Les Soldats de Lumiere

8/6/2019 Les Soldats de Lumiere

1/156

Les soldats de lumire

Dpt lgal : D/2003/9625/2Imprim en Belgique


2/156

PRFACE

LES SOLDATS DE LUMIRE est un roman damour total, damour vrai, qui plonge ses racines,sa raison dtre, son indicible prennit dans lamour de lUnique, dans ladoration de Celui quiest le seul pouvoir lui donner un sens, en faire aboutir le destin, au del de la vie et de lamort, dans ce monde et surtout, dans lAutre.

Les soldats de lumire, cest lhistoire vraie deMALIKA et deABDESSATTAR, pas celle qui futscandaleusement rapporte par des journalistes indignes, ni celle que lactualit a dvers flots dans les mdias au mpris de toute vrit, ni celle daucune analyse de stratgiegopolitique ou autre. Cest une histoire, par contre, qui pourrait maner de lHistoire, parlvocation irrsistible quelle veille en nous de ces couples ternels, indissolublement lis,unis dans un amour qui dpasse et le temps et lamour Tout cela ne serait rien, ou presque,

cependant, si cette histoire ne surgissait de ce ct-ci de lislam, si celle-ci, issue de surcrotdun pays occidental et moderne, le ntre, ne stait, en outre, droule dans ce lieu maudit,sauvage et inhumain, quon assure aboli, qui fut lobjet de la plus grande fureur destructricequi soit, couvert du plus intense et plus vindicatif bombardement qui fut jamais opr, traversde feux, de missiles et de morts, jamais inscrit dans limaginaire des peuples : TORA-BORA,qui est associ automatiquement AFGHANISTAN, BEN LADEN, 11 SEPTEMBRE !

LES SOLDATS DE LUMIRE, cest un rcit damour, peine bauch dans ce monde, entre unhomme et une femme, qui sest inscrit une fois pour toutes dans la pierre. Cest la relation dunattachement profond, peine vcu ici-bas, entre deux musulmans, qui sest jamais fossilisdans la roche. Cest une adoration de deux croyants qui sest poursuivie jusqu leur sparation

dfinitive dans ce monde, dans le cadre majestueux, illumin par les bombes, des montagnesde TORA-BORA. ( Tu mas [ Dieu !] immensment honore en me mariant cet homme quima donn 30 ans damour en une anne ! ).

Lassourdissant cho des bombes sest tu ; celui de leur amour mutuel en Dieu ne cessera dese faire entendre. Un amour fait de tendresse et de courtoisie, de simple et grave sollicitude,entirement tourn vers lautre et Celui qui les a crs lun pour lautre, pour LUI, qui nepouvait se dvelopper, nen dplaise certains, que dans une communaut authentiquementcivilise. Une communaut de frres et de surs, de croyants et de croyantes qui ont combattuet combattent encore en BOSNIE, en TCHTCHNIE, en PALESTINE, enAFGHANISTANetpartout ailleurs dans le monde, la brutalit aveugle des nouveaux conqurants du monde, leur

inhumanit foncire, la terreur, les viols des femmes et des enfants, la relgation de Dieu horsdu monde, hors de leurmonde, le maintien des croyants dans la servitude conomique etpolitique la plus ignominieuse qui soit.

- Les soldats de lumire 2 -


3/156

LES SOLDATS DE LUMIRE, cest lamour partag parMALIKA et parABDESSATTAR dunDieu qui runit, de par Sa grce, dans la solennit eschatologique des montagnes incendies,tous ceux et toutes celles quIl a daign appeler pour y dfendre Son nom. Cest lhistoire vcuedu TAWHD, la thologie incomparable de lUnicit de Dieu, ct de laquelle les chicaneursqui se limitent vouloir en codifier lexpression dogmatique feraient bien daller se rhabiller au

plus vite ! Toute rsistance au mal, la barbarie, lignorance, la cupidit ninvite-t-elle pas la transformation des curs, au don de soi (retour Dieu, pour le musulman), uneconscientisation accrue de la ncessit de refuser toute oppression, toute injustice ?

LES SOLDATS DE LUMIRE est en ce sens un ardent appel vivre, retrouver lhonneur devivre. Ce rcit qui nous vient des rgions de la mort, de la haine, de la terreur, donne desraisons de vivre et daimer, justement, que la mort, tout naturellement, vient confirmer en sonpoint culminant.

LES SOLDATS DE LUMIRE, cest un cri de rvolte, mais tonnement contrl, logique ethautain (dans le sens quil est lev, noble et transcendant). Cest une revendication de justice,

dhonneur et de vrit, aux limites dune terreur qui ne peut tre tue, mais dont lironie, lamoquerie, limpertinence et la raillerie ne sont jamais totalement absentes (MALIKA est unemusulmane belge dorigine marocaine, victime des piges de limmigration, comme elle lesdcrit magnifiquement. Cest une figure fortement mdiatise, colle jamais, pour son plusgrand honneur, celle de son mariABDESSATTAR, qui a assassinMESSAOUD, le chef delAlliance du Nord, et donc celle de lextrmisme fondamentaliste considr comme le plusdur, celui li BEN LADEN). Cest une dnonciation ferme et pourtant mesure (si lon songeaux enjeux, au contexte de terreur indescriptible qui les accompagne, la perte, combiencruelle, de ltre aim), aussi inbranlable que les montagnes dont elle surgit, aussiddaigneuse et indomptable quelles, de la folie dmoniaque qui sest empare dun mondeexclusivement mercantile qui ne recherche que son profit matriel et immdiat. Un roman de

lumire et de vrit, certes, qui dnonce les tnbres du lucre et de la sauvagerie moderniste,laquelle repose tout entire sur la mainmise et lexploitation au plus bas prix des richessesdtenues par les pauvres !

LES SOLDATS DE LUMIRE, cest une voix plus quune criture, ou plutt, une langue,parfaitement conforme la pense, qui en pouse sans calculs, mais avec une tonnantesubtilit, combinaison dconcertante de pudeur, de prciosit, et de franchise crue, la trsdchiffrable expression. Une voix simple, droite, un discours tenu comme a, comme il est dit,qui ne faiblit jamais, qui est exactement celui qui a t entendu par ceux qui ont eu le privilgede lcouter. Beaucoup dhommes parmi eux mont confi le profond malaise qui les envahitlorsquils sentirent ce petit bout de femme leur retourner lme et mettre nu leur irrmdiable

hypocrisie, lorsquelle dnonce sans ambages leur indiffrence totale aux autres (quils soientleurs frres et surs, ou non), leur recherche exclusive du confort et de largent, leur petite vieobscure (comment, vrai dire, en serait-il autrement au regard de celle vcue par les Soldatsde Lumire, comme elle les dcrit ?), avec ou sans la justification des prires ponctuellementaccomplies dans les mosques de quartier



4/156

LES SOLDATS DE LUMIRE, cest aussi, ne fallait-il pas le dire, une voix de fministeauthentiquement musulmane, une voix peu connue sinon totalement ignore, qui se distingueradicalement de celle, laque et occidentale, entendue jusquici, qui ne revendique pas lasuprmatie dun sexe sur lautre, et rejette toute rivalit entre eux. en prnant lquivalencefondamentalement coranique de ceux-ci dans leur inalinable diffrentiation. Un fminisme

qui exige le respect de la femme par un homme qui se respecte lui-mme, un homme qui nesoit donc ni dgnr, ni dvirilis, ni dresponsabilis. Un fminisme qui ferait de lhommelavenir de la femme, en somme, en le rtablissant dans sa fonction de protecteur gnreux etattentionn dune compagne qui lui a t donne par Dieu, comme Il nous le dit dans le Coran,comme un habit pour sen couvrir et la couvrir

JEAN-FRANOIS BASTIN ABDULLAH ABU ABDULAZIZ



5/156

Voici le titre de mon livre :

Les soldats de lumire

Afin de redresser lhonneur de mon poux et de mes frres que Bush taxe de Soldatsillgaux, je pense avoir le devoir devant Allah de les dcrire tels quils sont rellement !Ce nest point exagr de ma part que de les avoir nomms les soldats de lumire, cettelumire que jai pu contempler sur leur visage ne peut provenir que dAllah, elle maveugleencore aujourdhui ds que je me revoie au milieu deux !

Cette lumire qui doit certainement faire trembler Bush et beaucoup dautres, ces grandscriminels ! Ils dpensent des milliards de dollars pour lteindremais peut-on teindre lalumire dAllah ? Je lai imagin aussi sur le visage de mes grands-pres quand ils ont combattuloccupation franaise et espagnole, ensuite je lai dcouverte sur mon mari (puisse Allah lui

accorder le Paradis, Amin !), et l-bas en Afghanistan, par mes frres Arabes, Afghans etconvertis. Je ressens toujours la chaleur de ses rayons qui menveloppe !

Je pense tre plus apte en parler que ces fantoches qui croient diriger ce monde mais qui enralit sont installs dans leur fauteuil pendant que Moi, jtais sur le terrain avec mes frres,de ce fait je peux tmoigner pendant queux senflent dorgueil derrire leurs bureaux ! Je medois donc de rendre hommage ces valeureux guerriers qui ont perdu la vie pour dfendrelhonneur de leurs surs, ainsi qu ceux qui sont enferms Guantanamo.

Dans ce livre, je commente mon parcours de combattante qui a dbut bien avant manaissance, un hritage qui ma t lgu par mes grands-pres dont le sang coule dans mes

veines et qui bout en moi ! Je tiens dire aujourdhui que je suis fire dtre la petite fille deces moujaheedines lpouse dun moujaheedla sur des moujaheedines !!!

Je raconte aussi, comment Allah ma guid vers cette lumire Sa Lumire.

Jai longtemps, dans la solitude de mes nuits, implor mon Seigneur de minstaller parmi lesgens de vrit, et Il na fait que mexaucer par Sa grce ! Je nai certainement pas tembrigade par une quelconque secte, comme aiment le vhiculer les mdias obsds parles images dintgristes austres et oppressifs qui cherchent dlibrment discrditer lIslam !

Je cherche refuge auprs dALLAH qui entend tout, qui sait tout, contre Satan le lapid !



6/156

- Allah est la Lumire des cieux et de la terre. Sa lumire est semblable une nicheo se trouve une lampe. La lampe est dans un (rcipient de) cristal et celui-ciressemble un astre de grand clat ; son combustible vient dun arbre bni : unolivier ni oriental ni occidental dont lhuile semble clairer sans mme que le feu latouche. Lumire sur lumire. Allah guide vers Sa lumire qui il veut. Allah propose

aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient Sourate la lumire, verset 35.- Ils veulent teindre de leurs bouches la lumire dAllah, alors quAllah parachveraSa lumire en dpit de laversion des mcrants. Sourate le rang, verset 8.

Au nom dAllah, le Tout Misricordieux, le Trs Misricordieux.

