine d'acres sur la Gatineau »295. L'évêque de Bytown, Joseph-Eugène-Bruno Guigues, écrit même quelques remarques personnelles lorsqu'il envoie la pétition des Algonquins de rivière Désert. Selon lui, un certain nombre de « Canadiens » s'établissent dans la région et quelques-uns en profitent pour y faire de la spéculation296. Il est donc impératif, selon l'évêque, qu'un agent soit déployé à cet endroit pour régulariser la situation. Les remarques de l'évêque confirment, entre autres, que la spéculation se pratique en Haute-Gatineau et que le clergé voit cette pratique d'un mauvais œil, surtout lorsqu'il est question de terres allouées aux communautés autochtones.

293 Hessel, The Algonkin Nation, p. 93. 294 MRNFQ, dossier 127765, Joseph-Eugène-Bruno Guigues, «Traduction d'une pétition des sauvages de Maniwaki ou Rivière du Désert pour demander qu'on leur accorde bientôt le titre de leur terrain &qu'on distribue les équipemens à Bytown ou à la rivière du Désert », 30 mars 1850, p. 7. 295 A. D., JC 3301, Codex Historicus de Maniwaki, p. 3. 296 MRNFQ, Guigues, « [Lettre de Bruno Guigues à M. Boutillier] », 1850.

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Figure 7 : Plan de la jonction des rivières Gatineau et Désert 297

MRNFQ, plan B014 d, John Newman, « Plan of the Outlines of the Townships of Maniwaki and Egan », 1850.

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Dans le même document, Mgr Guigues en ajoute davantage sur Edward Burk. Il est

clairement indiqué dans les archives que ce dernier est un immigrant d'origine ùlandaise,

célibataire, installé depuis près de 20 ans sur cette même terre. D'ailleurs, grâce au travail

cartographique de John Newman en 1850, il est même possible de voù exactement

l'emplacement de ce dernier sur la rivière Gatineau à la figure 7298. Dans une lettre

adressée à la commission des terres de la Couronne, l'évêque de Bytown explique la

situation :

Un homme appelé Mr. Burk forme en ce moment quelques difficultés à ce que les sauvages soient seuls paisibles possesseurs du terrein qui leur est accordé par le gouvernement. D possède sur ce terrain environ douze arpens de terre disposé pour la semence. Dans le temps il avait offert de les céder si on préparait un même espace de terrain dans un lieu convenable et non occupé, mais on dit qu'il change maintenant de tactique; car il demande une forte somme. On peut aisément avec dix piastres préparer un arpent de terrein. Ses prétentions devraient donc se borner à obtenir un équivalent de cette somme puisqu'il n'a aucun titre [...]299.

Selon ce qu'il est possible d'en déduùe des commentaùes de Guigues, Burk ne serait pas

un spéculateur, mais un squatter occupant cette terre depuis un bon moment sans posséder

de titre. L'évêque ne semble pas offensé par le fait qu'Edward Burk occupe illégalement le

territoire, mais plutôt par la supposée malveillance de ce dernier qui exige un

dédommagement beaucoup plus considérable que le prix d'une simple délocalisation. Ce

qui est intéressant, c'est que la commission des terres de la Couronne semble tout à fait

prête à accorder à Burk cette compensation :

In respect to the improvements of Ed. Burke as he has been settled for many years on the land he now occupies & cultivates within the recently projected Township of Maniwaki at the mouth of the River Desert the said Burke as the first occupant could more properly claim to be indemnified for his clearances & buildings prior to the grant of the lands being made tot the Indians300.

298 Sur le plan de John Newman, il est fait mention, directement sous la rencontre de la rivière Désert et Gatineau, de l'emplacement des terres d'Edward Burk sous l'appellation « Burke ». Il est d'ailleurs possible de voir l'étendue des installations des Gilmour et des McGoey. 299 MRNFQ, Guigues, « [Lettre de Bruno Guigues à M. Boutillier] », 1850. 300 MRNFQ, dossier 127765, Jos. Bouchette, « Petition of the Indians of the Gatineau preferred through the Right Revt. Bishop of Bytown asking protection against Mrs. Gilmour & one Ed. Burke who are extending their clearances upon the Township of Maniwaki set apart for the Indians and praying that Government do indemnify them for their improvments », 10 juin 1850.

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Cependant, comme le mentionne Joseph Bouchette, «There are however no precedents in Lower Canada for according any indemnity or compensation in cases of this nature»301. II est intéressant de noter que les frais d'indemnisation ne proviennent pas de la Commission des terres de la Couronne, mais bien des Algonquins ou du clergé. Effectivement, dans une lettre adressée à Joseph Guigues, Bouchette explique que les améliorations à la terre d'Edward Burk sont considérables et qu'une entente devrait être conclue avec ce dernier «afin qu'il ne se présente aucune objection [...] à l'octroi aux sauvages du terrain en question »302. Contraùement à Burk, M. Gilmour ne sera pas en mesure d'obtenu une

indemnisation. Selon Bouchette et Guigues, M. Gilmour aurait tenté d'occuper les terres tout juste avant la formation de la réserve afin Gilmour ne sont donc pas prises en considération. tout juste avant la formation de la réserve afin d'en tirer profit . Les réclamations de

Deux éléments ressortent dans le passage précédent. En premier lieu, avant même l'arrivée officielle des Algonquins du lac des Deux-Montagnes, des conflits entre Autochtones et Euro-canadiens sont identifiables dans les sources. Burk n'est qu'un exemple. Comme le mentionne Mgr Guigues, des Canadiens occupent la région. Ce type de batailles semble s'être livré un peu partout dans le canton de Maniwaki entre 1849 et 1854. Selon Stephen McGregor, historien ayant écrit particulièrement sur Kitigan Zibi , certains squatters employés par Thomas McGoey ont entrepris les mêmes démarches qu'Edward Burk auprès du gouvernement pour finalement garder les terres qu'ils occupent305. Certains squatters, comme Peter Shashie et Aid Werrause, ont d'ailleurs marié des femmes algonquines. D'autres colons, comme John White qui devient un peu plus tard l'agent des Indiens pour la réserve de Maniwaki, ont payé un montant annuel au chef algonquin pour « louer » la terre qu'ils utilisaient sur la réserve .

301 Bouchette, « Petition of the Indians of the Gatineau », 10 juin 1850. 302 MRNFQ, dossier 127765, Jos. Bouchette, « [Lettre de Joseph Bouchette à l'évêque de Bytown] », 5 juin 1850. 303 Bouchette, « [Lettre de Joseph Bouchette à l'évêque de Bytown] », 1850. 304 Nom contemporain donné à la réserve de Maniwaki. 305 Stephen McGregor, Since Time Immemorial : « Our Story »; The Story of the Kitigan Zibi Anishinàbeg, Maniwaki, Anishinabeg Printing, 2004, p. 181. 306 Pour M. White, le montant s'élevait à 5 $ annuellement. McGregor, Since Time Immemorial, p. 181.

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L'historique de la formation de la réserve de Maniwaki soulève quelques éléments intéressants par rapport au concept même de colonisation. En effet, contrairement à l'usage où les colons de descendance européenne conquièrent et occupent de nouveaux territoires sans réellement se préoccuper des peuples déjà présents, il est possible d'observer le phénomène contraire, telle une colonisation inversée. La région de rivière Désert, occupée depuis quelques décennies par des habitants généralement originaires des îles Britanniques, se fait « coloniser » par des Algonquins provenant du lac des Deux-Montagnes, prêt à pratiquer l'agriculture comme moyen de subsistance. D'ailleurs, comme le mentionnent ces derniers dans leur pétition du 30 mars 1850, «nous nous [mettrons] tout de bon à la culture, et engagions de plus en plus les sauvages d'en haut à faire de même »307. Joseph Bouchette est incapable de trouver un précédent où un squatter est en mesure de réclamer une compensation pour son expulsion d'une terre qui fera éventuellement partie d'une réserve amérindienne. Cependant, dans ce scénario, les « colonisateurs » ne détiennent malheureusement pas la balance du pouvoir. Bref, il est difficile d'imaginer qu'une relation basée sur le respect et la coopération puisse naître entre les Algonquins et les Euro-canadiens à la suite de ce « premier contact » épineux.

