Les reconfigurations du travail infirmier à l’hôpital · Les reconfigurations du travail...

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Les reconfigurations du travail infirmier à l’hôpital Françoise Acker* Les établissements de santé, hôpitaux publics, hôpitaux privés participant au service public et cliniques privées à but lucratif, sont actuellement tous « en chantier », qu’il s’agisse de la redéfiniton de leur mode de fonctionne- ment interne ou de leur positionnement dans l’ensemble de l’offre de soins. L’encadrement externe des établissements a surtout porté sur leurs mis- sions (types de spécialités médicales offertes, niveau de spécialisation des services, niveau du plateau technique) définies dans le cadre des schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROSS) et des contrats pluriannuels entre les établissements et les agences régionales d’hospitalisation (ARH) ainsi que sur les modalités d’établissement de leurs ressources financières en fonction d’une évaluation de leur activité (PMSI et, plus récemment, T2A 1 ). Dans ce cadre les directions des établissements mettent en place de nouveaux modes d’organisation qui ont pour objet d’assurer une meilleure intégration des différents services et d’accroître l’efficience d’ensemble. La gestion des ressources humaines devient plus resserrée et les responsa- bles cherchent à calculer au plus juste les effectifs et les compétences nécessaires dans les services de soins. Tout ceci conduit à définir de nou- veaux espaces de travail et de nouveaux référentiels (Mossé, 2000). Cepen- dant, la nécessité de porter attention aux modifications du travail lui-même, travail qui constitue la « part oubliée des restructurations hospitalières » selon Raveyre et Ughetto (2003), ne semble s’imposer que de façon récente. La plupart des travaux ont abordé cette question sous l’angle de la recomposition des personnels (réduction des effectifs et recomposition des qualifications), de l’organisation du travail, de l’intensification du travail, des conditions de travail ou encore de la souffrance au travail. Dans cet article, je m’intéresse à la façon dont le travail des infirmières se reconfigure actuellement dans les établissements de court séjour en fonc- tion des nouvelles donnes qui pèsent sur le développement des établisse- ments de santé de l’extérieur et en fonction des situations locales dans lesquelles les infirmières ont à conduire leurs actions de soins. E. Hughes avait, au début des années cinquante, proposé un programme d’analyse du travail infirmier (Hughes, 1996). Pour lui, le travail des infirmières com- prend tout ce qui doit être fait dans un hôpital, mais qui n’est pas fait par d’autres catégories de personnes. Il convient donc d’étudier les tâches à 161 * Sociologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé et société, CERMES. 1 PMSI : programme de médicalisation du système d’information ; T2A : tarification à l’activité.

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Les reconfigurations du travail infirmierà l’hôpitalFrançoise Acker*

Les établissements de santé, hôpitaux publics, hôpitaux privés participantau service public et cliniques privées à but lucratif, sont actuellement tous« en chantier », qu’il s’agisse de la redéfiniton de leur mode de fonctionne-ment interne ou de leur positionnement dans l’ensemble de l’offre de soins.L’encadrement externe des établissements a surtout porté sur leurs mis-sions (types de spécialités médicales offertes, niveau de spécialisation desservices, niveau du plateau technique) définies dans le cadre des schémasrégionaux d’organisation sanitaire (SROSS) et des contrats pluriannuelsentre les établissements et les agences régionales d’hospitalisation (ARH)ainsi que sur les modalités d’établissement de leurs ressources financièresen fonction d’une évaluation de leur activité (PMSI et, plus récemment,T2A 1). Dans ce cadre les directions des établissements mettent en place denouveaux modes d’organisation qui ont pour objet d’assurer une meilleureintégration des différents services et d’accroître l’efficience d’ensemble.La gestion des ressources humaines devient plus resserrée et les responsa-bles cherchent à calculer au plus juste les effectifs et les compétencesnécessaires dans les services de soins. Tout ceci conduit à définir de nou-veaux espaces de travail et de nouveaux référentiels (Mossé, 2000). Cepen-dant, la nécessité de porter attention aux modifications du travail lui-même,travail qui constitue la « part oubliée des restructurations hospitalières »selon Raveyre et Ughetto (2003), ne semble s’imposer que de façonrécente. La plupart des travaux ont abordé cette question sous l’angle de larecomposition des personnels (réduction des effectifs et recomposition desqualifications), de l’organisation du travail, de l’intensification du travail,des conditions de travail ou encore de la souffrance au travail.

Dans cet article, je m’intéresse à la façon dont le travail des infirmières sereconfigure actuellement dans les établissements de court séjour en fonc-tion des nouvelles donnes qui pèsent sur le développement des établisse-ments de santé de l’extérieur et en fonction des situations locales danslesquelles les infirmières ont à conduire leurs actions de soins. E. Hughesavait, au début des années cinquante, proposé un programme d’analyse dutravail infirmier (Hughes, 1996). Pour lui, le travail des infirmières com-prend tout ce qui doit être fait dans un hôpital, mais qui n’est pas fait pard’autres catégories de personnes. Il convient donc d’étudier les tâches à

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* Sociologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé et société, CERMES.

1 PMSI : programme de médicalisation du système d’information ; T2A : tarification à l’activité.

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accomplir et d’identifier qui les réalise. Ceci oblige à porter attention auxfrontières entre le travail des infirmières et celui des autres types de person-nel, ainsi qu’aux conflits et aux négociations que soulève la délimitation deces frontières.

En m’inscrivant dans le cadre de travail fixé par Hughes j’ai étudié lesfaçons dont les infirmières effectuent leur travail dans différents types deservices hospitaliers (Acker, 2004 a). Je me suis intéressée au travail lui-même, aux tâches qui le composent, au processus d’interactions dans lecadre duquel elles se déploient, aux relations que les différents acteursentretiennent avec le travail et à la façon dont, dans leurs pratiques quoti-diennes, ils analysent les situations de travail et y réagissent pour accomplirleurs tâches. J’ai été attentive aux contraintes qui pèsent sur les pratiquesquotidiennes, de façon directe, dans le cours des actions de soins, de façonmoins directe, mais tout aussi présente, dans les modes de présentation de laréorientation des activités médicales et soignantes. J’ai également cherchéà comprendre comment le personnel infirmier pouvait, dans le cadre desrestructurations en cours, continuer à s’inscrire dans une dynamique pro-fessionnelle qui a eu pour objet de développer une certaine autonomie dansla définition des actions à entreprendre pour un patient et son entourage, etde stabiliser, formaliser et mettre en œuvre des savoirs infirmiers (Acker,2004a, 2004b ; Feroni, 1994).

