Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

21
Comptes Rendus Chimie Marc Fontecave et Dominique Grand Les scénarios énergétiques à l’épreuve du stockage des énergies intermittentes Volume 24, issue 2 (2021), p. 331-350 <https://doi.org/10.5802/crchim.115> © Académie des sciences, Paris and the authors, 2021. Some rights reserved. This article is licensed under the Creative Commons Attribution 4.0 International License. http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/ Les Comptes Rendus. Chimie sont membres du Centre Mersenne pour l’édition scientifique ouverte www.centre-mersenne.org

Transcript of Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Page 1: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Comptes Rendus

Chimie

Marc Fontecave et Dominique Grand

Les scénarios énergétiques à l’épreuve du stockage des énergiesintermittentes

Volume 24, issue 2 (2021), p. 331-350

<https://doi.org/10.5802/crchim.115>

© Académie des sciences, Paris and the authors, 2021.Some rights reserved.

This article is licensed under theCreative Commons Attribution 4.0 International License.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/

Les Comptes Rendus. Chimie sont membres duCentre Mersenne pour l’édition scientifique ouverte

www.centre-mersenne.org

Page 2: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Comptes RendusChimie2021, 24, n 2, p. 331-350https://doi.org/10.5802/crchim.115

Essai / Essay

Les scénarios énergétiques à l’épreuve du stockage

des énergies intermittentes

Energy scenarios to the test of intermittent energy storage

Marc Fontecave ∗, a et Dominique Grandb

a Collège de France, 11 Place Marcellin Berthelot, 75005, Paris, Franceb Hydro21, c/o Artelia, 6 rue de Lorraine, 38130, Echirolles, France

Courriels : [email protected] (M. Fontecave),[email protected] (D. Grand)

Résumé. L’accroissement des sources d’électricité éoliennes et solaires doit être accompagné dudéploiement sans précédent d’un système de moyens pilotables nouveaux (stockages et autres) et dela préservation de sources pilotables qui complètent ces productions intermittentes afin de garantirla parfaite adéquation entre production et consommation électrique. Pour estimer la taille d’un telsystème, appelé réserve, on part des enregistrements récents des productions de l’éolien et du solaireque l’on transpose aux deux scénarios retenus (production électrique à 100% par les renouvelablesou à 50% avec 50% de nucléaire). On évalue ainsi la quantité d’électricité qu’il faudrait effacer lorsdes surplus de production des sources intermittentes et restituer lors des manques, de même que lapuissance et la capacité que cette réserve devrait garantir au minimum. Une fois le besoin identifié, onpasse en revue les divers moyens mobilisables d’ici 2050 : échanges transfrontaliers, ajustement de laconsommation, stockages gravitaires, électrochimiques et chimiques, ainsi que les sources pilotablesdécarbonées disponibles (hydraulique et nucléaire principalement). Ceci éclaire le degré de réalismedes scénarios considérés, les efforts qu’ils supposent et les incertitudes quant à l’atteinte des objectifs.Ces résultats, même s’ils peuvent être modulés en fonction d’hypothèses de travail différentes, nepeuvent être ignorés dans les choix de transformation du mix électrique.

Abstract. A large share of wind and solar in the electricity mix increases the part of fatal and inter-mittent productions which must be compensated by a back up system able to continuously equatesupply and demand. The goal of the study is the dimension of this back up system. The analysis re-lies on information from wind and solar productions observed today in France and transposed to twoscenarios considered for 2050: one with 100% renewables, the other with 50% renewables and 50%nuclear. For both cases, we compute the volume of electricity, which should be transferred annuallyby the back up system from times of productions surplus to those of deficits. In this operation, theback up must deliver a power and possess a capacity of storage, which are also evaluated. Knowingthese required performances for the back up system, a review is made of its foreseeable constituents:exchanges with neighboring countries, adjustment of consumption, storages (gravitational, electro-chemical and chemical) and, last but not least, adjustment of the supply with controlled, carbon-free,production sources (mostly hydroelectric and nuclear plants). At the end, this gives an insight on the

∗Auteur correspondant.

ISSN (electronic) : 1878-1543 https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/chimie/

Page 3: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

332 Marc Fontecave et Dominique Grand

realism of the scenarios, the efforts they require, and the uncertainties in their achievement. Even ifour results could be modulated by other hypotheses, their main lesson would remain and cannot bedisregarded in the conduct of the energy transition.

Mots-clés. Énergies renouvelables, Énergies nucléaire, Stockage d’énergie, Hydrogène, Stockage élec-trochimique.

Keywords. Renewable energies, Nuclear energy, Energy storage, Hydrogen, Batteries.

Manuscrit reçu le 9 juillet 2021, révisé le 18 août 2021, accepté le 26 août 2021.

1. Introduction

Le réchauffement climatique est au cœur de toutesles politiques publiques et industrielles. Dès lors quece réchauffement est corrélé à l’accumulation du di-oxyde de carbone, un gaz à effet de serre (GES),dans l’atmosphère (aujourd’hui 410 ppm), l’objec-tif de tous est ce qu’on appelle la décarbonation dusystème énergétique mondial. Précisons d’emblée ceque cela signifie. Aujourd’hui, sur la Terre, plus de80% de l’énergie consommée par l’humanité vient dela combustion/oxydation du charbon, du gaz natu-rel (méthane) et d’hydrocarbures divers issus du pé-trole. La consommation massive, pour le transport,le chauffage des bâtiments et pour l’industrie, lessecteurs les plus émetteurs, de ces ressources fos-siles (qui par ailleurs ne sont pas éternelles) s’accom-pagne de la production parallèle de CO2 (aujourd’hui40 gigatonnes par an) qui s’échappe et s’accumuledurablement dans l’atmosphère. Décarboner signi-fie donc, pour l’essentiel, trouver et développer denouvelles sources d’énergie, dites bas-carbone parcequ’elles émettent peu de CO2 par unité d’énergiefournie, pour remplacer définitivement l’usage desressources fossiles.

Il s’agit bien d’une véritable révolution énergé-tique analogue à la révolution industrielle qui a per-mis le développement des énergies fossiles et le for-midable progrès des conditions de vie de l’humanitéqui s’est opéré pendant un siècle et demi. Le déve-loppement des sources d’énergies bas-carbone né-cessite, cependant, une analyse rigoureuse et hon-nête de leurs véritables potentialités, de leur vé-ritable impact sur l’environnement (et notammentleur empreinte carbone sur tout le cycle de vie) et desconditions réelles, aussi bien physiques, technolo-giques, sociales et économiques, autorisant leur dé-ploiement à très grande échelle.

Si, aujourd’hui, la France est l’un des pays lesplus vertueux en matière d’empreinte carbone de saconsommation d’énergie, tout comme la Norvège, la

Suède ou la Suisse, c’est parce qu’elle produit uneélectricité (environ 29% de la consommation finaled’énergie en France est électrique, comptant pour470 TWh en 2019) déjà très décarbonée (à plus de90% à base d’énergies bas-carbone). Elle le doit àson parc nucléaire et à une contribution significatived’énergie hydroélectrique. On pourrait s’en satisfaire,en focalisant nos efforts sur les émissions de CO2 is-sues de nos activités non électriques. Cependant, ladécision a été prise sous la présidence de FrançoisHollande, confirmée par Emmanuel Macron, de di-minuer la part de l’énergie nucléaire dans la consom-mation électrique, afin qu’elle ne représente plus que50% en 2035. A l’horizon 2050, l’avenir du nucléaireest moins clair. L’absence d’une politique assuméede prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de40 ans, jusqu’à 60 ans par exemple comme cela sepratique aux Etats-Unis, et de construction de nou-veaux réacteurs de troisième génération de type EPR,pour remplacer les plus anciens réacteurs d’un parcvieillissant, constitue une forme de programmationde la mort du nucléaire après 2050. Un débat sur cettequestion majeure de la place de l’énergie nucléairedans le bouquet énergétique français aura sans doutelieu dans les mois qui viennent, dans le cadre desprochains rendez-vous électoraux, mais, en tout étatde cause, c’est aujourd’hui que l’avenir du nucléairese décide.

Dans ce contexte national, ainsi que dans uncontexte international où l’on observe, notammenten Europe, Allemagne, Danemark, Suisse, des poli-tiques énergétiques combinant un arrêt de centralesnucléaires et un déploiement des énergies renouve-lables (ENRs), notamment éolienne et solaire maiségalement celles tirées de la biomasse, les scéna-rios de transition énergétique les plus souvent pro-posés visent une diminution des énergies fossileset nucléaire jusqu’à leur disparition et leur rempla-cement par les énergies renouvelables. Dans prati-quement tous les scénarios, la part de l’électricitédans la consommation finale d’énergie augmente

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 4: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 333

significativement, à juste titre d’ailleurs. Une crois-sance de l’électrification est en effet une perspec-tive inéluctable, si l’on considère que la décarbo-nation des secteurs d’activité les plus émetteurs deGES passe par leur électrification : par exempleélectrification du transport (véhicules électriques àbatteries ou piles à hydrogène vert), du bâtiment(pompes à chaleur), de l’industrie (électrolyse del’eau pour la production d’hydrogène, fours élec-triques). Par ailleurs, les scénarios les plus extrêmes,comme ceux de Greenpeace [1], de Negawatt [2] oude l’ADEME [3], proposent une production électriquefournie à 100% par les énergies renouvelables en2050. Ce sont ces scénarios, qui ne sont effectifs nullepart sur la planète, que nous évaluons dans cetteétude, exclusivement du point de vue du volume descapacités de stockage nécessaires pour accompagnerl’installation de capacités massives d’énergies inter-mittentes et des technologies de stockage d’énergiedisponibles, une question insuffisamment prise encompte dans les scénarios, de notre point de vue.

