Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du...

22
L'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE Les sermons de saint Augustin à nos jours Extrait de la publication

Transcript of Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du...

Page 1: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

L'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Les sermons de saint Augustin à nos jours

Extrait de la publication

Page 2: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

Extrait de la publication

Page 3: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

Anne RÉGENT-SUSINI

L'ÉLOQUENCEDE LA CHAIRE

Les sermons de saint Augustinà nos jours

SEUIL27 rue Jacob, Paris VIe

Extrait de la publication

Page 4: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

isbn 978-2-02-096299-5

© Éditions du Seuil, janvier 2009

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisationcollective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé quece soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue unecontrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

www.seuil.com

Page 5: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

« Ce sont des chefs-d'œuvre d'éloquencequi charment l'esprit. Il ne faut point dire :“Oh ! cela est vieux” ; non, cela n'est pointvieux, cela est divin. »

Madame de Sévigné à sa fillele 11 janvier 1690.

Extrait de la publication

Page 6: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

Extrait de la publication

Page 7: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

Introduction

C'est peu dire que le sermon a mauvaise presse : laremarque du romancier anglais Trollope, décrivant « cetteaspiration puissante à prendre la fuite, qui est la conséquencehabituelle du sermon habituel1 », pourrait sembler à beau-coup de nos contemporains d'une étonnante actualité, qu'ilssoient ou non chrétiens. Railler la vertu narcotique du ser-mon relevait déjà du cliché au Moyen Âge, et les hommes duXVIe siècle se plaisaient à raconter l'histoire de cette femmede marchand souffrant d'insomnie et se réjouissant d'allerentendre un sermon qui, pensait-elle, lui permettrait enfinde trouver le sommeil. Et Agrippa d'Aubigné de dresser leportrait férocement satirique de «Monsieur le Convertis-seur » « pêch[ant] sur les eaux dormantes » de l'église Saint-Merri et y « pren[ant] les grenouilles en dormant2 ». Non,décidément, les accusations lancées contre le sermon n'ontguère varié au cours des siècles.

Rien n'aurait-il donc changé sous les voûtes des églises ?Pas si sûr. Car si l'éloquence sacrée fut la cible de tantd'attaques, c'est qu'elle tint pendant des siècles en Occident

1. « […] that anxious longing for escape, which is the commonconsequence of common sermon » (cité par H. Leith Spencer, EnglishPreaching in the Late Middle Ages, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 1).

2. Voir aussi la suite de la citation : « Là il prêche à Diacre et Sous-Diacre ; son frère et quelques autres de ses apôtres ont une banquedevant la chaire chargée de beaux livres. Ils les ouvrent à la citation despassages, ils les ferment le plus fort qu'ils peuvent, pour réveillerl'assistance ; mais tant est douce la polylogie de ce personnage, que laplupart y dorment trois heures, et comme à la pêcherie [pêche], ygagnent force rhumes ; en quoi la Faculté de Théologie apporte descommodités nouvelles à la Faculté de Médecine » (Agrippa d'Aubigné,Confession catholique du sieur de Sancy, livre I, chap. IX).

Extrait de la publication

Page 8: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

un rôle central, dans la vie quotidienne comme dans la vielittéraire. Or de ce point de vue, il paraît incontestable quenotre perception s'est modifiée – puisque le sermon tenddésormais à se voir confiné dans le champ de la dévotionprivée, son public se limitant à l'assemblée des fidèles. C'estassez dire que l'éloquence sacrée, si prisée pendant dessiècles, est à présent fort peu connue, y compris des chré-tiens eux-mêmes.