Je présente ici quelques aspects des réorganisations en cours du travail desinfirmières : modes de redistribution des activités, modifications de la prio-rité des tâches, réagencement des compétences entre les infirmières et lesautres personnels de soins. Ces déplacements ont souvent pour origine lenouveau cadre temporel de la prise en charge des patients, la brièveté deplus en plus grande des séjours hospitaliers, déterminée en fonction de cri-tères médicaux et techniques. Les personnels infirmiers doivent redéfinirune partie de leurs actions en mettant en balance les différents types desoins requis par les patients, les tâches qu’ils souhaitent développer pourdonner une visibilité à leurs actions et les tâches supplémentaires qui leurincombent, comme conséquences des modes de rationalisation des servicesmédico-techniques et logistiques, ou parce qu’elles s’avèrent nécessairespour maintenir l’intégration des actions indispensables au bon déroulementdu séjour des patients, mais sans être attribuées à des professionnels parti-culiers. Cependant, les remaniements actuels du travail des infirmières neconcernent pas seulement les tâches et leur redistribution mais aussi lesnormes professionnelles qui les sous-tendent. Ce sont les conditions du tra-vail lui-même, le travail et le mode d’engagement des infirmières dans letravail qui sont en train de se recomposer.

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Encadré 1 : Méthodologie

Cet article s’appuie sur les résultats d’un travail de recherche mené enréponse à l’appel d’offres de la DREES-MiRe – « Les dynamiques profession-nelles dans le champ de la santé » – qui avait notamment pour objectifd’apporter des connaissances sur les « pratiques effectives des personnels ».

Pour étudier les reconfigurations en cours du travail infirmier j’ai décidé demener mes investigations dans un établissement spécialisé en cancérologiedans lequel j’avais déjà procédé à des observations dans les années 1993-1996 (Acker, 1997). Ceci me permettait de mobiliser d’emblée une connais-sance de l’organisation du travail médical et soignant antérieure ainsi quedes liens tissés avec un certain nombre de cadres, d’infirmières et d’aides-soignantes déjà rencontrés lors de la première recherche. Le fait de disposerde quelques repères communs offrait un cadre de référence pour analyser letravail et discuter avec les personnels en place des évolutions observées,bien que les deux recherches n’aient pas porté de façon précise, commedans des études longitudinales, sur les mêmes aspects du travail infirmier.

L’étude s’est déroulée en plusieurs étapes :– elle a débuté par une présentation de l’objet de la recherche à l’ensembledes cadres supérieurs soignants de l’établissement, et par des entretiensavec chacun de ces cadres pour établir un premier tableau des remanie-ments en cours dans le département ;– ont suivi des périodes d’observation du travail dans trois services de soins– médecine et chirurgie – ainsi que dans des consultations infirmières ;– à la suite de ces observations, j’ai mené des entretiens longs avec lesinfirmières et les aides-soignantes de ces services pour revenir sur des évé-nements, des pratiques particulières, pour mettre à l’épreuve ma compré-hension de certaines situations et obtenir des informations complémentaires.Certains entretiens ont été menés en groupe lorsque la charge de travail despersonnels soignants ne permettait pas de mener des entretiens individuels.Des entretiens ont aussi été menés avec des médecins travaillant dans cesservices ;– j’ai également été amenée à rencontrer des personnes extérieures auxservices observés : personnels d’autres services de soins, de servicesmédico-techniques, administratifs, du service social... lorsque leur présence,l’incidence de leur travail sur celui des soignants, l’intrication de différentstypes de travail m’apparaissaient au cours des observations, de l’analyse demes notes ou pendant les entretiens.

■ La brièveté des séjours : un nouveau cadrede travail

Le raccourcissement de la durée de séjour ne constitue pas, en soi, une ten-dance nouvelle. C’est un objectif poursuivi depuis plusieurs dizainesd’années par les responsables hospitaliers et leurs tutelles, afin de limiter lescoûts liés à l’hébergement et à la mobilisation de personnels qualifiés pour unmême patient. Il s’agit de réserver le recours à l’hôpital aux patients dontl’état requiert la mise en œuvre d’actes diagnostiques et chirurgicaux devants’appuyer sur un plateau technique développé, de soins postopératoires et de

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traitements exigeant un environnement médical et soignant. L’accentuationde la diminution des séjours hospitaliers a été rendue possible grâce auxavancées des techniques médicales et chirurgicales (progrès de l’anesthésie,chirurgies moins invasives et requérant moins de soins postopératoires),grâce à la diversification et la multiplication de nouveaux dispositifs médi-caux (pompes par exemple) et à la standardisation de certains traitements quipermettent de laisser sortir plus rapidement les patients.

En revanche, la grande brièveté des séjours s’accompagne de restructura-tions organisationnelles. Comme le mentionnent les travaux nord-améri-cains (Lapointe, 2000 ; Bourgeault, 2001) les établissements ont regroupéles patients non seulement selon la spécialité médicale, voire le même typede traitements ou de stade de développement de la maladie, mais aussi selonle temps de séjour programmé. Aujourd’hui, certaines réorganisations desactivités médicales et soignantes peuvent être entreprises sur le seul critèrede la durée de prise en charge. Selon le poids relatif des hospitalisations detrès court séjour ou des prises en charge ambulatoires, les patients sontaccueillis dans des lits ou places réservées à cet effet au sein d’un servicecontinuant à assurer des hospitalisations classiques ou au contraire sont réu-nis dans des services spécialement redéfinis. Ces derniers sont consacrésalors à des hospitalisations de semaine, et fermés en fin de semaine, ou à deshospitalisations de jour. Les entrées des patients sont programmées enfonction du temps de séjour anticipé, et la gestion des patients s’effectue enflux tendus. Cette forme de « séjour » est proposée pour un certain nombred’interventions chirurgicales et pour des traitements médicaux, comme cer-taines chimiothérapies anticancéreuses par exemple.

Ce raccourcissement de la durée de séjour a pour corollaire une augmenta-tion des flux de patients soignés dans un même service. Chacun de cespatients a besoin, à peu près au même moment, de soins spécialisés et dessurveillances qui y sont liées. La mise en forme de séjours très courts dupatient, déterminée sur des critères médicaux et techniques, tend à gommerla variabilité des situations personnelles des patients et de leurs réactions àla maladie et aux traitements. Et dans la mesure où l’autorisation d’ouver-ture de « places » destinées à des prises en charge ambulatoires a souventété accordée en échange de la fermeture de lits d’hospitalisation, notam-ment en médecine, le nombre limité de lits disponibles pèse sur les possibi-lités d’aménager la durée de séjour anticipée des patients. Pour bon nombred’infirmières, l’attention aux problèmes personnels et sociaux du patient,l’aide à leur apporter constituent une dimension centrale des soins (Acker,1997) mais les tâches qui en découlent requièrent du temps, un temps quis’inscrit parfois difficilement dans le temps prédéfini du séjour du patient.La standardisation des séjours et leur brièveté font naître des tensions inhé-rentes à la gestion de la singularité à grande échelle d’une part (Minvielle,2000), au besoin de mettre en œuvre des actions de soins non seulementdans le cadre prévu du traitement médical mais aussi en fonction desbesoins d’un patient, tels que les évaluent les infirmières d’autre part.

