Les soins au féminin

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P our nos patientes, la découverte d’une masse sus- cite souvent la crainte d’un cancer. Dans une telle situation, une prise en charge structurée permettra d’en arriver plus rapidement à un diagnostic, ce qui limitera l’inquiétude. En effet, la majorité des patientes présen- teront une pathologie bénigne. Par ailleurs, l’algo- rithme que nous proposons permettra d’identifier rapi- dement les femmes nécessitant des soins spécialisés. L’investigation Le tableau 1 résume le diagnostic différentiel des masses pelviennes. En connaissant bien ces diagnostics, il sera plus facile d’orienter efficacement le questionnaire, l’examen physique complémentaire et le bilan para- clinique. 1. Questionnaire et examen physique Le questionnaire L’âge de la femme ainsi que ses antécédents personnels et familiaux de néoplasie influencent son risque de pathologie cancéreuse. En effet, le risque de cancer augmente avec l’âge. De plus, si plusieurs cas de cancer du sein et/ou de l’ovaire sont survenus dans sa famille, notre patiente pour- rait bénéficier d’une évaluation de son risque d’être porteuse d’une mutation génétique, la prédisposant à ces cancers. Les masses annexielles asymptomatiques : investigation et prise en charge Suzanne Fortin, MD et Marie-Hélène Mayrand, MD, MSc, FRCSC 61 le clinicien février 2006 L ES SOINS AU FÉMININ La Dre Fortin est résidente 3 au département de gynécologie-obstétrique de l’Université de Montréal. La Dre Mayrand est gynéclogue au CHUM, Hôpital St-Luc, et professeure adjointe aux départements de gynécologie-obstétrique et de médecine sociale et préventive de l'Université de Montréal. Le cas de Mme Tremblay Madame Tremblay se présente à votre cabinet pour son examen périodique. Elle est âgée de 36 ans, a eu deux grossesses et deux accouchements normaux et n’a aucun antécédent médical personnel ou familial. Elle ne prend aucun médicament et n’a aucune plainte. Votre examen est tout à fait normal, sauf pour le toucher vaginal, qui révèle une masse annexielle gauche d’environ 5 cm, mobile et non douloureuse. Votre patiente vous demande, un peu inquiète : « Docteur, est-ce grave? »

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Pour nos patientes, la découverte d’une masse sus-cite souvent la crainte d’un cancer. Dans une telle

situation, une prise en charge structurée permettra d’enarriver plus rapidement à un diagnostic, ce qui limiteral’inquiétude. En effet, la majorité des patientes présen-teront une pathologie bénigne. Par ailleurs, l’algo-rithme que nous proposons permettra d’identifier rapi-dement les femmes nécessitant des soins spécialisés.

L’investigationLe tableau 1 résume le diagnostic différentiel des massespelviennes. En connaissant bien ces diagnostics, il seraplus facile d’orienter efficacement le questionnaire,l’examen physique complémentaire et le bilan para-clinique.

1. Questionnaire et examen physique

Le questionnaire

L’âge de la femme ainsi que ses antécédents personnels et familiaux de néoplasie influencentson risque de pathologie cancéreuse. En effet, lerisque de cancer augmente avec l’âge. De plus, siplusieurs cas de cancer du sein et/ou de l’ovairesont survenus dans sa famille, notre patiente pour-rait bénéficier d’une évaluation de son risqued’être porteuse d’une mutation génétique, laprédisposant à ces cancers.

Les masses annexielles asymptomatiques :investigation et prise en charge

Suzanne Fortin, MD et Marie-Hélène Mayrand, MD, MSc, FRCSC

61le clinicien février 2006

•LES SOINS AU FÉMININ•

La Dre Fortin est résidente 3 au département degynécologie-obstétrique de l’Université deMontréal.

La Dre Mayrand est gynéclogue au CHUM,Hôpital St-Luc, et professeure adjointe auxdépartements de gynécologie-obstétrique et demédecine sociale et préventive de l'Université deMontréal.

Le cas de Mme Tremblay

Madame Tremblay seprésente à votre cabinet pourson examen périodique. Elleest âgée de 36 ans, a eudeux grossesses et deuxaccouchements normaux etn’a aucun antécédent médical personnel oufamilial. Elle ne prend aucun médicament et n’aaucune plainte. Votre examen est tout à fait normal, sauf pourle toucher vaginal, qui révèle une masseannexielle gauche d’environ 5 cm, mobile etnon douloureuse.Votre patiente vous demande, un peu inquiète :

« Docteur, est-ce grave? »

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La possibilité de grossesse doit être évaluéeau questionnaire (type et assiduité de contra-ception, date des dernières menstruations etsymptômes de grossesse). On doit vérifier la présence de symptômesen lien avec la présence d’une masse : ladouleur, la sensation de lourdeur et les réper-cussions digestives ou urinaires.Les irrégularités menstruelles suivies deménorragies peuvent être rencontrées dansun syndrome d’anovulation chronique hyper-androgénique avec ovaires polykystiques ouplus rarement lorsque qu’un kyste ovarien estactif au plan hormonal. La dysménorrhée sévère peut être associée àl’endométriose, soulevant la possibilité quela masse soit un endométriome. Une atteinte progressive de l’état général,telle la perte de poids, l’inappétence et la

fatigue, peut être associée à des processusnéoplasiques. Le cancer de l’ovaire est fréquemmentaccompagné d’ascite : on pourra questionnerla patiente sur une augmentation récente duvolume de l’abdomen et sur la présence desymptômes gastro-intestinaux vagues.