Il n'est guère facile, en effet, de définir ce qu'est unsermon. Leçon de morale, catéchèse pour adultes, exposédogmatique ou harangue polémique ? Le sermon est à lafois un peu de tout cela, et rien de tout de cela. Discoursessentiellement oral, il est destiné à être prononcé par unhomme investi d'une autorité religieuse devant un publicreconnaissant cette autorité, et généralement dans un cadreliturgique donné. Ce lien essentiel avec l'autorité religieuseimplique que le sermon engage en réalité trois instances : leprédicateur, son public, mais aussi ce Dieu dont le prédica-teur et son discours tirent leur légitimité. Car c'est bien leVerbe divin qu'il s'agit à la fois d'imiter et d'expliquer, lesermon se présentant dès lors comme la combinaison singu-lière d'une herméneutique et d'une rhétorique1, commeune parole qui à la fois médiatise et continue une Paroleplus haute.

« Le Verbe s'est fait chair »

De sa fonction médiatrice témoigne l'ancrage presquesystématique du sermon dans un extrait de la Bible : depuisl'époque classique, ce fragment matriciel de Parole sacrée,prononcé à l'ouverture du discours, est simplement désigné

1. Voir Franck Paul Bowman, Le Discours sur l'éloquence sacrée àl'époque romantique. Rhétorique, apologétique, herméneutique (1777-1851), Genève, Droz, 1980, p. 81.

10 L 'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Page 9: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

comme le texte du sermon. Il en est tout à la fois l'origine,la source et le fondement.

Mais le sermon est aussi continuation de la Révélationdivine, la prédication consistant à bien des égards à reprofé-rer, encore et encore, la proclamation stupéfaite et admira-tive des pèlerins d'Emmaüs : « C'est bien vrai ! Le Seigneurest ressuscité ! » (Lc 24,34), à prolonger ce moment essentieloù les disciples, ne se contentant plus d'écouter Jésus, com-mencent à répandre eux-mêmes la Bonne Nouvelle (sens éty-mologique du mot Évangile) de la résurrection1. Par leurdiscours, cette Bonne Nouvelle doit pouvoir faire sens pourtous les hommes ; elle doit devenir un « souvenir du futur2 »,rattaché en amont à l'histoire de l'humanité et en aval à la viede chacun. La parole des disciples, et celle des prédicateursaprès eux, prolongent ainsi l'annonce que fit Jésus lui-mêmedans la synagogue de Nazareth, lorsque, après avoir lu unpassage du prophète Isaïe, il déclara : « Aujourd'hui, cetteécriture est accomplie pour vous qui l'entendez » (Lc 4,21).Dans ce discours archétypal, et à bien des égards inaugural, laproclamation rituelle de la Parole de Dieu devant l'assembléene valait pas seulement rappel : elle se voulait un événementactuel, valant pour la communauté édification et salut3.

Aussi les racines de la prédication se confondent-ellestriplement avec celles du christianisme. Le sermon chrétiens'inscrit dans le cadre d'une religion dont le messagesalvifique, avant d'être élaboré par les premiers disciples, ad'abord été délivré par le Christ poursuivant et achevant lamission des prophètes. La prédication apparaît ainsi profon-dément liée à la notion de Révélation, qui est au cœur du

1. Voir Thomas G. Long, « Theology of Preaching », inA. McGrath (dir.), The Blackwell Encyclopedia of Modern ChristianThought, Oxford, Blackwell, 1993, p. 461.

2. Erich Feifel, « Prédication », Dictionnaire de théologie, Paris,Cerf, 1988.

3. Voir «Homélie », D. Sartore et A. M. Triacca (dir.), inDictionnaire encyclopédique de la liturgie, Turnhout (Belgique), Brepols,1996.

INTRODUCTION 11

Extrait de la publication

Page 10: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

christianisme, religion du Verbe : dans les commentaires del'Évangile de Jean, le « Verbe fait chair » du prologue estainsi qualifié de sacratissima praedicatio (prédication trèssacrée). De même que Jésus possède une double nature,humaine et divine, la parole du prédicateur se veut à la foisterrestre et céleste.

