Les rapports juridiques entre les droits interne et...

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Université Robert Schuman Strasbourg Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion Les rapports juridiques entre les droits interne et communautaire dans le contentieux des contrats de la commande publique Mémoire de recherche présenté sous la direction de Monsieur le Professeur François LLORENS En vue de l’obtention du Master II “Droit public fondamental” Steeve BATOT Année universitaire 2007/2008

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Université Robert Schuman Strasbourg

Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion

Les rapports juridiques entre les droits

interne et communautaire dans le contentieux

des contrats de la commande publique

Mémoire de recherche présenté sous la direction de Monsieur le Professeur François LLORENS

En vue de l’obtention du Master II “Droit public fondamental”

Steeve BATOT

Année universitaire 2007/2008

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Mes remerciements s’adressent à

Monsieur le Professeur François LLORENS pour ses précieux conseils et sa grande disponibilité

et à Monsieur le Professeur Patrick WACHSMANN pour sa bienveillance.

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Liste des principales abréviations

AJDA Actualité Juridique du Droit Administratif ALD Actualité Législative Dalloz BJCP Bulletin Juridique des Contrats Publics CAA Cour Administrative d’Appel CE Conseil d’Etat CJA Code de Justice Administrative CJCE Cour de Justice des Communautés Européennes CJEG Cahier Juridique de l’Electricité et du Gaz Concl Conclusion Contrats et Marchés Publ. Contrats et Marchés Publics CP-ACCP Contrats publics. L’Actualité de la Commande et des Contrats Publics DA Droit Administratif EDCE Etudes et Documents du Conseil d’Etat Gaz.Pal. La Gazette du Palais JCP A Juris-Classeur Périodique – Administrations et collectivités territoriales JOCE Journal Officiel des Communautés Européennes JOUE Journal Officiel de l’Union Européenne LPA Les Petites Affiches PPLR Public Procurement Law Review RDC Revue Des Contrats RDI Revue de Droit Immobilier Rec Recueil du Conseil d’Etat Rec CJCE Recueil de la Cour de Justice des Communautés Européennes RFDA Revue Française de Droit Administratif RIDC Revue Internationale de Droit Comparé RJEP Revue Juridique de l’Entreprise Publique RRJ Revue de la Recherche Juridique, droit prospectif RTDE Revue Trimestrielle de Droit Européen TA Tribunal Administratif

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Sommaire

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS.......................................................................1

SOMMAIRE ..........................................................................................................................2

INTRODUCTION...................................................................................................................3

CHAPITRE I. UNE PLEINE RECEPTION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE.............................................................................................................8

Section I. La soumission des actes à un contrôle juridictionnel : un facteur de contrainte modéré ............................................................................................................................................9

§ 1. Les actes du pouvoir adjudicateur .........................................................................................9 § 2. L’acte contractuel ............................................................................................................... 17

Section II. L’instauration d’un recours juridictionnel efficace : un puissant facteur de contrainte...................................................................................................................................... 23

§ 1. Une mise en œuvre simplifiée des recours........................................................................... 23 § 2. Les pouvoirs du juge des référés précontractuels ................................................................. 28

CHAPITRE II. UNE LARGE SURESTIMATION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE ..................................................................................................32

Section I. Le dépassement des exigences communautaires dans la recherche de l’irrégularité...... 33 § 1. Une exagération à l’initiative du législateur......................................................................... 33 § 2. Une exagération à l’initiative du juge.................................................................................. 41

Section II. Le dépassement des exigences communautaires dans le traitement de l’irrégularité.... 51 § 1. La rigueur constante du juge des référés précontractuels ..................................................... 51 § 2. Le pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat............................................ 56

CONCLUSION....................................................................................................................63

BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................64

TABLE DES MATIERES ....................................................................................................71

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Introduction

S’il y avait une manière élégante et courtoise de qualifier jadis le droit processuel des

contrats publics, viennent immédiatement à l’esprit les termes d’infirmité et d’inefficacité. Infirme,

le contentieux contractuel l’était assurément en ce qu’il était dépourvu, au même titre que l’ensemble

du contentieux administratif, de véritable moyen destiné à garantir une application effective du droit

régissant les contrats publics. Ainsi, convient-il de rappeler combien le sursis à exécution, parent

défunt de l’actuel référé-suspension, fut critiqué par les praticiens et les universitaires pour sa mise

en œuvre des plus exceptionnelles. Inefficace, le contentieux contractuel l’était largement car il

restait incapable d’empêcher ou de sanctionner une procédure de passation pourtant effectuée dans

des conditions irrégulières. Les candidats malheureux à l’attribution d’un marché plaçaient alors

leurs espoirs dans le contentieux de l’excès de pouvoir, le Conseil d’Etat ayant ouvert il y a plus

d’un siècle un recours à l’encontre des actes détachables du contrat1. Pourtant, les délais dans

lesquels le juge se prononçait pour statuer sur la légalité d’un tel acte ne lui permettaient pas de

paralyser la recherche d’un accord de volontés puisque, le plus souvent, la signature du contrat

intervenait antérieurement à sa décision. Quand bien même l’illégalité entachant l’acte préalable

entraînait son annulation, la saisine du juge du plein contentieux afin qu’il en tire les conséquences

sur le contrat constituait une suite contentieuse logique. Mais l’insouciance longtemps demeurée de

la haute juridiction administrative envers les conséquences de ses décisions juridictionnelles ne

participait en rien à une quelconque recherche d’efficacité des recours. L’annulation d’un acte

détachable par le juge de l’excès de pouvoir restait au contraire maladivement « platonique »,

comme l’eût dit le Commissaire du Gouvernement ROMIEU dans ses célèbres conclusions sur l’arrêt

Martin, c'est-à-dire sans aucun effet sur le contrat. Le lien entre le juge de l’excès de pouvoir et le

juge du contrat restait profondément distendu en raison du refus du juge administratif, limitant par là

son office, de prononcer une injonction à l’encontre des personnes publiques. Restait seulement à

disposition des entreprises lésées un recours indemnitaire qui n’avait aucunement pour objet de

mettre une nouvelle fois le marché en concurrence. Un acte contractuel reposant sur des fondements

illégaux bénéficiait donc d’une véritable immunité qui le plaçait généralement à l’abri de toute

sanction juridictionnelle. Ainsi peut être sommairement représenté le schéma contentieux tel qu’il

était conçu il y a encore deux décennies. S’il reste à certains égards inchangé, il s’est depuis

1 CE, 4 août 1905 : Martin, Rec., p. 749, concl. ROMIEU.

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imprégné d’un souci constant d’efficacité « venu d’ailleurs » 2 , autrement dit, du droit

communautaire.

Consciente du poids économique grandissant des marchés publics dans l’espace

communautaire, la Commission Européenne eut pour action prioritaire au milieu des années quatre-

vingt une recherche accrue de transparence et de mise en concurrence pour leur attribution. C’est la

raison pour laquelle elle a proposé une rénovation des directives régissant les marchés publics,

notamment dans le cadre de la réalisation du marché unique. Mais l’ambition dont elle a fait preuve

serait sans doute restée lettre morte dans les droits des Etats membres si aucune contrainte efficace

n’était venue en assurer une réelle application. Ainsi, deux directives du Conseil que l’usage

dénomme par commodité directives « recours » ont pu être successivement adoptées : l’une le 21

décembre 1989 relative aux secteurs « classiques », « de base » ou encore « réseaux »3 ; l’autre le 25

février 1992 applicable dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et enfin des services

postaux4. Leur objectif est de permettre à une entreprise qui s’estime irrégulièrement écartée de

l’attribution d’un marché public, de soumettre le litige à une autorité administrative indépendante ou

à un juge, dans des conditions satisfaisantes d’efficacité et de rapidité. Destinées à garantir une

application effective des dispositions matérielles5 par les autorités administratives et juridictionnelles

nationales, leurs poids respectifs dans la construction du contentieux contractuel est pourtant de

valeur inégale. Ce manque d’équilibre en défaveur de la seconde s’explique aisément par son objet

uniquement réservé aux secteurs dits « spéciaux » ou « exclus », mais aussi, et contrairement à son

aînée, en raison du faible nombre d’arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés

Européennes sur son fondement. L’apparente inégalité qui les distingue ne doit pas pour autant

masquer le profond renouvellement des pratiques contentieuses des Etats membres auquel elles ont

conjointement participé.

2 R. CHAPUS : Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12ème éd., 2006, p. 1439. 3 Directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives,

réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, de fournitures et de travaux (JOCE du 30 décembre 1989, L 395, p. 33).

4 Directive 92/13 CEE du Conseil du 25 février 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JOCE du 23 mars 1992, L 76, p. 14).

5 Il s’agit actuellement des directives 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JOUE du 10 avril 2004, L 134, p. 1) et 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JOUE du 10 avril 2004, L 134, p. 114).

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5

En droit français, la transposition des directives « recours » a donné naissance aux célèbres

référés précontractuels administratifs6, mais aussi judiciaires. Au terme de l’article L 551-1 CJA,

l’objet de cette nouvelle voie de droit est de permettre au Président d’un Tribunal Administratif ou

au magistrat qu’il délègue, de statuer en la forme des référés et de prendre, en premier et dernier

ressort, des mesures destinées à supprimer ou corriger les manquements aux obligations de publicité

et de mise en concurrence affectant la passation des contrats qui lui sont soumis. Son introduction

dans le paysage juridique interne fut pleinement remarquée7 en ce qu’elle conférait au juge des

référés des pouvoirs dont le juge du principal lui-même ne disposait pas. Une partie de la doctrine

avisée a d’ailleurs vu en lui « l’émergence d’un recours contentieux du troisième type » 8 .

L’étonnement qu’il suscita dans un premier temps par son caractère novateur s’est ensuite estompé,

laissant place à un véritable engouement au service de la norme communautaire9. Mais du côté

européen, la simple édiction de directives ne pouvait suffire. Convenait-il encore de leur apporter par

voie jurisprudentielle une interprétation conforme aux objectifs poursuivis par le législateur

communautaire. Depuis quelques années déjà10, la Cour de Justice a joué en ce sens un rôle

déterminant en élaborant une jurisprudence à la fois ferme et dynamique, nuancée et pragmatique.

C’est ainsi que les exigences des directives « recours » n’ont cessé d’être précisées, si bien que

l’émergence d’un « régime contentieux des marchés publics saisi par le droit communautaire » 11

n’a pu échapper aux regards de certains auteurs.

Parce qu’elles sont souvent remarquables par leur concomitance flagrante et leur singulière

« parenté d’esprit et d’orientation »12, les solutions dégagées par les juges interne et communautaire

invitent à une réflexion d’ensemble sur les rapports juridiques partagés entre ces deux ordres. Rendre

compte des rapports entre les ordres interne et communautaire implique de déterminer la

contribution de leurs droits respectifs dans la construction du contentieux contractuel. Il est 6 La directive 89/665 du 21 décembre 1989 est transposée par la loi n° 92-10 du 4 janvier 1992 et le décret n° 92-

964 du 7 septembre 1992 (art. L 551-1 CJA). La directive 92/13 du 25 février 1992 est transposée par la loi n° 93-1416 du 29 décembre 1993 (art. L 551-2 CJA).

7 Voir notamment : M. RONCIERE : « L’article L 22 : innovations et interrogations », in LPA, 12 août 1994, p. 7 ; D. CHABANOL : « Les articles L 22 et L 23 du code des TA-CCA », in Gaz. Pal., 25-27 décembre 1994, doctrine, p. 2 ; R. VANDERMEEREN : « Le référé administratif précontractuel », in AJDA, 1994, p. 91.

8 Ph. TERNEYRE : « L’émergence d’un recours contentieux du troisième type », in ALD, 1992, p. 82. 9 Pour illustrer la volonté particulièrement marquée des membres de la juridiction administrative au respect des

exigences de la directive « recours », voir J-H. STAHL et D. CHAUVAUX : « Régime du référé précontractuel », in AJDA, 1995, p. 888.

10 Sans méconnaître l’importance des décisions antérieures, les arrêts rendus sur le fondement des directives « recours » n’ont acquis une véritable richesse de contenu que depuis l’affaire Alcatel Austria : CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria AG e.a., aff. C-81/98, Rec. CJCE, p. I-7671.

11 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Le régime contentieux des marchés publics saisi par le droit communautaire », in Contrats et Marchés Publ., juin 2003, n° 6, Repère 6.

12 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « La nouvelle directive “recours” et la conclusion du contrat », in Contrats et Marchés Publ., février 2008, n° 2, Repère 2.

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indéniable que le droit communautaire représente un important facteur de contrainte sur le droit

français car ce dernier est soumis aux obligations découlant du principe de primauté inhérent au

système juridique communautaire. Ces obligations impliquent de façon traditionnelle une conformité

du droit interne aux règles communautaires qui prévalent sur les lois et règlements qui ne sont pas

compatibles avec elles13. Mais si le droit communautaire contraint le droit français, il semble que la

paternité d’un droit processuel interne considéré comme efficace ne peut lui être exclusivement

attribuée. Autrement dit, il est des cas dans lesquels le droit interne peut contribuer lui-même à

l’élaboration de ses propres règles contentieuses. De récentes solutions dégagées à Luxembourg

comme au Palais Royal incitent davantage à une telle interrogation. Le droit français s’est en effet

enrichi, le 16 juillet 2007, d’un arrêt d’Assemblée Sté Tropic Travaux Signalisation14, lequel avait

notamment pour ambition l’ouverture, au profit de certains tiers, d’un recours direct à l’encontre du

contrat ou des clauses qui en sont divisibles. Deux jours seulement après la lecture de cette décision,

la Cour de Justice condamne l’Allemagne pour ne pas avoir résilié des conventions conclues en

violation des règles de publicité et de mise en concurrence15. Les ressemblances frappantes qui

animent la construction du contentieux contractuel aux niveaux interne et communautaire se trouvent

encore renforcées par l’adoption d’une directive16, elle-même destinée à modifier les directives

« recours », dans la mesure où elle a pour principal objet de priver d’effets les contrats conclus en

méconnaissance du droit communautaire.

On le voit, la question des rapports juridiques entre les droits interne et communautaire prend

place dans un débat complexe et beaucoup plus large. Bien plus qu’un simple dialogue aujourd’hui

apaisé et constructif, les rapports juridiques prennent ici une véritable allure d’« influences »17

réciproques dans lesquelles le droit interne peut inspirer ou influer sur la détermination des

exigences communautaires. Il sera donc permis de s’émanciper du seul cadre hiérarchique et

contraignant dans lequel deux ordres apparemment antinomiques s’opposent car cette vision serait

profondément réductrice de la réalité juridique et aurait pour inconvénient de ne rendre compte des

apports de chaque droit dans le contentieux considéré.

13 CE, Ass. 20 octobre 1989 : Nicolo, Rec., p. 190, concl. P. FRIDMAN. 14 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545. 15 CJCE, 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, Rec. CJCE, p. I-8153. 16 Directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives

89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (JOUE du 20 décembre 2007, L 335, p. 31). La date limite de transposition de cette directive est fixée au plus tard pour le 20 décembre 2009.

17 Il est ici fait référence au rapport public du Conseil d’Etat publié en 2007 dont l’intitulé est révélateur des rapports pacifiés entretenus par les deux ordres juridiques : « L’administration française et l’Union Européenne, Quelles influences ? Quelles stratégies ? », EDCE, 2007, n° 58.

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7

Au lendemain de l’arrêt Nicolo, il parut naturel au législateur national de ne pas entraver les

ambitions communautaires par une transposition abusivement restrictive des directives « recours ».

L’interprétation des textes par le juge interne n’a, en principe, cessé de confirmer cette volonté

initiale. C’est donc dans ce climat de relations pacifiques entre les deux systèmes juridiques que

l’étude des rapports entre les droits interne et communautaire dans le contentieux contractuel doit

être envisagée. Il en résulte que prédominent deux tendances dont il convient dès à présent de donner

la mesure. Si le droit interne s’est aujourd’hui conformé au droit communautaire, c’est au prix d’une

pleine réception des exigences qui en découlent (Chapitre I). Mais il apparaît également que le droit

français excède ce qu’elles impliquent et les surestime largement (Chapitre II).

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Chapitre I. Une pleine réception des exigences

communautaires par le droit interne

C’est à juste titre que le droit communautaire est unanimement perçu comme un facteur de

contrainte sur les réglementations nationales. Ce sentiment résulte en effet des conséquences du

principe de primauté ainsi que des procédures contentieuses éventuellement déclenchées à l’encontre

d’un Etat velléitaire. Le contentieux contractuel atteste avec évidence de cette contrainte redoutable.

Soucieux de servir au mieux le principe de légalité, le droit communautaire est animé par la

dynamique d’un droit au recours effectif qu’il érige au rang de principe général du droit. Cette

exigence revêt une intensité particulièrement vive lorsqu’il est question d’interpréter les directives

« recours ». Le terme de « recours efficace » qu’elles préfèrent employer irrigue en effet l’ensemble

des impératifs communautaires. Toutefois, cette contrainte est variablement ressentie par chaque

Etat membre. Elle s’exprime différemment au sein des ordres juridiques, en fonction de l’état de

développement de leur droit interne. La contrainte peut donc déployer tous ses effets, avoir un

caractère novateur et contribuer à de profondes modifications des règles processuelles internes, mais

elle peut également s’inscrire dans la continuité des solutions communément admises sans

foncièrement les bouleverser. Par conséquent, si le droit communautaire est un facteur de contrainte

modéré s’agissant de la soumission des actes à un contrôle juridictionnel (Section I), il est un

puissant facteur de contrainte dans l’introduction en droit interne d’un recours juridictionnel efficace

(Section II).

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Section I. La soumission des actes à un contrôle juridictionnel :

un facteur de contrainte modéré

La soumission des actes à un contrôle juridictionnel est imposée par le droit communautaire.

La réception de cette exigence s’est effectuée avec aisance et commodité, sans perturber ni

contredire le droit interne. Une procédure de passation se caractérise en effet par une succession de

décisions émanant d’une personne publique. Celles-ci participent à une recherche de volontés et

concourent à la formation d’un contrat. Afin de se conformer au souhait du législateur communautaire

en instaurant une voie de droit efficace et de répondre aux exigences suscitées par l’effet utile des

directives « recours », l’ensemble de ces actes est naturellement soumis à un contrôle juridictionnel ;

qu’il s’agisse des actes du pouvoir adjudicateur (§ 1) mais aussi de l’acte contractuel (§ 2).

§ 1. Les actes du pouvoir adjudicateur

Aux termes des directives « recours », le recours précontractuel que les Etats sont tenus de

mettre en place doit être efficace. Cet objectif serait compromis s’il était possible de soustraire au

contrôle juridictionnel des actes ayant participé à la formation d’un contrat. C’est la raison pour

laquelle le droit communautaire eut pour principale action la recherche d’une pleine soumission des

actes du pouvoir adjudicateur au principe de légalité (A). Pleinement atteint, cet objectif constitue

nécessairement un facteur de contrainte sur les droits des Etats membres. Mais à la réflexion, cette

contrainte n’est que d’un poids relatif sur le droit français (B).

A. La recherche par le droit communautaire d’une pleine soumission

des actes du pouvoir adjudicateur au principe de légalité

Après avoir amplement proclamé sa volonté de contrôler l’ensemble des actes du pouvoir

adjudicateur (1), la Cour de Justice n’a cessé de mettre en œuvre les ambitions initialement affirmées

au service de l’efficacité (2).

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10

1. Une volonté amplement proclamée

L’article 1er § 1er de la directive « recours » énonce que « les décisions prises par les

pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que

possible dans les conditions énoncées aux articles suivants […] ». Ainsi rédigée, cette disposition a

permis aux administrations nationales de faire valoir leurs craintes et d’exprimer leurs réticences à

l’égard de la norme communautaire. En effet, le terme de « décisions prises par les pouvoirs

adjudicateurs » ne fait l’objet d’aucune définition, encore moins d’une liste précise. Son application

effective aurait alors pu être compromise dans la mesure où ses silences et ses lacunes

rédactionnelles étaient généralement interprétés comme autant de restrictions à sa mise en oeuvre. La

Cour de Justice a pourtant pallié ces inconvénients potentiels par une jurisprudence audacieuse.

L’affaire Alcatel Austria18 va être l’occasion pour elle d’exprimer pour la première fois sa

volonté de soumettre l’ensemble des actes du pouvoir adjudicateur au contrôle d’une instance

nationale chargée des recours. En l’espèce, la question posée par une juridiction autrichienne a

conduit la Cour à exiger que la décision d’attribution d’un marché fasse l’objet d’un recours au sens

de la directive. La principale difficulté venait de ce que la législation nationale en cause distinguait

insuffisamment la décision d’attribution du marché et la signature de celui-ci. Or, les mesures de

publicité n’étant prescrites qu’à l’égard de la conclusion du contrat, les tiers n’avaient, en pratique,

d’autre choix que d’exercer un recours en dommages et intérêts. La compensation s’avérait donc peu

satisfaisante, compte tenu notamment des difficultés que pouvait éprouver une entreprise évincée

dans la démonstration de l’étendue exacte de son préjudice et du lien de causalité avec la violation

du droit communautaire. Si la Cour en déduit logiquement que l’attribution du marché doit être en

mesure de faire l’objet d’un recours efficace et rapide, c’est parce que cette décision est « la plus

importante de la procédure »19. Mais la Cour ne s’est pas contentée d’une réponse platonique. Elle a

fait preuve d’audace en considérant que l’article 1er § 1er de la directive « recours » ne prévoit

« aucune restriction en ce qui concerne la nature et le contenu »20 des décisions attaquables.