Je pensais ne pas tre capable dcrire un livre, moi qui nai plus pris la plume depuis lesrdactions sur les bancs de la classe, au cours de franais, en 1976, javais alors 17 ans.Finalement, il nest pas ncessaire davoir fait de hautes tudes pour enfin pouvoir sexprimer

Je nai fait que poser mes mots, tout simplement. Les longues phrases littraires finissent par

membrouiller et ainsi je me perds en arrivant enfin au bout.

Je fais alors une prire de deux rakats, je me tourne vers mon Seigneur afin de Lui demanderde maider le raliser, Lui qui est capable de toute chose, Lui qui rabaisse et relve qui Il veut.

Est puissant celui qui cherche la puissance auprs de Lui.

Je remercie mon Seigneur de mavoir soutenue dans mes preuves et de me permettre dentmoigner. Je Le remercie davoir mis sur mon chemin des hommes qui mont sauv au prix deleur vie, ces hommes que jappelle mes soldats de lumire.

Allah ! Penche-Toi sur Mohamed et ses adeptes de mme que Tu Tes pench surAbraham et ses adeptes. Et bnis Mohamed et les siens de mme que Tu as bniAbraham et les siens dans les mondes, Toi la Louange et la Gloire.

Il ny a de Dieu que toi ! Gloire toi ! Jtais au nombre des injustes ! S 21, V 87.

Et quel pire injuste que celui qui forge un mensonge contre Allah ? Ceux-l serontprsents leur Seigneur, et les tmoins(les anges) diront : Voil ceux qui ont menticontre leur Seigneur. Que la maldiction dAllah(frappe) les injustes, qui obstruentle sentier dAllah(aux gens), cherchent le rendre tortueux et ne croient pas en laudel.

S11,V18-19. Puisse Allah maudire tous ceux qui font la chasse aux Musulmans, AllahomaAmin !!!



7/156

AVANT-PROPOS

Notre histoire moi et mon mari est celle dun couple de musulmans religieux dont lhistoirea un moment dfray la chronique la suite de laction inattendue dont mon mari est lauteur :il a tu le clbre commandant Massoud, le lion du Panshir, qui avait tenu tte larme russeavec une troupe de misreux ; quest-ce qui nous a pousss, nous un couple sans histoire,effac, quitter le confort dun pays europen pour aller partager la vie prcaire du peupleafghan, sous le rgime des Talibans et pouser leur cause au point que mon mari deviennelinstigateur de la mort de leur ennemi jur : Massoud Ahmed Shah, chef de lalliance du nord,le parti dopposition et surnomm le tratre par ses rivaux alors au pouvoir ?

Non, ce nest pas la vie de gens exceptionnels vous un avenir enviable, mais celle duncouple de gens simples dont la richesse sera la force de notre idal qui nous pousse

commettre un acte dont la consquence nous donnera une dimension grandiose : sacrifierlamour humain lamour de Dieu.

Cet idal sera en mme temps le ciment de notre amour terrestre et laccomplissement de lactefinal, la promesse divine de la rcompense le Paradis !

Mais cette histoire ne peut tre comprise par le lecteur que lorsque celui-ci saura faire preuvedhonntet et comprendra la remarque que jadresse de paisibles citoyens europens

Moi je vous parle de rsistance de gens loccupation de leur propre pays, la Palestine en2002, et vous lappelez terrorisme, tandis que vous me parliez auparavant de la rsistance des

maquisards europens loccupation nazie de 1940 et vous lappeliez se sacrifier noblementpour dfendre sa patrie deux poids, deux mesures ! Le rsistant europen serait-il plusnoble que le rsistant musulman ?

En Afghanistan, un religieux musulman tablit le premier Etat islamique appliquantrigoureusement la charia, une loi capable de rsister la mondialisation capitaliste et aupouvoir colonisateur des gants de la plante, une loi qui veut rsister aux viseshgmoniques des idaux matrialistes. A peine install, ce nouveau gouvernement audacieuxsuscite des ractions nergiques de la part des dominateurs qui monopolisent aussitt toutesles instances mdiatiques pour calomnier le jeune tat taliban et lancer une vaste campagne dedsinformation.



8/156

INTRODUCTION

En septembre 2001, le 9 exactement, un dimanche, un musulman dont laudace nest rien

moins que de la tmrit, un Tunisien g de 39 ans se transforme en kamikaze avec uncomplice de la mme nationalit et g de 28 ans. Tous deux, linstar des Palestiniens, fontsauter une bombe cache dans la ceinture du plus jeune, mais en plus une deuxime bombe,dissimule dans la camra, qui tait sense enregistrer les propos du chef de lopposition augouvernement des Talibans, le Commandant Massoud, mais qui en ralit va atteindre son butrel, en provoquant la mort du lion du Panshir. Lun des deux kamikazes meurt sur le coup,dchiquet, le deuxime sera achev par balles. Cest ce dernier qui sera dsign par lesmdias comme linstigateur du crime : un criminel pour les uns, les biens pensants, les grandsde ce monde, et un hros pour les peuples opprims du tiers-monde qui entrevoient enfinlespoir de se faire entendre et dtre considrs avec un peu plus de respect et non pluscomme un simple objet manipuler au seul gr des intrts des puissants de la plante.

Cet homme, ce hros, ctait mon mari, Abdessatar, jamais imprim dans mon cur et queje vais tenter de faire revivre, pour vous faire comprendre pourquoi il est un hros et pourquoijen suis si fire ! Je demande ALLAH daccorder nos deux hros SA misricorde et SAbndiction ALLOHAMA AMIN !

La mort de mon mari telle quelle ma t dcrite par mes frres en Afghanistan qui taientsenss tre au courant mieux que quiconque est assez diffrente de la version des mdias dontle but tait de salir le portrait des musulmans terroristes. Ces instances mdiatiques ont tentde dvaloriser limage de mon mari en le faisant passer pour un lche qui aurait pouss le plus

jeune sexposer tandis que lui-mme aurait fait une tentative de fuite pour chapper la mort,

car ils se sont attachs broder une version plus que fantaisiste sur laquelle je reviendrai plusloin et qui prouve quel point les Occidentaux ne comprennent rien au vritable espritislamique et la grandeur desprit des purs qui fait que leur comportement ne met jamais enfaute cette noblesse.



9/156

REPONSE AU VIF-LEXPRESS

Les articles de journaux ont dpeint le personnage de Abdessatar de la faon la plus banale etla plus tranche qui soit : un jeune tudiant tunisien qui tente sa chance dans le rve europenet qui choue lamentablement pour rsumer larticle du journal Le Vif-lExpress du01/02/2002 qui relate lhistoire de lassassinat du Commandant Massoud : En 1986, un jeunetudiant tunisien suit des tudes de Communication lUniversit de Louvain en Belgique,lUCL ; il sappelle Abdessatar Dahmane, a 24 ans, rve de devenir journaliste mais va connatreune srie dchecs, car il choue en 1990 cette Universit et dcide de sinscrire lULB(Universit libre de Bruxelles) ; l article mentionne quil n a connu que des checs et en dduitquil en a certainement conu de lamertume. Amertume aussi dans sa vie intime puisque sonmariage phmre avec une compatriote ramene de Tunisie en 1991 se solde rapidement parun chec. Larticle nest pas tendre avec mon poux : il le fait passer pour un homme born

qui mettait une entrave la libert de sa jeune femme, tudiante comme lui et qui russitapparemment mieux dans sa carrire que lui, et le divorce sensuit librant la jeune femme quilaurait demand.

Ici, je me permets douvrir une parenthse, car bien que je ne conteste pas quun mariage quise solde par un chec est un vnement douloureux vivre pour les partenaires qui finissentpar lamre constatation que tous les deux ne sont pas faits pour vivre ensemble, il me dplatde le commenter. Mais tant donn que le journal rcupre ce fait pour salir la mmoire de feumon mari en le faisant passer pour un homme tyrannique et born, je dois signaler que ledivorce a t fait la demande dAbdessatar, et quil nest pas ncessaire de salir la mmoiredun individu, sous prtexte que la compagne quil avait choisie lui tait mal assortie ou plutt

quils taient mal assortis lun lautre. Parfois il arrive que chacun choisit une route diffrente,parce quil mrit et que ses attentes existentielles voluent. Et le journaliste qui ne partage pasles mmes ides qu Abdessatar sempresse den faire le portrait dun nvros, victime defrustrations rptition, le type mme dune proie destine aux sectes, ngligeant par exemplede comprendre en profondeur les motivations relles et danalyser leur validit au lieu de lesdvaloriser ; le problme des mdias est quelles tombent rgulirement dans la commoditdes ides toutes faites, la mode pourrait-on dire, de faon rpondre lattente du lecteurdont elles dfinissent elles-mmes le profil. On est oblig de constater que linformation estrarement objective et toujours oriente, dune part par la mentalit de linformateur (journalistede laudio visuel ou des revues) et dautre part, par les impratifs de la direction du journal. LesU.S.A., toujours habiles rcuprer leur profit les vnements politiques du globe quand ils

ne les suscitent pas eux-mmes pour poursuivre leur vise colonisatrice, dsignent du doigt lebouc missaire : lIslam, et en tant que chef incontest du monde donne lordre de traquer lesislamistes, en trouvant comme justificatif que le mot islamiste ne signifie pas vivre sa religionavec intgrit mais, comme lindique le suffixe pjoratif iste, quil est le synonyme presqueexclusif de terroriste. Dans ce contexte, il est vident que l action kamikaze de mon mari nepeut tre commente que de faon ngative. Aussitt on rpertorie les lments de la sectequi laurait embrigad, et larticle du journal daligner triomphalement plusieurs noms et de



10/156

stendre sur les supposs activistes terroristes, des personnages comme Maroufi, que MonsieurBassam qualifie de vaniteux plus que de dangereux, soucieux surtout de donner une imagepositive la communaut islamique comme une personne dvoue la cause divine depropagation de sa religion. Un certain Abou Katada, palestinien de Londres, complterait lecursus des activits de mon mari avant son dpart pour lAfghanistan.

En ce qui me concerne, je ntais au courant que de son dsir de partir pour prparer notrenouvelle vie dans un pays respectueux de lIslam authentique, cest--dire o rgnerait enfinune moralit digne de ce nom ! Ce qui me gne, quand je lis les journaux, cest la recherchede formules sensationnelles destines frapper le lecteur mme si cest au dtriment de son

jugement que lon finit par fausser. Figurez-vous que le signe de reconnaissance qui ne trompepas le lecteur averti pour distinguer le musulman intgriste du musulman paisible et honntecitoyen, cest qu il ne serre pas la main aux femmes !

Cest vrai que les Arabes de la pninsule arabique ne le font pas non plus, ni mme souventdans les autres pays arabes, affubls du sacro-saint adjectif de moderniss dont le synonyme

est nen doutez pas occidentaliss, mais qui prservent leur culture tant bien que mal.