Englobant au sens large toute annonce de l'Évangile, laprédication au sens le plus étroit désigne donc le discoursactualisant un passage de la Bible à l'intention des fidèles ; cediscours est normalement réservé à des ministres spéciale-ment missionnés par la communauté et héritiers en cela desApôtres, auxquels le Christ avait enjoint juste avant sonAscension : « docete omnes gentes » (« Enseignez toutes lesnations », Mt 28,19). C'est donc bien une parole autre,celle du Christ, qu'il s'agit de transmettre. Le verbe latinpraedicare, signifiant « proclamer un message », recouvre plu-sieurs termes grecs néo-testamentaires : kèrussein (« annon-cer, proclamer [l'Évangile, la bonne nouvelle du salut] »),mais aussi evangelizesthai (« annoncer l'Évangile ») et martu-rein (« témoigner »)1. Autrement dit, le prédicateur ne parlepas en son propre nom : il se veut un envoyé, un héraut(kèrux), un passeur de la Parole divine : sous la conduite del'Esprit saint, il doit à la fois en élucider le sens, le traduiredans des termes pertinents pour les auditeurs et le relier auxsituations auxquelles ces derniers sont confrontés. Son mes-sage prend ainsi une triple dimension de profession de foi(dimension kérygmatique, le kérygme désignant la procla-mation à haute voix de la Passion et de la Résurrection duChrist, à laquelle l'homme doit répondre par la conversionet par la foi au Christ Sauveur2), d'enseignement explicitantle kérygme (didascalia ou didachè) et d'exhortation morale(parainesis, parénèse).

1. Voir Mary Catherine Hilkert, « Preaching », in The NewDictionary of Theology, Wilmington, Michael Glazier, 1988, p. 791.

2. Ce noyau de la prédication apostolique est exprimé dans lesActes et dans les Épîtres pauliniennes ; voir 1 Co 15,3-8 ; Ac 2,22-24 ;Ac 3,12-26 ; Ac 10,34-43.

12 L 'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Page 11: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

Pendant longtemps, l'une ou l'autre de ces dimensions aété majorée selon les circonstances de la prédication : dimen-sion exhortative ou parénétique pour le sermon de commu-nauté, destiné aux fidèles ; dimension kérygmatique pour lesermon de mission1 extérieure, destiné aux non-chrétiens ; etenfin dimension didactique ou catéchétique pour le sermonde mission intérieure, le plus fréquent, destiné aux chrétienspeu instruits (les missions, en effet, ont d'abord désigné dessessions d'acculturation religieuse destinées aux peuples desvilles et des campagnes européennes)2. Cependant, tout ser-mon possède ces trois dimensions, polyvalence encore plusmarquée à l'heure actuelle, dans la mesure où de nombreuxcroyants de culture chrétienne entretiennent une relation deplus ou moins grande distance avec les églises et avec leurenseignement. En un paradoxe qui n'est qu'apparent, cettehétérogénéité sans précédent de la culture religieuse aboutitaujourd'hui à une certaine homogénéisation des formes del'éloquence sacrée.

L'éloquence sacrée, un genre pluriel

Pourtant, cette homogénéisation ne doit pas masquer lesmultiples formes sous lesquelles la prédication s'est présentéeau cours de son histoire, qu'un sermonnaire du XVIIIe siècledéfinit en ces termes : « Si le Ministère de la Parole s'attacheà une explication ou à une paraphrase de l'Évangile ou del'Épître, c'est une Homélie. S'il tire de quelque verset del'Écriture une vérité qu'il met dans un jour avantageux,mais d'une manière simple et familière, c'est ce qu'on appelle

1. La mission désigne toute entreprise de prédication et de catéchi-sation des habitants de villes ou de campagnes n'appartenant pas à laparoisse du prédicateur.

2. Plus rarement, le sermon peut posséder une fonction apologé-tique, lorsqu'il entreprend de répondre à des objections venues del'intérieur ou de l'extérieur de la communauté.