Plusieurs fois reprise 21 , cette formulation résulte pleinement de l’interprétation téléologique

employée par la Cour.

18 CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, Rec. CJCE, p. I-7671, in RDI, 2001, p. 165, note

F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX. 19 Concl. J. MISCHO, point 31, sur CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc. 20 CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc., point 35. 21 CJCE, 19 juin 2003 : GAT GmbH, aff. C-315/01, Rec. CJCE, p. I-6315, point 52 ; CJCE, 11 janvier 2005 :

Stadt Halle, aff. C-26/03, Rec., CJCE, p. I-1, point 32.

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L’interprétation fonctionnelle a en effet pour principal avantage le rejet de toute définition

complète ou exhaustive, faisant au besoin référence à des critères qui suivent une logique habituelle.

Le recours à ce mode de jugement au nom de l’effet utile des directives conduit la Cour à déterminer

la signification de la règle en fonction des objectifs qu’elle poursuit. Ainsi, elle ne justifie la solution

retenue que par le seul but escompté par le législateur. Or, l’objectif à atteindre est des plus larges

puisqu’il consiste en une meilleure application du droit communautaire matériel par l’ouverture des

recours. C’est ainsi que les décisions susceptibles de recours doivent s’entendre « dans le sens d’une

interprétation favorable à la protection juridique »22.

Par sa décision Alcatel Austria, la Cour de Justice a posé les jalons d’une construction

jurisprudentielle audacieuse dont le dynamisme a été favorisé par la méthode d’interprétation

employée. Mais fallait-il encore en parachever l’édification par une mise en oeuvre concrète au

service de l’efficacité.

2. Une mise en œuvre au service de l’efficacité

L’ensemble des affaires parvenues au prétoire de la Cour du Luxembourg met en évidence

les arguments dont ont fait usage les administrations nationales afin d’entraver l’application effective

de l’article 1er § 1er de la directive « recours ». Les argumentations développées étaient d’abord

fondées sur l’absence de réglementation de l’acte du pouvoir adjudicateur par les directives

matérielles, puis sur sa localisation dans la procédure de passation.

Les considérants des directives « recours » justifient leur existence. Ces textes ont pour

fonction de garantir une application effective des directives matérielles qui sont par elles-mêmes

dépourvues de tout moyen de contrainte à cet égard. Offrir un droit à un justiciable sans lui en

garantir le respect atteste en effet de l’insuffisance d’une réglementation. Mais ces précisions étant

données, la sanction juridique des seules directives matérielles porterait incontestablement atteinte à

l’effet utile du Traité communautaire qu’elles concrétisent ainsi qu’à l’effet utile attaché à la

directive « recours ». C’est la raison pour laquelle la Cour de Justice a admis, à plusieurs reprises,

que les actes non réglementés par les directives matérielles sont susceptibles de recours. Dans

22 Concl. Ch. STIX-HACKL, point 61, sur CJCE, 2 juin 2005 : Koppensteiner GmbH, aff., C-15/04, Rec. CJCE,

p. I-4855.

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l’affaire Hospital Ingenieure23, la question lui a été posée de savoir si la décision de retrait d’un

appel d’offres devait faire l’objet d’un recours efficace et rapide au sens de la directive. La difficulté

juridique venait de ce que la directive matérielle applicable au cas d’espèce ne précisait en rien les

conditions de retrait d’un appel d’offres, si ce n’est de manière sommaire et laconique. La Cour a

logiquement considéré, eu égard à l’objectif de renforcement des voies de recours, que « dès lors que

la décision du pouvoir adjudicateur de retirer un appel d'offres pour un marché public de services

est soumise aux règles matérielles pertinentes du droit communautaire, il y a lieu de conclure qu'elle

relève également des règles prévues par la directive 89/665 afin de garantir le respect des

prescriptions du droit communautaire en matière de marchés publics »24. Cette solution a été

confirmée, notamment dans une affaire Makedoniko Metro25, au sujet des groupements d’entreprises.

La question posée par la juridiction de renvoi était de savoir si, compte tenu du fait que la

modification de ces groupements ne fait l’objet d’aucune précision par les directives matérielles, les

décisions du pouvoir adjudicateur qui s’y rapportent demeurent susceptibles de recours. La Cour a

logiquement répondu par l’affirmative en considérant que même si la modification d’un groupement

n’est pas réglementée par les directives matérielles, les principes des traités, notamment le principe

d’égalité de traitement, régissent également les procédures de passation des marchés publics. Il

apparaît donc que l’absence de réglementation par les directives matérielles d’un acte pris par le

pouvoir adjudicateur est indifférent à la possibilité dont disposent les entreprise lésées d’exercer un

recours à son encontre. Un libéralisme identique inspire la jurisprudence communautaire lorsqu’il est

question de soumettre aux directives « recours » un acte pris par le pouvoir adjudicateur en amont et

en dehors d’une procédure formelle de passation.

Du point de vue de l’effectivité des recours, le moment de la prise d’un acte importe peu. La

Cour de Justice a d’ailleurs jugé lors d’un recours en manquement à l’encontre de l’Espagne26 qu’il

n’était pas exclu que des actes de procédure, telles que de simples mesures préparatoires ou études

préliminaires, soient attaquables. Mais considérer comme susceptibles de recours des actes sans

véritable rapport avec une procédure de passation aurait pour désavantage d’encourager les actions

dilatoires et contreviendrait assurément au principe de sécurité juridique implicitement consacré par

les directives « recours ». C’est pourquoi la Cour a précisé que pour être justiciables, il est nécessaire

que les actes en question « tranchent, directement ou indirectement, le fond de l’affaire ; qu’ils 23 CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure Krankenhaustechnik – Planungs Gesellschaft GmbH, aff. C-92/00,

Rec. CJCE, p. I-5553, in Contrats et Marchés Publ., septembre 2002, n° 8, comm. 196, note F. LLORENS. 24 CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc., point 43. 25 CJCE, 23 janvier 2003 : Makedoniko Metro et autres, aff. C-57/01, Rec. CJCE, p. I-1091, in contrats et marchés

publ., mars 2003, n° 3, comm. 50, note F. LLORENS. 26 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. 214/00, Rec. CJCE, p. I-4667.

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entraînent l’impossibilité de poursuivre la procédure ; ou qu’ils causent des préjudices irréparables

à des droits ou intérêts légitimes »27. La solution dégagée a été confirmée par l’arrêt Stadt Halle28

dans lequel la Cour a précisé que le refus du pouvoir adjudicateur d’engager une procédure formelle

de passation est une décision au sens des directives. Par conséquent, peu importe que l’acte soit pris

en dehors et en amont d’une procédure formelle de passation.

Le refus d’enfermer la logique contentieuse dans le formalisme aboutit à ce que les silences

de l’article 1er § 1er deviennent en réalité la source de son efficacité. Cette disposition doit alors être

interprétée en ce sens qu’il ne ressort « aucune indication restrictive ni aucun autre indice

permettant une quelconque restriction du champ des décisions [susceptibles de recours] en fonction

de leur contenu »29. Conçue de manière aussi extensive et illimitée, la notion de « décisions prises

par les pouvoirs adjudicateurs » contraint assurément les Etats membres dans les conditions

d’ouverture des recours tenant aux actes attaquables. Ils ne peuvent en effet difficilement restreindre

les actes susceptibles de recours sans méconnaître le droit communautaire. Le poids de cette

contrainte s’avère néanmoins relatif sur le droit français.

B. Le poids relatif de la contrainte communautaire sur le droit interne

Sans méconnaître l’intensité de la contrainte, l’intégration des exigences communautaires

relatives aux actes susceptibles de recours n’a pas révolutionné le droit français. Si leur réception est

largement restée indifférente à la pratique contentieuse (1), elle ne doit toutefois pas masquer la

présence de résistances internes ponctuelles (2).

27 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. 214/00, préc., point 79. 28 CJCE, 11 janvier 2005 : Stadt Halle, aff. C-26/03, Rec., CJCE, p. I-1, in Europe, mars 2005, n° 3, comm. 89, note

E. MEISSE ; confirmé par CJCE, 3 mars 2004 : Fabricom SA, aff. Jtes C-21/03 et C-34/03, rec. CJCE, p. I-1559, in Contrats et Marchés Publ., avril 2005, n° 4, comm. 127, note W. ZIMMER : en l’espèce, il est établi que le fait pour un pouvoir adjudicateur de ne pas prendre une décision relative à la possibilité ou non de candidater à un marché constitue une décision attaquable au sens de la directive « recours ».

29 Concl. A. TIZZANO, point 24, sur CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc.

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1. Une réception largement indifférente des exigences communautaires

En vertu de l’article L 551-1 CJA, le juge des référés précontractuels peut être saisi de toute

décision relative à une procédure de passation. La formulation retenue par cette disposition étant des

plus larges, il appartient au juge d’en délimiter les contours et de définir les actes qui lui sont soumis,

tout en respectant l’interprétation des directives donnée par la Cour de Justice.

Avant l’avènement des référés précontractuels en droit interne, les décisions des personnes

publiques préalables à la conclusion du contrat étaient seulement susceptibles d’un recours pour

excès de pouvoir en leur qualité d’actes détachables. La détachabilité était d’ailleurs largement

reconnue30, car élaborée il y a plus d’un siècle, elle participait à une politique classique de lutte

contre l’arbitraire ayant pour corollaire une justiciabilité accrue des actes émanant de

l’Administration. C’est aujourd’hui avec cette fiction de l’acte détachable que cohabitent les référés

précontractuels. Il paraissait donc évident de considérer comme attaquable au sens de l’article

L 551-1 CJA un acte susceptible de recours pour excès de pouvoir. Ainsi, pour n’en donner que

quelques exemples, la décision d’attribution du contrat ou celle autorisant sa signature sont soumis

aux référés précontractuels.

Il apparaît néanmoins que les actes justiciables des référés précontractuels possèdent une

acception plus large encore que ceux attaquables au titre du recours pour excès de pouvoir. Pour

illustration, le Conseil d’Etat admet le recours d’un opérateur à l’encontre d’une décision lui refusant

l’ouverture des négociations et n’ayant fait l’objet d’aucune formalisation puisqu’elle découlait

implicitement de l’engagement des pourparlers avec les candidats retenus31. Il en va de même pour

les avis d’appel public à la concurrence qui, attaquables au titre de l’article L 551-1 CJA32,

demeurent insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. Ils sont en effet assimilés à des mesures

préparatoires prenant place dans la réflexion interne de l’Administration. Les solutions ainsi

dégagées par le juge ont le mérite de se conformer avec évidence aux exigences communautaires,

notamment celles émanant des arrêts Commission contre Royaume d’Espagne et Stadt Halle.

Toutefois, il semble que la contestabilité d’actes simplement préparatoires n’ait en rien bouleversé la

30 R. CHAPUS : Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12ème éd., 2006, p.708 : la détermination des

décisions détachables « est simple, puisqu’on peut dire qu’elles sont toutes détachables, depuis celles qui acheminent vers la conclusion [...] du contrat […] jusque, le cas échéant, à celles qui en approuvent la conclusion ».

31 CE, 15 décembre 2006 : Sté Corsica Ferries, Rec., p. 566, in AJDA, 2007, p. 185, note J-D DREYFUS, au sujet de la passation d’un contrat de délégation de service public.

32 TA, Clermont-Ferrand, 13 février 1995 : Préfet du Puy-de-Dôme /c. OPAC du Puy-de-Döme et du Massif central, Rec., p. 926.

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pratique contentieuse française. En effet, dès lors qu’un acte est insusceptible de recours pour excès

de pouvoir, car dénué de portée décisoire, l’irrégularité qui l’affecte peut être invoquée à l’appui

d’un recours exercé à l’encontre d’un acte ultérieur et directement attaquable. L’acte insusceptible de

recours pour excès de pouvoir ne peut donc se soustraire à la sanction du principe de légalité.

Par conséquent, les solutions retenues par le juge des référés précontractuels n’ont

aucunement altéré la pratique contentieuse interne car elles s’inscrivent directement dans la

continuité de celles admises au titre du recours pour excès de pouvoir. Elles consistent à faciliter

l’accès au prétoire en considérant comme susceptibles de recours un nombre d’actes toujours plus

important. Le poids de la contrainte communautaire se réduit donc à ce que le juge ne se distancie

outre mesure des solutions dégagées au titre du contentieux de l’acte détachable. Mais le référé

précontractuel est imposé par le droit communautaire. Cela signifie que dans une politique de

résistance, la jurisprudence aurait parfaitement pu se départir des solutions dégagées par le juge de

l’excès de pouvoir pour contenir une conception plus restrictive des décisions susceptibles de

recours. Ces résistances existent mais demeurent fort heureusement ponctuelles.

2. Des résistances ponctuelles

La volonté de circonscrire les avancées communautaires dans le contentieux interne s’est

traduite par une limitation de l’office du juge des référés précontractuels. Ce dernier s’est interdit, à

deux reprises, d’exercer son contrôle sur certains actes pourtant susceptibles de recours pour excès

de pouvoir.

La première limite est relative à la décision de retrait d’un appel d’offres. Sur ce point, le

droit français contredit la lettre même de la jurisprudence communautaire. Celle-ci indique de

manière explicite que « dans la mesure où, en vertu du droit national […], il n’est pas possible pour

un soumissionnaire de contester une décision de retrait d’un appel d’offres en ce qu’il est contraire

au droit communautaire et de demander pour cette raison son annulation, le droit national ne

respecte pas les exigences (…] de la directive 89/665 »33. Parce qu’elle bénéficie d’un pouvoir

discrétionnaire, la personne responsable du marché se voit reconnaître par le droit français la faculté

de ne pas donner suite à une procédure de passation pour un motif d’intérêt général. Dans cette

hypothèse, une jurisprudence constante interdit au juge des référés précontractuels d’exercer ses

33 CJCE, 2 juin 2005 : Koppensteiner GmbH, aff. C-15/04, préc., point 31 ; annoncée par CJCE, 18 juillet 2002 :

Hospitale Ingénieure, aff.C-92/00, préc.

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pouvoirs. Cette prohibition s’exprime de deux manières. D’une part, le retrait par l’administration

des procédures d’appel d’offres rend sans objet le pourvoi en cassation contre l’ordonnance ayant

rejeté les demandes dirigées contre ces procédures34. D’autre part, le juge rend une ordonnance de

non lieu sur le pourvoi dirigé contre l’ordonnance ayant statué sur une procédure d’appel d’offres

lorsque, après avoir décidé de ne pas lui donner suite, la personne publique lance une nouvelle

procédure et attribue la marché 35 . Ces solutions peuvent sembler surprenantes. Elles sont

difficilement justifiables si l’on argue de la volonté du Conseil d’Etat d’entraver à moindre mesure le

pouvoir discrétionnaire traditionnellement reconnu à l’Administration. Il est en effet admis que le

juge administratif encadre de tels pouvoirs par le contrôle qu’il effectue sur les décisions des

personnes publiques. Le contentieux de l’expropriation dans lequel il exerce un contrôle de

proportionnalité sur les déclarations d’utilité publique révèle par exemple cet effort constant. Par

ailleurs consciente du compromis qui prévaut entre la pérennité du pouvoir discrétionnaire et la

limitation des exclusions arbitraires des candidats potentiels, la Cour de Justice admet que l’instance

nationale responsable des recours s’en tienne à un contrôle restreint36. Il est donc certain que le refus

du juge des référés précontractuels d’exercer son contrôle sur la procédure une fois l’appel d’offres

retiré s’explique par la résistance aux contraintes communautaires. Pourtant, une telle limitation de

son office peut conduire à ce qu’une entreprise lésée lors de la première procédure bénéficie de

chances obsolètes lorsque l’Administration relance la consultation, sans qu’elle puisse utilement

introduire un recours précontractuel à l’encontre de la décision de retrait. Pire encore dans

l’hypothèse où l’administration ne relance aucune procédure d’attribution.

La seconde limite concerne la décision de signer le contrat. Cette décision est révélée par

l’acte contractuel puisqu’en principe, seul ce dernier fait l’objet de mesures de publicité. La décision

de signer lui est donc matériellement inséparable. Très tôt, le juge des référés précontractuels a

estimé que ces pouvoirs cessent une fois le contrat conclu37. Il rejette alors la requête et juge le

recours irrecevable s’il est intenté après la signature ou sans objet si cette dernière intervient en cours

34 CE, 26 mai 1999 : Sté anonyme Steelcase Strafor, Rec., p. 890, in BJCP, 1999, p. 523, Concl. H. SAVOIE. 35 CE, 28 avril 2004 : SA Entreprise Roger Martin, Rec., p. 771 ; CE, 30 novembre 2005 : Sté Transports Cerdans et

a., Juris-Data n° 2005-069361, in Contrats et Marchés Publ., février 2006, n° 2, comm.55, note F. LLORENS. 36 Concl. A. TIZZANO, point 37, sur CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc : Selon l’Avocat

général repris par la Cour, Il est possible que l’instance nationale responsable des recours s’en tienne à « la vérification des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir ».

37 TA, Montpellier, 10 juin 1993, Sté Stan /c. Commune de Canet-en-Roussillon, Rec., p. 514 : « Les pouvoirs du Président du Tribunal Administratif […] ne peuvent être exercés qu’avant la signature du contrat, et le recours présenté […] ne peut tendre à l’annulation de celui-ci ou à la suspension de ses effets » ; CE, sect. 3 novembre 1995 : Chambre de commerce et d’industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, Rec., p. 394, AJDA, 1995, p. 945, chron. J-H. STAHL et D. CHAUVAUX.

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d’instance38. En raison de sa constance, de sa rigueur, de ses conséquences pratiques, cette limitation

que le juge a infligé à son office n’a pu échapper à la critique. Mais contrairement au refus du juge

des référés de connaître de la décision de retrait d’un appel d’offres, la contradiction avec le droit

communautaire est moins flagrante puisque la Cour n’a aucunement remis en cause le caractère

strictement précontractuel des référés. La solution dégagée par le juge interne contrarie néanmoins

l’insaisissable effet utile constamment attaché à la directive « recours ».

Ces deux limites peuvent être considérées comme ponctuelles en ce que leur quantité ne

révèle en rien une discordance éclatante avec le droit communautaire. Elles témoignent davantage de

l’ultime intention du juge de contenir les avancées d’un droit étranger dans le contentieux

contractuel interne. Enfin, les critiques dont elles ont fait l’objet ont perdu depuis peu de leur ardeur

puisqu’un recours juridictionnel est susceptible de s’ouvrir à l’encontre de l’acte spécifique que

représente le contrat.

§ 2. L’acte contractuel

Les exigences communautaires sont souvent présentées comme revêtant un caractère

novateur. Cette qualité doit pourtant leur être déniée s’agissant de l’obligation d’instituer un recours

à l’encontre du contrat, le droit interne ayant contribué à un « respect du droit européen anticipé »39.

C’est ainsi que par son antériorité, le droit français est d’une incidence certaine dans la détermination

des exigences communautaires (A). L’influence du droit communautaire dans la modification des

règles contentieuses internes en est corrélativement réduite (B).

A. L’incidence de l’antériorité du droit français dans la détermination

des exigences communautaires

Affirmer que le droit français est en mesure d’influer sur la fixation des impératifs

communautaires revient à dire que le premier représente un modèle ou un exemple juridique pour le

second. Le droit interne, en tant que source d’inspiration, participe donc à l’élaboration des

38 Voir notamment CE, 29 mars 2004, Communauté de communes du centre littorale, n° 258114, in Contrats et

Marchés Publ., juin 2004, n° 6, comm. 123, note. F. LLORENS. 39 F. CHALTIEL : « Droit au recours contre un contrat administratif : sécurité juridique renforcée, respect du droit

européen anticipé », in LPA, 2007, 21 août 2007, n° 167, p. 3.

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exigences européennes. Pour jouer le rôle de droit référent, deux conditions doivent être réunies :

l’une tenant à un retrait passé du droit communautaire (1), l’autre, à une construction initialement

hors contrainte du contentieux interne (2).

1. Le retrait passé du droit communautaire

L’article 2 § 6 de la directive « recours » relative aux secteurs « classiques » énonce que

« sauf si une décision doit être annulée préalablement à l’octroi de dommages-intérêts, un Etat

membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l’attribution d’un marché, les

pouvoirs de l’instance responsables des procédures de recours se limitent à l’octroi des dommages-

intérêts à toute personne lésée par une violation ». Il apparaît donc que le contrat, même irrégulier

peut être maintenu. L’office du juge interne peut a priori s’en tenir à une simple constatation de

l’irrégularité donnant droit à l’allocation d’une indemnité destinée à compenser le préjudice subi.

Cette analyse fondée sur une lecture littérale du texte a très tôt et à plusieurs reprises été confirmée

par la Cour de Justice, celle-ci préférant privilégier dans un souci constant de sécurité juridique

l’exercice de recours préalable à la conclusion du contrat40.

Il appartenait donc traditionnellement aux ordres juridiques nationaux de déterminer les

conséquences impliquées par la conclusion d’un contrat irrégulier. Certains ont d’ailleurs fait

remarquer que la volonté de stabiliser les situations contractuelles en violation du droit

communautaire constituait un « irréductible buttoir » 41 à une réelle efficacité des directives

« recours ». L’espace juridique de liberté ainsi crée a permis aux Etats de construire leurs règles

contentieuses à l’abri de la sphère contraignante issue du droit communautaire.