Mais pour un arabe partageant la vie des non-musulmans, dans un pays o ils sont majoritaires,cest un vritable dfi au bon sens, la logique de lhypocrisie occidentale actuelle qui reposetout son systme de relation sur une ngation de la diffrence sexuelle alors que le vritablebut est daboutir leffacement dun code moral permettant de donner libre cours la politiquematrialiste de la socit de consommation et denrichir un peu plus les marchands du Templequi crasent ainsi sans scrupules les diffrences ethniques et veillent lhomognitidologique et comportementale de toute la plante sous le regard vigilant et impitoyable(maisfaussement bienveillant) de leur chef suprme, le grand Manitou amricain !!!

Dans les pays du Maghreb, les annes de colonisation franaise ont mis tout le monde au pas,plus que dans les pays du Machrek (le Moyen Orient) o on ne serre les mains aux femmesque de faon tout fait exceptionnelle. Au Maghreb, lhomme intgr est celui qui nonseulement tend la main aux femmes, mais leur fait la bise, comme les Franaisquelleavance dans le progrs ! Comment les capitalistes sont-ils arrivs subjuguer ainsi tout unpeuple dont le pass est si riche et si prometteur en gommant sans piti la moindre allusion leur identit ; se moquer du sens de lhonneur des nobles descendants du prophteMohamed (a) en manipulant la gent fminine pour la transformer son tour, comme lesfemmes occidentales, en objet sexuel destin non pas au bon plaisir masculin mais aux intrtsgostes des marchands.

Lide que certains ont pris conscience de la main-mise du colonisateur sur leur identitprofonde, musulmane, et veuillent remettre en question tous ces comportements qui choquentleur mentalit profonde, neffleure mme pas les journalistes, conditionns protger lesbienpensants de ce monde et motivs par le fait de conserver leur gagne-pain. Les mdiaspeuvent ils enfin comprendre que mon mari, un garon intelligent et sensible, a pris conscienceun certain jour de Ramadan, aprs avoir tent de ne pas heurter les coutumes du pays daccueil



11/156

europen la Belgique quil pouvait garder son identit musulmane sans choquer la moraleni troubler lordre public, et ainsi ne pas tomber dans la dlinquance de ceux qui se sententrejets en adoptant des comportements agressifs et destructeurs. Cette dlinquance maghrbinequi rpond la souffrance qui suit le sentiment de perte didentit des parents de limmigrmarocain et dont je fus victime moi-mme mais envers laquelle jai ragi de la mme faon que

mon mari bien que nous ne nous connaissions pas encore.

En rapprenant ma culture dorigine, cette religion islamique si riche et si quilibre, moi aussi,un jour de Ramadan, je fus touche par la grce islamique, dans ce mois bni o les passionset les comportements gocentriques sont mis en veilleuse par la sublimation du sentimentcommunautaire, sacrifier les instincts ladoration au Dieu unique en obissant au sacrifice delinstinct de survie le plus fort : la recherche de nourriture.

Ce jene du mois de Ramadan nest abandonn que par les plus influenables aux tentationsoccidentales. Pour la majorit des autres, croyants mais non-pratiquants, le jene sacr estrespect pour des raisons dfinies par les chercheurs orientalistes comme ce qui semble tre

le dernier attachement identitaire le plus profond ; car un musulman qui a conscience de sareligion passe sans hsitation, lui, la prire. Celle-ci est la preuve indiscutable qu il respectecelle-l, et quand il la pratique il est rare quil se contente de nexcuter quune prire sur lescinq prires quotidiennes que rclame ALLAH : le fadjr ( laube), dohr (vers midi), lar(laprs-midi), le maghreb (le crpuscule) et laicha (le soir) ; chacune marquant un momentclde la journe et donc de la vie quotidienne de lindividu.Elles ont pour rle de lui permettrede se couper, lespace dun infime moment, des tches matrielles pour donner son droit auct anglique qui sommeille en lui comme en chacun de nous et qui nous redonne notredimension humaine profonde, celle qui nous fait prendre distance par rapport la partieanimale, ce prcieux moment de mditation qui enrichit lhomme.

Abdessatar prit conscience de cette dimension un beau soir de Ramadan, quand il vit lesmusulmans se diriger vers la mosque pour prier aprs avoir rompu le jene, mais cest unsursaut identitaire qui lui rappela, ce moment-l quil faisait partie dune communaut et quillui appartenait den respecter les normes, plus que le souvenir du Dieu souverain.

Ce nest quau contact des prires et la lecture du Livre coranique quil fut touch par la Grcedivine et quil se rendit compte de la ngligence dont il stait rendu coupable jusque l enversson Crateur, et que Lui seul pouvait le sortir de ses problmes matriels, car Il est le Matreincontest de ce quil cre. Ainsi mon mari sest consacr la prire et a cherch autour de luiune communaut susceptible de comprendre et de partager ses nouvelles ides. A partir de cemoment, son chemin sest cart de ses anciennes relations, y compris sa femme, et il a pris

une autre direction.

Assez curieusement nous avons eu, peu de temps avant de nous rencontrer, une exprienceparallle bien que nous ne nous connaissions pas encore.



12/156

Et cest seulement partir de ce moment que nous avons eu des points communs, car nos viesauparavant nallaient pas dans la mme direction. En effet, en ce qui me concerne, je ntaispas destine au dpart, partager la vie dun musulman religieux qui plus est dune origineethnique diffrente(il est tunisien et je suis marocaine), ctait un homme intellectuel qui avaitpass une enfance tranquille au milieu de sa communaut dorigine, et moi je navais pas le

mme vcu, en plus javais la complexit dun enfant dimmigrs dont les parents taient depauvres gens venus dmunis dans un pays aux usages diffrents de leur culture dorigine etsurtout en contradiction avec elle.

Quelle est la force mystrieuse qui nous a runis -ou plutt, unis- mon mari et moi, dans unesymbiose qui allait nous permettre daller jusquau bout de notre idal et mme au-del carnous osions peine le formuler tant il tait loin de notre vcu de petits europens dadoption,installs dans le confort occidental.

Jai envie de me pencher sur mon pass pour comprendre quel moment Dieu a tendu lemanteau de Sa misricorde sur moi pour me sortir du gouffre dans lequel jtais en train de

menfoncer et comprendre aussi pourquoi jen tais arriv ce stade, comprendre pourquoi,quand je nageais en plein bonheur dans cet amour irrel, la main de mon mari devait se posersur mon front tremp de sueur par un cauchemar du pass ressurgi travers les rves tellela main dun ange protecteur et bienveillant , mon cher poux, tu ne las jamais oubli, cegeste affectueux, et quand tu tais loin de moi, tu me rveillais par un petit coup de tlphonecomme pour empcher les diables du pass de revenir me hanter tu nas pas besoin dedcrocher mavais-tu prvenu tu sauras que cest moi qui pense toi et pour te dire

je taime ! bonne nuit Cher Abdessatar ! Quel mari prvenant tu tais



13/156

CHAPITRE 1Le poids du pass

En remontant trs loin dans le pass, je vois quil contient une part incontestable de richesse.Mais en faisant ce retour sur moi-mme pour mieux me comprendre et me ressaisir, afin de nepas me laisser aller dans une mlancolie nvrotique sous linfluence de souvenirs douloureuxactivs par une raction de deuil, jai pu, en visionnant le film de ma vie en profondeur, raliserquun enfant dimmigrs nest pas ce pauvre pantin dsarticul qui gche sa jeunesse essayerde se construire sans matriaux et sans outils adquats jusqu dans la plus part des cas se dtruire ou dtruire autour de lui. Il est avant tout le descendant, porteur indiscutable dupass de ses glorieux anctres, et dans mon cas, des Berbres du Rif marocain qui avaientassimil avec bonheur lhritage arabo-musulman de leurs anciens conqurants arabes la foissi courageux et si cultivs qui leur ont transmis une morale dont lOccident sinspirera pourparachever sa civilisation, mais queux- mmes ont galvaude quand lEtat islamique sest

effondr, laissant le champ libre aux superstitions populaires des gens simples nayant plus derfrences culturelles pour les guider.

Ma mre sest attache toute mon enfance entretenir le souvenir du pass, mieux que nelaurait fait un appareil photographique, pour son plaisir personnel, comme remde sanostalgie dmigre, mais aussi, plus ou moins consciemment comme ultime sursaut deprservation de lidentit bafoue au contact trop puissant du monde occidental qui laccueillitpar ncessit conomique dans les annes 60, avec un contrat de travail pour son mari, maisdans lequel ils se sont trouvs pigs quand les enfants ont t scolariss et ont introduit dansleur foyer berbre une rfrence ducative compltement oppose la leur.

Que peuvent faire les parents quand les enfants passent les trois-quarts de leur journe apprendre que leurs anctres sont des gaulois aux yeux et aux cheveux dlavs puis que leursouverain prie le petit Jsus et commmore sa naissance par une magnifique fte familiale dontils se sentent exclus quand ils retournent dans leur foyer musulman ?

Ma mre racontait donc, firement, que les grands-parents taient des berbres ; cest--dire unpeuple dorigine trs ancienne qui vivait dans les rgions montagneuses du Rif marocain, avecun langage spcifique, le Rif, et avec des traditions bien eux. Ils avaient adopt la religionmusulmane mais ils avaient des difficults assimiler la langue coranique tandis que le restedu peuple marocain parlait larabe, bien que dialectal, le Tamazique. Ceci peut se comprendreaisment puisquune langue sentretient par lapprentissage systmatique et quavecleffondrement de lEtat islamique, la langue arabe na pas t prserve avec soin, sinon aucur de petites mosques o les garons seuls taient invits se rendre.Et si une fille senapprochait, elle en tait chasse et punie svrement par lhomme de la famille. On voit ici lesdgts que peut faire labsence dune autorit qui, seule peut temprer la mentalit populairequi a toujours un ct primaire et est influence par la perception subjective des relationsinterindividuelles..



14/156

En rcoutant avec ma nouvelle perception des choses et donc plus sensible au droulementdes vnements antrieurs ma naissance, je me suis rendue compte que rien dans la vie nestle fruit du hasard et vous allez comprendre mon ide quand je vous dvoile le titre de ce petitchapitre que je vais ouvrir sur mes antcdents.

Lhistoire de mon pays dorigine

Lhistoire est jonche de cadavres celui des peuples fiers et courageux dtermins selibrer du joug de loppresseur. Le Maroc est un pays trs convoit par les conqurants de tousbords cause de son emplacement gographique : cheval sur lOcan Atlantique et la MerMditerrane, et qui plus est, la porte du continent Africain ; de quoi veiller les envies

On ne peut pas faire limpasse sur loccupation musulmane qui lorigine, a t motive par lancessit de rpandre la religion islamique. Mais si on relit lhistoire de la conqutemusulmane, toutes les invasions sont synonymes de destructions et de souffrances, sauf cellesmenes par les purs, les premiers musulmans que lappt du butin attirait moins que lanotion de Jihad qui accompagnait cette conqute parce quelle tait revtue de lodeur duParadis. En effet, rpandre la parole dALLAH, sublime un acte en apparence rprhensible,qui, cette poque en lAn 700 aprs Jsus-Christ cest--dire plus exactement, 60 ans aprslhgire, une trentaine dannes aprs la mort du Prophte Mohamed (a) tait une ncessitpour faire voluer le monde, car nous navions pas atteint le degr de technologie actuel quipermet de communiquer rapidement et ctait le lot des peuples dvoluer au gr des fantaisies

de plus belliqueux queux.En voulant conqurir les peuples par la force, les premiers musulmans ne perdaient pas de vuela motivation imprieuse : transmettre la Loi coranique et propager une morale favorisantlpanouissement de la socit et donc des individus et rprimant les injustices o le fortdomine le faible.