Le deuxième élément ayant soulevé un certain intérêt porte sur le statut d'Edward Burk face au gouvernement. En effet, malgré le fait qu'il est indéniablement un squatter, Edward Burk semble tout de même jouir d'une certaine reconnaissance gouvernementale, voù des droits le protégeant de l'expropriation. TJ semble aussi que Burk eut une influence relative dans l'établissement de la réserve. Joseph Bouchette mentionne dans l'une de ses lettres que Burk pourrait avoir la possibilité de formuler une objection à l'établissement de la réserve s'il ne recevait pas d'indemnisation des missionnaires308. U est quelque peu difficile de savoù claùement ce que Bouchette voulait signifier à l'évêque de Bytown, mais cela porte à penser que malgré son statut de squatter, Burk n'était pas sans recours. Il est vrai que ces événements se sont passés durant l'application de la politique de préemption, mais il reste que dans cette situation jugée anormale, la Commission des terres de la

307 L'expression « les sauvages d'en haut » fait probablement référence aux Algonquins situés au nord de Maniwaki, par exemple en Abitibi. MRNFQ, dossier 127765, Joseph-Eugène-Bruno Guigues, «Traduction d'une pétition », 1850. 308 Bouchette, « [Lettre de Joseph Bouchette à l'évêque de Bytown] », 1850.

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Couronne semble réellement prête à défendre les intérêts de Burk, tandis qu'il aurait été

facile de simplement l'expulser de sa terre.

Malheureusement, les sources ne permettent pas de connaître la conclusion de ces

échanges. Cependant, Gaston Carrière, ce prêtre Oblat ayant écrit de manière exhaustive

sur l'histoire de cette même congrégation religieuse, fait mention d'un M. Burke résidant

près de Maniwaki. En effet, Carrière raconte qu'en septembre 1854, le père Deléage

semble avoir des problèmes avec les Algonquins de la réserve. Ces derniers cherchent à

bâtù leur village sur des terres occupées par les Oblats, que le missionnaire qualifie de

« notre prairie ». Le père Deléage déclare : « il n'y a pas d'autre moyen d'avoù la paix

avec les Amérindiens que de se faire donner 225 acres de terre à partir de la limite de M.

Burke en allant au Désert » . Selon cette citation, les terres de ce M. Burke semblent

situées passablement près des installations des Oblats, et subséquemment de la réserve.

Ainsi, en se référant à la figure 7, il est fort probable que Gaston Carrière parle du même

personnage présent dans les archives consultées. Il est donc possible d'affirmer qu'Edward

Burk, s'il est toujours question de lui dans la lettre du père Deléage, est toujours présent

dans les envùons de Maniwaki en 1854. Pour l'instant, rien dans les archives n'est en

mesure d'adéquatement indiquer pourquoi Burk a finalement eu l'autorisation de rester aux

abords de la rivière Gatineau malgré le tollé qu'avait originalement soulevé sa présence.

Peut-être ce dernier a-t-il accepté de verser annuellement un montant d'argent pour louer la

terre qu'il occupe, comme dans le cas de John White. Chose certaine, si les propos du père

Deléage sont exacts, ce squatter semble avoù gagné sa bataille contre les Algonquins de la

réserve de Maniwaki. À aucun moment dans la correspondance les biens d'Edward Burk ne

semblent menacés et, dans l'éventualité d'une expropriation, le gouvernement est d'avis

qu'il serait justifiable que les Oblats obtempèrent à ses demandes. Il est peut-être exagéré

de parler de favoritisme, mais dans cette situation, ce squatter s'est fait offrir peu

d'opposition.

309 Évêché de Mont-Laurier, dossier Maniwaki, « [Lettre du père Deléage] », 1854, cité dans Gaston Carrière, Histoire documentaire de la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie-Immaculée dans l'Est du Canada; 1" partie : De l'arrivée au Canada à la mort du Fondateur (1841-1861), Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1962, p. 96.

109

Page 117: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

3.3.1.3. Le mécontentement des Algonquins

Suite à l'établissement de la réserve à Maniwaki, les relations ne se sont pas améliorées. Certains individus profitent de la proximité des camps de bûcheron et des Autochtones pour tirer un quelconque profit. Dans une lettre de la CBH écrite par Charles Stuart, ce dernier explique qu'un M. St-Denis, qui semble être employé par la compagnie, s'adonne à un commerce illicite depuis un certain temps à Maniwaki: «[...] since he bought a small farm at Rivière Désert in '48 with which place he keeps up almost a regular communication & continually carrying on a trade with lumbermen in a smuggling manner on his own account which is a bad example to the Ind[ian]s»310. D est possible que ce dernier soit finalement Sévère St-Denis, accusé dans une pétition écrite en 1862 par les Algonquins de Maniwaki de vendre, avec son collègue John Baker, de la « mauvaise liqueur» aux Amérindiens afin de s'approprier plus facilement leurs fourrures311. E est donc intéressant de constater que s'il est question du même personnage. M. St-Denis est résident de la région de Maniwaki depuis 1848, selon Charles Stuart de la CBH. Outre les problèmes habituels reliés à l'alcool, ces sources démontrent qu'il existe une tension entre les Algonquins et les Euro-canadiens de Maniwaki. Même le culte, qui parfois permet de régler des différends, est une source de conflit à cet endroit.

Le meilleur exemple trouvé dans la documentation concerne l'église utilisée par la communauté algonquine. Le père Guéguen relate les événements dans l'une de ses

■ai o

lettres . Selon lui, les Algonquins de Maniwaki sont fermement opposés au projet de construction d'une nouvelle église, principalement parce que cela impliquerait de quitter celle qu'ils occupent. Il n'est pas clairement identifié dans le document pourquoi les Oblats désirent déménager l'église en question, mais l'auteur fait référence dans la même lettre à une situation similaùe au lac des Deux-Montagnes. Le père Guéguen explique qu'à cet 310 Archives CBH, E.41/14, Cameron Family, fol. l-3v, «Lettre de Charles Stuart à Angus Cameron », 7 juillet 1857, fol. 2v. 311 APOMI, Maniwaki, 2D9/11-41, « Lettre du père R. Deléage », 10 septembre 1862. Il est possible que ce John Baker est le même que celui cité dans le recensement de 1861 mentionné au chapitre précédent. 312 La lettre du père Guéguen est malheureusement incomplète. Il manque les premières pages, donc il est impossible de connaître le destinataire de la lettre, ni la date de production. Selon le père Joseph-Etienne Guinard, successeur au père Jean-Pierre Guéguen dans les missions algonquines, ce dernier a été actif chez les Algonquins de 1865 à 1899. Il est donc possible de supposer que cette lettre a été écrite durant la deuxième moitié du XKe siècle. Serge Bouchard, Mémoire d'un simple missionnaire : le père Joseph-Etienne Guinard, O.M.I. 1864-1965, Québec, Ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 106.

110

Page 118: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

endroit, « [...] les sauvages se trouvant seuls occupaient les premiers bancs de l'église. Plus

tard les blancs ont commencé à s'établù et à se mêler parmi les sauvages, peu à peu les

sauvages ont été forcés de prendre les dernières places » . Comme les missionnaùes

oblats cherchent à maintenir une séparation entre les populations d'origine européenne et

les Amérindiens 314, il est vraisemblable que les problèmes de Maniwaki soient similaùes.

Le père Guéguen explique que certains membres de la communauté algonquine sont

contrariés au point de s'en prendre ouvertement aux missionnaires, particulièrement au

père Laporte. Guéguen explique la différence entre la situation du Lac des Deux-

Montagnes et celle de Maniwaki :

Là [au Lac des Deux-Montagnes] les sauvages se croyaient faussement maîtres du terrain. Ici à Maniwaki, ils sont réellement maîtres de leur réserve, ils sont chez eux, et voilà pourquoi ils sont si susceptibles315.