40 CJCE, 22 avril 1994 : Commission /c. Belgique, aff. C-87/94 R, Rec. CJCE, p. I-1395, point 34 : « […] le

législateur communautaire, sensible à la diversité des droits nationaux et soucieux de ménager autant que possible le principe de sécurité juridique, a d’abord privilégié les recours antérieurs à la conclusion d’un marché. En décidant que les effets d’un recours à l’encontre d’un contrat déjà conclu sont déterminés par le droit national et en permettant qu’un Etat membre limite ces effets à l’allocation de dommages-intérêts à la personne lésée, il a admis qu’un Etat exclu, au plan national, l’annulation d’un contrat en cours » ; CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria AG, aff. C-81-98, préc., point 37 : « […] il ressort déjà du libellé même de l’article 2, paragraphe 6 de la directive 89/665 que la limitation des procédures de recours ne concerne que la situation qui existe après la conclusion du contrat qui suit la décision de l’attribution d’un marché. Ainsi, la directive 89/665 opère une distinction entre le stade antérieur à la conclusion du contrat, auquel l’article 2, paragraphe 1 est applicable, et le stade postérieur à la conclusion de celui-ci à l’égard duquel un Etat membre peut prévoir, selon l’article 2, paragraphe 6, second alinéa que les pouvoirs de l’instance responsable des procédures de recours se limitent à l’octroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation ».

41 J-F. BRISSON : « Le droit au juge dans le contentieux des marchés publics. Dynamisme, dynamiques et limites du droit communautaire processuel », in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel GUIBAL, textes réunis et présentés par G. CLAMOUR et M. UBAUD-BERGERON, Université Montpellier I, coll. Mélanges, vol 2, p. 359.

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Ce schéma classique a récemment été bouleversé. La Cour de Justice a en effet reconnu

l’obligation pour les Etats de résilier les conventions conclues en méconnaissance du droit

communautaire42. De même, la nouvelle directive « recours » impose aux Etats que les instances

nationales de recours soient en mesure de priver d’effets les contrats conclus dans certaines

hypothèses de violation du droit communautaire43.

On le voit, le droit communautaire ne se désintéresse plus du contrat. Or, ce dernier fait

depuis longtemps l’objet de préoccupations variées dans le contentieux contractuel interne. L’emploi

par les institutions communautaires d’une analyse comparative faisant appel à la diversité des droits

internes44 laisse penser que la construction française initialement hors contrainte représente une

référence dans la fixation des impératifs communautaires.

2. Une construction contentieuse initialement hors contrainte : une

référence dans la fixation des impératifs communautaires

La sanction juridictionnelle à l’initiative des tiers à l’encontre d’un contrat n’est pas nouvelle

en droit interne. C’est ainsi que le recours pour excès de pouvoir est recevable à l’encontre des

dispositions réglementaires d’un contrat administratif45. Il en va de même pour certains d’entre eux

tels que des contrats de recrutement d’agents non titulaires46. Surtout, les tiers évincés d’un contrat

sont en droit de saisir le juge de l’excès de pouvoir à l’encontre d’un acte détachable, qui, s’il est

annulé, permet au juge du contrat d’être saisi par la personne publique enjointe47 pour en tirer les

conséquences sur l’acte contractuel. Cette dernière voie de droit reste accessible aux simples tiers

puisque les tiers évincés bénéficient aujourd’hui du recours de pleine juridiction institué par l’arrêt

d’Assemblée Sté Tropic Travaux Signalisation.

42 CJCE, 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, préc. 43 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quiquies § 1 : « Les Etats membres veillent à ce qu’un marché soit

déclaré dépourvu d’effets par une instance de recours indépendante de l’entité adjudicatrice ou à ce que l’absence d’effets dudit marché résulte d’une décision d’une telle instance dans chacun des cas suivants […]». Ces hypothèses renvoient pour l’essentiel aux violations les plus graves du droit communautaire.

44 Voir par exemple P. PESCATORE : « Le recours, dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, à des normes déduites de la comparaison des droits des Etats membres », in RIDC, 1980, p. 337 : « le “droit comparé” occupe une place importante dans la pratique de la Cour […] » ; Y. GALMOT : « Réflexion sur le recours au droit comparé par la Cour de justice des Communautés européennes », in RFDA, 1990, p. 255 : « […] on a vu que la Cour a tendance à aligner le droit communautaire sur celui des Etats membres les plus performants ».

45 CE, Ass. 10 juillet 1996 : Cayzeele, Rec., p. 274. 46 CE, Sect. 30 octobre 1998 : Ville de Lisieux, Rec., p. 375, concl. J-H. STAHL. 47 CE, 10 décembre 2003 : Institut de Recherche pour le Développement, Rec., p. 584.

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Sans pour autant faire preuve de nationalisme, l’arrêt Institut de Recherche pour le

Développement a, semble t-il, inspiré la doctrine étrangère dans une tentative d’établissement d’un

lien de parenté entre cette solution et la consécration au niveau communautaire de la justiciabilité du

contrat48. Il est vrai que le droit français peut être considéré comme efficace et performant à l’inverse

des différents droits étrangers pour lesquels un recours à l’encontre du contrat est souvent inexistant

et sa sanction encore plus exceptionnelle49.

Quelque soit l’incidence du droit français dans la fixation des impératifs communautaires, les

effets en retour dans l’ordre interne d’une tradition juridique exportée au niveau européen peuvent

parfois conduire à un une remise en cause de solutions pourtant bien établies en droit interne. Mais

ici, force est de constater que l’influence du droit communautaire dans la modification des règles

contentieuses française est réduite.

B. L’influence réduite du droit communautaire dans la modification des

règles contentieuses internes

Les tiers évincés d’une procédure d’attribution disposent, depuis le 16 juillet 2007, d’un

recours direct et de plein contentieux objectif à l’encontre du contrat. Les autres tiers en restent

privés et bénéficient toujours de la complexité et des désavantages des recours antérieurs. Il est

évident que le droit communautaire est à l’origine de cette simplification contentieuse (1). La

souhaitant pourtant depuis longue date, le droit interne n’y est pas étranger (2).

1. Une simplification contentieuse imposée par le droit communautaire

Les tiers évincés bénéficiaient autrefois d’un recours à l’encontre des actes détachables du

contrat. Si le juge de l’excès de pouvoir en reconnaissait la nullité, l’entreprise écartée devait bien

souvent se tourner vers le juge de l’exécution de manière à ce que la personne publique soit enjointe

48 S. TREUMER : « Towards an obligation to terminate contracts concluded in breach of the EC public procurement

rules : the end of the status of concluded public contracts as sacred cows »; in PPLR, 2007, p. 381. 49 S. TREUMER préc. : « The traditional perception in legal theory has been commonly followed in European public

procurement practice, and in most Member states a breach of the EC public procurement rules has never led to a termination of the contract. Practice in France appears to have deviated from this based a national law. In this member state it has been established practice for more than 100 years based on Supreme Court practice that a public contract can be declared null and void after annulment of decisions of the contracting authorities ».

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de saisir le juge du contrat. Il appartenait ensuite à ce dernier de prononcer le cas échéant la nullité

du contrat sous réserve de conditions déterminées.

Si ces méandres procéduraux semblaient acceptables au regard d’un droit communautaire

désintéressé du contrat, ils sont devenus problématiques suite à l’attention récemment marquée des

institutions communautaires dont il fait l’objet. Les impératifs de célérité ou d’efficacité et surtout

l’effet utile ne pouvaient supporter de telles complications contentieuses. C’est la raison pour

laquelle le Commissaire du gouvernement CASAS a, dans ses conclusions sur l’affaire Sté Tropic

Travaux Signalisation, proposé à l’Assemblée d’ouvrir « au bénéfice de personnes qui ne sont pas

les parties au contrat, la possibilité d’atteindre directement celui-ci »50. Son argumentation est

notamment justifiée par l’existence de la nouvelle directive « recours » encore à l’état de simple

projet ainsi que par les seules conclusions de l’Avocat général TRSTENJAK51 relative à l’arrêt

Commission contre Allemagne.

Par conséquent, les exigences communautaires ne sont pas étrangères à la mise en place d’un

recours direct à l’encontre du contrat. Même si aucune nécessité juridique n’imposait à la haute

juridiction administrative d’adopter une telle solution, il est flagrant que la prise en compte du droit

communautaire par l’Assemblée traduit une prise de conscience sur l’orientation générale et à venir

de la jurisprudence du Conseil d’Etat52. Est-il pour autant certain que le droit communautaire ait été

le seul facteur de modification des règles contentieuses internes ? Une réponse négative doit être

apportée car la simplification contentieuse opérée par l’arrêt Sté Tropic Travaux Signalisation était

de longue date vivement souhaitée en droit français.

50 Concl. D. CASAS sur CE, Ass. 16 juillet 2007 : Sté Tropic Travaux Signalisation, in RFDA, 2007, p. 701. 51 Concl. V. TRSTENJAK sur CJCE, 18 juillet 2007 : Commission /c. RFA, aff. C-503/04, in RFDA, 2007, dossier p. 598. 52 Il est intéressant de remarquer que le projet de nouvelle directive « recours » a étayé à plusieurs reprises les

argumentations des Commissaires du gouvernement. Il paraît donc nécessaire aux membres de la juridiction administrative de calquer les solutions nationales sur les exigences communautaires. Pour un exemple significatif, voir concl. N. BOULOUIS sur CE, 19 décembre 2007 : Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable du Confolentais, n° 291487, in BJCP, 2008, p. 123 : Ces conclusions conformes indiquent que « à la différence du vice d’incompétence qui n’est pas régularisable, et même si l’on peut parler ici d’incompétence ratione temporis, la signature précoce d’un contrat ne peut pas, ne doit pas être une cause de sa nullité. Il nous semble que c’est bien ce que prévoit le projet de modification des directives 89/665/CEE et 92/13/CEE, si l’on en croit le texte de compromis entre le Conseil et le Parlement qui n’envisage la nullité de principe d’un marché signé avant l’expiration de la période de stand still que si, par ailleurs sont constatées “des violations des directives 2004/18/CE ou 2004/17/CE telles qu’elles ont compromis les chances du soumissionnaire intentant un recours d’obtenir le marché” ».

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2. Une simplification contentieuse souhaitée en droit interne

Depuis longtemps, la complexité du contentieux interne suscite bon nombre de critiques,

indépendamment de toute exigence communautaire. Par exemple, un même juge peut intervenir

successivement à quatre titres : d’abord en tant que juge des référés précontractuels, mais surtout en

tant que juge de l’excès de pouvoir, de l’exécution, puis du contrat53. La lourdeur du contentieux

n’incitait aucunement le requérant qui s’estimait lésé à l’introduction d’un recours, de sorte qu’à

l’unanimité, la doctrine en appelait le jurislateur à « une clarification du contentieux de la

légalité »54 par « l’ouverture aux tiers d’un recours direct contre les contrats »55.

L’ouverture d’un recours direct en faveur des tiers évincés prend donc place dans un débat

ancien et d’ordre purement interne. Il n’est donc pas certain que sans la présence d’une contrainte

communautaire, le Conseil d’Etat se soit refusé à franchir le pas d’une telle évolution

jurisprudentielle. Par conséquent, l’influence du droit communautaire en est fatalement réduite car

l’affaire Sté Tropic Travaux Signalisation fut autant l’occasion pour le Conseil d’Etat de répondre

aux nombreux appels de la doctrine sollicitant une simplification du contentieux que de s’adapter

aux exigences communautaires à venir.

On le voit, l’intégration des exigences communautaires afférentes aux actes susceptibles de

recours au sens des directives s’est opérée avec douceur et sans véritables remises en cause des

habitudes contentieuses internes. Pour cette raison, le droit communautaire représente un facteur de

contrainte modéré. En revanche, d’autres hypothèses témoignent d’une contrainte revêtant une

intensité particulièrement vive. La réception du droit communautaire par le droit interne se veut plus

douloureuse et s’effectue difficilement, parfois même au prix de sacrifices. Il en va ainsi de

l’instauration en droit français d’un recours juridictionnel efficace pour lequel les exigences

communautaires représentent un puissant facteur de contrainte.

53 Voir pour une illustration, TA, Versailles, 23 octobre 1997, Sté Plastic Omnium c/ SICTOM Région Isle Adam, in

DA, avril 1998, n° 4, p. 4, note D. POUYAUD : « On ne voit pas ce qui s’oppose à ce qu’un seul juge soit doté des pouvoirs nécessaires pour donner par une seule décision satisfaction au requérant ».

54 J. GOURDOU et Ph. TERNEYRE : « Pour une clarification du contentieux de la légalité en matière contractuelle », in CJEG, 1999, p. 249.

55 F. LLORENS : « Les conséquences de la nullité des marchés publics et des délégations de service public », in CJEG, 2002, p. 590.

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Section II. L’instauration d’un recours juridictionnel efficace :

un puissant facteur de contrainte

L’efficacité imprègne l’ensemble des exigences communautaires, ce qui prête au terme un

caractère obscur. Activement recherchée par le droit communautaire, elle représente un puissant

facteur de contrainte. Le droit interne ne dispose que d’une marge de manœuvre des plus restreintes

dans l’élaboration des règles contentieuses puisque le droit communautaire se veut pour l’essentiel

précis, rigoureux et oppressif. Il est certain que sans cette contrainte, le droit interne ne serait

parvenu à un tel degré de développement. De par son caractère révolutionnaire et novateur, elle

impose au droit français une mise en œuvre simplifiée des recours (A) ainsi qu’une attribution de

larges pouvoirs au juge des référés précontractuels (B).

§ 1. Une mise en œuvre simplifiée des recours

L’interprétation de la directive conduit à ce que le requérant dispose de réelles possibilités

d’intenter un recours. C’est pourquoi la Cour de Justice a d’abord veillé à éliminer les entraves à leur

exercice (A) puis à renforcer les garantes procédurales favorisant l’accès au juge (B).

A. L’élimination des entraves à l’exercice d’un recours efficace

Pour être efficace au sens de la directive, le recours mis à disposition des entreprises évincées

ne saurait être subordonné à un formalisme exacerbé. Il serait en effet paradoxal d’ouvrir une

nouvelle voie de droit réputée efficace et rapide en lui donnant un caractère dissuasif afin d’en

limiter l’exercice. Plusieurs affaires tranchées par la Cour de Justice attestent pourtant des obstacles

procéduraux dont les Etats membres ont fait usage afin de limiter l’accès au juge des référés. Ces

entraves consistent à exiger du requérant l’exercice préalable d’un recours au fond (1) ou d’un

recours gracieux (2).

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1. La prohibition des recours préalables au fond

Le droit communautaire reconnaît aux Etats membres un principe d’autonomie procédurale.

Ceux-ci restent donc, en principe, libres de définir les modalités d’exercice d’un recours devant les

juridictions nationales, sous réserve de ne pas porter atteinte aux objectifs poursuivis par les

directives « recours ». Lors de sa transposition en droit français, le législateur a choisi, non sans

douleur, de ne pas exiger des requérants l’exercice préalable d’un recours au fond. L’on sait en effet

combien cette règle qui gouvernait autrefois la recevabilité du sursis à exécution était traditionnelle

dans le contentieux de l’urgence. Aujourd’hui encore, sa méconnaissance entraîne en principe

l’irrecevabilité du recours en référé-suspension. Mais ce choix a logiquement été approuvé par la

jurisprudence communautaire. Dans un arrêt en manquement56, la Cour a d’abord condamné la

République hellénique en ce que sa réglementation nationale subordonnait la saisine du juge des

référés à un recours principal en annulation de la décision administrative litigieuse. Confirmant cette

solution, elle a ensuite précisé à l’encontre de l’Espagne57 qu’une réglementation nationale ne

pouvait exiger, au titre d’un recours préalable au fond, une simple lettre non motivée par laquelle le

requérant fait savoir qu’il entend attaquer la décision au principal. Peu importe le degré requis de

formalité : un juge efficace et rapide au sens des directives « recours » est un juge autonome et sa

saisine ne peut être l’accessoire d’un recours exercé à titre principal.

La rigueur des solutions dégagées par la Cour dans l’interprétation des impératifs de rapidité

et d’efficacité appliqués aux recours préalables au fond laissait présager une rigueur identique à

l’égard des recours préalables gracieux.

2. Le strict encadrement des recours préalables gracieux

La lettre de la directive « recours » ne prohibe aucunement le procédé du recours préalable

gracieux. Elle prévoit en effet que les Etats « peuvent exiger que la personne qui souhaite [saisir une

instance nationale] ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de

son intention d’introduire un recours »58. Mais poursuivant sa construction jurisprudentielle rigoriste,

56 CJCE, 19 septembre 1996 : Commission /c. Grèce, aff. C-236/95, Rec. CJCE, p. I-4459, point 11 : « Les Etats

membres sont tenus, plus généralement, de doter leurs instances de recours du pouvoir de prendre, indépendamment de toute action préalable, toutes mesures provisoires, “y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de marché public en cause” ».

57 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. C-214/00, préc. 58 Directive 89/665, art. 1 § 3 in fine.

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la Cour a estimé d’emblée que « le fait de subordonner l’accès aux procédures de recours prévues

par la directive 89/665 à la saisine préalable d’une commission de conclusion […], serait contraire

aux objectifs de rapidité et d’efficacité de cette directive »59. Si la Cour de Justice interprète de

manière aussi sévère les libertés laissées à disposition des Etats dans la détermination des modalités

d’accès au juge, c’est parce qu’elles ont face à elles le dynamisme inhérent au droit à un recours

effectif. Imposée par le droit français à peine d’irrecevabilité du recours précontractuel, l’obligation

d’exercer un recours préalable gracieux auprès de l’administration a été supprimée lors de la réforme

des procédures d’urgence60. La disparition de cette règle processuel à laquelle le contentieux

administratif reste attaché ne suscite pas de regret. Cette absence d’amertume s’explique sans doute

par les inconvénients pratiques qu’elle provoquait autrefois et que l’on dénommait par habitude

course à la signature. Cependant, la prohibition exprimée par la Cour de Justice ne revêt pas un

caractère absolu. Il est désormais prévu que les Etats ont la faculté d’exiger des requérants

l’introduction d’un recours gracieux devant le pouvoir adjudicateur, mais en ce cas, « ils veillent à ce

que l’introduction dudit recours entraîne la suspension immédiate de la possibilité de conclure le

marché » 61. Cette obligation ne concerne que les contrats de droit privé puisque seuls les référés

précontractuels administratifs ne sont plus subordonnés à l’exercice préalable d’un recours gracieux.

L’élimination par la Cour des entraves à l’exercice d’un recours efficace ne pouvait suffire.

Fallait-il encore en simplifier l’exercice par un renforcement des garanties procédurales favorisant

l’accès au juge.

B. Le renforcement des garanties procédurales favorisant l’accès au juge

L’accès au juge n’implique pas seulement une voie de droit structurée en faveur d’une

meilleure protection juridique. Elle suppose également une organisation particulière de la procédure

de passation des marchés publics. C’est pourquoi le droit interne doit offrir au requérant ce que le

droit communautaire qualifie de « protection juridictionnelle globale »62, c'est à dire des possibilités

59 CJCE, 19 juin 2003 : Fritsch, Chiari & Partner, aff. C-410/01, Rec. CJCE, p. I-6413, point 31, confirmé par

CJCE, 12 février 2004: Grossmann Air Service, aff. C-230/02, Rec. CJCE, p. I-1829, point 27 : la directive doit être intégrité en ce sens qu’elle s’oppose « à ce qu’une personne qui a participé à une procédure de passation d’un marché public soit considéré comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché, au motif que, avant d’introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, elle a omis de saisir une commission de conciliation […] ».

60 Décret n° 2000-1115 du 22 novembre 2000. 61 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 1 § 5. 62 Concl. J. MISCHO, point 37, sur CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc.

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réelles et concrètes d’intenter un recours. Il doit être en mesure de garantir aux entreprises candidates

un délai minimal entre son éviction et la signature du marché et de leur communiquer les motifs

ayant conduit au rejet de leurs offres.

1. L’instauration d’un délai minimal entre la décision d’attribution et

la signature du contrat

La reconnaissance par la Cour de Justice de l’obligation faite aux Etats de garantir un recours

à l’encontre de la décision d’attribution du marché a pour conséquence immédiate l’écoulement d’un

délai la séparant de la signature du contrat63. En effet, une procédure de passation est souvent

caractérisée par sa brièveté de sorte que si la décision d’attribution est juridiquement attaquable,

l’absence de ce délai pourrait conduire à une signature imminente. La saisine du juge serait en

pratique rendue impossible. Par conséquent, le requérant serait privé d’un recours rapide et efficace

au même titre que la directive serait dénuée de son effet utile. Or, le déroulement de la passation du

marché doit favoriser l’exercice des recours de façon à corriger au plus tôt les irrégularités entachant

cette procédure. C’est pourquoi la Cour a conclu par la suite que le délai imposé entre la décision

d’attribution et la signature du marché doit être raisonnable64. En réponse aux arrêts Alcatel Austria

et Commission contre Autriche, le législateur français a d’abord soumis les personnes publiques au

principe d’un délai raisonnable, puis d’un délai de 10 jours entre la décision d’attribution et la

signature du contrat. Ces dispositions insérées dans le code des marchés publics demeurent

confortées, dans leur principe, par les exigences de la nouvelle directive « recours ». Celle-ci prévoit

en effet que l’entité adjudicatrice est tenue de s’abstenir de signer le contrat pendant un délai qui ne

peut être inférieur à dix jours calendaires65. Demeurent néanmoins quelques points de divergence

entre les droits interne et communautaire, notamment quant aux exceptions prévues pour échapper à

l’application de ce délai dit de stand still.