En effet, les énergies éolienne et solaire, énergiesbas-carbone au même titre que les énergies nucléaireet hydroélectrique, sont des énergies de flux, inter-mittentes, et non de stock comme le sont les éner-gies fossiles. Tout au long d’une année, il existe despériodes pendant lesquelles la consommation élec-trique peut être assurée par de la production éo-lienne et solaire. Mais il existe aussi des périodes sansvent ou sans soleil, évidemment très nombreuses (il ya par exemple une moitié de la journée en moyenneoù il fait nuit !), pendant lesquelles aucune énergieélectrique ne peut être produite à partir des parcsd’éoliennes et des centrales solaires. Comment ali-menter en électricité nos usines, nos maisons et nosvoitures dans ces conditions ? D’une manière géné-rale, même hors de ces situations extrêmes, la de-mande d’énergie électrique est très variable, à toutesles échelles de temps, horaire, journalière, hebdo-madaire et saisonnière, et les énergies éolienne etsolaire, non pilotables donc, ne permettent pas derépondre en temps réel à ces variations. La ques-tion d’un manque potentiel d’électricité ne se posepas aujourd’hui en France puisque la contributionde ces énergies intermittentes à la production to-tale d’énergie est très faible, et puisque la stabi-lité du réseau électrique est assurée, pour l’essen-tiel, par les STEP (Station de Transfert d’énergie parPompage) en quantité suffisante et par des centrales

nucléaires, hydrauliques et thermiques (charbon etgaz) qui permettent, étant pilotables, d’assurer à toutmoment l’équilibre offre électrique/demande élec-trique. Cette question se pose spécifiquement pourun scénario « production électrique fournie à 100%par les énergies renouvelables ». En effet, en absencede capacités pilotables comme le nucléaire et les fos-siles (on fait l’hypothèse ici qu’il n’en existe plus),avec une capacité de STEP qui devient insuffisante(et qu’on ne pourra augmenter que très margina-lement d’ici 2050), avec une capacité de flexibilitéde la demande (arrêt temporaire de certaines acti-vités industrielles ou interdiction faite aux individusde passer l’aspirateur !) également insuffisante, et en-fin avec une capacité d’importations d’énergie élec-trique sûrement limitée (si l’on considère que nosvoisins poursuivent la même politique de déploie-ment des ENRs et sont dans le noir quand nous ysommes), d’où peut venir l’électricité quand l’offred’électricité renouvelable est insuffisante? Il ne resteplus que l’énergie renouvelable stockée sous diffé-rentes formes que nous étudierons, moyennant qu’ila été possible de transformer les excès d’énergiesélectriques, éolienne et solaire, sous une forme stablependant les périodes de grand soleil et de grand ventquand la production d’énergie était supérieure à lademande. Nous avançons qu’il n’y aura pas de déve-loppement massif d’énergies renouvelables intermit-tentes sans développement de capacités de stockaged’énergie à très grande échelle, bien au-delà de cellesaujourd’hui disponibles. Cette échelle doit être éva-luée. Par ailleurs, les technologies de stockage sontencore insuffisamment efficaces (en termes de coûts,stabilité, rendements, etc.) et nécessitent en tout étatde cause des efforts de recherche significatifs dansles années à venir. France Stratégie a récemment pu-blié une note d’analyse intitulée « Quelle sécuritéd’approvisionnement électrique en Europe à horizon2030 ? » qui illustre les dangers d’une politique incon-trôlée de développement d’ENRs dans un contexted’arrêt de centrales pilotables, fossiles et nucléaires,sans développement suffisant de solutions alterna-tives de pilotage et de capacités de stockage d’éner-gie [4]. Il ressort de cette analyse que dès 2030, sansconstruction de nouveaux moyens pilotables et dansl’hypothèse où les trajectoires de l’éolien et du so-laire prévues dans la Loi sur la Transition Energé-tique et la Croissance Verte (LTECV) sont respectées(75 GW de puissance en 2030 au lieu de 25 GW en

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 5: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

334 Marc Fontecave et Dominique Grand

2020), la France ne disposera pas de suffisammentd’électricité pour satisfaire les demandes de pointemoyennes, et ce avec un déficit de 5 à 10 GW !

Le 21 janvier 2021, RTE, le gestionnaire du ré-seau de transport de l’électricité, et l’AIE, AgenceInternationale de l’Energie, ont remis au gouverne-ment français un rapport révélateur explicitant lesconditions nécessaires pour un scénario « produc-tion électrique fournie à 100% par les énergies re-nouvelables » [5]. L’intérêt de ce rapport fut de mon-trer qu’aucune d’entre elles n’est actuellement res-pectée et ne pourrait l’être sans un effort massif derecherche et développement, qui prendra beaucoupde temps, sans garantie que les technologies néces-saires acquièrent la maturité industrielle appropriéeet puissent être déployées à l’échelle requise. En effet,la production massive d’énergie reposera demain surdes technologies complexes dont la mise en œuvrenécessitera plusieurs décennies. La première condi-tion réside dans la disponibilité de capacités de sto-ckage suffisantes comme nous l’avons déjà dit. La se-conde concerne la stabilité de la fréquence (50 Hz enEurope) du système électrique. Celle-ci est aujour-d’hui assurée par les rotors des alternateurs des cen-trales thermiques (nucléaires et fossiles). Sans eux,comment assurer cette stabilité puisque les conver-tisseurs de puissance, associés aux parcs éoliens etaux panneaux photovoltaïques et utilisés pour leurconnexion au réseau, sont inopérants ? La dernièreconcerne le développement de nouvelles infrastruc-tures de réseaux électriques, puisque le transport etla distribution de l’électricité d’origine éolienne etsolaire ne peuvent malheureusement pas s’appuyersur le réseau actuel sans modifications, adaptations,extensions et renforcement.

Ici, nous nous limitons à traiter, avec une hypo-thèse « production électrique fournie à 100% par lesénergies renouvelables » dans le cas spécifique de laFrance, la question du stockage d’énergie avec l’ob-jectif d’évaluer, avec la méthodologie appropriée, laquantité d’énergie en excès à récupérer du réseauet à stocker, la quantité d’énergie stockée qu’il estpossible de redonner au réseau en situation de dé-faut et enfin les capacités des différents types detechnologies de stockage d’énergie (STEP, batteriesélectriques, hydrogène) qu’il faut déployer pour per-mettre ce stockage réversible, sachant par ailleursque certains de ces moyens ne sont pertinents qu’àl’échelle journalière/hebdomadaire et d’autres qu’à

l’échelle intersaisonnière. Nous ne discutons ici nidu réel impact que le déploiement massif d’ENRs etde capacités de stockage d’énergie (batteries, élec-trolyseurs, piles) a sur les émissions de CO2 et l’en-vironnement (pollutions directes et indirectes, dé-chets, besoin en matériaux et ressources minérales),ni du coût de cette politique, ni enfin de la dépen-dance qui en résulte vis-à-vis des productions exté-rieures. Nous ne discutons pas non plus de la possi-bilité effective d’un tel déploiement dans un contexted’acceptabilité sociale limitée.

2. Scénarios énergétiques choisis à l’horizon2050

L’état de référence, appelé état 2019, est celui d’uneconsommation énergétique finale moyenne obser-vée au cours des dernières années en excluant l’an-née 2020, qui a été marquée par une baisse anor-male de la consommation énergétique en raisondes confinements et de l’arrêt de nombreuses acti-vités énergivores (transports, industrie, etc.). Il estdonné dans le Tableau 1 sous la forme de quelqueschiffres clés exprimés en énergie consommée par an(en térawattheures, TWh) par source d’énergie. Laconsommation finale d’énergie, en France, est d’en-viron 1610 TWh dont 470 TWh d’électricité. La pro-duction d’électricité de 530 TWh provient du parc nu-cléaire pour 71%, de l’hydroélectricité pour 11% etdes ENRs électriques (éolien + solaire + biomasse)pour 10%. La consommation finale non électrique(les 1140 TWh restants) est fournie essentiellementpar les énergies fossiles et pour 180 TWh par desENRs thermiques (avec une contribution du bois de50% environ), ce qui fait qu’en France actuellementles ENRs comptent pour 18% de la consommation to-tale d’énergie.

Différentes hypothèses peuvent être faites pourdéfinir un « scénario 2050 » (Tableau 2). La plu-part des scénarios élaborés ces dernières années, no-tamment ceux des associations écologistes, Nega-watt ou Greenpeace [1,2], ou ceux de l’ADEME [3],font l’hypothèse d’une baisse d’environ 50% de laconsommation d’énergie finale (pour atteindre 800–950 TWh, selon le scénario considéré). Sans doute engrande partie en raison de la contrainte d’une électri-cité à 100% à base d’ENRs qu’ils s’imposent. Même sila LTECV s’engage sur un objectif comparable, ce der-nier nous semble totalement irréaliste : malgré une

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 6: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 335

Tableau 1. Etat 2019 Production d’électri-cité suivant ses sources (nucléaire, renouve-lables et fossiles) ; Consommation d’électri-cité et d’autres origines (pétrole, gaz, charbonet ENRs). La différence entre production etconsommation d’électricité provient essentiel-lement du solde exportateur (59 TWh)

Etat 2019 Energie TWh Pourcent

Production d’électricité 535 100%

Nucléaire 379 70,8%

Eolien 34 6,3%

Solaire 12 2,3%

Hydraulique 60 11,1%

Biomasse 10 1,8%

Gaz 37 6,9%

Charbon/pétrole 4 0,7%

Consommaion électrique 468 29,1%

Autres consommations 1143 70,9%

Pétrole 626 38,9%

Gaz 328 20,4%

Charbon 11 0,7%

ENR thermique 177 11,0%

Total consommations 1611 100%

Sources : Eurostat [6] et RTE [7].

amélioration anticipée de l’efficacité énergétique del’ensemble des systèmes énergétiques (rénovationthermique des bâtiments, diminution de la consom-mation d’énergie dans les transports et dans l’in-dustrie), l’électrification massive des usages, la crois-sance économique et la croissance démographiqueferont que, au bilan, la diminution de la consomma-tion d’énergie, si elle est effective, sera moindre. Pouratteindre une telle baisse de consommation d’éner-gie, ces scénarios devront se traduire par une décrois-sance massive, qui ne sera pas socialement accep-tée et que nous excluons. Notre hypothèse est donccelle d’une baisse plus modérée de la consommationd’énergie finale qui s’établirait donc en 2050 autourde 1500 TWh.

La seconde hypothèse porte sur la part électrique.Nous avons choisi de la fixer à 50% (au lieu des29% actuels), comme le proposent la plupart des scé-narios. Cela fait donc une quantité d’électricité de750 TWh. De nombreuses discussions ont eu lieu

récemment concernant le niveau de consommationélectrique à l’horizon 2050. En juin 2021, RTE a pro-posé une série de scénarios 2050 avec des consom-mations électriques allant de 550 à 770 TWh [8]et l’Académie des Technologies a récemment pu-blié une note pour corriger les propositions les plusbasses de RTE et suggérer une consommation élec-trique dans la fourchette 730–840 TWh [9]. Notre hy-pothèse de 750 TWh s’inscrit bien dans ces prévisionsmême si elle se situe dans la partie haute de la four-chette. De plus, le solde des échanges étant supposénul et les pertes de réseau négligées, nous considé-rons que la quantité d’électricité consommée égalecelle produite.