L'irritation qui semble se dégager de la relation entre les Autochtones de la vallée de la

Gatineau et les colons euro-canadiens n'est cependant pas généralisée dans l'ensemble du

Bas-Canada. En effet, dans la région voisine, la Haute-Mauricie, un respect mutuel

généralement fondé autour de la religion catholique semble exister. L'historienne Sylvie

Lebel, ayant étudié les relations interculturelles entre les Atikamekws et les colons

canadiens en Mauricie entre 1870 et 1910, explique que le passage du missionnaùe en

Haute-Mauricie était un moment de réjouissance, et ce, autant pour les Amérindiens que

pour les Canadiens316. Elle expose plusieurs exemples où Atikamekws et colons participent

conjointement à des événements religieux, par exemple lors du passage du vicaire

apostolique de Pontiac, Monseigneur Lorrain, en 1887. L'auteur du récit de la visite, le

curé Jean-Baptiste Proulx, rapporte, autant à Weymontachie qu'à Coucoucache, une

participation commune des Atikamekws et des Canadiens aux célébrations317. Bref, selon

Lebel, la Haute-Mauricie présente un exemple pertinent de cohabitation entre Euro-

Canadiens et Autochtones. Dans un article paru dans la revue Recherches amérindienne au

313

314 APOMI, Maniwaki, 2D9/20-39, « Lettre incomplète du père Guéguen », [XTXe siècle]. Le père Andrieux mentionne clairement ce sentiment dans l'une de ses lettres : «Oh les bons sauvages!

Plaisir à Dieu qu'on puisse les tenir séparés des blancs!». 2D9/11-7, « Lettre du père Andrieux », 1859. 315 APOMI, Maniwaki, 2D9/20-39, « Lettre incomplète du père Guéguen », [XIXe siècle].

1 Sylvie Lebel, Relations interculturelles entre les Atikamekws et les colons canadiens en Mauricie entre 1870 et 1910, Mémoire de maîtrise, Université Laval, p. 90. 317 Lebel, Relations interculturelles, p. 92.

111

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Québec, elle réaffirme « Ce silence [par rapport à la présence d'Amérindiens dans les paroisses] témoigne-t-il alors de la bonne entente qui régnait entre colons et autochtones? C'est ce que nous croyons, puisque les prêtres ne notaient jamais de problème relié à la présence autochtone dans les paroisses [...]» . Comme il est possible de l'observer dans les sources, en Haute-Gatineau, les prêtres Oblats ne se gênent pas pour relater les différends existants entre les Euro-canadiens et les Amérindiens.

La situation en Mauricie et en Haute-Gatineau est considérablement différente. Ce contraste aussi apparent dans les relations Autochtones/Euro-canadiennes provient peut-être des différents types d'approche. En effet, comme le mentionne Lebel, les premiers employés de la CBH à côtoyer les Atikamekws étaient majoritairement des Canadiens Français, donc un seul groupe relativement homogène . De plus, les premiers contacts sur la rivière Saint-Maurice ont été d'origine commerciale à travers la CBH, donc il est fort probable que l'établissement d'une relation de coopération avec les communautés atikamekws était nécessaire pour le commerce des fourrures. Dans le cas de la Gatineau, les exploitants forestiers n'ont aucunement besoin d'un partenaùe commercial ayant des connaissances approfondies du territoire ou même besoin de main d'œuvre d'origine autochtone320. D n'est donc pas étonnant de constater que la comparaison entre les relations de ces deux régions fait précisément écho aux propos de Richard White et J.R. Miller sur la destruction, au XLXe siècle, des alliances militaires et économiques entre l'Empire britannique et les Autochtones mentionné précédemment au premier chapitre.

318 Sylvie Lebel, « Trois facettes de la coexistence entre les populations autochtones et canadiennes en Mauricie (1870-1910) », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 35, no. 1 (2005), p. 71. 319 Lebel, Relations interculturelles, p. 90. 320 Selon Mgr Guigues, « les chantiers d'Ottawa forment à peu près un cinquième du revenu total de la province du Canada. Vingt à vingt-cinq mille jeunes gens y sont employés la plus grande partie de l'année ». Guigues. "Missions du Canada, Lettre de Mgr. Guigues, évêque de Bytown, aux Conseils centraux de la Propagation de la Foi". Annales de la propagation de la foi éd. Lyon, tome 32, 1860. p. 367. Cependant, certains missionnaires, comme les pères Clément et Andrieux rapportent en 1853 que des Autochtones travaillent dans les chantiers de bois. U est cependant clair que la majorité des employés sont Euro-canadiens. Clément et Andrieux. « Mission du Saint-Maurice - [Deux lettres du R.P. Clément, Rivière au Désert dans la Gatineau, et une lettre du R.P. Andrieux, Rivière au Désert] ». Rapport sur les missions du diocèse de Québec, Québec, no. 10, mars 1853. p. 98.

112

Page 120: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Que faut-il retenir des relations entretenues entre les squatters de la Haute-Gatineau et les autres acteurs socio-économiques de la région? Sur le terrain, les squatters semblent être considérés comme un mal nécessaùe : utile comme main-d'œuvre à bon marché lorsque nécessaùe, mais un obstacle de taille au développement économique des compagnies forestières ou à l'épanouissement des Amérindiens. Le même discours semble émaner de l'autorité gouvernementale. Les squatters sont un outil avantageux lorsqu'il est question d'affirmer clairement la mainmise du Canada sur un territoùe donné. Ces derniers sont aussi fort utiles lorsqu'il est question de se réapproprier certaines terres octroyées aux Autochtones. Tout en appréciant leur présence, le gouvernement garde certaines réserves. L'appui existe, mais il est certes indirect. Malgré cet allié de taille, les squatters doivent tout de même se battre pour se faire une place au sein du territoire de la rivière Gatineau. De surcroît, le gouvernement n'est pas prêt à accepter les abus perpétrés par les spéculateurs, qui s'enrichissent en profitant de la clémence du pouvoù colonial. Des lois sont donc passées qui, irrémédiablement, affectent les squatters, même les habitants à la recherche d'une légitimité sur la terre qu'ils occupent. Donc, en considérant la situation socio-économique souvent précaùe de ces squatters de la Haute-Gatineau, ces premiers colons étaient malgré tout marginalisés ou relativement ignorés lorsque leur présence n'était pas dérangeante. Dans le cas où leur présence devenait effectivement nuisible selon certains groupes, on cherchait à les déloger. Cependant, malgré la réglementation gouvernementale de plus en plus restrictive à l'égard des squatters, avant la fin de la politique de préemption en 1859, les colons ont les moyens de se défendre adéquatement afin de garder leur « acquis ». Comme il fut possible de l'examiner dans l'exemple de Edward Burk, il peut s'avérer difficile de chasser un squatter, même s'il occupe illégalement la terre.

113

Page 121: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Conclusion

Entre 1812 et 1870, les sources archivistiques démontrent clairement que la rivière

Gatineau est un territoire occupée par les squatters. Les observateurs sur le terrain sont

unanimes, les lots aux abords de ce cours d'eau sont déjà habités lors de l'arpentage officiel

des cantons de la Haute-Gatineau qui débute à la suite de l'abandon de la Gatineau

Priviledge en 1842.

Deux arpenteurs, John Newman et John Allan Snow, ont été bien malgré eux les

auteurs les plus prolifiques sur les squatters de la Gatineau. Chacun a laissé dans leurs

rapports d'arpentage une quantité considérable de données concernant ces habitants

illégaux. La majorité de ces informations sont sous forme de listes ou de tableaux

identifiant les squatters et le nombre d'acres qu'ils occupent. Les écrits de Newman et

Snow, lorsque comparés à d'autres sources, ont permis d'élaborer fondamentalement

quatre constats. Premièrement, la conjoncture socio-économique de la région de la rivière

Gatineau fait en sorte que le squattage de terres de la Couronne est non seulement possible,

mais représente une réalité, et ce, dès 1830. Cette date correspond à l'établissement

d'Edward Burk près du futur site de Maniwaki, celui-ci étant le premier squatter de la

Haute-Gatineau officiellement répertorié dans la documentation administrative dans notre

corpus de sources. D. est cependant fortement plausible que la vallée de la rivière Gatineau

ait été colonisée avant même 1830. Les arpenteurs croisent lors de leurs expéditions de

nombreux habitants illégaux défrichant et cultivant la terre et, dans un élan de zèle,

114

Page 122: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Newman et Snow ont cherché à s'informer sur leur cas. Les archives de missionnaùes religieux confirment ce qu'avancent les arpenteurs, la Haute-Gatineau est habitée par des groupes de squatters avant l'ouverture officielle des terres.