La volonté d’insérer un tel délai dans les pratiques contentieuses internes témoigne de l’effort

constant du droit communautaire visant à paralyser la pratique des signatures précipitées. Mais si

elle est au cœur des préoccupations des institutions communautaires, c’est parce que dans bon

nombre d’Etats membres, la signature du contrat réduit concrètement l’office du juge à la seule

allocation de dommages et intérêts. Il n’en est pas ainsi en droit français puisqu’un recours 63 CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc. 64 CJCE, 24 juin 2004, Commission /c. Autriche, aff. C-212/02, in Contrats et Marchés Publ., août 2004, n° 8, comm.

176, note W. ZIMMER. 65 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 bis § 2.

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juridictionnel peut s’ouvrir à l’encontre du contrat conclu. De plus, il n’est pas dans l’intérêt des

personnes publiques de signer le contrat sans se soucier des conséquences d’une éventuelle

annulation en cours d’exécution ou pire encore dans l’hypothèse où le contrat est entièrement

exécuté66. La sanction assurée d’une procédure de passation est préférable à l’annulation probable du

contrat.

L’instauration d’un délai minimal entre la décision d’attribution et la signature du marché est

néanmoins imposée en droit français. Elle permet aux candidats évincés de disposer du temps

nécessaire à l’introduction d’un recours précontractuel. Mais pour que ce recours soit considéré

comme efficace, convient-il encore de leur communiquer les motifs ayant conduit au rejet de leurs

offres.

2. La communication aux candidats évincés des motifs ayant conduit au

rejet de leurs offres

Dans son arrêt Commission contre Autriche, la Cour de Justice consacre sur le fondement

d’une protection juridictionnelle globale l’obligation pour les Etats d’informer les soumissionnaires

de la décision d’adjudication. Elle précise qu’une « législation relative à l’accès aux documents

administratifs qui se contenterait de prévoir l’information des soumissionnaires sur les seules

décisions qui les concernent directement »67 ne peut suffire à satisfaire aux exigences de la directive

« recours ». Soucieux de se conformer à ces impératifs, le code français des marchés publics prévoit

que le pouvoir adjudicateur avise par courrier les candidats du rejet de leur offre ou de leur

candidature. Elle mentionne également les motifs de ce rejet sachant que l’entreprise écartée de la

procédure peut ultérieurement en demander le détail. Reprenant à son compte la jurisprudence de la

Cour, la nouvelle directive « recours » impose que la décision d’attribution soit communiquée à

chaque soumissionnaire et candidat concernés, accompagnée le cas échéant « d’un exposé

synthétique des motifs pertinents »68

L’interprétation des directives « recours » conduit une nouvelle fois à formuler des exigences

procédurales qu’elles ignorent. Il est surtout remarquable que le dynamisme dont elles sont douées

66 F. LLORENS : « Le référé précontractuel, entre continuité et changement » in Le nouveau juge administratif des

référés. Réflexion sur la réforme opérée par la loi du 30 juin 2000, Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg – nouvelle série, n° 5, (dir. P. WACHSMANN), 2002, p. 28.

67 CJCE, 24 juin 2004, Commission /c. Autriche, aff. C-212/02, préc., point 21. 68 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 bis § 2 in fine.

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ne se limite aucunement à l’organisation particulière du recours en référé précontractuel. Elles

impliquent inéluctablement une adaptation du droit matériel applicable à la procédure de passation

dès lors que ces règles sont susceptibles de déteindre sur l’effectivité des règles processuelles. Par

conséquent, la réglementation matérielle ne saurait être de nature à restreindre la garantie d’un droit

au recours effectif.

Faciliter l’accès au juge par une mise en œuvre simplifiée des recours contribue à la

recherche d’un recours juridictionnel efficace. Mais cela ne peut suffire car le juge doit encore

disposer des pouvoirs lui permettant de finaliser cet objectif.

§ 2. Les pouvoirs du juge des référés précontractuels

C’est incontestablement sur l’attribution des larges pouvoirs aux juges des référés

précontractuels que la réception des exigences communautaires fut la plus délicate pour le droit

français. En effet, la reconnaissance de tels pouvoirs au juge des référés dans les secteurs

« classiques » s’est effectuée par le biais d’une intégration douloureuse (A). En revanche, la

transposition de la directive relative aux secteurs « exclus » s’est avérée plus prudente et laborieuse

de la part du législateur national (B).

A. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « de base » : une

transposition douloureuse

La directive « recours » relative aux secteurs « classiques » impose au droit interne

l’attribution de pouvoirs considérables aux instances nationales. Elle prévoit en particulier que ces

dernières soient en mesure d’accorder aux entreprises lésées des dommages et intérêts, mais surtout

d’annuler les décisions illégales, de prendre des mesures provisoires ayant pour but de corriger la

violation alléguée ainsi que de suspendre la procédure d’attribution en cause ou toute décision prise

par les pouvoirs adjudicateurs69.

69 Directive 89/665, art. 2 § 1.

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En réponse à ce texte, l’article L 551-1 CJA offre au Président du Tribunal Administratif la

faculté d’« ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la

passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte », ainsi que, cela va de soi,

d’annuler les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat méconnaissant les

obligations de publicité ou de mise en concurrence.

Cette disposition ne doit évidemment pas être lue dans le contexte actuel, mais au moment de

son édiction par le législateur français. En 1992, le droit interne ne portait pour l’essentiel guère

d’intérêt à l’exécution des décisions rendues par les juridictions administratives. Le législateur de

1980 a pourtant incité le juge administratif à l’emploi de mesures, telles que l’astreinte, destinées à

contraindre les personnes publiques à l’exécution des décisions de justice. Le Conseil d’Etat, en

revanche, n’y prêtait pas d’attention et refusait de mettre en pratique ces mesures d’exécution. Le

droit communautaire a donc pleinement contribué au développement des mesures d’exécution dans

le droit processuel des contrats, alors qu’il fallut attendre la seconde moitié des années quatre-vingt-

dix pour que le procédé de l’injonction soit mis en œuvre dans l’ensemble du contentieux

administratif.

Ces techniques d’exécution destinées à contraindre l’administration sont aujourd’hui

largement connues du droit processuel interne. De fait, le contraste des pouvoirs conférés au juge des

référés précontractuels dans les secteurs « classiques » avec ceux attribués aux juges des différents

contentieux est moins intense. Il parût donc plus évident au législateur, lors de la réforme des

procédures d’urgence, de reconnaître au juge la faculté, dès qu’il est saisi, d’enjoindre à la personne

publique de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure et pour une durée

maximale de vingt jours.

On le voit, même si le contentieux administratif a comblé son retard par rapport aux

spécificités du droit processuel des contrats publics imposées par le droit communautaire, la

transposition de la directive « recours » fut particulièrement douloureuse. Le juge des référés s’est

trouvé muni de pouvoirs méconnus du juge du principal. Cette intégration fut d’autant plus délicate

que trois années plus tard, le législateur national devait intervenir une nouvelle fois en vue de

transposer la directive « recours » relative aux secteurs « exclus ». Il ne tient aucunement du hasard

si cette transposition fut des plus laborieuses.

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B. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « exclus » : une

transposition laborieuse

L’évidente difficulté pour le législateur interne à conférer au juge des référés secteurs de

« base » de larges pouvoirs se trouve confirmée par son attitude envers la transposition de la

directive « recours » relative aux secteurs « exclus ». La réception des exigences issues de la

directive de 1992 s’est en effet traduite par une transposition prudente, minimaliste et, peut-on dire, à

la limite de ce qu’impose le droit communautaire.

La directive « recours » relative aux secteurs « exclus » offre aux Etats une alternative.

Ceux-ci sont en mesure de conférer au juge des référés, soit le pouvoir de « prendre des mesures

provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher que d’autres préjudices,

y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de

marché en cause ou l’exécution de toute décision prise par l’entité adjudicatrice »70 et « d’annuler

ou de faire annuler les décisions illégales »71, soit de prendre des mesures « ayant pour but de

corriger la violation constatée et d’empêcher que des préjudices soient causés aux intérêts

concernés, notamment d’émettre un ordre de paiement d’une sorte déterminé dans le cas où

l’infraction n’est pas corrigée ou évitée »72.

Par la loi du 29 décembre 1993, le législateur français a opté pour le second choix. Le juge

des référés se voit donc privé de la possibilité de prononcer l’annulation, la réformation ou la

suspension de la procédure de passation. Seul le pouvoir de prononcer une astreinte lui a été reconnu.

Estimant que cette transposition était insuffisante au regard de l’exigence d’efficacité inhérente aux

directives « recours », la Commission a intenté des poursuites à l’encontre de la France. La Cour a

néanmoins donné raison au droit interne dans la mesure où « l’astreinte est par nature un moyen de

coercition et un instrument efficace »73 pour garantir le respect du droit matériel des marchés publics.

Cette transposition minimaliste s’inscrit directement en réaction à la réception douloureuse

en droit interne des exigences de la directive « recours » relative aux secteurs « classiques ». Là où le 70 Directive 92/13, art. 2 § 1 a). 71 Directive 92/13, art. 2 § 1 b). 72 Directive 92/13, art. 2 § 1 c). 73 CJCE, 19 mai 1999 : Commission /c. République française, aff. C-225/97, Rec. CJCE, p. I-3011, point 25, in

RDI, 1999, p. 393, note F. LLORENS. En revanche, la Cour a jugé que le droit français était contraire au droit communautaire puisque un système d’attestation n’avait aucunement été prévu et que des procédures de conciliation n’avaient pas été mises en place.

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législateur dispose d’une marge de manœuvre dans l’élaboration des règles internes, le choix qu’il

effectue se fait de manière restrictive. Bien que cela contribue à une puissante recherche d’efficacité,

il est en effet malvenu qu’un juge imposé par un droit étranger soit doté de pouvoirs qu’un juge

purement interne ignore74.

Par conséquent, l’intégration des exigences communautaires est diversement ressentie par le

droit français. L’instauration d’un recours juridictionnel efficace au sens du droit communautaire

s’est effectuée au prix de divers bouleversements en ruptures avec les habitudes contentieuses du

droit interne. En revanche, admettre comme susceptible de recours un nombre d’actes toujours plus

important n’a pas affecté les règles processuelles les plus traditionnelles. Cette transposition aisée et

indolore s’explique essentiellement par l’existence d’un droit français développé par lui-même,

antérieurement au droit communautaire ou en concomitance avec lui. C’est donc en tant que facteur

de contrainte que le droit communautaire participe pleinement à la construction d’un contentieux

interne efficace. Le droit français a en effet l’obligation de réceptionner les exigences qui en

découlent dans son ordre juridique. Mais il a également la faculté de contribuer lui-même à une telle

recherche d’efficacité dans la mesure où il surestime largement les exigences communautaires.

74 Le contentieux contractuel fait aujourd’hui encore l’objet d’innovations quant aux pouvoirs du juge. C’est ainsi

que la nouvelle directive « recours » prévoit que l’instance nationale chargée des recours à l’encontre du contrat puisse infliger des « sanctions de substitutions », notamment des « pénalités financières » (Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 sexies § 2). Pour l’heure, le juge administratif ignore cette faculté.

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Chapitre II. Une large surestimation des exigences

communautaires par le droit interne

Les directives « recours » n’établissent que des conditions minimales auxquelles doivent

répondre les procédures instaurées dans les ordres juridiques nationaux. Le droit interne peut donc

transposer ce texte en excédant ses exigences. Cela signifie que le droit interne contribue lui-même,

en dehors de la sphère contraignante issue du droit communautaire, à l’élaboration de ses propres

règles contentieuses. Exagérer les implications du droit communautaire est d’autant plus simple que

la réglementation qui en découle « n’est pas d’une compréhension aisée » 75, notamment en raison de

l’emploi de termes standards dont les contours semblent parfois insaisissables. De même,

l’interprétation téléologique et la spécificité des solutions dégagées par la Cour lors d’une procédure

en manquement ou suite à une question préjudicielle n’ont pas vocation à en faciliter la lecture.

Toutefois, avec autant de discrétion que d’efficacité, les directives consacrent implicitement un

principe de sécurité juridique qui s’oppose à ce que toute irrégularité entrave avec démesure le

déroulement de l’action publique dans les ordres juridiques internes. Mais bien souvent, le droit

français reste indifférent aux potentialités que lui offre le droit communautaire. C’est ainsi que la

tendance d’une surestimation des exigences communautaires s’exprime à deux égards : dans la

recherche de l’irrégularité d’abord (Section 1), dans son traitement ensuite (Section 2).

75 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « La nouvelle directive “recours” et la conclusion du contrat », in Contrats

et Marchés Publ., février 2008, n° 2, Repère. 2. L’interprétation des directives « recours » est unanimement perçue comme une source de complexité. Pour des exemples de difficultés rencontrées en droits étrangers, voir H. LLOYD, « L’expérience britannique en matière de marchés publics de travaux », in RDI, 1998, p. 555 ; W. WEDEKIND, « L’expérience néerlandaise en matière de marchés publics de travaux », in RDI, 1998, p. 569, « L'interprétation de la directive pose beaucoup de problèmes. C'est ainsi qu'on se heurte à la structure et à la langue juridique de la directive, et qu'on est confronté à des notions inconnues ». L’avènement de la nouvelle directive « recours » ne rompt pas avec les difficultés passées liées au mode de rédaction : voir notamment G. KALFLECHE : « la modification des directives “recours” en matière de marchés publics », in Europe, avril 2008, n°4, étude 4 : la directive contient « tous les éléments d’une législation absconse [dont] le style et les renvois incessants en rendent la lecture particulièrement fastidieuse ».

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Section I. Le dépassement des exigences communautaires dans

la recherche de l’irrégularité

Comme il a déjà été dit, le droit communautaire contraint les Etats à une recherche active des

irrégularités entachant les actes préalables à la conclusion d’un contrat. Pourtant, soucieux de ne pas

fragiliser à l’excès les procédures de passation et de ne pas surcharger les prétoires nationaux, il

n’implique aucunement que toute irrégularité tombe sous le coup d’un contrôle juridictionnel. C’est

pourquoi les directives « recours » autorisent bien souvent les Etats, dans un espace juridique de

liberté, à effectuer des choix ayant pour objet de limiter un rapprochement disproportionné de

l’irrégularité vers le juge. Mais pris d’un excès de zèle, le législateur (§ 1) et le juge national (§ 2)

refusent d’exercer les droits d’option qui leur sont pourtant reconnus, préférant alors l’exagération et

la systématicité au pragmatisme.

§ 1. Une exagération à l’initiative du législateur

Il est possible de rendre compte de la démesure opérée par le législateur au travers des

contrats qu’il entend soumettre aux référés précontractuels (A) et d’un délai de forclusion (B) qu’il

se refuse à établir.

A. Les contrats soumis aux référés précontractuels

Pour être justiciable d’un recours au sens de la directive, la procédure de passation doit se

rapporter à un contrat qui revêt deux conditions cumulatives. Il doit d’abord être qualifié de marché

public au sens du droit communautaire (1). Son montant doit ensuite être supérieur aux seuils

d’application des directives matérielles (2).

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1. Les marchés publics au sens du droit communautaire

Il est admis que la directive « recours » a pour ambition de rendre effective l’application du

droit matériel régissant les procédures de passation des marchés publics. Transposant à la lettre cette

directive en droit interne, la loi du 4 janvier 1992 rendait d’abord le référé précontractuel applicable

aux seuls marchés publics. Mais la définition d’un marché public au sens du droit communautaire,

telle qu’interprétée par la Cour, n’est pas identique à celle que retient le droit interne. Par souci de

concision, mais aussi parce que l’étude de cette définition actuellement donnée à l’article 1er de la

directive 2004/18 s’éloignerait à l’excès du contentieux contractuel, l’on retiendra simplement que la

notion de marché public au sens du droit communautaire est plus englobante que celle admise par le

code des marchés publics. Pour prévenir d’éventuelles méconnaissances du droit communautaire

liées à des divergences de qualification, le législateur a continuellement élargi le champ

d’application matériel des référés précontractuels. Ainsi, la loi Sapin du 29 janvier 199376 a

notamment étendu cette voie de droit aux délégations de service public. De sorte qu’aujourd’hui,

l’article L 551-1 CJA s’applique également aux contrats de partenariat issus de l’ordonnance du 17

juin 200477, en principe aux baux emphytéotiques administratifs, ainsi qu’aux concessions de

travaux régies par la loi du 3 janvier 199178.

De plus, les directives matérielles ne s’appliquent pas à certains marchés de services

limitativement énumérés en annexe et définis en fonction de leur objet. Ils ne semblent pas devoir

relever des directives « recours ». Or, le droit français n’opère pas de distinction puisque l’article

L 551-1 CJA leur est une fois encore applicable.

La volonté du législateur de soumettre des contrats publics aux référés précontractuels alors

même qu’ils ne sont pas nécessairement qualifiés de marchés publics au sens des directives

matérielles témoigne d’un premier dépassement de ce qu’implique le droit communautaire. Cela ne

signifie pas pour autant que le droit interne lui soit entièrement conforme. A titre d’exemple, la Cour

de Justice a récemment estimé, eût égard au développement de la concurrence dans le secteur

considéré, que certaines conventions d’aménagement appartiennent à la catégorie des marchés

76 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie

économique et des procédures publiques 77 Ordonnance n° 2004-559 du 19 juin 2004 sur les contrats de partenariat. 78 Loi n°91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant

la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence.

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publics au sens des directives matérielles79 . Or, dans l’hypothèse d’un contentieux, l’article

L 551-1 CJA ne semble pas en tant que tel applicable en vue de contester la procédure de passation

de ces contrats.

Les procédures de passation participant à la conclusion d’un marché public relèvent d’un

recours efficace et rapide au sens du droit communautaire, à la condition toutefois que le montant du

marché en cause soit supérieur aux seuils d’application des directives matérielles.

2. Les marchés publics dont le montant est supérieur aux seuils

d’application des directives matérielles

Pour être justiciable de la voie de droit imposée par les directives « recours », la procédure

de passation litigieuse doit se rapporter à un marché public dont le montant est supérieur aux seuils

d’application des directives matérielles. Une lecture littérale et a contrario de cette règle pourrait

conduire à l’interpréter strictement. C’est pourtant cette lecture assujettissante qui a dans un premier

temps été retenue par le législateur, la loi du 4 janvier 1992 ayant prévu que les marchés publics dont

le montant est inférieur aux seuils d’applications des directives matérielles ne relèvent pas des

référés précontractuels. Le champ d’application rationae materiae de ces recours a ici encore été

élargi par la loi Sapin du 29 janvier 1993. Par conséquent, peu importe la valeur du marché : toutes

les procédures de passation se rapportant à leur formation sont soumises aux référés précontractuels.

Le droit communautaire, quant à lui, ne se désintéresse pas des marchés dont le montant est

inférieur aux seuils d’application des directives matérielles. La Cour a affirmé, dans un célèbre arrêt

Telaustria80, que les principes des traités leurs sont applicables, en particulier les principes d’égalité

de traitement et de non discrimination en raison de la nationalité. La solution qu’elle a consacré

implique alors que les Etats sont tenus d’organiser des voies de recours afin d’en assurer la garantie.

Mais une épineuse question reste encore sans réponse. Elle consiste à savoir si ces voies de droit

doivent être identiques à celles prévues par les directives « recours ». De ce point de vue, il est

certain que le choix du législateur national de soumettre l’ensemble des marchés publics aux recours

précontractuels a l’avantage de la simplicité. Il permet notamment d’éviter les débats relatifs aux

incidences contentieuses d’une application des règles fondamentales des traités communautaires au

79 CJCE, 18 janvier 2007 : Auroux /c. Commune de Roanne, aff. C-220/05, Rec. CJCE, p. I-385, in Contrats et

Marchés Publ., 2007, comm. 38, note W. ZIMMER. 80 CJCE, 7 décembre 2000 : Telaustria Verlags GmbH, aff. C-324/98, Rec. CJCE, p. I-10745.

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droit des marchés publics. Les difficultés rencontrées par le droit interne pour en tirer les

conséquences sur le droit matériel sont déjà fort bien connues81.

Mais à la réflexion, le droit communautaire ne paraît pas exiger des Etats l’instauration de

procédures aussi rapides et efficaces que celles imposées par la directive « recours ». Deux raisons

justifient cette affirmation. La Commission a d’abord fait part, dans un élan d’autorité82, de son

ambition de soumettre l’ensemble des marchés publics aux directives « recours ». Cette intention n’a

pourtant jamais été reprise par le législateur communautaire puisque le champ d’application de la

nouvelle directive « recours » reste inchangé. Il apparaît ensuite que la Cour de Justice pose une

limite aux exigences de la jurisprudence Telaustria, dont elle seule sait pour l’instant garder le secret.

Elle a considéré, dans un arrêt Commission contre Irlande 83 , que l’application des règles

fondamentales et des principes généraux des traités aux procédures de passation des marchés de

faible valeur « présuppose que les marchés en cause présentent un intérêt transfrontalier certain ».

