Les Républicains espagnols déportés de France

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Les Républicains espagnols déportés de France Triangle bleu Documentation et Archives des Républicains espagnols déportés de France

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Les Républicainsespagnols

déportés de France

Triangle bleuDocumentation et Archives

des Républicains espagnols déportés de France

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La déportation des Républicains espagnols com-mence le 6 août 1940. Ce jour-là, 392 d’entre eux fran-chissent les portes du camp de Mauthausen, situé prèsde Linz,dans l’Autriche annexée par le Troisième Reich.Ils sont les premiers des 161 000 hommes et femmesdéportés de France dans le cadre du système concentra-tionnaire nazi : les uns par mesure de répression (résis-tants, opposants, otages), au nombre de 85 000, dontplus de 40 % mourront ; les autres parce que Juifs, aunombre de 76 000 (parmi lesquels 11 000 enfants) dontplus de 97 % disparaîtront dans les chambres à gaz.

Entre 1940 et 1942,7 200 Espagnols ont été volontai-rement rassemblés à Mauthausen, marqués du trianglebleu des « apatrides » et du « S » de Rot Spanier, cesEspagnols rouges contre lesquels les nazis de la LégionCondor avaient essayé leurs armes et leurs techniquesde combat durant la Guerre d’Espagne, entre 1936 et1939, aux côtés du général Franco dont la dictatures’éternisera jusqu’en 1975.

Plus de 5 000 Espagnols ont laissé leur vie àMauthausen comme les 118 000 camarades de 27 autresnationalités : qui épuisé dans la carrière de granit et sonsinistre escalier de 186 marches ; qui soumis à expéri-mentations médicales au château d’Hartheim ; qui exé-cuté ; qui anéanti par la faim ou le désespoir.

À partir de 1943, d’autres Espagnols, hommes etfemmes, ont connu les camps de Buchenwald, Bergen-Belsen,Dachau,Flossenbürg,Neuengamme,Ravensbrück,Sachsenhausen-Orianenburg, Auschwitz, marqués du triangle rouge des « politiques » soit avec « SP » pour« Spanier », soit avec le « F » des Français qu’ils étaientmoralement devenus en s’engageant dans la Résistance.

Entre 1940 et 1945, plus de 12 000 Républicainsespagnols* ont connu l’enfer d’un système concentra-tionnaire conçu pour le travail forcé et pour l’extermi-nation.

* Sans compter les 35 000 Espagnols soumis au travail forcé del’Organisation Todt (dépendant directement d’Hitler) chargéede la construction des infrastructures militaires allemandes.

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Les déportés espagnols onttraversé deux périodes qui ontconditionné leur engagementpersonnel, social et politique : laRépublique et la Guerre civile.Ces deux événements sont descomposantes essentielles deleur trajectoire vers les campsde la mort, de leur situationdans le système concentration-naire et du retour à la libertépour les survivants.

La Deuxième République : le 14 avril 1931, l'Espagne inau-gure une Deuxième République.Le roi Alphonse XIII quitte lepays sans abdiquer. L'annéeprécédente, le général dicta-teur Miguel Primo de Riveraavait aussi abandonné le terri-toire. Les haines et les rivalitésne font que s'exacerber. Lesélections législa-tives de juin 1931confirment le suc-cès des Républi-cains. Une majoritéde gauche entre àl’assemblée natio-nale des Cortes.Manuel Azaña, pré-sident du Conseil,réforme l’armée,prépare la sépara-tion des Églises et

de l’État, nationalise les édificesreligieux et proclame :« L’Espagne a cessé d’êtrecatholique ». Une réformeagraire est lancée, le suffrageuniversel est étendu aux sol-dats et aux femmes qui ontpour figures de proue FedericaMontseny, anarchiste, et LaPasionaria, communiste. Ladroite réagit et remporte lesélections législatives de 1933.Après une période d’instabilitéet de violences, le Frente popu-lar gagne les législatives du 16février 1936. Le 17 juillet 1936,la garnison de Melilla se sou-lève sous le commandement dugénéral Franco. Le 18 juillet, laGuerre civile est déclenchée.