Notre deuxième constatation porte sur l'ampleur du phénomène. U est difficile, voire impossible, de chiffrer exactement le nombre de squatters établis sur un même territoùe, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, comme ces colons n'ont jamais officiellement été recensés par une institution administrative, il est inconcevable en tant que chercheur de produire une liste exhaustive de la présence de squatters sur la rivière Gatineau au XLXe siècle. Les sources ne sont tout simplement pas assez précises. En deuxième lieu, à cause de la nature clandestine de l'occupation des terres, il est peu probable que les arpenteurs aient croisé et inventorié l'ensemble des habitants sur la Gatineau. John Newman le démontre clairement dans son rapport de 1846. Il observe un niveau élevé d'activités au Lac Sainte-Marie et juge qu'un nombre considérable d'individus y sont installés, mais il considère qu'il n'est pas important de fournir un nombre exact de ces colons illégaux321. Newman ne fait que constater. Finalement, la définition même de « squatter » reste libre à l'interprétation. Nous avons remarqué que la grande majorité des listes de squatters fournies par les arpenteurs contiennent les noms d'entrepreneurs forestiers notoùes de la région. Par exemple, Alonzo Wright, le petit-fils de Philemon Wright et figure importante dans le commerce forestier à la mort de son grand-père en 1839, est identifié comme un squatter à la fois sur les listes de Newman et de Snow322. Le scénario est le même pour la compagnie forestière Hamilton & Low; il semble que cette entreprise exploite illégalement certaines terres en Haute-Gatineau. Il est clair que ces derniers ne sont pas représentatifs de la définition classique du squatter. Cet élément doit être pris en considération lorsque vient le temps d'évaluer quantitativement le nombre de colons illégitimement installés en Haute-Gatineau basés sur les archives d'arpentage. Ces renseignements, combinés aux écrits des missionnaùes, nous amènent donc à estimer à une centaine de familles tout au plus le véritable nombre de squatters en Haute-Gatineau entre 1812 et 1870. Malgré cette faible présence, les squatters se font tout de même remarquer par les autres parties œuvrant dans

121 Newman, « River 18 River Gatineau », 1846. 322 Voir Newman, « River 18 River Gatineau », 1846 ainsi que Snow, G. 25 « Aylwin & Hincks J. A. Snow 1848», 1848.

115

Page 123: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

le secteur grâce à leur distribution sur l'ensemble du territoùe, ce qui nous amène à notre troisième constat.

L'ensemble des sources consultées, et particulièrement celles provenant des arpenteurs, indique que trois endroits en Haute-Gatineau semblent être des points névralgiques pour les squatters : la région de Maniwaki, les environs de La Visitation (aujourd'hui Gracefield) et le Lac Sainte-Marie, situé dans le canton de Hinks. Certains facteurs peuvent expliquer ces regroupements. Dans le cas de Maniwaki, la présence d'un poste de traite de la CBH ainsi que d'un établissement permanent de missionnaires Oblats peuvent être considérés comme des incitatifs importants. La présence de ces institutions apporte une relative stabilité économique et sociale à un envùonnement en constant chamboulement. La proximité de grands chantiers forestiers est aussi à considérer, n en est de même à La Visitation. La proximité avec la Victoria Farm, installation de la famille Wright, permet le développement d'un système agro-forestier pennettant essentiellement aux squatters de survivre dans des conditions de vie pénibles. Le cas du Lac Sainte-Marie est cependant différent. Certes, les chantiers forestiers ne sont pas tellement éloignés, mais ce regroupement d'individus semble moins dépendant des liens de nature commerciale. Les sources indiquent également une forte activité de métissage entre Amérindiens et Euro-canadiens à cet endroit. La concentration de squatters dans ces trois localités a ultimement permis de jeter les bases des communautés qui deviendront, à l'aide d'une colonisation plus soutenue vers la fin du XLXe siècle, les villages au cœur de la rivière Gatineau.

Notre quatrième constat porte sur l'origine de ces squatters. Les listes des arpenteurs démontrent qu'une majorité de ces colons sont anglophones, du moins c'est ce que semble indiquer l'étymologie de leur nom de famille. Peu de patronymes à connotation francophone apparaissent sur ces listes. Ceci porte à croùe que les squatters de la Haute-Gatineau ne sont pas originaires du Bas-Canada, mais qu'un bon nombre d'entre eux sont des immigrants venus en grande partie d'Europe, et plus particulièrement de l'archipel britannique. La région de l'Outaouais bénéficiera d'un mouvement migratoire interne seulement après 1870 à la suite des campagnes de colonisation du curé Labelle. Comme le démontre toujours la figure 4, les recensements gouvernementaux sont clairs, la région du

116

Page 124: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

nord de l'Outaouais devient majoritairement francophone seulement vers 1891, soient bien longtemps après l'ouverture officielle des terres. De plus, la correspondance des missionnaùes indique que la situation socio-économique des squatters de la rivière Gatineau n'est pas des plus favorables. Outre les entrepreneurs forestiers qui génèrent des profits intéressants du commerce du bois, les habitants de la Haute-Gatineau vivent de manière précaire. Ces derniers s'établissent dans un endroit relativement isolé où il est impossible d'atteindre un marché d'importance, comme Bytown, faute de routes praticables. Entre 1812 et 1870, la rivière Gatineau n'est d'aucune façon un milieu hospitalier.

Les squatters de la Haute-Gatineau étaient peut-être peu nombreux, mais ils étaient suffisamment présents pour que les autres groupes sociaux de la région les remarquent. L'étude des interactions qu'entretiennent les squatters avec leurs voisins permet indéniablement d'en connaître davantage sur eux. L'une des relations les plus complexes est probablement celle entretenue avec le pouvoir gouvernemental. En occupant les terres de la Couronne, les squatters sont dans l'illégalité la plus totale. La logique dicterait que le gouvernement cherche à récupérer ce qui lui appartient de droit. Au contraire, les sources exposent une toute autre situation. Chacun utilise l'autre à ses propres fins; le gouvernement trouve chez les squatters un moyen d'affirmer son pouvoir sur le territoùe et ces derniers peuvent à leur tour légitimer leur présence sur les terres qu'ils occupent. Ce « partenariat » se perçoit autant dans la documentation produite sur le terrain que dans les textes de loi promulgués par les autorités. D est cependant faux de croire que cette relation est d'égal à égal. En 1859, la politique de préemption est abolie par le gouvernement, mettant décidément un terme à la collaboration entre le pouvoir et les squatters.

Le lien unissant les compagnies forestières aux colons de la rivière Gatineau est à la fois similaùe et différent de l'exemple précédent. En Haute-Gatineau, nous observons l'établissement d'un système agro-forestier, où l'ouverture du territoire par les entrepreneurs du bois permet aux agriculteurs de s'installer sur des terres toujours vierges d'un point de vue agraùe. E est possible de parler de système agro-forestier lorsque les chantiers de bois procurent de l'emploi aux fermiers et que ces derniers écoulent le surplus

117

Page 125: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

de leurs récoltes chez les compagnies forestières dues au manque d'accès aux marchés. Les archives démontrent donc l'existence d'un certain niveau d'entraide entre les deux groupes. Toutefois, les squatters de la rivière Gatineau ne choisissent pas de participer à un tel système, il leur est imposé. Les entrepreneurs forestiers exercent un contrôle qui peut être qualifié de coercitif sur la région de la Haute-Gatineau. D faut attendre relativement tard au XLXe siècle pour voù apparaître des groupes de contestation dénonçant l'abus provenant des grandes familles du bois, comme les Wright ou les Gilmour, à l'égard des squatters de la région. La relation entre les squatters et les compagnies forestières est donc à la fois nécessaire, à cause du manque de ressources, et injuste, car les habitants se font exploiter. Les squatters se trouvent de surcroît en position de soumission.