Le caractère « certain » de l’intérêt transfrontalier ne peut a priori que témoigner de la difficulté

pour les requérants à en apporter la preuve concrète. Il indique surtout la volonté de la Cour de

revenir sur la rigueur que pouvait laisser présager l’arrêt Telaustria. Plus généralement, les

incertitudes qui entourent cette notion ravivent davantage les critiques84 pesant sur le choix opéré par

la loi Sapin. Ce choix s’avère évidemment problématique en ce qu’il soumet les nombreux marchés

de faible valeur passés par les collectivités territoriales à la rigueur, et si l’on ose dire, aux ravages

des référés précontractuels. S’il s’avère que ces marchés peuvent bénéficier d’un régime contentieux

différencié, les règles fondamentales du traité imposent néanmoins aux Etats membres d’instituer

81 Pour illustration, l’obligation de transparence implique notamment un degré de publicité adéquat pour les marchés

de faible valeur. Or, la question de savoir ce que constitue un tel degré de publicité reste encore sans réponse de la part de la Cour de Justice : concl. E. SHARPSTON, sur CJCE, 26 avril 2007 : Commission /c. Finlande, aff. C-195/04, in BJCP, 2007, p. 348.

82 Communication interprétative du 23 juin 2006 de la Commission relative au droit communautaire applicable aux passations de marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives “marchés publics” (JOCE, 1er août 2006, C-179/2).

83 CJCE, 13 novembre 2007 : Commission /c. Irlande, aff. C-507/03. Voir pour une récente confirmation CJCE, 15 mai 2008, SECAP SpA /c. Commune de Torino, aff. jtes C-147/06 et C-148/06, in JCPA, 2008, n° 2125, comm. F. LINDITCH.

84 F. LINDITCH : « La suppression du Code des marchés publics envisagée ? », in Contrats et Marchés Publ., décembre 2007, n° 12, alerte 37 : « Si le code pose quelques problèmes, celle de sa sanction en pose bien davantage. Lors d’un colloque organisé par la Société des législations comparées, et l’Université de Freiburg, nous nous sommes laissés dire que les allemands, eux, n’ont pas ouvert la possibilité du référé en dessous des seuils communautaires. Si cette piste était suivie, ce serait le Code de la justice administrative, et non celui des marchés, qui nécessiterait d’être réformé… ».

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des sanctions suffisantes ou « adaptées »85, ce que la nouvelle directive « recours » qualifie de

sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »86.

De la même manière, le législateur est allé au-delà des exigences communautaires en rejetant

le principe d’un délai de forclusion.

B. La forclusion

Traditionnellement employée en contentieux administratif, la forclusion pose une condition

supplémentaire à la recevabilité des recours. Passé ce délai, la requête devient irrecevable. Si le droit

communautaire permet aux Etats d’instaurer de tels procédés, le législateur n’a pas employé la

faculté qui lui était ainsi reconnue (1). Cette position semble toutefois en contradiction avec

l’attachement aux contraintes de temps dans l’exercice des recours que le juge du contrat a

récemment affirmé dans un souci contemporain de sécurité juridique (2).

1. Une faculté inemployée

Ce n’est pas à la brièveté ni au laconisme des directives « recours » que l’on doit la

reconnaissance explicite aux Etats de la faculté d’instituer des délais de forclusion afin de restreindre

l’accès au juge. Celles-ci se contentent simplement de rappeler qu’ils disposent d’un principe

d’autonomie procédurale dans la fixation des règles internes87. Face aux silences de ce texte, le

législateur a, sans doute par prudence, refusé de soumettre la saisine du juge des référés

précontractuels à un délai de forclusion. Il a ensuite été conforté dans sa position par la

jurisprudence88. L’exigence de célérité des recours imposée par les directives aurait pourtant pu l’en

persuader. En effet, un recours rapide au sens du droit communautaire a pour finalité de purifier une

procédure de passation des irrégularités qui l’affectent avant que ces dernières ne soient

difficilement corrigibles, l’acte en cause ayant produit des effets juridiques ou le contrat ayant été

85 J-F. LAFAIX : « La nouvelle directive “recours” ou l’esquisse d’une exigence de “sanction adaptée” – commentaire

de la directive 2007/66/CE du 11 décembre 20007 », in Contrats et Marchés Publ., avril 2008, n° 4 étude 4. 86 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 sexies § 2. 87 Directive 89/665, art. 1 § 3 : « Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon

des modalités que les États membres peuvent déterminer […] ». 88 Il a été jugé que le rejet par l’administration d’une demande préalable ne fait pas courir le délai de droit commun

de deux mois au terme duquel le recours précontractuel serait irrecevable. Voir en ce sens CE : 30 juin 1999 : SMITOM Centre Ouest Seine et Marnais, n° 198147, in LPA, 28 juin 2000, n° 41, p. 10, note C. BOITEAU.

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signé. L’établissement d’un délai de forclusion participe donc à cet objectif de rapidité en ce qu’il

incite les requérants à la diligence et à saisir au plus tôt une instance chargée des recours.

Cependant, il est indéniable que l’irrecevabilité du recours précontractuel une fois le contrat

conclu a un effet similaire au dépassement d’un délai de forclusion puisque dans les deux cas, le

recours est irrecevable. Mais là où ce dernier reste fixe et prévisible, la signature du contrat est un

fait qui dépend variablement de la volonté d’une personne publique. Surtout, certaines procédures de

passation sont longues. Il en est ainsi, en pratique, des marchés passés selon la procédure de dialogue

compétitif ou des contrats de partenariat. Or, ce dernier procédé contractuel sera sans doute

davantage employé. Pour ces raisons, il serait judicieux de mettre en place un délai de forclusion de

manière à ce que les irrégularités entachant les actes liminaires d’une procédure de passation ne

puissent être soulevées peu avant la signature. Le droit communautaire encourage par ailleurs à

l’emploi de telles règles contentieuses.

Ainsi, la Cour de Justice a précisé que la directive « recours » ne s’oppose pas à une

réglementation nationale prévoyant que « tout recours contre une décision du pouvoir adjudicateur

doit être formé dans un délai prévu à cet effet et que toute irrégularité de la procédure

d’adjudication invoquée à l’appui de ce recours doit être soulevée dans le même délai, sous peine de

forclusion, de sorte que, passé ce délai, il n’est plus possible de contester une telle décision ou de

soulever une telle irrégularité, pour autant que le délai en question soit raisonnable »89. Le standard

du raisonnable employé par la Cour n’a pas l’avantage de la précision. Il laissait d’ailleurs mal

augurer la compatibilité de brefs délais de forclusion avec les exigences de la directive puisque la

Cour préférait jusqu’ici appuyer son raisonnement sur une conception extensive du droit au recours

effectif. Il n’en est rien : un délai de forclusion de deux semaines est jugé raisonnable et n’est pas, en

tant que tel, contraire aux objectifs de la directive90. De plus, la nouvelle directive prévoit que

lorsqu’un « recours contre une décision d’un pouvoir adjudicateur […] doit être formé avant

l’expiration d’un délai déterminé, ce délai est égal à dix jours calendaires au moins à compter du

lendemain du jour où la décision du pouvoir adjudicateur est envoyée au soumissionnaire »91.

Les exigences communautaires étant précisées et la nécessité de sécurité juridique se faisant

toujours plus grande, il est théoriquement concevable d’instituer un délai de forclusion en droit 89 CJCE, 12 décembre 2002 : Universal Bau AG, aff. C-470/99, Rec. CJCE, p. I-11617, point 79, in RDI, 2003, p. 81,

note J-D. DREYFUS. 90 CJCE, 12 décembre 2002 : Universal Bau AG, aff. C-470/99, préc. 91 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quater.

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français. La pratique interne du contentieux contractuel pourrait néanmoins perturber l’application

d’un tel mécanisme. En effet, la procédure de passation des contrats publics peut être qualifiée de

procédure complexe de sorte que le requérant est recevable à contester tout acte s’y rapportant

indépendamment des conditions de délai92. L’invocabilité par voie d’exception emporte un effet

identique93. Mais le mécanisme de la forclusion conserve son plein intérêt dans la mesure où ces

méthodes d’invocabilité visant à lui échapper restent d’application rarissime, sans doute en raison de

leur obscurité théorique.

Si le droit français a manqué à l’occasion de saisir les potentialités du droit communautaire,

cette lacune pourrait néanmoins évoluer en faveur d’une sécurité juridique accrue. En effet, le juge

du contrat a récemment exprimé son attachement au principe de la forclusion.

2. Le juge du contrat au secours de la sécurité juridique

Dans son arrêt d’Assemblée Sté Tropic Travaux Signalisation94, le Conseil d’Etat a estimé

que le nouveau recours des tiers évincés à l’encontre du contrat « doit être exercé […] dans un délai

de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées ». Par cette

formulation, la haute juridiction administrative affiche clairement sa volonté d’enserrer le recours

dans un délai de forclusion. En effet, il appartient aux mesures de publicité appropriées de

déclencher le délai au terme duquel le requérant est forclos. Or, l’accomplissement de ces mesures

n’obéit apparemment pas à un formalisme démesuré puisqu’il est suggéré qu’un « avis mentionnant

à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets

protégés par la loi » peut suffire. Préconisant « un simple affichage »95 pour les contrats les plus

modestes, les conclusions du Commissaire du Gouvernement CASAS attestent une nouvelle fois de

cette volonté de déclencher le délai de sorte que les tiers évincés ne puissent attaquer indéfiniment le

92 Voir notamment TA, Strasbourg, 14 novembre 2000 : Daniel Delrez /c. Ville de Metz, n° 99-3999, in AJDA, 2001,

p. 385, Concl. P. DEVILLERS. « Considérant que la délibération du 30 avril 1999, par laquelle le Conseil municipal de la ville de Metz à autoriser le maire à engager une procédure d’appel d’offres en vue de la passation d’un marché de conception-réalisation constitue, avec la délibération du 29 octobre 1999 décidant du choix des titulaires de ce marché, les éléments d’une même opération complexe : que dans ces conditions M. Delrez est recevable, pour obtenir l’annulation de la délibération contestée, à exciper de l’illégalité éventuelle de la première délibération […] ».

93 Le juge de l’excès de pouvoir en limite parfois les effets par application de la théorie des droits acquis. Pour illustration, voir CAA, Bordeaux, 23 octobre 2003 : Département de la Réunion, n° 01XB02357, in Contrats et Marchés Publ., janvier 2004, n° 1, comm. 13, note Ph. DELELIS. « Considérant que […] la décision de signer le contrat crée en effet au profit du co-contractant de l’administration un droit acquis, sur lequel il ne peut être revenu, passé le délai de recours contentieux ».

94 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, préc. 95 Conclusion D. CASAS sur CE, Ass. 16 juillet 2007 : Sté Tropic Travaux Signalisation, in RFDA, 2007, p. 696.

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contrat. Pour l’heure, les mesures de publicité appropriées n’ont pas fait l’objet de précision de la

part des juridictions administratives. Le droit communautaire peut néanmoins fournir quelques

éléments de réflexion.

Le droit communautaire a expressément réitéré son attachement au principe de la forclusion.

En effet, les Etats peuvent prévoir que l’introduction d’un recours à l’encontre du contrat intervienne

avant l’expiration d’un délai minimal de trente jours à compter du lendemain du jour où l’entité

adjudicatrice a publié l’avis d’attribution ou a informé le soumissionnaire de la conclusion du

contrat96. Ils peuvent également prévoir que le recours soit exercé au plus tard six mois à partir du

lendemain du jour où le contrat est conclu97. Mais comme à son habitude, la Cour de Justice préfère

la plasticité à une définition claire et précise. Les solutions dégagées au sujet des recours à l’encontre

des décisions du pouvoir adjudicateur en témoignent. Ces solutions méritent d’être relatées car elles

seront certainement reprises s’agissant du recours à l’encontre du contrat. Ainsi, la Cour a considéré

que la compatibilité avec le droit communautaire d’un délai de forclusion devait s’examiner en

tenant compte notamment de sa place « dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de

ses particularités »98. Si un délai de forclusion n’est pas en soi contraire au principe d’effectivité,

son application en fonction des circonstances particulières de l’espèce peut le devenir. Par

application de cette règle, il a été jugé qu’un délai de forclusion méconnaît le principe d’effectivité

dès lors que l’avis de marché ne comporte aucune information quant à la valeur du marché à

attribuer et que le pouvoir adjudicateur répond de manière évasive et ambiguë à la requérante au

principal de façon à dissiper ses interrogations 99 . Par conséquent, la Cour est attentive au

comportement du pouvoir adjudicateur. Celui-ci occupe une place prépondérante dans son

raisonnement et détermine la compatibilité du délai avec les exigences de la directive « recours ». De

même, le comportement du soumissionnaire n’est pas occulté. Un opérateur doit être expérimenté,

c'est à dire « raisonnablement informé et normalement diligent »100. S’il ne revêt pas cette qualité, la

forclusion lui sera opposée avec d’autant plus de facilité. Son manque de diligence le prive alors

d’un recours101.

96 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 septies, 1. a). 97 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 septies, 1. b). 98 CJCE, 27 février 2003 : Santex SpA, aff. C-327/00, Rec. CJCE, p. I-1877, point 57, in Contrats et Marchés Publ.,

juin 2003, n° 6, p. 25 ; note F. LLORENS. 99 CJCE, 11 octobre 2007 : Lämmerzahl GmbH, aff. C-241/06, Rec. CJCE, p. I-8415, in Europe, décembre 2007, n°

12, comm. 340, E. MEISSE. 100 Concl. E. SHARPSTON, point 68, sur CJCE, 11 octobre 2007 : Lämmerzahl GmbH, aff. C-241/06, préc. 101 Pour un raisonnement analogue, voir CJCE, 12 février 2004: Grossmann Air Service, aff. C-230/02, préc. Dans

cette affaire, la Cour se fonde sur le critère du degré de connaissance de l’irrégularité pour refuser l’accès au juge à la requérante qui a préféré attendre la décision d’attribution pour alléguer une irrégularité affectant l’appel d’offres et dont elle a immédiatement eu connaissance.

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Cette méthode logique, réaliste et pragmatique pourrait inspirer le juge interne dans

l’interprétation des mesures de publicité appropriées dont il est question dans l’arrêt Sté Tropic

Travaux Signalisation. Il serait souhaitable que le juge du contrat reconnaisse avec malléabilité et

souplesse l’accomplissement de telles mesures de sorte à déclencher le délai sans pour autant retirer

aux justiciables la garantie d’un recours effectif. Cette démarche invite nécessairement les candidats

s’estimant lésés à la diligence et à la prudence, puisqu’à défaut, leurs requêtes sont irrecevables au

terme du délai fixé. Elle n’est d’ailleurs pas méconnue du juge de l’excès de pouvoir dans le

contentieux de l’acte détachable102 et guidera certainement le juge du contrat dans l’opposabilité du

délai de forclusion, « l’obligation de due diligence »103 ayant vocation à gouverner l’ensemble de la

décision Sté Tropic Travaux Signalisation.

Il est probable que le mécanisme de la forclusion attaché au recours contractuel sera sûrement

d’une mise en œuvre délicate et problématique. Il imprime néanmoins l’ensemble de ce contentieux

de l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité juridique et rompt avec le choix initial d’un législateur

allant au delà de ce qu’implique le droit communautaire. Pourvu d’un même état d’esprit, le juge

interne dépasse également les exigences communautaires en procédant à une recherche active des

irrégularités.

§ 2. Une exagération à l’initiative du juge

Le législateur a préféré transposer les directives « recours » dans des termes souvent

généraux, laissant alors au juge le soin de préciser leur exacte signification. L’œuvre prétorienne qui

en résulte permet toutefois aux entreprises d’opérer un rapprochement démesuré de l’irrégularité

vers le juge. Cet excès se vérifie dans la qualité pour agir du requérant (A) et dans les moyens qu’il

peut utilement invoquer (B).

102 TA. Lyon, 23 mars 2006 : Sté Erba, Juris-Data n° 2006-298288, in Contrats et Marchés Publ., août 2006, n° 8,

comm. 236, note F. OLIVIER. « Considérant que la publication d’un avis d’attribution au Bulletin officiel des annonces de marchés publiques fait courir, en raison de l’ampleur et des modalités de sa diffusion, le délai contentieux à l’égard des tiers […] ». L’emploi des termes « en raison de l’ampleur et des modalités de sa diffusion » n’est pas anodin et implique une diligence accrue des soumissionnaires.

103 A-M. LEROY : « L’arrêt Tropic Travaux Signalisation et l’obligation de “due diligence” des candidats à un marché public », in BJCP, 2008, p. 79.

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A. La qualité pour agir

La qualité pour agir est une condition d’accès au prétoire tenant au requérant. Si sa

reconnaissance fait l’objet d’un libéralisme excessif de la part du juge interne (1), le droit

communautaire en permet incontestablement la limitation (2).

1. Un libéralisme excessif

L’article L 551-1 CJA énumère les personnes ayant qualité pour agir. Il s’agit d’abord du

représentant du département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une

collectivité territoriale ou un établissement public local. Il s’agit ensuite de celles qui ont un intérêt à

conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par un manquement aux obligations de

publicité et de mise en concurrence. Cette dernière catégorie de requérants a naturellement été

précisée par le juge.

Les référés précontractuels sont présentés comme des recours de plein contentieux. Il est

donc naturel de reconnaître l’intérêt donnant qualité pour agir de manière plus restrictive qu’en excès

de pouvoir. C’est pourquoi, le recours en référé reste fermé aux élus locaux tel un conseiller

municipal104, aux ordres professionnels105 et a fortiori aux contribuables locaux.

Pourtant, un courant jurisprudentiel constructif s’est davantage orienté dans le sens d’un

libéralisme accru. C’est ainsi que les candidats évincés sont logiquement recevables à saisir le juge

des référés précontractuels quelque soit le moment de leur éviction dans la procédure, et

indépendamment de tout préjudice subi. Le Conseil d’Etat a en effet précisé qu’« une entreprise

candidate à l’obtention d’un marché [est] susceptible d’être lésée par tout manquement aux

obligations de publicité et de mise en concurrence »106. Cette solution s’explique ainsi : « […] le

plein contentieux précontractuel n’est pas subjectif. Le juge pèse bien sûr l’impact concret que peut

avoir, sur la publicité ou la mise en concurrence, telle ou telle irrégularité de procédure. Mais il

l’apprécie dans l’absolu, et jamais en considération de la personne requérante »107. Le référé

104 TA. Rennes, 31 mars 1994 : Becam, Rec., p. 1043. 105 CE, 16 décembre 1996 : Conseil Régional de l’Ordre des Architectes de la Martinique, Rec., p. 493. 106 CE, 16 octobre 2000 : Sté Stéreau, Rec., p. 1103, in Contrats et Marchés Publ., décembre 2000, n° 12, comm. 48,

note F. LLORENS. 107 Concl. D. PIVETEAU, sur CE, 19 octobre 2001 : Sté Alstom Transport SA, Rec., p. 868, in BJCP, 2002, p. 39.

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précontractuel est donc un recours purement objectif dont l’unique ambition est de parfaire une

procédure de passation en l’apurant d’un maximum d’irrégularités.

Sous prétexte d’objectiver le recours précontractuel, l’indulgence du juge est parfois poussée

à son paroxysme. La qualité pour agir est en effet reconnue aux entreprises désignées comme

attributaires du marché108 ou aux sous-traitants109, ceux-ci ayant intérêt à conclure le contrat. Peu

importe, par exemple, que l’entreprise ait exercé des pressions sur la collectivité publique pour

conserver le marché dont elle était auparavant titulaire110 ou encore que sa candidature soit

irrecevable111.

La qualité pour agir est donc reconnue avec excès. Ces solutions conduisent néanmoins à

l’étonnement au regard d’une jurisprudence communautaire pragmatique et imprégnée du principe

de sécurité juridique. Ce courant jurisprudentiel pourrait en effet ouvrir le débat et nourrir la

réflexion au niveau interne en vue de limiter la reconnaissance toujours plus mécanique, spontanée

et discutable de la qualité pour agir.

2. Une possible limitation de la qualité pour agir

La directive énonce que les procédures de recours sont accessibles « au moins à toute

personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux

déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée »112.

Pour accéder au prétoire au sens du droit communautaire, il convient d’abord que l’entreprise

ait été ou risque d’être lésée. La formulation retenue n’a pas l’avantage de la clarté, si bien qu’une

juridiction autrichienne n’a pas hésité à surseoir à statuer pour en demander la signification à la Cour

de Justice113. Cette dernière a manifestement fait preuve de frilosité puisque dans sa réponse, le

débat est habilement transposé de l’accès au juge vers le bien-fondé du recours. Les conséquences de

108 CE, 19 septembre 2007 : Communauté d’agglomération Saint-Etienne Métropole, Juris-Data n° 2007-072417, in

Contrats et Marchés Publ., novembre 2007, n° 11, comm 312, note J-P. PIETRI. 109 TA, Paris, 8 novembre 2006 : Sté Forsup Conseil, n° 0615289, in Contrats et Marchés Publ., avril 2007, n° 4,

comm. 118, note F. OLIVIER. 110 CE, 6 janvier 2006 : Syndicat Mixte de collecte, de traitement et de valorisation des déchets du Vendemois, Juris-

Data n° 2006-069635, in Contrats et Marchés Publ., mars 2006, n° 3, comm. 92, note F. LLORENS. 111 CE, 3 mars 2004 : Sté Mak System, Rec., p. 121, CJEG, 2004, p. 440, Concl. D. PIVETEAU ; CE, 8 avril 2005 : Sté

Radiometer, Rec., p. 698, in DA, août-septembre 2005, n° 8, comm. 128, note A. MENEMENIS. 112 Directive 89/665, art. 1er § 3. 113 CJCE, 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, Rec. CJCE, p. I-6319.