INTRODUCTION 13

Extrait de la publication

Page 12: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

communément un Prône. S'il instruit par des réponses auxdemandes qu'on lui fait, c'est une Conférence. S'il suit lesrègles du discours oratoire en traitant des Mystères de laReligion et des vertus morales, c'est un Sermon. Lorsqu'illoue les saints, […], c'est un Panégyrique. Quand il relève lesvertus de ces Grands du monde, sur qui la mort vient d'exer-cer son cruel empire, c'est une Oraison funèbre.1 » Même siles oraisons funèbres et les panégyriques des saints peuvententretenir avec le sermon des liens étroits et sont souventprononcés par des sermonnaires, on s'attachera principale-ment ici aux quatre premières formes de la prédication, sou-vent subsumées, depuis le IVe siècle, sous le nom de sermon(sermo) employé dans son acception générale2.

La conférence

La conférence est une instruction procédant par ques-tions et par réponses, sur le mode du dialogue, à la manièredu Christ enseignant les hommes (voir par exemple l'épi-sode de la Samaritaine). Son rôle est avant tout pédago-gique, et sa forme souple permet d'entrer dans les détailsdu dogme ou de l'exhortation morale ; elle n'est pas sanslien, dans ce dernier cas, avec la casuistique (ou résolutionpratique des cas de conscience).

Après une introduction présentant le sujet et en vantantl'utilité, l'orateur le divise en deux ou trois questions princi-pales, qu'il laisse en suspens. Ainsi, pour une conférence surla confession, le prédicateur Bridaine adopte la division sui-vante : 1) si elle est utile à tout le monde ; 2) si elle est

1. Antoine Albert, Nouvelles Observations sur les différentes méthodesde prêcher (D-15282), Lyon, Pierre Bruyset Ponthus, 1757, livresecond, p. 62-63. Voir aussi les divers noms donnés au sermon auXIIIe siècle : admonitio, (h)omilia, collatio, sermo, tractatus, concio…

2. Voir Christine Morhmann, Praedicare-tractare-sermo. Études surle latin des chrétiens, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1961,vol. 2, p. 63-72.

14 L 'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Extrait de la publication

Page 13: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

nécessaire à plusieurs ; 3) si elle n'est impossible à personne.Jouant le personnage du naïf, son interlocuteur reprend uneà une ces questions, en les agrémentant éventuellement demots d'esprit propres à piquer la curiosité de l'assistance ;l'orateur lui répond ; l'interlocuteur lui adresse des objec-tions, qui reçoivent de nouvelles réponses, etc. La conclu-sion peut éventuellement proposer une application moraledu sujet traité. Les vertus mnémotechniques d'un tel pro-cédé étaient évidentes, mais la mémoire des auditeurs avaitaussi sa logique propre, qui ne coïncidait pas nécessairementavec celle de l'évangélisation : certains auteurs s'inquiètentainsi de ce que « la multitude saisit toujours mieux les objec-tions que les réponses »…

La conférence fut toutefois régulièrement utilisée dansles missions, dans l'apologétique et dans la controverse anti-protestante, ainsi que dans les couvents, les monastères etles retraites religieuses ; elle constitua, au XIXe siècle, laforme de prédilection d'un orateur tel que Lacordaire. Dis-cours souple, de forme assez libre et permettant un exposérelativement nuancé de la doctrine, la conférence possède eneffet une vertu kérygmatique ou catéchétique plus qu'exhor-tative : elle doit principalement conduire, non aux bonnesœuvres, mais à la foi.