La Guerre civile : le conflitmarque le prélude direct de la

Deuxième Guerrem o n d i a l e . E nEurope, il est unenjeu de la lutteentre démocrateset fascistes. L’inter-nationalisation duconflit est mani-feste : Brigadesinternationales auxcôtés des Républi-cains, forces mili-taires allemandes

De la République (1931)à la Guerre civile (1936-1939)

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Le 15 août 1936, les Milices républicaines de Tarragone en route pour Lérida.

et italiennes aux côtés de Francoet inaugurant les bombarde-ments sur les populations civiles(Guernica et Barcelone). La non-intervention des démocratieseuropéennes, les divisions à l’in-térieur du camp républicaininflueront également sur leconflit perdu le 28 mars 1939,avec la chute de Madrid. Lacélèbre bataille de l’Èbre a duré114 jours et fait 100 000 vic-times. Le conflit totalise environ400 000 morts (pour 26 millionsd’habitants). La répression quisuit fait des centaines de milliersde victimes.

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La guerre est perdue pour laRépublique ! La Retirada, laretraite, s’écoule sur les routesfin janvier et début février1939. 450 000 femmes, enfants,vieillards, invalides suivis par lessoldats de l’armée républicaine,fuient vers la France et passentla frontière dans le départementdes Pyrénées-Orientales. Ils arri-vent dans un pays très divisé.Une partie de la population,minoritaire, entend accueillir« les combattants de la liberté »,

une autre partie, majoritaire,fustige « les Rouges ».

La crainte s’installe et lamachine d’État applique le droitd’asile dans des conditionsdésastreuses en concentrant lesréfugiés dans des camps dissémi-nés à travers le Sud-Ouest :sur lesplages d’Argelès-sur-Mer et deSaint-Cyprien, ainsi qu’auBarcarès, dans les Pyrénées-Or ienta les ; à Agde, dansl ’Héraul t ; au Vernet , dansl’Ariège ; à Bram, dans l’Aude ;

La Retirada et les camps français

En quelques semaines, au début de 1939,450 000 militaires et civils convergent à lafrontière française, côté méditerranéen.

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à Septfonds, dans le Tarn-et-Garonne ;à Gurs,dans les Basses-Pyrénées. Les Républicainsespagnols sont ainsi les premiersétrangers auxquels est appliquésur une grande échelle le décretdu 12 novembre 1938 prévoyantl'internement des étrangers dits« indésirables ».

La punition est double : aprèsle temps de la défaite,vient celuide l’humiliation derrière desbarbelés surveillés par des élé-ments de l’armée française (gen-darmes et tirailleurs sénégalais),dans des conditions d’hygiène

très précaires. Certains rentre-ront en Espagne, d’autres émi-greront en Amérique latine, descivils seront répartis en France,d’autres s’enrôleront dans l’ar-mée, notamment dans lesCompagnies de TravailleursÉtrangers (CTE) envoyées surle front pour des travaux dedéfense. Beaucoup mourrontdurant l’offensive allemande demai juin 1940. Plusieurs mil-liers seront faits prisonniers,enfermés dans des stalags, der-nière étape avant les camps dela mort.

Une mauvaise surprise attend les Républicains espagnols… Ils sont enfermés dans divers camps comme au Boulou (ci-dessus) ou à Argelès-sur-mer (ci-contre) dans des conditions désastreuses,accentuées par le plein hiver.

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La déportation systématiquedes Républicains espagnols versles camps de la mort est décidéeau plus haut niveau. Les nazissélectionnent les anciens « com-battants rouges d’Espagne »parmi les détenus dans les sta-lags. Ils n’ont pas oublié leurengagement direct sur les frontsespagnols et contre les popula-tions. Les Républicains espa-gnols sont des « ennemis duReich ». Un premier convoi estconstitué le 4 août 1940, il arrive

le 6 août à Mauthausen. Le 23septembre, Ramón SerranoSuñer, ministre de l’Intérieur dugouvernement fasciste, beau-frère du général Franco, ren-contre Hitler, Himmler etHeydrich. Deux jours plus tard,un ordre officiel de déportationsystématique est diffusé.

Un statut spécial est déter-miné. Les Républicains sontclassés parmi les « apatrides ».Un triangle bleu marqué d’un« S » est cousu à leur costume

Les Triangles bleus de Mauthausen

La poignée de main entre Ramón Serrano Suñeret un haut dignitaire nazi en septembre 1940… Elle symbolise un pacte fatalpour les Républicains.

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Les camps de la mort programmée.

rayé. Ils sont considérés commedes « Rot Spanier » (« Rougesespagnols »). Dans un premiertemps, ils sont envoyés systéma-tiquement à Mauthausen. Cinqtransports s’organisent dès août1940 (1 054 personnes). 3 385seront déportés entre sep-tembre 1940 et janvier 1941.Pour cette période, le dernierconvoi est le plus meurtrier :des 1 472 enregistrés, 1 079mourront pour la plupart aucamp annexe de Gusen.

