Les Sonnets

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joca seria les sonnets Traduit de l’anglais (États-Unis) par Martin Richet Postface de Jacques Roubaud

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Ted Berrigan Traduction de l’anglais (États-Unis) par Martin Richet Postface de Jacques Roubaud

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joca seria

Ted BerriganLes Sonnets

16 €ISBN 978-2-84809-206-5www.jocaseria.fr 9 782848 092065

Traduction de l’anglais (États-Unis) par Martin RichetPostface de Jacques Roubaud

Qu’est-ce qu’un corps ? Qu’est-ce qu’une vie ? Qu’est-ce que le temps? « Cequi va arriver est déjà en train d’arriver / Il y a des gens qui préfèrent ‘lemonologue intérieur’ / J’aime casser la gueule des gens ». Entre diagrammede l’esprit, sommation du poème, comédie de mœurs et kaléidoscope de laperception hanté par les lois de la succession et de la dissolution, Les Sonnetsde Ted Berrigan admettent, renversent et renouvellent les conventions dusonnet shakespearien. Comme lui, ils s’intègrent – à corps parfois défendant –dans le temps : temps du récit et de la prosodie, d’une époque et d’unecompagnie, de la naissance et de la mort, « féminin, merveilleux et fort ».

Avec Frank O’Hara, John Ashbery et Ron Padgett, entre autres, TED BERRIGAN(1934-1983) est associé à « l’école de New York des poètes ». Il s’est décrit,dans un curriculum vitae de 1982 comme étant « modérément vénérable,large, d’apparence traditionnelle. Ressemble à Apollinaire (barbu) ou à unours déguisé en George Bernard Shaw [...] Formidable, affable, endurant ».Figure centrale du Poetry Project à Saint Mark’s Church in-the-Bowery, dansle East Village, Ted Berrigan a fondé dès 1963 la revue littéraire « C » et lamaison d’édition « C » Press. Selon Allen Ginsberg, « Ted Berrigan était ungrand homme, tout le monde le dit, grande figure paternelle grand chef depoésie – combinaison de Beat de grand classique et de New York School –grand encouragement pour ses aînés grand Consul pour ses cadets ». Les Sonnets, son premier livre, publié en 1964, est devenu un classique de lapoésie américaine, renouvelant la forme du sonnet et inspirant de nouvellesgénérations de poètes. « Lire Les Sonnets, écrit John Ashbery, c’est sentir ceque sera le futur. »

« Le sonnet, tel que le réinvente Berrigan, pour son propre compte, n’estpas le témoin d’une négation avant-gardiste de la forme, d’une destructionde la forme, d’une rupture absolue avec le passé de la forme, dont il neconserverait, de manière dérisoire, presque que le nom, mais un héritier,certes insolent, et joueur, mais en même temps un descendant inventif etnovateur de tous les sonnets de la tradition. » Jacques Roubaud, postface àla présente édition.

Image de couverture : collage de Joe Brainard, 1967. © The Estate of Joe Brainard

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Traduit de l’anglais (États-Unis) par Martin RichetPostface de Jacques Roubaud

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Titre original :The Sonnets, New York, “C” Press, 1964 / Grove, 1967 / United Artists, 1982 /

Penguin, 2000.The Collected Poems of Ted Berrigan, eds. Alice Notley, Anselm & Edmund

Berrigan, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 2005.

Image de couverture :Collage de Joe Brainard, 1967.

© 2013, by the Estate of Joe Brainard. Le collage de couverture est reproduit avec l’aimable autorisation de Ron Padgett,

exécuteur testamentaire de Joe Brainard. Joe Brainard est représenté par lagalerie Tibor de Nagy, New York.

Photographie : The Joe Brainard Archive, The Mandeville Special CollectionLibrary, University of California, San Diego.

Nous souhaitons remercier Alice Notley et Ron Padgett pour leur aide, ainsi queLynda Claassen et Matthew Peters de la Mandeville Special Collections Library,

University of California, San Diego.

© Ted Berrigan & Alice Notley 1964, 2013.© Jacques Roubaud, 2013, pour la postface.

© joca seria, 201372 rue de La Bourdonnais

44100 Nantes - France

ISBN 978-2-84809-206-5

www.jocaseria.fr

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Ted Berrigan

Les Sonnets

Traduit de l'anglais (États-Unis)

par Martin Richet

Postface de Jacques Roubaud

éditions joca seria

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pour Joe Brainard

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I

Son pince-nez perçant. Une frise estompéeLes mains désignent une frise estompée, dans la nuit noire.Dans le livre de sa musique se redressent les angles :Qui doivent leur présence à nos mains assoupies.Le sang de bœuf des mains qui jouentPour flamme, chaleur, mains, croissanceY a-t-il de la place à la place où tu prends place?Sur sa tombe structurée :Ils ont pourtant un sens. Par la danseEt par l’architecture.Trame parmi les incidentsPeut lui être augureNous sommes les fragments assoupis de son ciel,Vent prêtant présence aux fragments.