Daprs les rcits historiques, les guerriers arabes ne tuaient pas les soldats ennemis despremiers rangs, car ils savaient quils taient des victimes, des esclaves placs pour prendre lesmauvais coups, et ils leur proposaient la vie sauve en change de leur tmoignage lUnicitdivine, et sans contrainte, comme les professeurs de cours dhistoire, lcole avaient tent de

le graver dans mon esprit. Par aprs, devant le haut degr dhumanit dont faisait preuve lesvainqueurs, toute la population adoptait lIslam pour rgle de vie et de gouvernement. Cestainsi que le monde musulman sest propag rapidement.

Comme exemple de cette conduite magnanime du conqurant musulman le clbre KurdeSaladin (Salah din) nous avons lhistoire raconte par les Arabes des guerres menes parles croiss et leurs dbordements. (Salaheddine El Ayoubi, 1138-1191), qui libra lOrient de lalongue emprise des Croiss et mit fin ce dsespoir mortel qui stait empar des masses



15/156

trahies par leurs dirigeants. (mditation dun musulman sincre, Dr. Salaheddine Kechrid,pharmacien biologiste).

Mais lhistoire nest pas peuple que de saints hommes et les choses voluent selon lesretournements de situation et les prises de leadership lintrieur des groupes ethniques ; cest

ainsi que les berbres se sont un moment dsolidariss du pouvoir central et ont form ungroupe rebelle en 739, influenc par les Kharidjites, connu pour son rigorisme religieux et quiavait pos des problmes au quatrime calife, Ali. Quand le calife voulut parlementer avec sonadversaire, Mohawiya, pour tenter de rsoudre le conflit de manire pacifique au lieu desentretuer entre gens de mme confession, certains avaient protest en suggrant quil suffisaitde brandir le Coran. Evidemment la proposition tait insense et le calife prit sur lui de leurexpliquer que le Coran est un outil sur lequel on sappuie pour rsoudre les conflits mais quilnest quun livre et quil nest pas en lui-mme dou de pouvoir magiques ; courroucs, ilssortirent de la communaut dou leur nom les Kharidjites qui signifie les sortants et ilsconstiturent une secte appliquant la religion islamique de faon tout fait borne, tuantfrocement les sympathisants d Ali quils croisaient sur leur chemin.

Cest peu prs ainsi que lIslam sinstalla dans le pays, et les Berbres du Rif marocain ontdonc subi linfluence, bien quphmre, de ces musulmans rigoristes qutaient lesKharidjites.

Cela lve un voile sur les traditions vhicules par mon pre qui sont lorigine du conflit avecma famille et qui faillit aboutir ma perte car elles heurtaient trop mon caractre entier etexigeant. Il est bon de rappeler que le peuple marocain supporta aprs eux une dynastie caractre chiite, les Idrissides, des alides, tout aussi intransigeants, mais ensuite ungouvernement plus souple leur succda : les Almoravides, qui unifirent le Maghreb etlAndalousie et lorigine, avec le gouvernement des Almohades, de la splendeur musulmane

qui brilla en Andalousie et ce jusquen 1415. Au niveau du pouvoir aussi le gouvernement delpoque est un modle que le systme dmocratique occidental peut saluer. Le sultanat duMaroc na pas un caractre hrditaire, ce sont les oulmas, sages religieux, nantis de lespritislamique issus du Coran dont on reconnat lorigine strictement divine, nen dplaise auxchicaneurs intellectuels occidentaux qui singnient dvaloriser le sentiment religieux pourpermettre une libert maximale et par l mme les socits marchandes, les capitalistes, dontla survie dpend de la vente de leurs produits. Ils vont russir quand le Maroc tombera souslautorit des Occidentaux dont les prmices sont les incursions portugaises et espagnoles du15me sicle. Lapoge de cette occupation, cest le 19me sicle, avec la rvolutionindustrielle, quand les Europens, cherchant des matires premires et des marchs,envahissent littralement toute la rgion du grand Maghreb et le dcoupent en Etats dont ils

entendent bien ne jamais lcher le contrle.

Mais en attendent cette priode, que nous vivons encore aujourdhui, le Maroc va connatreune nouvelle dynastie rigoriste et berbre et ce pendant presque deux sicles (1269 1465) ;ensuite, la dynastie des Wattassides va le replonger dans la prcarit du nomadisme et sonmode de vie tribal, avec son cortge de manifestations para-religieuses comme la dvotion auxmarabouts le mot nest pas faible. La superstition, qui a empoisonn mon pays dorigine



16/156

cause de leffondrement dun empire islamique fort qui proposait une religion claire etprogressive. Cette superstition demeure vivace jusqu nos jours et perturbe les relationssociales et familiales. Jen ai t moi-mme plusieurs fois victime. Cest ma prise de consciencede la religion islamique en mincitant augmenter ma connaissance religieuse, qui ma librede ce qui commenait srieusement devenir un handicap.

Mes racines

Lhistoire contemporaine de ma famille commence en lan 1926 avec la naissance de mon pre.Il tait nanti dun hritage de quelques terres et de btails et aurait pu couler des jours paisiblessi lpoque colonialiste dont je parlais plus haut navait commenc se manifester avecloccupation espagnole. Cest justement au Maroc que le Gnral Franco, de sinistre mmoire,se distingua, jai envie de dire, se fit les dents. Il retournera en Espagne imbu de son aurolede bon gnral qui lui permit de lgitimer sa prise de pouvoir dictatoriale la tte dunmouvement nationaliste en 1936 et de peser de tout son poids autoritaire et rpressif sur uneEspagne soumise et de faire profiter de cette dictature la partie du Maroc quil avait conquiseet dont il tait devenu le chef suprme ou Caudillo, titre dont il se revtit comme uneexception (comme Mussolini, en Italie quand il prit le titre de Duce), mot qui a la mmesignification.

Il faut comprendre que le peuple marocain lpoque vivait trs mal cette occupation quilressentait comme une humiliation. En effet, jusqu prsent le Maroc tait le thtre de

tentatives de leadership qui restaient toujours dans le cadre de la communaut musulmane. Lessultanats se succdaient mais ils taient soumis une allgeance du conseil des oulmas. Leproblme a peut-tre son origine dans lapptit colonialiste des puissances trangres qui sestrveill un moment o le Maroc ntait pas gouvern par un pouvoir fort comme lavait t,par exemple celui de Youssef ibn Tachfin, qui avait fait la conqute du Maroc en partant de laMauritanie et en lunifiant avec le Sngal, la Kabilie et Madrid et en fondant la ville deMarrakech. LEurope est prise dune frnsie de conqute motive par la ncessit douvrir desmarchs devant son essor industriel et de sapproprier les denres des pays coloniss :conquistadors espagnols et portugais se sont entrans sur les musulmans arabes du Maghrebcomme les Croiss au Moyen Orient, avec la mme hargne, avant de poursuivre sur les IndiensdAmrique dont la non-appartenance la religion chrtienne justifiait leurs yeux

lappropriation et lexploitation de leurs terresdcidment la Croisade nest pas un vain mot,cest un sacerdoce pour tout chrtien qui a quelque apptit de conqute car il est un excellentprtexte ! Je me demande ce quen penserait Jsus dit le Christ, fils de Marie que je respecte entant que prophte dALLAH et qui d aprs la religion chrtienne telle quelle est enseigne parses prtres est amour et tolrance ?

Enfin bref, les musulmans eux ne sy trompent pas et depuis lincursion portugaise et



17/156

espagnole du 15me sicle qui voit le Maroc et plus gnralement le Maghreb spoli dans sesrichesses (les Europens entassent dans leurs navires les marchandises des caravanes enprovenance du Sud : gomme, laine, cuir, mais aussi or du Soudan, livoire, ainsi que de laprovision humaine : les esclaves noirs du Sngal !!!), la communaut marocaine se sent violepar les colonialistes (v. le livre de Gilles Perrault). Les religieux poussent un cri dalarme car ils

comprennent mieux que quiconque le danger dune atteinte caractre religieux de ce genrede conqute, mais ils sont encore loin de leur prvision. Ils ne peuvent imaginer que le 19mesicle, avec son incroyable essor matriel par la rvolution industrielle va veiller laconcupiscence des nantis de la plante : les Europens. Ceux-ci ont un apptit, car il leur fautdes matires premire pour alimenter leurs industries et un march pour couler les produits.Le Maghreb, affaibli par labsence dun pouvoir fort qui aurait tabli une hgmonie salutaire,est dchir par dincessantes prises de pouvoir, par des petits leaders sans envergure, acharns empcher la constitution dun pouvoir cohrent au lieu de se proccuper de renforcer leurgouvernement(le makhzen) seule solution face aux ennemis trangers. Cest pourtant lesentiment profond du petit peuple campagnard et le dsir des commerants citadins puisspar les razzias de la Siba. Le Maroc navait plus qu tre cueilli par les plus habiles !

Et cest ainsi que les puissances europennes (Angleterre, France et Espagne) obligent lessultants ouvrir le pays leurs produits. Le Sultant Mulay Abderrahmane et sa famille aupouvoir depuis deux sicles tentent de protger le pays en levant un barrage douanier.

LEurope fait pression pour le casser et impose des traits qui lavantage. Ainsi elle met unsystme de protection aux trangers rsidant au Maroc(ils taient dj 9000 en 1894 !) Ceux-cisont tout simplement exempts de payer les impts, sans compter quils chappent la justicemarocaine. Pour couronner le tout, les firmes sinstallent et les colons achtent les meilleuresterres. Comme lexplique Gilles Perrault, ce nest pas la force qui va conqurir le Maroc dansun premier temps (19me sicle) mais largent du Capitalisme par un processus ingnieux

qui respecte les apparences (p. 14). Cest lui qui est le garant de son asservissement : cest lamorale du CAPITALISME !!!