Le prône

Le prône désigne une allocution simple et brève (envi-ron une demi-heure au XVIIIe siècle, un quart d'heure àpartir du XIXe siècle), au contenu surtout moral, prononcéedans chaque paroisse pendant la messe dominicale, confor-mément aux décrets du concile de Trente1. Il est conçu

1. Signe de l'importance accordée par les Pères conciliaires à laprédication, l'un des premiers décrets tridentins, discuté et voté dès le17 juin 1547, enjoignait aux évêques et curés de prêcher régulièrement,afin d'enseigner aux fidèles « ce qui est nécessaire à tout chrétien de

INTRODUCTION 15

Extrait de la publication

Page 14: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

comme l'héritier de l'exhortation qu'on faisait à l'entrée dela nef (en grec pro-naon) aux catéchumènes et aux chrétiensréunis. Au XIXe siècle, Donatien Hiron, répertoriant lesdivers types de discours sacrés, précise : «On ne doit pascependant rechercher dans les prônes ce nombre, cet arran-gement de parties, ces tours d'éloquence, ces pensées ingé-nieuses, cet étalage de figures de rhétorique que l'auditeurs'attend de trouver dans un discours régulier. […] Ce genrede discours doit être d'autant plus familier qu'il faut s'yproposer d'instruire particulièrement les ouvriers, les gensde travail et les pauvres, parce qu'ils n'entendent pourl'ordinaire la Parole de Dieu que le dimanche. » Focalisantl'attention sur un sujet donné, le prône peut à loisir « entirer les conséquences ; en faire l'application aux mœurs desfidèles ; répondre à leurs difficultés et à leurs objectionssecrètes, et poursuivre leur amour-propre dans tous sesretranchements1 ».

L'homélie

L'homélie, également prononcée au cours de la messedominicale, ne se focalise pas quant à elle sur une thématiqueunique, mais propose bien plutôt une étude linéaire del'Évangile ou de l'Épître du jour. Elle trouve ses racines dansune pratique de l'Église naissante, où les prélats interro-

savoir pour être sauvé, et leur faisant connaître, brièvement et en termesfaciles à saisir, les vices qu'ils doivent éviter et les vertus qu'ils doiventpratiquer pour se garantir des peines éternelles et obtenir la gloirecéleste » (Charles-Joseph Hefele et Dom Henri Leclercq, Histoire desconciles, t. X. Les Décrets du concile de Trente, Paris, Letouzey et Ané,1938, p. 62). La situation était en effet problématique : même lesévêques se préoccupaient bien peu de prêcher, au point que, selon undicton du XVIe siècle, il était plus rare d'entendre un évêque prêcher quede voir un âne voler !

1. Donatien Hiron-Coudray, Éloquence de la chaire. Orateurs etdiscours sacrés, Paris, Bloud et Barral, 1899.

16 L 'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Extrait de la publication

Page 15: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

geaient les fidèles assemblés et étaient interrogés par eux ;d'où le nom d'homilia, signifiant « conversation familière ».Largement pratiquée par les Pères, elle fut aussi privilégiéepar de nombreux Réformateurs : en dehors des grandes fêtesliturgiques, pour lesquelles sont choisis des textes se rappor-tant aux Mystères célébrés, le prédicateur propose une lec-ture continue des principaux livres bibliques, selon unprogramme variable d'une église à l'autre. Paraphrasant etcommentant ligne à ligne le texte biblique, il en éclaire lesens et en dégage les implications spirituelles ou morales. Ilpeut ainsi commencer par préciser le sens littéral du texte enen explicitant le contexte, pour en exposer ensuite le sensspirituel et moral, avant d'achever son discours par uneexhortation pathétique.

Le sermon

Le sermon tire son origine de l'homélie patristique etpartage avec l'homélie bien des traits communs, au pointque les auteurs ne s'accordent pas toujours sur la manièrede les distinguer. Il semble néanmoins que pour la plupartd'entre eux, le sermon désigne plutôt un discours partantd'un petit nombre d'expressions ou d'images tirées du textebiblique pour développer une thématique unique, au lieude proposer une exégèse linéaire du passage complet. Autre-ment dit, l'homélie est avant tout consacrée à un texte,tandis que le sermon est avant tout consacré à un sujetmoral ou spirituel. Dans la tradition catholique, le sermontend à remplacer l'homélie à partir du XIIIe siècle, maisl'homélie reste courante dans la péninsule ibérique ainsique chez les prédicateurs wycliffites anglais du XIVe siècle,et plus largement, dans les églises réformées. En outre, lesermon n'est pas initialement prononcé au cours de lamesse ; il constitue un rendez-vous religieux à part entière.Annoncé par les cloches, il peut avoir lieu à n'importe quelmoment de la journée, généralement l'après-midi. Il a lieu