La troisième hypothèse porte sur la part du nu-cléaire dans la production électrique. Nous avonsdonc choisi deux scénarios. Le premier est un scé-nario « production électrique fournie à 100% par lesénergies renouvelables » et le second un scénario« production électrique fournie à 50% par les énergiesrenouvelables et 50% par le nucléaire ». Il convient denoter que le second scénario implique une consom-mation de 375 TWh d’énergie nucléaire, proche dela consommation actuelle, illustrant le caractère réa-liste de ce scénario. Dans les deux scénarios, la quan-tité totale d’énergie éolienne et solaire (650 TWh pourle premier et 275 TWh pour le second) est déterminéeen considérant que la biomasse électrique est pas-sée de 9 à 40 TWh (un facteur 4 d’augmentation) etl’énergie hydroélectrique reste à 60 TWh. En aucuncas, on ne discute ici de la partie thermique, non élec-trique, de notre consommation d’énergie. Celle-ci,correspondant donc à 750 TWh, est considérable. Onne voit pas de toute façon comment, même avec unepart majeure de renouvelables thermiques (énergiedérivée de la biomasse de l’ordre de 400 TWh, cequi correspond à un doublement de l’énergie cor-respondante consommée aujourd’hui), elle pourraits’affranchir totalement d’énergies fossiles (gaz depréférence).

Enfin la dernière hypothèse porte sur le ratio éo-lien/solaire. Actuellement il est, en termes d’énergieconsommée, de 3:1. Nous proposons qu’il passe à4:1, sur la base d’observations faites concernant ceratio dans d’autres pays et en considérant qu’avecson facteur de charge deux fois plus élevé le déve-loppement de l’énergie éolienne est plus favorable.Néanmoins il faut noter que d’autres choix peuventêtre faits : de nombreux scénarios au contraire

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 7: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

336 Marc Fontecave et Dominique Grand

Tableau 2. Scénarios étudiés (l’électricité représente 50% d’une consommation de 1500 TWh. Ratiospour un passage des données 2019 aux deux scénarios 2050

Energie TWh Conso Nucléaire Eolien Solaire Hydro Biomasse

Valeurs 2019 470,8 379,2 33,8 12,1 59,5 9,7

Scenario 100% 750 0 520 130 60 40

Scénario 50% 750 375 220 55 60 40

Ratio / 2019

Scenario 100% 1,6 0,0 15,4 10,7 1,0 4,1

Scénario 50% 1,6 1,0 6,5 4,5 1,0 4,1

prévoient un plus faible ratio éolien/solaire, pro-bablement en raison des oppositions croissantes audéveloppement de l’énergie éolienne. Mais cela nechangera rien aux conclusions de ce travail.

Ces hypothèses conduisent donc à des volumesd’énergie éolienne de 520 TWh et de solaire de130 TWh, correspondant à une augmentation d’unfacteur 15 et 11, respectivement, dans le cas du scé-nario « production électrique fournie à 100% par lesénergies renouvelables » et à des volumes d’énergieéolienne de 220 TWh et de solaire de 55 TWh, corres-pondant à une augmentation plus raisonnable d’unfacteur 6,5 et 4,5, respectivement, dans le cas du scé-nario « production électrique fournie à 50% par lesénergies renouvelables et 50% par le nucléaire ».

Avant de déterminer, dans un chapitre suivant, ceque ces scénarios impliquent en termes de besoinsde stockage d’énergie, ce qu’on peut d’abord rete-nir de ces chiffres c’est qu’ils indiquent que de tellesproductions d’énergie éolienne et solaire requièrentune accélération considérable de l’installation de ca-pacités de puissance éolienne et solaire. Depuis denombreuses années, le rythme est, pour les deux, del’ordre de 1 GW par an, sans qu’on observe d’accé-lération particulière. Dans le scénario « productionélectrique fournie à 100% par les énergies renouve-lables » pour atteindre environ 240 GW de puissanceéolienne en 2050 (avec un facteur de charge1 de 0,24,une puissance installée de 0.47 GW est nécessairepour produire un TWh par an), il faut passer à unrythme de l’ordre de 6 GW par an pendant 30 ans,

1Facteur de charge = rapport de la production annuelle à cellequ’aurait donné la puissance nominale d’une installation fonc-tionnant à plein régime, pendant toute l’année, soit 8760 heures.

et pour atteindre environ 100 GW (facteur de charge0,13 et donc 0,75 GW/TWh) de puissance solaire ilfaut un rythme de 3,5 GW par an pendant 30 ans. Unetelle croissance est considérable et rien ne dit qu’ellepuisse être atteinte.

Si l’on prend le scénario « production électriquefournie à 50% par les énergies renouvelables et50% par le nucléaire », ces chiffres sont divisés parpresque 3 : il faut passer à un rythme de 2,5 GW par anpendant 30 ans pour atteindre 88 GW de puissanceéolienne et à un rythme de 1,2 GW par an pendant 30ans pour la puissance solaire. On observe clairementque, même si cette vitesse d’installation de capacitésd’ENRs est un défi, l’objectif est bien plus réaliste etdonc accessible.

3. Méthodologie

Pour faire une simulation réaliste, il faut s’appuyersur des données objectives des productions éo-liennes et solaires et de la consommation. Sur le siteEco2mix, RTE donne en temps réel la consommationet la production d’électricité en France par filièremesurée par leur puissance en Mégawatts [7]. Nouspréférons pour la suite nous en tenir, chaque fois quec’est possible, à des quantités d’énergie expriméesen kiloWattheures et ses multiples (méga, giga, téra).Ce choix est fait pour éviter la confusion entre l’élec-tricité produite par une installation et sa puissancenominale donnée en MégaWatts. La consommationet la production électrique sont ainsi suivies, heurepar heure, avec la même entité physique que celle dubilan annuel. Au besoin, nous qualifierons d’horaireou annuelle l’énergie s’il y a un risque de confusion.Les lecteurs d’Eco2mix ne seront pas déroutés puis-qu’énergie consommée (resp. produite) par heure

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 8: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 337

et puissance consommée (resp. produite) ont mêmevaleur numérique.

D’autre part, RTE récapitule, dans un fichier télé-chargeable, les données d’une année écoulée, enre-gistrées chronologiquement à intervalle d’une demi-heure. Ces données fournissent une excellente basepour extrapoler et étudier le fonctionnement du ré-seau en présence d’un fort taux de productions éo-liennes et solaires. Cette méthode a déjà été vala-blement utilisée pour l’Allemagne et la France [10,11]. Ces pays disposent de parcs d’installations éo-liennes et solaires suffisamment importants pourque leurs évolutions temporelles soient représenta-tives de celles d’un parc beaucoup plus grand. Eneffet, les dimensions des pays européens sont limi-tées en regard de celles des phénomènes naturelsqui gouvernent ces productions. Ce qui est évidentpour le solaire l’est aussi pour le vent dont l’inten-sité est rythmée par les mouvements d’anticyclone etde dépression plus étendus que les dimensions despays. Aussi la diversité des climats ne doit pas occul-ter cette uniformité des productions éoliennes et so-laires. Une grande synchronisation des productionséoliennes a été même observée à l’échelle de l’Eu-rope [12].

Dans le Tableau 2, les facteurs multiplicatifs, ouratios, permettent de passer des valeurs de consom-mation et des productions d’électricité réelles obser-vées en 2019 à celles de leurs homologues dans lesscénarios 2050. Les productions éoliennes et solairessont par ailleurs corrigées pour tenir compte du faitqu’au cours de l’année 2019 le nombre de parcs éo-liens et solaires a augmenté (accroissement, entre ledébut et la fin de l’année, de la puissance installéede 7,2% pour l’éolien et 10,6% pour le solaire). Dansles scénarios étudiés, le nombre d’installations estau contraire supposé stable comme pour les autressources d’énergie. La correction consiste à ramenerles productions horaires éoliennes et solaires de l’an-née 2019 à ce qu’elles auraient été si les niveaux d’ins-tallation avaient été stables ; les productions sont re-calculées, en hausse en début d’année et en baisseà la fin, suivant l’hypothèse raisonnable que les fac-teurs de charge n’aient pas varié.

Conditions d’équilibre du réseau électriqueAvant même d’examiner les évolutions tempo-

relles, on pressent bien que la somme des produc-tions éoliennes et solaires évolue indépendamment

de la consommation. La première suit des phéno-mènes naturels hors de notre contrôle alors que la se-conde répond aux besoins humains.

Dans le scénario « 100% ENRs », l’éolien et le so-laire représentent 87% de la production totale. La si-tuation est totalement inédite alors qu’actuellementces sources contribuent marginalement à la produc-tion d’électricité. Si la production d’électricité dé-pend donc à 87% de flux naturels, sans corréla-tion avec le besoin, elle divergera de la consomma-tion suivant toute probabilité. Or l’égalité entre pro-duction et consommation d’électricité est indispen-sable à l’équilibre du réseau électrique à toutes leséchelles de temps, de la seconde à l’heure pour équi-librer la puissance et au-delà de l’heure pour gérer lestock d’énergie. Pour maintenir cet équilibre, faute desources d’énergie pilotables, des moyens nouveauxdevront être déployés en accompagnement de lamontée en puissance massive des sources éolienneset solaires. Ces moyens contribuent à ce qu’on ap-pellera par la suite une réserve pour désigner unesomme de moyens qui garantit une « quantité accu-mulée de manière qu’on puisse en disposer et la dé-penser au moment le plus opportun ».2 En effet, c’estprécisément d’une quantité d’électricité accumuléedont il faudra disposer pour atteindre le niveau deconsommation requis lorsque les productions éo-liennes et solaires feront défaut. Faute de cette ré-serve, la consommation devrait être réduite drasti-quement par des coupures imposées à des consom-mateurs afin d’éviter l’accident grave, l’effondrementdu réseau, le black-out.

En résumé, pour éviter l’effondrement du réseau,le gestionnaire doit, à toute heure de l’année (etmême pour une fraction de cette heure), assurerl’égalité entre, d’une part, la consommation et, del’autre, la somme des productions, dont une grandepart de fatales, auxquelles il faut donc ajouter la res-source de la réserve. Ce qui peut se traduire par l’éga-lité :

C(h) = E(h)+S(h)+B(h)+H(h)+N(h)+R(h) (1)

Les termes de l’équation, à l’exception du dernier,représentent les énergies horaires enregistrées toutesles demi-heures par RTE en 2019 et transposées auxdeux scénarios à l’aide des ratios du Tableau 2, ainsi

2Petit Robert Réserve III.

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 9: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

338 Marc Fontecave et Dominique Grand

qu’il a été expliqué. Leur unité est le mégawatheure(MWh). Quant aux notations :

• h est le numéro du relevé en partant du débutde l’année.

• C est la consommation.• E et S sont les productions fatales éoliennes

et solaire.• B est la production de la biomasse,3 H et N

sont celles pilotables de l’hydraulique et dunucléaire.

• R est la quantité d’énergie entrant ou sortantde la réserve afin que, s’ajoutant aux produc-tions, elle fasse que le membre de droite del’équation (1) égale la consommation. C’estune quantité négative quand, entrant dans laréserve, elle prélève un excédent de produc-tion; elle est positive quand, sortant de la ré-serve, elle complète une production insuffi-sante.