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■ Réorganiser les soins

Si une réorganisation du travail médical s’est imposée en raison de la réduc-tion de la durée de séjour, cette durée est souvent si brève qu’elle s’accom-pagne d’un effet de seuil en terme d’organisation des soins. Lorsque tousles patients d’un même service n’y sont accueillis que pour quelques heuresou quelques jours et que les soins liés aux traitements et aux interventionschirurgicales s’enchaînent selon un rythme soutenu, on peut observer desperturbations et des dysfonctionnements dans le déroulement des soins etdans le respect de la fluidité des flux de patients prévus. Face à de tellessituations, les personnels infirmiers et leur encadrement ont réagi en propo-sant de nouveaux modes d’organisation des soins. Certaines dimensions dutravail infirmier ont ainsi été reportées en amont ou en aval de l’hospitalisa-tion proprement dite, faute de temps pour les déployer pendant le séjour. Onassiste donc à une redistribution dans l’espace – lieux de prise en charge –et dans le temps – pendant ou en dehors de l’hospitalisation – de différentstypes de travail infirmier jusque-là enchevêtrés dans le cours des soins. Cesderniers sont désimbriqués du travail assuré pendant le séjour pour consti-tuer de nouvelles entités, identifiées en tant que telles dans l’organisationdu travail du service de soins.

Les consultations infirmières

Les consultations infirmières (cf. encadré 2) proposées avant l’entrée en hôpitalou avant le début de certains traitements ou les suivis téléphoniques despatients sortis de l’hôpital sont des modes de réponse organisationnelle élabo-rés par le personnel soignant pour pouvoir continuer à assurer des tâches indis-pensables d’information et de surveillance de l’évolution des patients.

Ainsi dans un service de chirurgie la non-information ou l’information insuf-fisante des patients à leur arrivée se sont traduites par un débordement dessoignants confrontés à des demandes d’éclaircissement sur les interventionset les traitements et des expressions d’inquiétude, de peur, voire d’angoisse.Lorsque les patients étaient hospitalisés la veille de leur intervention, lesinfirmières avaient le temps de leur donner les informations et explicationsconcernant l’intervention qu’ils allaient subir. Au moment où le service dechirurgie est passé à un fonctionnement d’hospitalisation de semaine, les per-turbations ont été particulièrement fortes certains jours, lorsque plusieurspatients arrivaient en début de matinée, pour subir une intervention dansl’heure ou les heures qui suivaient, alors que le personnel infirmier et aide-soignant devait au même moment assurer le travail lié au départ au bloc opé-ratoire et les soins aux patients opérés la veille ou les jours précédents. Cessituations de départ insuffisamment traitées ont ensuite pesé sur l’ensembledu déroulement du séjour et sur le type de relations établies avec les patients.Le rétablissement de la confiance et du sentiment de sécurité demandait alors

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un travail très important de la part des soignants. Ces consultations ont doncpour objet d’assurer la fluidité des prises en charge fragilisées par les nou-veaux modes d’organisation du travail médical et de soins.

La forme organisationnelle de ces consultations varie en fonction del’homogénéité des pathologies dont souffrent les patients admis dans le ser-vice ou du type d’interventions qu’ils vont subir, du nombre de patientsvisés par ces consultations, du lieu où elles se déroulent et du statut desinfirmières qui les assurent. Ainsi dans un service de chirurgie et médecine,les infirmières ne proposent une consultation qu’à certains patients devantsubir une chirurgie mutilante et à la suite de laquelle ils doivent être capa-bles d’assurer eux-mêmes des soins techniques indispensables (laryngec-tomie totale par exemple). Cette consultation s’effectue quelques joursavant l’admission dans une pièce du service et c’est l’infirmière disponibleà l’arrivée du patient qui l’assure. Dans un service de chirurgie de courtséjour, la consultation infirmière est proposée systématiquement à tous lespatients lors de la programmation de leur hospitalisation, quel que soit letype de chirurgie prévue. La consultation est alors assurée par une des infir-mières du service d’hospitalisation affectée, par roulement, à cette seuleactivité pour la durée d’une semaine. Enfin, plus récemment, s’est mise enplace une consultation infirmière destinée aux patientes devant entre-prendre un traitement par chimiothérapie. Cette consultation infirmièren’est plus rattachée à un service de soins mais au service des consultationsexternes et fait suite à la consultation médicale au cours de laquelle lemédecin a annoncé l’indication d’un tel traitement. Trois infirmières sontaffectées à temps plein à cette seule activité 1.

Le cadre de la consultation donne aux infirmières l’occasion de remplir,dans un même lieu, pour un seul et même patient, au cours d’une plage detemps qui échappe aux interruptions fréquentes qui caractérisent le travaildes soignants (Estryn-Behar, 2004), plusieurs types de travail. L’informa-tion des patients et de leur entourage sur les traitements et les interventionsqu’ils vont subir, est assurée depuis longtemps par les infirmières.Aujourd’hui, pour conduire leurs consultations, elles s’appuient sur desréférentiels stabilisés, comme des « plans de soins » déjà en usage dans lesservices de soins et qui avaient eux-mêmes servi de base à la fabrication delivrets remis aux patients (Acker, 1997). Les infirmières présentent aussi lafaçon dont les différentes actions médicales et soignantes vont s’enchaînerdurant le séjour du patient, et leurs aspects concrets. Enfin, elles invitent lespatients à poser des questions et à leur faire part des problèmes de toutessortes qu’ils se posent afin d’apporter des réponses et de lever les appréhen-sions. La consultation infirmière permet en même temps de donner unevisibilité, pour les patients comme pour l’institution, à des compétencesinfirmières faiblement identifiées en dehors des services de soins.

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1 Elles peuvent néanmoins être affectées (redéployées) au pied levé dans des consultationsmédicales ou des services de soins lorsque ceux-ci manquent de personnels.

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Encadré 2 : La consultation infirmière

Le travail, institutionnellement défini, est avant tout un travail d’information. Ils’agit d’abord de donner ou redonner au patient les informations concernantl’intervention qu’il va subir ou le traitement dans lequel il va entrer. Ces infor-mations ont généralement déjà été données par le médecin, mais à unmoment où l’annonce du diagnostic ou du traitement ne permet pas toujoursau patient, souvent sidéré, de donner tout leur sens à ces informations. Lesinfirmières agissent ici comme répétitrices et traductrices des informationsmédicales.

Ce travail, au-delà de l’aspect informationnel, vise aussi à rendre l’interven-tion ou le traitement envisageable et acceptable et à lever les appréhensionsdes patients et de leurs proches. L’infirmière donne ainsi des informationsconcrètes qui pourront servir de repères aux patients, informations sur ladurée des interventions, sur la durée et le rythme des traitements. Le typed’informations délivrées, le vocabulaire et le ton employés contribuent à pré-senter les interventions et les traitements comme des affaires techniques.Les infirmières mettent en avant la matérialité des soins (techniques, maté-riels utilisés, processus techniques) et proposent des façons concrètes degérer les problèmes associés aux interventions et aux traitements. Ainsi, enmontrant aux patients et en leur faisant toucher des sites implantables, desprothèses mammaires, en leur montrant des catalogues de prothèses capil-laires, elles leur permettent de s’approprier déjà des objets concrets quiferont partie de leur vie quotidienne, pendant un moment du moins. Ceci per-met de canaliser les émotions et de laisser entendre que le processus tech-nique est maîtrisé et que les effets de la maladie et des traitements peuvententrer dans le même type d’approche.