INTRODUCTION 17

Page 16: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

chaque dimanche ordinaire dans les églises les plus en vuedes grandes villes ; dans les églises de moindre importance,il se déroule surtout les jours de solennité particulière et lesdimanches précédant Pâques et Noël.

La forme du sermon est sans doute celle qui a le plus variéau cours du temps, passant du sermon monastique antérieurau XIIe siècle, encore très proche de l'homélie, au sermon dit«moderne » ou « scolastique » du XIIIe siècle, puis au sermonclassique, hautement rhétorique et précisément codifié. Deplus en plus élaboré, le sermon a rapidement été considérécomme le genre le plus formel de l'éloquence sacrée (endehors de l'éloquence religieuse d'apparat, représentée parles panégyriques et les oraisons funèbres). À ce titre, il est aucentre des artes praedicandi (arts de prêcher), manuels pres-criptifs qui diffusent une tradition normative syncrétique,issue à la fois de l'Écriture, de l'Antiquité païenne et destextes patristiques, et accompagnée de développements théo-logiques touchant au rôle du prédicateur.

Cette codification trouve son aboutissement à l'âge clas-sique ; la composition du sermon obéit alors à des règlesinvariables : après le signe de la croix, le prédicateur pro-nonce le verset biblique qui constitue le texte du sermon,d'abord en latin, puis en langue vernaculaire. Vient ensuitel'exorde, qui présente le sujet, commente brièvement leverset biblique, annonce le plan du discours et se clôt parune brève invocation au Saint-Esprit et la récitation d'unAve Maria (dite parfois « chute à l'Ave Maria »). Il s'agitd'un moment clé : selon Antoine Albert, un théoricien duXVIIIe siècle, « L'exorde est à peu près au sermon ce que latête est au corps humain, c'est ce qu'il y a de plus apparentet qui frappe davantage ». Le développement est divisé endeux ou trois points ; après chaque point, l'orateur s'arrêtequelques instants, afin de permettre à l'auditoire de tousser,de se détendre et de changer de position s'il le souhaite. Laconclusion du discours ou péroraison est un autre momentclé qui doit faire sur l'auditeur une impression durable :

18 L 'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Extrait de la publication

Page 17: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

d'une grande intensité émotionnelle, elle est, par excellence,le lieu du pathos : « C'est là, indique Antoine Albert, que leprédicateur doit employer tout le grand et tout le sublimede l'éloquence, ainsi qu'on emploie pour terminer un feud'artifice tout ce que l'adresse et l'habileté peuvent suggérerde plus extraordinaire et de plus frappant1. » Le prédicateurachève son discours en souhaitant à ses auditeurs le salutéternel.

La durée d'un sermon varie ; le sermon prononcé pen-dant la messe depuis le XIXe siècle dure généralement unedemi-heure au plus, mais les sermons classiques prononcésen dehors de la messe étaient plus longs : les manuels recom-mandent aux orateurs de ne pas dépasser une heure, pour-tant des exemples de deux heures ne sont pas rares, et, selondes témoins, le sermon donné à Toulouse par le célèbremissionnaire espagnol Vicente Ferrer en 1416 aurait durépas moins de six heures ! On baptisa du reste bourdaloue uncertain type de pot de chambre, sans doute en guise d'allu-sion ironique aux « longues et pénibles attentes à l'église queles amples sermons de Bourdaloue opposaient à la satisfac-tion des besoins naturels » (A. Rey2)… Les théoriciens oscil-lent en effet entre la tendance à brider la prolixité naturelledes prédicateurs, qui risque de conduire à l'ennui du public,donc à l'échec de la prédication (François de Sales déclareainsi que le sermon doit être court car « la vigne [qui] produitbeaucoup de bois […] porte moins de fruits »), et la concep-tion du sermon comme lieu de l'amplificatio, de la dilatatio,du développement de la matière, dans la mesure même où,contrairement à une méditation écrite ou à un traité spiri-tuel, il est un genre oral, soumis aux aléas de l'écoute, et nepermettant ni la lecture lente ni la relecture.