L’étude d’un scénario couvre le déroulement com-plet de l’année, de sa première à sa dernière heure.Quand on additionne les énergies horaires compo-sant l’équation (1), on retrouve au terme de cetteopération les quantités annuelles du Tableau 2, aprèsavoir divisé la somme par deux car il y a deux entréespar heure, une pour chaque demi-heure. Dans le casdes quantités annuelles, la somme des productionségale la consommation et par suite le solde annuel dela réserve est nul. La réserve ne sert donc qu’à trans-férer au cours de l’année l’électricité des périodes desurplus aux périodes de manques, avec une égalitéstricte des entrées et des sorties sur l’année.

4. Scénario 2050 à 100% ENR : cahier descharges pour assurer l’équilibre

La Figure 1A représente les séries chronologiquespour l’année 2019 de la consommation (en bleu) etde la production (en rouge). Celle-ci ne compte pasles centrales thermiques à combustibles fossiles maisseulement les productions décarbonées de l’équa-tion 1 prises en compte dans les scénarios étudiés.

3Actuellement l’utilisation de la biomasse pour équilibrer le ré-seau est très marginale, à peine quelques pourcents du besoin [7].En conséquence et compte tenu du faible rendement énergétiquede la combustion de la biomasse, nous ne tiendrons pas comptede cette contribution à l’équilibre production / consommation.

Figure 1. (A) Séries chronologiques de laconsommation et de la somme des produc-tions décarbonées enregistrées en 2019. (B) Sé-ries chronologiques de la consommation et dela somme des productions décarbonées pourl’année type du scénario 100% ENR.

L’ordonnée mesure les énergies consommée et pro-duite, en Gigawattheures (GWh), relevées chaquedemi-heure (soit deux fois 8760 h pour l’année).Comme l’ordonnée mesure l’énergie, l’abscisse, estle nombre, sans dimension, des enregistrements de 1à 17520, dans leur succession chronologique depuisle 1er janvier 2019 à 0h. L’axe a été divisé en douzeparties égales rassemblant 1460 demi-heures, duréemoyenne d’un mois.

Examinons d’abord la consommation (courbebleue). Elle montre trois temporalités :

• une oscillation saisonnière avec un plateauentouré de deux pics,

• des oscillations lors des semaines avec desminimas en week-end,

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 10: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 339

• des fluctuations au cours des journées mon-trées par les hachures verticales.

La somme des productions décarbonées (courberouge) suit une évolution proche de la consomma-tion car les sources pilotables (centrales nucléaireset hydroélectriques) permettent d’approcher de trèsprès la consommation. Le plus visible est un écart denature saisonnière, avec un excédent de productionen printemps-été et une insuffisance de productionen automne-hiver. La petitesse de l’écart peut tou-tefois être aisément comblée grâce à la réserve ali-mentée principalement par les échanges transfron-taliers et les centrales fossiles. L’électricité excéden-taire du printemps-été est exportée. Pour compléterla production insuffisante d’automne-hiver, un peud’électricité est importée (le solde des échanges estlargement exportateur). Ce sont surtout les centralesfossiles qui sont mises en marche pour compléter laproduction. Notons qu’elles ne pourront plus servirdans les scénarios 2050 à émissions de CO2 réduites,et pour cette raison, nous les avons exclues dans lessources de production de l’équation 1 et la Figure 1A.

Qu’en sera-t-il en 2050, suivant les hypothèses duscénario données dans les ratios du Tableau 2 ? Lacourbe de consommation est homothétique à cellede 2019 dans le rapport 1,6. Quant à la somme desproductions (courbe rouge), elle change fortementpuisque les productions éoliennes et solaires do-minent, contrairement à aujourd’hui. La productiond’électricité montre des fluctuations de forte ampli-tude, rapides et sans évolution nette dans l’année,provoquées par les flux intermittents du solaire et del’éolien. Les fluctuations sont environ dix fois supé-rieures aux fluctuations quotidiennes de la consom-mation.

Ainsi, la forte proportion de productions inter-mittentes introduit une situation totalement inéditedans la gestion du réseau. Alors que les sources pilo-tables ont disparu à l’exception de l’hydroélectricité,la réserve devient indispensable pour rétablir l’éga-lité de l’équation (1) à l’aide de quantités positivesou négatives qui annulent les écarts entre la produc-tion et la consommation. Constituer cette réserve,capable de gérer ces quantités d’électricité, deman-dera des investissements considérables. Nous n’ensommes pas capables aujourd’hui.

La Figure 2 présente l’énergie horaire géréepar la réserve pour rétablir l’équilibre du réseau.

Figure 2. Energie horaire fournie par la ré-serve pour assurer l’équilibre du réseau (po-sitive pour compléter une production insuf-fisante, négative pour soustraire un excédentde production). Courbe orange : énergie ho-raire donnée par demi-heure ; courbe bleue :moyenne hebdomadaire glissante.

La réserve sort une quantité horaire d’électricité po-sitive, jusqu’à 100 GWh, quand elle complète la pro-duction insuffisante afin d’égaler la consommation.La réserve absorbe une quantité horaire d’électriciténégative, jusqu’à 150 GWh, quand elle retranche, ouefface, le surplus non consommé de la production.Autrement dit, les puissances des installations com-posant la réserve doivent pouvoir ajouter 100 GW auréseau ou en soustraire — 150 GW. Les alternancesapparaissent verticales, instantanées, car l’abscissecouvre la durée de l’année. Un zoom sur une périodeplus courte permettrait de préciser la dynamique desoscillations, ce que nous ne ferons pas ici. Signalonstoutefois qu’au cours de l’année le flux de la réservechange 476 fois de signe, soit 1,3 variations journa-lières en moyenne. La moyenne glissante montréedans la figure est expliquée plus loin.

L’énergie horaire gérée par la réserve est mainte-nant examinée grâce à une autre représentation, lamonotone (Figure 3). La monotone utilise les mêmesdonnées que la Figure 2. Mais alors que dans celle-ci les données sont présentées dans l’ordre chrono-logique, du 1er janvier au 31 décembre, la monotonede la Figure 3 les range dans un tri croissant depuis lavaleur la plus négative pour l’énergie horaire entrante(−150 GWh) jusqu’à la valeur la plus positive d’éner-gie sortante (100 GWh). Les 12 divisions de l’axe hori-zontal, sans dimension, sont gardées. On observe que

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 11: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

340 Marc Fontecave et Dominique Grand

les entrées dans la réserve couvrent une durée pluscourte (5 mois) que les sorties (7 mois).

Une énergie horaire entre dans la réserve chaquefois que la somme des productions dépasse laconsommation. Dans ce cas, la réserve soustraiel’excès des productions afin d’équilibrer la consom-mation et cette soustraction est indiquée par le signenégatif de l’énergie horaire. Cette situation se répèteau cours de l’année sur une durée équivalente à 5mois. Au total, une énergie annuelle de 159 TWh,égale à la surface négative de la monotone, est ainsisoustraite au réseau et mise en réserve. Cette quan-tité d’énergie « stockée » peut être restituée au réseauquand les productions ne suffisent pas à satisfairela consommation, cas qui se produit sur une du-rée équivalente à 7 mois. C’est ce qui se passe dansla branche positive de la monotone qui recouvreégalement une énergie annuelle de 159 TWh, puis-qu’il a été supposé que la réserve transférait simple-ment de l’énergie des périodes de surplus vers cellesdes manques, sans produire d’énergie mais sans enperdre non plus. A cette condition, elle remplit par-faitement son rôle et permet le retour à l’équilibre duréseau.

Il convient, de plus, de distinguer les temporali-tés de ces transferts, à l’intérieur des semaines ousur des temps plus longs, car les moyens de sto-ckage ne peuvent pas répondre avec la même perti-nence à toutes les échelles. Par exemple, les batteriesélectriques conviennent pour l’échelle journalière etmême hebdomadaire mais pas pour l’échelle inter-saisonnière, tandis que le stockage chimique (l’hy-drogène par exemple) convient pour les deux. Afin dedistinguer les deux temporalités, la semaine et l’in-tersaisonnier, une moyenne mobile4 est appliquée à

4La moyenne mobile (ou glissante) filtre les fréquences les plusélevées (filtre passe-bas). On moyenne les données qui précèdentla première donnée de la série chronologique après la période dufiltre. Les fluctuations de fréquence supérieure au filtre sont ainsiéliminées, d’où le nom de filtre passe-bas. Ensuite, on reproduitl’opération sur toutes les données postérieures de la série chrono-logique, d’où le nom de moyenne mobile ou glissante. Dans notrecas, où la durée du filtre est la semaine, on moyenne 336 données(48 demi-heures sur 7 jours) à partir du début de la seconde se-maine de l’année, ceci jusqu’à la fin de l’année. La moyenne mo-bile, tracée dans la Figure 2, élimine donc les fluctuations plus ra-pides que la semaine. Il en de même pour sa monotone reproduitedans la Figure 3. La différence entre la monotone initiale et cellede la moyenne mobile mesure ce qui a été éliminé, les transferts

Figure 3. Monotone rangeant l’énergie ho-raire de la réserve de la valeur effacée (néga-tive) extrême à la valeur restituée maximale.Abscisse sans dimension (numéro d’ordre des« entrées »). Ordonnée : énergie horaire enGWh. Deux monotones superposées dans cetordre : énergie horaire (orange) donnée pardemi-heure et moyenne hebdomadaire glis-sante (bleue). Par suite, la partie orange est lapart d’énergie qui peut être équilibrée au coursd’une semaine (transfert hebdomadaire) et lapartie bleue sur les durées plus longues (trans-fert intersaisonnier). Par transfert hebdoma-daire on entend tout transfert à une échelle detemps inférieure ou égale à la semaine.

la série chronologique des « enregistrements » pouréliminer les fluctuations internes à la semaine. Ce ré-sultat est superposé à la série chronologique initialedans la Figure 2. Le passage à la monotone de la Fi-gure 3 pour le scénario « 100% ENRs en 2050 » permetde montrer que le transfert annuel de 159 TWh se dé-compose en 69 TWh pour la gestion des besoins heb-domadaires (la surface orange)), le reste de 90 TWhétant requis pour la gestion des besoins intersaison-niers (la surface bleue).

Toutes ces données (Figures 1–3) nous permettentd’accéder aux 3 éléments les plus déterminants ducahier des charges pour un système d’installationset services nécessaires à la gestion de l’équilibre duréseau électrique dans le cas du scénario étudié :

• Le transfert annuel total d’énergie doit êtrede 159 TWh se décomposant en 69 TWh de

internes à la semaine.

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 12: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 341

Figure 4. Evolution du niveau d’électricitédans la réserve.

transfert hebdomadaire et 90 TWh intersai-sonnier.