L'interaction entre les squatters et les Amérindiens est tout aussi révélatrice. Comme un peu partout au Bas-Canada au XLXe siècle, certaines tensions existent entre Autochtones et Euro-canadiens, surtout lorsqu'il est question du trafic d'alcool. Cette tension est palpable en Haute-Gatineau. La création de la réserve de Maniwaki en 1854 donne davantage lieu à la confrontation qu'au rapprochement. En effet, les squatters installés sur les terres qui, selon le gouvernement, deviendront la nouvelle réserve des Algonquins ne sont pas prêts à simplement laisser tomber ce qu'ils considèrent leur possession. Le cas d'Edward Burk, squatter de la rivière Désert, démontre claùement l'acharnement de certains colons illégaux à garder ce qu'ils occupent. La correspondance entre Burk, la commission des terres de la Couronne et le clergé, qui représente l'intérêt des Algonquins, est sans équivoque : le squatter, malgré son statut illégal, revendique le droit de rester au même endroit et ce, malgré les plans gouvernementaux concernant la réserve amérindienne. De plus, dans l'éventualité d'une expropriation, Burk exige même un dédommagement excédant largement la valeur des installations sur la terre occupée. L'élément le plus révélateur de cet exemple est le fait que la commission des terres de la Couronne se range du côté du squatter, suggérant aux missionnaires, et conséquemment aux Autochtones, de bien vouloir accommoder M. Burk. Les accrochages ne se limitent pas seulement à la création de la réserve. Le père Guéguen expose certaines difficultés de cohabitation lorsqu'il est question du partage des lieux de culte. Contrairement à la région de la Haute-Mauricie, les populations amérindiennes et euro-canadiennes de Maniwaki ne

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Page 126: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

semblent pas former une communauté homogène. D est fort possible que cette division ait comme fondement les problèmes rencontrés lors de la création de la réserve. De plus, à l'inverse des Atikamekws, le contact avec les Algonquins s'est fait pendant l'émergence de l'industrie forestière où les besoins en main d'œuvre amérindienne sont minimes, voue nuls, en comparaison avec le commerce de la fourrure. Ces relations difficiles n'ont certainement pas aidé à forger des liens de sociabilité ou de coopération entre les groupes amérindiens et les colons d'origines euro-canadiennes.

L'étude des relations entre les squatters et les autres acteurs sociaux de la Haute-Gatineau nous indique que ces habitants illégaux sont effectivement marginalisés, surtout lorsque leur présence n'est pas dérangeante. Pendant la majeure partie du XLXe siècle, le gouvernement cherche à minimiser à l'aide de la politique de préemption, son implication dans l'établissement de colons sur son territoire. La colonisation n'est donc pas organisée, ce qui peut mener vers des abus. Lorsque les squatters empêchent la progression de l'industrie forestière ou bien l'établissement d'une réserve amérindienne, les barons du bois et les missionnaires les considèrent comme une nuisance et cherchent à leur faire quitter les lieux. Tant et aussi longtemps que le gouvernement colonial ne prend pas un rôle plus actif dans la colonisation, les squatters ne seront en mesure de légitimement imposer leur présence en Haute-Gatineau. Finalement, la compréhension de l'interaction entre les différents groupes présents sur la rivière Gatineau permet de saisir la place des squatters dans la hiérarchie sociale du microcosme du nord de l'Outaouais. D est possible d'affirmer que les squatters sont en meilleure posture que les Autochtones de la région. La commission Bagot le confirme; les squatters sont même un outil fort utile permettant au gouvernement de reconvertir des terres réservées en lots privés. Cependant, le faible poids démographique des colons illégaux de la rivière Gatineau entre 1812 et 1870 empêche la formation d'une forte cohésion sociale, donnant pour un certain temps la majorité du pouvoir aux compagnies forestières.

Le portrait des squatters de la rivière Gatineau peint dans la présente étude ne prétend pas être exhaustif, mais présente une réalité peu étudiée dans l'historiographie du Bas-Canada. La colonisation de plusieurs régions du Bas-Canada, incluant la Haute-Gatineau, a

119

Page 127: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

commencé bien avant l'ouverture officielle des terres. Il est important de s'y attarder, car ces squatters sont incontestablement à la base de la société de la rivière Gatineau. Nous évaluons que ce premier passage à travers les sources de la rivière Gatineau a démontré l'importance des squatters dans le développement socio-économique du nord de l'Outaouais. Us ont entre autres été un élément de soutien important à l'industrie forestière tout en étant la première véritable vague de colonisation dans la région. En cherchant à identifier et décrire cette population, certaines questions sont restées sans réponse. D ne va pas sans dire que la situation particulière du Lac Sainte-Marie est l'une d'entre elles. Comment peut-on expliquer cette collectivité? Parle-t-on à cette époque d'un groupe d'ascendance mixte, voire de l'ethnogenèse d'une communauté métisse? Seule une analyse centralisée sur cette problématique pourrait parvenir à y répondre.

De manière plus générale, il serait pertinent de poursuivre la recherche sur ce sujet dans l'optique de comprendre la suite des choses pour ces squatters. Que furent les étapes de leur intégration en tant que propriétaire terrien? L'étude des archives des agents des terres serait envisageable afin de poursuivre les recherches.

120

Page 128: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Annexe 1 Retranscription des entrées portant sur la Haute-Gatineau;

Registraires paroissiaux d'Aylmer et Gatineau, comté de Wright, 1841-1853.

121

Page 129: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

1841

[Fol. 13]

On the twelfth of April eight hundred and forthy-one, we the undersigned priest baptised

Honore, aged two months born of the lawful marriage of Samuel Lord, farmer undersigned

and of Catherine [Muller] of the upper part of the Gatineau and I stood for her and the

godmother Rosa Doyle who could not sign.

Samuel Lord J, Desautels ptre.

[...]

Le seize avril mille huit cent quarante-un par nous prêtre soussigné a été baptisée Jean-

Baptiste âgé de deux jours, fils légitime d'Ignace McDougall et de Marie Aimé

[Oustastekjondu] de Ste-Marie, le parraine a été Jean-Baptiste [fol. 14] Truchon dit

Léveillé et la marraine Marie Maydeleine Reneau qui n'ont su signer.

J. Desautels ptre.

Le douze Avril mille huit cent quarante-un par nous prêtre soussigné a été baptisé François

Xavier âgé d'environ deux mois, fils légitime de Jean-Baptiste Truchon, cultivateur et de

Marcelline Barbier du Lac Ste. Marie, parrain François Xavier Neau et la marraine Héloïse

Leclerc qui ainsi que le père n'ont su signer.

J. Desautels ptre.

Le treize Avril mille huit cent quarante-un par nous prêtre soussigné a été baptisé Joseph

âgé de cinq mois, fils légitime de Emilien Arriel, cultivateur et de Herviette McDougall du

Lac Ste. Marie; parrain François Xavier Neau et la marraine Catherine Arriel qui ainsi que

le père présent n'ont su signer.

J. Desautels ptre.

Le treize Avril mille huit cent quarante-un par nous prêtre soussigné a été baptisée Sophie

âgée d'un mois et demi, fille légitime de François Xavier Neau, cultivateur et de Elisabeth

122

Page 130: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

McPherson du Lac Ste. Marie, parrain Jean-Baptiste Léveillé et la marraine Herviette

McDougall qui ainsi que le père présent ont déclaré ne savoù signer.

J. Desautels ptre.

[fol. 15]

On the thirteenth of April eight hundred and forthy-one, we the undersigned priest baptised

David aged of two monts bom of the lawful marriage of David [Caltrill] and Maria Medley

of the Upper Gatineau, sponsors John Maùowney and Brigitt Tracey, none of whom could

sign.

J. Desautels ptre.

On the thirteenth of April eight hundred and forthy-one, we the undersigned priest baptised

Mary Ann, aged of seven weeks bom of the lawful marriage of Micheal Reaney and Maria

Tracey of the Upper Gatineau; sponsors William Tracey and Mary Corrigan, non of whom

could sign.

J. Desautels ptre.

[fol. 25]

Le deux juin mil huit cent quarante-un par nous prêtre missionnaire soussigné n'ayant

découvert aucun empêchement et vu la dispence de trois banc de mariage, avons reçu le

mutuel consentement de mariage de Louis Fournier, domicilié au Lac Ste. Marie sur la

rivière Gatineau, fils majeur de feu Claude Fournier de la paroisse de la Prairie et de Marie-

Louise Vaudry d'une part, et Philomène McPherson domiciliée au Lac sus-dit, fille

mineure d'Andrew mcPherson, écuyer bourgeois de la compagnie du Nord-Ouest, en

présence de André Sabourin, Jean-Baptiste Truchon, François Xavier Neau et Alexis

Marcoux qui ainsi [fol. 26] que l'époux a signé avec nous.