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II

Chère Margie, bonjour. Il est 5h15 du matincher Berrigan. Il mourutRetour aux livres. Je lisIl est 8h30 du soir à New York, j’ai couru toute la journéede vieux Venez-y-donc se ruent dans les rues. Oui, il est

maintenant,Saurais-je Encore Longtemps Habiter le Divinet le jour gris clair vire au vertféminin merveilleux et fortde voir le soleil se lever sur l’Arsenald’écrire corps adhésif dans un carnetpris 17 milligrammes et demiChère Margie, bonjour. Il est 5h15 du matinbaisé jusqu’à 7h elle est maintenant en retard et moi j’ai18 ans pourquoi tremblé-je des mains je n’en suis plus là

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III

Plus fortes que l’alcool, plus vaste que nos lyresoù pourrit dans les joncs tout un Léviathan;presque île, je voguais, ballotant sur mes bordsvers le crépuscule embaumé, plein de tristessehaine brûlanteMais, vrai, j’ai trop pleuré. L’Aube exaltéebaiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,ce que l’homme a quelque fois cru voir.Et dès lors je me suis baigné dans le poèmemontait vers moi ses fleurs d’ombre,jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseaul’orgueil des drapeaux, sous les yeux des pontonsÔ que ma quille éclate, ô que j’aille à la mer !et je restais, ainsi qu’une femme, à genoux.

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IV

Seigneur, il est temps. L’été a été très grand.Tout lui parlait doucement de moide tes pieds, si délicats, extra-larges nonobstant !!Et seul perché en haut du Brooklyn Bridge,respirer vieille femme la bouillie d’avoine,charme qui aspire au papillon ! Il n’y a pas d’étoffequand tu t’élances à travers pistes et vallons broussailleuxje pense souvent porc à l’aigre-doux »cordonnerie, et effrayant. En ville,je m’efforce de rassembler mes absurditésIl reprit son pistolet, l’unL’aplomb d’un Nijinskide toutes parts, mon critiqueet quand en me levant je cliquette ça me chausse

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V

Brailler une occasion de gala, oublier, et« Hawkaaaaaaaaaa ! » Jadis parti en éclaireurComme les astres, comme les cauchemars, un crucifix.Pourquoi ne puis-je lire le français ? Je ne sais pas, pourquoi ?Plutôt la question de la croissanceMes bébés paradent en arborant leurs drapeaux innocentsSerrés sur les marches structuréesRejetant ces courants dans les ruisseaux s’écoulantLes « jeunes filles » si rares.Il voulait connaître les nomsIl aimait les garçons, n’a jamais eu de mèrePendant ce temps se concoctaient de formidables erreurs d’appellation,

l’appétence, l’appétenceLe Pure IninsenséEt toute la journée : Perceval ! Perceval !

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VI

Les ampoules brûlent phosphorescentes, blanchesTes cheveux s’animent doucement,Tension, mais force, extérioriséesEt le tapis vert niché contre la chaudièreLa poussière a recouvert les punaises, le marteau...optimisme du saut...Le goût de ces pensées délicatesJamais fait poindre l’aube.Les ampoules brûlent, phosphorescentes, blanches,Fondre les tourbillons de neige par le vin :L’esprit pourrait-il tourner au jade? toutTourne sous cette lumière, aux pierres,Cendre, écorce comme liège, poussière passée,Pour couvrir les traces du « Marteau ».

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POÈME DANS LE GOÛT TRADITIONNEL

À chaque fois que Richard Gallup est écartelé,Pères et professeurs, et démons sous la mer,Épithalames audeniens ! ElleRenvoie son chauffeur et reste à mes côtés !

Balle de match et cætera ! Les contrebandiersVrombissant leurs Chevrolet se font audacieux. Je sommeÀ moi des pensées silencieuses et chagrines,Opulentes, sinistres et froides.

Aura-t-on mâle ou femelle dans la baignoire?Que grauque coule, que quiscale disparaisse,Et seul perché en haut du Brooklyn Bridge,Un ogre laid se masturbe à l’oreille :

De ma tendre, ma tendre, ma pipe et mes chaussons,Ce qu’il y a là il y a du Benzédrine au lit :Et donc, Asiatique donc, Richard GallupRentre à la maison, prend son flingue et bute son père.