Et en plus, si le dirigeant indigne manque de conscience, pour satisfaire ses propres intrtssans souci de la bonne marche du pays qui est sous sa responsabilit, cela donne un sultanvnal, au makhzen qui ruine le trsor public et jette le pays en pture aux banqueseuropennes qui le renflouent sous des conditions dintrts normes pour aider auremboursement de la dette. La France propose comme par hasard un compromis habile. Elleobtient le contrle des douanes, dont elle soustrait pour elle une partie, et pour tre sr quea marche, investit dans lamlioration des transports et faire construire par ses ingnieurs unchemin de fer, en plus de lamlioration du port de Casa - Blanca Hlas un cimetire vient

se mettre en travers de la voie ferre. Aucune importance, les ingnieurs poursuivent leurtche le progrs avant tout, cest la morale du matrialisme capitaliste et je minterroge :quand des skin-heads adolescents en mal de vivre, saccagent un cimetire (juif) Carcassonneen France en 1990, pourquoi le Prsident de la Rpublique franaise sest-il dplac devantcette profanation, et pourquoi cette poque, cest la population marocaine souleve parune meute bien comprhensible, devant ce quelle considre comme une violation songard, que le gouvernement franais envoie son arme pour rprimer.



18/156

Pourquoi cet talage de force ? Je vous le demande. Ne valait-il pas mieux alors faire preuvede comprhension ou du moins de lgitimes excuses ?! Non !!! A cette poque en tout cas, onne discute pas avec le peuple que lon veut soumis au contraire tout est prtexte pour asseoirun peu plus sa puissance et cette misrable mascarade est la porte ouverte la main misetrangre sur le pays maghrbin : on oblige le sultan le successeur dAbdelAziz, le pre de

Mohamed V demander laide de larme franaise, autant dire accepter de se livrer pieds etpoints lis, mais que peut-il faire dautre ? Cest ainsi que le clbre Marchal Lyautey fera sonentre comme rsident dans mon pays dorigine. Les vautours le dpcent et lEspagne prendainsi une part, le Rif, terre natale de mes parents, nous sommes en 1912...

Aprs cela lhistoire franaise nest pas trs bavarde, et pourtant il se passe quelque chose detrs important pour le peuple marocain et son histoire, un vnement qui lui permet de releverla tte et de damer le pion tous ceux qui lui jette un regard mprisant rserv aux gens quinauraient pas dautre destine que de servir les autres et se soumettre. Le Rif se soulve contreloccupant espagnol. Une figure vient porter de lombre, pendant cinq ans, au portrait duMarchal : ABDEL KARIM. Ce petit fonctionnaire (hros de mon imaginaire de petite fille),

dans ladministration espagnole se dcouvre une me de guerrier et soulve la montagnecontre loccupant, il russit une chose extraordinaire : il instaure une rpublique quil appellerala Rpublique islamique du Rif en 1923. La suite est prvisible quand on a compris lenjeuque reprsente, pour les non -musulmans, ltablissement dun Etat qui inscrit lIslam dans soncode de loi. Dailleurs le Marchal Lyautey lexprime haute voix : Rien ne pourrait tre pirepour notre rgime que ltablissement si prs de Fs dun Etat musulman et indpendant

Adieu lautorit des banques Abdel Karim se comporte comme un gouvernant intelligent etmoderne, rien de chauvin ni dtriqu, capable de subsister par lui-mme. Nous sommes doncen 1926, poque du sultanat de Moulay Hafed qui est rapidement invit (contreddommagement) laisser le sultanat son frre Moulay Youssef le grand pre du futur

Hassan 2, qui est celui qui accueillit bras ouvert les troupes du Marchal Ptain, venues enrenfort pour mater la rbellion berbre de Abdel Karim : dbarrassez-nous de ce rebelle,une rsistance qui se poursuivra bien au del de sa prsence personnelle (car Abdel Karim seraattrap et emprisonn sur lle de la Runion dont il svadera pour finir ses jours en Egypte) etles colonisateurs concerns ont eu tellement honte davoir t vaincu par une poignedindividus mal arms et mal vtus quils ont occult tout simplement cet pisode honteux.

Ils sont arrivs deux puissances, avec leur artillerie lourde et leur nombre considrable(72.500 plus 100.000 Espagnols) contre une poigne de 30.000 hommes arms de pauvre fusils.

La rsistance se poursuivra ainsi pendant 25 longues annes CHAPEAU !!!

Cest le moment douvrir une parenthse sur le rle jou par les femmes berbres dans cetteguerre que H Chi Minh et Mao Zedong citeront comme modle incontournable des guerresrvolutionnaires modernes (p. 15). Nous navons pas faire ici limage de la femmemarocaine relgue dans sa cuisine et occupe touiller un succulent tadjinne auxpruneaux, mais la courageuse berbre des montagnes aguerrie par une existence rude ; elle



19/156

ramasse les fusils des combattants tombs et limage de ses compagnons dcids mourirlarme la main et ne pas se rendre, ouvre son tour le feu sur les assaillants. Elle a eu sansdoute une meilleure fin que ses compagnes prises comme otages avec leurs enfants quand lesvainqueurs entameront les reprsailles. Le Maroc est sous protectorat franais, mais la zonedont dpend mon grand-pre est sous autorit espagnole, donc de Franco. Le peuple, devant

limpuissance du sultanat organise lui-mme sa rsistance face la spoliation dont il estvictime, et qui attend du gouvernement une raction allant dans son sens, au lieu de toujoursaller dans le sens des Europens. Il faut savoir que les colons occupent les meilleures terresavec la complicit des collaborateurs qui touchent leurs avantages. Mon grand-pre paternelnhsite pas et rejoint la rsistance marocaine Cest ainsi quil tombe sous les balles...assassin par les colons !

Ma grand-mre na pas dautre solution que de fuir et dabandonner sa rsidence. Elle prendses deux enfants et tente de trouver secours dans une famille en tapant aux portes. En vain,son fils, mon pre alors jeune adolescent, comprend que sa prsence indispose les gens. Il sersout sloigner pour permettre sa maman et sa petite sur de trouver refuge dans une

famille au lieu de rester dehors, en proie tous les dangers. Mais ma grand-mre meurtdinquitude, sil tombe aux mains des ennemis, espagnols ou, pire, collaborateurs. Il risquaitdtre maltrait et ny tenant plus, elle dcide de partir sa recherche et finit par le dcouvrircach dans un tonneau ! Ctait astucieux ! Il avait lu domicile dans cette cachette tremblantde froid et de peur, et sa courageuse maman dcida que dsormais la famille resterait unie. Elleentreprit vaillamment la longue route interminable et seme dembches travers lesmontagnes du Rif qui les conduisit Tanger. Ctait dire adieu au genre de vie quils avaientconnus jusqu ce jour dans leur jolie maison et connatre, comme un avant-got de ce quilsallaient dcouvrir quelques annes aprs, la vie dimmigrs. Ma grand-mre encore toute jeunetrouva une petite maison et gagna sa vie en faisant les mnages. Ses deux enfants atteignentlge adulte et elle peut marier sa fille, ma tante, avant de mourir puise par toutes ses

preuves, en ayant eu peine le temps dembrasser ses deux petits enfants. Cest alors que sonfils, mon pre, jeune homme de 18 ans seulement, prit en charge le reste de la famille car sasur peine marie se retrouvait dj veuve, nantie de deux orphelins qui moururent trs peude temps aprs. Mon pre ne lchera jamais sa sur, quil chrira tout au long de sa vie, ilsresteront unis pour toujours !

Ce genre de comportement dpasse lentendement des Occidentaux dont les valeursreligieuses sont depuis longtemps relgues aux oubliettes, faisant seulement partie dufolklore. Mais pour des Musulmans surtout les Berbres fortement attachs leurs traditions se marier protge des conduites sexuelles hors mariage et les jeunes aspirent tous fonder unefamille. Mon pre trouva une autre orpheline comme lui qui avait perdu ses deux parents et

qui tait trs belle, cette jeune fille, ma future maman pour ne pas la nommer, tait originairedu Rif comme lui, et comme lui, avait travers pied les montagnes dans le froid rigoureux delhiver avec sa maman devenue veuve et spare de ses deux fils et de ses deux autres fillesquelle avait maries auparavant trop pauvre pour pouvoir les assumer. Ma grand-mrematernelle donc, avant de mourir son tour avait eu le temps de placer judicieusement sa fille



20/156

dans une famille arabe Tanger (l o elles taient venues tenter leur chance). Celle-ci laconsidra comme sa propre fille et se mit en qute, pour elle dun bon mari mon futurPAPA !!!.

Leur histoire prsente un autre point commun que la prsence de leurs mres respectives

Tanger, fuyant leurs villages car devenues veuves et devant trouver un coin pour nourrir leursprognitures quand les conditions misrables des berbres ne leur permettaient pas de nourrirdes bouches supplmentaires et que loccupation trangre devenait un danger pour leslments fminins dpourvus de protection masculine. Lautre point commun, essentiel, sesont les circonstances de la mort de leur poux respectif, tombs sous les balles de loccupant.

Oui, mon grand-pre maternel dont je suis trs fire tait lui aussi un MOUJAHED. Ilsengagea dans la rsistance marocaine contre loccupation espagnole. Il est triste de constaterque tout colonisateur russit dautant mieux quil produit des satellites qui trouvent auprs delui un profit confortable, et triste aussi de constater que lexpression de plus royaliste que leroi concerne les individus qui collaborent avec loccupant en dployant un zle que toute

civilisation qualifie dabject. Cela a t le cas dans la guerre mondiale pour les Franais et aussipour lEspagne crase par le dictateur fasciste Franco, qui va avoir la main mise sur le Maroc,selon le processus de dpeage que jai dnonc plus haut. Mon cher grand-pre fut unevictime de ces collaborateurs quand il se retrouva seul face lennemi, le reste des maquisardsayant pris la fuite. Il affronta tout seul larme ennemie et ne put rsister bien longtemps, criblde balles... assassin lui aussi par loccupant. En train dagoniser, sous lil impitoyable de sesennemis prts lachever, son propre cousin prsent parmi les tratres sy opposa et les exhorta le laisser mourir par lui. Son cousin attendit que Dieu le rappela Lui et il lenterra de sespropres mains. Longtemps je me suis interroge sur la finalit de son acte, et jen ai dduit quetout tratre quil tait, il a eu un cas de conscience et a voulu ainsi lui viter dtre achevcomme un animal, avec toute la haine et le mpris que cela voque et peut-tre aussi de mourir

comme un musulman en rcitant la chahada, car le Prophte (a) nous a enseign que celuiqui meurt en prononant Il ny a quun dieu cest Dieu (Allah) et Mohamed est Son Prophtese voit ouvrir les portes du Paradis. Il nous a recommand daider la personne arrive la finde ses jours prononcer cette phrase, afin quelle meure musulmane. Musulman, un motdonn par notre pre Ibrahim en hritage, qui signifie soumission au Dieu Unique. Cest lecontrat fait par lindividu avec son Crateur lors de sa conception et quil raffirme lheure desa mort : Nous avions propos aux cieux, la terre et aux montagnes la responsabilit (deporter les charges de faire le bien et dviter le mal). Ils ont refus de la porter et en ont eupeur, alors que lhomme sen est charg ; car il est trs injuste (envers lui-mme) et trsignorant. S 33,V 72.