Louis Foumier J, Desautels ptre.

Alexis Marcoux

Le deux juin mil huit cent quarante-un par nous prêtre soussigné a été baptisée Elisabeth

âgée de deux mois, né du légitime mariage de Jean-Louis Truchon dit Léveillé, cultivateur

et de Hélène Leclerc au Lac Ste. Marie, sur la rivière Gatineau; le parrain a été François

123

Page 131: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Isaac Truchon dit Léveillé et la marraine Marie Madeleine Renaud qui ainsi que le père

présent ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre.

1842

[fol. 70]

Le trente-un janvier, mil huit cent quarante deux, par nous prêtre soussigné a été baptisé

Jean Baptiste [Casimir] né deux mois auparavant de Jean Baptiste [Casimir] Riel du Lac

Ste. Marie et de Marie-Madeleine Léveillée. Le parrain a été Pierre Romuald Riel et la

marraine Julie Elisabeth [Biaf] Riel, qui ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre.

[fol. 96]

Le douze octobre mil huit cent quarante-deux par nous prêtres soussigné a été baptisé

[Marline] Émilien né le jour précédent du légitime mariage de Émilien Riel et de

[Filumette] McDougall du Lac Ste. Marie. Le parrain a été Louis Fournier, soussigné et la

marraine Félicité Sauvée Sabourin qui, ainsi que le père présent a déclaré ne savoir signer.

Louis Foumier J. Desautels ptre.

1843

[fol. 116]

Le vingt-quatre mars mil huit cent quarante trois, par nous prêtre soussigné a été baptisé

Paul, né huit jours auparavant du légitime mariage d'Ignace McDougall et de Mary Ann

Matiatémiskakue du Lac Ste-Claire (Marie), Le parrain a été Quasimir Riel et la marraine

[Enphùorine] Riel Sabourin, qui ainsi que le père présent ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre.

Le vingt-quatre mars mil huit cent quarante trois, par nous prêtre soussigné a été baptisé

Lucie, née un mois auparavant du légitime mariage de Jean baptiste Truchon dit Léveillé et

124

Page 132: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

de Madeleine Barbier du Lac Ste. Marie. Le parrain a été Louis Foumier et la marraine Angèle Foisy Truchon, qui ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre. [fol. 139] Le vingt-deux Août mil huit cent quarante-trois, au Lac Ste. Marie dans la Gatineau, nous prêtre soussigné avons baptisé Louis, né le six mai dernier du légitime mariage de Louis Fournier, cultivateur et de Philomène McPherson de cette mission. Parrain Jean Baptiste Truchon di Léveillé, marraine Madeleine Barbier qui n'ont su signer.

H. Moreau ptre.

[fol. 140] Le vingt-deux Août mil huit cent quarante-trois, au Lac Ste. Marie dans la Gatineau, nous prêtre soussigné avons baptisé Marie, née le six juillet dernier du légitime mariage de François Xavier Naud, cultivateur et de Elisabeth McPherson de cette mission. Parrain Louis Fournier, marraine Marie-Ann [Prissionwikéji] Kakwe qui n'ont su signer.

H. Moreau ptre.

Le vingt-six août mil huit cent quarante-trois au Haut de la Gatineau, nous prêtre soussigné avons baptisé Marie-[Elmyre], né le trente-un mars dernier du légitime mariage de Augustin [Gaultier], cultivateur et de Elmyre [Boimesser] dit Monet de cette mission. Parrain Pierre [Gaultier] et marraine adeline [Boismesser] dit Monet qui n'ont su signer.

D. Duranquet ptre. SJ.

Le seize septembre mil huit cent quarante-trois après la publication de deux bans de mariage faite au prône des messes de la mission de la Visitation de la Gatineau entre Laurent Lafrenière domicilié à la mission susdite, fils majeur de Jean Baptiste Lafrenière et de Larguerite Hamel de la Rivière des Loup d'une part et Marie Faubert, fille mineure d'Antoine Faubert de la Visitation et de défunte Angélique Morin, d'autre part; ne s'étant déclaré aucun empêchement et ou le consentement des parens et la dispense d'un [ban] par nous accordée en vertu de nos pouvoirs, nous prêtre missionnaire soussigné nous reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné le bénédiction nuptiale en présence

125

Page 133: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

de Joseph [Dumont], Antoine Faubert, Jean [fol. 141] Baptiste Chetté et Paschal Barbe qui ainsi que les époux ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre.

Le seize septembre mil huit cent quarante-trois après la publication de deux bans de mariage faite au prône de nos messes de la mission de la Visitation de la Gatineau entre François Barrette, domicilié en la mission susdite, fils majeur de feu François Barrette et de défunte Marie Bouchard en leur vivant de la paroisse de Terrebonne, d'une part et Henriette Carpentier, fille mineure d'Antoine Carpentier et de Marie Faubert aussi de la Visitation, d'autre part; ne s'étant découvert aucun empêchement et ou le consentement des parens et la dispense d'un ban par nous accordée en vertu de nos pouvoirs, nous prêtre soussigné avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale en présence de Joseph Paquette, Antoine Carpentier, Pashcal Barbe et Julien Descareys qui ainsi que les époux ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre.

Le seize septembre mil huit cent quarante-trois après la publication de deux bans de mariage faite au prône des missions de la Visitation de la Gatineau entre Antoine Carpentier, fils majeur d'Antoine Carpentier et de Marguerite Faubert de la mission susdite d'une part, et Marie Barbe, fille mineure de Paschal Barbe dit [Querly] et de Marie Miller aussi delà Visitation d'autre part; ne s'étant déclaré aucun empêchement à ce mariage et ou le consentement des parens et la dispense d'un ban par nous accordée en vertu de nos pouvoirs, nous [fol. 142] prêtre soussigné avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale en présence d'Antoine Carpentier, Paschal Barbe, Julien Descarry, J. Bte. Descarry qui ainsi que les époux ont déclaré ne savoù signer.

J. Desautels ptre.

Le seize septembre mil huit cent quarante-trois après la publication d'un ban de mariage faite en la mission de la Visitation de la Gatineau entre Jean Baptiste Chetté, domicilié en la mission susdite, fils majeur de Louis Chetté et de Josephte Auger de St-Jacques de

126

Page 134: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

l'échigan d'une part et Louise Barly veuve majeure de Isaac Faucher du même bien,

d'autre part ne s'étant découvert aucun empêchement et vu la dispense de deux

publications par nous accordée en vertu de nos pouvoùs, nous prêtre missionnaire

soussigné avons reçu leur mutuel consentement de mariage en présence de Paschal Barbe,

Julien Descarry, Joseph Duval et Auguste Gaulthier qui ainsi que les époux ont déclaré ne

savoir signer.

J. Desautels ptre.

Le dix septembre mil huit cent quarante-trois par nous prêtre soussigné a été baptisé

Margaret, née six jours auparavant du légitime mariage de John [Newra] et de Margaret

Cleary de la Visitation. Parrain William Cleary et marraine Theresa Morin qui ainsi que le

père présent ont déclaré de savoir signer.

J. Desautels ptre.

1844

[fol. 154]

On the eighteenth day of January, one thousand eight hundred and forty four, we the

undersigned priest baptized Marie Pinssi O Kizikikive, wife of Andrew Okizikokive clerk

for the North-West Company aged sixty-five years.

J. Desautels ptre.

On the nineteenth day of January, one thousand eight hundred and forty four, we the

undersigned priest baptized Marie Angélique Masawakomikotowive, wife of Joseph

Lavallée, aged thirty seven years.

J. Desautels ptre.

Le dix neuf janvier, mil huit cent quarante-quatre, nous prêtre soussigné avons reçu le

mutuel consentement de mariage de Joseph Lavallée, fils majeur de Jean Baptiste Lavallée

et de défunte Louise Paule d'une part, et de Marie Angélique Masawakamikokive fille

majeure de Paul [Dijimikozol] et de défunte [Cibadj nawokikive] d'autre part; tous deux du

Lac Ste. Marie en présence de François Xavier Viau qui a déclaré ne savoir signer et de

127

Page 135: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Messire Terence McGuerney, soussigné et ont aussi les dits Joseph Lavallée et Marie Angélique Masawakamikokive reconnu en présence de témoins sus-mentionnés, Louise, Angèle, Marguerite et Julie comme leurs enfants légitimes. T. McGuerney J. Desautels ptre.