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son raisonnement peuvent néanmoins être résumées par les récentes conclusions de l’Avocat général

KOKOTT : « Il ne saurait [...] être question d’exiger de la personne concernée qu’elle apporte déjà

au stade du dépôt de sa demande la preuve concrète de ce qu’elle a effectivement été lésée ou risque

effectivement d’être lésée. Au contraire, il doit suffire pour avoir accès à une procédure de recours

que, outre une violation du droit par le pouvoir adjudicateur, la personne fasse valoir de manière

concluante qu’elle a intérêt à obtenir la marché public en cause et l’éventualité de la survenance

d’un dommage »114. La Cour ne s’est, semble t-il, jamais explicitement prononcée sur cette difficulté,

mais il n’est pas exclu qu’une analyse subjective au stade de la recevabilité du recours ne puisse être

introduite en droit interne sans contrarier le principe d’un droit au recours effectif. La prudence de la

Cour à l’égard de cette question s’explique par sa préférence à limiter l’accès au prétoire en se

fondant sur l’analyse du comportement des acteurs de la procédure de passation.

Il importe en second lieu que l’entreprise démontre qu’elle a ou qu’elle a eu un intérêt à

obtenir un marché public pour que son recours soit recevable. Par une approche réaliste et

pragmatique, la Cour permet aux Etats de refuser l’accès au juge en fonction des comportements du

pouvoir adjudicateur et du soumissionnaire. La relation entre l’intérêt à agir du requérant et son

comportement a d’abord été mise en évidence par l’Avocat général MISCHO. Celui-ci estime que le

soumissionnaire peut perdre son intérêt à agir dès lors qu’il n’a pas pris « toutes les mesures qui sont

raisonnablement à sa disposition pour éviter que le marché ne soit attribué à un autre

soumissionnaire »115. La Cour a repris à son compte ce raisonnement dans l’arrêt Grossmann Air

Service116 de sorte que pour accéder aux procédures de recours, le requérant doit manifester avec

évidence son ambition d’être l’attributaire du marché en cause. Or, une telle volonté ne peut se

matérialiser que par la soumission d’une offre ou la présentation d’une candidature manifestant une

participation active à une procédure de passation. C’est d’ailleurs en se fondant sur ce principe que

la Cour autorise les Etats à refuser l’accès au prétoire aux membres d’un groupement d’entreprises117.

Un membre a certes intérêt à ce que le marché soit attribué au groupement, mais non à se le voir 114 Concl. J. KOKOTT, point 147, sur CJCE, 19 juin 2008 : Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C-454/06.

L’Avocat général semble toutefois mettre à part l’hypothèse dans laquelle l’irrecevabilité du recours est « tellement manifeste » que le juge peut le rejeter à « à titre exceptionnel » sans qu’il soit nécessaire de l’examiner plus avant.

115 Concl. J. MISCHO, point 46, sur CJCE, 19 juin 2003 : Fritsch, Chiari & Partner, aff. C-410/01, préc. 116 CJCE, 12 février 2004 : Grossmann Air Service, aff. C-230/02, préc., point 27 : « […] La participation à une

procédure de passation d’un marché peut, en principe, valablement constituer […] une condition dont la satisfaction est requise pour établir que la personne concernée justifie d’un intérêt à obtenir le marché en cause […]. A défaut d’avoir présenté une offre, une telle personne peut difficilement démontrer qu’elle dispose d’un intérêt à s’opposer à cette décision ou qu’elle est lésée ou risque de l’être du fait de cette attribution ».

117 CJCE, 8 septembre 2005 : Espace Trinon SA, aff. C-129/04, Rec. CJCE, p. I-7805, in Contrats et Marchés Publ., décembre 2005, n° 12, comm. 312, note W. ZIMMER ; confirmée par CJCE, 4 octobre 2007 : Consorzio Elisoccorso San Raffaele, aff. C-492/06, in Europe, décembre 2007, n° 12, comm. 346, note D. SIMON.

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attribuer lui-même. Si ce membre n’a aucunement participé à la procédure d’attribution, c’est parce

qu’en tant que tel, il n’aurait pu obtenir le marché. Seul le groupement en est capable et a manifesté

son intérêt, lui seul est donc recevable à agir.

La participation à la procédure est un indice permettant la reconnaissance d’une qualité pour

agir. Elle n’est toutefois pas suffisante, la Cour ayant affirmé que « la qualité formelle de

soumissionnaire ou de candidat n’est […] pas requise »118. Cela signifie a contrario qu’il existe au

moins une hypothèse dans laquelle l’intérêt à agir est reconnu alors même que l’entreprise n’a pas

matériellement pris part à une procédure d’attribution. Cette hypothèse est relative au comportement

du pouvoir adjudicateur et sous-tend l’ensemble de la jurisprudence communautaire. Il ne peut

évidemment être exigé une participation active de l’entreprise à la procédure d’attribution du marché

lorsque le pouvoir adjudicateur n’a pas mis en œuvre de procédure formelle de passation. Il a

également été jugé que les voies de recours restent ouvertes pour l’entreprise qui n’a pas pris part à

la procédure au motif que les conditions des appels d’offres faisaient apparaître ses chances de

succès comme nulles en cas de participation119. Autrement dit, l’entreprise conserve son intérêt à

obtenir le marché dès lors que sa volonté de participer à la procédure d’attribution a été empêchée

par le comportement du pouvoir adjudicateur.

Par conséquent, il est permis au droit interne de dénier l’intérêt à agir à une entreprise qui,

seule ou dans un groupement120, n’a pas candidaté, sauf à ce qu’elle démontre qu’elle en a été

dissuadée du fait de l’administration. L’établissement d’un lien de parenté entre cette règle

jurisprudentielle et les solutions dégagées par le juge de l’excès de pouvoir pourrait séduire au

regard des ressemblances qui les animent121. Si le juge des référés est éloigné de cette méthode de

raisonnement, il n’est pas exclu qu’il s’en approche à l’avenir, notamment dans la mouvance de 118 CJCE, 11 janvier 2005 : Stadt Halle, aff. C-26/03, préc., point 40. 119 CJCE, 12 février 2004 : Grossmann Air Service, aff. C-230/02, préc. 120 Une jurisprudence interne constante admet que chaque membre d’un groupement dépourvu de la personnalité

juridique est recevable à exercer un recours précontractuel : voir notamment : CE, 28 juillet 1999 : SA Bouygues e. a., Rec., p. 266, in CJEG, 1999, p. 357, concl. C. BERGEAL ; CE, 29 juin 2005 : Chambre de commerce et d’industrie du Pas-de-Calais, n° 266631. La recevabilité du recours peut s’expliquer par une solution traditionnelle estimant que les entreprises ayant formé un groupement momentané solidaire sont, en principe, considérées comme s’étant données mandat mutuel pour se représenter. Ce libéralisme est néanmoins atténué par la rigueur du caractère strictement précontractuel du référé puisque, dans le cadre de la passation de plusieurs marchés dans un groupement de commandes, le recours d’un membre est irrecevable dès lors qu’il est intenté après la signature du premier d’entre eux : voir CE, 13 juillet 2007 : Syndicat intercommunal périphérie Paris pour électricité et réseau communication Paris, Juris-Data n° 2007-072190, in Contrats et Marchés Publ., octobre 2007, n° 10, comm. 281, note J-P. PIETRI.

121 CE, sect. 6 décembre 1995 : Département de l’Aveyron et Sté Jean-Claude Decaux, Rec., p. 428 ; CE, 19 février 1996, Sté Aubettes, Rec., p. 45, in AJDA, 1996, p. 320, chron. Ph. TERNEYRE. Parfois même, les juridictions du fond ont fait preuve de sévérité à l’égard des requérants en exigeant de leur part un acte de candidature sérieux avec au moins une chance de succès : voir notamment TA, Lyon, 28 juin 2001 : Sté Sondalp Lyon, n° 00LY01979.

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l’arrêt Sté Tropic Travaux Signalisation122. Ainsi, le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise a

estimé que le recours d’une société candidate à l’attribution de deux lots sur quatre à l’encontre de

l’ensemble du marché était irrecevable123. Dans le même sens, un juge du fond a récemment rejeté le

recours d’une entreprise n’ayant pas candidaté, au motif que « seules les personnes qui ont manifesté,

en présentant leur candidature, l’intérêt qu’elles portent à la conclusion du contrat, qu’elles aient

ou non présenté une offre par la suite, ont qualité pour contester les décisions prises »124 en vue de

la passation d’un contrat de délégation de service public. Cette tendance jurisprudentielle naissante

peut être confirmée par un jugement du Tribunal Administratif de Lyon dans lequel la qualité pour

agir est déniée à une entreprise dès lors qu’elle a soumis tardivement son offre et que « le

comportement du pouvoir adjudicateur n’a exercé aucune influence dans le déroulement de la phase

préparatoire de son dossier »125.

Ces solutions encore isolées font naître l’espoir d’une jurisprudence nouvelle et libérée de la

clémence d’un juge interne, admettant à son prétoire des entreprises peu diligentes, voire de

mauvaise foi, capables de renverser une procédure de passation. Une fois recevable, le requérant doit

encore faire face à un nouvel obstacle procédural relatif à l’invocabilité des moyens.

B. Les moyens invocables

En vertu des articles L 551-1 CJA et L 551-2 CJA éclairés par la jurisprudence

administrative, les moyens invocables sont relatifs aux obligations de publicité ou de mise en

concurrence. La formulation retenue par le législateur aurait pu encourager le juge à contenir une

conception stricte et purement formelle de ces obligations, touchant ainsi « à l’une des limites

potentielle les plus évidentes »126 du recours précontractuel. En la matière, la jurisprudence a évolué

122 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, préc. Seule les « tiers évincés » sont recevables à

saisir le juge du plein contentieux objectif. Or, l’éviction d’une procédure d’attribution implique sûrement, et en principe, que l’entreprise requérante en ait préalablement pris part.

123 TA, Cergy-Pontoise, 19 février 2007 : Sté Revsols +, n° 0700959. Le juge prend également soin de relever qu’il « ne ressort pas de l’instruction […] que la société Revsols + aurait été empêchée de se porter candidate » par la personne publique.

124 TA, Nice, 9 novembre 2007 : Sté du parking de la promenade du Paillon /c. Ville de Nice, n° 0400460. 125 TA, Lyon, 19 octobre 2007 : Sté Sepur, n° 07-06192, in Contrats et Marchés Publ., décembre 2007, n° 12,

comm. 335, note F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX. 126 F. LLORENS : « Le référé précontractuel, entre continuité et changement » in Le nouveau juge administratif des

référés. Réflexion sur la réforme opérée par la loi du 30 juin 2000, Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg – nouvelle série, n° 5, (dir. P. WACHSMANN), 2002, p. 28.

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de sorte qu’aujourd’hui, certains moyens opérants s’avèrent profondément inadaptés aux réalités

économiques (1). En restreindre l’invocabilité paraît cependant improbable (2).

1. Des moyens opérants inadaptés aux réalités économiques

Demeurent inopérants les moyens tirés d’une violation du droit de la concurrence ou encore

de l’irrégularité commise par un candidat ou une personne publique dès lors que, pour cette dernière,

l’irrégularité est étrangère aux obligations de publicité ou de mise en concurrence. Inversement, le

requérant peut utilement invoquer des moyens fondés sur la méconnaissance des règles générales ou

spécifiques applicables à la passation des contrats telles que l’absence ou l’insuffisance de publicité.

Il peut encore invoquer des irrégularités affectant les documents de la consultation, parfois même

l’incompétence ou la régularité des motifs pour lesquels la personne publique admet ou rejette une

candidature.

Ainsi, ces moyens sont susceptibles d’être utilement invoqués en cours d’instance, alors

même que l’entreprise n’a aucunement souffert de l’irrégularité qu’elle allègue. Le moyen est

opérant indépendamment de tout préjudice subi par le requérant. Cette solution constante a très tôt

été affirmée par le juge. Dans un arrêt District de l’agglomération nancéenne127, le Conseil d’Etat a

en effet considéré que l’impossibilité pour l’entreprise requérante d’établir un préjudice à son

encontre « ne saurait la priver du droit qu’elle tient […] de contester l’appel d’offres litigieux en

invoquant un manquement aux obligations de mise en concurrence ». L’objectivation du référé

précontractuel dont il a été question au sujet de l’accès aux voies de recours prolonge ses effets

jusqu’à la recevabilité des moyens.

Le refus du juge d’intégrer une analyse subjective au contentieux de la passation s’avère

ennuyeux et inadapté aux réalités économiques. Ajoutée au libéralisme gouvernant l’accès au

prétoire, l’invocabilité de moyens en dehors d’une quelconque approche personnelle aboutit

inéluctablement à fragiliser les procédures d’attribution sur lesquelles pèse un risque toujours plus

important d’annulation. Or, ces procédures participent au développement de l’action publique,

notamment à la réalisation de projets ayant vocation à répondre à un besoin d’intérêt général. Le

droit interne des marchés publics est parfois remarqué pour sa souplesse et sa capacité à s’adapter à

un tel besoin économique. Son contentieux, en revanche, permet à une entreprise peu diligente mais

127 CE, sect. 3 novembre 1995 : District de l’agglomération nancéenne, Rec., p. 391, in AJDA, 1995, p. 946,

confirmé par CE, 8 avril 2005 : Sté Radiometer préc.

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imaginative et armée de bons conseils d’être en mesure d’exercer des pressions sur ses concurrents

par le biais du recours précontractuel, sans même envisager les conséquences qui en découlent sur le

déroulement de l’action publique.

Le droit communautaire invite pourtant à la plasticité dans l’invocabilité des moyens. Selon

lui, il est possible de restreindre les moyens opérants en se fondant sur l’analyse du préjudice subi

par le requérant. L’introduction d’une telle méthode en droit français paraît toutefois improbable.

2. Une improbable restriction des moyens opérants

On l’a dit, le droit communautaire ne semble pas autoriser les Etats à personnaliser l’intérêt à

agir du requérant pour lui refuser l’accès au juge en exigeant la preuve d’un dommage. Cela ne

signifie pas pour autant que toute analyse subjective soit écartée. Celle-ci ne s’opère pas au stade de

la recevabilité de la requête, mais à celui de son bien-fondé.

A titre liminaire, la Cour a jugé qu’une personne ayant été ou risquant d’être lésée par

l’illégalité alléguée ne saurait être privée « non seulement de son droit de recours […] mais

également du droit de contester le bien-fondé du motif d’exclusion »128. La formulation employée

conduit donc à dissocier l’accès au juge proprement dit de la possibilité de contester ce motif. Or,

c’est au moment où le soumissionnaire est « admis à contester le bien-fondé du motif d’exclusion »

que « l’instance responsable des procédures de recours envisage de conclure qu’il n’a pas été ou ne

risque pas d’être lésé par la décision dont il allègue l’illégalité »129. Il apparaît donc qu’un

raisonnement subjectif peut intervenir à un stade ultérieur à la recevabilité de la requête. La méthode

est d’ailleurs reprise par l’Avocat général KOKOTT affirmant que si la démonstration d’un préjudice

ne conditionne pas, en principe, la recevabilité, elle « relève toutefois de la question du bien-fondé

du recours »130.

Si la Cour de Justice entendait faire du recours précontractuel un contentieux purement

objectif, elle imposerait sans doute aux Etats que les instances nationales soient dotées du pouvoir de

relever d’office les irrégularités au nom de la dynamique attachée au droit à un recours effectif.

128 CJCE, 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, préc., point 26. 129 CJCE, 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, préc., point 29. 130 . J. KOKOTT, point 150, sur CJCE, 19 juin 2008 : Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C-454/06, préc.

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Pourtant, il s’agit là d’une simple faculté131 que le juge interne ne semble pas exercer132. Le juge des

référés précontractuels peut donc voler au secours du requérant peu diligent en relevant une

irrégularité d’office. Or, la logique et la cohérence pourraient néanmoins laisser penser que si ce

requérant n’invoque pas l’irrégularité par lui même, c’est parce qu’elle ne lui est pas vraiment

préjudiciable…

La nouvelle directive « recours » participe également à l’intégration d’un raisonnement

subjectif dans le contentieux contractuel. Ce texte prévoit que le contrat est privé d’effets lorsque le

pouvoir adjudicateur méconnaît l’obligation d’abstention ou la suspension de la procédure de

passation liée à l’exercice d’un recours. Encore faut-il que cette violation ait « privé le

soumissionnaire intentant un recours de la possibilité d’engager un recours précontractuel

lorsqu’une telle violation est accompagnée d’une violation des directives 2004/17/CE, si cette

violation a compromis les chances du soumissionnaire intentant le recours d’obtenir le marché » 133.

Il s’avère cependant que transposée en droit interne, cette condition sera particulièrement

difficile à remplir. Elle impliquera en effet de déterminer laquelle des offres était la meilleure entre

celle de l’entreprise requérante et celle du soumissionnaire finalement retenu. Cette recherche est

identique à celle effectuée dans le contentieux indemnitaire, lorsqu’il est question de réparer le

préjudice subi par une entreprise irrégulièrement évincée. Cette dernière doit apporter la preuve

qu’elle avait une chance sérieuse d’obtenir le marché. Mais force est de constater que la condition

est très rarement remplie, « le juge ne consacrant cette indemnisation que dans des circonstances

d’une particulière évidence, généralement peu fréquente »134. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat

accorde une indemnité dès lors que l’entreprise établit qu’elle avait « une chance très sérieuse

d’obtenir le marché »135. La sévérité du juge s’explique par l’appréciation complexe qu’il porte sur

l’approche qualitative et l’examen approfondi du raisonnement suivit par l’administration pour 131 CJCE, 19 juin 2003 : GAT GmbH, aff. C-315/01, préc., point 50 : Au nom du principe d’autonomie procédurale,

la Cour a jugé que « […] la directive 89/665 ne s’oppose pas à ce que, dans le cadre d’une demande introduite par un soumissionnaire, en vue de faire constater […] l’illégalité de la décision d’attribution d’un marché public, l’instance responsable de la procédure de recours soulève d’office l’illégalité d’une décision du pouvoir adjudicateur autre que celle attaquée par le soumissionnaire ».

132 Le pouvoir de relever d’office des irrégularités existe, mais les exemples ne sont pas légion. Voir CE, 2 octobre 1996 : SARL Entreprise générale électricité Noël Béranger, Rec., p. 371. Dans le même sens CE, 20 octobre 2006, Commune d’Andeville, Rec., p. 434, in DA, février 2007, n° 2, comm. 21, note A. MENEMENIS. Dans un récent arrêt, le juge cultive cependant le doute par le silence : CE, 23 mai 2008 : Musée Rodin, Juris-Data n° 2008-073609, in JCPA, n° 2184, note F. LINDITCH.

133 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quinquies 1. b). 134 F. DIEU : « L’indemnisation d’une chance sérieuse de remporter un marché », in AJDA, 2006, p. 877. 135 Concl. I. DASILVA, sur CE, 7 novembre 2001 : Sté Anonyme Quillery, n° 218221, in BJCP, 2002, p. 189 : en

l’espèce, la requérante avait démontré que « dans le contexte particulier de l’affaire », elle avait présenté « la meilleure offre tous critères confondus ».

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désigner l’attributaire du marché. Si la jurisprudence fait ici preuve de rigueur, elle le fera davantage

dans le contentieux précontractuel car l’office du juge des référés est difficilement compatible avec

une telle appréciation. Comme l’écrit Madame BERGEAL, « la procédure de l’article L 551-1 est une

procédure d’urgence, le juge ne peut que s’en tenir à l’apparence » 136. Par conséquent, si le droit

communautaire autorise le juge interne à faire usage d’un raisonnement subjectif dans la recevabilité

des moyens, l’office du juge des référés précontractuels représente un obstacle à l’introduction d’une

telle méthode de raisonnement.

Les règles gouvernant la recevabilité des moyens devant le juge des référés précontractuels

se situent au-delà de ce qu’implique le droit communautaire. Cet excès pourrait néanmoins être

contrebalancé par la restriction de la qualité pour agir ambitionnée par les juridictions du fond.

Encore faudra t-il que le Conseil d’Etat généralise ces solutions isolées. Pour l’heure, il en résulte

que le droit interne surestime les exigences issues des directives « recours » dans la recherche de

l’irrégularité. Cet excès se manifeste encore avec évidence dans son traitement par le juge, c'est à

dire dans la détermination de ses conséquences juridiques.

136 Concl C. BERGEAL sur CE, 8 février 1999 : Sté Campenon Bernard SGE, Rec., p. 890, in BJCP, 1999, p. 361.

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Section II. Le dépassement des exigences communautaires dans

le traitement de l’irrégularité

Une fois parvenue à la connaissance du juge, l’irrégularité doit être traitée. Il est certain que

le droit communautaire impose un traitement différencié de l’irrégularité selon que le requérant

exerce un recours avant ou après la signature du contrat. Il en va d’un besoin de stabilité des

relations contractuelles car un contrat déployant ses effets juridiques ne saurait être annulé avec plus

de facilité qu’un simple acte préparatoire. Mais cette différence de traitement demeure raisonnable et

adaptée au besoin inaltérable de sécurité juridique. C’est pourtant ici que le contentieux contractuel

interne revêt un paradoxe, tout au moins une dissonance flagrante source d’étonnement. Le référé

précontractuel cohabite en effet avec un recours à l’encontre du contrat, mais là où le premier affiche

une rigueur devenue constante (§ 1), le second témoigne d’une volonté opposée et contemporaine de

pragmatisme (§ 2).