Lorsque les infirmières considèrent que la situation ne paraît pas assez claireau patient, qu’il a besoin d’explications supplémentaires, elles demandent aumédecin de revoir le patient.

Le travail infirmier après la sortie du patientde l’hôpital

De façon parallèle le travail infirmier s’étend également au-delà de la sortiedu patient. Si un certain nombre d’actes de soins sont aujourd’hui renvoyésà des professionnels soignants de ville, en raison de sorties des patients plusprécoces, une partie du travail ayant pour objet la sécurité et la continuitédes soins reste assurée par les personnels des services de soins.

Les chimiothérapies sont de plus en plus souvent délivrées de façon ambu-latoire, le patient rentrant chez lui après l’administration du traitement.Cette façon de faire s’applique dans le cas de protocoles standards et enfonction de l’état général du patient. Dans ce cas les infirmières appellentle patient chez lui quelques jours après l’administration de la première chi-miothérapie pour connaître ses réactions au traitement et, si besoin, luiredonner des informations et des conseils pour faire face aux problèmes,connus et anticipés, qui pourraient survenir. Elles disposent pour ce fairede listes de points à aborder, déjà en usage dans les services de soins. Un

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certain nombre d’entre elles ont été formées à la conduite d’entretiens télé-phoniques. Mais en l’absence d’une organisation spécifique, d’une plage detravail clairement identifiée, il arrive que ces appels soient oubliés, tant ilest difficile de penser à prendre du temps pour appeler quelqu’un qui nefigure pas parmi les personnes hospitalisées dans le service, quelqu’un quel’on n’a pas vu lors du « tour » dans les différentes chambres ou places.

Ces nouvelles façons d’effectuer des tâches d’information et de surveil-lance – à distance – des patients, constituées en entités particulières et rela-tivement formatées, dispensées en dehors des moments d’hospitalisation enraison de la brièveté des séjours 1, tendent à se mettre petit à petit en placedans d’autres services. Si ce phénomène traduit une sorte de mode organi-sationnelle, il correspond aussi à une aspiration forte des infirmières àeffectuer un travail d’information en disposant d’une part d’un temps spéci-fique pour cela et en ayant la possibilité, en raison même de ce format parti-culier, de donner à voir aux patients une dimension de leurs compétencesqu’ils ne soupçonnent pas.

■ Hiérarchiser les tâches à effectuer

Si certaines tâches infirmières ont été déplacées en amont et en aval del’hospitalisation en raison du manque de temps disponible au cours de cettedernière, les tâches à assurer pendant le séjour hospitalier sont aussi affec-tées par la plus faible durée de présence du patient et par l’intensificationconcomitante de l’activité soignante.

Dans les services de très courts séjours, l’intensification est liée à la rotationrapide de patients qui réclament tous, un ensemble de soins semblables en untemps restreint. La durée de la prise en charge des patients, qu’il s’agissed’hospitalisations conventionnelles ou de soins ambulatoires, est calculée auplus juste en fonction de critères médicaux (temps des traitements, temps dela surveillance des suites opératoires et des effets des traitements). Si le motd’ordre « aller vite, aller à l’essentiel » caractérise le cadre dans lequel lesinfirmières et les aides-soignantes doivent déployer leurs actions de soins,une sorte de pression à travailler plus vite gagne l’ensemble des services,comme aspirés par ce modèle du travail en très court séjour et en ambulatoire,et, sans doute plus largement, par une caractéristique de la sociétéd’aujourd’hui dans son ensemble. Lorsque les effectifs de personnels soi-gnants sont trop justes (en raison d’une pénurie ou d’un resserrement voulu)

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1 Certaines consultations ont été mises en place pour préparer des patients aux conséquencesde l’intervention qu’ils vont subir, conséquences qui vont se traduire par la disparition d’unefonction (la parole par exemple) et qui vont exiger du patient qu’il apprenne un certain nombrede gestes à effectuer au quotidien. Cette première information, avant hospitalisation, s’inscritdans la dimension pédagogique des consultations qui a pour objet de familiariser le patient àune situation difficile et d’en atténuer l’aspect dramatique.

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le temps disponible pour mener à bien l’ensemble des tâches renforce lacontrainte à travailler plus vite. Ce cadre temporel conduit à une redistribu-tion de l’importance relative de certains types de travail, importance relativeen terme de temps consacré à chacun d’eux et en termes de modes d’engage-ment des personnels dans les tâches à réaliser. Cette redistribution est moinsvisible que les reconfigurations organisationnelles présentées dans la partieprécédente, moins identifiée en tant que telle par les personnels soignantsmais tout aussi importante. Elle varie selon les services en fonction du cadretemporel de la prise en charge, de la spécificité des pathologies traitées et dessoins qui y sont liés, des modes de constitution des collectifs de travail et desvaleurs qui les réunissent.

Tâches centrales du travail infirmier

Les tâches liées à la distribution des médicaments, à la surveillance desconstantes, aux soins pré et postopératoires, à la surveillance des effetssecondaires des traitements, à la réfection des pansements, à la surveillancedes plaies... représentent les tâches centrales de l’activité des infirmières,quels que soient le service et la durée d’hospitalisation et leur réalisation nesemble pas être mise en balance avec d’autres tâches, même dans uncontexte de temps compté. C’est autour d’elles, du rythme auquel elles doi-vent être effectuées, en fonction de routines de service ou de périodicitésdécidées par les médecins ou les infirmières elles-mêmes, que les infirmiè-res ordonnent les autres tâches, leur accordent concrètement une impor-tance plus ou moins grande.

Ces soins techniques ne cessent d’évoluer en lien avec l’évolution des tech-niques médicales, chirurgicales et de la diversification des dispositifs médi-caux. Le recours à des débits mètres permet ainsi une surveillance moinsintensive des perfusions. Les techniques chirurgicales deviennent souventmoins invasives et se traduisent par exemple par une diminution de la com-plexité et de la durée des pansements à effectuer (moins de fils, plaies res-treintes...). En revanche de nouvelles techniques peuvent au contraireentraîner des surveillances accrues et des pansements beaucoup plus consé-quents et sur une durée assez longue. C’est le cas de reconstructions de par-ties du corps fragilisées après l’ablation d’une tumeur par exemple, et quireposent sur des déplacements, des greffes de muscles.

Le travail de surveillance de l’état du patient et de son évolution continue àoccuper une part importante du temps de travail infirmier. Il revêt uneimportance toute particulière dans un contexte de formatage de la durée deséjour, car si le patient doit sortir le jour prévu pour laisser la place à unautre, tout retard entraînant en conséquence un report d’entrées program-mées et une redéfinition des plannings, il faut aussi pouvoir le laisser sortiren toute sécurité.