• La puissance installée doit atteindre aumoins 150 GW en entrée pour stocker l’excèset 100 GW en sortie, pour alimenter le réseau(ce sont les extrema de la monotone). Ne pasentrer le débit négatif extrême n’entraîneraitqu’une perte d’efficacité dans l’utilisationdes surplus. Mais ne pas parvenir à sortir 100GW n’est pas acceptable car cela conduit aublack-out.

• La capacité est la quantité minimale d’éner-gie que doit contenir la réserve pour appro-visionner le réseau dans toute période demanque. Pour l’obtenir, on cumule les en-trées et sorties dans l’ordre chronologiquedepuis le début de l’année. La Figure 4 donnel’évolution de ce cumul : la réserve doitêtre capable de contenir 40 TWh (différenceentre la plus haute et la plus basse valeurde la courbe) pour pouvoir passer l’annéesans jamais être vide. La Figure 4 montre 3grandes phases de remplissage saisonnier dela réserve : l’une en mars (remplissage de30 TWh), l’autre en septembre (remplissagede 25 TWh), la dernière enfin en décembre(remplissage de 20 TWh). C’est en janvier-février qu’on observe une consommation dustock (environ 40 TWh). Si la réserve contientmoins de 40 TWh au maximum de son rem-plissage, fin décembre, il n’y aura pas as-sez d’énergie, fin février, au terme de 2 moisd’utilisation de la réserve.

Ces critères doivent être comparés à la situationactuelle, pour bien mesurer le changement dras-tique d’échelle qu’un tel scénario implique. Si on nes’en tient qu’au premier, d’après les chiffres fournispar RTE, on évalue qu’au cours des dernières an-nées en moyenne 11 TWh d’énergie, une énergie an-nuelle 15 fois plus faible que celle du scénario consi-déré, ont été échangés pour répondre à la variabi-lité de l’offre électrique. L’essentiel de cette énergieest aujourd’hui fourni en France par les STEP quiassurent 7 TWh de pompage par an en moyenne.Les 4 TWh restants sont facilement disponibles paréchange d’électricité transfrontalier et par mobilisa-tion de centrales thermiques pilotables (nucléaire etfossiles), on l’a dit. Dans ces conditions « confor-tables », il n’est pas besoin en France, sauf dans dessituations très exceptionnelles, de faire appel à desréductions conjoncturelles de demande, ce qui offreévidemment un avantage considérable pour les indi-vidus et les entreprises.

5. Solutions de stockage pour assurer les159 TWh de transfert annuel du scénarioà 100% d’ENRs

Dans ce chapitre nous essayons de proposer lesmoyens les plus appropriés à mettre en œuvre pourle stockage d’énergie et d’évaluer la quantité d’éner-gie que ces moyens permettent raisonnablement destocker et redonner au réseau électrique, en respec-tant le premier cahier des charges à savoir une quan-tité totale d’énergie minimale à entrer et sortir (pouratteindre si possible 159 TWh). Les deux autres pa-ramètres, la puissance minimale et la capacité mi-nimale de la réserve, seront traités dans un secondtemps. Certaines des technologies discutées ici n’ontpas aujourd’hui une maturité technique et indus-trielle suffisante mais on peut penser que les ef-forts de recherche et développement et les investis-sements annoncés en permettront une réelle mon-tée en puissance dans les prochaines années, parexemple les stockages électrochimique (batteries) etchimique (hydrogène) à grande échelle.

En résumé, les moyens à mettre en œuvre pourles périodes de surplus de production des ENRssont donc : (i) une baisse de la production hydroélec-trique ; (ii) un stockage d’électricité par conversion enune forme d’énergie stable et mobilisable ; (iii) uneexportation d’électricité vers les pays voisins ; (iv) une

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 13: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

342 Marc Fontecave et Dominique Grand

hausse de la consommation. Au contraire, en situa-tion de défaut d’électricité (sans vent, pas d’éner-gie éolienne et, sans soleil, pas d’énergie photovol-taïque), il faut faire appel à : (i) une hausse de la pro-duction hydroélectrique; (ii) une production d’élec-tricité à partir de l’énergie stockée; (iii) une impor-tation d’électricité ; (iv) une baisse de la consomma-tion. Ce sont donc ces différents moyens dont nousévaluons les contributions respectives dans les deuxscénarios étudiés.

5.1. Moyens d’appoint quotidiens et hebdoma-daires

5.1.1. Échanges transfrontaliers

En 2019, La France a échangé avec ses voisins59 TWh d’électricité, essentiellement des exporta-tions (la France est le principal exportateur d’élec-tricité d’Europe), avec des pointes de 300 GWh parjour et une moyenne sur l’année de 160 GWh parjour. D’après la Commission de Régulation de l’Ener-gie (CRE), la France possédait, pour ce faire, desinterconnexions permettant des exportations de13,5 GW de puissance et des importations de 10GW pour alimenter le réseau en période de pénurie.Dans son étude publiée en 2015, « un mix électrique100% renouvelable ? Analyses et optimisations »,l’ADEME avance pour 2050 un solde exportateur nuloù 56 TWh seraient échangés dans les deux sens [3].Ce chiffre est clairement excessif. Sachant que les pé-riodes de surplus et de pénurie sont pour l’essentielidentiques d’un pays à l’autre, il est difficile d’ima-giner que, en situation de surplus, donc dans unesituation de surabondance des ENRs dans tous lespays européens voisins, ces derniers seront preneursde notre électricité et que, en situation de pénurie, ilnous sera facile de trouver auprès d’eux une électri-cité partout manquante. Dans ce dernier cas, on peutanticiper une bataille féroce entre voisins pour ré-cupérer le peu d’électricité, à un prix très élevé, pro-duite par des sources non intermittentes. Il est doncextrêmement délicat d’anticiper ce que sera le niveaude ces échanges dans le scénario étudié en 2050. Pourcette raison, tout en gardant un solde nul, nous pre-nons pour les deux scénarios étudiés, une valeur de16 TWh pour les échanges transfrontaliers, dans lesdeux sens. En période de pénurie, ces importationsapporteront 16 TWh au manque annuel de 159 TWhà combler. En période d’excès, cette même quantité

de 16 TWh pourra être exportée, pour contribuer àéquilibrer l’offre et la demande, à nouveau en es-pérant que nos voisins l’achèteront. Nous retenonségalement les puissances d’entrée et de sortie de 13,5et 10 GW, respectivement, données par la CRE.

5.1.2. Ajustement de la consommation

Dans un travail précédent, un volume de 9 TWha été proposé comme limite supérieure d’énergied’ajustement de la consommation. Dans l’étude del’ADEME 2015 [3], un volume de 16 TWh a été prévu,mais nous considérons que ce chiffre est exagéré-ment optimiste. On peut noter que Wagner estimepour l’Allemagne qu’un volume de 7 TWh pourraitêtre déplacé des surplus vers les manques en ajustantla consommation à la hausse ou à la baisse, néan-moins au prix de très grands efforts de déplacementsd’activités vers les week-ends [10]. Nous choisissonsici une valeur de 8 TWh. On évalue à 5 GW la puis-sance correspondante (Annexe A).

5.1.3. Hydraulique et STEP

La technique la plus courante pour le stockage ré-versible d’énergie, aussi celle qui permet un stockagede masse, est aujourd’hui celle des Stations de trans-fert d’énergie par pompage (STEP), au nombre de5. La puissance installée en STEP en France est del’ordre de 5 GW avec une capacité de stockage jour-nalier d’énergie de l’ordre de 70 GWh, permettant,grâce au pompage, un stockage d’environ 7 TWh paran (chiffres RTE). Cependant, il n’y a guère de pos-sibilité de l’augmenter car la plupart des sites quis’y prêtent (nécessitant deux lacs à la fois proches etd’altitudes différentes pour permettre un pompagevers le lac supérieur au moment où on veut stockerde l’énergie et un turbinage vers le lac inférieur lors-qu’on veut récupérer l’énergie) ont déjà été équipés.Ici, rappelons-nous que les 7 TWh correspondent àl’énergie de pompage et que, considérant un rende-ment de 80% au turbinage, les STEP ne peuvent re-donner au réseau électrique que 5,6 TWh par an. Cetapport du turbinage des STEP s’ajoutant aux 60 TWhretenus dans le scénario, celui-ci suppose donc uneaugmentation de 10% de la production hydroélec-trique par rapport à la situation de 2019.

5.1.4. Batteries électriques

La montée en puissance actuelle des véhiculesélectriques à batterie ainsi que des installations pour

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 14: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 343

le stockage électrochimique invitent à considérerce dernier comme un moyen de stockage perti-nent, avec des perspectives de déploiement à grandeéchelle. Par ailleurs, les investissements en rechercheet développement continuent à produire des batte-ries avec toujours plus de capacités d’énergie, de du-rée de vie, de rapidité de charge (80% en 30 minutes)et de stabilité. Des « gigafactories » de production debatteries sont en train de voir le jour. L’Europe a sou-tenu le projet d’un vaste plan de production de batte-ries, « l’Airbus des batteries », dans lequel investissent7 pays européens et un consortium de grandes en-treprises et de PME. L’enjeu est de rattraper une par-tie du retard sur la Chine et l’Asie, qui dominenttrès largement ce marché encore émergent. Dans cecontexte, nous considérons deux types de moyens destockage électrochimique pour lesquels nous discu-tons ci-dessous des hypothèses choisies et des résul-tats obtenus.

Batteries de stockageLa plus grande capacité de batteries au monde au-

jourd’hui est l’infrastructure appelée « Tesla Mega-pack Installation », occupant 50 hectares de terrain.Utilisant la technologie Lithium-ion, elle offre unepuissance de 182 MW et permet de stocker et déli-vrer au réseau 800 MWh en 6 heures pendant les pics,positifs ou négatifs, de demande. Si l’on fait l’hypo-thèse que cent infrastructures similaires peuvent êtreinstallées, réparties sur le territoire français (sur unesurface de 5000 ha), ces moyens permettent donc defournir une puissance de 18 GW, de remplir la réserveau maximum par une capacité de 80 GWh et d’assu-rer le stockage sur l’année de 12 TWh d’énergie (0,08× 365 × 5/12). En tenant compte d’un rendementde 80%, qui inclut le rendement charge/déchargetrès élevé mais aussi des pertes d’énergie (onduleurs,transformateurs etc.), sur les 12 TWh stockés seule-ment environ 9,6 TWh peuvent être redonnés auréseau.