§ 1. La rigueur constante du juge des référés précontractuels

La recherche d’efficacité imposée par le droit communautaire déteint sur les sanctions

prononcées par le juge des référés à l’encontre des procédures de passation. Ces dernières sont

classiquement censurées, une fois encore au détriment d’une action publique pérenne, alors même

que l’irrégularité qui les affecte est vénielle et sans incidence sur les objectifs de la commande

publique. C’est la raison pour laquelle l’application de la théorie des irrégularités non substantielles

est d’autant plus nécessaire (A). Sa mise en œuvre est néanmoins délicate (B).

A. Une nécessaire application de la théorie des irrégularités non

substantielles

Appliquer la théorie des irrégularités non substantielles consiste à éviter la censure de

procédures de passation entachées d’erreurs ou de vices mineurs. Pour l’heure, le juge des référés

n’en fait pas usage, lui préférant une rigueur démesurée (1). Le droit communautaire offre pourtant

un cadre juridique favorable à son application (2).

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1. Une rigueur démesurée

La censure systématique de procédures d’attribution quelque soit la gravité du vice fait

l’objet de vives critiques et dévoile « le revers de la médaille »137 du référé précontractuel. La

rigueur du juge ne peut en effet que surprendre au regard de ses conséquences pratiques. Elle rend

pourtant compte de l’état du droit en vigueur.

L’obligation d’assurer une publicité et une mise en concurrence pour certains contrats

implique la publication d’un avis d’appel public à la concurrence. Ce dernier représente un terrain

propice au développement d’irrégularités, liées notamment aux mentions des délais et voies de

recours. C’est ainsi qu’une simple erreur matérielle bénigne et non imputable à la personne publique

est jugée substantielle138, justifiant que la procédure d’attribution soit relancée. Peu importe donc

que l’administration ne soit directement à l’origine d’une erreur superficielle, peu importe également

que l’irrégularité n’ait aucunement préjudicié à l’entreprise qui l’invoque139, celle-ci n’ayant pas été

empêchée d’exercer un recours. Par conséquent, le juge apprécie objectivement l’irrégularité et

ignore la distinction entre substantielle et non substantielle à l’exception de quelques décisions

isolées140.

Le référé précontractuel est pourtant un recours de plein contentieux. Il eut donc été possible

d’inciter le juge à l’indulgence. Il n’en est rien puisque la finalité du recours précontractuel consiste

à éradiquer toute irrégularité de la procédure d’attribution, sans aucune distinction. Il est certain que

cette sévérité est engendrée par le droit communautaire. Sans la contrainte qu’il exerce, le juge des

référés aurait fait preuve d’une compréhension plus grande, notamment à l’image du juge de

l’expropriation lorsqu’il est question de l’accomplissement des mesures de publicité dans le

contentieux des déclarations d’utilité publique. S’il a indirectement porté à la démesure la rigueur du

contentieux contractuel interne, le droit communautaire pourrait néanmoins conduire à

l’interrogation, à l’instar de celle posée par les sénateurs lors de l’examen de la proposition de la

137 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Référé précontractuel : le revers de la médaille », in Contrats et Marchés

Publ., janvier 2007, n° 1, repère 1. 138 CE, 30 juin 2004 : Sté Nationale des Chemines de Fer, n° 263402, in Contrats et Marchés Publ., octobre 2004,

n° 10, comm. 194, note W. ZIMMER. 139 Voir CE, 8 février 2008 : Département de L’Essonne, Juris-Data n° 2008-073132, in JCPA, n° 2080, note

C. CABANES et B. NEVEU. En l’espèce, le Conseil d’Etat sanctionne également l’insuffisance d’informations figurant dans une rubrique d’un avis d’appel public à la concurrence que l’administration n’était pas tenue de remplir.

140 Voir par exemple TA, Orléans, 28 mars 2003 : Atelier d’architecture Arène et Edeikins, n° 03-593, in Contrats et Marchés Publ., juin 2003, n° 6, comm. 96, note Ph. DELELIS. Le président du Tribunal Administratif d’Orléans refuse de censurer une procédure de passation alors que l’avis d’appel public à la concurrence ne contenait pas de nombreux éléments prévus par les textes.

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nouvelle directive « recours » : « Peut-on concevoir une annulation automatique du fait d’une erreur

mineure constatée au cours de la procédure ? »141. La question est d’autant plus pertinente que le

droit communautaire offre un cadre juridique favorable à l’application en droit interne de la théorie

des irrégularités non substantielles.

2. Un cadre juridique favorable

Il convient immédiatement de préciser que le droit communautaire offre peu d’éléments

concrets permettant d’affirmer avec certitude que l’application de la théorie des irrégularités non

substantielles ne contredit pas les exigences des directives « recours ». Une réponse favorable au

principe de sécurité juridique peut toutefois être avancée au regard de deux pistes de réflexion.

D’autre part, une juridiction autrichienne a saisi la Cour de Justice de la question de savoir si

l’annulation d’une décision illégale peut valablement être soumise à la condition que cette décision a

eu une influence essentielle sur l’issue de la procédure d’adjudication142. Il lui est donc demandé de

préciser les conditions d’annulation des décisions du pouvoir adjudicateur. Si elle ne s’est pas

prononcée en l’espèce, les conclusions de l’Avocat général MISCHO méritent d’être relatées. Ce

dernier relève d’abord que le droit communautaire ne fixe pas de condition pour procéder à

l’annulation de ces décisions. Il s’ensuit que « le droit communautaire ne s’oppose, en principe, pas

à ce que le droit national règle des aspects de la procédure de recours qui ne sont pas définis par la

directive pour autant que les règles nationales applicables ne soient pas moins favorables que celles

concernant des recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et qu’elles ne

rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par

l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) »143. Il ressort donc de ces conclusions que

la subordination d’une annulation contentieuse à la preuve que l’irrégularité a porté atteinte au jeu

effectif de la concurrence n’est pas en elle-même contraire au droit communautaire. La Cour n’a,

semble t-il, malheureusement pas eu l’occasion de se prononcer à nouveau sur cette délicate question.

L’obligation faite aux Etats d’instaurer une voie de droit à l’encontre du contrat constituera une

nouvelle source de contentieux au niveau communautaire. La Cour aura donc l’occasion d’éclairer

les instances nationales sur les conséquences à tirer de l’irrégularité sur le contrat. Une solution

limitant l’application de la théorie des irrégularités non substantielles au recours contractuel sera 141 Sénat, Actualité de la délégation pour l’Union Européenne, 12 février - 5 mars 2007, p. 71. 142 CJCE, 12 avril 2003 : EVN AG et Wienstrom GmbH, aff. C-448/01, Rec. CJCE, p. I-14527. 143 Concl. J. MISCHO, point 86, sur CJCE, 12 avril 2003 : EVN AG et Wienstrom GmbH, aff. C-448/01, Rec. CJCE,

p. I-14527.

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applicable a fortiori lors d’un recours précontractuel puisque par définition, le second se veut plus

rigoureux que le premier.

D’autre part, les directives « recours » sont largement gouvernées par une recherche

d’efficacité. Ainsi, elles ne reconnaissent pas explicitement aux Etats la faculté d’accorder un

traitement plus favorable à une irrégularité sous prétexte que sa gravité moindre le justifie. Elles

prévoient cependant « que lorsque l’instance responsable examine s’il y a lieu de prendre des

mesures provisoires, celle-ci peut tenir compte des conséquences probables de ces mesures pour

tous les intérêts susceptibles d’être lésés, ainsi que l’intérêt public, et décider de ne pas accorder ces

mesures lorsque des conséquences négatives pourraient dépasser leurs avantages »144. Il est donc

possible au juge national de refuser la censure radicale et automatique d’une procédure d’attribution,

au motif que les conséquences de sa décision perturberaient les divers intérêts en présence. L’on

pourrait sans doute penser que la constatation d’un dépassement de délai insignifiant ou l’omission

d’une indication dans l’une des cases d’un avis d’appel public à la concurrence n’est que d’un poids

réduit face à l’envergure de certains projets publics dont le retard dans la réalisation serait lourd de

conséquences pour la diversité des intérêts en cause. Ces derniers impliquent une analyse concrète,

réaliste, et ont pour ambition d’inviter le juge à la clémence.

La potentialité du droit communautaire n’a pas été ignorée du législateur national. Elle n’a

pas pour autant été pleinement employée, puisque seul l’article L 551-2 CJA reprenant à la lettre les

directives, accorde au juge la faculté de ne pas prononcer d’astreinte après s’être interrogé sur

l’opportunité de sa décision.

Si le droit communautaire constitue un cadre juridique favorable à l’application de la théorie

des irrégularités non substantielles, force est de constater que sa mise en œuvre est des plus délicates.

144 Directive 89/665, art. 2 § 4.

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B. Une mise en œuvre délicate

Deux obstacles empêchent la mise en œuvre par le juge des référés précontractuels d’une

distinction entre les irrégularités ayant un caractère substantiel et celles qui ne le revêtent pas.

D’abord, le juge des référés se refuse généralement à l’exercice de la distinction dans la

recherche de l’irrégularité. Il n’est donc pas étonnant qu’il en fasse de même lors de son traitement.

Mettre en œuvre la théorie des irrégularités non substantielles implique de fixer a priori le seuil de

gravité en deçà duquel le vice ne mérite pas de sanction. Ce travail de qualification qui s’impose au

juge s’avère problématique à deux égards. Il implique un aléa juridique supplémentaire pour les

acheteurs publics dans la détermination des conséquences d’une irrégularité éventuellement

commise. Surtout, il suppose que le juge se lance dans une politique de tolérance et refuse de

sanctionner un acte non conforme à la réglementation qui lui est applicable. L’indulgence est

sûrement acceptable, mais encore faut-il que l’exception de son maintien malgré l’irrégularité ne se

substitue au principe de sa nullité.

C’est ensuite l’écriture du droit de la commande publique lui-même qui représente un

inconvénient de taille pour la mise en œuvre de la théorie des irrégularités non substantielles.

L’accumulation des prescriptions confère à ce droit « une allure labyrinthique »145 et un caractère

technique de par son formalisme contraignant. Il est d’autant plus simple pour l’administration de

commettre une erreur, par imprudence, ignorance ou incertitude, que les prescriptions sont

nombreuses et désordonnées et il est d’autant plus évident pour le juge de sanctionner cette erreur en

se fondant sur l’extensivité des grands principes de la commande publique. Sans doute serait-il

judicieux, comme certains ont habilement pu le proposer, « d’entreprendre un travail de dépollution

de notre droit administratif pour séparer le bon formalisme du mauvais, de manière à lui donner sa

juste place »146.

Si le pragmatisme dans le traitement de l’irrégularité ne parvient pas à intégrer le contentieux

de la passation par le biais d’une application de la théorie des irrégularités non substantielles,

l’existence d’un recours à l’encontre du contrat peut néanmoins en apporter les bienfaits. Mais la

145 F. LLORENS : « Typologie des contrats de la commande publique », in Contrats et Marchés Publ., mai 2005, n° 5,

étude 7. 146 P. SOLER-COUTEAUX : « Réflexion sur le thème de l’insécurité du droit administratif ou la dualité moderne du

droit administratif », in Gouverner, administrer, juger. Liber Amicorum Jean Waline, Dalloz, 2002, p. 377.

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structure du contentieux ne contraint aucunement le juge des référés à calquer ses solutions sur celles

dégagées par le juge du contrat. Leur intervention respective est hermétiquement séparée par une

simple constatation de la signature, sans qu’un lien ne permette à l’un de déteindre sur l’autre. Il est

sans doute possible, pour des raisons d’équité, que les solutions dégagées par le juge du plein

contentieux influencent le juge de l’excès de pouvoir, ou inversement. Le recours précontractuel

reste quant à lui strictement cantonné, voire marginalisé, à la seule procédure d’attribution. Osons

toutefois espérer que l’influence du pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat

s’effectue par la voie d’une politique jurisprudentielle, témoin d’une volonté nouvelle en rupture

avec ce qu’il y a d’excessif dans le contentieux de la passation.

§ 2. Le pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat

Un contrat entaché d’irrégularité n’est pas automatiquement déclaré nul par le juge du plein

contentieux. La nullité est d’ailleurs une fin exceptionnelle des rapports contractuels (A), sans que

cette souplesse contredise le droit communautaire. Ce dernier encourage en effet à une telle méthode

de jugement (B).

A. La nullité : fin exceptionnelle des rapports contractuels

Le juge du contrat a d’abord affirmé sa volonté de ne sanctionner un contrat irrégulier par la

nullité que de manière exceptionnelle (1). Une portée des plus larges a ensuite été conférée à son

ambition initiale puisque le principal obstacle à un traitement pragmatique des irrégularités semble

surmontable (2).

1. Une volonté affirmée

Dans son arrêt du 16 juillet 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation147, le Conseil d’Etat a

solennellement consacré la possibilité pour le juge du contrat, « après avoir pris en considération la

nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de

modifier certaines de ces clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement

sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des 147 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Sté Tropic Travaux Signalisation, préc.

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indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du

contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants,

d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ». La nullité

est présentée en dernier lieu dans ce considérant de principe. Elle apparaît donc comme le remède

ultime au rétablissement de la légalité.

La formulation retenue est également intéressante en ce qu’elle se départit des solutions

antérieures. Alors que dans l’arrêt Institut de Recherche pour le Développement148, seule « une

atteinte excessive à l’intérêt général » peut empêcher le prononcé de la nullité, l’arrêt Sté Tropic

Travaux Signalisation, quant à lui, autorise le défendeur à invoquer « une atteinte excessive à

l’intérêt général ou aux droits des cocontractants ». Le Conseil d’Etat offre au juge du contrat une

alternative nouvelle permettant le maintien du contrat malgré l’irrégularité au nom d’une atteinte

excessive aux droits des cocontractants. Là où il intégrait auparavant les droits des cocontractants

dans le standard de l’intérêt général, il les dissocie aujourd’hui. Or, ce que recouvre l’expression de

« droits des cocontractants » au sens du juge du contrat reste largement indéterminé.

De la même manière, la formulation employée par l’Assemblée du Conseil d’Etat indique

que le juge du plein contentieux est en mesure de résilier le contrat. Il peut encore le maintenir avec

un effet différé, c'est-à-dire pour le passé, mais uniquement sous réserve qu’il ne porte

excessivement atteinte à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants. Le juge du contrat est

donc en mesure de prononcer, soit la résiliation indépendamment de toute condition explicite, soit

une annulation avec un effet différé dès lors qu’elle ne porte pas une atteinte excessive à la diversité

des intérêts en présence. Or, peu importe que le juge prononce la résiliation ou l’annulation avec un

effet différé car les effets sont identiques : dans les deux cas, le contrat est privé d’effets pour

l’avenir149.

Ainsi, le juge du contrat s’octroie de nouvelles potentialités et dispose d’une véritable palette

de pouvoirs à l’encontre d’un contrat irrégulièrement conclu. Il a surtout l’opportunité de renouveler

le contenu du standard juridique de l’intérêt général au moment où le droit communautaire se

l’approprie. Les larges pouvoirs dont il dispose témoignent d’une ambiance générale de pragmatisme.

148 CE, 10 décembre 2003 : Institut de Recherche pour le Développement, préc. 149 P. DELVOLVE : Un nouveau juge pour le contrat administratif », in RJEP, 2007, p. 327 : « Dès lors que la

résiliation est une mesure qui met fin au contrat pour l’avenir, on ne voit pas très bien ce qui la différencie de l’annulation avec un effet différé ».

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Cette volonté initiale semble concrétisée par la suppression du principal obstacle au traitement des

irrégularités effectué par le juge du contrat.

2. Un obstacle surmontable

L’ouverture d’un recours de plein contentieux objectif à l’encontre du contrat implique, aux

termes de l’article L 521-1 CJA, que les tiers recevables puissent agir par la voie du référé-

suspension150. Une partie de la doctrine s’est alors interrogée sur les effets potentiels de cette

procédure accessoire sur le recours au principal. Les regards critiques se sont essentiellement portés

sur la condition d’urgence pour laquelle il eût été « vraisemblable que le requérant bénéficie […]

d’une présomption »151. Or, si une mesure de suspension est automatiquement accordée, il est

évident que l’objectif de la solution Sté Tropic Travaux Signalisation serait altéré. L’intervention du

juge du contrat se trouverait court-circuitée par une décision juridictionnelle rendue antérieurement

et ordonnant systématiquement la suspension de l’exécution du contrat. Désireuse de disposer de

l’objet du marché en temps utile et de ne pas être paralysée dans son action, l’administration

relancera sans doute une nouvelle procédure de passation.

Il n’est pourtant pas question d’assortir le recours direct des tiers évincés d’une procédure

accessoire comparable, dans ses effets, aux référés précontractuels. Cette hypothèse a d’ailleurs

immédiatement été exclue par le Commissaire du gouvernement CASAS. C’est la raison pour

laquelle, en l’état actuel du droit, la condition d’urgence est difficilement admise par les juridictions

du fond. Si la méthode de qualification de l’urgence est fluctuante, les solutions dégagées par les

Tribunaux Administratifs convergent envers une rigueur en défaveur des requérants152.

Par conséquent, le référé-suspension n’est pas un obstacle à un traitement pragmatique des

irrégularités. Ces dernières parviendront au contrôle du juge de pleine juridiction sans que le recours

150 Art. L 521-1 CJA : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation

ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ces effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision […]».

151 P. CASSIA : « Le nouveau recours contre le contrat : questions périphériques de procédure contentieuse », in AJDA, 2007, p. 1965.

152 Pour des ordonnances de rejet, voir : TA, Versailles, 15 octobre 2007 : Sté Bruno Kern Avocats, n° 0709671, in Contrats et Marchés Publ., mai 2008, n° 5, comm. 111, note J-P. PIETRI ; TA, Rouen : 8 Février 2008 : Sté Lancasterres IDF, n° 08001600, in Contrats et Marchés Publ., mai 2008, n° 5, comm. 112, note X. MOURIESSE ; TA, Besançon, 12 février 2008 : Sté CBS, n° 800115, in JCPA, 2008, n° 2075, note F. LINDITCH ; TA, Orléans, 28 mai 2008 : Compost Sud Essone, n° 00801520, in Contrats et Marchés Publ., juillet 2008, n° 7, comm. 169, note J-P. PIETRI.

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accessoire en paralyse l’exercice. La méthode de jugement proposée par l’arrêt Sté Tropic Travaux

Signalisation n’est donc pas empêchée par l’enchevêtrement des contentieux. Elle ne l’est pas

davantage en raison de l’enchevêtrement normatif puisque le droit communautaire encourage à un

tel raisonnement.

B. Une méthode de jugement encouragée par le droit communautaire

Le droit communautaire est éminemment économique. A ce titre, le principe de sécurité

juridique occupe une place déterminante dans la jurisprudence de la Cour de Justice. Ce principe

général du droit communautaire trouve à s’appliquer dans l’ensemble du contentieux contractuel et a

pour vocation d’éviter la censure de contrats irréguliers.

L’on pourrait tout d’abord penser qu’un acte peut continuer à produire des effets juridiques

pour protéger la confiance que les cocontractants ont légitimement placés dans leurs relations avec le

pouvoir adjudicateur. Le principe de protection de la confiance légitime est en effet d’application

générale et ne suppose aucunement l’existence d’un texte en prévoyant l’invocabilité. De même,

certains auteurs en voient parfois la mise en oeuvre dans la jurisprudence communautaire afférente

au contentieux de la passation153. Mais le principe de protection de la confiance légitime ne trouve

aucunement à s’appliquer en droit interne sans que cela contrarie le droit communautaire, la Cour

ayant récemment affirmé son impertinence en la matière154.

Au regard de ces éléments, le principe de protection de la confiance légitime ne sera d’aucun

secours pour justifier la survie d’un contrat conclu dans des conditions irrégulières. Il sera d’un

intérêt davantage théorique. Cela ne signifie pas pour autant que tout contrat irrégulier soit

153 J-F. BRISSON : « Le droit au juge dans le contentieux des marchés publics. Dynamisme, dynamique et limites du

droit communautaire processuel », in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel GUIBAL, textes réunis et présentés par G. CLAMOUR et M. UBAUD-BERGERON, Université Montpellier I, coll. Mélanges, vol 2, p. 339 : « A l’appui de [la solution consacrée par l’arrêt Santex,] l’avocat général Alber devait faire valoir qu’en l’espèce, l’entreprise requérante pouvait légitimement penser que ses préoccupations avaient été entendues, et qu’une suite favorable leur serait même éventuellement donnée. Ce qui revient dans l’esprit du juge à combiner protection de la confiance légitime et protection juridictionnelle effective ».

154 CJCE, 7 juillet 2005 : Vereinging voor energie, aff. C-17/03, Rec. CJCE, p. I-4983, in CJEG, 2005, p. 423, note F. MALVASSIO confirmé par CJCE, 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, préc, point 36 : « S’agissant […] des principes de sécurité juridiques et de protection de la confiance légitime, du principe pacta sunt servanda ainsi que du droit de propriété, à supposer même que le pouvoir adjudicateur puisse se voire opposer ces principes et ce droit par son cocontractant en cas de résiliation du contrat, un Etat ne saurait s’en prévaloir pour justifier la non-exécution d’un arrêt en manquement ».