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Information et éducation des patients

Les tâches d’information tendent, dans les services de très court séjour, àconstituer, comme le notent Lapointe et ses collègues (2000) à propos desreconfigurations du travail infirmier au Québec, une part de plus en plusimportante, en temps et en travail, de l’activité d’ensemble des infirmières.Même lorsqu’une partie des informations a déjà été délivrée au cours d’uneconsultation infirmière, les infirmières ne sont, de loin, pas dispensées deles reprendre et de les compléter pendant le séjour du patient. Le nombre etla diversité des informations à dispenser ne cessent de croître. À l’arrivéed’un patient les infirmières cherchent à établir s’il est au clair sur l’objet deson séjour, les modalités de l’intervention chirurgicale ou du traitementqu’il va subir. Cette vérification les conduit, si besoin, à procéder à un rat-trapage, parce que certaines informations ne semblent pas avoir été enten-dues, ne sont pas comprises ou n’ont pas déjà été données par le médecin ouleur collègue. Le travail d’éducation, qui a pour objectif de préparer lepatient aux comportements qu’il devra adopter à sa sortie, tend à s’effectuerau cours d’une séquence spécifique, quelques heures avant la sortie dupatient. Les informations et conseils dispensés portent sur les points à sur-veiller, les gestes à éviter ou au contraire à maîtriser. Ceci est indispensablepour prévenir la survenue de complications et pour permettre au patient« de vivre le plus normalement possible » et avec la plus grande autonomie.

Dans les services où les patients restent un peu plus longtemps, certainestâches d’information et d’éducation – explications, formation des patientsaux gestes à maîtriser pour pouvoir les assurer eux-mêmes, conseilsd’hygiène, de diététique –, se déploient tout au long du séjour, dispensées aufur et à mesure des rencontres, répétées si besoin à la demande des patients ouparce que les infirmières considèrent que le patient n’a pas assez bien intégrécertains points. Ceci suppose une attention, soutenue dans le temps, des infir-mières aux différentes dimensions des informations à mobiliser et délivrer.

Cependant à côté des tâches d’information et d’éducation, anticipées, défi-nies et contrôlées par les infirmières, s’ajoutent des informations de toutessortes à dispenser à la demande, croissante, des patients et de leurs proches,qui portent aussi bien sur la façon dont sont délivrés les soins, sur les techni-ques médicales ou le mode de fonctionnement de l’institution.

Écoute et accompagnement des patients

L’écoute et l’accompagnement des patients qui a pour objet de les aiderdans l’expérience qu’ils font des différentes dimensions de la maladie :acceptation du diagnostic, du traitement, perturbations de leur vie person-nelle et sociale en raison des conséquences de la maladie et des traite-ments... constituent une norme professionnelle centrale. Les techniques, lespostures que la réalisation de ces tâches nécessite sont enseignées en forma-tion initiale et continue. L’engagement des infirmières dans ces démarches

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varie en fonction de la nature des pathologies et des traitements mis enplace, en fonction de la durée de présence du patient, de l’appréciation parles personnels soignants des besoins du patient dans ce domaine, de lacharge de travail, ainsi que de la possibilité de partager ou non avec lesmembres de l’équipe de soins les difficultés qui s’y rapportent.

Lorsque le patient est appelé à rester un temps assez long dans un service,qu’il subit des traitements pénibles, voire mutilants, ses rencontres répétéesavec les infirmières et les aides-soignantes favorisent l’établissement d’unerelation de confiance, le développement d’une connaissance mutuelle. Cecipermet aux personnels soignants d’être plus attentifs aux évolutions descomportements, des émotions des patients et aux problèmes qu’ils rencon-trent. En même temps, la bonne connaissance des problèmes liés aux patho-logies, aux traitements permet d’anticiper un certain nombre de difficultéset les types d’aide à proposer. Le temps investi dans l’écoute, les projets deréhabilitation, de réinsertion sociale (aider un patient mutilé à reprendrecontact avec les membres de sa famille, ses amis) est un temps qui ne peutêtre prédéfini, il se déploie en fonction des interactions avec le patient et sonentourage, tout au long du séjour, et est anticipé comme « le temps qu’ilfaudra » pour répondre aux besoins du patient et conduire le projet profes-sionnel à son terme. Cependant les contraintes organisationnelles et de coûtse font sentir de plus en plus et les personnels se demandent s’ils pourrontencore longtemps travailler en fonction de projets qui reposent sur une cer-taine durée.

Cette durée est liée non seulement à la durée de séjour en elle-même maisaussi à une durée qui peut se déployer malgré la discontinuité des séjours.C’est le cas lorsque les patients sont admis dans le même service, quels quesoient le stade de développement de leur maladie et le type de traitementmis en place. Il en va de même dans certains services de consultation quisuivent les patients pendant de nombreuses années.

Les tâches d’écoute et d’accompagnement, définies au cas par cas par lesouci des besoins de la personne (le « care »), s’inscrivent surtout dans unedurée propre à la personne et coïncident plus difficilement avec les tempsdes soins techniques, les temps des « tours » des patients, les temps des rou-tines organisationnelles et du planning, le temps de l’horloge (« clocktime ») que Davies (1994) distingue du temps du processus qui se déve-loppe dans la durée (« process time »). L’entrée dans ce travail est forte-ment tributaire de la disponibilité, de la vigilance des infirmières quidoivent saisir le moment où le patient demande une aide, souhaite parler, seconfier. Mais ceci peut intervenir à un moment où les infirmières ont denombreux soins techniques à dispenser, où elles doivent entreprendre destâches qui sont planifiées pour cette période de la journée... Dans ce caselles mettent en balance le fait de s’engager dans une relation dont elles nepeuvent à l’avance maîtriser la durée et le fait de continuer à s’inscrire dansleur plan de travail d’ensemble. Lorsque les infirmières peuvent comptersur la compréhension et l’aide de leurs collègues, qui prendront en charge le

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travail restant à effectuer pendant qu’elles prennent le temps de s’arrêter,pour un temps non défini, auprès d’un patient, elles hésitent moins à entrerdans de telles démarches.

En revanche, si l’écoute et l’accompagnement des patients constituent éga-lement une norme professionnelle forte pour les infirmières et les aides-soignantes travaillant dans les services de très court séjour, cette normes’accommode quelquefois difficilement avec une présence brève dupatient. La plupart des patients pris en charge dans de tels services, en rai-son même des critères d’admission qui écartent les patients aux pathologiessévères, sont à même de faire face, du moins pendant leur séjour, à la situa-tion et sont souvent très entourés par leurs proches. Les infirmières considè-rent souvent les patients traités en ambulatoire comme des patients « qui nesont pas supposés avoir de gros problèmes » en raison de leur mode de priseen charge, de leur autonomie et de l’injonction qui leur est faite de « vivre leplus normalement possible ». En fait, les infirmières et les aides-soignantestendent à être attentives à des sentiments, des problèmes psychologiquesanticipés dans le cadre d’une intervention ou d’un traitement donné. Ainsiles infirmières s’attendent à ce qu’une femme qui vient de subir une abla-tion d’un sein ait des difficultés à regarder sa poitrine, ressente une mise encause de sa féminité. Par contre les contraintes de temps et leur charge detravail les rendent moins disponibles pour une écoute plus libre, pour laisserau patient la possibilité de faire advenir ses questions. La répétitivité destâches de soins à assurer ne facilite pas non plus une posture d’ouverture àl’autre, pas plus que les nombreuses listes de points à surveiller, vérifier, ycompris dans le cadre des informations à délivrer. Certaines hésitent aussi às’engager dans des relations « sans lendemain » avec des patients qui vontsortir effectivement le jour même ou le jour suivant. Et certaines souffrentde ne pas être, elles-mêmes, accompagnées, soutenues, réassurées – dansune situation en miroir – lorsque l’équipe dans laquelle elles s’insèrent nepermet pas de partager ces hésitations, les difficultés éprouvées pourentendre des questions... Dans ce contexte, les infirmières et les aides-soi-gnantes signalent aux patients la présence de psychologues et leur conseil-lent parfois de prendre rendez-vous avec ces spécialistes. Elles renvoientaussi les patients vers les bénévoles d’associations spécialisées, considéréscomme étant plus à même de répondre à certaines questions des patientsdans la mesure où ils partagent « la même expérience de la maladie » et destraitements.