1. Antoine Albert, Nouvelles Observations sur les différentes méthodesde prêcher, Lyon, Pierre Bruyset Ponthus, 1757, livre II, p. 163.

2. Rey A., Tomi M., Horé T., Tanet C. (dir.), Dictionnairehistorique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992-1998 article « bourdalou » ou « bourdaloue ».

INTRODUCTION 19

Extrait de la publication

Page 18: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

En dépit de cette codification progressive, la productionde sermons est, à toutes les époques, remarquablementdiverse : sermons de mission, sermons de controverse, ser-mons de Cour et sermons paroissiaux se distinguent tantpar leurs visées que par leur forme.

Autorité et dépossession du prédicateur :une parole « aliénée »

Au-delà de leur remarquable diversité, les différentesformes de l'éloquence sacrée – qu'on désignera désormaisindifféremment par le terme de sermon pris dans un senslarge – partagent cependant des traits communs caractéris-tiques.

Parole et inspiration

Le sermon, quel qu'il soit, pose pour le lecteur un pre-mier problème : celui du passage de l'oral à l'écrit. D'une parten effet, la version écrite ne saurait restituer l'actio, autre-ment dit la composante non verbale de ce type de discours(intonation, gestuelle, mimiques, etc.) ; d'autre part, qu'ellecorresponde à une rédaction (préparatoire ou a posteriori)réalisée par l'auteur lui-même ou à une « reportation », c'est-à-dire un manuscrit de tachygraphe bénévole ou profession-nel (clerc – en particulier apprenti prédicateur –, ou laïc – enparticulier membre d'une confrérie, qui, posté au pied de lachaire, recueillait les mots du prédicateur dans le but de lesdiffuser), elle ne peut s'identifier exactement aux mots pro-noncés ; bien des prédicateurs improvisent tout ou partie deleurs développements, d'autres les enjolivent après couppour publication… S'agissant du sermon médiéval, le pro-blème se complique encore, puisque les sermons prononcésen langue vernaculaire étaient généralement transcrits en

20 L 'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Page 19: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

latin, seule langue jugée digne de publication1 ; inversement,des modèles rédigés en latin par des moines à l'intention desprédicateurs et missionnaires étaient traduits en langue ver-naculaire lorsqu'ils étaient prononcés devant un public delaïcs. Et même la version en apparence intégralement rédigéedu sermon classique pose problème ; dans bien des cas, elleconstitue moins un texte que le prédicateur lira ou réciteraqu'un discours du prédicateur à lui-même qui n'a valeur qued'entraînement, autrement dit la trace écrite d'une prépara-tion, dans la solitude du cabinet, à un sermon qui seraensuite, en chaire, largement improvisé. Entre version oraleet version écrite, les distorsions sont multiples, et inévitables.

