Les Serments de Strasbourg

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Les Serments de StrasbourgLes Serments de Strasbourg (842 aprs J.C.) sont l'un des textes les plus importants des origines linguistiques du franais mais aussi des origines linguistiques de l'Europe politique. Les serments de Strasbourg - 14 fvrier 842 Prsentation En 842 Charles le Chauve, roi de France et Louis, roi de Germanie, s'tant donn rendez-vous Strasbourg renouvelrent leur alliance contre leur frre Lothaire, roi d'Italie et de Lorraine. Au milieu de leurs armes runies, ils prononcrent haute voix le serment par lequel ils confirmaient ce trait. Charles le Chauve s'exprima en langue tudesque (francique) afin d'tre compris par les soldats de son frre. Louis, pour tre entendu des Franais occidentaux, rpta le mme serment en langue romane. Les Serments de Strasbourg sont le plus ancien monument de l'idiome naissant qui devait devenir la langue franaise. Ils prcdrent le trait de Verdun (843) qui divisait dfinitivement en trois partis l'empire de Charlemagne. Les Serments de Strasbourg ont t insrs par l'historien Nithard (844) dans l'ouvrage inachev o il avait entrepris, la demande de Charles, de dcrire la lutte des fils de Louis le Pieux. Edition : Nithard : Histoire des fils de Louis le Pieux, p.p. P. Lauer, Paris, 1926 (Classiques de l'Hist. de France). Une tude rcente de M. Tabachovits : Le texte roman des Serments de Strasbourg, Upsal, 1952, a propos la correction non lo suon tanit (ne tient pas le sien), que nous avons adopte, au lieu de lo franit (le rompt) des diteurs prcdents. _Note d'Andr Marty - 1954 _Source : Andr Mary, La fleur de la prose franaise depuis les origines jusqu' la fin du XVIe sicle, Paris, Garnier, 1954, pp. 2-7 (+ note p. 615) Version originale Ergo XVI kal. marcii Lodhuvicus et Karolus in civitate quae olim Argentaria vocabatur, nunc auteum Strasburg vulgo dicitur, convenerunt, et sacramenta quae subter notata sunt, Lodhuvicus romana, Karolus vero teudisca lingua, juraverunt. Ac sic, ante sacramentum, circumfusam plebem, alter teudisca, alter romana lingua, alloquuti sunt. Lodhuvicus autem, quia major natu, prior exorsus sic coepit : Quotiens Lodharius me et Nunc fratem meum, post obitum patris nostri, insectando usque ad internecionem delere conatus sit nostis... Coacti rem ad juditium omnipotentis Dei detulimus, ut suo nutu quid cuique deberetur contenti essemus. In quo nos, sicut nostis, per misericordiam Dei victores extitimus, is autem victus una cum suis quo valuit secessit... ... Post haec non contentus judicio divino, sed hostili manu iterum et me et hunc fratrem meum persequi non cessat, insuper et populum nostrum incendiis, rapinis cedibusque devastat. Quamobrem nunc, necessitate coacti convenimus, et... hoc sacramentum inter nos in conspectu vestro jurare decrevimus... Cumque Karolus haec eadem verba romana lingua perorasset, Lodhuvicus, quoniam major natu erat, prior haec deinde se servaturum testatus est : PRO DEO AMUR ET PRO CHRISTIAN POBLO ET NOSTRO COMMUN SALVAMENT, D'IST DI IN AVANT, IN QUANT DEUS SAVIR ET PODIR ME DUNAT, SI SALVARAI EO CIST MEON FRADRE KARLO, ET IN AIUDHA ET IN CADHUNA COSA, SI CUM OM PER DREIT SON FRADRA SALVAR DIFT, IN O QUID IL MI ALTRESI FAZET ET AB LUDHER NUL PLAID NUNQUAM PRINDRAI, QUI, MEON VOL, CIST MEON FRADRE KARLE IN DAMNO SIT. Quod cum Ludhovicus explesset, Karolus teudisca lingua sic haec eadem verba testatus : IN GODES MINNA IND THES CHRISTIANES FOLCHES IND UNSER BEDHERO GEHALTNISSI, FON THESEMO TAGE FRAMMORDES, SO FRAM SO MIR GOT GEWIZCI INDI MAHD FURGIBIT, SO HALDIH THESAN MINAN BRUODHER, SOSO MAN MIT REHTU SINAN BRUODHER SCAL, IN THIU THAZ ER MIG SO SAMA DUO, INDI MIT LUDHEREN IN NOHHEINIU THING NE GEGANGO, THE, MINAN WILLON, IMO CE SCADHEN WERDHEN.