Dans les services de très court séjour – de semaine –, le temps et l’impor-tance relative de chaque type de travail renvoient à une hiérarchisation despriorités qui s’effectue en référence au mode de définition du travail médi-cal ainsi qu’à une représentation d’un patient relativement autonome dansla mesure où ce dernier reste peu de temps et nécessite peu de soins à lasortie. Dans d’autres services, les infirmières peuvent décider un peu pluslibrement de l’importance à accorder à chacune des tâches qu’elles ont àeffectuer, en fonction du temps dont elles disposent, du temps anticipé du

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séjour du patient. La variété des besoins des patients pris en charge à unmoment donné entre également en ligne de compte et permet, en offrant unemarge de manœuvre, de s’adapter un peu plus à chaque situation.

Enfin, il faut rappeler les contradictions du développement des tâchesd’écriture assurées par les infirmières. D’une part, elles rendent compte deleurs actions de soins en respectant un format – celui des transmissionsciblées (Acker, 1997) – qui a pour objet de rendre l’écriture plus rapide etplus « ciblée ». De l’autre, elles développent, dans une sorte de vertigebureaucratique du « tout écrit » (Grosjean et Lacoste, 1998) de plus en plusde formulaires, de listes à renseigner pour conduire et évaluer chaque typede tâche. L’écriture de protocoles, de procédures, de livrets d’informationsdestinés aux patients tend à augmenter la part des tâches d’écriture dansl’activité d’ensemble des infirmières.

■ Reconfigurer les frontières du travailprofessionnel

Après avoir examiné les modalités de réorganisation des soins et de hiérar-chisation des tâches, je me tourne maintenant, comme le recommandaitHughes (cf. supra), vers la question des frontières du travail professionnel.

De nouvelles frontières : au sein du travail infirmier

En premier il faut attirer l’attention sur les nouvelles frontières qui appa-raissent au sein du travail infirmier lui même. Les nouveaux modes d’orga-nisation des soins s’accompagnent d’une répartition des rôles au sein dugroupe des infirmières hospitalières. Les unes s’éloignent des « soinsd’entretien » et « des soins techniques » pour se spécialiser dans le travaild’information, notamment lorsqu’elles n’assurent plus que des consulta-tions infirmières. Certaines infirmières recherchent ce nouveau cadred’exercice qui leur permet de mobiliser autrement leurs savoirs profession-nels. Elles s’attachent néanmoins à rester en contact avec leurs collèguesdes différents services avec qui elles négocient les types d’informations àassurer par chacune. Elles veillent aussi à maintenir une proximité avec lesservices de soins, à suivre l’évolution des techniques de soins afin de ne pasdonner prise à une différenciation trop grande des rôles. Des frontières sontaussi en renégociation entre les infirmières hospitalières et leurs collèguesde ville. Dans la mesure où les patients sortent de plus en plus précocementde l’hôpital, un certain nombre de soins sont reportés vers des intervenantsextérieurs. C’est le cas par exemple de chimiothérapies initialisées à l’hôpi-tal et poursuivies et surveillées à domicile. Ces déplacements des lieux deprise en charge s’accompagnent d’un nécessaire transfert de connaissanceset de compétences. Les infirmières, souvent appelées par leurs collègues de

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ville pour des informations sur les médicaments, leurs effets secondaires...ont alerté leur hiérarchie pour que soient mis en place des dispositifsd’information et de formation, à l’élaboration desquels elles ont souventparticipé. Ces échanges, dans ce cadre comme dans celui du suivi des diffé-rents patients, conduisent à redéfinir les types de travail qui doivent êtreassurés à l’hôpital et ceux qui peuvent être externalisés, compte tenu desproblèmes techniques qui se posent dans un contexte moins médicalisé,mais aussi du travail renvoyé au patient et à son entourage. Les problèmessoulevés par la segmentation de la prise en charge des patients entre cesdeux catégories d’infirmières ont contribué à rapprocher les infirmières del’établissement de leurs collègues de ville qu’elles avaient tendance àsous-estimer.

... Entre infirmières et aides soignantes

Les frontières entre le travail des infirmiers et celui des aides-soignants sontaussi en remaniement. Dans les services de très court séjour, les patientssont pour la plupart autonomes ou le redeviennent très rapidement, enconséquence les aides-soignantes ont moins de toilettes, moins d’aide audéplacement, moins d’aide au repas à assurer. Dans un service de chirurgieambulatoire et de très court séjour, les infirmières, constatant la disponibi-lité plus grande des aides-soignantes, leur ont proposé de prendre en chargeune partie du travail de constitution et de préparation des dossiers de soinsavant l’entrée des patients. Ceci allège la charge de travail des infirmières etpermet aux aides-soignantes d’avoir, avant leur arrivée, une connaissancede l’histoire médicale des patients. Certaines infirmières associent un peuplus les aides-soignantes à leurs tâches de « soins techniques ». Elles leurdemandent de leur passer des instruments, de maintenir les patients dans laposition qui convient... En revanche, dans un service de chirurgie plus clas-sique, les aides-soignants continuent à assurer les tâches d’hygiène, de pré-paration aux interventions et participent aux soins techniques. Mais alorsque les aides-soignantes en place depuis longtemps aident, par exemple, lespatients ayant subi une laryngectomie à aspirer les mucosités qui lesencombrent et les gênent pour respirer, certaines aides-soignantes plus jeu-nes n’ont pas souhaité prendre en charge une telle responsabilité et ontdemandé à changer de service. Ce type de soins ne relève pas de la compé-tence des aides-soignants mais aider un patient à s’aspirer est une tâcheindispensable pour assurer sa sécurité et qui doit être effectuée par le soi-gnant qui, quelle que soit sa qualification, se trouve en présence du patient.Une formation spéciale est délivrée aux aides-soignantes à leur arrivée dansce service. Les aides-soignantes, en fonction de leur ancienneté surtout mesemble-t-il, peuvent assurer des tâches d’information et d’éducation despatients lorsque ceux-ci leur posent des questions, en complément desinterventions des infirmières.