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automatiquement privé d’effets puisque la préservation de l’intérêt général a, dans certains cas,

également vocation à en assurer le maintien.

L’anéantissement d’un contrat public irrégulier est certes destiné à répondre aux exigences

du principe de légalité, mais il perturbe assurément l’intérêt général. C’est pourquoi une réflexion

commune sur les effets des annulations contentieuses imprègne toujours plus l’ensemble de la

doctrine155. La Cour est d’ailleurs consciente de ces difficultés en ce qu’elle permet aux Etats de ne

pas systématiquement priver d’effets des conventions irrégulièrement attribuées.

Comme l’on sait, la Cour a reconnu dans son arrêt Commission contre Allemagne

l’obligation pour les Etats de remettre en cause des contrats conclus dans des conditions contraires

au droit communautaire. Toutefois, la solution ne saurait être généralisée à l’ensemble de ces

conventions. La question du maintien du contrat conclu en violation du droit communautaire était en

effet particulièrement controversée au sein de la formation de jugement. Ces divergences se sont

matérialisées par une décision remarquée pour son « argumentation assez laconique »156 et sa

rédaction empreinte de précaution. La Cour s’est manifestement prononcée « dans une situation telle

que celle de l’espèce » et « aux vues de l’ensemble de ces circonstances »157. Les termes employés

indiquent clairement qu’elle n’entend imposer aux Etats la résiliation des conventions uniquement en

fonction d’éléments factuels. Dans cette affaire, les contrats litigieux étaient conclus pour une durée

de trente ans. La solution aurait sans doute été différente si la relation contractuelle avait été plus

brève. La Cour raisonne donc par rapport à un principe de proportionnalité et semble comparer, au

cas par cas, les avantages et inconvénients pour les divers intérêts publics ou privés. Une relation

contractuelle trentenaire irrégulièrement établie est trop préjudiciable envers le principe de légalité

pour que le maintien des conventions soit envisageable, quand bien même l’intérêt général serait en

cause.

155 Pour illustrer la réelle prise de conscience relative aux effets néfastes et dévastateurs des annulations contentieuses

en matière contractuelle, voir F. LLORENS : « Les conséquences de la nullité des marchés publics et des délégations de service public », in CJEG, 2002, p. 571 ; R. WINTGEN : « La rétroactivité de l’anéantissement en droit comparé », in RDC, 2008, p. 73 mais aussi C. GUETTIER : « L’anéantissement du contrat administratif », in RDC, 2008, p. 81.

156 S. TREUMER : « Towards an obligation to terminate contracts concluded in breach of the EC public procurement rules : the end of the status of concluded public contracts as sacred cows »; in PPLR, 2007, p. 371: « It is noteworthy that the judgment is unusually short and the argumentation for the result rather laconic. [...] the laconic judgmentcould be the result of internal disagreement between the judges on the issue at hand ».

157 CJCE : 18 juillet 2007 : Commission c/ RFA, aff. C-503/04, préc., point 30.

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Un recours en manquement initié par la Commission à l’encontre de l’Espagne a été

l’occasion pour la Cour de réitérer ce raisonnement158. Dans cette affaire, il était notamment

reproché à l’Etat en question de permettre qu’un marché annulé continue de produire des effets

juridiques. Plus précisément, la loi espagnole prévoyait que « si […] la déclaration administrative

de nullité d’un contrat perturbe gravement le service public, le maintien des effets du contrat peut

être prévu »159 sous certaines conditions. La Cour refuse cependant de condamner cette législation et

considère que « la finalité de ladite disposition est non de faire obstacle à l’exécution de la

déclaration de nullité d’un contrat déterminé, mais d’éviter, lorsque l’intérêt général est en jeu, les

conséquences excessives et éventuellement préjudiciables d’une exécution immédiate de ladite

déclaration […] »160.

Il apparaît donc, au regard de ces deux arrêts, que le maintien des effets juridiques d’un

contrat est envisageable en raison d’une atteinte excessive à l’intérêt général, laquelle peut être

établie soit en fonction de la durée d’exécution du contrat, soit en raison de probables perturbations

sur le service public.

Enfin, la nouvelle directive « recours » parachève l’énoncé de cette méthode en prévoyant

que toute irrégularité n’entraîne pas ipso facto la privation d’effets d’un contrat irrégulier. Elle

reconnaît aux Etats membres la faculté de « conférer à l’instance de recours un large pouvoir

d’appréciation lui permettant de tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris la gravité de

la violation [ou] le comportement du pouvoir adjudicateur »161. De même, il est possible de

reconnaître aux juridictions nationales « la faculté de ne pas considérer un marché comme étant

dépourvu d’effets, même s’il a été passé illégalement […] si elles constatent, après avoir examiné

tous les aspects pertinents que des raisons impérieuses d’intérêt général imposent que les effets du

marché soient maintenus »162. La directive précise encore que de telles raisons ne sont jamais

constituées par un intérêt économique directement lié au marché concerné.

Par conséquent, le droit communautaire ne remet nullement en cause la méthode

pragmatique de traitement de l’irrégularité employée par le juge du contrat. La césure avec la rigueur 158 CJCE, 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. C-444/06, in Contrats et Marchés Publ., mai 2008,

n° 5, comm. 110, note W. ZIMMER. 159 CJCE, 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. C-444/06, préc., point 10. 160 CJCE, 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. C-444/06, préc., point 55. Toutefois, la Cour prend

soin de relever qu’un tel maintien n’a vocation à s’appliquer qu’à titre exceptionnel, sous le contrôle des juridictions et ce dans l’attente de l’adoption de mesures urgentes (point 54).

161 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 sexies § 2. 162 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quinquies § 3.

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du juge des référés précontractuels n’en est que plus frappante. Ce contraste saisissant met en

évidence les excès du droit français dans la réception des exigences communautaires relatives au

traitement de l’irrégularité dans le seul contentieux de la passation. Il encourage par ailleurs à une

évolution jurisprudentielle ou législative favorable à la sécurité juridique. Ajoutée à une recherche

active de l’irrégularité que le juge des référés précontractuels continue à mettre en oeuvre, il apparaît

que le droit français surestime largement les exigences communautaires.

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Conclusion

Au cours de ces vingt dernières années, le contentieux contractuel a fait l’objet d’évolutions

considérables. Le droit communautaire a en effet contribué à de profondes métamorphoses des règles

processuelles internes dans une constante recherche d’efficacité. Il est certain que sans la contrainte

qu’il exerce sur le droit français, l’infirmité du contentieux dont il était question jadis aurait perduré.

Elle n’aurait du moins été pansée avec une telle rapidité. Cette impulsion donnée par le droit

communautaire a ensuite été relayée par le droit interne. Celui-ci a en effet participé, seul et par le

biais d’une surestimation des exigences communautaires, à l’édification d’un droit processuel des

contrats publics toujours plus efficace. Il en résulte une attention et une écoute particulière du droit

interne envers le droit communautaire, prenant place dans les rapports pacifiques entretenus par ces

deux ordres juridiques.

Une réflexion plus large supposant à elle seule bon nombre de développements mérite

toutefois d’être soulevée. Traiter des rapports juridiques partagés entre deux ordres distincts a en

effet la bien modeste ambition de mettre en évidence l’influence que l’un peut exercer sur l’autre,

généralement dans un souci traditionnel de conformité. Mais le droit interne se trouve au cœur d’un

véritable processus de globalisation et de perméabilité entre les systèmes juridiques. Cela implique

qu’il soit soumis à des contraintes d’origines diverses dont certaines d’entres elles attirent davantage

l’attention. Il en va ainsi des obligations découlant de la Convention européenne des droits de

l’Homme puisque ses articles 6 et 13 ont naturellement vocation à s’appliquer au contentieux

contractuel. Cette question a d’autant plus d’importance que depuis près d’un an, le Conseil d’Etat et

les juridictions du fond marquent, timidement il est vrai, une volonté nouvelle de concevoir le droit

communautaire comme un exemple juridique. Or, ce que le droit communautaire autorise dans un

espace juridique de liberté peut parfaitement être prohibé par la Convention européenne des droits

de l’Homme. C’est la raison pour laquelle il serait judicieux d’ouvrir le débat sur les implications

des dispositions précitées dans le droit processuel des contrats publics.

Si cet enchevêtrement normatif ajoute au contentieux des contrats publics une dose

supplémentaire de complexité, il lui permettra enfin de parvenir à l’équilibre et la maturité dont il est

désormais en quête.

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Bibliographie

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- C GUETTIER : Droit des contrats administratifs, PUF, coll. Droit, 2ème éd., 2008

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- P. DELVOLVE : « Un nouveau juge pour le contrat administratif… au moins certains d’entre eux (à propos de la décision du Conseil d’Etat “Société Tropic Travaux Signalisation” », in RDC, 2008, p. 597

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marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives “marchés publics” du 23 juin 2006 », in Europe, juillet 2007, n° 7, étude 18

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- F. LLORENS : « Les conséquences de la nullité des marchés publics et des délégations de service public », in CJEG, 2002, p. 571

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- F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Référé précontractuel : le revers de la médaille », in Contrats et Marchés Publ., janvier 2007, n° 1, repère 1

- F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Le recours des candidat évincés contre les contrats : embarras du choix ou embarras tout court ? », in Contrats et Marchés Publ., août 2008, n° 8, repère 8

- F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « La nouvelle directive “recours” et la conclusion du contrat », in Contrats et Marchés Publ., février 2008, n° 2, Repère 2

- F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Des limites au recours “Tropic Travaux Signalisation” », in Contrats et Marchés Publ., mai 2008, n° 5, repère 5

- H. LLOYD : « L’expérience britannique en matière de marchés publics de travaux », in RDI, 1998, p. 555

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III. Jurisprudence

1) Arrêts rendus par la CJCE

- 22 avril 1994 : Commission /c. Belgique, aff. C-87/94 R, Rec. CJCE, p. I-1395

- 19 septembre 1996 : Commission/c. Grèce, aff. C-236/95, Rec. CJCE, p. I-4459

- 19 mai 1999 : Commission /c. République française, aff. C-225/97, Rec. CJCE, p. I-3011

- 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, Rec. CJCE, p. I-7671

- 7 décembre 2000 : Telaustria Verlags GmbH, aff. C-324/98, Rec. CJCE, p. I-10745

- 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure Krankenhaustechnik, aff. C-92/00, Rec. CJCE, p. I-5553

- 12 décembre 2002 : Universal Bau AG, aff. C-470/99, Rec. CJCE, p. I-11617

- 23 janvier 2003 : Makedoniko Metro et autres, aff. C-57/01, Rec. CJCE, p. I-1091

- 27 février 2003 : Santex SpA , aff. C-327/00, Rec. CJCE, p. I-1877

- 12 avril 2003 : EVN AG et Wienstrom GmbH, aff. C-448/01, Rec. CJCE, p. I-14527

- 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. 214/00, Rec. CJCE, p. I-4667

- 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, Rec. CJCE, p. I-6319

- 19 juin 2003 : GAT GmbH, aff. C-315/01, Rec. CJCE, p. I-6315

- 19 juin 2003 : Fritsch, Chiari & Partner, aff. C-410/01, Rec. CJCE, p. I-6413

- 12 février 2004 : Grossmann Air Service, aff. C-230/02, Rec. CJCE, p. I-1829

- 3 mars 2004 : Fabricom SA, aff. Jtes C-21/03 et C-34/03, Rec. CJCE, p. I-1559

- 24 juin 2004, Commission /c. Autriche, aff. C-212/02,

- 11 janvier 2005 : Stadt Halle, aff. C-26/03, Rec. CJCE, p. I-1

- 2 juin 2005 : Koppensteiner GmbH, aff., C-15/04, Rec. CJCE, p. I-4855

- 7 juillet 2005 : Vereinging voor energie, aff. C-17/03, Rec. CJCE, p. I-14527.

- 8 septembre 2005 : Espace Trinon SA, aff. C-129/04, Rec. CJCE, p. I-7805

- 18 janvier 2007 : Auroux /c. Commune de Roanne, aff. C-220/05, Rec. CJCE, p. I-385

- 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, Rec. CJCE, p. I-8153

- 4 octobre 2007 : Consorzio Elisoccorso San Raffaele, aff. C-492/06, Rec. CJCE, p. I-8189

- 11 octobre 2007 : Lämmerzahl GmbH, aff. C-241/06, Rec. CJCE, p. I-8415

- 13 novembre 2007 : Commission/c. Irlande, aff. C-507/03

- 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d’Espagne, aff. C-444/06

- 15 mai 2008, SECAP SpA /c. Commune de Torino, aff. jtes C-147/06 et C-148/06

- 19 juin 2008 : Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C-454/06

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2) Arrêts rendus par le CE

- 4 août 1905 : Martin, Rec., p. 749, concl. ROMIEU

- Ass. 20 octobre 1989 : Nicolo, Rec., p. 190, concl. P. FRIDMAN

- sect. 3 novembre 1995 : District de l’agglomération nancéenne, Rec., p. 391

- sect. 3 novembre 1995 : Chambre de commerce et d’industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, Rec., p. 394

- sect. 6 décembre 1995 : Département de l’Aveyron et Sté Jean-Claude Decaux, Rec., p. 428

- 19 février 1996, Sté Aubettes, Rec., p. 45

- Ass. 10 juillet 1996 : Cayzeele, Rec., p. 274

- 2 octobre 1996 : SARL Entreprise générale électricité Noël Béranger, Rec., p. 371

- 16 décembre 1996 : Conseil Régional de l’Ordre des Architectes de la Martinique, Rec., p. 493

- sect. 30 octobre 1998 : Ville de Lisieux, Rec., p. 375

- 26 mai 1999 : Sté anonyme Steelcase Strafor, Rec., p. 890

- 28 juillet 1999 : SA Bouygues e. a., Rec., p. 266

- 30 juin 1999 : SMITOM Centre Ouest Seine et Marnais, n° 198147

- 16 octobre 2000 : Sté Stéreau, Rec., p. 1103

- 19 octobre 2001 : Sté Alstom Transport SA, Rec., p. 868

- 7 novembre 2001 : Sté Anonyme Quillery, n° 218221

- 10 décembre 2003 : Institut de Recherche pour le Développement, Rec., p. 584

- 3 mars 2004 : Sté Mak System, Rec., p. 121

- 28 avril 2004 : SA Entreprise Roger Martin, Rec., p. 771

- 30 juin 2004 : Sté Nationale des Chemines de Fer, n° 263402,

- 8 avril 2005 : Sté Radiometer, Rec., p. 698

- 29 juin 2005 : Chambre de commerce et d’industrie du Pas-de-Calais, n° 266631

- 30 novembre 2005 : Sté Transports Cerdans et a., Juris-Data n° 2005-069361

- 6 janvier 2006 : Syndicat Mixte de collecte, de traitement et de valorisation des déchets du Vendemois, Juris-Data n° 2006-069635

- 20 octobre 2006, Commune d’Andeville, Rec., p. 434

- 15 décembre 2006 : Sté Corsica Ferries, Rec., p. 566

- 13 juillet 2007 : Syndicat intercommunal périphérie Paris pour électricité et réseau communication Paris, Juris-Data n° 2007-072190,

- Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545

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- 19 septembre 2007 : Communauté d’agglomération Saint-Etienne Métropole, Juris-Data n° 2007-072417

- 19 décembre 2007 : Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable du Confolentais, n° 291487,

- 8 février 2008 : Département de L’Essonne, Juris-Data n° 2008-073132

- 23 mai 2008 : Musée Rodin, Juris-Data n° 2008-073609

3) Arrêts rendus par les CAA

- Bordeaux, 23 octobre 2003 : Département de la Réunion, n° 01XB02357

4) Jugements rendus par les TA

- Montpellier, 10 juin 1993, Sté Stan/c. Commune de Canet-en-Roussillon, Rec., p. 514

- Rennes, 31 mars 1994 : Becam, Rec., p. 1043

- Clermont-Ferrand, 13 février 1995 : Préfet du Puy-de-Dôme /c. OPAC du Puy-de6Döme et du Massif central, Rec., p. 926

- Versailles, 23 octobre 1997, Sté Plastic Omnium c/ SICTOM Région Isle Adam, n° 973776

- Strasbourg, 14 novembre 2000 : Daniel Delrez /c. Ville de Metz, n° 99-3999

- Lyon, 28 juin 2001 : Sté Sondalp Lyon, n° 00LY01979

- Orléans, 28 mars 2003 : Atelier d’architecture Arène et Edeikins, n° 03-593

- Lyon, 23 mars 2006 : Sté Erba, Juris-Data n° 2006-298288

- Paris, 8 novembre 2006 : Sté Forsup Conseil, n° 0615289

- Versailles, 15 octobre 2007 : Sté Bruno Kern Avocats, n° 0709671

- Lyon, 19 octobre 2007 : Sté Sepur, n° 07-06192

- Nice, 9 novembre 2007 : Sté du parking de la promenade du Paillon /c. Ville de Nice, n° 0400460

- Rouen : 8 Février 2008 : Sté Lancasterres IDF, n° 08001600

- Besançon, 12 février 2008 : Sté CBS, n° 800115

- Orléans, 28 mai 2008 : Compost Sud Essone, n° 00801520

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Table des matières

LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS.......................................................................1

SOMMAIRE ..........................................................................................................................2

INTRODUCTION...................................................................................................................3

CHAPITRE I. UNE PLEINE RECEPTION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE.............................................................................................................8

Section I. La soumission des actes à un contrôle juridictionnel : un facteur de contrainte modéré ............................................................................................................................................9

§ 1. Les actes du pouvoir adjudicateur .........................................................................................9 A. La recherche par le droit communautaire d’une pleine soumission des actes du pouvoir adjudicateur au principe de légalité ...........................................................................................9

1. Une volonté amplement proclamée.............................................................................. 10 2. Une mise en œuvre au service de l’efficacité ............................................................... 11

B. Le poids relatif de la contrainte communautaire sur le droit interne ................................... 13 1. Une réception largement indifférente des exigences communautaires .......................... 14 2. Des résistances ponctuelles.......................................................................................... 15

§ 2. L’acte contractuel ............................................................................................................... 17 A. L’incidence de l’antériorité du droit français dans la détermination des exigences communautaires...................................................................................................................... 17

1. Le retrait passé du droit communautaire ...................................................................... 18 2. Une construction contentieuse initialement hors contrainte : une référence dans la fixation des impératifs communautaires .............................................................................. 19

B. L’influence réduite du droit communautaire dans la modification des règles contentieuses internes ................................................................................................................................... 20

1. Une simplification contentieuse imposée par le droit communautaire .......................... 20 2. Une simplification contentieuse souhaitée en droit interne........................................... 22

Section II. L’instauration d’un recours juridictionnel efficace : un puissant facteur de contrainte...................................................................................................................................... 23

§ 1. Une mise en œuvre simplifiée des recours........................................................................... 23 A. L’élimination des entraves à l’exercice d’un recours efficace .......................................... 23

1. La prohibition des recours préalables au fond.............................................................. 24 2. Le strict encadrement des recours préalables gracieux ................................................. 24

B. Le renforcement des garanties procédurales favorisant l’accès au juge................................... 25 1. L’instauration d’un délai minimal entre la décision d’attribution et la signature du contrat .......................................................................................................................... 26 2. La communication aux candidats évincés des motifs ayant conduit au rejet de leurs offres .................................................................................................................................. 27

§ 2. Les pouvoirs du juge des référés précontractuels ................................................................. 28 A. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « de base » : une transposition douloureuse........ 28 B. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « exclus » : une transposition laborieuse.......... 30

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CHAPITRE II. UNE LARGE SURESTIMATION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE ..................................................................................................32

Section I. Le dépassement des exigences communautaires dans la recherche de l’irrégularité...... 33 § 1. Une exagération à l’initiative du législateur......................................................................... 33

A. Les contrats soumis aux référés précontractuels............................................................... 33 1. Les marchés publics au sens du droit communautaire .................................................. 34 2. Les marchés publics dont le montant est supérieur aux seuils d’application des directives matérielles .......................................................................................................................... 35

B. La forclusion................................................................................................................... 37 1. Une faculté inemployée............................................................................................... 37 2. Le juge du contrat au secours de la sécurité juridique .................................................. 39

§ 2. Une exagération à l’initiative du juge.................................................................................. 41 A. La qualité pour agir ......................................................................................................... 42

1. Un libéralisme excessif................................................................................................ 42 2. Une possible limitation de la qualité pour agir ............................................................. 43

B. Les moyens invocables.................................................................................................... 46 1. Des moyens opérants inadaptés aux réalités économiques ........................................... 47 2. Une improbable restriction des moyens opérants ......................................................... 48

Section II. Le dépassement des exigences communautaires dans le traitement de l’irrégularité.... 51 § 1. La rigueur constante du juge des référés précontractuels ..................................................... 51

A. Une nécessaire application de la théorie des irrégularités non substantielles .................... 51 1. Une rigueur démesurée................................................................................................ 52 2. Un cadre juridique favorable ....................................................................................... 53

B. Une mise en œuvre délicate............................................................................................. 55 § 2. Le pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat............................................ 56

A. La nullité : fin exceptionnelle des rapports contractuels................................................... 56 1. Une volonté affirmée................................................................................................... 56 2. Un obstacle surmontable ............................................................................................. 58

B. Une méthode de jugement encouragée par le droit communautaire.................................. 59

CONCLUSION....................................................................................................................63

BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................64

TABLE DES MATIERES ....................................................................................................71

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