Jaimerai ici faire une remarque pour clarifier les valeurs selon la conception de chaqueindividu pour que la communication puisse stablir sans fausse interprtation. Quand unmcrant meurt pour lhonneur de la patrie aux mains de lennemi, il est honor ainsi que sammoire pendant de nombreuses annes, cest la rcompense de lici- bas auquel le sacrifinest malheureusement pas sensible puisque cest une rcompense post mortem, mais pourtantbeaucoup sont prts sacrifier leur vie alors que lorgueil est le mobile de leur acte. Ils ne se



21/156

rendent pas compte quaprs la fin de leur vie terrestre de quelques dizaines dannes, lAu-delprend le relais et cette fois il ne concerne non pas quelques dizaines dannes mais

lEternit ! La vie non-stop au Paradis ou en... Enfer. Mais le musulman qui tombe peut le fairelui aussi pour lhonneur de son nom et de sa patrie, ou mme mieux, seulement pour sauver

sa famille, il meurt quand mme Moujaheed honor ici-bas pour son courage mais aussi, siDieu le veut dans lAu-del, rcompens par le Paradis sil le fait pour la gloire dAllah encombattant lenvahisseur mcrant qui veut lui imposer ses lois et bafouer les lois divines,inscrites dans le Livre (le Coran). Il meurt alors fi sabilillah dans leffort sur le chemindAllah et rve aux dlices du Paradis, car Allah tient ses promesses. Il ouvre les portes duParadis au martyr et, rcompense suprme, Il lui montre Son Visage.

En tait-il conscient mon grand-pre ? Cest plus que probable, sinon pourquoi aurait-il prfraffronter lennemi tout seul, assur dune mort imminente au lieu de senfuir avec ses amis ouau contraire de choisir de tourner sa veste et de collaborer avec lennemi comme son cousin.

LIci-bas ou lAu-del, cest la question qui soutient la main du combattant et lempche dereculer face au danger. Lorsque jai entendu la narration de cette histoire, je ne savais pas alorsquelle se rpterait et que cette fois, les acteurs, ce seraient moi-mme, moi et mon maricomme en hritage idologique.

Une troublante similitude : le destin parallle de mes parents

La vie Tanger tait plus que modeste et mon pre avait la nostalgie de son enfance et de ses

annes insouciantes au milieu des orangers et des amandiers o se droulaient dinterminablesparties de cache-cache, cette odeur forte des moutons quand il accompagnait le berger pourles garder. Le sacrifice du mouton de lAd el Kabir avec la fte mmorable tait loccasion derunir non seulement la famille, mais aussi tout le village. Les pauvres taient ce jour-l lhonneur, les bienvenus, car la prsence de Dieu et pour certains, le regard de la communaut,rendait le plus avare dbordant de prodigalit etde bonne humeur ! A ces souvenirs le regardde mon pre se voilait de tristesse en regardant sa progniture. Maintenant ctait eux lespauvres, mais ils ntaient pas les membres honorifiques, le cadeau que Dieu envoie aux plusriches pour leur donner loccasion de Lui manifester la reconnaissance pour les dons quil leura fait.

Larrive des Espagnols et la mort de mon grand-pre avait chang le dcor comme un mauvaisfilm et les regrets ne servaient rien si ce nest puiser une deuxime force pour se sortir decette infortune. Mon pre, m par la ncessit de nourrir sa famille et par le secret espoir deretrouver quelque chose de son enfance, rsolut un beau jour de mettre fin cette vie demisre et doffrir un avenir meilleur ses enfants et sa douce compagne quil chrissaittendrement. Celle-ci avait t durement prouve par la rptition de grossesses avortes



22/156

jusqu ce que la Misricorde divine mette fin ses preuves et lui fasse cadeau dune joliepetite Fatima.

Si labsence dhritier mle est toujours mal vcue par le peuple arabe de la mme faon quelleltait en Occident, cela na pas t le cas dans ma famille. Lessentiel pour eux tait davoir des

enfants en bonne sant. Sachant que seul ALLAH dcide de sa cration.

Nous en trouvons mme une trace dans le Livre sacr mais cest justement pour les dnoncer,dune part quand ALLAH dit au Prophte de ne pas tre contrari par les moqueries de sesennemis qui font allusion au fait quil na pas de descendance mle : Nous tavons donn lefleuve kawthar (labondance) alors prie ton Seigneur et sacrifie (gorge le mouton pour donneren aumne) celui qui te hait, cest lui linfirme (sans postrit) ; dautre part, Il fait dire par labouche de Son messager, que celui qui a deux filles et les duque convenablement a uneplace envie au Paradis.

Hlas, ce moment de bonheur a t rapidement assombri par une autre preuve ; Mohamed,

le bb, ne vivra pas au del de dix-huit mois. Mais rapidement un autre bb vint panser cetteplaie, car cest Ahmed qui succdera, mon frre an, ensuite mon cher frre Mustapha, dcd lge de 37 ans, emport par une leucmie, puisse ALLAH lui faire misricorde, Amin ! Enfin

je naquis, et un garon suivra ma naissance mon frre Mohamed-Sadk, qui a reu le nom dupremier garon, en souvenir comme une plaie ouverte quil fallait refermer. Ma mre ne sortirapas compltement indemne de tous ces deuils car sa sant sest fragilise, me permettant de luimanifester mon amour filial en lentourant de petits soins quand Dieu me le permet. Encrivant ces lignes, je me rends compte que les preuves subies par mes parents semblent toutdroit sorties des films mettant en scne des gens du tiers-monde et cela ne sarrte pas l, toutcomme dans les films, car linstinct de survie donne mes parents llan ncessaire pourprendre en main leur avenir avec dtermination ; en 1963, mon pre dcide de tirer un trait sur

ses difficults et ses deuils et de tenter sa chance vers lEldorado europen.



23/156

CHAPITRE 2Le dpart vers la Belgique

La Belgique avait conclu avec le Maroc un contrat dchange conomique, savoir unemainduvre avec des avantages pour celle-ci. Le mme accord avait t conclu entre la Franceet lAlgrie.

Cest donc en Belgique que mon pre se rend et il y trouve rapidement du travail commemarteau-piqueur, le mot tant tir du langage populaire entendez par l louvrier spcialisqui soccupe de manipuler le lourd marteau-piqueur une machine difficile manipuler qui creuse les roches, pour par exemple, fabriquer des trottoirs. Cet emploi estexclusivement rserv aux travailleurs venu du tiers-monde, et ce dans tous les pays o lapopulation autochtone est suffisamment pourvue pour ddaigner, et mme mpriser lestravaux trop durs et dangereux (NB : les Italiens, dont le pass de travailleurs immigrs a t

immortalis dans un endroit souvenir : la Cantine des Travailleurs Italiens reportage surRTBF dans le JT de 22H30 du 22 juin 2002 ces Europens sont membres dun pays riche etnacceptent plus ce genre demploi pnible), ainsi le travail de marteau-piqueur ncessiteune certaine endurance pour affronter les vibrations de loutil quand il perce lasphalte ou lesroches. Mais ltre humain, de nature ingrat, au lieu de manifester de la reconnaissance celuiqui se dvoue pour son confort, cultive des sentiments ngatifs de racisme et de discriminationpour bien marquer son mpris. Et cest ainsi que le nom de lobjet est devenu comme unetiquette colle la peau de louvrier (et il nest mme pas cit dans le Larousse comme uneexpression familire, preuve quil nest pas reconnu par lAcadmie franaise).

Cest sans doute pour effacer ces discriminations sociales que lidologie marxiste a connu unsi grand succs ses dbuts avant quelle ne montre ses limites et son dfaut essentiel :labsence dune autorit transcendante lautorit humaine elle prnait en effet lgalit detraitement et abolissait les diffrences dordre social bass sur des valeurs de suprioritsubjectives (naissance, diplme, richesse ) qui engendrait des injustices et que les penseursde toutes les poques ont toujours dnonces ; mais ctait oublier que la loi humaine de basecest la loi du plus fort et de la satisfaction de lgosme et que seule la rfrence une autorittranscendante lhomme peut contrler ; l sest rvl les limites de lidologie marxiste : lerefus du divin comme rfrence humaine tait la manifestation de lorgueil le pluscondamnable devant Dieu. Se croire gal Lui au point de se passer de sa prsence, alors quecest Lui qui nous a cr ; les limites de lidologie marxiste : ne pas en avoir.

Non seulement on nie le rle divin, mais en plus on veut leffacer,par la force, du cur delindividu. Il lui est interdit de prier ! On nie mme lorigine de lhomme qui viendrait de nullepart. Quelle absurdit ! La matire qui na pas dintelligence se met tout dun coup faire desavants calculs mathmatiques pour crer lunivers et le cerveau humain ; ah ! oui ! on nersiste pas lui donner une existence plus concrte en la nommant dame nature ; de qui semoque -ton ? Des enfants, pour commencer, que lon condamne avaler des thories toutesfaites comme vrits incontournables, pour les rfuter la gnration suivante.



24/156

Heureusement lintrt du 20me sicle est davoir acclr le temps temps de dplacementmais aussi temps dexistence et on ne reste pas trop longtemps sur les mmes erreurs. Ceci merappelle que le Prophte (a) nous avait expliqu quil tait dans sa connaissance que plus onapprocherait de la fin de lexistence terrestre et plus le temps allait se raccourcir. Et il est exactque le temps sous toutes ses formes va en diminuant : temps de transport (on met un jour

faire mille kilomtres au lieu dun mois autrefois), temps dans larrive des vnements : il sestpass plus de choses dans ce sicle que dans plusieurs sicles la fois ; temps dans laperception aussi : limpression que le temps file sans quon sen rende compte mais ceci estun jugement subjectif et je me contente de le faire partager.

Rassur sur son avenir conomique, mon pre dcide de regrouper sa petite famille, un an plustard, en 1964. Ctait urgent, car elle tait livre son sort vu labsence de grands-parents, tousdcds, et que les quelques parents qui leur restent taient bien trop pauvres pour les assister.

Habitue maintenant la prcarit, ma mre ne manifeste pas trop sa dception trouvantcomme logement un misrable deux pices dans un sous-sol dont lEtat belge avait gratifi son

travailleur immigr (il faut savoir que les propritaires des maisons en Belgique, une fois leursenfants maris, louent mme leur cave) et les deux parents se logent ici avec leurs cinq enfants.

Javoue que je suis choque maintenant de voir comment lEtat belge a remerci des hommescomme mon pre, qui ont reconstruit la Belgique !

Malgr cela, nous les enfants, seulement proccups par nos jeux, nous passions une enfanceagrable, surveills attentivement par nos parents qui nous emmenaient en promenade dansun des jolis parcs de Bruxelles. Ma mre encore sous lemprise des coutumes marocaines delpoque, vtue de sa jolie djellaba et le visage dissimul par un nikab et un foulard, ne sortaitquaccompagne de mon pre. Celui-ci tait dailleurs un papa et un mari prvenant, attentif

nous satisfaire rgulirement par des sorties dominicales qui nous comblaient car lpoque,lunivers des enfants ne comptait pas encore tous les gadgets des loisirs actuels et la srnittait le lot de notre petite famille nuclaire qui navait linconvnient pour mes parentsdorigine tribale, que de restreindre son champ relationnel. La gnrosit marocaine, berbreou arabe se satisfait peu dune telle limite impose son mode de vie, et il faudra attendre unegnration pour que les familles immigres commencent se regrouper et recrent unecommunaut limage de leur famille indigne avec laquelle elles ne reprennent contact quloccasion de trop courts sjours occasionnels.