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... Entre infirmières et médecins

Les frontières entre le travail des infirmières et celui des médecins ont tou-jours fait l’objet de négociations, de résistances silencieuses parfois. Lesinfirmières sont aujourd’hui plus attentives à ne pas dépasser leurs compé-tences réglementaires, rappelées à l’ordre par leur hiérarchie et conscientesde l’engagement de leur responsabilité lorsqu’elles dépassent leur domainede compétences reconnues. Dans la mesure où les séjours deviennent trèsbrefs, les infirmières attendent des médecins qu’ils soient plus présents,plus disponibles pour examiner un patient dont l’état les préoccupe, réajus-ter rapidement des traitements... Le temps passé à joindre les médecins, lesperturbations de leur plan de travail en cas d’attente leur pèsent particuliè-rement, alors qu’elles doivent en même temps faire en sorte que le séjour dupatient n’excède pas, si possible, la durée anticipée.

Mais aussi entre infirmières et bénévoles

J’ai déjà mentionné une sorte de ligne de partage, floue, mouvante, qui sedessine entre le travail des infirmières et celui des bénévoles, spécialisés ounon, de plus en plus nombreux. La délégation, non pensée en tant que tellepar les infirmières, d’une partie du travail d’écoute et d’accompagnement àd’autres acteurs tend à s’accroître lorsque le temps de prise en charge dupatient est très mesuré. L’engagement dans une relation avec le patient, quis’accompagne d’une impossibilité de contrôler d’avance le temps deséchanges et l’importance des demandes qui peuvent surgir, est mis enbalance avec la charge de travail d’ensemble dans laquelle le travail lié auxprescriptions médicales reste prioritaire. On peut se demander si l’on n’estpas en train d’assister à une redistribution des tâches liées à la gestion desémotions et à une atténuation d’une norme professionnelle forte.

Et enfin entre infirmières et patients

Simultanément on assiste à une recomposition des frontières entre le travaildes infirmières et celui des patients. Aujourd’hui, la brièveté des séjoursconduit les infirmières à renvoyer une partie de leurs tâches aux patients.C’est le cas, par exemple, des préparations à certaines interventions chirur-gicales. Mais si les infirmières ont expliqué au patient, en consultation, lesprocédures à respecter (hygiène, aménagement de traitements), ceci ne lesdégage pas de la responsabilité de présenter un patient préparé comme ilconvient au bloc opératoire. Certaines infirmières trouvent difficile d’avoirà vérifier si le patient a respecté toutes les consignes données (examen del’état de propreté par exemple) lorsque cette tâche constitue en quelquesorte l’objet de leur premier contact avec le patient. Elles préféreraient nepas se présenter d’abord dans une posture de contrôle. Par ailleurs, les infir-mières ont à faire face à une irruption forte et contraignante des exigences

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des patients, de leur agenda personnel. Lorsque ceux-ci sont suivis enambulatoire, ils exigent, pour certains, de passer à telle heure, d’être sortis àtelle heure. Dans la mesure où le patient est considéré comme n’étant pas« malade », comme devant vivre « le plus normalement possible » et main-tenir ses activités habituelles, il se plie moins facilement aux exigences del’institution et réclame, en client, que l’on tienne compte de ses demandes.Le travail des infirmières s’effectue alors dans une certaine tension,lorsqu’elles doivent prendre en compte les demandes des patients, négocieravec les médecins le moment de leur visite au patient, ajuster des exigencescontradictoires tout en menant leur travail dans le respect des règles profes-sionnelles et de leur évaluation des besoins de soins du patient.

■ Gérer les conséquences du nouveau cadrede travail

Ces redéfinitions en cours du mode d’organisation de l’établissement dansson ensemble, la réorganisation des soins, la recherche d’une productivitéet d’une efficience accrues, les mouvements de rationalisation, voired’industrialisation qui s’appliquent à l’ensemble des services, le dévelop-pement de nouvelles lignes de travail (qualité, vigilances...) ont des consé-quences concrètes sur le travail infirmier, en termes de définitions decertaines tâches et de réalisation de tâches nouvelles exigées par l’institu-tion plus que par les besoins du patient. Lorsque le temps disponible pourréaliser l’ensemble des tâches reste le même ou tend à diminuer, il s’ensuitsouvent une intensification du travail des personnels soignants.

Traçabilité et qualité

Le développement de nouvelles lignes de travail (vigilances, qualité...), larationalisation de l’organisation des services médico-techniques et logisti-ques et l’obligation qui s’applique à tous de rendre compte du travail effec-tué se traduisent en tâches redéfinies ou supplémentaires à assurer par lespersonnels des services de soins. Les tâches d’écriture sont en augmenta-tion constante. Les infirmières doivent, par exemple, remplir des documentstoujours plus nombreux de traçabilité des produits et des dispositifsmédicaux, remplacer, voire doubler, la plupart des demandes effectuées partéléphone par des demandes écrites. Elles sont amenées à modifier la plani-fication habituelle de certaines activités pour tenir compte des nouveauxhoraires d’ouverture de services communs (fournitures, petits matériels...).La plupart de ces tâches leur sont imposées sans concertation préalable etles modifications incessantes des modes de réalisation de leurs tâches (heu-res d’envoi de certains examens aux laboratoires, bons d’accompagnement,justifications des demandes) demandent une mémorisation rapide des

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nouvelles instructions et une vigilance accrue dans la réalisation des tâches,les infirmières ne pouvant plus se fier aux routines de travail en place.

Les modes d’organisation en place ont aussi pour conséquence une partici-pation plus grande des infirmières des services de soins à des groupes detravail divers. Dans certains services de soins presque chaque infirmière estainsi envoyée dans un groupe : douleur, hygiène, transmissions ciblées,informatisation... Le déploiement du processus d’accréditation, ladémarche d’auto-évaluation ont conduit à augmenter le nombre de groupesde travail. Le surcroît de travail induit est mis en balance avec l’ouverturesur l’extérieur qu’offre la participation à de tels groupes. Les rencontres etles échanges avec des collègues, des professionnels d’autres services sontl’occasion de développer un véritable apprentissage du fonctionnement del’organisation et de resituer le travail infirmier dans un travail d’ensemble.

Fluidité du travail et des soins

La nécessité de prendre en charge les patients dans un temps plus limité etles problèmes qui surviennent en raison d’une intégration concrète des ser-vices insuffisante dans la pratique quotidienne conduisent les infirmières àentreprendre des tâches qui ont pour objet d’assurer la fluidité organisation-nelle du travail. Le travail d’articulation traditionnellement assuré par lescadres de proximité (Strauss, 1985), ne suffit plus. Les infirmières doiventen endosser une partie en conduisant leurs actions. Ainsi les infirmières deconsultation ont inclus récemment de nouvelles tâches dans le cadre desconsultations. Elles vérifient que tous les éléments sont réunis pour que lesentrées des patients s’effectuent comme prévu : examens de laboratoiresprescrits, rendez-vous pour des examens spécialisés pris ; elles s’assurentque l’état des veines des patients leur permet de recevoir un traitement dechimiothérapie en vérifiant ou prévoient sinon la pose d’un site implan-table. Ces vérifications ont pour objet d’éviter des reports coûteux en ter-mes de désorganisation, de lits inoccupés. De même le repérage de certainsproblèmes personnels ou sociaux a pour objet d’anticiper des perturbationsau cours du séjour et d’adresser, avant l’hospitalisation, certains patients auservice social ou au service d’oncopsychologie. La nécessité d’assurer unenchaînement rapide des différentes séquences d’actions prévues pour cha-cun des patients présents le même jour induit une intense activité de com-munication. Dans un service de jour de chimiothérapie les infirmièresmènent de front la réalisation de leurs tâches de soins (accueil des patients,vérification des constantes, des effets secondaires, pose de perfusions...) etles tâches liées aux conditions requises pour leur réalisation : obtention del’autorisation du médecin de mettre en route le traitement, obtention desproduits de la part de la pharmacie, suivi des entrées et sorties des patientsqui se déplacent pendant le traitement, qui arrivent en retard... Tout ceciexige un travail supplémentaire d’écriture (remplissage d’un tableau muralde gestion pour suivre l’avancement du travail), d’échanges téléphoniques

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répétés vers les médecins, la pharmacie, d’échanges nombreux avec les col-lègues avec qui elles prennent souvent en charge les mêmes patients.