Sacramentum autem quod utrorumque populus, quique propria lingua, testatus est, romana lingua sic se habet : SI LODHUVIGS SAGRAMENT QUE SON FRADRE KARLO JURAT CONSERVAT, ET KARLUS, MEOS SENDRA, DE SUO PART NON LO SUON TANIT, SI IO RETURNAR NON L'INT POIS, NE IO NE NELS CUI EO RETURNAR INT POIS, IN NULLA AIUDHA CONTRA LUDHUVIG NUN LI IV ER. Teudisca autem lingua : OBA KARL THEN EID THEN SISEMO BRUODHER LUDHUWIGE GESUOR GELEISTIT, INDI LUDHUWIG, MIN HERRO, THEN ER IMO GESUOR FORBRIHCHIT, OB IH INAN ES IRWENDEN NE MAG, NOH IH NOH THERO NOHHEIN, THEN IH ES IRWENDEN MAG, WIDHAR KARLE IMO CE FOLLUSTI NE WIRDHIT. Quibus peractis Lodhuvicus Reno tenus per Spiram, et Karolus juxta Wasagum per Wizzunburg Warmatiam iter direxit. _Nithard : Hist. des Fils de Louis le Pieux, III, 5 Version franaise Donc, le 16 des calendes de mars, Louis et Charles se rencontrrent en la cit qui jadis s'appelait Argentaria, et qui aujourd'hui est dite communment Strasbourg, et prtrent les serments rapports ci-dessous, Louis en langue romane et Charles en langue tudesque. Mais avant le serment, ils s'adressrent au peuple assembl, l'un en tudesque, l'autre en longue romane. Louis, en sa qualit d'an, prenant le premier la parole, s'exprima en ces termes : Vous savez combien de fois Lothaire, aprs la mort de notre pre, s'est efforc de nous anantir, moi et mon frre ici prsent, en nous poursuivant, jusqu' extermination... Contraints par la ncessit, nous avons soumis l'affaire au jugement de Dieu tout-puissant, prts nous incliner, sur son signe, pour ce qui concerne les droits de chacun de nous. Le rsultat fut, comme vous le savez, que par la misricorde divine nous avons remport la victoire, et que vaincu Lothaire s'est retir avec les siens o il a pu... Malgr cela, mcontent du jugement de Dieu, il ne cesse de nous poursuivre main arme, moi et mon frre ici prsent ; il recommence porter la dsolation parmi notre peuple, en incendiant, pillant et massacrant. C'est pourquoi, pousss maintenant par la ncessit, nous nous runissons et... avons dcid de prter ce serment l'un l'autre en votre prsence. Et lorsque Charles eut rpt les mmes dclarations en langue romane, Louis, tant l'an, jura le premier de les observer : Pro Dei amore, et pro christiano populo et nostra communisalute, ab isto die in posterum, quantum Deus sapere et posse mihi donat, sic salvabo ego istum meum fratrem Carolum, et in adjumento et in quaque causa, sicut homo per rectum fratrem suum salvare debet, dummodo ille mihi alterne faciat ; et ab Lothario ullum placitum nunquam prehendam quod meo voluntate isti meo fratri Karolo in damno sit. Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrtien et notre salut commun, partir d'aujourd'hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frre Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit, selon l'quit, secourir son frre, condition qu'il fasse de mme pour moi, et avec Lothaire je ne prendrai aucun arrangement qui, de ma volont, puisse tre dommageable mon frre Charles. Lorsque Louis eut termin, Charles rpta le mme serment en langue tudesque : Um Gottes Liebe und [um] des christlichen Volkes und unser beider Heil, von diesem Tage vorwrts, so weit mir Gott Wissen und Macht verleiht, so untersttze ich diesen meinen Bruder wie man mit Recht seinen Bruder soll, vorausgesetzt dass er mir dasselbe tut, und mit Lothar [werde ich] in keinen Vertrag eingehen, der ihm, meines Willens, Zu Schaden werden (wrde). Pour l'amour de Dieu et du peuple chrtien et notre commun salut, partir de ce jour, autant que Dieu m'en donne savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frre [Louis], comme on doit, selon l'quit [secourir] son frre, condition qu'il fasse pour moi la mme chose, et avec Lothaire je n'entrerai en aucun arrangement, qui, de ma volont, puisse lui [ Louis] tre dommageable. Et le serment que pronona chaque nation dans sa propre langue est ainsi conu en langue romane : Si Ludovicus sacramentum, quod fratri suo Karolo jurat, conservat, et Karolus, meus senior, pro sua parte, non suum tenet, si ego eum inde (ab hoc facto) revocare non