Le vingt janvier, mil huit cent quarante-quatre par nous prêtre soussigné a été inhumé dans le cimetière du Lac Ste. Marie le corps de Marie Pinesi O Kijidkokive épouse d'André McPherson, commis de l'honorable Compagnie du Nord-Ouest, décédée lejour [fol. 155] précédent à l'âge de soixante-cinq ans. Témoins François Xavier Neau et Josephte Foumier qui ont déclaré de savoù signer.

J. Desautels ptre.

Le vingt janvier, mil huit cent quarante-quatre, après la publication d'un ban de mariage faite au prône de la messe de la mission du Lac Ste. Marie entre Joseph Foumier, domicilié au Lac Ste. Marie, fils majeur de feu Claude Foumier et de Marie Louise Peltier de la paroisse de La Prairie d'une part, et de Marie Vallières domiciliée au Lac Ste. Marie, fille mineure de François Vallières et de Cécile McDougall, du même lieu d'autre part; ne s'étant déclaré aucun empêchement à ce mariage et ou le consentement des parens et la dispense de deux bans par nous accordée en vertu de nos pouvoirs, nous prêtre missionnaire soussigné avons reçu leur mutuel consentement de mariage en présence de Joseph McDougall, Emilien Riel, Frédéric Langlais et Joseph Brodeur qui ainsi que les époux ont déclaré de savoù signer.

J. Desautels ptre.

On the twenty first day of January, one thousand eight hundred and forty four, we the undersigned priest have baptized Louisa, aged four months, bom of the lawful marriage of Alexis Morin and of Marie Anne [Natawiiki] of La Visitation. Sponsors Antoine Carpentier et Louise Barbe Chetté, none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

128

Page 136: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

[fol. 161] On the twenty first day of January, one thousand eight hundred and forty four, we the undersigned priest have baptized Zoé, aged four months, bom of the lawful marriage of Alexis Morin and of Marie Anne [Natawiiki] of La Visitation. Sponsors Pierre Gueltier et Adeline Morin, none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

The twenty second day of January, one thousand eight hundred and forty four, after the bans of marriage had [been] published in the prone of the mass of the mission of La Visitation of the blessed Vùgin Mary between Pierre Gueltier of the above said mission, son of age of Augustin Gueltier and of Françoise Sans-soucis on the one part and Adeline [Boismesser], daughter of under age of André [Boismesser] and of Marie [Letang] of the Visitation on the other part; we the undersigned priest by consult of the parents and whereas a dispensation of two publications had been [?] us granted in virtue of our powers, have received their mutual consent to marriage and have given them the nuptial benefaction in the presence of André [Boismesser], Augustin Gueltier, Michel Gueltier, non of whom could sign.

J. Desautels ptre.

[fol. 164] Le dix neuf février, mil huit cent quarante-quatre, après la publication de trois bans de mariage faite au prône des messes de nos missions, entre Pierre Barbier, domicilié au Lac Ste. Marie, fils majeur de feu Louis Barbier et d'Angélique [?] de St. Rock, d'une part et Victoire Leclaire aussi domiciliée au Lac Ste. Marie, fille mineure de Pierre Leclaire des États-Unis et de défunte Isabelle Marais, d'autre part; [fol. 165] ne s'étant déclaré aucun empêchement et vu le consentement des parens, nous prêtre missionnaires soussigné avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale en présence de François Beaudry et Alexis Marcoux soussignés. Les époux ont déclaré de pouvoir le faire.

J. Desautels ptre.

129

Page 137: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

[fol. 186]

On the twenty eighth of June, one thousand eight hundred and forty four, we the

undersigned priest have baptized [Ephrain], bom three months before of the lawful

marriage of Louis Truchon and Eloi'se Leclaire of Lake St. Mary's. The sponsors were

Pierre Barbier and Victoire Leclaire Barber none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

On the twenty eighth of June, one thousand eight hundred and forty four, we the

undersigned priest have baptized Joseph, aged three months and a half bom of the lawful

marriage of [James] Lavigne and Cécile McDougall of Lake St. Mary's. The sponsors were

Emilien Riel and Henriette McDougall, none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

[fol. 188]

On the twenty eight of June, one thousand eight hundred and forty four, we the

undersigned priest baptized [Alexénie], aged two months and a half bom of the lawful

marriage of Andrew Sabourin and Catherine Riel of the Lake St. Mary's. The sponsors

were François Xavier Naud and Elisabeth McPherson Naud, none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

On the twenty eight of June, one thousand eight hundred and forty four, we the

undersigned priest baptized Elisabeth, aged seventy-five days bom of the lawful marriage

of Louis Fournier and Philomène McPherson of the Lake St. Mary's. The sponsors were

François Xavier Neau and Elisabeth McPherson Neau, none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

On the twenty eight of June, one thousand eight hundred and forty four, we the

undersigned priest baptized Eulalie, aged four months bom of the lawful marriage of Isaac

Truchon and [Megile] Faisy of the Lake St. Mary's. The sponsors were Alexis Delages and

Marguerite Truchon Delages, none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

130

Page 138: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

On the sixth of July, one thousand eight hundred and forty four, we the undersigned priest baptized Marie-L, aged four months, bom of the lawful marriage [fol. 189] of Antoine Carpentier and Marie Barbe of La Visitation. The sponsors were Paschal Barbe and Marie Marguerite Faubert Carpentier, none of whom could sign.

J. Desautels ptre.

On the sixth of July, one thousand eight hundred and forty four, we the undersigned priest baptized Théophile, aged four months, bom of the lawful marriage [fol. 189] of Paschal Barbe and Marie Mullen of La Visitation. The sponsors were Joseph Duval and Caroline Barbe, neither of whom could sign.

J. Desautels ptre.

1845 [fol. 212] Le vingt-cinq janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été inhumé dans le cimetière du Lac Ste. Marie, le corps de Sophronie décédée environ le deux décembre dernier, âgée de neuf mois, fille de Louis Léveillé, cultivateur du lieu et de Marie Éloïse Leclaùe. Témoins Pierre Gùoux et Alexis Desloges qui n'ont su signer.

E. Durocher M.O.M.I. ptre.

Le vingt-cinq janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisée Marie, née le quinze décembre dernier du légitime mariage de Pierre Barbier, cultivateur du Lac Ste. Marie et de Justine Leclaire. Parrain Louis Léveillé, marraine Marie Éloïse [fol. 213] Leclaire qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher M.O.M.I. ptre.

Le vingt-six janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisé Pierre Romuald, né le trois décembre dernier du légitime mariage d'Émilien Riette,

131

Page 139: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

cultivateur du petit Lac Ste. Marie et de Henriette McDougall. Parrain André Sabourin, marraine Marie Vallières qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

Le vingt-six janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisée Cécile, née le vingt-huit août dernier du légitime mariage de Pierre Kitchikaraquoit, cultivateur du Lac Ste. Marie et de Marie Josephte McDougall. Parrain Jacques Lavigne, marraine Cécile McDougall qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

Le vingt-six janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisé Antoine né le vingt août dernier du légitime mariage de Benjamin Sabourin, journalier du Lac Ste. Marie et d'Angélique Mallette. Parrain Joseph Léveillé, marraine Marceline Barbier qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

Le vingt-six janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisée Marie, née le trois du courant du légitime mariage de Joseph Foumier, cultivateur du Lac Ste. Marie et de Marie Vallière. Parrain Louis Fournier, marraine Henriette McDougall qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

[fol. 214] Le trente janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisé François Xavier, né le seize septembre dernier du légitime mariage de François Baret, cultivateur de la Visitation de la Gatineau et d'Henriette Carpentier. Parrain Antoine Carpentier, marraine Marguerite Faubère qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

Le trente janvier, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisé Jean Baptiste né le vingt-quatre du courant du légitime mariage de Jean Baptiste Jette,