Diminution des ressources

Les infirmières, dans le cadre de leurs tâches quotidiennes, ont aussi à gérerles conséquences d’une diminution des ressources hospitalières et d’uneredéfinition, plus restrictive, de leur usage. Ainsi les infirmières, et dansune moindre mesure les aides-soignantes, s’appliquent à guider les modesde recours des patients aux services hospitaliers. Lors des consultations,pendant le séjour, au téléphone, elles incitent les patients à s’adresserd’abord à leur médecin traitant en cas de problèmes. Cette façon de forma-ter les comportements des patients s’inscrit dans une posture contraire àcelle observée une dizaine d’années plus tôt, lorsque les infirmières propo-saient aux patients de les contacter ou de revenir au moindre problème.Aujourd’hui, elles les renvoient aux spécialistes de ville pour un certainnombre d’examens afin de désengorger les services de l’hôpital et donnentà entendre que le recours au service d’urgence doit être exceptionnel. Cecirejoint les constats de reconfiguration des pratiques infirmières aux États-Unis et au Canada dans le cadre d’un rationnement des ressources, même siles positions des infirmières semblent plus modulées pour l’instant enFrance (Bourgeault et al., 2001). De même, les demandes de certainspatients de prolonger un peu plus leur séjour à l’hôpital parce qu’ils ne sesentent pas près à rentrer chez eux, notamment dans les services de trèscourt séjour, peuvent aujourd’hui être considérées comme des exigencesdéplacées. Le coût de la journée d’hôpital est alors mis en avant. La mise enbalance des demandes des patients et des demandes de l’institution pourraitpencher en faveur de cette dernière sur certains points, sans que ce mou-vement ni la priorité des normes implicitement mobilisées ne fassentaujourd’hui l’objet d’une réflexion collective de la part des personnelsinfirmiers.

Problèmes rencontrés par les patients

Les infirmières sont pourtant mises en situation de parer à une partie desproblèmes que rencontrent les patients et qui sont liés, entre autres, au rac-courcissement de la durée de leur présence à l’hôpital, aux comportementsque l’on attend d’eux et à l’autonomie qu’on leur prête.

L’ouverture récente, à l’initiative des infirmières qui sont en charge d’uneconsultation, d’une hot line – ligne téléphonique réservée aux appels despatients et équipée d’un répondeur – constitue un mode de prise en comptedes difficultés des patients. Contrairement aux autres dispositifs en place,ce sont ici les patients et leur entourage qui prennent l’initiative d’entrer enrelation avec les infirmières. S’ils peuvent, dans ce cadre, redemander des

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explications, des compléments d’informations sur les traitements qu’ilsvont subir, ils sont nombreux à faire part de problèmes rencontrés pendantles traitements et liés à leur expérience de leur maladie. Les questions sonttrès variées : demandes de prescriptions, conseils sur les moyens de trans-port, sur la façon d’obtenir rapidement des rendez-vous chez des spécialis-tes, mais aussi des demandes d’aide et de soutien pour poursuivre lestraitements, pouvoir aider les proches qui se découragent. Certains appel-lent parce qu’ils souhaitent pouvoir parler à quelqu’un qui veuille bien lesécouter. Tous ces appels témoignent du fait que de nombreux patients ontdu mal à faire face à toutes les tâches qui leur sont imputées, de façon déli-bérée ou non. Leur « autonomie » est, semble-t-il, plus limitée qu’ils ne lasouhaitent et n’est pas telle que les responsables hospitaliers et les profes-sionnels soignants semblent la concevoir, même lorsque leur état n’est pasconsidéré comme préoccupant selon des critères médicaux. La dispersiondes lieux de prise en charge suppose une connaissance du dispositif d’offrede soins et des règles de son fonctionnement qu’ils ne maîtrisent pas tous.Leur passage plus rapide dans l’institution laisse aux infirmières, auxaides-soignantes, aux personnels sociaux aussi, moins d’opportunitésd’apporter une aide pour des problèmes moins clairement identifiés ou plusliés à des situations personnelles particulières.

■ Conclusion

Le travail des infirmières est actuellement l’objet de reconfigurationsmultiformes, en raison de la brièveté des séjours, des démarches de rationa-lisation de la production de tous les services de l’établissement et des dépla-cements de tâches qu’elles occasionnent. Ces reconfigurations s’effectuentdans une tension entre les tâches à assurer dans le cadre défini par l’activitémédicale diagnostique et thérapeutique, les tâches entraînées par les modesde fonctionnement des services médico-techniques et logistiques, celles àmettre en place pour répondre aux besoins des patients. Ceci contraint lesinfirmières, dans un contexte de temps compté, à hiérarchiser les tâches àeffectuer. Les soins, techniques, directement dépendants des diagnostics ettraitements médicaux représentent des tâches prioritaires, dont les modifi-cations sont entraînées par l’évolution des savoirs et des techniques médi-cales. Une partie des tâches d’information des patients et de surveillancedes effets des traitements, est assurée en dehors du séjour hospitalier, fautede temps. Les normes professionnelles fortes qui conduisent à mettre enavant des tâches d’écoute et d’accompagnement des patients semblentbousculées par le temps disponible à consacrer à chacun des patients. Laredéfinition du travail sur les émotions qu’elles ont à assurer elles-mêmes etde celui qu’elles peuvent renvoyer à d’autres professionnels en est unexemple. La gestion des conséquences d’une prise en charge des patientsplus limitée dans le temps et plus réglée sur le temps des traitements

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médicaux, conséquences qui sont peut-être en rapport avec les possibilitésponctuelles d’autonomie des patients, conduit à se demander comment lesétablissements de santé vont pouvoir assurer une continuité des soins qu’ilsemble difficile de limiter au temps des tâches de soins techniques. Com-ment continuer à porter attention aux difficultés que les patients rencontrentdans leur expérience quotidienne de la maladie, à qui revient-il de s’encharger ? Le temps de cette prise en charge – le temps du déroulement del’expérience de la maladie et de l’accompagnement qu’elle suppose – estun temps défini par le patient et qu’il est difficile d’aligner avec celuique l’institution établit comme indispensable à une prise en charge de qua-lité, évaluée sur des critères médico-techniques. Les reconfigurationsactuelles du travail des infirmières suffisent-elles à atténuer les tensions quile sous-tendent ?

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