Cependant, ces sjours vont devenir rapidement systmatiques avec les vacances estivalesgrce laugmentation du niveau de vie acquis par le travail intensif de toute la famille ; car les

femmes, unissant leurs efforts celui de leur mari rejoignent la troupe du personnel dentretien(comme lavait fait ma grand-mre Tanger quand elle avait d subvenir aux besoins de sesenfants devenus orphelins). Ce travail fminin permet donc aux familles immigres de se logerde faon plus convenable que ne lavaient t mes parents.



25/156

Je tiens signaler ici que ma mre na jamais travaill lextrieur car mon pre prfrait fairedes heures supplmentaires, trop fier pour lenvoyer nettoyer chez les autres, en tout cas cestce quil me disait. Dautant plus que, malgr leffort du Gouvernement belge de loger lesfamilles dans des logements sociaux, la plupart des immigrs qui nont pas la chance davoirobtenu un logement social, ont des difficults trouver un propritaire belge enclin leur

cder une location, le facteur xnophobe jouant ici un rle incontestable. Mais jai desscrupules leur envoyer la pierre quand je constate que certains propritaires marocains ontla mme attitude ! Donc il ne reste plus aux immigrs qu assurer eux-mmes leur maison endevenant propritaires, ce qui devient possible grce au systme bancaire qui garantit des prts intrts et la boucle est boucle ! CHAPEAU ! Alors limmigr rentre dans le systmecapitaliste de consommation. Largent quil a gagn, en participant la construction de lEtatbelge, est remis en circulation et permet ainsi aux banques de fonctionner pour accrotre lepouvoir capitaliste de lEUROPE ! On comprend mieux maintenant, lenjeu que reprsentepour des capitalistes linstauration dun gouvernement islamique qui, en appliquant strictementla Charia, la Loi islamique, va bloquer ce processus de prt intrt, ce quil dsigne sous lenom de Riba. Ainsi le perspicace Marchal Lyautey avait souponn ce danger quand il

prononce la fameuse phrase en voyant Abdel Karim instaurer une rpublique islamique en1923 (la rpublique du Rif) : rien ne pourrait tre pire pour notre rgime que ltablissementdun Etat musulman et indpendant ; il doit tre rassur aujourdhui dans sa tombe (!). Pourceux qui ne le savent pas, voici linterdiction du prt intrt dans le Coran : Ceux quimangent (pratiquent) de lintrt usuraire ne se tiennent (au jour du Jugement dernier) quecomme se tient celui que le toucher de Satan a boulevers. Cela parce quils disent : lecommerce est tout fait comme lintrt. Alors quALLAH a rendu licite le commerce, et illicitelintrt. Celui, donc, qui cesse ds que lui est venue une exhortation de son Seigneur, peutconserver ce quil a acquit auparavant ; et son affaire dpend dALLAH. Mais qui rcidivealors les voil, les gens du Feu ! Ils y demeureront ternellement.

ALLAH anantit lintrt usuraire et fait fructifier les aumnes. Et ALLAH naime pas lemcrant pcheur.

Ceux qui ont la foi, ont fait de bonnes uvres, accompli la Salat et acquitt la Zakat, aurontcertes leur rcompense auprs de leur Seigneur. Pas de crainte pour eux, et ils ne seront pointaffligs. les croyants ! Craignez ALLAH ; et renoncez au reliquat de lintrt usuraire, si voustes croyants. Et si vous ne le faites pas, alors recevez lannonce dune guerre de la partdALLAH et de Son messager. Et si vous vous repentez, vous aurez vos capitaux. Vous nelserez personne, et vous ne serez point lss. A celui qui est dans la gne, accordez un sursis

jusqu quil soit dans laisance. Mais il est mieux pour vous de faire remise de la dette parcharit ! Si vous saviez ! S 2, V 275 280.

Dans ma famille, une nouvelle naissance est attendue avec impatience ; mais loin dtre laconscration dune intgration dans le pays daccueil, il est loccasion pour ma mre derenouer avec son pays dorigine quelle na pas encore revu. En effet mes parents dcident duncommun accord que la naissance ne se fera pas dans ce pays. Entendez par l une allusion la diffrence culturelle et comportementale qui fait que les institutions qui grent la vie sociale cette poque (35 ans), nont pas pris en compte la diffrence culturelle des populations



26/156

quelles nont pas encore projet dintgrer, car pour elles cette population de ncessaire audpart, est cense tre de passage et partir ds que le contrat sera termin

Il ny a que des inconscients ou des tricheurs pour laborer de telles ides !

Limmigration a une dimension complexe qui a t trs mal tudie parce quelle a subi lesmanipulations gostes des marchands : il sagit dtres humains et on a voulu traiter cephnomne comme si on avait affaire des robots ! Ltre humain nest pas une entitindividuelle. Cest un tre social qui a besoin de sa famille pour vivre. Cest aussi une partie dela socit qui la vu natre et il est porteur des attentes de cette socit. Il a une culture dorigineet vouloir lui faire accepter la culture du pays daccueil par force en niant la sienne est unevritable gageure ! Lassimilation comme projet social, cest dire le fait de gommer toutediffrence culturelle et nier les coutumes de la population immigre,est un dfi au bon sens,mais grce Dieu les Etats dmocratiques ont fini par grer correctement ce paramtre pour leremplacer par celui dune intgration claire.

Le problme auquel taient confronts mes parents tait lattitude du personnel mdical, lpoque, les mdecins estimaient quils taient matres sur leur terrain et ne prenaient pas encompte les divergences de la population quils soignaient. Nous sommes une poque o laremise en question des tabous semble tre lapanage dune socit civilise et ds quuneinterdiction morale est leve, les intellectuels le crient haut et fort afin sans doute denconfirmer le fait. Et si vous ntes pas au courant ou mme sacrilge que vous y tesopposs, vous tes regards avec une condescendance teinte de mpris, catalogu d arrirdans tous les sens du mot, donc infrioris et vous avez du mal alors faire entendre votrepoint de vue. A cette poque donc, les femmes taient accouches par un mdecin homme, ilfaut comprendre lagression que cela reprsentait pour une femme transplante dans le paysdaccueil sans prparation aucune ; surtout pour ma mre qui continuait vivre sans sortir de

son foyer sinon accompagne par son mari et le visage voil.

Ne croyez pas quelle tait malheureuse en se cachant derrire son voile, elle y trouvait unesorte de protection contre ltranger inconnu. Mes parents ragirent donc avec bon senspuisque quils navaient pas droit au chapitre, ils dcidrent que maman irait mettre au mondele futur bb au Maroc, ma petite sur Sada. Excellente occasion pour ma mre de renoueravec sa famille quelle avait quitt depuis si longtemps et revoir ses frres et surs.

La politique dintgration a t heureusement remise lordre du jour, probablement grce auxenfants dimmigrs, qui tant arrivs tous petits ou mme ns dans le pays daccueil, ne sesentant pas eux des immigrs se considrent comme faisant partie intgrante du pays ; et cest

avec eux quon sest rendu compte autant les accueillis que les accueillants quil fallaitreconsidrer tout le discours relationnel. Mais cela ne sest pas fait sans heurt et sanssouffrance, il fallait accepter de reprendre zro les schmas simplistes et gostes que lesdirigeants avaient labors d assimilation et de temporaire et limmigr devait accepter detirer un trait sur ses rves chimriques de retour et de fortune.



27/156

Il est clair que mon pre en faisant ses bagages au Maroc calculait dj son retour, que les brefssjours estivaux lui faisaient esprer dans les premiers temps. Rapidement, une ralit sestimpose lui : un retour dans une demeure achete avec ses conomies. Probablement queles dirigeants europens calculaient la mme chose que lui Alors que sest-il pass ?

Aucun navait tenu compte du paramtre le plus important : la progniture ! Et pourtant, nestcepas lenfant lavenir de lhomme en tant quindividu, et lavenir de la communaut ?

Si la socit europenne avait admis depuis le dbut que la famille immigre fait partieintgrante de son histoire, elle laurait considr avec dfrence et naurait pas cr unesituation o elle se sent trangre et rejete, de ce fait les enfants, dont la logique est quils sesentent partie prenante de la socit qui les a vus natre, ne comprennent plus les discourscontradictoires quon leur tient. Ils ont alors adopt une attitude caractrielle faite dagressivitou de conduite inhibe, manifestation de leur dsarroi et de leur impuissance se faireentendre, dune part par lentourage familial et dautre part par lentourage social.

A lpoque de ma petite enfance en Belgique, je madaptais tant bien que mal ce semblantdquilibre que ma mre avec son amour maternel sefforait de prserver lintrieur de sonfoyer. Pour lextrieur, elle se sentait dpasse par cette culture trangre et se protgeait enconservant sa langue rif et son habit traditionnel, cache derrire son voile comme pourafficher sa diffrence et fuir tout questionnement. A lintrieur elle prservait la loi du pre ;cette loi sest renforce quand, nous, les filles nous avons atteint lge de tous les dangers :ladolescence. Ma sur, plus ge que moi est marie ds ses 14 ans afin que lhonneur familialne soit pas mis en pril par une attitude copie sur le mode du pays daccueil. Il faut serappeler que chez les berbres, lcole pour les filles taient prohibe partir de lge de10-12 ans cause de la promiscuit avec le sexe masculin.

Ici mon pre tait tributaire du respect du contrat sign avec le pays daccueil : argent contreinstruction scolaire ; il ne pouvait gure lignorer. Il trouve donc cet chappatoire et transmetle drapeau de la responsabilit masculine son futur gendre. Cest alors sur moi, aux portes deladolescence, que se fixent les proccupations paternelles, et cest tout un programme dersistance aux appels de la culture trangre, aux yeux de mes parents, qulabore ma famille :

jai le droit de mhabiller de faon trs libre, quand je suis lextrieur de la maison, du port dela jupe courte jusquaux pantalons serrs. Je ne souponnais ce qui pouvait se passer dans latte de mon pre alors quil me suivait du regard derrire les rideaux de la fentre, comme silavait regard une trangre dont la vision le choquait et quil constatait au dernier moment,ananti par lhumiliation : cette trangre impudique, cest ma fille et je ne peux rien faire, cardehors ce nest pas moi le matre Je navais pas franchi le seuil, qu mon retour je devais

non seulement changer mes habits et couvrir mon jeans, mais aussi porter un foulard sur matte, pour les mmes raisons qui poussaient ma mre porter son voile lextrieur. Mais moice ntait pas pour AFFIRMER mon identit ltranger, mais pour la CONFIRMER mesparents et regagner mon droit de faire partie de la famille !