Un événement singulier sur-v ient le 20 août 1940 àAngoulême : 927 Espagnols,hommes, femmes, enfants, per-

sonnes âgées, sont embarquésdans un train. C’est le premierconvoi de civils parti de Francepour les camps. Il arrive àMauthausen le 24 août. 470d’entre eux environ sont sélec-tionnés, le plus jeune a treizeans. 370 environ mourront. Lesautres membres du convoireprennent le chemin en sensinverse et sont livrés au régimefranquiste en gare d’Irun.

Cette odyssée est un faitparmi les plus marquants del’histoire de la déportation espa-gnole dont Mauthausen et sonensemble de Kommandos repré-sentent le lieu symbolique.

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« L’escalier de la mort »,les 186 marches de la carrière de Mauthausen, où les déportés remontaient à dos d’homme les blocs de granit, sous les coups des Kapos et des SS. Certains étaient jetés dans le vide.

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Ils ne sortiront des camps que« par la cheminée du créma-toire » entendent les déportés àleur arrivée. Ils n’ont plus denom, mais un chiffre matricule.Les nazis les martyrisent, lesassassinent, les livrent à desexpériences médicales, les sou-mettent au travail forcé. Unenote officielle dit :« L’utilisation decette main-d’œuvredoit être épuisanteau sens propre duterme, afin d’obtenirle plus haut niveaude production »,puis, « la durée dutravail ne comporteaucune limite ».

Comme l eur scamarades d’autresnat ional i tés , lesEspagnols t i rent

le granit de Mauthausen quisert aux grands travaux duReich, creusent les souterrainsqui abritent l’arsenal deguerre, triment dans les ate-liers de production d’armes,etc. Les SS ont tous les droits, ycompris celui de tuer. À la mi-1944, la durée moyenne de

survie est de 6 mois.À Ravensbrück,

réservé essentielle-ment aux femmesparmi lesquelles beau-coup d’Espagnoles,Neus Català, jeunefemme du Priorat,résiste comme ellele peut et survitgrâce à la solidaritépartagée avec sescompagnes, parmilesquelles GenevièveAnthonioz de Gaulle.

Neus Català, « Neige »,Républicaine espagnole dans

la Résistance française, arrêtéepar la Gestapo à Limoges

en 1944 et déportée à Ravensbrück.

À Ravensbrück, des femmes affectées à d’épuisants travaux de terrassement.

L’empire du travail forcé

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Les 21 et 22 juin 1941, tous les déportés de Mauthausen sont rassemblés, nus, dans la cour des garages. Les Républicains espagnols profitent de l’occasion pour monter une organisation de solidarité et de résistance.

À Ravensbrück,trois femmes marquéesd’une croix peinte dans le dos pour mieux lesabattre en cas d’évasion.

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Malgré la mort omniprésente et les risquesextrêmes, la solidarité entre déportés s’est exer-cée dans les camps, et même des organisations derésistance nationales et internationales ont vu lejour. À Ravensbrück, les Espagnoles et leurs cama-rades de la Résistance française se sont épauléesconstamment comme pendant la lutte contre l’oc-cupant en France. À la libération de Dachau,Edmond Michelet, futur ministre du général deGaulle, a fait rapatrier ses camarades espagnols aunez et à la barbe des forces américaines qui vou-laient les retenir et étudier leur cas, les considé-rant comme des « personnes déplacées ».

À Mauthausen, où les Espagnols étaient les plusnombreux, une organisation d’abord communiste,puis élargie aux autres forces politiques, puis auxautres nations, a vu le jour le 22 juin 1941. C’estelle qui est à l’origine du vol des photos d’exac-tions prises par les SS et qui ont contribué à lacondamnation de certains d’entre eux au procèsde Nuremberg.

Solidarité et résistance

Le 13 mai 1945,huit jours après la

libération deMauthausen,

les communistes du PCE et du Parti

Socialiste UnifiéCatalan

(communiste)en réunion dans la

grande salle desdouches du camp.