Plus largement, c'est toute la situation d'énonciationpropre à la prédication que la lecture trahit. Si le sermon estune parole si spécifique, c'est qu'il se revendique paroleinspirée. Comme le suggère le lieu d'où il parle, la chaire,située entre Ciel et terre, le prédicateur se veut un passeur,un médiateur – image imparfaite, mais nécessaire du Média-teur par excellence qu'est le Christ. S'il se compare parfoisaux anges qui montent et descendent l'échelle de Jacob(Gn 28,12), c'est qu'il se veut, littéralement, un porte-Parole, le porteur d'une Parole qui n'est pas la sienne, et qui– difficulté supplémentaire – transcende et dépasse touteparole humaine. Prolongeant la parole du Christ : «Quivous écoute m'écoute » (Lc 10,16), la doctrine augustiniennedu « Prédicateur intérieur » irrigue ainsi, de manière plus oumoins explicite, toute l'éloquence sacrée : certes, la foi vientpar l'oreille, fides ex auditu (Rm 10,17) – ce qui fonde touteprédication –, mais en réalité, la parole du prédicateur dechair(e), s'adressant aux oreilles, ne fait que rendre possiblel'avènement de la Parole divine, celle du « Prédicateur

1. Voir Berverly Mayne Kienzle, « Introduction » à The Sermon,B. Mayne Kienzle (dir.), Turnhout, Brepols, 2000, p. 170. Il arrivetoutefois que les deux versions soient conservées, comme dans le cas deBernardin de Sienne ou de Berthold de Regensburg ; voir Hans-JochenSchiewer, « German Sermons in the Middle Ages », ibid., p. 864-869.

INTRODUCTION 21

Extrait de la publication

Page 20: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

intérieur » qui, quant à elle, s'adressera directement au cœurde l'auditeur1. Le capucin Nicolas de Dijon rappelle ainsi auXVIIe siècle la fondamentale impuissance du prédicateur :«Mais avec tout cela le grand fruit des sermons ne dépendpas du seul prédicateur, il a beau crier et parler aux oreilles, sile Saint-Esprit ne parle au cœur et si Dieu n'anime sesparoles d'une grâce toute-puissante, il ne convertira pas uneseule âme et ne touchera pas un seul pécheur mais il sera, ditsaint Paul, comme de l'airain qui sonne. »

Parole et sacrement

Cependant, cette impuissance est le revers de la puis-sance proprement surnaturelle qu'on attribue à cette parolevenue d'ailleurs et souvent rapprochée d'un sacrement, chezles protestants comme chez les catholiques.

Pour Luther, le christianisme est avant tout religion duVerbe, Révélation d'un Dieu parlant à l'homme : «Noussommes des créatures ainsi faites que Dieu aimerait parleravec elles jusque dans l'éternité, que ce soit dans sa colère oudans sa grâce2 ». Rien d'étonnant, dès lors, à ce qu'il place laprédication au centre de la vie ecclésiale et du ministèrepastoral, la prédication finissant par revêtir métaphorique-ment, chez les Réformés, la valeur d'un sacrement, dans lamesure où, comme le sacrement, elle renvoie symbolique-ment au Christ.

Plus surprenante peut-être est la convergence qui s'ob-serve sur ce point avec un catholique orthodoxe tel queBossuet. Chez Bossuet, comme du reste chez Augustin lui-

1. Le prédicateur, en ce sens, est lui aussi auditeur tout autant quelocuteur de la Parole, comme le souligne Augustin : « Ce que je vousdispense ne m'appartient pas. Je mange ce que vous mangez, je vis dequoi vous vivez. Nous avons un grenier en commun au ciel : de là vientla parole de Dieu » (Sermon 95,1).

2. Martin Luther, Commentaires sur la Genèse, in Œuvres, Genève,Labor et Fides, 1977, t. XVII.

22 L 'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE

Page 21: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

Extrait de la publication

Page 22: Les sermons de saint Augustin à nos jours… · l'Évangile de Jean, le «Verbe fait chair» du prologue est ... c'est une Oraison funèbre.1» Même si les oraisons funèbres et

RÉALISATION : IGS-CP À L'ISLE-D'ESPAGNAC

IMPRESSION : NORMANDIE ROTO IMPRESSION S.A.S À LONRAI

DÉPÔT LÉGAL : JANVIER 2009. No 96299 ( )IMPRIMÉ EN FRANCE

Extrait de la publication