28/156

Evidemment, on peut comprendre quune petite fille peut donner limpression quellesaccommode des contradictions des deux cultures opposes dans lesquelles elle baigne, carlenfance est un moment o lindividu sadapte son environnement. Jvolue dans deuxunivers diamtralement opposs et je men sors tant bien que mal car mon foyer lintrieurprsente une homognit de culture et noffre pas encore de motifs de conflit pour moi :

lunivers berbre : habit, langue, nourriture. Ladolescence et son cortge de questionnementne permet pas une situation dsquilibre de conserver et taire trs longtemps sescontradictions. Je suis littralement hors de moi devant le comportement aberrant de mon precach derrire son rideau, tandis que sa fille se rend la piscine, sans le lui dissimuler, vtuedun maillot de bain sous ses pantalons. Il est au courant et il ne bronche pas, ainsi il prend sarevanche lintrieur de son foyer en exigeant le port de lhabit traditionnel. Ce nest pas leport dun foulard en lui-mme, comme doivent le penser les Occidentaux choqus de voir lesfemmes la tte couverte, dissimulant leur chevelure aux yeux des convoitises mles. Avant,leve dans leur culture et voluant au milieu de leur faon de penser, je partageais leur pointde vue par mimtisme plus que par conviction.

Quand jatteignis mes 16 ans, je ne pus contenir davantage ma rvolte et je ne demandais qucomprendre car jtais attache ma famille et une explication logique maurait satisfaite.

Finalement, je crois que je souffrais surtout de constater que mes parents se mettaient dans uneposition dinfriorit en nosant pas dfendre ouvertement leurs coutumes. Je les provoquais,surtout mon pre en les dfiant par des questions incessantes : pourquoi ci, pourquoi a etencore et encore et lagressivit qui accompagnait ces questions provoquait la rponse demon frre an qui me shootait sur le visage. Cest au cur surtout que cela me faisait mal,car la rponse je la voulais de la bouche de celui qui importait le plus mes yeux dadolescenteen qute damour, MON PERE.

Mais que pouvait-il dire ? Quil me comprenait mais quil voulait me protger et travers moisa famille dracine, son milieu effac et ses rves anantis. Crier quil stait fait piger par sapropre faute parce quil avait cru sincrement quil partait en Europe pour assurer lavenir desa famille et son pain quotidien mais quil ne voulait pas ne pas quitter dfinitivement son payset trahir ses anctres. Est-ce cela quil a tent maladroitement de me dire ABI, plus tard quandsa responsabilit ntait plus en jeu, peu de temps avant sa mort et quil ma gratifie dunesimple pression sur lpaule si riche de sens, que je nai pas comprise, parce que je ntais pasencore capable de la percevoir ? Sil savait dans quels regrets cette rponse muette ma plonge !

Ai-je enfin compris et me croit-il digne de sa confiance ?

Mais avant darriver cette pisode o mon pre tente maladroitement dtablir une complicitentre nous deux, je vais essayer de me remmorer le droulement des vnements qui

jalonnent mon adolescence de fille dimmigrs marocains.



29/156


30/156

de mon pre devant ma tenue vestimentaire dvergonde (selon les normes musulmanes) etle fait quil me suive silencieusement du regard cache un vritable cri de souffrance devantlanantissement de ses valeurs et son propre crasement ? Mes parents ragissent avec lesmoyens qui sont la porte des pauvres gens : interdictions rptes avec le mot haram(pch) pour seul langage, employ dailleurs fort mal propos et confortant lide dabsurdit

ressentie par des enfants duqus par du personnel spcialis (les professeurs) du paysdaccueil ; secours cherch dans la mdecine superstitieuse des traditions populaires. Que peutressentir une adolescente qui souffre et qui envoie de vains appels au secours et reoit pourtoute rponse des pratiques issues des superstitions comme si elle tait possde par le diable ?

Rponse combien maladroite une adolescente qui crie au secours : je voulais simplementexister en tant que moi, Malika, javais besoin seulement damour et de comprhension etlagressivit que je manifestais lgard de ma famille ntait que la mise au jour dune crisedidentit et dune recherche de moi-mme. Que pouvait rpondre un pre dont la souffrancevenait aussi de la constatation de la menace identitaire qui pesait sur sa famille et de ladpossession de son rle dducateur par une instance rivale, trop forte pour lui. Il ne pouvait

que constater quil tait tomb dans un pige et il en prend conscience trop tard, quand il setourne enfin alors davantage vers la seule instance qui est assez forte pour gagner le challengeet lui redonner confiance en restaurant son identit la religion. Mais ce moment ne viendraque trop tard, quand la famille aura dj subi les mfaits de lintgration : ma fugue 17 ans.

Heureusement, cette poque la communaut marocaine sest agrandie et mes parents neforment plus un couple repli sur lui-mme ; mon pre se met frquenter le reste de lacommunaut marocaine en la retrouvant dans la mosque, car il est un homme trop moral etcroyant pour sattacher retrouver ses amis dans un caf, devant un verre de vin, il y puiseun renforcement identitaire et commence prendre confiance en lui. Mais il ne sait pas que safille, moi, pense et vit comme une mcrante. Cest ainsi que je me dfinis !

La descente dans les tnbres

Je vais jeter tout par dessus mon paule et entreprendre un vritable travail de dmolition demon ducation ! Comment la petite jeune fille serviable, trs srieuse et trs pudique vachanger fond et va tout faire fond. Je faisais tout pour perdre cette pudeur. Une

dvergonde, pour ne pas dire vulgaire, car je nose pas voquer dautre expression pourqualifier toute la srie de comportements aberrants que je vais adopter en rponse ausentiment dtre enterre vivante, comme autrefois les Arabes enterraient leurs bbs fillespar crainte quelles ne leur attirent plus tard le dshonneur. ALLAH voque ces crimesabominables dans le Coran.



31/156

Ma famille, en interdisant au milieu extrieur la moindre incursion lintrieur du foyer (habiteuropen, amies) et mon pre surtout, comme la plus part des Rifs, menterrait littralementpar crainte du dshonneur ! Le sommet du dshonneur, le Haram avec un grand H, jarrive le toucher quand je commets lacte suprme : mettre au monde un enfant hors mariage. Voicicomment tout cela est arriv

Jusqu lge de 17 ans, je suis reste une petite fille sage et studieuse, je ne vais pas boire unverre en compagnie de mes camarades de classe aprs lcole, car je sais que ma mre estsouffrante et que mon aide lui est ncessaire la maison. Et cest l que je dis que je suismcrante, cest comme a en tout cas que je le ressens aujourdhui, parce que je navaisaucune pratique religieuse et en plus, je buvais de la bire lcole servie avec le repas dumidi, je mangeais du porc et faisais la bise au copains. Je ne mencombrais point des interditsreligieux car cette poque tout tait Haram (pch) mes yeux surtout pour les filles. Javaisde srieux doutes quant cette religion. Ctait trs flou. Alors partir de ma dernire annedcole, une rvolte sest produite en moi, envers tout ce que je ne comprenais pas. Je mesentais attire par les interdits, provocante envers le monde, dsagrable et mchante envers

mes parents. Je ne savais plus me taire. Tout tait sujet de discussion, mme la vaisselle :pourquoi les garons ne la feraient-ils pas ? Aprs tout, ils ont des mains comme moi et plussolides encore. Ainsi je me suis rvolte et ma seule envie tait de devenir indpendante, dequitter ma famille, daller vivre ailleurs. Ctait pnible pour moi de rentrer la maison aprslcole et tout aussi dur de reprendre le chemin de lcole le lendemain matin, de retrouverlatelier de couture. Sans doute que lhorreur de tenir une aiguille et du fil en main doit venirde l. Pourtant mon professeur de 6me primaire avait vraiment suppli mon pre de ne pasminscrire dans cette section. Jtais la meilleure en classe, il le savait, il en tait mme fier, etcest pour cela que je nai jamais compris pourquoi pour un instant il a rejet son rle de chefde famille sur ma mre en rpondant mon professeur : Cest ma femme qui veut que Malikaapprenne la couture. Aujourdhui, pauvre de moi, je ne suis mme pas capable de coudre un

bouton sur un vtement sans avoir les genoux qui tremblent. Jen suis reste malade et depuiscest devenu un vrai cauchemar. Je me souviens quand pour la premire fois mon dfunt marima demand de lui faire les ourlets dun pantalon, jai t envahie par une peur terrible. Nousen avons parl bien sr et il ma rassur en me disant : a ne me pose aucun problme de lefaire moi-mme. Le Prophte Mohamed (a) le faisait aussi, pourquoi pas moi ? Dornavant jene le te le demanderai plus jamais. Bref, jai fait une parenthse ici juste pour faire comprendre certains parents quil est important de laisser leurs enfants le choix, notamment de leurstudes. Car jen ai fait lexprience et en ai subi les consquences. Aprs tout chacun sa vie !

Revenons la mienne. Alors que lcole aurait pu tre un refuge pour moi, elle est devenuecomme une prison qui menchane cette vie-l. Je me rveille avec le dgot, la paresse de

devoir aller tudier encore une journe lcole. Je nai quun seul but, lvasion, la fuite. Puisil se produit un vnement o je peux me dcharger de cette violence interne qui me dvore,

je frappe ma professeur de franais. Pendant trois longues annes, nous nous tionssupportes mutuellement, elle acceptait mal le fait quune trangre dorigine marocainepuisse avoir les meilleurs notes. Elle me lanait littralement mes travaux au visage en medisant : toi, tu nas pas besoin que je te dise tes points nest-ce pas, tu les connais dj ! Ouibien sr, jai dix sur dix, je sais ! Et en plus je devais toujours couter les rflexions racistes



32/156

quelle menvoyait la tte et cela sans que jai le droit de broncher. Pourtant il ny avait rien redire sur mon comportement. Jtais trs respectueuse envers tous mes professeurs, trsgentille avec tout le monde et surtout trs srieuse dans mes tudes mme si je naimais pas ceque jtudiais. Jtais reconnue lcole comme une des meilleurs lves, trs bien leve. Cequi a suivi a d les choquer, et pourtant ils ont pris mon parti. Oui bien sr, je suis trs gentille

mais faut pas pousser le bouchon trop loin non plus ! A la fin de lanne, lorsque ma prof defranais se permet de me dire sur un ton mauvais que je ferais mieux de retourner dans monbled, plus exactement Retourne dans ton pays, sale Marocaine, croyez-moi, je ntais passale. A lpoque, mon pre me faisait nettoyer une fois par semaine la porte dentre ainsi quele trottoir devant chez nous et ceci depuis lge de dix ans. Marocaine, oui ! Mais pas sale !Alors que depuis tout ce temps je macharnais lui prouver que javais toutes les capacits pourrussir par lexcellence de mes notes, je

Les Soldats de Lumiere

Documents

Transcript of Les Soldats de Lumiere