Batteries de véhicules électriquesL’hypothèse qui est posée ici c’est la possibilité

d’absorber une partie de la production intermittentedes énergies renouvelables et de gérer les besoinsjournaliers et hebdomadaires avec les accumulateursLithium-Ion embarqués dans les véhicules électri-fiés, profitant du très bon rendement énergétiquecharge/décharge de ces batteries lithium-Ion. Pourque le volume d’énergie fournie soit à la hauteur

des besoins, il faut évidemment imaginer un scéna-rio dans lequel une grande partie des véhicules estélectrique à l’horizon 2050. RTE prévoit un parc de15 millions de véhicules électriques en 2035. Nousfaisons la même hypothèse, mais pour l’année 2050.Il faut savoir qu’en 2020 il y a en France 330 000véhicules électriques en circulation sur un parc to-tal de 39 millions de véhicules (dont 32 millions devéhicules particuliers). Il faut donc passer de 1% à40% de véhicules électriques ! D’autre part, nous fai-sons l’hypothèse, raisonnable, basée sur les observa-tions faites sur l’utilisation des véhicules en France,que chacun de ces véhicules parcourt en moyenne 35kms par jour, soit 13 000 km par an. Sachant qu’unvéhicule électrique consomme environ 6 kWh parjour, soit 2200 kWh par an, l’énergie électrique né-cessaire pour recharger l’ensemble de ces véhiculessera donc, chaque jour, de l’ordre de 90 GWh, et, surl’année, nécessitera au total une énergie électriquede 33 TWh. Ce chiffre est très proche de la prévisionpar RTE d’une consommation de 35 TWh dans le casd’un parc électrique de 15 millions de véhicules, re-présentant l’équivalent de 6 réacteurs nucléaires en-tièrement dédiés à la production électrique pour ali-menter ce parc.

Aujourd’hui, on en sait plus sur la véritable du-rée de vie des batteries et les nouvelles sont plu-tôt très bonnes. Par exemple, les retours d’expé-rience montrent que la dégradation des perfor-mances des batteries Panasonic, alimentant les vé-hicules Tesla commercialisés depuis 2012, mesu-rée par la réduction de l’énergie embarquée dis-ponible, est en moyenne de l’ordre de seulement10% à l’issue de 300 000 km. Par ailleurs, grâce auxprogrès de la recherche, on peut espérer atteindre2000 cycles charge/décharge (au lieu des 400 cyclescharge/décharge précédemment anticipés). Avecune autonomie par cycle voisine de 400 km pourune batterie d’environ 50 kWh, de 40 kW de puis-sance, on assure donc au véhicule une durée de viede 800 000 km, correspondant à 60 ans d’utilisation!On voit clairement que des batteries offrant une telledurée de vie peuvent être utilisées comme moyende stockage et production d’énergie électrique ensoutien du réseau électrique, moyennant bien sûrque le propriétaire du véhicule accepte de revendrede l’énergie électrique stockée dans sa batterie auréseau et que l’opération ne se fait pas au détrimentde sa liberté de mobilité et de la durée de vie de son

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 15: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

344 Marc Fontecave et Dominique Grand

véhicule : si l’on retient donc une valeur de l’ordrede 2000 cycles charge-décharge, un conducteur-typepourrait d’une part utiliser 750 cycles au titre dela mobilité du véhicule (soit 300 000 km environ,pendant 23 ans à 13 000 km/an) ; et d’autre part,pendant ces 23 ans, utiliser 1250 cycles résiduelshors mobilité afin de rendre, pendant les périodesde stationnement du véhicule, d’autres types de ser-vices — rémunérés — au réseau électrique, parmilesquels l’effacement des heures de pointe, la régula-tion de fréquence, l’autoconsommation. . . Avec unedernière correction, pour tenir compte du fait queles voitures ne sont pas à tout moment disponiblespour satisfaire la demande du réseau (en mobilité oudéconnectées), nous considérons 1000 cycles corres-pondant à 50 MWh disponibles sur la durée de viedu véhicule (23 ans), soit environ 5,9 kWh par jour etpar véhicule (89 GWh par jour pour les 15 millionsde véhicules). Avec un tel dispositif, extrêmementambitieux, un parc très important de véhicules élec-triques (15 millions) et des batteries de longue duréede vie, on peut calculer : (i) une fourniture maximaleà la réserve de 750 GWh (50 kWh × 15 millions) ;(ii) une puissance considérable de 600 GW ; (iii) unequantité annuelle d’énergie stockée et transférablede 13.5 TWh (capacité journalière de stockage duparc automobile multiplié par le nombre de joursde surplus de production : 0,089 × 365 × 5/12). Entenant compte d’un rendement de 80%, seulementenviron 11 TWh peuvent être redonnés au réseau surl’année.

Avant même l’analyse de la gestion des moyenssaisonniers, un premier bilan permet de tirer laconclusion suivante. En entrée dans la réserve, ensituation d’offre électrique excédentaire, donc pen-dant environ 5/12 de l’année, malgré des hypothèsesextrêmes en ce qui concerne la gestion de l’équilibreoffre/demande par les échanges transfrontaliers, lademande et le stockage électrochimique par les vé-hicules électriques, c’est 56,5 TWh qu’on peut effa-cer, aux échelles de temps courtes (inférieures ouégales à la semaine), loin des 69 TWh disponibles(Figure 3). En fait la différence (12,5 TWh) pourraêtre stockée avec un moyen d’appoint saisonnier ets’ajoutera aux 90 TWh à stocker pour une gestion sai-sonnière du réseau, soit 102,5 TWh. C’est cette der-nière valeur qui sera prise en compte pour calcu-ler la quantité d’hydrogène minimale à produire et àstocker.

5.2. Moyens d’appoint saisonnier

C’est la filière Power-to-Gas-to-Power qui est en effetconsidérée le plus souvent pour le stockage saison-nier, dans laquelle un gaz, stable et stockable sur delongues durées, est produit grâce aux surplus d’élec-tricité. Notre choix se porte sur l’hydrogène pourle stockage intersaisonnier compte tenu des remar-quables propriétés de ce gaz, qui a une très forte den-sité d’énergie massique, soit 33,3 kWh/kg, (et une trèsmauvaise densité volumique en ce qu’il est un gaz etnon un liquide comme le pétrole) et dont la combus-tion/oxydation ne produit que de l’eau. On observeune montée en puissance de l’hydrogène en France,avec l’investissement mis dans cette filière par denombreuses entreprises (Faurecia, Air Liquide, Total-ENGIE, Renault, PSA, etc.) et le plan national Hydro-gène, démarré en septembre 2020, dans lequel l’Etatinvestit 7 milliards d’euros. La même stratégie utili-sant du méthane fonctionnerait également, donnantà peu de choses près les mêmes résultats, avec l’in-convénient de la nécessité de gérer les émissions deCO2 associées.

La France aujourd’hui produit près de 1 millionde tonnes (Mt) de H2 (dans lesquelles sont stockés33,3 TWh d’énergie), cependant presqu’exclusive-ment à 95%, à partir de ressources fossiles (des hy-drocarbures riches en atomes d’hydrogène) par dif-férentes techniques : vaporeformage du gaz natu-rel, oxydation partielle d’hydrocarbures et gazéifica-tion du charbon. Dans un monde sans fossiles, évi-demment ces technologies sont exclues. Nous fai-sons l’hypothèse ici qu’en 2050 les investissementsdans cette filière pendant 30 ans nous auront permisd’installer suffisamment de capacités de puissanced’électrolyseurs pour produire H2 exclusivement parélectrolyse de l’eau, la façon la plus « verte » de pro-duire H2, évidemment si l’électricité utilisée est bascarbone, comme c’est le cas dans les deux scéna-rios étudiés ici. Aujourd’hui les électrolyseurs les plusmatures industriellement sont les électrolyseurs al-calins et les électrolyseurs à membranes échangeusesde protons (PEM), qui fonctionnent avec des rende-ments de l’ordre de 60%. Un troisième type d’élec-trolyseurs, permettant de l’électrolyse à haute tem-pérature et présentant des rendements supérieurs,est actuellement étudié par Genvia, une associationrécemment formée entre le CEA et Schlumberger ;ils sont particulièrement adaptés à un couplage avec

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 16: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 345

les réacteurs nucléaires qui peuvent fournir de la va-peur d’eau à haute température au niveau de la tur-bine. Cependant, compte tenu d’un scénario sansnucléaire et de l’immaturité de la technologie, nousprendrons pour la suite un rendement moyen de 60%pour l’électrolyse de l’eau : il faut donc, sur cette base,55 TWh pour obtenir 1 Mt de H2.

Dans le cas du scénario « production électriquefournie à 100% par les ENRs » les 102,5 TWh res-tants de surplus d’électricité renouvelable peuventêtre stockés par électrolyse de l’eau, produisant en-viron 1,86 Mt d’H2, une valeur très supérieure à laproduction actuelle d’H2 en France. Quelle quantitéd’électrolyseurs industriels doit être mise en placepour les produire ? Le plus grand électrolyseur dumonde actuel, un électrolyseur PEM de 20 MW dela société Hydrogenics au Canada, ayant Air Liquidepour 18% de son capital, produit 8 tonnes d’H2 parjour (soit environ 3000 t par an). Pour stocker le sur-plus, il faudrait donc 620 électrolyseurs, ce qui estévidemment un défi colossal si l’on ajoute tous lesélectrolyseurs nécessaires pour introduire une mo-bilité hydrogène significative en 2050 et pour satis-faire les besoins croissants de l’industrie (pour la syn-thèse de l’ammoniac et du méthanol, pour hydrogé-ner davantage de procédés comme la fabrication del’acier, etc.). Un défi non moins grand serait d’assurerle bon fonctionnement des électrolyseurs en modefortement variable sous l’effet de l’intermittence deleur approvisionnement en électricité. Il faut aussirajouter la nécessité de disposer d’une quantité mas-sive de réservoirs fiables et sûrs, pour stocker l’hydro-gène par exemple sous forme de gaz comprimé à 350bars. Si l’on considère une quantité d’H2 minimaleà stocker représentant environ 40 TWh, la quantitéd’énergie constituant la capacité minimale discutéeau-dessus (Figure 4), il faut stocker une masse d’H2

de 1,2 millions de tonnes, sous un volume de 40 mil-lions de m3 dans une masse de réservoirs de 24 mil-lions de tonnes.

Le très gros inconvénient de la filière Power-to-H2-to-Power est son faible rendement global. Il estselon les sources de 22 à 30%, englobant le rende-ment de l’électrolyse, le rendement de la pile à com-bustible, qui est le dispositif électrochimique qui per-met la conversion de l’énergie chimique contenuedans H2 en énergie électrique, enfin les pertes d’éner-gie nombreuses, notamment celles associées à la né-cessaire étape de compression de l’hydrogène gazeux

(à 350 ou 500 bar) pour le stocker dans le plus petitvolume possible. Pour la suite de l’étude nous pre-nons la valeur de 30%.

Dans ces conditions, dans le cas du scénario « pro-duction électrique fournie à 100% par les ENRs » cerendement explique pourquoi sur les 102,5 TWh sto-ckés, le maximum disponible, on ne peut redonnerau réseau qu’une énergie de 31 TWh.