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Les Espagnols rentrent descamps dans l’espoir de retrou-ver leur pays. Ils pensent queles démocraties renverseront ladictature du général Franco.L’espoir sera démenti. Le retourà la liberté s’accompagne dedifficultés adminis-tratives et person-nelles. On ne leurreconnaît pas lestatut d’ancienscombattants del’Armée française.Ils s’autoproclamentdes Don Nadie, desMonsieur Person-ne… La directiondu PCE (Parti Com-muniste Espagnol)accuse ses membresdéportés de collabo-

ration et de traîtrise, pour êtretombés aux mains de l’ennemi.

La plupart s’installent enFrance, souvent grâce à la soli-darité de celles et de ceuxrevenus avec eux de l’enfer. Ilss’intègrent, mais en conservant

au fond d’eux-mêmes la nostal-gie de la terreperdue. L’exil forcés’ajoute aux sé-quelles psycholo-giques propres àtous les déportés.Les séquelles phy-siques font quebeaucoup d’entreeux ne reverrontp a s l ’ E s p a g n edébar rassée deFranco en 1975.

La liberté recouvrée, l’exil demeure

Les Républicains espagnols photographiés le jour de la libération du camp de Mauthausen, le 5 mai 1945.

Paris, 1945 :loin de l’Espagne natale…

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Présents sur le frontde guerre aux pre-miers jours de l’inva-sion ainsi que dans laRésistance, les Répu-blicains espagnols ontjoué un rôle considé-rable dans la libéra-tion de nombreusesvilles françaises. Parexemple, en août1944, la compagnie laNueve de la DivisionLeclerc entre la pre-mière dans Paris etoccupe l’Hôtel-de-Ville.

Le 10 juin 1944,19 Espagnols réfu-giés sont identifiés parmi les 642victimes du massacre d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), perpétré parla division Das Reich. Parmi les per-sonnes brûlées, les jumeaux Astor etPaquita Serrano Pardo, nés l’annéeprécédente à Limoges.

Les Républicains espagnols,gravés dans l’histoire de la France

occupée et libérée

Les guerrilleros de la Savoie à Annecy,devant le monument aux chasseurs alpins.

Les chars de la Nueve portent le nom des grandes batailles de la guerre d’Espagne, commeGuadalajara, Belchite, Brunete…

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Ce document a été réalisé par Triangle bleu (documentation et archives sur les Républicains espagnolsdéportés de France) et par Génériques (organisme de recherche et de création culturelle

sur l’histoire et la mémoire de l’immigration en France au XIXème et XXème siècles).34 rue de Cîteaux - 75 012 Paris — www.generiques.org — www.trianglebleu.net

Crédit photos : CHAN - Archives Nationales (pages 1, 2, 10, 12 haut), Excelsior-L’Équipe (pages 6,7),FNDIRP - Fédération Nationale des Déportés Internés Résistants et Patriotes (pages 9, 11 haut, 12 bas),

BDIC (page 11 bas), Musée de la Déportation et de la Résistance de Toulouse (page 15 haut),Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et Musée Jean Moulin (page 15 milieu), fonds

José Perlado (page 14 bas photo Francesc Boix), fonds Joan Tarragó (pages 5, 13 photo Francesc Boix),Francesc Boix (page 14 haut), Centre de la Mémoire de Oradour-sur-Glane (page 15 bas),

Anon (page 4), Horacio German (page 5 bas), non sourcée (page 8).

Texte : Llibert Tarragó (Triangle bleu) — Recherche iconographique :Virginie Beaujouan (Génériques)

Ouvrage réalisé avec le soutien de la Commission européenne

Un jour, nous serons vieux.Nos mains tremblantesEn feuilletant les pages de nos viesRamèneront cette douleur ardenteJusqu'à hurler au fond de l'insomnie.Le feu cruel brûlant sous les paupières,Le vieux soldat criera sous un frissonÀ lui serrer les poings — qui les desserrentAvec la haine aveugle pour prison ?Voici l'appel, vous êtes debout pendant des heures,Tous confondus dans vos loques rayées.Qui oubliera cette inoubliable image ?La pendaison devant l'entrée du camp,Le condamné et son dernier visage,À son cou, la corde comme un serpent ?Et qui pourra jamais parler des crématoires ?Et qui pourra jamais compter combien de viesMêlées ont fait ces fumées noires ?Et cette odeur qui reste et qui vous tient ?Les fouets, les nerfs de bœuf, les bastonnades,La mort, le sang, la peur de chaque jour ?Tout est inscrit dans votre corps malade,Aussi brûlant que le premier amour.

(Poème anonyme d’un déporté russe)

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