L’examen physiqueAu moment de l’examen physique, une atten-tion particulière devrait être portée aux élé-ments suivants : La température qui, si elle est élevée, suggèreun processus infectieux (abcès tubo-ovarien,diverticulite); Les aires ganglionnaires; L’examen des seins, puisque les annexes sontdes sites communs de métastases du carci-nome mammaire; L’examen de l’abdomen, à la recherche demasses abdominales palpables et d’ascite; Le toucher vaginal, qui permet de déterminerla localisation, la consistance, la mobilité, lataille, ainsi que la douleur associée à unemasse pelvienne, de même que la recherchede nodules sur des ligaments utérosacrés, quipeuvent être associés à de l’endométriosepelvienne; Le toucher rectal et/ou rectovaginal complè-tent l’évaluation de la masse et des régionsavoisinantes.

2. L’évaluation radiologique

Dans les cas où l’anamnèse et l’examenphysique suggèrent la présence d’une masseannexielle, l’échographie endovaginale est lemeilleur examen radiologique à obtenir.

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Tableau 1

Étiologies fréquentes de masses pelviennesdécouvertes à l’examen clinique

Femmes non ménopausées Femmes ménopausées

• Grossesse• Kystes physiologiques

(folliculaire, hémorragique,du corps jaune)

• Endométriose• Kyste dermoïde• Néoplasie ovarienne

épithéliales bénignes(mucineuse, séreuse)

• Grossesse ectopique• Pyosalpinx/abcès

tubo-ovarien• Fibrome• Kyste paratubaire• Pathologies digestives

inflammatoires• Matières fécales

• Néoplasie ovarienneépithéliales bénignes(mucineuse, séreuse)

• Cancer ovarien (primaire ou métastase)

• Diverticulite• Cancer endométrial• Cancer intestinal• Lymphome

rétro-péritonéal• Matières fécales

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L’aspect échographique d’une masse anne-xielle aide à évaluer le risque qu’elle ne soitmaligne (tableau 2).

3. Le bilan paraclinique

Chez la femme en âge de procréer, un test degrossesse devrait faire partie du bilan. Une formule sanguine complète peut nousrenseigner si nous soupçonnons un processusinfectieux. Le CA-125, un marqueur tumoral, peut êtreutile dans l’investigation d’une masse annex-ielle. Son titre est augmenté dans près de 80 % des néoplasies ovariennes épithélialesde stade avancé, mais ne l’est que dans seule-ment 50 % des néoplasies ovariennes préco-ces. Par ailleurs, de nombreuses autrespathologies peuvent augmenter le titre duCA-125, particulièrement chez les femmesprémémopausées. Par contre, un CA-125augmenté chez une femme ménopauséeprésentant une masse annexielle complexe àl’échographie signalera presque toujours laprésence d’un cancer.

La prise en chargeUne fois l’anamnèse, le questionnaire et le bilancomplétés, on doit intégrer les divers résultats pourproposer une prise en charge à la patiente.

Peu importe l’âge, un kyste simple de moins de 3 cm est rarement considéré comme significatif.

Pour les kystes de plus de 3 à 5 cm, il semble yavoir consensus qu’une exploration chirurgicale estrequise après la ménopause. Par contre, chez lesfemmes d’âge reproductif, aucune étude ne nouspermet de conclure avec autant de fermeté. Devant larareté de données probantes, nous résumerons aumieux les données existantes pour guider la prise encharge de ces patientes.

Les femmes préménopausées

Pour la patiente préménopausée chez qui l’on décou-vre une masse annexielle à l’examen, on devrait toutd’abord obtenir une échographie.

Si la patiente est asymptomatique, qu’elle n’estpas enceinte et que l’échographie révèle un kyste demoins de 5 à 10 cm unilatéral et simple, uneapproche expectative peut être retenue. En effet, lamajorité de ces kystes régressent en moins de sixsemaines.

Si le contrôle échographique démontre unediminution du kyste, la patiente pourra être évaluéepériodiquement jusqu'à la disparition du kyste. Dansle cas où l’on choisit d’observer ces kystes, ondevrait expliquer les symptômes de torsion annex-ielle (douleur intense et subite au bas ventre, malai-ses, nausées) et indiquer à la patiente le meilleurendroit pour consulter si ces symptômes apparais-saient.