5.3. Bilan

La Figure 5 compile toutes les contributions auxtransferts d’énergie. Grâce aux échanges transfron-taliers, à la flexibilité de la demande, aux STEP, austockage électrochimique et grâce au stockage chi-mique, via le vecteur hydrogène, certains à uneéchelle inédite, il est possible d’effacer une partie (24TWh) des 159 TWh de surplus annuels et de stockerl’autre partie (135 TWh) pour la réutiliser. Cependant,ce que montre cette figure de façon spectaculaire,c’est l’impossibilité de compenser le manque d’élec-tricité par la mobilisation du stockage. Ceci est dû auxrendements de retour dans le réseau électrique. Ilssont, par exemple, de 80% pour les STEP et les batte-ries électriques. Le pire est la filière Power-to-H2-to-power, puisque sur les 102,5 TWh, seulement 31 TWhsont restitués au réseau. Au bilan, malgré tous les ef-forts de récupération du surplus, la quantité d’éner-gie stockée et redonnée au réseau est de 81 TWh,ce qui conduit à un manque colossal d’énergie élec-trique global de 78 TWh. Sans autres moyens de sto-ckage et sans capacités pilotables, un tel scénario esttout simplement impossible.

On peut noter à l’inverse que, notamment grâceau stockage électrochimique et chimique, les puis-sances minimales requises sont disponibles et le picde remplissage de la réserve (40 TWh) peuvent êtreassurés.

Pour produire les 78 TWh qui manquent au bilan,on peut envisager de constituer une réserve d’hydro-gène supérieure ce qui suppose évidemment l’ins-tallation de capacités supplémentaires d’éolien et desolaire, entièrement dédiées au stockage. Par suitedu rendement de 30% du cycle H2, ces sources de-vraient donc fournir une contribution additionnellede 260 TWh stockés sous forme d’H2 (soit 4,7 Mt), cequi correspond à environ 100 GW et 40 GW de ca-pacités additionnelles d’éolien et de solaire, respecti-vement. Au total, le niveau de production électrique

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 17: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

346 Marc Fontecave et Dominique Grand

Figure 5. Récapitulation des différentsmoyens d’appoint utilisés pour transférerl’électricité entre périodes de surplus et demanque pour le scénario 100% ENR (unitéd’énergie : TWh). Si le surplus peut être tota-lement absorbé, le manque n’est qu’à moitiécomblé à cause des rendements des stockages.

atteint 910 TWh (730 TWh d’éolien et 180 TWh de so-laire) au lieu de 750 TWh initialement prévus, à l’aidede capacités installées de 340 GW et 140 GW pourl’éolien et le solaire respectivement. Ces chiffres pa-raissent inaccessibles. Il faut mesurer ce que cela im-plique en termes de surfaces consacrées à ces ENRs.Une telle évaluation n’est pas simple, mais peut par-tir du constat que 8000 éoliennes totalisant 16 GWde puissance installée produisent actuellement 34TWh par an, en occupant une surface de 1500 km2,ce qui conduirait si l’on prend une valeur haute de26 GWh/an/km2 à occuper 28.000 km2 pour pro-duire 730 TWh. La densité surfacique des installa-tions solaires est plutôt de l’ordre de 60 GWh/km2/anmais avec des annonces récentes se rapprochant de90 GWh/an/km2, ceci donne, au mieux une surfaceoccupée de 2000 km2 pour les 180 TWh. Par suite,on peut estimer que la surface nécessaire aux ins-tallations s’élèverait à près de 30.000 km2 (cinq dé-partements comme la Vienne) obtenue au prix d’unrythme d’artificialisation annuelle de 100.000 ha/an.Soit le double du rythme actuel de 55.000 ha/an d’ar-tificialisation des sols due à d’autres causes et mesu-rée entre 2006 et 2015 par l’enquête Teruti-Lucas [13].

Une autre façon d’assurer l’équilibre est de dis-poser d’un système énergétique comportant dessources d’énergie pilotables bas-carbone, commel’énergie nucléaire. En absence d’énergies fossiles,l’énergie nucléaire est l’une des sources pilotables

possibles. L’hypothèse est raisonnable, en effet,puisque la France est une grande puissance nu-cléaire, possédant une industrie nucléaire de trèshaut niveau, avec 50 ans d’expérience de gestiond’un grand parc de réacteurs nucléaires et de gestiondes déchets radioactifs qui en découlent, et enfinparce que le niveau de production électrique nu-cléaire proposé correspond à peu près au niveauactuel, ce qui démontre la faisabilité du scénario.L’autre façon d’assurer de la pilotabilité énergétiqueest de considérer une part beaucoup plus impor-tante de la biomasse dans la production électrique,en remplacement du nucléaire, comme cela estconsidéré dans certains scénarios. Ce choix n’est pasfait ici car cela demanderait une augmentation mas-sive de récolte et de transformation de la biomasse,pour lesquelles les technologies n’ont pas aujour-d’hui la maturité suffisante. Les surfaces à consacrerpour la culture de la biomasse seraient considérablespuisqu’il faut compter 500 km2 pour obtenir unTWh d’électricité, soit une production surfacique de2 GWh/an/km2 bien inférieure à celles du solaire etde l’éolien [14]. Enfin, ceci poserait un problème réelquant à l’approvisionnement alimentaire et, dans lecadre de la décarbonation de l’énergie, il est préfé-rable de réserver la ressource de la biomasse commesubstitut à l’essence dans les déplacements.

En tous cas, il est clair, au vu des résultats pré-cédents, que des sources pilotables sont indispen-sables au fonctionnement du mix électrique. Lesautres sources décarbonées (hydraulique et bio-masse) ayant contribué au maximum, le nucléairereste ensuite la seule possibilité de source pilotabledécarbonée.

6. Scénario 2050 à 50% ENR et 50% Nucléaire

6.1. Détermination des éléments du cahier descharges : transfert d’énergie annuel, puis-sance, capacité

L’analyse, en utilisant la même méthodologie, du scé-nario « production électrique fournie à 50% par lesENRs et 50% par le nucléaire », caractérisé par la ré-partition montrée dans le Tableau 2, conduit aux ré-sultats suivants. On observe immédiatement sur laFigure 6 montrant l’évolution de la consommation etdes productions un écart entre les deux bien moindre

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 18: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 347

Figure 6. Productions cumulées (rouge) etconsommation (bleue) du scénario 50% ENR.

que dans le scénario précédent (comparer avec laFigure 1).

Cela se traduit par une tension beaucoup moinsimportante sur le réseau électrique, pour équili-brer l’offre à la demande. De fait, le traitement desdonnées, sous la forme de la monotone (Figure 7),conduit à une quantité d’énergie totale à transfé-rer dans l’année de 70 TWh (répartis en 26 TWh àl’échelle au plus hebdomadaire et 44 TWh au-delà)qui peuvent être effacés ou mis en réserve lorsque laproduction est excédentaire par rapport à la consom-mation. Ces 70 TWh sont théoriquement disponiblespour compléter la production quand elle n’atteintpas la consommation. La Figure 7 montre aussi que leniveau de puissance minimal à assurer est de 60 GWen entrée et de 55 GW en sortie. Enfin la Figure 8 per-met de montrer que la capacité de la réserve, pourpouvoir passer l’année, est de 30 TWh. Comme on l’avu précédemment ces deux derniers paramètres nesemblent pas critiques, sous réserve du déploiementdu stockage H2, et ne seront pas davantage traités ici.

6.2. Solutions de stockage

Si l’on reprend les mêmes moyens de stockage queceux considérés dans le scénario précédent, pour gé-rer l’intermittence des ENRs à l’échelle de la jour-née jusqu’à la semaine, il suffit d’utiliser, même sic’est à une hauteur supérieure, les moyens actuels :les STEP, au niveau actuel de 7 TWh, la flexibilité dela demande, au niveau de 6 TWh par exemple, etles échanges transfrontaliers, au niveau de 13 TWh.Il n’est donc plus nécessaire d’utiliser le stockage

Figure 7. Monotone rangeant l’énergie ho-raire de la réserve de la valeur effacée (néga-tive) extrême à la valeur restituée maximaledans le scénario 50% nucléaire. La définitiondes abscisses, des ordonnées et des couleurs estla même que dans la Figure 3.

Figure 8. Evolution du niveau d’électricitédans la réserve dans le scénario 50% nucléaire.

électrochimique, comme dans le scénario précédent.Bien sûr, rien ne l’interdit, notamment en prévisionde tensions qui pourraient venir d’une flexibilité dela demande difficile à obtenir et des échanges trans-frontaliers qui pourraient ne pas être suffisants. Dansce cas, on pourrait envisager un nombre, maintenantraisonnable, d’infrastructures de batteries dédiées austockage ainsi que l’absorption de la production in-termittente des énergies renouvelables avec les ac-cumulateurs Lithium-Ion embarqués dans les véhi-cules électriques, mais dans une proportion beau-coup moins importante que celle qu’imposait le scé-nario précédent.

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 19: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

348 Marc Fontecave et Dominique Grand

Pour ce qui est de l’échelle saisonnière, pour la-quelle le concept de flexibilité concerne la gestionde l’énergie en tant que stock, la situation est éga-lement beaucoup plus confortable puisque, contrai-rement au scénario précédent, notre système éner-gétique dispose, dans ce second scénario, de nom-breux réacteurs nucléaires, pilotables. Comme il l’estaujourd’hui, ce parc nucléaire sera flexible (c’est-à-dire qu’il aura la capacité d’ajuster sa production enfonction de la demande, en modulant facilement lapuissance électrique qu’il fournit, évidemment dansune certaine limite). Ce que montrent les donnéesactuelles de RTE c’est que, les jours de grand beautemps ou avec beaucoup de vent, la puissance duparc nucléaire peut s’effacer de 20 GW environ auprofit des productions éolienne et solaire, soit prèsd’un tiers de sa capacité nominale (63 GW).

Nous proposons deux méthodes extrêmes pourtraiter les 44 TWh d’énergie en excès qu’il reste àrécupérer. Dans le premier cas, on n’utilise pas dutout l’hydrogène comme vecteur de stockage. La di-mension du parc nucléaire dans ce scénario (four-nissant 375 TWh en 2050, correspondant à environ65 GW) permet sans problème d’effacer 44 TWh (en-viron 12% du total). Pour fournir 45,4 TWh 5 man-quant dans les périodes sans soleil et sans vent il fautune production nucléaire supplémentaire de l’ordrede 7 GW (soit 4-5 réacteurs EPR supplémentairesenviron).