132

Page 140: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Cultivateur de la Visitation et de Louise Barbe. Parrain Josephte Jette, marraine Justine [Cothier] qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

Le douze février, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisée Anne née le huit du courant du légitime mariage de Michel [Natawour] [Ripawite], chasseur campé alors sur la rivière Joseph et Thérèse Paripeau. Parrain Bernard [Katchinq], marraine Augustine [Kukutik] [?] qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

Le douze février, mille huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisée Angélique, née cinq mois et demi auparavant du légitime mariage de Pierre [Meoley] chasseur de la rivière Joseph et de Cécile [Penard][?]. Parrain Ignace Penard, marraine Thérèse [Najagamianour] qui ainsi que le père n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

[fol. 228] Le dimanche mil huit cent quarante-cinq après la publication d'un seul ban de mariage faite au prône de la messe de St-François de Templeton leur ayant accordé la dispense des deux autres bans en vertu des pouvoirs accordés par le Révérendissime [?] Bourget Évêque de Montréal entre Joseph Léveillée domicilié au petit Lac Ste. Marie veuf majeur [Opiginikazo] d'une part et Adélaïde Lamothe domiciliée à Templeton, fille mineur de Pierre Lamothe et de Marie [Seney] d'autre part, ne s'étant trouvé au dit mariage aucune empêchement et ou le consentement des partis, nous soussigné prêtre missionnaire Oblat avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale en présence de Louis Fournier, de François Gignac et de [Pierre] [Dessert] qui ainsi que les époux ont déclaré ne savoir signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

133

Page 141: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

[fol. 232]

Le vingt-deux juin, mil huit cent quarante-cinq, en vertu des pouvoùs à nous accordés par

Monseigneur Ign. Bourget Évêque de Montréal, nous avons inhabilité et béni le mariage de

Julius Décary et de Marie Faubère déjà mariés depuis vingt-deux ans demeurant à la

mission de la Visitation sur la Gatineau. Témoins Augustin Gueltier et Antoine Carpentier,

qui n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

Le vingt-deux juin, mil huit cent quarante-cinq par nous prêtre soussigné a été inhumé dans

le cimetière de la mission de la Visitation sur la Gatineau le corps de François Xavier,

décédé depuis un mois et vingt-deux jours, âgé de sept mois et demi, fils de François

Xavier Baret, cultivateur et de Henriette Carpentier du même lieu. Témoins Pierre Gueltier

et Marcel [Garnau] qui n'ont su signer.

E. Durocher ptre. O.M.I.

[fol. 240]

Le dix-huit juin mil huit cent quarante-cinq par nous prêtre soussigné a été baptisé Basile,

né deux mois et demi auparavant du légitime mariage de Amable McDougall et de

Marguerite [Ridjinakawe] du Lac Ste-Marie. Parrain Joseph [Melogagi] et marraine

Josephte Lavigne, qui n'ont su signer.

J. Desautels ptre.

Le dix-huit juin mil huit cent quarante-cinq par nous prêtre soussigné a été baptisé Ignace,

âgé de quinze mois du légitime mariage d'Antoine Tomosko et de Mary Ann McDougall

du Lac Ste. Marie. Le parrain a été Ignace McDougall et la marraine Marie Vallière

Foumier, qui ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre.

Le dix-huit juin, mil huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisée

Marie, née deux mois auparavant, du légitime mariage de Louis Léveillée et de Marie [fol.

134

Page 142: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

241] Claire Leclaùe du Lac Ste-Marie. Le parrain a été Alexis Desloges et la marraine Marguerite Truchon qui ont déclaré ne savoù signer.

J. Desautels ptre.

Le vingt-deux mai mil huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisé Joseph, né deux mois auparavant du légitime mariage de Joseph Chalifoux et de Genevière Leblanc, de la Visitation. Le parrain a été Jean Baptiste Duranquet et la marraine [Candine] Barbe que ainsi que le père présent, ont déclaré de savoir signer.

J. Desautels ptre.

Le vingt-deux juin mil huit cent quarante-cinq, par nous prêtre soussigné a été baptisé Augustin, né deux mois auparavant du légitime mariage d'Agustion Guethier et de [Glanise] [Boismenier] de la Visitation. Le parrain a été Augustin Guethier et la marraine Marie Leclaire Guethier qu'ont déclaré ne savoir signer.

J. Desautels ptre.

[fol. 261] Le dix sept décembre mil huit cent quarante cinq par nous prêtre soussigné à été baptisé Jean Baptiste né quatre mois auparavant du légitime mariage d'Israël Léveillée et d'Angèle Faisy du Lac Ste. Marie. Le parrain a été Pierre Laliberté et la marraine Caroline Galarneau qui ainsi que le père présent ont déclaré de savoir signé.

J. Desautels ptre.

135

Page 143: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Annexe 2 Requête des habitants de la Visitation à son Excellence Lord Elgin, 1849.

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La requête des soussignés résidant sur la rivière Gatineau dans la Mission de La Visitation expose humblement que 60 habitants demeurant dans ladite place souffrent beaucoup de ce que les terres n'ont point été encore arpentées;

1. Tous les jours, des causes de mésintelligence surgissent entre ceux qui viennent prendre des terres;

2. Bien des personnes se trouvent découragées de venir s'établir dans ces lieux;

3. Ceux qui déjà résident perdent confiance, car ils se trouvent à perdre peut-être une partie du fruit de leurs travaux lors du mesurage des terres.

Les soussignés prennent aussi la liberté d'exposer à Votre Excellence qu'ils se trouvent exposés dans une situation difficile par rapport à l'éloignement des lieux habités, soit en raison des rapides qu'offre cette rivière, soit en raison du manque de chemin; que le terrain sur lequel ils se trouvent offre beaucoup de pertes en raison des lacs et des rochers; que les terres sont d'ailleurs d'une qualité médiocre et que les licences données par le gouvernement aux bourgeois des chantiers ont encore ôté à la valeur de leurs terres en leur enlevant tout le bois qui leur donnait de la valeur.

Ils osent exposer à Votre Excellence qu'il serait nécessaùe que la liberté donnée primitivement aux bourgeois des chantiers de couper tout le bois qu'ils jugeraient convenable pour leur commerce, fut restreinte et s'il était possible enlevée, car ils privent les habitants du seul moyen qu'ils auraient de se procurer quelques ressources toujours indispensables dans un commencement d'établissement et cette licence d'ailleurs est poussée si loin que les habitants ne trouvent même pas le bois nécessaire et convenable pour bâtir leurs maisons. Au commencement ils se bornaient à ne couper que le [gros] bois, mais maintenant ils coupent même le bois de huit à dix pouces.

Les soussignés prient en conséquence Votre Excellence :

1. De donner des ordres pour que leurs terres soient arpentées immédiatement;

137

Page 145: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

2. De prendre en considération les délibérations prises à Bytown et à Rigaud pour que les terres soient cédées comme au Saguenay à un schelling l'acre.

Et enfin, que les licences délivrées aux bourgeois aux chantiers leur soient retirées au moins sur les terres qui sont prises par les colons, et les soussignés tant par devoù que par affection ne cesseront de prier323.

323 Kathleen Mennis-de Varennes, Au Cœur de la Gatineau ou l'histoire de la paroisse de la Visitation de Gracefield (comté de Gatineau), Sainte-Foy, 1985, p. 395.

138

Page 146: Les squatters de la rivière Gatineau entre 1812 à 1870

Bibliographie

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BURK, Edward, dossier 127765, « [Pétition d'Edward Burk adressée au Procureur Général] », 29 mars 1849.

GUIGUES, Joseph-Eugène-Bruno, dossier 127765, « [Lettre de Bruno Guigues à M. Boutillier] », 8 avril 1850.

GUIGUES, Joseph-Eugène-Bruno, dossier 127765, «Traduction d'une pétition des sauvages de Maniwaki ou Rivière du Désert pour demander qu'on leur accorde bientôt le titre de leur terrain &qu'on distribue les équipemens à Bytown ou à la rivière du Désert ». 30 mars 1850.

HOLMES, John, dossier 101570, « Explanation of the Amount Surveyed in the [Residue] of the Township of Bouchette ». 4 décembre 1857.

MCARTHUR, James. « D.41 Dorion J. McArthur 1864 », 27 octobre 1864.

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