Tableau 2

Caractérisation échographique du risque de malignité d’une masse annexielle

Critères associés à un plus faible risque demalignité :

• Petite taille• Unilatéralité• Contenu liquide anéchoïque• Paroi kystique mince et régulière• Absence de composante solide

Critères associés à un plus haut risque demalignité :

• Grande taille• Bilatéralité• Présence de régions solides*• Présence de régions épaisses*• Capsule irrégulière, avec nodule ou

excroissance• Ascite*• Évidence de métastases ou

d’envahissement*

* Caractéristiques les plus fortement associées au risque de malignité

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Voir l’Algorithme à la page 68

Si le kyste ne régresse pas, un dosage des CA-125peut contribuer à l’approche diagnostique. Bien quela valeur anormale exacte ne soit pas connue pour lesfemmes non ménopausées, il semblerait qu’un seuilde 50 UI/ml maximise les probabilités d’identifiercorrectement les cancers, tout en minimisant lesinvestigations inutiles chez les femmes présentant despathologies bénignes.

Les femmes préménopausées présentant l’une dessituations suivantes devraient être dirigées vers ungynécologue et devront probablement subir uneexploration chirurgicale :

• un kyste de plus de 10 cm; • un kyste de moins de 10 cm ne régressant pas au

suivi ou étant associé à un CA-125 au-dessus de50;

• une masse ovarienne démontrant des aspectséchographiques suspects de malignité, de l’asciteou des signes d’envahissement ou de métastase;

• une histoire familiale connue ou soupçonnée decancers héréditaires.

Les femmes ménopausées

Si l’on découvre une masse annexielle à l’examenphysique chez une femme ménopausée, on devraitobtenir une échographie et un dosage du CA-125. Ilest possible d’opter pour une conduite expectative(contrôle échographique périodique) si la masse estd’allure purement kystique, de moins de 3 à 5 cm, etsi le CA-125 est normal.

L’exploration chirurgicale demeure la procédurehabituelle pour les kystes de plus de 3 à 5 cm aprèsla ménopause. Si aucun autre critère de malignitén’est présent, un gynécologue expérimenté pourradébuter par une approche laparoscopique.

Toutefois, une femme ménopausée présentant unkyste complexe à l’échographie, de l’ascite, une évi-dence de maladie métastatique ou un CA-125 élevédevrait être dirigée de façon urgente vers un gynéco-logue ayant une expertise en gynéco-oncologie.

Références :1. ACOG Committee Opinion: The role of the generalist obstetrician-

gynecologist in the early detection of ovarian cancer. Obstet Gynecol 100 :1413-1416, 2002.

2. Brown, DL, Doubilet, PM, Miller, FH, et al. Benign and malignant ovarianmasses : selection of the most discriminating gray-scale and Dopplersonographic features. Radiology 208 : 103-110, 1998.

3. Castillo, G, Alcazar, JL, Jurado, M. Natural history of sonographicallydetected simple unilocular adnexal cysts in asymptomatic postmenopausalwomen. Gynecol Oncol 92 : 965. 2004

4. Curtin JP. Management of the adnexial mass. Gynecologic Oncology. 55 : S42-S 46, 1994.

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9. Im SS, Gordon AN, Buttin BM et al. Validation of referral guidelines forwomen with pelvic masses. Obstetrics & Gynecology 105 : 35-41, 2005.

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•LES SOINS AU FÉMININ•

À la suite de son échographie qui révélait un kysteovarien simple de 6 cm, Madame Tremblay arapidement été réassurée par vos explications et asubi une seconde échographie, six semaines après lapremière. Son kyste ne mesurait plus que 3 cm etvous avez convenu de le revérifier dans quelquesmois.

Clin

Suite du cas de Mme Tremblay

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Identification d’une masse pelvienne à l’examen physique chez une femme en âge dereproduction ou ménopausée

Compléter le questionnaire et l’examen physique

Signes ou symptômes suggérant une pathologie

non gynécologique

Absence de signes ou de symptômes

Histoire familiale :• suspecte de néoplasie hérédiaire

ouSymptômes :• perte de poids• augmentation du volume abdominal• symptômes digestifs nouveaux

ouExamen :• ascites• masse(s) suspecte(s) de métastases

Référer au spécialiste concerné

Échographie et dosage du CA-125

Algorithme proposé pour la prise en charge des masses annexielles par le médecin de première ligne

Âge reproducteur Ménopausée

Échographie

Kyste simple < 5-10 cm Kyste présentantau moins un critère

de malignité(tableau 2)

Kyste simple < 3-5 cm et CA-125 normaux

(< 35 Ul/ml)

• Kyste simple > 3-5 cm ou• CA-125 anormaux (> 35 Ul/ml)• Kyste présentant au moins un critère

de malignité (tableau 2)Contrôle échographique

après 6 semaines

RégressionPersistance

ou progression

Suiviéchographique

Dosage des CA-125 etréférer à un gynécologue Suivi échographique Référer à un gynécologue

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