Dans le second cas (Figure 9), on transforme les 44TWh d’électricité en excès en hydrogène (productionde 0.8 Mt H2) et cet hydrogène en électricité : avec unrendement de 30%, cela permet de fournir au réseau13,2 TWh en période de déficit. La quantité d’énergiemanquante, 32,2 TWh, peut être fournie par un sur-croit de parc nucléaire, correspondant à 5 GW (soit 3-4 réacteurs supplémentaires environ, voir Annexe B).

Des efforts de R et D sont déjà mis en œuvre pouraugmenter encore la flexibilité des prochains EPR.Cela passe par : (i) la conception d’assemblages com-bustibles innovants pour limiter les contraintes mé-caniques sur le combustible, associées aux variationsde puissance ; (ii) l’étude de l’impact de la flexibilitésur la maintenance et la durée de vie des installa-tions ; (iii) la conception de nouveaux outils d’aide au

5En ajoutant les 1,4 TWh perdus lors des transferts dans lesSTEP. Le chiffre serait augmenté avec l’usage de batteries.

Figure 9. Récapitulation des différentsmoyens d’appoint utilisés pour transférerl’électricité des périodes de surplus aux pé-riodes de manque dans le scénario 50% ENR(unité d’énergie : TWh). Seul le second cas,pour lequel le manque est alimenté par unecombinaison de nucléaire et d’hydrogène sto-cké, est illustré. Dans le premier cas, les 45,4TWh manquants sont fournis exclusivementpar le nucléaire.

pilotage pour les opérateurs ; (iv) la garantie d’un liende qualité entre la centrale et le réseau électrique.

7. Conclusion

Les résultats présentés ici constituent le fruit d’uneétude originale visant à quantifier le plus précisé-ment possible l’impact des ENRs sur les besoins enstockage d’énergie. On pourra certainement critiquercertaines des hypothèses faites ici, comme le ni-veau de consommation électrique proposé pour 2050(mais avec 750 TWh on a un niveau proche de ce-lui proposé par de nombreux scénarios), le rapportéolien/solaire (mais ce rapport de 4:1 choisi est plu-tôt favorable aux ENRs puisque l’énergie éolienne aun facteur de charge supérieur) ou encore les vo-lumes d’énergie transférés par variations de la de-mande et par les échanges transfrontaliers, enfin lesespoirs mis dans l’utilisation massive des batteriesdes véhicules électriques pour équilibrer les entréeset les sorties du réseau électrique. Mais, dans tousles cas, ce que montre clairement cette étude c’estque les besoins de stockage d’énergie seraient colos-saux, dans un pays comme la France, dès lors qu’ellene posséderait, pour l’essentiel, que des sources in-termittentes pour la production électrique (éolien et

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 20: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

Marc Fontecave et Dominique Grand 349

solaire). Cette question est peu prise en compte etces données rarement produites et considérées dansla plupart des scénarios 2050 proposés par des or-ganismes publics (ADEME, RTE, . . .), des associations(Negawatt, Greenpeace, . . .) ou l’Agence Internatio-nale de l’Energie. Cette étude montre aussi que lestockage de long terme par la stratégie Power-to-H2-to-Power, souvent présentée comme la solution, esten fait une très mauvaise solution, en raison d’untrès faible rendement et de la perte de près des troisquarts d’une énergie précieuse. Certes, l’équilibreoffre/demande peut être atteint, il le faut absolumentpour éviter les black-outs, mais au prix de quantitésgigantesques de puissance installée d’éoliennes, depanneaux solaires, d’électrolyseurs et de piles à hy-drogène, clairement inaccessibles, dans l’état actueldes technologies, des surfaces disponibles et de l’ac-ceptabilité d’un tel déploiement. Même avec des scé-narios de sobriété énergétique extrême, qui ajoutentla perspective de sociétés à la fois plus pauvres et plusautoritaires, les défis du stockage d’énergie, en ab-sence de sources pilotables, sont déterminants pournotre avenir.

Comme on pouvait l’anticiper, dès lors qu’unesource énergie bas-carbone, comme l’énergie nu-cléaire, est ajoutée au mix électrique (ici au niveaude 50%), au prix de l’ajout d’un petit nombre de ré-acteurs supplémentaires, il n’y a pour l’essentiel plusde problème à l’équilibre offre/demande, nécessaireà la stabilité du réseau électrique. Et il n’a pas été dis-cuté ici d’autres avantages d’un tel scénario, à savoirpar exemple une moindre artificialisation des sols(pour le nucléaire 15000 GWh/an/km2), une moindrenécessité, très coûteuse, d’adapter/transformer leréseau électrique, une moindre utilisation de res-sources minérales et de matériaux, etc. Bien sûr l’in-convénient majeur d’un maintien à 50% de la part del’énergie nucléaire dans la production électrique estune production continue de déchets nucléaires dontil faut assurer la gestion dans la plus totale sécurité,comme nous le faisons aujourd’hui et comme, de-main, nous pourrons le faire avec le stockage de cesdéchets en couche géologique profonde. Pour ce quiest du nucléaire, cette question de la maitrise des dé-chets nucléaires peut être également traitée à traversun renouveau de la recherche sur les réacteurs à neu-trons rapides de 4eme génération, pour les déployer àla fin du siècle, comme le préconise l’Académie desSciences [15].

En conclusion, comme nous le montre claire-ment cette étude et comme nous poussait à le pen-ser le rapport AIE-RTE [5], il n’y a pas d’autres so-lutions pour un avenir décarboné qu’un mix élec-trique d’énergies bas-carbone comportant à la foisdes énergies renouvelables (surtout éolien et solaire)et des énergies pilotables, essentiellement nucléaire,à un niveau significatif.

Annexe A. Evaluation de l’énergie transférablepar les stockages et échanges

Le flux entre la réserve et le réseau change envi-ron 500 fois dans l’année dans les deux scénariosconsidérés (472 fois pour celui à 100% et 552 foispour 50%). En moyenne sur l’année cela fait un peumoins d’un cycle quotidien, chiffre que nous prenonspour la suite. La capacité de ces cycles à emmagasi-ner de l’électricité dans la réserve n’est effective quelorsque qu’il y a surplus de production intermittente,soit 5/12eme de l’année (cf. Figure 3). Ce sont donc365× (5/12) ou 150 cycles annuels qui donnent auxdifférents moyens mobilisés pour la réserve la possi-bilité de récupérer le surplus pour un usage différé.

Les moyens ont leur propre limite pour récupérerces surplus :

• pour les stockages c’est leur capacité enGWh. Par exemple les STEP françaises offrentune capacité d’environ 70 GWh. Supposantqu’elles fonctionnent à pleine capacité pources 150 cycles annuels, cela permettrait derécupérer 0,07 × 150 = 10 TWh. En fait lepompage représente actuellement environ7 TWh, chiffre que nous avons retenu. Maispour les autres moyens de stockage par bat-teries, nous avons adopté la méthode de cal-cul qui surévalue les possibilités d’après cequ’elle donne pour les STEP.

• pour les échanges transfrontaliers, la li-mite est la capacité en GW des lignes élec-triques transfrontalières : 10 GW à l’importa-tion d’après la CRE, chiffre qu’il faut retenirdans le cas d’un solde nul des échanges. Cequi donnerait 15 TWh et au mieux 16 TWhcomme retenu dans le texte. Dans le casdes effacements résultant de contrats passésavec des industriels, services ou particuliers,la même limite s’appliquerait aux puissancesdes compteurs de raccordement.

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350

Page 21: Les scénarios énergétiques à l'épreuve du stockage des ...

350 Marc Fontecave et Dominique Grand

Annexe B. Scénario 50% : fourniture des 45,4TWh manquants par le nucléaire pi-lotable

Dans le scénario à 50%, la période de manque à ap-provisionner représente 6,2/12 de l’année soit 4530 h.Une puissance de 10 GW fournirait la productionmanquante de 45,4 TWh sur cette durée.

Pour obtenir ce supplément de puissance par rap-port à ce que le parc nucléaire de 65 GW a déjà pro-duit pour le scénario, on peut augmenter le facteurde charge. Celui-ci étant déjà de 87% pendant le tri-mestre d’hiver le plus critique, cette possibilité est li-mitée. Admettons une montée à 92% de facteur decharge, soit 5% d’augmentation, ceci apporterait 3,3GW sur les 10 GW nécessaires.

Le reste, 7,2 GW doit provenir d’une capacité nu-cléaire supplémentaire de 5 réacteurs de 1,6 GW.

Références

[1] Greenpeace, « La transition énergétique est possible :notre scénario vers 100% de renouvelables », 2015,https://www.greenpeace.fr/la-transition-energetique-est-possible-notre-scenario-vers-100-de-renouvelables/.

[2] Negawatt, « Scénario négawatt 2017-2050 », https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2017-2050.

[3] ADEME, « Actualisation du scénario énergie climat 2030–2050 », 2017, https://www.ademe.fr/scenarios-2030-2050-vision-energetique-volontariste.

[4] E. Beeker, M. Degremont, « Quelle sécurité d’approvi-sionnement électrique en Europe à horizon 2030 ? »

(janvier 2021), France Stratégie, note d’analyse,https://www.strategie.gouv.fr/publications/securite-dapprovisionnement-electrique-europe-horizon-2030.

[5] AIE, RTE, « Conditions et prérequis en matière de faisabi-lité technique pour un système électrique avec une forteproportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 » (jan-vier 2021), https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050.

[6] European Commission, « Energy statistical pocketbook andcountry datasheets », https://ec.europa.eu/energy/data-analysis/energy-statistical-pocketbook_en.

[7] RTE Eco2mix, « Données définitives de 2019 », https://www.rte-france.com/eco2mix/telecharger-les-indicateurs.

[8] RTE, « Futurs énergétiques 2050 » (juin 2021), https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques#Lesdocuments.

[9] Académie des Technologies, « Avis ; Perspective de la de-mande française d’électricité d’ici 2050 » (mars 2021),https://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-actualites/Avis_besoins_energie_2021.pdf.

[10] F. Wagner, Eur. Phys. J. Plus, 2014, 129, article no. 20.

[11] D. Grand, C. Le Brun, R. Vidil, F. Wagner, Eur. Phys. J. Plus,2016, 131, article no. 329.

[12] T. Linnemann, G. S. Vallana, VGB PowerTech, 2019, 3, 64-80.[13] SSP, SRISE, « TERUTI LUCAS », https://artificialisation.

biodiversitetousvivants.fr/bases-donnees/teruti-lucas.[14] J. M. Jancovici, « Pourrait-on alimenter la France en

électricité uniquement avec du solaire ? Ou de labiomasse? », 2012, https://jancovici.com/transition-energetique/renouvelables/pourrait-on-alimenter-la-france-en-electricite-uniquement-avec-du-solaire-ou-de-la-biomasse/.

[15] Académie des Sciences, « Considérations sur les réacteurs nu-cléaires du futur » (juillet 2021).

C. R. Chimie — 2021, 24, n 2, 331-350