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POÈME DANS LE GOÛT MODERNE

Elle arrive comme en rêve avec les œufs du vent d’ouest,elle apporte des syllabubs chauds à Huitzilopochtli :Peaux de serpent ! Mais je suis jeune, juste assez âgépour respirer, vieille femme, la bouillie d’avoine,la citronnelle, les plaisirs de la rosée, pleine gorgée, bruit de chute.

Dame de Mai, belle vous êtes,Dame, belle vous êtes vraiment ! Les enfants,Lorsqu’ils voient votre visage,Chantent dans l’idiome de la disgrâce.

Pâle comme un foulard ancien, sans parure,elle bondit comme un ballon rouge dans les veines.Le chanteur dort à Cos. Étrange juxtapositionle fantôme chante : Apportez-moi de démentes chambres

rouges,mots délicats et chauds ! Pâteux comme à la sortie du litHuitzilopochtli suit son chemin dithyrambique,la gâchette rapide, ressusciter, tous grondent !

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EXTRAIT D’UN JOURNAL SECRET

Mes bébés paradent en arborant leurs drapeaux innocentsun philosophe sans éditeur, un homme qui doitcolonne après colonne le long d’une colonnade de rouilledans mes tableaux, car ils sont présentsje me méfie des magouilles de la promenade rose,pris l’autre direction vers Tulsa,chatoyant, enflammé, miroitant chaque déguisementque John Wayne P de Noël prendra pour faire le clownRêves, aspirations à la présence! Innocence glanée,décapée! Le monde dont les mystères sont expliqués,et les luttes de bébés coagulent. Un noyau dur se forme.« Je voulais être cow-boy. » Troupion suffira.Le tout d’un romanesque bouleversantla lumière du jour se dissout d’elle-même et bien entendu il a plu.

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LA VRAIE VIE

1. LE FOU

Il se nourrit des fruits du Grand OiseauTacheté, et pisse sur le gazon! Il se peutQu’il soit inachevé, qu’il t’apporte le Ginger AleDes abondantes et interminablement festives averses d’été?Tu étais une Fille des Feux de Camp,Père et mère à temps partiel seulement ; moiLarge, sévère, âcre et indissuadable !Ah Bernie, nous portons achevéLe Dictionnaire Encyclopédique de Webster indexé.Et le déjeuner ne manque pas, trèfles et fourmisSur le gazon. Penser à toi isoléeÉprouvant le poème de la nation !Mon dieu, quelle broussaille, rigolant heureux par ici,Et toi, et moi, le jus, enfin disparu !

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2. LE MONSTRE

Le visage cramoisi, les cheveux au ventJe lis moi aussi les publications spécialisées, mais enVeillant à la sécurité de Noël de chacun de ces quartiersÀ broches. Mes anges perdent patience,Ne gagnent jamais. Excepté la nuit. AlorsJ’aimerais un fil de soieNoué autour de l’hiver en fleur massif.Les arbres nus gardent les sentiers nuptiaux ;Le vent frais ne cesse de souffler, etVague possibilité de boîtes géométriques !Peu importe, toutefois, de montrer qu’il estTon champion. Les jours s’allaitent de science-fictionEt tu trembles face aux livres sur la terreMes forces et moi partant à ta recherche.

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PENN STATION

Sur le vert va un enfant blancEt il marche. Trois énigmes et un vague fakirPas de Un Deux Trois Quatre Aujourd’huiJ’ai pensé à toutes ces ondes radioLes vents dévalent la voie obscure du soufflePassage Le trésor Gomangani MoiOublier Apporter les voies blanches à l’enfant vertEt le vent y vaKeats était un tortionnaire d’oursMort de désir (Tu mens ! Tu mens !)Comme il nous incombe à tous dans la jungle verteSous un ciel d’ombre brûlée nous tâtonnons pourAcheter un bouquet vert chez le fleuriste affectéPour le défilé du Saint fée Aujourd’huiNous lirons peut-être sur toutes ces ondes radio

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XIII

Des montagnes de ficelle etDes dents qui s’en gardentDevant les murailles grises. Marchent les piedsLibérés par la nuit (ce qui n’implique aucunementLa mort) sous la brume passagèreDévalant le passage de pluie lugubre et bleuÀ la grande promesse de néantDans l’air nous nous trempons les pieds… un grand rocherCaresse le ventre des nuagesIl sait ne pas pouvoir feindreVoué à l’éveil, à la nuit qui n’est pas la mortFuligineux d’humidité assassineMais impuissant, comme le sont les roses bleues.Des rivières d’agacement minent les arrangements.

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