possum, neque ego, neque ullus quem ego avocare inde possum, in ullo adjumento contra Ludovicum non illi ibi ero. Si Louis observe le serment qu'il jure son frre Charles, et si Charles, mon seigneur, de son ct, ne tient pas le sien, si je ne puis l'en dtourner, ni moi ni aucun de ceux que j'en pourrai dtourner, je ne lui serai d'aucune aide contre Louis. Et en langue tudesque : Wenn Karl den Eid, den er seinem Bruder Ludwig schwor, hlt, und Ludwig mein Herr, den [den] er ihm schwor, bricht, wenn ich ihn des abwenden nicht mag, weder ich noch derer [k]einer, die ich, des abwenden mag, averden wider Karl ihm Zu Hilfe gehen. Si Charles tient le serment qu'il a jur son frre Louis, et si Louis, mon seigneur rompt celui qu'il lui a jur, si je ne puis l'en dtourner, ni moi ni aucun de ceux que j'en pourrai dtourner, nous ne lui serons d'aucune aide contre Charles. Cela termin, Louis se dirigea vers Worms, par Spire, le long du Rhin, et Charles, le long des Vosges, par Wissembourg. _Nithard : Hist. des Fils de Louis le Pieux, III, 5 Bibliographie complmentaire W. Ayres-Bennett : The Strasbourg Oaths (842) : the earliest vernacular text, dans A History of the French Language through Texts, London/New York, 1996, pp. 16-30. Rene Balibar : L'institution du franais - essai sur le colinguisme des Carolingiens la Rpublique, Paris, PUF, 1985 Arrigo Castellani : L'ancien poitevin et le problme linguistique des Serments de Strasbourg, Cultura neolatina, 19, 1969, pp. 201-235 // L'ancien poitevin et le problme linguistique des serments de Strasbourg, dans Les dialectes de France au Moyen Age et aujourd'hui, 1972, pp. 388-427. Arrigo Castellani : Nouvelles remarques au sujet de la langue des serments de Strasbourg, TraLiLi, 16, 1978, pp. 61-73 Arrigo Castellani : Precisazioni sulla lingua dei Giuramenti di Strasburgo, dans Actes du XVIIe Congrs international de linguistique et philologie romanes, vol.9, Aix, Univ. de Provence, 1986, pp. 63-84 Bernard Cerquiglini : La naissance du franais, Paris, PUF/Que sais-je ?, 1993 Frdric Deloffre : A propos des serments de Strasbourg de 842 : les origines de l'odre des mots du franais, TraLiLi, 18, 1980, pp. 287-298 Daniel Droixhe : Les Serments de Strasbourg et les dbuts de l'histoire du franais, dans H.-J. Niederehe et B. Schlieben-Lange d., Die Frhgeshchichte der romanischen Philologie : von Dante bis Diez, Gubter Narr. Tubingen, 1987, pp. 135-149 A. Ewert : The Strasbourg Oaths, Transactions of the philological society, 1935, pp. 1635 G. Hilty : Les serments de Strasbourg et la Squence de sainte Eulalie, Vox Romanica, 37, 1978, pp. 253-271 Ferdinand Lot : Le dialecte roman des Serments de Strasbourg, Romania, 65, 1939, pp. 145-163 G. de Poerck, Le ms. BN 9768 et les serments de Strasbourg, Vox Romanica, 15, 1957, pp. 190-193 Mario Roques : Les serments de Strasbourg, Medium Aevum, 5, 1936, pp. 157-172 A. Tabachowitz : Etude sur la langue de la version franaise des serments de Strasbourg, Upsal, Almquist, 1932 Carl W. Wahlund : Trois sicles (1576-1875) de littrature relative au plus ancien monument de la langue franaise : les serments de Strasbourg, dans Mlanges Emile Picot, Paris, Champion, 1913, pp. 225-238. Les serments de Strasbourg (Joseph Reisdoerfer)